Les notions de « contrôle de production »/ »contrôle ouvrier »
dans l’activité de l’Internationale communiste

Lénine, 1917-1918

1919-1924 : contrôle ouvrier, gouvernement ouvrier

Contrôle ouvrier

Gouvernement ouvrier

Programme minimum

Brandler, Programme d’action

Les points essentiels

L’actualité des positions promues par Brandler

Quelques autres aspects de l’orientation défendue par Brandler

Bureau politique du Comité central du KPD, réponse à Brandler

6e Congrès de l’Internationale communiste (17 juillet – 1er septembre 1928) – Programme de l’IC

*

Les discussions et documents qui font intervenir les notions de « contrôle de production »/ »contrôle ouvrier » incluent fréquemment dans le même cadre de réflexions les thèmes de programme « minimum » et programme « d’action » ainsi que la référence à une période de « transition ».

Pour la bonne compréhension des problématiques concernées, il est important de situer les différentes argumentations dans le cadre des contextes respectifs se succédant dans le temps.

Lénine, 1917-1918

Le déroulement de la révolution russe passait par des phases successives : révolution bourgeois-démocratique (dans laquelle, du point de vue des communistes, ceux-ci devaient assumer la direction), à partir d’avril 1917 l’instauration de la dictature du prolétariat comme objectif; avec la prise du pouvoir en octobre 1917, début d’une période de transition vers la réalisation de la société socialiste.

En septembre 1917, Lénine dans sa brochure « La catastrophe imminente et les moyens de la conjurer » [1], pose la nécessité de mettre en oeuvre le contrôle et la règlementation de la vie économique par l’État :

Si notre gouvernement voulait réellement appliquer le contrôle de façon sérieuse et pratique, si ses institutions ne s’étaient pas condamnées, par leur servilité envers les capitalistes, à une « inaction totale », l’État n’aurait qu’à puiser des deux mains dans l’abondante réserve des mesures de contrôle déjà connues, déjà appliquées. Le seul empêchement à cela, empêchement que les cadets, les socialistes-révolutionnaires et les mencheviks dissimulent aux yeux du peuple, a été et reste que le contrôle mettrait en évidence les profits fabuleux des capitalistes et leur porterait atteinte.

Pour mieux faire comprendre cette question capitale (qui est en somme la question du programme de tout gouvernement vraiment révolutionnaire, désireux de sauver la Russie de la guerre et de la famine), nous allons énumérer ces principales mesures de contrôle et les examiner l’une après l’autre.

Nous verrons qu’il aurait suffi à un gouvernement intitulé démocratique révolutionnaire autrement que par dérision de décréter (d’ordonner, de prescrire), dès la première semaine de son existence, l’application des principales mesures de contrôle, d’établir des sanctions sérieuses, des sanctions d’importance, contre les capitalistes qui essaient de se soustraire frauduleusement à ce contrôle, et d’inviter la population à surveiller elle-même les capitalistes, à veiller à ce qu’ils se conforment scrupuleusement aux décisions sur le contrôle, pour que celui-ci soit depuis longtemps appliqué en Russie.

Ces principales mesures sont :

1. La fusion de toutes les banques en une seule dont les opérations seraient contrôlées par l’État, ou la nationalisation des banques.

2. La nationalisation des syndicats capitalistes, c’est-à-dire des groupements monopolistes capitalistes les plus importants (syndicats du sucre, du pétrole, de la houille, de la métallurgie, etc.).

3. La suppression du secret commercial.

4. La cartellisation forcée, c’est-à-dire l’obligation pour tous les industriels, commerçants, patrons en général, de se grouper en cartels ou syndicats.

5. Le groupement obligatoire ou l’encouragement au groupement de la population en sociétés de consommation, et un contrôle exercé sur ce groupement.

Dans ce même texte Lénine souligne, à la fois, qu’il s’agit de mesures bourgeois-démocratiques et que la démocratie doit s’appuyer sur le prolétariat en tant que seule classe révolutionnaire jusqu’au bout :

Dans la Russie actuelle, la démocratie doit, pour être vraiment révolutionnaire, s’unir étroitement au prolétariat, le soutenir dans la lutte qu’il mène en tant que seule classe révolutionnaire jusqu’au bout.

Telle est la conclusion où conduit l’examen des moyens de conjurer une catastrophe imminente d’une ampleur inouïe.

[…] La guerre est inexorable. Elle pose la question avec une âpreté implacable : ou bien périr ou bien rattraper les pays avancés et les dépasser aussi du point de vue économique…

Cela est possible, car nous avons sous les yeux l’expérience toute prête d’un grand nombre de pays avancés, les résultats déjà acquis de leur technique et de leur culture. Nous trouvons un soutien moral dans le mouvement de protestation qui grandit en Europe contre la guerre, dans l’atmosphère de la révolution ouvrière qui monte dans tous les pays. Ce qui nous stimule, ce qui nous aiguillonne, c’est une liberté démocratique révolutionnaire exceptionnelle en temps de guerre impérialiste.

Périr ou s’élancer en avant à toute vapeur. C’est ainsi que l’histoire pose la question.

[…] Il peut y avoir une bourgeoisie démocratique, il peut y avoir une démocratie bourgeoise : pour le nier, il faut être d’une ignorance crasse en histoire comme en économie politique.

[…] Plus complète sera la faillite de l’alliance de la bourgeoisie avec les socialistes-révolutionnaires et les mencheviks, et plus vite le peuple s’instruira. Plus il trouvera facilement la solution juste : l’alliance de la paysannerie pauvre, c’est-à-dire de la majorité des paysans, avec le prolétariat.

En octobre 1917 (encore avant la victoire effective de la révolution), dans l’article « Les bolcheviks conserveront-ils le pouvoir? », Lénine explique sans ambigüité que ces mesures ne sont pas conçues comme moyen de faire avancer la révolution vers la prise du pouvoir, mais qu’elles composent le programme minimum qui devra être appliqué après l’instauration du pouvoir révolutionnaire [2] :

La principale difficulté pour la révolution prolétarienne est de réaliser à l’échelle nationale l’inventaire et le contrôle le plus précis et le plus scrupuleux, le contrôle ouvrier, de la production et de la répartition des produits.

Quand les gens de la Novaïa Jizn nous ont objecté que nous tombions dans le syndicalisme en avançant le mot d’ordre de « contrôle ouvrier », cette objection est un exemple de l’application scolaire et assez sotte d’un « marxisme » qui n’a pas été médité, mais appris par coeur à la Strouvé. Ou bien le syndicalisme rejette la dictature révolutionnaire du prolétariat, ou bien il la relègue, comme le pouvoir politique en général, à la toute dernière place. Nous lui accordons la première place. À dire simplement dans l’esprit des hommes de la Novaïa Jizn, non pas contrôle ouvrier, mais contrôle de l’État, on aboutit à une phrase réformiste-bourgeoise, on aboutit en fait à une formule purement dans le sens des cadets, car les cadets n’ont rien centre la participation des ouvriers au contrôle « de l’État ». Les cadets-korniloviens savent fort bien que cette participation est le meilleur moyen pour la bourgeoisie de tromper les ouvriers, le moyen le plus raffiné pour soudoyer politiquement tous les Gvozdev, les Nikitine, les Prokopovitch, les Tsérétéli et toute leur bande.

Quand nous disons : « contrôle ouvrier », ce mot d’ordre étant toujours accompagné de celui de la dictature du prolétariat, le suivant toujours, nous expliquons par là de quel État il s’agit. L’État est l’organe de domination d’une classe. De quelle classe? Si c’est de la bourgeoisie, c’est bien l’État cadet-Kornilov-« Kérenski », par lequel le peuple est « kornilovisé et kérenskisé » en Russie voici déjà plus de six mois. Si c’est la domination du prolétariat, s’il s’agit de l’État prolétarien, c’est-à-dire de la dictature du prolétariat, le contrôle ouvrier peut devenir le recensement national, général, universel, le plus minutieux et le plus scrupuleux de la production et de la répartition des produits.

Là est la principale difficulté, la tâche principale de la révolution prolétarienne, c’est-à-dire socialiste. Sans les Soviets cette tâche, du moins pour la Russie, serait insoluble. Les Soviets décident du travail d’organisation qui permettra au prolétariat de réaliser cette tâche de portée universelle.

Nous en venons ici à un autre aspect de la question de l’appareil d’État. Outre l’appareil « oppresseur » par excellence que représentent l’armée permanente, la police, les fonctionnaires, il existe dans l’État contemporain un appareil très intimement lié aux banques et aux cartels, un appareil qui accomplit un vaste travail de statistique et d’enregistrement, s’il est permis de s’exprimer ainsi. Cet appareil ne peut ni ne doit être brisé. Il faut l’arracher à sa soumission aux capitalistes, il faut le couper, le trancher, le scinder des capitalistes et de tous leurs moyens d’action, il faut le soumettre aux Soviets prolétariens, il faut l’élargir, l’étendre à tous les domaines, à toute la nation. Et l’on peut faire cela, si on s’appuie sur les conquêtes déjà réalisées par le grand capitalisme (car c’est seulement en s’appuyant sur ces conquêtes que la révolution prolétarienne en général sera capable d’atteindre son but).

Du 6 au 8 mars 1918 se tient le 7e congrès, extraordinaire, du POSDR. Le parti change sa dénomination en PC(b)R et il est décidé d’élaborer un nouveau programme. Durant la discussion à ce sujet, Lénine aborde la question de la distinction entre programme « minimum » et « maximum » [3] :

[…] Et nous abordons ici la question de savoir s’il faut supprimer la distinction entre les programmes maximum et minimum. Oui et non. Je ne crains pas cette suppression, parce que le point de vue qui était encore juste l’été dernier n’a plus de raison d’être aujourd’hui. Je disais alors qu’il était « trop tôt », car nous n’avions pas encore pris le pouvoir; maintenant que nous l’avons pris et en avons fait l’expérience, ce n’est plus trop tôt. Nous devons maintenant, à la place du vieux programme, dresser un nouveau programme du pouvoir des Soviets, sans renoncer le moins du monde à utiliser le parlementarisme bourgeois. S’imaginer qu’on ne nous rejettera pas en arrière serait verser dans l’utopie.

On ne peut pas nier, du point de vue de l’histoire, que la Russie a créé la République des Soviets. Nous disons que, s’il nous advenait d’être rejetés en arrière de quelque façon que ce soit, nous continuerions, sans renoncer à utiliser le parlementarisme bourgeois si les forces de l’ennemi de classe nous refoulaient sur cette vieille position, à marcher vers ce qui a été conquis par l’expérience, vers le pouvoir des Soviets, vers l’État du type soviétique, vers l’État du type de la Commune de Paris. II faut le dire dans notre programme. À la place du programme minimum, nous introduirons le programme du pouvoir des Soviets. La définition du nouveau type d’État doit tenir une place importante dans notre programme.

II est évident que nous ne pouvons pas élaborer le programme dès maintenant. Nous devons en arrêter les principes fondamentaux et désigner une commission ou le Comité central pour élaborer ses thèses essentielles. Plus simplement même, ce travail d’élaboration pourrait se baser sur la résolution concernant la conférence de Brest-Litovsk, qui contient déjà des thèses [4]. Il faut, en partant de l’expérience de la révolution russe, définir le pouvoir des Soviets et proposer des mesures pratiques. C’est ici, me semble-t-il, dans la partie historique qu’il faudra faire observer que l’expropriation du sol et des moyens de production a commencé. Nous nous assignons ici pour tâche concrète l’organisation de la consommation, l’universalisation des banques, leur transformation en un réseau d’établissements d’État embrassant le pays tout entier et nous fournissant une comptabilité sociale, un inventaire et un contrôle qui soient l’oeuvre de la population elle-même et servent de fondement aux mesures ultérieures du socialisme. Je crois que cette partie, la plus difficile, doit être présentée sous la forme d’exigences concrètes de notre pouvoir des Soviets, en indiquant ce que nous voulons faire tout de suite, quelles réformes nous projetons dans le domaine de la politique bancaire, dans l’organisation de la production des denrées alimentaires, dans celle de l’échange, du recensement et du contrôle, comment nous nous proposons d’instituer l’obligation du travail, etc. Quand nous y aurons réussi, nous compléterons en indiquant quelles mesures, petites mesures et demi mesures nous aurons prises à cet effet. Il faut déterminer très exactement, très nettement, ce qui a été commencé et ce qui n’est pas encore achevé. Nous savons tous parfaitement qu’une immense partie de ce que nous avons commencé n’est pas achevée. Il faut dire dans le programme, sans la moindre exagération, en toute objectivité, sans nous écarter des faits, ce qui existe déjà et ce que nous nous préparons à faire. Nous montrerons cette vérité aux prolétaires européens et nous leur dirons : voilà ce qu’il faut faire, afin qu’ils disent : ceci et cela, les Russes le font mal, nous le ferons mieux! Et quand ce désir s’emparera des masses, la révolution socialiste sera invincible. […]

Du 18 au 30 mars 1919 se tient le 8e congrès du PC(b)R, qui décide d’achever l’élaboration, par une commission, d’un nouveau programme sur la base d’un projet qui avait été soumis au congrès.

1919-1924 : contrôle ouvrier, gouvernement ouvrier

Contrôle ouvrier

Durant la période immédiatement après la 1re Guerre mondiale, de la fondation de l’Internationale communiste en 1919 jusqu’à 1923/1924, l’IC tente de déterminer une orientation dans la prolongation des analyses sur lesquelles était basée la victoire de la révolution en Russie. Elle constate à juste titre l’accentuation des antagonismes de classe, induite par les conséquences économiques de la guerre et la désorganisation complète du système économique du monde entier. Cependant, il faut souligner qu’un décalage apparait par rapport à l’affirmation de Lénine concernant le lien essentiel entre contrôle ouvrier et dictature du prolétariat. En effet, maintenant certaines formulations au sujet de la mise en oeuvre du contrôle ouvrier restent quelque peu ambigües.

* 2e congrès de l’IC

C’est le cas pour les « Lignes directrices sur le mouvement syndical, les comités de fabrique et d’usines et l’Internationale communiste », adoptées par le 2e Congrès de l’IC en aout 1920 [5].

