La Histadrouth : une organisation hostile aux travailleurs et au peuple palestiniens

 

 

 

Source : http://histmove.ouvaton.org/pag/chr/pag_008/fr/pag.htm

Écrit: mars 2007 (Mouvement Justice pour la Palestine)

http://www.justice-palestine.org

 

 

 

Nous reproduisons ce texte avec l’accord du responsable du site histmove.ouvaton.org

 

 

 

Le “Travail hébreu”

La Histadrouth comme entrepreneur capitaliste

Les travailleurs arabes

Complicités

La question de la libération nationale du peuple palestinien

Solidarité de classe

 

Aujourd’hui, la Histadrouth est réputée être la principale centrale syndicale israélienne. Elle est côtoyée par la plupart des organisations syndicales de par le monde, notamment de France, autant par l’intermédiaire des organismes internationaux que dans le cadre de rapports bilatéraux. Il s’agit pourtant d’une organisation intimement liée au mouvement sioniste historique et à son incarnation actuelle par l’Etat d’Israël. En tant que telle, elle constitue l’un des piliers de la domination sioniste en Palestine, et en particulier des mécanismes d’exploitation renforcée imposés aux travailleurs palestiniens. Pour mettre en oeuvre une solidarité agissante vis-à-vis de la lutte du peuple palestinien, il est indispensable d’exclure toute relation avec la Histadrouth.

La Histadrouth fut fondée en 1920. Son nom complet est « Fédération générale des travailleurs hébreux en Terre d’Israël » (“histadrouth” signifie fédération). Les statuts adoptés stipulaient qu’elle « réunit tous les travailleurs dans le pays qui vivent de leur propre travail sans exploiter le travail d’autrui, dans le but d’arranger toutes les affaires communales, économiques et culturelles de la classe travailleuse du pays, pour l’édification de la société du travail en Terre d’Israël »[1].

Les objectifs assignés à la Histadrouth dépassaient largement le cadre syndical: amélioration de la productivité, gestion des embauches, formation professionnelle, fonds de secours mutualisés, organisation de coopératives, colonisation de terres, accueil d’immigrants, défense. Toutes les institutions liées à des partis politiques intervenant dans ces domaines devaient être transférées à la Histadrouth. Celle-ci fut en particulier à l’initiative de la création, également en 1920, de la Haganah (“défense”), organisation paramilitaire, convertie après la fondation de l’Etat d’Israël en “Forces de défense d’Israël” (Tzahal selon les initiales en hébreu).

Ainsi constituée, la Histadrouth en tant que telle était donc tout sauf un syndicat au sens strict. Par contre, elle incluait en son sein un “département des affaires syndicales” qui s’occupait de ce qui n’était ainsi qu’une branche de son activité, parmi d’autres.

Le “Travail hébreu”

Le principe de base qui guidait l’activité de la Histadrouth était celui de la “conquête du travail”. La signification du concept est double: d’une part, orienter les immigrants juifs vers le travail manuel et agricole plutôt que le commerce ou d’autres professions; d’autre part, employer des travailleurs juifs plutôt que des Arabes. Ce deuxième aspect était résumé dans le slogan du “travail hébreu”. Cela constituait un changement d’optique par rapport à la première période d’immigration, qui avait mobilisé des propriétaires terriens ayant recours à des paysans arabes. Dans les faits il s’agissait d’un combat actif pour remplacer les travailleurs arabes employés dans le secteur juif de l’économie palestinienne par des travailleurs juifs. C’est dans ce contexte que fut fondée la Histadrouth pour assurer les intérêts – conçus sur la base d’un nationalisme bourgeois-colonialiste – des travailleurs juifs.

L’objectif était de détruire les conditions d’existence de la population palestinienne de façon à rendre la réalité conforme au slogan mensonger par lequel le mouvement sioniste tentait de justifier son entreprise de domination coloniale: la Palestine serait « une terre sans peuple pour un peuple sans terre ». Les sionistes ne s’en cachaient pas. Voici par exemple ce que raconte David Hacohen, nommé en 1923 directeur du Bureau de Planification et de Travaux Publics de la Histadrouth, militant du courant travailliste mais aussi lié à des représentants du courant d’extrême droite[2]:

Je devais me battre avec mes amis (à Londres) au sujet de la question du socialisme juif, pour défendre le fait que je n’accepterai pas d’Arabes dans mon syndicat, la Histadrouth, pour défendre les exhortations en direction des ménagères qu’elles n’achètent pas dans des magasins arabes, pour défendre le fait que nous faisions la garde auprès des vergers pour empêcher que des travailleurs arabes y soient embauchés.

Et le même Hacohen, en tant que dirigeant de la Histadrouth à Haïfa, mit en garde contre le danger que[3]

[…] les travailleurs des chemins de fer n’oublient que la mission des travailleurs hébreux, qui font partie du mouvement de colonisation de la Palestine, n’est pas d’être préoccupés par l’assistance mutuelle en direction des travailleurs arabes, mais d’assister à la fortification du projet sioniste sur le pays.

De 1927 et 1936, la Histadrouth, en alliance avec les organisations politiques sionistes, déploya une série de campagnes de blocages visant à chasser les travailleurs palestiniens des lieus de travail appartenant à des Juifs. En 1936, dans le secteur juif, la proportion de travailleurs arabes était de 35 % pour les activités agricoles, et de 14,6 % pour les autres activités. A cette époque (en 1937), George Mansur, un dirigeant syndical palestinien, écrivit[4]:

L’objectif fondamental de la Histadrouth est “la conquête du travail” […] Peu importe combien de travailleurs arabes sont au chômage, ils n’ont pas le droit de prendre une tâche quelconque qu’un possible immigrant peut occuper. Aucun Arabe n’a le droit de travailler dans des entreprises juives.

Ce fut Yitzhak Ben Tzvi, l’un des principaux promoteurs du sionisme dit socialiste, qui formula de la façon la plus élaborée le raisonnement idéologique sous-jacent. Dans un essai publié en 1912, il tenta de démontrer que dans certaines conditions historiques, les intérêts nationaux doivent passer devant la solidarité de classe. Il affirmait que le nationalisme arabe en Palestine était une création artificielle destinée à servir les intérêts des grands propriétaires fonciers, prêteurs d’argent et ecclésiastiques arabes palestiniens, qui cherchaient à perpétuer leur domination et l’exploitation des paysans et travailleurs arabes. Ainsi l’immigration sioniste serait prétendument bénéfique pour la population palestinienne[5]:

[Le paysan arabe en Palestine] ne souffre pas de l’immigration juive, mais de la pression de son effendi et de l’exploitation par le citadin représentant de l’effendi, qui est de la même race et religion. […] [Le paysan] est intéressé par le nouveau régime [britannique] qui assure la paix et la sécurité à l’égard des bandits et des voleurs, en particulier des bédouins qui habituellement venaient du désert vers les terres occupées et pillaient le pays sans être inquiétés. Le paysan est intéressé par un régime qui élève le niveau culturel et assure la justice et la défense contre l’extorsion. Le paysan est également intéressé par l’expansion de l’emploi et de l’industrie dans le pays et l’amélioration du sort des travailleurs, qui nécessairement découle de l’immigration et de l’établissement des Juifs. Ainsi le paysan n’est pas opposé à l’immigration.

De son côté, David Ben Gourion (secrétaire général de la Histadrouth de 1920 à 1935) affirma en 1921 que c’est « le travailleur juif conscient et cultivé, dont la mission historique est l’édification d’une communauté libre des travailleurs en Eretz Yisrael, qui doit diriger le mouvement de la libération et renaissance des peuples du Proche Orient » et « éduquer le travailleur arabe à vivre une vie de travail ordonnée et basée sur la coopération, la discipline et responsabilité mutuelle »[6]. Il s’opposa vivement à l’éventualité de chercher une entente avec les dirigeants arabes. Insistant sur le fait que le sionisme constituait essentiellement un projet de création d’un Etat, il demandait que toutes les propositions concernant un gouvernement représentatif soient évaluées en fonction de l’apport qu’ils pouvaient présenter à cet égard:

Nous ne devons pas avoir peur de proclamer qu’entre nous, travailleurs juifs, et les dirigeants du mouvement arabe actuel, les effendis, il n’y a pas de langage commun. […] Certainement, la communauté arabe dans le pays a le droit à l’autodétermination, à l’autogouvernement. Il ne nous viendrait jamais à l’esprit de restreindre ou minimiser ce droit. L’autonomie nationale que nous demandons pour nous-mêmes, nous la demandons également pour les Arabes. Mais nous n’admettons pas leur droit de gouverner le pays dans la mesure où le pays n’est pas édifié par eux et attend encore ceux qui vont le travailler. Ils n’ont aucun droit ou prétention légitime d’empêcher ou contrôler la construction du pays, la restauration de ses ruines, la mise en valeur de ses ressources, l’expansion de son territoire développé, le développement de sa culture, la croissance de sa communauté laborieuse.