Il est indiqué à juste titre que « la tâche du Parti Communiste consiste, au contraire, à profiter de la désorganisation économique pour organiser les ouvriers et à les mettre dans la nécessité de combattre pour la dictature du prolétariat tout en élargissant l’idée de la lutte pour le contrôle ouvrier, idée que tous comprennent maintenant » (À noter qu’il est question simplement de « l’idée » de la lutte pour le contrôle ouvrier.) Et il est souligné que « l’organisation économique correspondant aux intérêts des masses ouvrières n’est possible que si l’État est gouverné par la classe ouvrière et si la main ferme de la dictature prolétarienne se charge de l’abolition du capitalisme et de la nouvelle organisation socialiste ». Cet aspect est précisé : « Pendant que les communistes se font des syndicats et des Conseils industriels une arme puissante pour la Révolution, ces organisations des masses se préparent au grand rôle qui leur incombera avec l’établissement de la dictature du prolétariat. Ce sera en effet leur devoir de devenir la base socialiste de la nouvelle organisation de la vie économique. »

Cependant, certains passages tendent à diverger de ces affirmations de principe. On lit : « Aussi, les Comités ouvriers seront-ils forcés, dans leur action contre les conséquences de cette décadence, à dépasser les bornes du contrôle des fabriques et des usines isolées et se trouveront-ils bientôt en face de la question du contrôle ouvrier à exercer sur des branches entières de l’industrie et sur son ensemble. Les tentatives d’ouvriers d’exercer leur contrôle non seulement sur l’approvisionnement des fabriques et des usines en matières premières, mais aussi sur les opérations financières des entreprises industrielles, provoqueront cependant, de la part de la bourgeoisie et du gouvernement capitaliste, des mesures de rigueur contre la classe ouvrière, ce qui transformera la lutte ouvrière pour le contrôle de l’industrie en une lutte pour la conquête du pouvoir par la classe ouvrière. » Et d’une façon qui associe explicitement l’action du Parti communiste à l’action en faveur du contrôle ouvrier : « La tâche des Partis Communistes est de combattre pour le contrôle de l’industrie, en profitant dans ce but de toutes les circonstances se trouvant à l’ordre du jour, de la pénurie du combustible et de la désorganisation des transports, en fusionnant dans le même but les éléments isolés du prolétariat et en attirant de son côté les milieux les plus larges de la petite bourgeoisie qui se prolétarise davantage de jour en jour et souffre cruellement de la désorganisation économique. »

Voici des extraits plus détaillés. (Nous ajoutons des annotations pour comparer certaines formulations à la version en allemand du même document.)

I

1. Les syndicats créés par la classe ouvrière pendant la période du développement pacifique du capitalisme représentaient des organisations ouvrières destinées à lutter pour la hausse des salaires ouvriers sur le marché du travail et l’amélioration des conditions du travail salarié. Les marxistes révolutionnaires furent obligés d’entrer en contact avec le Parti politique du prolétariat, le Parti social-démocrate, afin d’engager une lutte commune pour le Socialisme [6]. Les mêmes raisons qui, à de rares exceptions près, avaient fait de la démocratie socialiste non une arme de la lutte révolutionnaire du prolétariat pour le renversement du capitalisme, mais une organisation entraînant l’effort révolutionnaire du prolétariat dans l’intérêt de la bourgeoisie [7], firent que, pendant la guerre, les syndicats se présentèrent le plus souvent en qualité d’éléments de l’appareil militaire de la bourgeoisie; ils aidèrent cette dernière à exploiter la classe ouvrière avec la plus grande intensité et à faire mener la guerre de la manière la plus énergique, au nom des intérêts du capitalisme. […]

2. Les conséquences économiques de la guerre, la désorganisation complète du système économique du monde entier, la cherté affolante de la vie, l’exploitation la plus intense du travail des femmes et des enfants, la question de l’habitation, qui vont progressivement de mal en pis, tout cela pousse les masses prolétariennes dans la voie de la lutte contre le capitalisme. Par son caractère et par son envergure se dessinant plus nettement de jour en jour, ce combat devient une grande bataille révolutionnaire détruisant les bases générales du capitalisme [8]. […] On constate dans tous les pays capitalistes une croissance prodigieuse des syndicats qui ne représentent plus maintenant l’organisation des seuls éléments avancés du prolétariat, mais celle de toute sa masse. […] Les syndicats, qui étaient devenus pendant la guerre les organes de l’asservissement des masses ouvrières aux intérêts de la bourgeoisie, représentent maintenant les organes de la destruction du capitalisme.

3. Mais la vieille bureaucratie professionnelle et les anciennes formes de l’organisation syndicale entravent de toute manière cette transformation du caractère des syndicats. […]

4. […] 5. […] 6. […]

7. À l’époque où le capitalisme tombe en ruines, la lutte économique du prolétariat se transforme en lutte politique beaucoup plus rapidement qu’à l’époque de développement pacifique du régime capitaliste. Tout conflit économique important peut soulever devant les ouvriers la question de la Révolution. Il est donc du devoir des communistes de faire ressortir devant les ouvriers, dans toutes les phases de la lutte économique, que cette lutte ne saurait être couronnée de succès que lorsque la classe ouvrière aura vaincu la classe capitaliste dans une bataille rangée et se chargera, sa dictature une fois établie, de l’organisation socialiste du pays. C’est en partant de là que les communistes doivent tendre à réaliser, dans la mesure du possible, une union parfaite entre les syndicats et le Parti Communiste, en les subordonnant à ce dernier, avant-garde de la Révolution. Dans ce but, les communistes doivent organiser dans tous ces syndicats et Conseils de Production (Betriebsräte) des fractions communistes, qui les aideront à s’emparer du mouvement syndical et à le diriger.

II

1. La lutte économique du prolétariat pour la hausse des salaires et pour l’amélioration générale des conditions de la vie des masses accentue tous les jours son caractère de lutte sans issue. La désorganisation économique qui envahit un pays après l’autre, dans une proportion toujours croissante, démontre, même aux ouvriers les plus arriérés, qu’il ne suffit pas de lutter pour la hausse des salaires et la réduction de la journée de travail, que la classe capitaliste perd de plus en plus la capacité de rétablir la vie économique et de garantir aux ouvriers ne fut ce que les conditions d’existence qu’elle leur assurait avant la guerre. La conscience toujours croissante des masses ouvrières fait naître parmi eux une tendance à créer des organisations capables d’entamer la lutte pour la renaissance économique au moyen du contrôle ouvrier exercé sur l’industrie par les Conseils de Production. Cette tendance à créer des Conseils industriels ouvriers, qui gagne les ouvriers de tous les pays, tire son origine de facteurs différents et multiples (lutte contre la bureaucratie réactionnaire, fatigue causée par les défaites essuyées par les syndicats, tendances à la création d’organisations embrassant tous les travailleurs) et s’inspire en définitive de l’effort fait pour réaliser le contrôle de l’industrie, tâche historique spéciale des Conseils industriels ouvriers. C’est pourquoi on commettrait une erreur en cherchant à ne former ces Conseils que d’ouvriers partisans de la dictature du prolétariat. La tâche du Parti Communiste consiste, au contraire, à profiter de la désorganisation économique pour organiser les ouvriers et à les mettre dans la nécessité de combattre pour la dictature du prolétariat tout en élargissant l’idée de la lutte pour le contrôle ouvrier, idée que tous comprennent maintenant.

2. Le Parti Communiste ne pourra s’acquitter de cette tâche qu’en consolidant dans la conscience des masses la ferme assurance que la restauration de la vie économique sur la base capitaliste est actuellement impossible; elle signifierait d’ailleurs un nouvel asservissement à la classe capitaliste. L’organisation économique correspondant aux intérêts des masses ouvrières n’est possible que si l’État est gouverné par la classe ouvrière et si la main ferme de la dictature prolétarienne se charge de l’abolition du capitalisme et de la nouvelle organisation socialiste.

3. La lutte des Comités de fabriques et d’usines contre le capitalisme a pour but immédiat l’introduction du contrôle ouvrier dans toutes les branches de l’industrie. Les ouvriers de chaque entreprise, indépendamment de leurs professions, souffrent du sabotage des capitalistes qui estiment assez souvent que la suspension de l’activité de telle ou telle industrie leur sera avantageuse, la faim devant contraindre les ouvriers à accepter les conditions les plus dures pour éviter à quelque capitaliste un accroissement de frais. La lutte contre cette sorte de sabotage unit la plupart des ouvriers indépendamment de leurs idées politiques, et fait des Comités d’usines et de fabriques, élus par tous les travailleurs d’une entreprise, de véritables organisations de masse du prolétariat. Mais la désorganisation de l’économie capitaliste est non seulement la conséquence de la volonté consciente des capitalistes, mais aussi et beaucoup plus celle de la décadence irrésistible de leur régime. Aussi, les Comités ouvriers seront-ils forcés, dans leur action contre les conséquences de cette décadence, à dépasser les bornes du contrôle des fabriques et des usines isolées et se trouveront-ils bientôt en face de la question du contrôle ouvrier à exercer sur des branches entières de l’industrie et sur son ensemble. Les tentatives d’ouvriers d’exercer leur contrôle non seulement sur l’approvisionnement des fabriques et des usines en matières premières, mais aussi sur les opérations financières des entreprises industrielles, provoqueront cependant, de la part de la bourgeoisie et du gouvernement capitaliste, des mesures de rigueur contre la classe ouvrière, ce qui transformera la lutte ouvrière pour le contrôle de l’industrie en une lutte pour la conquête du pouvoir par la classe ouvrière.

4. La propagande [9] en faveur des Conseils industriels doit être menée de manière à ancrer dans la conviction des grandes masses ouvrières [10], même de celles qui n’appartiennent pas directement au prolétariat industriel, que la responsabilité de la désorganisation économique incombe à la bourgeoisie, et que le prolétariat, exigeant le contrôle ouvrier, lutte pour l’organisation de l’industrie, pour la suppression de la spéculation et de la vie chère [11]. La tâche des Partis Communistes est de combattre pour le contrôle de l’industrie, en profitant dans ce but de toutes les circonstances se trouvant à l’ordre du jour, de la pénurie du combustible et de la désorganisation des transports, en fusionnant dans le même but les éléments isolés du prolétariat et en attirant de son côté les milieux les plus larges de la petite bourgeoisie qui se prolétarise davantage de jour en jour et souffre cruellement de la désorganisation économique.

5. Les Conseils industriels ouvriers ne sauraient remplacer les syndicats. Ils ne peuvent que s’organiser au courant de l’action dans diverses branches de l’industrie et créer peu à peu un appareil général capable de diriger toute la lutte. Déjà, à l’heure qu’il est, les syndicats représentent des organes de combat centralisés, bien qu’ils n’englobent pas des masses ouvrières aussi larges que peuvent embrasser les Conseils industriels ouvriers en leur qualité d’organisations accessibles à toutes les entreprises ouvrières [12]. Le partage de toutes les tâches de la classe ouvrière entre les Comités industriels ouvriers et les syndicats est le résultat du développement historique de la Révolution sociale. Les syndicats ont organisé les masses ouvrières dans le but d’une lutte pour la hausse des salaires et pour la réduction des journées ouvrières et l’ont fait sur une large échelle. Les Conseils ouvriers industriels s’organisent pour le contrôle ouvrier de l’industrie et la lutte contre la désorganisation économique; ils englobent toutes les entreprises ouvrières [13], mais la lutte qu’ils soutiennent ne peut revêtir que très lentement un caractère politique général. Ce n’est que dans la mesure où les syndicats arriveront à surmonter les tendances contre-révolutionnaires de leur bureaucratie, ou deviendront des organes conscients de la Révolution, que les communistes auront le devoir de soutenir les Conseils industriels ouvriers dans leurs tendances à devenir des groupes industriels syndicalistes.

6. La tâche des communistes se réduit [14] aux efforts qu’ils doivent faire pour que les syndicats et les Conseils industriels ouvriers se pénètrent du même esprit de résolution combative, de conscience et de compréhension des meilleurs méthodes de combat, c’est-à-dire de l’esprit communiste. Pour s’en acquitter, les communistes doivent soumettre, en fait, les syndicats et les Comités ouvriers au Parti Communiste et créer ainsi des organes prolétariens des masses qui serviront de base à un puissant Parti prolétarien centralisé, englobant toutes les organisations prolétariennes et les faisant toutes marcher dans la voie que conduit à la victoire de la classe ouvrière et à la dictature du prolétariat – au Communisme.

7. Pendant que les communistes se font des syndicats et des Conseils industriels une arme puissante pour la Révolution, ces organisations des masses se préparent au grand rôle qui leur incombera avec l’établissement de la dictature du prolétariat. Ce sera en effet leur devoir de devenir la base socialiste de la nouvelle organisation de la vie économique [15]. Les syndicats, organisés en qualité de piliers de l’industrie, s’appuyant sur les Conseils industriels ouvriers qui représenteront les organisations des fabriques et des usines, enseigneront aux masses ouvrières leur devoir industriel, formeront avec les ouvriers les plus avancés des directeurs d’entreprises, organiseront le contrôle technique des spécialistes; ils étudieront et exécuteront, de concert avec les représentants du pouvoir ouvrier, les plans de la politique économique socialiste [16].

III

[…]

* 3e congrès de l’IC

Cette problématique affectant la question du contrôle ouvrier se manifeste également dans les thèses sur la tactique adoptées par le 3e congrès de l’IC en juillet 1921 [17].

[…]

5. Combats et revendications partiels

[…] Dans la mesure où les luttes pour des revendications partielles, où les luttes partielles des divers groupes d’ouvriers grandissent en une lutte générale de la classe ouvrière contre le capitalisme, le Parti communiste a le devoir de proposer des mots d’ordre plus élevés et plus généraux, jusque et y compris celui du renversement direct de l’adversaire.

En établissant leurs revendications partielles, les partis communistes doivent veiller à ce que ces revendications, ayant leur attache dans les besoins des larges masses, ne se bornent pas à entraîner ces masses dans la lutte, mais par elles-mêmes soient de nature à les organiser.