La Histadrouth comme entrepreneur capitaliste

Du point de vue de la “modernité” du rouleau compresseur impérialiste, les efforts entrepris par la Histadrouth furent couronnés de succès. L’organisation établit, sous son contrôle, un réseau étendu de sociétés de production, de services, d’institutions bancaires: en 1921, la Bank Hapoalim (Banque des Travailleurs); en 1923, la société de construction Solel Boneh (Infrastructures et Bâtiments); en 1935, la compagnie de bus Egged; en 1937, la société de services d’eau Mekorot; en 1945, la compagnie maritime Zim. La Histadrouth intégra également le programme de services d’assistance médicale qui avait été instauré en 1911. En bénéficier impliquait d’office être adhérent de la Histadrouth. Par ailleurs, l’appartenance aux organismes dirigés par la Histadrouth donne accès à un système d’assurance chômage et vieillesse.

Vers les années 1960‑1970, le secteur économique contrôlé conjointement par la Histadrouth et l’Etat était basé sur quatre groupes: Koor, Clal, Bank Hapoalim, Bank Leumi. Avec à leurs côtés la Israel Discount Bank (IDB), appartenant à des investisseurs privés, ces groupes constituent le noyau dominant de l’économie israélienne. Koor intervient dans les domaines de la sidérurgie, la chimie, le ciment, le verre, le bois de construction, l’agro-alimentaire, les télécommunications, la défense. Clal travaille dans les domaines des biotechnologies, des semi-conducteurs, du software et des technologies de communication, mais également ceux liés aux secteurs du tourisme et de la construction.

Cependant, aux alentours de 1990, la Histadrouth entama un processus de changement structurel. Il était motivé et sous-tendu à la fois par les transformations générales touchant l’économie capitaliste mondiale, et par des facteurs concrets au plan national, en particulier l’adoption d’une législation qui priva la Histadrouth de son monopole en ce qui concerne le système de services d’assistance médicale. La mise en oeuvre de ces changements fut portée, à la tête de la Histadrouth, d’abord par Haim Ramon, puis son successeur Amin Peretz (devenu ensuite secrétaire du Parti travailliste, et actuellement ministre de la Défense).

La plupart des entreprises dirigées par la Histadrouth furent cédées. En juillet 1995, le groupe US Shamrock reprit la participation dans Koor Industries (22,51 %) dont par ailleurs, en mars 1997, Morgan Stanley acquit une participation de 8,7 %. A cette date, 40 % de Koor étaient détenus par des investisseurs étrangers. La participation dans Bank Hapoalim (3,5 %) fut également cédée à des investisseurs privés, de même que les holdings du secteur de la construction et de l’immobilier (notamment Solel Boneh). Depuis, les modifications dans la structure de l’actionnariat sont fréquentes. Parallèlement, l’Etat procéda également à des mesures de privatisation, encore en cours actuellement.

Enfin, pour caractériser succinctement, à titre d’exemple, la position d’A. Peretz en tant que “syndicaliste”, voici une appréciation émise par Shimon Peres en octobre 2003[7]: « Amir Peretz ne veut pas de grèves, il veut du fair play. »

Les travailleurs arabes

En décembre 1952, la Histadrouth décida d’admettre les travailleurs arabes au sein de son département des affaires syndicales. Ils pouvaient désormais bénéficier de ses services d’assistance médicale ainsi que de ses fonds d’assurance chômage et de vieillesse. Finalement, en 1966, la Histadrouth changea officiellement son nom en « Fédération générale des travailleurs en Terre d’Israël » (éliminant le qualificatif « hébreux »). Les implications de cette décision étaient cependant limitées. Les fondements idéologiques de la Histadrouth ne furent pas remis en cause. En témoigne le plaidoyer de Shimon Peres, opposé au changement de nom, et qui restera l’un des principaux représentants du sionisme dit socialiste, devenant ultérieurement premier ministre[8]:

La question du changement de nom revêtira un aspect plus sérieux si nous rappelons que le nom de la Histadrouth, bien qu’il n’implique aucune limitation, implique bel et bien un engagement. Ne sommes-nous pas une fédération qui, ne se contentant pas d’évoquer l’Aliyah [immigration juive] dans ses chants, vise à la mettre en oeuvre? Une fédération s’occupant de l’absorption de l’Aliyah? Une fédération s’occupant de l’enseignement de la langue hébreu? Il est clair que c’est une fédération générale. Il est clair que c’est une fédération hébreu en Israël. Ne la rendons pas sans nom. Ne la rendons pas dépourvue d’identité. Ne renions pas ses chants. Ne manipulons pas ses défis. Ce n’est pas une fédération qui se termine par un point d’interrogation.

Immédiatement après la guerre de 1967, le gouvernement israélien mit en place une politique d’autorisation sélective d’entrée pour les travailleurs palestiniens des territoires occupés de Cisjordanie et de la bande de Gaza. Le recours à cette main d’oeuvre était soumis à un contrôle au cas par cas permettant d’utiliser l’émission des papiers comme moyen de surveillance et de pression. La décision à cette égard, adoptée le 7 juillet 1968, stipulait que le nombre de permis pouvant être délivrés soit fixé par le ministère du Travail en consultation avec les autorités d’occupation et la Histadrouth. Au-delà de cette réglementation, un système plus élaboré fut instauré en octobre 1970. L’administration militaire fut chargée de la supervision des travailleurs palestiniens, et leurs salaires étaient désormais distribués par l’Administration nationale de l’emploi, laquelle attribuait les autorisations d’embauche aux entreprises et reçut des décomptes des heures travaillées ainsi que les sommes correspondant aux salaires.

La loi n’autorise pas les travailleurs non-résidents en Israël, dont les palestiniens, à s’organiser syndicalement, mais leur octroie le droit de se voir appliqués les accords collectifs. Ils doivent payer des « droits de représentation » afin de bénéficier de l’aide syndicale à cet égard. Ces sommes sont inclues dans le circuit passant par l’administration israélienne. En 1995, la Histadrouth signa un accord-cadre pour la coopération avec la PGFTU (Fédération générale syndicale palestinienne, principale organisation syndicale existant dans les territoires occupés de Cisjordanie et de la bande de Gaza), selon lequel l’Administration nationale de l’emploi devait transférer directement à la PGFTU 50 % des cotisations (lesquelles s’élèvent à 1 % environ des salaires) des travailleurs palestiniens en Israël, les autres 50 % étant retenus par la Histadrouth pour financer leur représentation syndicale. Cet accord fut suivi d’un autre en 1997, portant sur l’assistance apporté par des avocats de la Histadrouth.

Mis à part quelques faux-semblants, les engagements sur les transferts de cotisations sont restés sans suite. A partir de l’éclatement de la deuxième Intifada, en 2000, la Histadrouth a de toute façon explicitement remis en cause les accords. Par exemple[9]:

A notre grand regret, comme résultat de la violence perpétrée contre des Israéliens par des organisations terroristes palestiniennes, les relations entre la Histadrouth et la PGFTU ont cessées, et la Histadrouth cessa de remettre les cotisations et de fournir des services légaux.

Cette réalité est évidente vue du côté des Palestiniens. Ainsi Shaher Saed, secrétaire générale de la PGFTU, constate en 2002[10]: « Il n’y plus de relations. Depuis le début de l’Intifada, maintenir des liens est devenu une impossibilité. La Histadrouth n’a pas respecté l’accord que nous avons signé ensemble, il a été rompu de leur fait. » Et selon un constat similaire en 2004, par Hussein Fuquaha, membre du comité exécutif de la PGFTU, depuis la seconde Intifada aucun argent n’a été transféré et il n’y a eu « pas un seul signe de solidarité discernable »[11].

Complicités

Ainsi, la Histadrouth se rend complice des mesures de contrôle des travailleurs palestiniens, et de façon générale elle agit en permanence en conformité avec son caractère d’organisation sioniste. Voici quelques exemples.

Les 29 et 30 mars 1976 les Palestiniens, en Israël, organisèrent des grèves et des manifestations en protestation contre des confiscations de terres effectuées par les autorités israéliennes. Le gouvernement chercha à réprimer le mouvement par la force, tuant 6 Palestiniens. Les employeurs licencièrent des grévistes. Quant à la Histadrouth, elle exerça également des représailles contre des travailleurs palestiniens[12]. Rappelons que ces événements donnèrent lieu par la suite à des mouvements de commémoration annuels à l’occasion du « Jour de la Terre ».