Tous les mots d’ordre concrets ayant leur source dans les besoins économiques des masses ouvrières doivent être introduits dans le plan de la lutte pour le contrôle ouvrier, qui ne sera pas un système d’organisation bureaucratique de l’économie nationale sous le régime du capitalisme, mais la lutte contre le capitalisme menée par les soviets industriels et les syndicats révolutionnaires. Ce n’est que par la construction d’organisations industrielles de cette sorte, ce n’est que par leur liaison en branches d’industrie et en centres industriels, que la lutte des masses ouvrières pourra acquérir une unité organique, qu’une opposition pourra être faite à la division des masses par la social-démocratie et par les chefs syndicaux. Les soviets industriels accompliront cette tâche seulement s’ils prennent naissance dans la lutte pour des buts économiques communs aux plus larges masses des ouvriers, seulement s’ils créent la liaison entre toutes les parties révolutionnaires du prolétariat : le Parti communiste, les ouvriers révolutionnaires et les syndicats en voie de développement révolutionnaire. […]

* 4e congrès de l’IC

La « Résolution sur la tactique de l’Internationale communiste » adoptée par le 4e congrès de l’IC en décembre 1922 aborde aussi la question du contrôle ouvrier [18] :

XII. Le mouvement des conseils de fabrique

Aucun Parti communiste ne saurait être considéré comme un parti communiste de masses véritable, sérieux et solide, s’il n’a pas de forts noyaux communistes dans les entreprises, les usines, les mines, les chemins de fer, etc. Dans les circonstances actuelles, un mouvement ne saurait être considéré comme systématiquement organisé dans les masses prolétariennes s’il ne réussit pas à créer, pour la classe ouvrière et ses organisations, des comités d’usines comme base de ce mouvement. La lutte contre l’offensive du capital et pour le contrôle de la production est sans espoir si les communistes ne disposent de points d’appui solides dans toutes les entreprises et si le prolétariat ne sait créer ses propres organes prolétariens de combat dans les entreprises (comités de fabriques, conseils ouvriers).

Le Congrès estime que c’est une des tâches essentielles de tous les partis communistes de s’ancrer dans les industries bien plus qu’ils ne l’ont fait jusqu’à présent et d’appuyer le mouvement des conseils de fabriques ou de prendre l’initiative de ce mouvement.

* Quelques éléments caractérisant le contexte

On peut chercher une explication à ces ambigüités en ayant en vue en particulier la situation en Italie et en Allemagne durant la période jusqu’au 4e congrès.

En octobre 1919, le 16e Congrès du Parti socialiste italien (PSI) décide d’adhérer à l’Internationale communiste et envoyé des délégués au 2e Congrès de l’IC. En Italie se développe à partir d’avril 1920 un mouvement de conseils ouvriers et d’occupation d’usines; il se poursuit pendant plusieurs mois. En janvier 1921, au 17e congrès du PSI, les centristes qui ont la majorité refusent de rompre avec les réformistes et de reconnaitre pleinement les « 21 conditions d’admission » à l’IC. Les délégués de gauche quittent le congrès et fondent le Parti communiste d’Italie (PCd’I) (le nom sera changé en 1943 en Parti communiste italien). À la fin de 1922, se forme de nouveau au sein du PSI une fraction de gauche qui se prononce pour la fusion avec le PCd’I. En aout 1924, cette fusion est décidée mais ne se réalise pas dans la pratique.

En Allemagne se forment en novembre 1918 dans de nombreuses villes des conseils d’ouvrier et de soldats, puis en décembre se tient une assemblée d’environ 500 délégués de ces conseils. Le deux tiers des délégués appartiennent au SPD, une dizaine seulement à la Ligue Spartakus (Spartakusbund, transformé en Parti communiste d’Allemagne le 1er janvier 1919). Les délégués de la gauche radicale demandent que le système des conseils soit pris comme base d’une république des conseils; cette idée est repoussée. L’assemblée déclare que la monarchie doit être remplacée par un système de démocratie parlementaire et une assemblée nationale orientée en ce sens est mise en place en janvier 1919. Les conseils locaux et territoriaux perdent leur influence, sous l’effet en particulier de l’action exercée méthodiquement en ce sens par les dirigeants politiques et syndicaux social-démocrates. Ceux-ci oeuvrent en faveur de la consolidation sur la base des conceptions réformistes, des « conseils ouvriers » tels qu’ils se sont formés au niveau des entreprises. La Constitution du Reich allemand adoptée en aout 1919 contient des éléments résiduels de l’idée des conseils; il est prévu de créer des institutions représentant les travailleurs et les salariés. En janvier 1920 l’Assemblée nationale adopte une loi qui prévoit l’élection d’un comité d’entreprise composé de plusieurs personnes pour les entreprises de 20 salariés ou plus. Cette instance de représentation des intérêts des salariés, avec une voix nettement plus importante par rapport aux règlementations antérieures (y compris l’inspection des livres comptables), est en même temps obligée de « soutenir l’employeur dans l’accomplissement des finalités opérationnelles ».

Gouvernement ouvrier

* Réunion du Comité exécutif de l’IC, 1921

La problématique des rapports entre les partis communistes et les travailleurs influencés par les partis social-démocrates est un élément central du processus de création de l’Internationale communiste, et cette question reste une préoccupation majeure par la suite. Peu après le 3e Congrès de l’IC, en décembre 1921, le Comité exécutif de l’IC adopte des « Thèses sur l’unité du front prolétarien ». Ce texte évoque également la question de l’attitude à adopter vis-à-vis d’un éventuel « gouvernement ouvrier » [19] :

En Allemagne, le Parti Communiste dans sa dernière conférence pour tout le pays, a appuyé le mot d’ordre du front ouvrier unique et a reconnu possible de soutenir aussi un « gouvernement ouvrier unique » qui serait enclin à lutter quelque peu sérieusement contre le pouvoir des capitalistes. Le Comité exécutif de l’Internationale communiste estime cette décision absolument exacte et est persuadé que le Parti Communiste allemand en maintenant sa position indépendante politique saura pénétrer dans les couches les plus étendues des ouvriers et renforcer l’influence du communisme dans les masses.

La position à adopter au sujet d’éventuels « gouvernements ouvriers » fera l’objet de controverses prolongées confrontant des interprétations divergentes.

* 4e congrès de l’IC, 1922

Le 4e Congrès de l’IC qui se tient en novembre-décembre 1922, adopte une résolution sur « La tactique de l’Internationale communiste ». Ce texte comporte notamment des paragraphes sur « le gouvernement ouvrier » [20] :

11. Le gouvernement ouvrier

Le gouvernement ouvrier (éventuellement le gouvernement ouvrier et paysan [21]) devra partout être employé comme un mot d’ordre de propagande générale. Mais, comme mot d’ordre de politique actuelle, le gouvernement ouvrier présente la plus grande importance dans les pays où la situation de la société bourgeoise est particulièrement peu sûre, où le rapport des forces entre les partis ouvriers et la bourgeoisie met la solution de la question du gouvernement ouvrier à l’ordre du jour comme une nécessité politique.

Dans ces pays, le mot d’ordre du « gouvernement ouvrier » est une conséquence inévitable de toute la tactique du front unique.

Les partis de la 2e Internationale cherchent, dans ces pays, à “sauver” la situation en prêchant et en réalisant la coalition des bourgeois et des social-démocrates. Les plus récentes tentatives faites par certains partis de la 2e Internationale (par exemple en Allemagne [22]), tout en refusant de participer ouvertement à un tel gouvernement de coalition, pour le réaliser en même temps sous une forme déguisée, ne sont rien moins qu’une manoeuvre tendant à calmer les masses protestant contre de semblables coalitions et qu’une duperie raffinée des masses ouvrières. À la coalition ouverte ou masquée bourgeoise et social-démocrate, les communistes opposent le front unique de tous les ouvriers et la coalition politique et économique de tous les partis ouvriers contre le pouvoir bourgeois pour le renversement définitif de ce dernier. Dans la lutte commune de tous les ouvriers contre la bourgeoisie, tout l’appareil d’État devra tomber dans les mains du gouvernement ouvrier et les positions de la classe ouvrière en seront renforcées.

Le programme le plus élémentaire d’un gouvernement ouvrier doit consister à armer le prolétariat, à désarmer les organisations bourgeoises contre-révolutionnaires, à instaurer le contrôle de la production, à faire tomber sur les riches le principal fardeau des impôts et à briser la résistance de la bourgeoisie contre-révolutionnaire.

Un gouvernement de ce genre n’est possible que s’il naît dans la lutte des masses même, s’il s’appuie sur des organes ouvriers aptes au combat et créés par les couches les plus vastes des masses ouvrières opprimées. Un gouvernement ouvrier résultant d’une combinaison parlementaire, par conséquent d’origine purement parlementaire, peut aussi fournir l’occasion de ranimer le mouvement ouvrier révolutionnaire. Mais il va de soi que la naissance d’un gouvernement véritablement ouvrier et le maintien d’un gouvernement faisant une politique révolutionnaire doivent mener à la lutte la plus acharnée et, éventuellement, à la guerre civile contre la bourgeoisie. La seule tentative du prolétariat de former un gouvernement ouvrier se heurtera dès le début à la résistance la plus violente de la bourgeoisie. Le mot d’ordre du gouvernement ouvrier est donc susceptible de concentrer et de déchaîner des luttes révolutionnaires.

Dans certaines circonstances, les communistes doivent se déclarer disposés à former un gouvernement avec des partis et des organisations ouvrières non communistes. Mais ils ne peuvent agir ainsi que si des garanties sont données que ces gouvernements ouvriers mèneront vraiment la lutte contre la bourgeoisie dans le sens indiqué plus haut. Dans ce cas, les conditions naturelles de la participation des communistes à un semblable gouvernement seraient les suivantes :

1° La participation au gouvernement ouvrier ne pourra avoir lieu qu’avec l’approbation de l’Internationale Communiste;

2° Les membres communistes du gouvernement ouvrier restent soumis au contrôle le plus strict de leur parti;

3° Les membres communistes du gouvernement ouvrier restent en contact étroit avec les organisations révolutionnaires des masses;

4° Le parti communiste maintient absolument sa physionomie et l’indépendance complète de son agitation.

Malgré ses grands avantages, le mot d’ordre du gouvernement ouvrier a aussi ses dangers, de même que toute la tactique du front unique. Pour parer à ces dangers, les partis communistes ne doivent pas perdre de vue que, si tout gouvernement bourgeois est en même temps un gouvernement capitaliste, il n’est pas vrai que tout gouvernement ouvrier soit un gouvernement vraiment prolétarien, c’estàdire un instrument révolutionnaire de pouvoir du prolétariat.

L’Internationale Communiste doit envisager les éventualités suivantes :

1. Un gouvernement ouvrier libéral. Il y a déjà un gouvernement de ce genre en Australie [23]; il est également possible dans un délai assez rapproché en Angleterre [24];

2. Un gouvernement ouvrier social-démocrate (Allemagne [25]);

3. Un gouvernement des ouvriers et des paysans. Cette éventualité est à prévoir dans les Balkans, en Tchéco-Slovaquie, etc.;

4. Un gouvernement ouvrier avec la participation des communistes;

5. Un véritable gouvernement ouvrier prolétarien qui, dans sa forme la plus pure, ne peut être incarné que par un Parti Communiste.

Les deux premiers types de gouvernement ouvrier ne sont pas des gouvernements ouvriers révolutionnaires, mais des gouvernements camouflés de coalition entre la bourgeoisie et les leaders ouvriers contre-révolutionnaires. Ces « gouvernements ouvriers » sont tolérés dans les périodes critiques par la bourgeoisie affaiblie pour tromper le prolétariat sur le véritable caractère de classe de l’État, ou même pour détourner l’attaque révolutionnaire du prolétariat et gagner du temps, avec l’aide de leaders ouvriers corrompus. Les communistes ne devront pas participer à de pareils gouvernements. Au contraire, ils devront démasquer impitoyablement devant les masses le véritable caractère de ces faux « gouvernements ouvriers ». Dans la période de déclin du capitalisme, où la tâche principale consiste à gagner à la révolution la majorité du prolétariat, ces gouvernements, objectivement, peuvent contribuer à précipiter le processus de décomposition du régime bourgeois.

Les communistes sont prêts à marcher aussi avec les ouvriers, social-démocrates, chrétiens, sansparti, syndicalistes, etc., qui n’ont pas encore reconnu la nécessité de la dictature du prolétariat. Les communistes sont également disposés, dans certaines conditions et sous certaines garanties, à appuyer un gouvernement ouvrier non communiste. Mais les communistes devront à tout prix expliquer à la classe ouvrière que sa libération ne pourra être assurée que par la dictature du prolétariat.

Les deux autres types de gouvernement ouvrier auxquels peuvent participer les communistes ne sont pas encore la dictature du prolétariat; ils ne constituent pas encore une forme de transition nécessaire vers la dictature, mais ils peuvent constituer un point de départ pour la conquête de cette dictature. La dictature complète du prolétariat ne peut être réalisée que par un gouvernement ouvrier composé de communistes.

Grigori Zinoviev, dans ses interventions, insiste sur la question du gouvernement ouvrier. Il explique notamment [26] :

Le mot d’ordre de gouvernement ouvrier ne saurait être aussi général que la tactique du front unique. Le gouvernement ouvrier, c’est une application concrète de la tactique du front unique dans des conditions particulières. Sur ce terrain, il est bien facile de se tromper. Il me semble, camarades, que nous devons lutter contre ceux qui essaieraient de donner ce mot d’ordre pour une nécessité universelle, comme si nous devions nécessairement passer dans chaque pays par un gouvernement ouvrier. Au contraire, j’estime que dans la mesure où il est permis de prophétiser, le gouvernement ouvrier ne peut devenir une réalité qu’en des cas exceptionnels, dans certaines conditions concrètes, tout à fait spéciales à tel ou tel pays.

* Réunion du Comité exécutif de l’IC, 1923

Au 3e Plénum élargi du Comité exécutif de l’IC qui se tient en juin 1923, Grigori Zinoviev met en avant l’idée d’élargir le mot d’ordre « gouvernement ouvrier » en fonction de la nécessité de gagner aussi la paysannerie à la lutte pour le renversement de la bourgeoisie. Il propose donc de mener, sous réserve des conditions appropriées, une propagande pour un « gouvernement ouvrier et paysan » [27].

* Allemagne, 1923

En Allemagne se déroulent en 1923 des évènements qui fournissent une expérience significative par rapport à la question des « gouvernements ouvriers ». Le Parti communiste d’Allemagne (Kommunistische Partei Deutschlands, KPD), à son 8e congrès tenu du 28 janvier au 1er février 1923, adopte des « Thèses relatives au front uni et au gouvernement ouvrier ». Le 11 septembre, dans la province de Thüringen, puis le 29 septembre dans la province de Sachsen, sont effectivement formés des gouvernements qui se placent dans une telle perspective [28]. Le processus trouve son point culminant avec la tentative d’insurrection organisée en octobre 1923 [29].