En 1985, 35 travailleurs palestiniens de Cisjordanie, de la Boulangerie Berman, manifestèrent pour protester contre les mauvaises conditions de salaire et de travail. Certains y étaient employés depuis plusieurs années. Leur salaire s’élevait au tiers de ce que gagnait un Israélien pour le même travail. Ils se plaignirent auprès de la Histadrouth, mais celle-ci ne fit rien. Son porte-parole, Haim Mamam, leur dit que « nous n’avons pas d’engagement vis-à-vis des travailleurs venant de Cisjordanie »[13].

En 1999, la Histadrouth signa un accord avec l’Association israélienne des entreprises de construction, qui excluait les travailleurs étrangers du dispositif découlant d’accords collectifs antérieurs[14].

En janvier 2000, des camionneurs ‑ arabes et juifs ‑ de Tempo, qui est l’une des principales sociétés de boissons en Israël, décidèrent d’appeler à une journée de grève pour exiger de recevoir la « prime d’hiver » que leur employeur entendait supprimer. Pendant la grève ils s’adressèrent à la Histadrouth. Celle-ci refusa de les soutenir, en expliquant que Tempo n’admettait pas l’organisation syndicale dans sa branche septentrionale (alors que la partie de l’effectif de Tempo travaillant dans une autre région, est organisée par la Histadrouth et bénéficie des avantages refusés à ceux du Nord)[15].

En septembre 2002, le gouvernement créa une Administration de l’immigration, afin de coordonner les activités en la matière entre le ministère de l’Intérieur, celui de la Justice ainsi que la police. L’objectif lui fut fixé d’expulser 50 000 travailleurs avant la fin de l’année 2003, et d’atteindre le chiffre de 100 000 en 2005. Lors des premières opérations effectuées en ce sens, un représentant de la Histadrouth émit un commentaire selon lequel il s’agissait là du début d’un processus visant à mettre en échec le phénomène qui fait que des travailleurs sans permis de travail concurrencent des travailleurs israéliens[16]. Il déclara:

L’Administration d’immigration, en collaboration avec la Histadrouth, continuera à repérer les postes de travail où des travailleurs étrangers sont employés. Nous faisons appel à tous les travailleurs qui savent qu’il y a des travailleurs étrangers à leur travail, de rapporter cela à la Histadrouth, même de façon anonyme, de sorte que des opérations de contrôle puissent être effectuées afin de renvoyer ces travailleurs. De cette façon, les travailleurs israéliens seront de nouveau en mesure de pouvoir occuper des postes.

Après la guerre déclenchée par Israël contre le Liban en été 2006, se posa la question de la reconstruction dans la région frontalière. Le gouvernement avait pris soin de ne pas déclarer officiellement l’état de guerre. Cela évitait entre autre que les entreprises, et leurs travailleurs, ayant subi un préjudice, ne puissent faire valoir un droit automatique à des compensations. Au lieu de cela, des dispositions particulières furent adoptées de façon à priver les communautés et individus arabes des dédommagements accordés aux juifs. Une fois de plus, la Histadrouth était partie prenante, aux côtés du ministère des Finances et des employeurs, dans l’accord définissant ces critères discriminatoires[17].

La question de la libération nationale du peuple palestinien

Voici comment Ilan Pappe, historien israélien, résume le rôle joué par la Histadrouth, avant la création de l’Etat d’Israël tout aussi bien qu’aujourd’hui[18]:

La Histadrouth en tant que Fédération syndicale générale est un organisme qui ne se place pas aux côtés des travailleurs ou des syndicats, mais s’en tient à l’idéologie sioniste. Sans la Histadrouth, il aurait été impossible de coloniser les Territoires occupés au niveau du marché du travail. Sans la Histadrouth il aurait été impossible de former le marché du travail en Israël durant les années d’occupation de sorte que les Palestiniens devenaient réellement des esclaves, des travailleurs soumis à l’esclavage plutôt des travailleurs en position d’égalité. […] La Histadrouth n’ose absolument pas prendre en quoi que ce soit position contre l’occupation, contre la politique du gouvernement. Elle adhère du bout des lèvres à l’idée d’égalité sociale, et tout ça. Mais elle ne fait rien en réalité.

En effet, l’orientation de la Histadrouth au plan politique est clairement basée sur le sionisme, qu’il s’agisse d’Israël en tant qu’Etat sioniste, ou de l’expansionnisme colonialiste qu’il met en oeuvre dans la région de la Palestine historique.