* 5e Congrès de IC, 1924

Au 5e Congrès de l’IC qui se tient en juin-juillet 1924, Grigori Zinoviev présente le rapport sur l’activité du Comité exécutif; il examine notamment la question du front uni et celle du gouvernement ouvrier [30]. Il affirme entre autre : « Le 4e Congrès a voté une résolution sur le gouvernement ouvrier. Je dois avouer qu’au cours de son élaboration, trop de concessions ont été faites qui pouvaient paraître des nuances de rédaction et qui, en fait, ont été transformées en concessions politiques à la droite. » Zinoviev argumente à ce sujet en se référant notamment à l’article de Lénine « Au sujet des compromis » [31], datant de septembre 1917. Par ailleurs il fait un bilan critique de l’expérience de gouvernement ouvrier en Allemagne (cf. plus haut) : « Nous nous sommes rapidement rendu compte qu’en Saxe se déroulait la plus banale des comédies parlementaires de coalition. » Une résolution « Sur la tactique communiste » est adoptée qui, elle aussi, traite de ces sujets [32].

Dans le cadre des travaux d’élaboration d’un programme pour l’Internationale communiste et pour les sections des différents pays, Thalheimer présente un projet de programme au nom du KPD [33] (cf. également plus loin ). En ce qui concerne la question des gouvernements ouvriers, il développe des idées qui prolongent ses positions antérieures et qui divergent par rapport à la tendance qui se dessine par ailleurs. Sa conception des gouvernements ouvrier est intimement liée à la mise en avant d’un programme de mesures transitoires:

VI. Mesures transitoires préalables à la conquête du pouvoir politique

[…]

Dans la période où le mouvement autonome des masses prolétariennes a atteint une certaine ampleur, où son opposition à la bourgeoisie et aux chefs ouvriers liés à la bourgeoisie s’approfondit, mais où le mouvement n’est pas encore capable, dans sa majorité, de briser les cadres de la démocratie bourgeoise, le mot d’ordre du Gouvernement ouvrier permet de franchir une nouvelle étape vers la séparation des masses prolétariennes et de la bourgeoisie, et d’atteindre un nouveau point de départ, plus élevé, dans la marche du prolétariat à la dictature.

Dans le mot d’ordre du Gouvernement ouvrier, il y a non seulement le désir de détacher de la bourgeoisie les chefs du mouvement ouvrier réformiste, mais encore et avant tout la volonté de créer de nouveaux points d’appui pour le pouvoir prolétarien dans et par les masses elles-mêmes, en même temps que d’enlever au pouvoir bourgeois ses points d’appui. Un gouvernement ouvrier a son point d’appui le plus solide dans les prolétaires armés, et ce sont les ouvriers (petits paysans y compris) et les Conseils d’usines qui doivent lui servir de base politique essentielle.

C’est en s’appuyant sur les ouvriers armés et sur les Conseils d’ouvriers que le Gouvernement ouvrier désarme la bourgeoisie, tranche les liens de son organisation et éloigne les éléments bourgeois de l’appareil d’État actuel. Toute une série de mesures révolutionnaires transitoires d’ordre économique et financier, mesures différentes selon les pays, doit être prise pendant cette période de gouvernement ouvrier.

Ces mesures transitoires, au point de vue formel, ne dépassent pas les cadres du régime bourgeois de propriété, de production et de finances, mais, en réalité, elles sont l’oeuvre d’un pouvoir prolétarien qui, sous la forme d’un gouvernement ouvrier, limite sciemment et énergiquement les droits des capitalistes sur leur propriété, ainsi que les profits capitalistes, et cela dans l’intérêt du prolétariat et des larges masses productrices.

* 6e Congrès de l’IC, 1928

Le 6e Congrès de l’IC qui se tient en juillet‑septembre 1928, adopte finalement un programme de l’Internationale communiste. Celui-ci inclut une section sur « Les tâches essentielles de la stratégie et de la tactique communistes » [34].

Programme minimum

Au-delà de la question du contrôle ouvrier, les positions développées par Lénine autour de la révolution russe d’octobre 1917 ont entrainé des débats prolongés concernant la distinction entre programme général et programme minimum.

* 3e congrès de l’IC, 1921

Les thèses sur la tactique adoptées par le 3e congrès de l’IC abordent un aspect de cette question [35].

5. Combats et revendications partiels

Les Partis communistes ne peuvent se développer que dans la lutte. Même les plus petits des partis communistes ne doivent pas se borner à la simple propagande et à l’agitation. Ils doivent constituer, dans toutes les organisations de masses du prolétariat, l’avant-garde qui montre aux masses retardataires, hésitantes en formulant pour elles des buts concrets de combat, en les incitant à lutter pour réclamer leur besoins vitaux comment il faut mener la bataille et qui par là leur révèle la traîtrise de tous les partis non communistes. C’est seulement à condition de savoir se mettre à la tête du prolétariat dans tous ses combats, et de provoquer ces combats, que les partis communistes peuvent gagner effectivement les grandes masses prolétariennes à la lutte pour la dictature.

Toute l’agitation et la propagande, toute l’action du Parti communiste doivent être pénétrées de ce sentiment que, sur le terrain du capitalisme, aucune amélioration durable de la situation de la masse du prolétariat n’est possible; que seul le renversement de la bourgeoisie et la destruction de l’État capitaliste permettront de travailler à améliorer la situation de la classe ouvrière et à restaurer l’économie nationale ruinée par le capitalisme.

[…] Il faut au contraire prendre chaque besoin des masses comme point de départ de luttes révolutionnaires qui, dans leur ensemble, pourront constituer le courant puissant de la révolution sociale. Les Partis communistes ne mettent en avant pour ce combat aucun programme minimum tendant à fortifier et à améliorer l’édifice vacillant du capitalisme. La ruine de cet édifice reste leur but directeur, leur tâche actuelle. Mais pour remplir cette tâche, les Partis communistes doivent émettre des revendications dont la réalisation constitue une nécessité immédiate et urgente pour la classe ouvrière et ils doivent défendre ces revendications dans la lutte des masses, sans s’inquiéter de savoir si elles sont compatibles ou non avec l’exploitation usuraire de la classe capitaliste.

Les Partis communistes doivent prendre en considération non pas les capacités d’existence et de concurrence de l’industrie capitaliste, non pas la force de résistance des finances capitalistes, mais l’étendue de la misère que le prolétariat ne peut pas et ne doit pas supporter. Si ces revendications répondent aux besoins vitaux des larges masses prolétariennes, si ces masses sont pénétrées du sentiment que sans la réalisation de ces revendications leur existence est impossible, alors la lutte pour ces revendications deviendra le point de départ de la lutte pour le pouvoir. A la place du programme minimum des réformistes et des centristes, l’Internationale communiste met la lutte pour les besoins concrets du prolétariat, pour un système de revendications qui dans leur ensemble démolissent la puissance de la bourgeoisie, organisent le prolétariat et constituent les étapes de la lutte pour la dictature prolétarienne et dont chacune en particulier donne son expression à un besoin des larges masses, même si ces masses ne se placent pas encore consciemment sur le terrain de la dictature du prolétariat.

[…]

* 4e congrès de l’IC, 1922

Au 4e congrès, en novembre-décembre 1922, la question du programme est débattue explicitement. Une controverse oppose Nikolaï Boukharine et August Thalheimer au sujet de la place à accorder aux questions de tactique.

Boukharine se prononce contre l’insertion des revendications provisoires et partielles dans le programme de l’I.C. [36] :

Là-dessus j’ai terminé l’examen des différents problèmes et j’en viens maintenant ici je peux être assez bref à la conception générale du programme, en particulier l’architecture du programme. Je pense que les programmes des partis nationaux devraient comporter au moins deux parties : 1. une partie générale, qui est valable pour tous les partis. La partie générale commune doit être inclue dans le livret de chaque membre dans chaque pays. 2. le programme devrait comporter une partie nationale qui met en lumière les revendications spécifiques du mouvement ouvrier des pays concernés. Et puis 3. peut-être mais cela n’est pas une composante programmatique à proprement parler un programme d’action, qui met en lumière les questions purement tactiques, qui peut être modifié à une fréquence rapide autant que voulu, peut-être toutes les deux semaines. (Hilarité.) Quelques camarades affirment que les questions tactiques, comme le recensement des valeurs-refuge en Allemagne, la tactique du front unique ou la question du gouvernement ouvrier, doivent également être fixées à titre de programme. Le camarade Varga[3] dit que ce serait une lâcheté de pensée que de protester contre cela. (Radek : Tout à fait juste!) Mais j’affirme que le désir de fixer ces questions n’est rien d’autre que l’émanation de l’attitude opportuniste des camarades concernés. (Hilarité.) De telles questions et de tels mots d’ordre, comme p. ex. le front unique ou le gouvernement ouvrier ou le recensement des valeurs refuge, sont des mots d’ordre qui sont fondés sur une base très fluctuante. Cette base consiste en une certaine dépression au sein du mouvement ouvrier. Et ces camarades veulent fixer à titre de programme cette défensive, à laquelle est réduit le prolétariat, c’est-à-dire rendre impossible l’offensive. Je me battrai contre cela par tous les moyens. Nous ne permettrons jamais de faire de telles constatations programmatiques. (Radek : Nous, qui est nous?) Nous, ce sont les meilleurs éléments de l’Internationale communiste. (Hilarité, approbation.)

Thalheimer considère au contraire qu’un programme doit donner une façon de manier toutes les phases de transition essentielles. Il insiste pour que dans le programme figurent les indications tactiques essentielles, les principes essentiels [37] :

Maintenant, j’en viens à la question qui, pour la rédaction du programme général et du programme des différents partis est la question décisive, celle à l’égard de laquelle j’ai des différences catégoriques avec le camarade Boukharine. C’est la question des revendications de transition, des revendications d’étape ou du programme minimum. […]

Et, camarades, il n’existe pas seulement de tels problèmes de la transition qui soient variés selon différents pays et qui soient variés de semaine en semaine et de mois en mois, il existe aussi toute une série de telles questions de la transition, de telles questions de nature générale, qui doivent impérativement être fixés dans un programme communiste. Et je dis, un programme générale de l’Internationale communiste, qui sur ce large parcours présenterait ici une tache blanche, un tel programme général n’a que peu de valeur pratique pour les partis de l’occident. (Très juste! chez les Allemands.) Pour un temps proche, le l’accent principale porte justement sur ce parcours transitoire et son jalonnement. Je voudrais mentionner quelques-unes parmi ces questions concernant la transition, qui à mon avis doivent impérativement avoir leur place dans un tel programme communiste. J’y inclue la question du contrôle de production, la question du capitalisme d’État, des lignes directrices pour une politique de fiscalité et une politique budgétaire des différents partis. (Très juste!) En effet, ces questions se posent tous les jours aux partis, la question concrète change. (Boukharine : Ah!) Oui, mais il faut avoir des lignes directrices, dont peut être dérivé le comportement pratique. Par comparaison prenez le Programme d’Erfurt : Celui-ci contenait des principes pour la politique fiscale, qui naturellement aujourd’hui sont dépassés. Vous ne nierais quand même pas, camarade Boukharine, que les conditions fiscales et budgétaires des différents pays et aussi de l’Allemagne, étaient variées dans les différentes années, et pourtant un tel fil conducteur est important, utile et nécessaire.

Le congrès adopte une résolution sur la question du programme. La résolution ne reconnait possible d’insérer les revendications transitoires dans le programme des partis communistes qu’en faisant des réserves « sur la dépendance de ces revendications à l’égard des conditions concrètes de temps et lieu » [38] :

3. Dans le programme des sections nationales, la nécessité de la lutte pour les revendications transitoires doit être motivée avec précision et netteté; les réserves sur les rapports de ces revendications avec les conditions concrètes de temps et de lieu doivent être mentionnées.

4. Les fondements théoriques de toutes les revendications transitoires et partielles doivent absolument être formulés dans le programme général. Le 4e Congrès se prononce tout aussi résolument contre la tentative de représenter l’introduction de revendications transitoires dans le programme comme de l’opportunisme, que contre toute tentative d’atténuer ou de remplacer les objectifs révolutionnaires fondamentaux par des revendications partielles.

5. Dans le programme général doivent être nettement énoncés les types historiques fondamentaux entre lesquels se divisent les revendications transitoires des sections nationales, conformément aux différences essentielles de structure économique et politique des divers pays, comme par exemple, l’Angleterre d’une part, l’Inde de l’autre, etc.

* 5e congrès de l’IC, 1924

Thalheimer présente un projet de programme au nom du KPD [39] (cf. également plus haut ):

VI. Mesures transitoires préalables à la conquête du pouvoir politique

Les Conseils d’ouvriers et les Parlements, la dictature prolétarienne et la dictature bourgeoise ne peuvent coexister longtemps à une époque de transformation révolutionnaire de la société capitaliste en société socialiste. Ou ce sont les conseils ouvriers qui détruisent les Parlements, ou les Parlements qui détruisent les Conseils ouvriers.

La chute de la démocratie bourgeoise, la destruction de la machine d’État bourgeois, sont les résultats d’une seule et même action violente.

Mais la création des Conseils ouvriers et leur transformation en instrument de pouvoir, transformation qui les rend capables de renverser et de remplacer la démocratie bourgeoise, ne peuvent résulter d’un seul et même acte.

Les Conseils ouvriers ne peuvent se former qu’au sein de la démocratie bourgeoise même. Quels que soient leurs noms, leur forme, leurs buis primitifs, ils se forment comme organes permettant à la classe ouvrière de vaincre ses divisions intérieures et d’entrer en bataille en tant que classe effectivement unie.

Les Conseils ouvriers ne peuvent transformer l’unité de l’organisation primitive de la classe ouvrière en unité doctrinale que dans le feu de batailles de classes dures et acharnées; cette unité doctrinale constitue la condition nécessaire de la victoire définitive du prolétariat sur la démocratie bourgeoise.

C’est ainsi qu’entre la démocratie bourgeoise et la République des Conseils s’étend nécessairement une période pendant laquelle les Conseils ouvriers et l’État bourgeois existent côte à côte et luttent pour le pouvoir politique (gouvernement dualiste).

Les Conseils ouvriers naissent et mûrissent, au point de vue révolutionnaire, en même temps que la lutte de classe prolétarienne grandit, devient plus ample, plus profonde et plus âpre, et en même temps que la conscience de classe du prolétariat progresse et s’éclaircit.

Les Conseils ouvriers symbolisent le processus de séparation du prolétariat avec la bourgeoisie et de leur opposition de classe, processus qui se poursuit en largeur et en profondeur dans les masses prolétariennes, et ils montrent en même temps la désaffection de la classe ouvrière pour ses chefs politiques liés étroitement avec la bourgeoisie.

Par contre, la coalition gouvernementale entre bourgeois et socialistes symbolise l’union des dirigeants des partis prolétariens avec la bourgeoisie.

La coalition gouvernementale des bourgeois et des socialistes répond à ce moment de la lutte de classe, où la bourgeoisie, n’étant plus capable de dominer directement les masses prolétariennes, est obligée d’utiliser à cette fin des intermédiaires social-réformistes et centristes.

Au début de la crise du capitalisme, la période de la coalition gouvernementale entre bourgeois et socialistes constitue un moyen inévitable pour arrêter la marche en avant de la classe ouvrière, mais aussi pour détruire, expérimentalement, ses illusions démocratiques bourgeoises.

Ce sera la tâche des communistes d’accélérer ce processus par une critique incessante, basée sur les expériences politiques et sociales que la masse aura acquises dans la bataille, et par un effort constant pour créer un front de bataille prolétarien uni contre la bourgeoisie.

La condition primordiale du front uni est la liberté entière de critique et de propagande et l’indépendance organique absolue du Parti communiste. Le Parti doit poursuivre la communauté d’action avec d’autres organisations et partis ouvriers, tant que la lutte n’a pas à en souffrir. Il faut la rattacher aux revendications et combats partiels qui correspondent à la situation des larges masses et qui puissent être comprises par elles. (Tactique du front unique.)

[…]

C’est en s’appuyant sur les ouvriers armés et sur les Conseils d’ouvriers que le Gouvernement ouvrier désarme la bourgeoisie, tranche les liens de son organisation et éloigne les éléments bourgeois de l’appareil d’État actuel. Toute une série de mesures révolutionnaires transitoires d’ordre économique et financier, mesures différentes selon les pays, doit être prise pendant cette période de gouvernement ouvrier.

Ces mesures transitoires, au point de vue formel, ne dépassent pas les cadres du régime bourgeois de propriété, de production et de finances, mais, en réalité, elles sont l’oeuvre d’un pouvoir prolétarien qui, sous la forme d’un gouvernement ouvrier, limite sciemment et énergiquement les droits des capitalistes sur leur propriété, ainsi que les profits capitalistes, et cela dans l’intérêt du prolétariat et des larges masses productrices.

Pour l’Allemagne, et pour un certain nombre de pays, il faut envisager les mesures transitoires économiques suivantes :

1° Participation de l’État à toutes les grandes entreprises capitalistes industrielles (saisie des valeurs réelles) et utilisation du surplus de la production qui revient à l’État, pour diminuer tout d’abord les charges fiscales qui pèsent sur les larges masses populaires (impôts indirects, impôt sur le chiffre d’affaires, impôt sur les salaires);

2° Transformation des entreprises capitalistes en syndicats et en trusts nationaux avec participation de l’État et collaboration prépondérante (contrôle) des organismes économiques des ouvriers et des employés (Conseils d’usines, syndicats professionnels);

3° Pour- atteindre ce but, suppression du secret professionnel, dans les banques, les fabriques et les maisons de commerce;

4° Monopole d’État sur les denrées alimentaires et rationnement, avec, ici encore, la collaboration prépondérante des organisations d’ouvriers, d’employés et de petits paysans;

5° Monopole d’État pour le commerce extérieur et les banques, soumises également au contrôle prépondérant des ouvriers et des employés.

Toutes ces mesures provisoires, bien qu’appliquées nominalement dans le cadre du régime bourgeois de propriété, s’opposent radicalement, en fait, aux intérêts de classe du capitalisme et ne pourront être prises qu’à la suite d’une lutte acharnée contre la bourgeoisie. La résistance énergique de la bourgeoisie, qui suit un plan établi, obligera, naturellement, le Gouvernement ouvrier à dépasser ces mesures, incomplètes et pleines de contradictions, et à remplacer la saisie partielle de la propriété bourgeoise et la limitation du droit capitaliste sur la propriété par la suppression complète de la propriété bourgeoise sur les moyens de production (matières premières, etc.) et par l’abolition complète du droit du Capital sur la propriété.

Le Gouvernement ouvrier sera fatalement obligé de prendre ces nouvelles mesures, parce que les capitalistes utiliseront les restes de leur pouvoir et de leur propriété pour combattre avec acharnement le régime économique du gouvernement ouvrier, pour le désorganiser et le saboter. D’autre part, les capitalistes utiliseront encore toutes les institutions bourgeoises que laissera survivre le gouvernement ouvrier, pour organiser et diriger une lutte politique contre celui-ci (Parlement, justice, armée, administration, presse, école, église, etc.).

Au cours de cette lutte, le gouvernement ouvrier sera forcé, dans l’intérêt même de son existence de changer sa forme politique pleine de contradictions et dualiste, de briser aussi, au point de vue formel, la machine d’État bourgeoise et d’attribuer aux Conseils d’ouvriers le pouvoir d’État tout entier.

La coexistence provisoire de la démocratie bourgeoise parlementaire et des Conseils d’ouvriers, en tant que puissances luttant à mort, est une étape inévitable, dans la période de transition entre la démocratie bourgeoise et la dictature prolétarienne.

On ne peut dire d’avance si le gouvernement ouvrier réalise la dernière étape possible vers la dictature des Conseils, ou si elle sera dépassée, de même qu’on ne peut prévoir si les mesures capitalistes et étatistes, prises dans l’intérêt de la classe ouvrière, ne devront pas, pour provisoires qu’elles sont, être appliquées pendant un certain temps.

Cela n’empêche pas les communistes d’envisager sciemment ces dernières étapes imaginables de la dictature des Conseils et du socialisme, aussi longtemps que la majorité de la classe ouvrière n’est pas encore apte à réaliser immédiatement la dictature des Conseils et le socialisme.

Tant pis pour la bourgeoisie si, par sa résistance acharnée, et par l’action de ses valets social-démocrates, le prolétariat est contraint à brûler ces étapes.

* Bureau politique du Comité central du KPD, Réponse à Brandler (1928)

Extraits [40] :

Brandler considère que le programme d’action comporte essentiellement la lutte contre la bourgeoisie des trusts. Or la domination du capital des trusts caractérise toute l’époque de domination de l’impérialisme, c’est-à-dire toute la dernière phase du développement capitaliste à la veille de la révolution sociale. Mais l’élaboration d’un plan de lutte contre l’impérialisme est la tâche du programme général communiste, qui doit caractériser la phase impérialiste du capitalisme et le remplacement de l’impérialisme par le communisme. Un programme d’action doit éclairer la lutte émancipatrice du prolétariat à l’heure actuelle. Il doit servir à l’organisation et au développement des actions; or les actions, on le sait, ne sont possibles que sur la base de revendications et de mots d’ordre spéciaux correspondant à une situation parfaitement déterminée. S’il est juste, un programme d’action destiné à une phase entière de développement (jusqu’à la conquête du pouvoir) est en réalité un programme général. On peut créer la liaison demandée par Brandler entre les revendications immédiates et le but final, c’est-à-dire orienter la lutte journalière vers le but final, non pas en atténuant les différences entre le programme général et le programme d’action, mais uniquement en tirant des mots d’ordre d’action contenus dans ce dernier nos mots d’ordre de propagande, qui ne se transforment en mots d’ordre d’action que dans une situation révolutionnaire aiguë.

[…]

Le « programme d’action » est une plate-forme tactique renfermant les revendications temporaires du moment. Nous avons indiqué plus haut que le programme du parti doit donner au prolétariat « la ligne » générale « à suivre pour se rapprocher du socialisme ». Le « programme d’action » est un cas particulier de l’application de cette ligne générale à un moment politique déterminé, dans une situation concrète déterminée. Les mots d’ordre et la tactique du parti doivent varier en fonction de la situation objective. C’est là un des principes indiscutables de la lutte révolutionnaire. […] En effet, le programme de l’I.C. et de ses différentes sections est fondé (ou doit être fondé) sur l’étude de toute l’époque d’évolution du capitalisme au communisme. Le « programme d’action » opère sur les particularités du moment actuel, sur les particularités de la situation concrète existante. Le programme des communistes est un guide général d’action pour toute l’époque de la révolution prolétarienne. Le « programme d’action » est un guide pratique direct pour la lutte dans une situation donnée. Et, dans les deux programmes, la destination directe, les points de départ et le contenu sont autres. […]

[…] La tâche du parti est d’exposer de façon précise ce qu’est le contrôle de la production, les mesures qu’il faut entendre par là; en d’autres termes il est nécessaire de développer dans cette question une large et persévérante propagande. Ce n’est que lorsque surviendra de nouveau une situation révolutionnaire aiguë qu’il sera possible de faire de ce mot d’ordre un mot d’ordre d’action. Quand le prolétariat sera armé, ne serait-ce qu’en partie, quand des soviets révolutionnaires seront constitués, nous pourrons conduire les masses à la lutte pour le pouvoir politique sous ce mot d’ordre, qui n’est à l’heure actuelle qu’un mot d’ordre de propagande, et alors la nationalisation sous le contrôle des ouvriers deviendra une tâche directe du prolétariat.

[…]

Après la définition, nette, précise du 5e congrès mondial, qui a indiqué que, par gouvernement ouvrier et paysan, il faut entendre la dictature du prolétariat, après la condamnation catégorique des conceptions opportunistes sur la possibilité d’une étape entre la dictature de la bourgeoisie et celle du prolétariat sous la forme d’un gouvernement ouvrier « démocratique »,

[…]

Dans ces décisions, le congrès d’Essen [41], entièrement d’accord avec les thèses du 5e congrès mondial, identifie le gouvernement ouvrier et paysan avec la dictature du prolétariat.

Brandler, Programme d’action

Toutes les citations qui suivent dans cette partie du présent texte, sont extraits du document « G. Brandler: Contribution à un programme d’action pour l’Allemagne » [42].

Les points essentiels

Une première partie du texte expose l’analyse que fait Brandler de la situation qui prévaut en Allemagne ainsi que du contexte international. Il considère que l’Allemagne, du point de vue économique et sociale, se trouve dans une période de stabilisation. Il déduit qu’en matière de programme, ce constat implique la nécessité de déterminer des lignes directrices spécifiques adaptées.

D’abord, au sujet du caractère général des revendications, il explique :

Jadis le marxisme révolutionnaire, sur la base de l’analyse de l’impérialisme, en était arrivé à la conclusion théorique […] que seul le socialisme pouvait succéder à l’impérialisme. […] Ainsi on commençait à comprendre que, dans la période de l’impérialisme, dans la période de dictature des monopoles capitalistes, dans la période d’armements et de guerres, […] la révolution prolétarienne devenait une tâche d’actualité et que sa préparation devait avoir un caractère pratique.

Puis il énonce le principe de base qui découle de sa façon d’envisager l’action du Parti communiste dans le cadre de la stabilisation :

Le parti communiste ne remplira sa tâche à cette époque que si les masses des travailleurs se convainquent que, pour le parti révolutionnaire, ni la lutte pour les revendications immédiates, pour les réformes, ni le but révolutionnaire final ne sont des mots vides; […]. D’un autre côté, les communistes, […] ne peuvent rester de véritables révolutionnaires que s’ils ont une idée nette de la façon dont il faut développer la lutte journalière partielle et de la liaison qui doit exister entre les revendications immédiates et le but final. En un mot, le parti doit avoir un programme d’action reliant en un système cohérent ses revendications.

Il reprend certaines explications avancées par Thalheimer au quatrième congrès de l’IC, mentionnées plus haut.

Le parti doit avoir un programme d’action reliant en un système cohérent ses revendications. Ce programme ne saurait être une réédition du programme d’Erfurt […]. Nous ne pouvons […] nous borner à un programme de réformes dans le cadre de l’État bourgeois et du capitalisme. D’autre part, le programme d’action ne peut être non plus un simple assemblage de mots d’ordre finals. […]  des mesures transitoires, des revendications transitoires, mais non dans l’esprit du programme d’Erfurt, qui est réalisable dans le cadre de l’État bourgeois […].

Voici comment il envisage ce « système cohérent de revendications » :

[…] un programme d’action […] Sa tâche, c’est de relier les revendications immédiates et finales, les unes découlant des autres. Développant conséquemment les revendications journalières immédiates (salaires, journée de travail, etc.), le programme d’action doit poser toute une série de mesures compréhensibles aux travailleurs et dictées par les besoins actuels de ces derniers, mesures dont la réalisation […] met en question la domination de la bourgeoisie. Ce sont des mesures transitoires, des revendications transitoires […]; ce sont des revendications qui doivent être satisfaites au cours de la lutte et qui, satisfaites, frayent la voie à la lutte pour les buts finals, pour les mots d’ordre finals.

Et il précise :

Nous avons vu qu’à l’heure actuelle la bourgeoisie des trusts est, en politique intérieure et extérieure, un facteur décisif en Allemagne, qu’elle donne le ton en économie et en politique. La lutte contre la bourgeoisie des trusts doit être la pierre angulaire de notre programme d’action, l’axe sur lequel doivent tourner toutes les revendications. […] on ne saurait triompher des trusts, des monopoles capitalistes sur le terrain du capitalisme, par le retour à la libre concurrence, mais uniquement par des mesures révolutionnaires développées dans le sens du socialisme.

Avec le développement du contrôle ouvrier tel qu’il le projette,

[…] disparaîtront les mots d’ordre non politiques, détachés de la réalité et, partant, erronés et jetant la confusion, tels que le mot d’ordre syndical, par lequel on tente d’unifier la lutte pour les salaires et la journée de travail sans en dépasser les limites, au lieu de lui donner un contenu politique et de compléter les revendications purement économiques concernant les conditions de travail et les salaires, revendications variant selon les professions, par des revendications de classe générales, afin de développer et d’organiser, si l’on a des forces suffisantes, une lutte de masse une et puissante.

L’histoire ne connaît pas d’exemple d’union solide et durable de toutes les forces de la classe ouvrière sur la base des revendications syndicales purement économiques. […] dans la mesure où la lutte syndicale des masses est possible et existe en effet, la tâche des communistes est de poser des revendications débordant le cadre de la lutte purement économique. […] Donner à la lutte un contenu politique, ce n’est pas accoler des revendications politiques à des revendications économiques, par exemple accoler le mot d’ordre du gouvernement ouvrier et paysan ou de la nationalisation à une revendication d’augmentation de salaires dans la proportion de 15 pfennigs, c’est cristalliser les tâches concrètes en revendications générales de classe.