A titre d’exemple, on peut citer une résolution adoptée lors du 19ème congrès de la Histadrouth, en juin 2002[19]. Elle concerne quelques-uns des principaux points distinctifs.

En premier lieu, la création de l’Etat d’Israël n’a rien de critiquable, bien au contraire, celui-ci est dans son droit en poursuivant sa politique de domination:

Depuis sa fondation, l’Etat d’Israël a été engagé, sur différents fronts, dans un combat sanglant accompagné de pertes et de deuils, mais il n’a jamais perdu l’espoir de la paix et continue à cultiver la voie de la paix, tout en maintenant une capacité de défense qui assure son existence.

Cette défense implique la lutte contre les « terroristes »:

Le Congrès condamne vigoureusement l’utilisation de la terreur par des organisations palestiniennes, et autres, en tant que moyen pour atteindre des buts politiques.

Plus largement la Histadrouth tient à faire partie de « l’axe du bien » contre « l’axe du mal »:

La Histadrouth appuie la participation active à la coalition internationale constituée en vue d’une guerre totale contre le terrorisme qui a mis en danger la paix mondiale, depuis que son caractère monstrueux a été révélé par les événements du 11 septembre 2001. C’est le droit de chaque pays de prendre toutes les mesures nécessaires pour protéger la paix et la sécurité de ses citoyens contre les actes d’organisations terroristes, quelles qu’elles soient.

Et la façon dont la Histadrouth conçoit la solidarité internationale, est déterminée par ces positions.

C’est le cas concernant l’Etat d’Israël:

Le Congrès en appelle aux organisations syndicales internationales […] de soutenir les justes buts de l’Etat d’Israël et sa détermination constante en faveur de la paix et de la sécurité.

Plus précisément, la Histadrouth s’oppose au boycott d’Israël:

Les organisations dans le monde libre sont appelées à agir afin que soit annulé tout boycott contre l’économie israélienne.

On note en passant qu’en parlant du “monde libre”, la Histadrouth persiste à affectionner le vocabulaire hérité de la période de la “guerre froide”.

De même, la Histadrouth cherche à rassembler contre le “terrorisme”:

La Histadrouth prendra des mesures afin de rallier le soutien des organisations syndicales et institutions internationales dans l’opposition à l’attitude de pardon envers les organisations terroristes et leur activité meurtrière contre des civils, femmes et enfants, innocents.

Par ailleurs, fière de ses principes de syndicalisme “libre” et “internationaliste”, la Histadrouth se permet même de poser des exigences vis-à-vis des syndicats palestiniens. Dans un article écrit pour un journal canadien, Ofer Eini, successeur d’Amir Peretz au poste de président de la Histadrouth, expose sa vision de la situation actuelle en Palestine[20]:

Malheureusement, les Palestiniens n’ont pas tiré profit du retrait d’Israël de la bande de Gaza et du retrait annoncé de parties significatifs de Cisjordanie […] en faveur d’une impulsion positive vers l’établissement d’un Etat palestinien pacifique.

Au lieu de cela, les Palestiniens ont élu un gouvernement islamiste radical dont la raison d’être est la destruction d’Israël, qui a continuellement favorisé le terrorisme contre Israël, et qui, à l’intérieur, a embourbé les Palestiniens dans le chaos.

Ils continuent aussi à gâcher les millions de dollars investis dans leur économie par la communauté internationale, à travers un secteur public démesuré et la corruption massive, qui se substituent à l’aide pour le développement d’une économie domestique authentique.

Fidèle au rôle qu’elle jouait avant la création de l’Etat d’Israël, celui de “quasi-gouvernement”, la Histadrouth se joint aux chantages contre le gouvernement élu en Cisjordanie en janvier 2006[21]:

Si le Hamas abandonne son idéologie extrémiste, s’il accepte les demandes d’Israël et de la communauté internationale de reconnaître le droit d’Israël d’exister; annule les statuts du Hamas appelant à la destruction d’Israël; démantèle toutes les organisations terroristes; et accepte tous les accords signés par l’Autorité palestinienne et le gouvernement israélien, nous pouvons revenir à la table de négociation.

Si ces conditions ne sont pas remplies, l’Etat d’Israël sera obligé à rompre toutes les relations avec le gouvernement élu palestinien.

Ce qu’il faut notamment souligner, c’est qu’en parlant des territoires occupés de Cisjordanie et de la bande de Gaza, O. Eini utilise la terminologie niant précisément les droits historiques du peuple palestinien. En effet, il parle de “territoires disputés”, insinuant ainsi que les sionistes auraient raison de les considérer comme partie du “Grand Israël”.