Au-delà de ces explications générales, Brandler présente plus en détail les mesures qui doivent selon lui être incluses dans le programme.

* Gouvernement ouvrier et paysan

Il explique à ce sujet :

Comme mot d’ordre d’unification dans le domaine politique, les communistes réclament la formation d’un gouvernement ouvrier et paysan, d’un gouvernement remplaçant l’appareil bureaucratique de l’État bourgeois par les organes de classe des travailleurs, par l’intermédiaire desquels il exerce le pouvoir d’État. La forme développée de ces organes de classe est constituée par les soviets ouvriers et paysans, mais il peut y avoir différentes formes embryonnaires de soviets (comités de contrôle, centuries de 1923). Le gouvernement ouvrier et paysan s’appuie sur l’armement des ouvriers et réalise le désarmement de la bourgeoisie.

* Ccontrôle de la production

Le pivot autour duquel naviguent les arguments de Brandler, c’est l’idée de réaliser le « contrôle ouvrier » de la production. Il introduit cette question de la façon suivante :

Dans le domaine économique, nos revendications sont les suivantes : La lutte contre le capital des trusts s’effectuera dans deux directions, conformément à la double exploitation exercée par les trusts : dans la production ainsi qu’au moyen des hauts prix. […] Le mot d’ordre général de cette lutte est celui du contrôle de la production.

Pour lui, c’est ainsi que se concrétise « la liaison qui doit exister entre les revendications immédiates et le but final ».

la lutte économique […] la transformer en lutte politique […]. Les moyens de cette transformation peuvent varier selon les conditions. Le mot d’ordre du contrôle de la production remplit en Allemagne cette fonction dans les conditions de la lutte contre le capital des monopoles.

Cependant, en développant son point de vue à ce sujet, il s’empêtre constamment dans des explications ambigües marquées par le fait que sa vision est erronée.

Il définit le contrôle ouvrier de la façon suivante :

Le contrôle ouvrier de la production consiste à écarter de la gestion des entreprises les capitalistes ou leurs fondés de pouvoir, à transmettre aux organes des travailleurs la direction de la production et la régularisation des échanges commerciaux.

Prenant cette phrase isolément, on peut l’interpréter dans le sens que, effectivement, la prise du pouvoir par le prolétariat entrainera ce qu’elle exprime.

Mais :

Le mot d’ordre du contrôle de la production ne peut, évidemment, à l’heure actuelle être posé comme mot d’ordre susceptible d’une réalisation directe (comme c’était le cas en Russie en 1917), avec des tâches de combat concrètes comme la mainmise sur les entreprises; il ne peut être posé temporairement que comme mot d’ordre de propagande servant à grouper les masses en un front de combat unique.

Donc, mot d’ordre de propagande – mais dont la caractéristique dans l’esprit de Brandler se démarque de certaines pratiques qu’il critique :

C’était et c’est encore la manière des extrêmes‑gauches de poser comme mots d’ordre pratiques immédiats des mots d’ordre qui n’ont provisoirement qu’une valeur de propagande et d’agitation et qui sont destinés à rassembler les masses en un tout unique. Cette méthode ne mène ordinairement qu’au putschisme; dans la plupart des cas, elle revient à substituer au travail de propagande minutieux parmi la masse de grands mots d’ordre qui ne disent rien à cette dernière parce qu’ils sont arbitraires et ne correspondent pas à ses besoins réels.

Ainsi Brandler prétend qu’avec son mot d’ordre de contrôle ouvrier il fait autre chose que de prendre un mot d’ordre ayant « une valeur de propagande et d’agitation » et de le poser comme « mot d’ordre pratique immédiat ». Son objectif à lui est de déployer un « travail de propagande minutieux parmi la masse ». Si, pour tenter de comprendre la substance de ses propositions, on se laisse guider par cette indication, on peut extraire de l’ensemble de l’exposé une position cohérente.

Ce n’est que par l’instauration d’un contrôle de la production que l’on peut réellement et complètement supprimer les deux maux principaux dont souffrent les masses : le chômage et la hausse des prix. […] L’établissement d’un contrôle sur la production équivaut à une ingérence révolutionnaire dans l’économie capitaliste; c’est le premier pas vers l’expropriation des expropriateurs […]. C’est là la question la plus urgente pour les 2 millions de chômeurs permanents.

Cependant, les formulations employées admettent qu’en agissant ainsi on ne renverse pas encore le pouvoir de la bourgeoisie (il est question d' »ingérence »); pourtant elles font miroiter qu’on puisse ainsi « réellement et complètement supprimer […] le chômage et la hausse des prix. » C’est donc une vision irréaliste au sens propre du mot.

L’actualité des positions promues par Brandler

Une grande partie des argumentations de Brandler visent à justifier la démarche qu’il préconise par des arguments pragmatiques. On peut constater des similitudes marquées avec des positions défendues et appliquées actuellement en France par des militants qui tentent de se démarquer des orientations réformistes du PCF et de la CGT, telles qu’elles se concrétisent dans les mots d’ordre tournant autour de l’idée des nationalisations et de la défense du secteur national de l’économie contre les « privatisations » et le « néolibéralisme ».

À l’époque du capitalisme monopolisateur, quand les trusts et les consortiums, par mille moyens divers, déterminent directement non seulement la vie économique mais encore la politique extérieure et intérieure, la divulgation de cette activité et l’établissement d’un contrôle rigoureux sur l’activité économique et politique des magnats des trusts et des consortiums permettront de découvrir toutes les manœuvres exécutées par la bourgeoisie pour affermir sa domination. La divulgation des pratiques secrètes et de l’exploitation effrénée des monopoles capitalistes est un chaînon essentiel dans la lutte de classe prolétarienne et une condition permettant de rassembler, d’organiser et de préparer les masses à la lutte pour le renversement définitif des parasites capitalistes.

[…]

Sans l’établissement du contrôle ouvrier, sans la pénétration des « secrets commerciaux » de ce capital concentré, sans une lutte acharnée contre chaque cas d’escroquerie, toute lutte syndicale pour les salaires et la journée de travail, toute action coopérative tendant à fournir aux travailleurs des objets d’usage courant à bon marché, tout effort pour l’amélioration des conditions d’habitation, en un mot toute activité sociale et politique est un travail de Sisyphe.

[…]

Le mot d’ordre du contrôle de la production permet d’expliquer aux ouvriers la nécessité d’une ingérence révolutionnaire dans la production capitaliste sous telle ou telle forme concrète adaptée aux besoins des prolétaires unis dans la lutte pour les revendications immédiates. Ce mot d’ordre, en tant que mot d’ordre central de rassemblement de toute la lutte journalière, relie entre eux les intérêts particuliers des ouvriers. À un certain degré, la lutte pour le contrôle de la production doit amener la formation et l’union des organes de classe, comités d’usines, comités de contrôle, comités pour la lutte contre la cherté et comités d’action, qui, dans la période de lutte résolue et décisive, peuvent donner naissance aux soviets, organes du pouvoir du prolétariat victorieux. Les luttes partielles et isolées dans les syndicats, la coopération, les unions de locataires, les associations sportives et les municipalités seront coordonnées au moyen de la lutte pour le contrôle de la production. […]

Ainsi le mot d’ordre du contrôle de la production est en premier lieu un mot d’ordre de propagande, un mot d’ordre de rassemblement indiquant aux masses la voie dans la lutte économique. […]

Le fait que les ouvriers connaîtront exactement les proportions de leur exploitation et le montant des bénéfices capitalistes sera un stimulant pour un puissant mouvement de masse. La tentative des ouvriers et employés de pénétrer dans le saint des saints du capital, non pas pour servir l’entrepreneur dans l’esprit de « la démocratie économique » mais pour préparer la lutte, est déjà par elle-même une lutte. Plus les larges masses seront touchées par la propagande pour le contrôle de la production, par la lutte pour la divulgation de la comptabilité commerciale des monopoles, plus l’on devra approfondir la campagne elle même et réclamer résolument l’établissement direct du contrôle de la production, du contrôle de la direction des entreprises.

[…]

L’exposé présenté par Brandler témoigne d’un penchant prononcé à des louvoiements. Ainsi il n’est pas surprenant qu’il tient à préciser qu’il n’exclut pas une revendication éventuelle de nationalisation :

En outre, dans certains cas, nous pouvons exiger la nationalisation des entreprises comme punition pour leur fermeture, sans toutefois ériger la nationalisation des trusts en mot d’ordre et sans nous faire d’illusions sur les résultats de la nationalisation des entreprises par l’État bourgeois. La nationalisation des trusts, tant que l’État reste bourgeois, ne change pas au fond le caractère de ces entreprises (voir les entreprises d’État en Allemagne, par exemple le consortium des entreprises allemandes Pläwag ou Preussa [43], les syndicats du charbon et de la potasse contrôlés par l’État). Sans modifications du rapport actuel des forces entre les classes, la nationalisation ne fait que renforcer la concentration de la puissance capitaliste.

Quelques autres aspects de l’orientation défendu par Brandler

* La social-démocratie

Au sein du Parti social-démocrate d’Allemagne (SPD), certains membres exprimaient des critiques vis-à-vis de la direction, dans un sens qui pouvait être considéré comme plus à gauche. Le KPD considérait à juste titre qu’il ne fallait pas interpréter ces manifestations comme un facteur positif qui pourrait servir de levier pour attirer vers le Parti communiste les travailleurs influencés par ce courant. Brandler était d’un avis différent.

Certes, il se place dans l’idée que la formation d’une organisation centriste – intermédiaire entre le parti social-démocrate et le parti communiste – serait nuisible, mais il adopte à l’égard des travailleurs concernés une position conciliatrice du point de vue idéologique.

La tâche des communistes est d’accélérer la désagrégation dans les rangs de la social-démocratie, car cette désagrégation est une des conditions et une des formes du révolutionnement du prolétariat. Un parti centriste n’est pas un instrument de révolution, c’est un obstacle à la révolution. Si cette dernière est appelée à triompher et à se consolider, les partis centristes disparaîtront de la scène, mais à certains moments l’idéologie centriste peut être pour les ouvriers une étape dans la voie menant du réformisme au communisme. Les ouvriers s’attarderont d’autant moins à cette étape que nous saurons, au moyen d’une politique pratique nette et rationnelle, les convaincre plus rapidement que les centristes ne veulent pas la lutte véritable contre les réformistes et qu’à leur tour ils sont incapables de combattre réellement la bourgeoisie et de défendre les intérêts du prolétariat. Voilà pourquoi, partant des principes communistes et les reliant aux besoins actuels de la lutte de classe, les communistes doivent critiquer la position des gauches, pousser ceux-ci en avant, soustraire les ouvriers à leur direction et les entraîner dans notre front de bataille.

* Reformes et but final

Brandler insiste de façon répétée pour signaler que la lutte pour des réformes n’est pas suffisante.

Voilà pourquoi les communistes ne peuvent penser que la stabilisation oblige à se limiter à la lutte pour les réformes et pour de petites améliorations de la situation des travailleurs. Il n’est pas vrai que la stabilisation exclue la possibilité même de la lutte révolutionnaire pour le pouvoir; il n’est pas vrai que les communistes, s’ils parlent de la révolution, n’en parlent que comme lieu commun de propagande en taisant leur programme et en attendant tranquillement que la fin de la stabilisation ouvre de nouvelles perspectives révolutionnaires. […] Nous ne pouvons, pour les raisons exposées plus haut, nous borner à un programme de réformes dans le cadre de l’État bourgeois et du capitalisme.

Et pour appuyer son idée de programme d’action faisant le lien entre revendications immédiates et but final, il croit pouvoir s’appuyer d’Engels sur un texte paru en 1847 (nous reproduisons ici le passage tel qu’il est cité par Brandler) [44] :

Toute mesure contribuant à limiter la concurrence et la concentration de grands capitaux entre les mains de certains individus, toute limitation ou suppression du droit d’héritage, toute organisation du prolétariat par la voie de l’État, etc. représentent des mesures qui, en tant que mesures révolutionnaires, sont non seulement possibles mais nécessaires. Elles sont possibles parce que tout le prolétariat soulevé les défend à main armée; elles sont possibles en dépit de toutes les difficultés et mésaventures dépeintes par les économistes, car ces difficultés et mésaventures obligeront le prolétariat à aller sans cesse plus loin, jusqu’à la suppression définitive de la propriété individuelle, afin de ne pas perdre ce qu’il aura déjà conquis. Elles sont possibles en tant que degré préparatoire intermédiaire vers la suppression de la propriété individuelle, mais non autrement.

Force est de constater que Brandler, dans sa hâte de trouver des justifications pour sa position, se dispense lui-même de bien comprendre la signification de ce qu’énonce Engels. Il se focalise sur la formulation qui évoque « toute mesure contribuant à limiter la concurrence et la concentration de grands capitaux entre les mains de certains individus, toute limitation ou suppression du droit d’héritage, toute organisation du prolétariat par la voie de l’État, etc. » Or la suite de la citation atteste – surtout compte tenu du fait qu’à l’époque s’annonçaient les mouvements insurrectionnels qui allaient secouer l’Europe en 1848 – que le contexte dans lequel se situe Engels est tout le contraire de la période de « stabilisation » dont la caractérisation sert à Brandler comme prétendu justification de son programme d’action. Quand Engels se réfère aux mesures en question, il observe que « tout le prolétariat soulevé les défend à main armée » et que c’est à partir de là que « ces difficultés et mésaventures obligeront le prolétariat à aller sans cesse plus loin ».

Quelques remarques historiques :

Depuis 1846, l’imminence d’un nouveau conflit entre les forces de conservation et les forces de révolution se profile à l’horizon. La Suisse règle par une sanglante guerre civile le contentieux de 1815 : les radicaux, représentants du libéralisme bourgeois, y écrasent le Sonderbund, conservateur et catholique. L’Autriche, attentive aux évolutions des moindres mouvements nationalistes, prend ses précautions. En 1846, elle annexe la république de Cracovie. Un an plus tard, elle occupe Ferrare, dans les États du pape, et jette en prison l’agitateur vénitien Daniele Manin.

La terminologie de 1848 affectionne deux catégories d’expressions. La première rend compte de la soudaineté des évènements : c’est l’ »explosion », la « vague », la « flambée ». La seconde, à tonalité humaniste, met en valeur l’aspect fraternel et philanthropique des aspirations : « printemps des peuples », « aurore de l’humanité ». De fait, le synchronisme des insurrections (et de leurs échecs), la communauté des revendications, du moins au niveau des principes, et l’interdépendance des régimes révolutionnaires ont frappé les contemporains et ont longtemps influencé les jugements de l’historien.