Partant de ces appréciations, O. Eini donne quelques “suggestions pratiques” sur le thème « Comment les syndicats canadiens peuvent véritablement aider les Palestiniens » (c’est le titre de l’article cité):

Les syndicats canadiens peuvent demander constamment que les représentants du gouvernement palestinien accordent aux travailleurs palestiniens les droits et libertés fondamentales octroyés aux travailleurs dans toutes les sociétés démocratiques. Cela inclut la liberté d’association, la liberté d’expression, et le droit de grève pour des salaires plus équitables et des conditions de travail meilleures.

[…]

Les syndicats canadiens peuvent aider à développer la Fédération générale de syndicats palestiniens [PFGTU], et aussi contribuer à réhabiliter les associations professionnelles en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, qui sont devenues imprégnées d’un esprit anti-Israël, au point d’ôter toute signification à leur mandats syndicaux originaux.

En 2001, alors que Amir Peretz était président de la Histadrouth, son parti, Am Ehad, participait au gouvernement d’union nationale formé par Ariel Sharon, et vota notamment en faveur du Mur d’annexion en Cisjordanie. Dans l’article cité plus haut, O. Eifer évoque « le recours à des comparaisons cyniques avec l’Apartheid » comme « une tentative à peine voilée de diaboliser et délégitimer Israël »[22]. Lors d’une rencontre entre syndicalistes palestiniens et israéliens, organisée en juin 2006 par la fédération anglaise des services publics UNISON, le représentant de la Histadrouth, Ophir Elkalay, « défendit la construction de la “barrière de sécurité” comme une mesure nécessaire pour protéger les Israéliens contre le terrorisme »[23].

Solidarité de classe

Organiser la solidarité avec la classe ouvrière en Palestine, cela ne peut pas signifier apporter indistinctement un soutien aux syndicats arabes d’un côté, à ceux juifs de l’autre. Le peuple palestinien mène la lutte pour sa libération nationale contre son ennemi, l’Etat sioniste d’Israël. La Histadrouth soutient l’entreprise de domination sioniste en Palestine, et fait donc, pour les travailleurs palestiniens, partie intégrante des forces ennemies.

Diverses organisations syndicales, au plan international, s’obstinent à vouloir jouer un rôle d’entremetteur. En avril 2002, CFDT, CGT, CFTC, UNSA, CFE/CGC et FSU ont publié un communiqué intersyndical intitulé « Les syndicats français pour une paix juste au Proche-Orient »[24]. En se referant aux « deux syndicats de la région, l’Histadrouth israélienne et la PGFTU palestinienne », le communiqué déclare: « Notre solidarité active s’exprime dans le soutien que nous apportons à un dialogue qui doit se poursuivre et se renforcer entre ces deux organisations. » Jean-François Trogrlic, de la CFDT, commente[25]: « Il ne saurait être question de se ranger dans un camp contre un autre et se laisser aller à des réflexes émotionnels, même si on ne peut passer sous silence la réalité de l’occupation des territoires et leur colonisation ». A l’occasion de l’envoi d’une délégation dans le territoire de Gaza et la région Tel-Aviv en octobre 2002, la CGT conclut[26]: « Nous avons été confortés dans l’idée que nous pouvions aider à renouer les liens entre les deux organisations syndicales pour favoriser la paix et la reconnaissance des deux peuples. » Certains se targuent en plus d’avoir l’exclusivité de cette besogne. En juin 2004, Guy Juquel, de la CGT, affirme[27]: « La CGT est la seule organisation française qui peut réunir des militants de ces deux organisations. C’est sur ce terrain que nous pouvons être le plus utile. » Ces efforts de conciliation sont cohérents avec les orientations politiques mises en avant par les directions des confédérations concernées, en faveur de la coexistence de l’Etat sioniste d’Israël et d’un Etat palestinien confiné à un statut de néo-colonie.

La véritable solidarité de classe pour laquelle il faut oeuvrer, ne peut passer par la coopération avec la Histadrouth. Elle doit se diriger en premier lieu vers les syndicats palestiniens ‑ sachant que la PGFTU n’est pas la seule organisation syndicale existant dans les territoires occupés de Cisjordanie et de la bande de Gaza. Et en ce qui concerne les travailleurs palestiniens à l’intérieur d’Israël, malgré la prédominance de la Histadrouth, d’autres organisations syndicales existent, engagées dans la défense des catégories de travailleurs trahis ou abandonnés par la Histadrouth, notamment les travailleurs Arabes et aussi tous les autres travailleurs immigrés.