Le signal des révolutions est donné à Palerme le 12 janvier 1848. Une insurrection à dominante séparatiste y éclate, et la Sicile réclame le retour au régime libéral de 1812 et le rejet de la tutelle napolitaine. En quelques mois, successivement, la vague insurrectionnelle atteint la France (22-24 février), où la monarchie de Juillet est renversée et la IIe République proclamée, l’Autriche (13 mars), la Prusse (18-21 mars) et, par voie de conséquence, les absolutismes satellites de Vienne en Italie (Parme, Modène, Toscane) ou en Allemagne. Les « nations » tchèque et hongroise se soulèvent.

Le processus revêt à peu près partout des analogies frappantes. L’insurrection est surtout urbaine, populaire, à encadrement bourgeois et universitaire. Dans un premier temps, les principales revendications réformatrices se résument à l’octroi d’une Constitution à base censitaire et à la reconnaissance des libertés fondamentales (de réunion et de presse). C’est dire le caractère modéré et bourgeois du mouvement initial. Enfin, les exigences libérales se doublent d’exigences nationales et unitaires, propres à assurer le respect de la personnalité historique, ethnique et linguistique des minorités opprimées par le pouvoir central.

Bureau politique du Comité central du KPD, réponse à Brandler

Toutes les citations qui suivent dans cette partie du présent texte, sont extraits du document « Bureau politique du Comité central du KPD: Le « Programme d’action » de Brandler (Réponse) » [45].

* La nature général du programme

2. Programme général et programme d’action

[…] On peut créer la liaison demandée par Brandler entre les revendications immédiates et le but final, c’est-à-dire orienter la lutte journalière vers le but final, non pas en atténuant les différences entre le programme général et le programme d’action, mais uniquement en tirant des mots d’ordre d’action contenus dans ce dernier nos mots d’ordre de propagande, qui ne se transforment en mots d’ordre d’action que dans une situation révolutionnaire aiguë.

[…]

Si l’on expose dans une plate-forme spéciale les tâches tactiques du parti dans la situation actuelle, on n’aura autre chose qu’un « programme d’action ». De tels programmes d’action sont nécessaires dans les situations déterminées, mais nous ne pouvons admettre que l’on confonde le « programme d’action » avec le programme général du parti. Or c’est là précisément l’erreur de Brandler. Ce que Brandler propose au parti allemand comme projet ou esquisse de « programme d’action » confond le programme avec la tactique et, par suite, ne vaut rien ni comme programme ni comme plate-forme tactique d’action. Le « programme d’action » de Brandler est fondé sur une base politique erronée. L’erreur méthodologique dans la question du programme est en liaison avec une ligne politique fausse.

Le BPCC rappelle la discussion au 4e Congrès

Le « programme d’action » ne saurait être, selon Brandler, un simple assemblage de mots d’ordre finals. Il ne saurait se borner non plus à des revendications de réformes réalisables en régime capitaliste. Il doit relier « les revendications immédiates et finales ». Comment arriver à les relier? En ne posant dans le « programme d’action » ni mots d’ordre communistes fondamentaux, ni revendications partielles concrètes actuelles. Le « programme d’action », d’après Brandler, porte principalement, non pas sur les principes du mouvement communiste, sur les taches tactiques concrètes du moment, mais uniquement sur les revendications provisoires à caractère général. Qu’est-ce que ces revendications provisoires « générales »? Souvenons-nous de ce que disait Thalheimer, au 4e congrès de l’I.C., du contrôle de la production, du capitalisme d’État, des directives en matière de politique fiscale et financière. Il démontrait que ces questions, quoique relevant de la période de transition, ont un caractère général pour tous les pays jusqu’à la conquête du pouvoir. Il demandait qu’elles fussent incluses dans le programme général de I’I.C. Le congrès rejeta cette proposition. Maintenant, ce sont ces questions, et seulement ces questions, que Brandler insère dans son « programme d’action ». Il convient de noter à ce propos que son « programme d’action » est établi également pour toute la période allant jusqu’à la conquête du pouvoir par le prolétariat. Le 4e congrès de l’I.C. a condamné « toutes les tentatives d’estomper les tâches révolutionnaires essentielles ou de les remplacer par des revendications partielles » [46]. Le « programme d’action » de Brandler est une de ces tentatives.

Le BPCC résume cette conclusion:

Ce « programme d’action », qui n’est qu’un système de revendications transitoires, engendre nécessairement l’opportunisme. L’opportunisme en l’occurrence, c’est que la tâche de la conquête révolutionnaire du pouvoir est reléguée au second plan par le système des revendications transitoires, ou même complètement écartée. Telle est la logique interne du « programme d’action » de Brandler, et ce qui dévoile le mieux cette logique, c’est la citation d’Engels à l’aide de laquelle Brandler croyait consolider son « programme d’action ».

* Les positions exprimées par Lénine et reprise par la suite par l’IC

De ces explications de Lénine, il ressort que le contrôle de la production est inséparable des mesures politiques révolutionnaires du prolétariat. Un contrôle de la production sans les soviets est un non-sens. Un contrôle de la production sans armement du prolétariat est un non-sens. Un contrôle de la production sans une lutte directe pour la dictature du prolétariat est un non-sens. En d’autres termes, le contrôle de la production est une conception sommaire impliquant toutes les mesures économiques pour lesquelles lutte le prolétariat dans une situation révolutionnaire aiguë et que l’on ne peut réaliser qu’an moyen de la conquête du pouvoir politique. Le contrôle de la production, outre les prémisses politiques de la lutte prolétarienne révolutionnaire, implique la nationalisation; en tout cas, il est inséparable de cette deuxième mesure de la dictature prolétarienne.

* La façon d’envsager la question de « l’ingérence »

[…] Personne ne songe à estomper cette tâche; en effet dans les thèses d’Essen, par exemple, il est dit [47] :

Le parti doit dévoiler la politique d’exploitation et de spoliation pratiquée par les trusts et les cartels et grouper les comités d’usines pour qu’ils obtiennent l’extension de leurs droits et de leurs pouvoirs au moyen d’une lutte de classe implacable contre les entrepreneurs.

Dans les directives spéciales du C.C. du parti, ces revendications ont été à maintes reprises concrétisées et spécifiées. Ainsi il ne s’agit pas de savoir si l’on pose ou non la revendication de mesures de cet ordre, niais de savoir si ces mesures sont considérées comme les premiers degrés ou les premiers pas du contrôle de la production et s’il faut en attendre des miracles comme Brandler lorsqu’il dit :

Sans l’établissement du contrôle ouvrier, sans la pénétration des « secrets commerciaux » de ce capital concentré, sans une lutte acharnée contre chaque cas d’escroquerie, toute lutte syndicale pour les salaires et la journée de travail, toute action coopérative tendant à fournir aux travailleurs des objets d’usage courant à bon marché, tout effort pour l’amélioration des conditions d’habitation, en un mot toute activité sociale et politique est un travail de Sisyphe.

Si cette phrase signifie que, sans la mainmise des ouvriers sur la direction de l’économie, tout succès dans la lutte journalière est réduit à néant, c’est une exagération ultra-gauche. Mais si cela veut dire que, sans la prise du pouvoir par le prolétariat, les succès remportés dans la lutte quotidienne peuvent devenir des conquêtes durables grâce à la mise à jour des secrets commerciaux, c’est là l’opportunisme le plus vulgaire. L’idée que l’on peut, en régime capitaliste, supprimer l’exploitation des cartels maîtres des prix en pénétrant les secrets commerciaux est une illusion petite-bourgeoise de partisan de la législation dirigée contre les trusts. […]

[…] la confusion qui règne dans l’esprit de Brandler en ce qui concerne la question du contrôle de la production. S’agit-il ici du mot d’ordre de propagande du contrôle ouvrier de la production dans l’esprit léniniste au cours d’une situation révolutionnaire aiguë? Évidemment non. Cette thèse a plutôt pour but d’estomper le caractère spécial de situations diverses et de souligner le fait que le contrôle de la production peut être en même temps mot d’ordre de propagande et mot d’ordre d’agitation. Mais si cette thèse se rapporte à la situation existante, comment une ingérence révolutionnaire dans la production capitaliste est-elle possible? En effet, considérer comme une ingérence révolutionnaire la divulgation des secrets commerciaux est manifestement de l’opportunisme. Quelle ingérence révolutionnaire concrète est possible à tel ou tel moment? Dans une situation révolutionnaire, les ouvriers armés montreront aux entrepreneurs dans leurs entreprises et à l’appareil d’État détenu par la bourgeoisie ce qu’est une ingérence révolutionnaire. Mais sans armement ni soviets révolutionnaires, le prolétariat, malgré toutes les belles formules de Brandler sur le contrôle de la production, ne pourra s’ingérer révolutionnairement dans la production capitaliste.

* L’idée de l’unification des luttes en leur donnant un caractère politique

Le mot d’ordre du contrôle de la production, d’après Brandler, unifie toute la lutte et lui confère un caractère politique. Donner à la lutte un caractère politique, enseigne Brandler, ce n’est pas simplement « accoler des revendications politiques à des revendications économiques » (par exemple, accoler le mot d’ordre du gouvernement ouvrier et paysan ou de la nationalisation à une revendication d’augmentation de salaire de 15 pfennigs). Évidemment il ne s’agit pas d´ »accoler » mais de relier logiquement les revendications découlant de telle ou telle situation. Nous ne voyons pas pourquoi on ne pourrait pas, lorsque les antagonismes de classe s’accentuent, relier la lutte pour les salaires et la journée de travail à des revendications politiques. « Augmentation de 15 pfennigs » et « contrôle de la production », cela ne sonne pas mieux que le mot d’ordre dont se moque Brandler; en outre, si ces revendications ne sont reliées au mot d’ordre politique du gouvernement ouvrier et paysan elles sont vides de sens et opportunistes. Mais lorsque le prolétariat mène une lutte sérieuse contre l’abaissement des salaires et l’augmentation de la journée de travail, comme c’était le cas dans l’industrie minière anglaise en 1926, n’est-il pas rationnel de relier le mot d’ordre « Pas un pfennig de moins, pas une minute de plus! » au mot d’ordre « À bas le gouvernement conservateur qui mène l’offensive du capital. Vive le gouvernement ouvrier nationalisant l’industrie minière, la soumettant au contrôle ouvrier et assurant des conditions humaines de travail. »?

Si le mot d’ordre du contrôle de la production est destiné à remplacer le mot d’ordre du gouvernement ouvrier et paysan, il est opportuniste. Il faut, comme le disait Lénine, que le mot d’ordre du contrôle de la production soit toujours accompagné, précédé de celui de la dictature du prolétariat. Si, par contrôle de la production, on entend l’organisation de divulgations économiques et qu’on fasse de ce contrôle un mot d’ordre central, c’est là de l´ »économisme » du pire acabit, en dépit de tous les propos sur la nécessité de « donner un caractère politique à la lutte économique ». […]

* Les trusts

Brandler, manifestement, considère que le contrôle de la production a une importance fondamentale parce que, dans la phase impérialiste du capitalisme, nous avons à lutter en premier lieu contre les monopoles capitalistes privés en transférant le centre de gravité dans l’activité spéciale et indépendante des ouvriers. Brandler s’imagine que c’est en posant le mot d’ordre du contrôle de la production qu’il combat le mieux la revendication de « démocratie économique » du parti social-démocrate. Ce faisant, il oublie que la social-démocratie pose la revendication d’une démocratie économique en liaison étroite avec celle d’une démocratie politique. Évitant de réclamer l’expropriation des capitalistes, la social-démocratie se borne à demander le partage du pouvoir économique et politique entre les capitalistes et les ouvriers. Si nous voulons la combattre efficacement sur ce terrain, nous devons souligner que ni mesures de contrôle à l’égard des entreprises privées, ni participation à la direction de la production ne peuvent supprimer la domination des entrepreneurs dans le domaine économique. Nous, communistes, nous ne voulons pas collaborer avec les entrepreneurs, nous voulons les chasser au cours de la nationalisation réalisée sous le contrôle des ouvriers. Nous devons souligner la conception de socialisation des moyens de production en réclamant la nationalisation et l’expropriation des capitalistes.

Pour contre-balancer la propagande réformiste sur la démocratie économique, nos camarades doivent déclarer nettement et fermement qu’une direction commune de la production par les ouvriers et les capitalistes est impossible, que la production peut être dirigée et contrôlée soit par les ouvriers soit par les capitalistes, mais que la condition nécessaire à cette direction et à ce contrôle est le pouvoir économique et politique. Se dérober à cette position nettement révolutionnaire de la question et se raccrocher à une sorte de contrôle mystique de la production en laissant ouverte la question de sa réalisation avant la conquête du pouvoir (au moyen du rassemblement de matériaux et de la suppression du secret commercial), c’est contribuer à cette tromperie qui a nom la démocratie économique. En effet, un « contrôle ouvrier » dans l’État bourgeois ne sera qu’une « démocratie économique », une collaboration entre ouvriers et entrepreneurs au profit de ces derniers.

[…]

* Gouvernement ouvrier et paysan

D’après Brandler, le gouvernement ouvrier et paysan est un « gouvernement remplaçant la machine bureaucratique de l’État bourgeois par les organes de classe des travailleurs et réalisant le pouvoir politique par l’intermédiaire de ces organes ». Cela signifie-t-il qu’un tel gouvernement puisse surgir par voie parlementaire constitutionnelle et qu’après seulement, on pourra créer les organes de classe des travailleurs et mener la lutte contre l’État bourgeois? Comment comprendre la proposition suivante de Brandler?

La forme développée de ces organes de classe est constituée par les soviets ouvriers et paysans, mais il peut y avoir différentes formes embryonnaires de soviets (comités de contrôle, centuries de 1923). Cela signifie-t-il que les soviets ne peuvent se développer qu’après l’instauration d’un gouvernement ouvrier et paysan et que ce dernier, les premiers temps, s’appuiera uniquement sur les comités de contrôle et les centuries? Nous sommes loin de contester la possibilité d’incarner au début, avant le développement complet des soviets, le pouvoir révolutionnaire dans des comités d’action révolutionnaires s’appuyant sur le prolétariat armé et sur de larges organes du pouvoir. Mais il faut dire nettement si la formation d’un gouvernement ouvrier et paysan coïncide avec le renversement révolutionnaire de la bourgeoisie, avec la destruction de l’appareil d’État bourgeois, ou si ce gouvernement peut surgir « dans le cadre de la constitution » et, après avoir traversé un stade transitoire démocratique, se transformer en pouvoir des soviets.