Notes



[1]William Frankel, Israel Observed, An Anatomy of the State, London, Thames & Hudson, 1980.

http://home.comcast.net/~chtongyu/histadrut.html.

[2]. MIT Arab Club, « Racism in the Middle East », The Tech, Boston, 25 novembre 1975.

http://cosmos.ucc.ie/cs1064/jabowen/IPSC/php/quotation.php?qid=564,

http://www-tech.mit.edu/archives/VOL_095/TECH_V095_S0471_P004.pdf,

http://www-tech.mit.edu/archives/VOL_095/TECH_V095_S0472_P005.pdf.

[3]Ilan Pappe, A History of Modern Palestine: One Land, Two Peoples, Cambridge, Cambridge University Press, 2004.

Cité par: http://www.charlesglass.net/archives/2004/06/it_was_necessar.html.

[4]Ann M. Lesch, « Zionism and Its Impact ».

http://www.palestineremembered.com/Acre/Palestine-Remembered/Story452.html.

[5]Zachary Lockman, Comrades and Enemies ‑Arab and Jewish Workers in Palestine, 1906–1948, Berkeley, University of California Press, 1996.

http://content.cdlib.org/xtf/view?docId=ft6b69p0hf&chunk.id=s1.2.15&toc.depth=1&toc.id=ch2.

[6]Zachary Lockman, op. cit.

http://content.cdlib.org/xtf/view?docId=ft6b69p0hf&chunk.id=s1.2.19&toc.depth=1&toc.id=ch2.

[7]. http://www.globalpolicy.org/security/issues/israel-palestine/2003/1020knesset.htm.

[8]Uri Davis, « The Histadrut: Continuity and Change ».

http://www.passia.org/seminars/2000/israel/part9.html.

[9]. Histadrouth, « Histadrut-PGFTU Relationship 1995 2006: Past and Future Perception ».

http://www.histadrut.org.il/serve/Union/Folder_Template.asp?Folder_ID=9999&Curr_Folder=233.

[10]. Cité par: http://workers.labor.net.au/134/c_historicalfeature_sharon.html.

[11]. Cité par: http://papaja.kein.org/download/israel_engl4.pdf.

[12]. http://www.arabhra.org/publications/wrap/2006/wrap267.doc.

[13]. http://www.sonomacountyfreepress.com/palestine/union.html.

[14]. http://www.odaction.org/Job-to-Win.html.

[15]. http://www.cgtra.org/admin/articles/doc_art/ISRAEL_PALESTINE_04.pdf.

http://www.challenge-mag.com/61/labor.html.

[16]. http://www.kavlaoved.org.il/katava_main.asp?news_id=275&sivug_id=21.

[17]. http://electronicintifada.net/v2/article5703.shtml.

[18]Ilan Pappe, Press Conference on the Israel-Palestine Conflict, 26 août 2006.

http://www.palestine-pmc.com/details.asp?cat=6&id=403.

[19]. Histadrouth, « Histadrut Resolution: Peace and Security ».

http://www.histadrut.org.il/serve/Union/Folder_Template.asp?Folder_ID=9999&Curr_Folder=233.

[20]Ofer Eini, « How Canadian labour can truly help Palestinians », The Toronto Star, 17 juillet 2006.

http://www.cjc.ca/template.php?action=ioi&item=113.

[21]. Histadrouth, « Histadrut-PGFTU Relationship 1995‑2006: Past and Future Perception ».

http://www.histadrut.org.il/serve/Union/Folder_Template.asp?Folder_ID=9999&Curr_Folder=233.

[22]Ofer Eini, op. cit.

[23]. http://www.unison.org.uk/conference2006/news_view.asp?did=2708.

[24]. http://www.cfdt.fr/actualite/inter/actualite/orient/2002/actu244.htm.

[25]Idem.

[26]. http://www.urif.cgt.fr/articlesdy/art24761tel%20aviv%20panorama.doc.

[27]. Guy Juquel, Rapport à la CE du 17 juin 2004 sur « Notre activité syndicale internationale ».

http://formationsyndicale.cgt.fr/form_en_pratique/notes_formateurs/note_21_activite_synd_internationale.pdf.