6e Congrès de l’Internationale communiste (17 juillet – 1er septembre 1928)
Programme de l’IC [48]

* Extrait: Considération concernant la tactique: propagande, mots d’ordre, méthodes de combat

Tout Parti communiste doit tenir compte, dans la détermination de sa tactique, de la situation concrète intérieure et extérieure, du rapport des forces sociales, du degré de stabilité et de vigueur de la bourgeoisie, du degré de préparation du prolétariat, de l’attitude des couches intermédiaires, etc. C’est en s’inspirant de ces conditions générales et de la nécessité de mobiliser, d’organiser les masses les plus étendues au moment le plus aigu de la lutte que le Parti formule ses mots d’ordre et précise ses méthodes de combat. Lançant des mots d’ordre transitoires au début d’une situation révolutionnaire et formulant des revendications partielles déterminées par la situation concrète, le Parti doit subordonner ces revendications et ces mots d’ordre à son but révolutionnaire qui est la prise du pouvoir et le renversement de la société capitaliste-bourgeoise. Il serait également inadmissible que le Parti négligeât les besoins et la lutte quotidienne de la classe ouvrière ou se confinât au contraire dans les limites de ces besoins et de cette lutte. Sa mission est de prendre ces besoins quotidiens comme point de départ et de conduire la classe ouvrière à la bataille révolutionnaire pour le pouvoir. Lorsqu’une poussée révolutionnaire a lieu, lorsque les classes dirigeantes sont désorganisées, les masses en état d’effervescence révolutionnaire, les couches sociales intermédiaires disposées dans leurs hésitations à se joindre au prolétariat, lorsque les masses sont prêtes au combat et aux sacrifices, le Parti du prolétariat a pour but de les mener directement à l’assaut de l’État bourgeois. Il le fait par la propagande de mots d’ordre transitoires de plus en plus accentués (Soviets, contrôle ouvrier de la production, comités paysans pour l’expropriation de la grande propriété foncière, désarmement de la bourgeoisie, armement du prolétariat, etc.) et par l’organisation d’actions des masses, auxquelles doivent être subordonnées toutes les formes de l’agitation et de la propagande du Parti, y compris l’agitation parlementaire. À ces actions de masses se rapportent: les grèves et les manifestations combinées, les grèves combinées avec les manifestations armées, enfin la grève générale liée à l’insurrection armée contre le pouvoir d’État de la bourgeoisie. Cette dernière forme supérieure de la lutte est soumise aux règles de l’art militaire; elle suppose un plan stratégique des opérations offensives, l’abnégation et l’héroïsme du prolétariat. Les actions de cette sorte sont obligatoirement conditionnées par l’organisation des grandes masses en formation de combat, dont la forme même entraîne et met en branle le plus grand nombre possible de travailleurs (Soviets des députés ouvriers et paysans, Soviets de soldats, etc.) et par un renforcement du travail révolutionnaire dans l’armée et dans la flotte.

Il est nécessaire de s’inspirer, en passant à des mots d’ordre nouveaux plus accentués, de la règle fondamentale de tactique politique du léninisme. Cette règle veut que l’on sache amener les masses à des positions révolutionnaires, en leur permettant de se convaincre par leurs propres expériences de la justesse de la politique du Parti. L’inobservation de cette règle mène inévitablement à la rupture avec les masses, au “putschisme”, à la dégénérescence idéologique du communisme qui aboutit à un sectarisme de “gauche” et à un aventurisme “révolutionnaire” petit-bourgeois. Mais il n’est pas moins dangereux de ne pas mettre à profit l’apogée d’une situation révolutionnaire lorsqu’il est du devoir du Parti d’attaquer l’ennemi avec audace et décision. Manquer cette occasion, ne pas déclencher l’insurrection, c’est laisser l’initiative à l’adversaire et vouer la révolution à une défaite.

Quand la poussée révolutionnaire fait défaut, les Partis communistes s’inspirant des besoins quotidiens des travailleurs doivent formuler des mots d’ordre et des revendications partielles en les rattachant aux objectifs fondamentaux de l’Internationale communiste. Ils se garderont cependant de donner des mots d’ordre transitoires spécialement appropriés à une situation révolutionnaire et qui, en l’absence de celleci, se transforment en des mots d’ordre d’intégration au système des organisations capitalistes (exemple: le contrôle ouvrier, etc.). Les mots d’ordre et les revendications partielles conditionnent absolument, de façon générale, une bonne tactique; les mots d’ordre transitoires sont inséparables d’une situation révolutionnaire. Il est, d’autre part, incompatible avec les principes tactiques du communisme de renoncer “en principe” aux revendications partielles et aux mots d’ordre transitoires, ce serait condamner en réalité le Parti à la passivité et l’isoler des masses. La tactique du front unique, moyen le plus efficace de lutte contre le Capital et de mobilisation des masses dans un esprit de classe, moyen de démasquer et d’isoler les chefs réformistes, est un des éléments de la tactique des Partis communistes pendant toute la période prérévolutionnaire.

La juste application de la tactique du front unique, et plus généralement la solution du problème de la conquête des masses, suppose à son tour une action systématique et persévérante dans les syndicats et dans les autres organisations de masses du prolétariat. L’affiliation au syndicat, fût-il le plus réactionnaire pourvu qu’il soit une organisation de masses, est de devoir immédiat de tout communiste. Ce n’est que par une action constante et suivie dans les syndicats et dans les entreprises pour la défense énergique et ferme des intérêts des ouvriers la bureaucratie réformiste étant parallèlement combattue sans merci que l’on peut se mettre à la tête de la lutte ouvrière et rallier au Parti la masse des syndiqués. À l’encontre de la politique scissionniste des réformistes, les communistes défendent l’unité syndicale sur la base de la lutte de classes, dans chaque pays, et à l’échelle internationale en soutenant et en affermissant de toutes leurs forces l’action de l’Internationale syndicale rouge.

Prenant partout la défense des intérêts immédiats, quotidiens de la masse ouvrière et des travailleurs en général, exploitant à des fins d’agitation et de propagande révolutionnaire la tribune parlementaire bourgeoise, subordonnant tous les objectifs partiels à la lutte pour la dictature du prolétariat, les Partis de l’Internationale communiste formulent des revendications partielles et donnent des mots d’ordre dans les principaux domaines suivants:

Question ouvrière au sens étroit du mot: questions se rapportant à lutte économique (lutte contre l’offensive du capital trusté, salaires, journées de travail, arbitrage obligatoire, chômage) qui deviennent des questions de lutte politique générale (grands conflits industriels, droits de coalition et de grève, etc.); questions nettement politiques (impôts, cherté de la vie, fascisme, répression contre les partis révolutionnaires, terreur blanche, politique générale du gouvernement); questions de politique mondiale (attitude envers l’U.R.S.S. et les révolutions coloniales, lutte pour l’unité du mouvement syndical international, lutte contre l’impérialisme et les menaces de guerre, préparation systématique à la lutte contre la guerre impérialiste).

Dans la question paysanne, le problème des impôts, des hypothèques, de la lutte contre le capital usurier, de la pénurie des terres dont souffrent les paysans pauvres, du fermage et des redevances, etc., suscitent des revendications partielles du même ordre. Le Parti communiste partant de là, doit accentuer et généraliser ses mots d’ordre jusqu’à réclamer la confiscation des domaines des grands propriétaires fonciers et le gouvernement ouvrier et paysan (synonyme de dictature du prolétariat dans les pays capitalistes développés et synonyme de dictature démocratique du prolétariat et des paysans dans les pays arriérés et diverses colonies).

Il est également nécessaire de poursuivre une action systématique au sein de la jeunesse ouvrière et paysanne (principalement au moyen de l’ICJ et de ses sections) ainsi que parmi les femmes ouvrières et paysannes, en s’inspirant de leurs conditions d’existence, de leurs luttes, et en rattachant leurs revendications aux revendications générales et aux mots d’ordre de combat du prolétariat.

 



[1]. V. Lénine: La catastrophe imminente et les moyens de la conjurer.
Oeuvres, tome 25; Paris, Éditions Sociales, 1971; p. 347397, ici p. 357.
Cf. le texte .

[2]. V. Lénine: Les bolcheviks conserveront-ils le pouvoir?
Oeuvres, tome 26, Paris, Éditions Sociales, 1967, p. 100101.
Cf. le texte .

[3]. 7e congrès, extraordinaire, du PC(b)R, 6-8 mars 1918.
V. Lénine: Rapport sur la révision du programme et le changement de dénomination du parti
Oeuvres, tome 27; Paris, Éditions Sociales, 1961; p. 125139, ici p. 135.

[4]. 7e congrès, extraordinaire, du PC(b)R, 6-8 mars 1918.
Résolution sur la guerre et la paix
V. Lénine, Oeuvres, tome 27; Paris, Éditions Sociales, 1961; p. 115-116.

[5]. 2e Congrès de l’IC, aout 1920, Lignes directrices sur le mouvement syndical, les comités de fabrique et d’usines et l’IC. Cf. le texte .

[6]. « Les syndicats […]. Les marxistes révolutionnaires furent obligés d’entrer en contact avec le Parti politique du prolétariat […]. »

Dans la version en allemand du document:

« Die […] Gewerkschaften […]. Die revolutionären Marxisten waren bestrebt, sie mit der politischen Partei des Proletariats […] in Verbindung zu bringen. »

C’est-à-dire:

« Les […] syndicats […]. Les marxistes révolutionnaires s’efforçaient à les mettre en relation avec le parti politique du prolétariat […]. »

[7]. « […] avaient fait de la démocratie socialiste […] une organisation entraînant l’effort révolutionnaire du prolétariat dans l’intérêt de la bourgeoisie […]. »

Dans la version en allemand du document:

« […] die internationale Sozialdemokratie sich […] als eine Organisation erwies, die das Proletariat im Interesse der Bourgeoisie von der Revolution zurückhält. »

C’est-à-dire:

« […] avaient fait la social-démocratie internationale […] une organisation qui dans l’intérêt de la bourgeoisie retenait le prolétariat de la révolution. »

[8]. « détruisant les bases générales du capitalisme ».

Dans la version en allemand du document:

« der die Grundlagen der kapitalistischen Ordnung objektiv zerstört ».

C’est-à-dire:

« qui détruit objectivement les bases générales de l’ordre capitaliste ».

[9]. « propagande ».

Dans la version en allemand du document:

« Agitation ».

[10]. « grandes masses ouvrières ».

Dans la version en allemand du document:

« Volksmassen ».

C’est-à-dire:

« masses du peuple ».

[11]. « le prolétariat, exigeant le contrôle ouvrier, lutte pour l’organisation de l’industrie, pour la suppression de la spéculation et de la vie chère. »

Dans la version en allemand du document:

« das Proletariat, indem es die Parole der Arbeiterkontrolle über die Industrie ausgibt, für die Organisierung der Produktion, für die Beseitigung der Spekulation, der Desorganisierung und der Teuerung kämpft. »

C’est-à-dire:

« le prolétariat, émettant la parole du contrôle ouvrier sur l’industrie, lutte pour l’organisation de la production, pour la suppression de la spéculation, de la désorganisation et de la vie chère. »

[12]. « en leur qualité d’organisations accessibles à toutes les entreprises ouvrières »

Dans la version en allemand du document:

« die eine allen Arbeitern des Unternehmens zugängliche lose Organisation sind ».

C’est-à-dire:

« en leur qualité d’organisations lâches accessibles à tous les ouvriers de l’entreprise ».

[13]. « toutes les entreprises ouvrières ».

Dans la version en allemand du document:

« alle Arbeiter der Unternehmungen ».

C’est-à-dire:

« tous les ouvriers des entreprises ».

[14]. « se réduit aux efforts ».

Dans la version en allemand du document:

« besteht darin ».

C’est-à-dire:

« consiste en ».

[15]. « […] des Conseils industriels […]  ces organisations des masses se préparent […]. Ce sera en effet leur devoir de devenir la base socialiste de la nouvelle organisation de la vie économique. »

Dans la version en allemand du document:

« […] den Betriebsräten […] bereiten sie diese Massenorganisationen […] zu der Aufgabe eines Hauptelements der Neuorganisation des Wirtschaftslebens auf sozialistischer Basis, vor. »

C’est-à-dire:

« […] des conseils d’entreprise […] ils préparent ces organisations de masse […] à la tâche d’un élément principal de la nouvelle organisation de la vie économique sur une base socialiste. »

[16]. « […] en qualité de piliers de l’industrie […] les Conseils industriels ouvriers […] enseigneront […] leur devoir industriel, […] organiseront le contrôle technique des spécialistes […]. »

Dans la version en allemand du document:

« […] als Industrieverbände […] Betriebsräte […] mit ihren Produktionsaufgaben bekannt machen […] werden die technischen Spezialisten unter Kontrolle nehmen […]. »

C’est-à-dire:

« […] en qualité d’unions d’industrie […] les conseils d’entreprise […] leurs tâches de production […] prendront sous contrôle les spécialistes techniques […].« 

[17]. 3e congrès de l’IC, juillet 1921, Thèses sur la tactique. Cf. le texte .

[18]. 4e congrès de l’IC, décembre 1922, Résolution sur la tactique de l’IC. Cf. le texte .

[19]. Comité exécutif de l’IC, décembre 1921, Thèses sur l’unité du front prolétarien. Cf. le texte .

[20]. 4e congrès de l’IC, décembre 1922, Résolution sur la tactique de l’IC. Cf. le texte .

[21]. Dans le document pris comme source, on lit « le gouvernement ouvrier (éventuellement le gouvernement paysan) ». C’est manifestement une erreur d’impression, que nous avons rectifiée. Cf. la publication du texte en langue allemande: « die Arbeiterregierung (evtl. Arbeiter- und Bauernregierung)« .

[22]Allemagne, SPD, gouvernements de coalition.

En 1919, après la prise de fonction de Friedrich Ebert (SPD) comme président du Reich, Hermann Müller conjointement avec Otto Wels est élu comme président du SPD. En mars 1920, après la mise en échec du putsch Lüttwitz-Kapp, Müller devient chancelier du Reich à la tête d’un gouvernement de coalition incluant SPD, Parti démocratique allemand (Deutsche Demokratische Partei, DDP) et Parti du centre (Zentrumspartei, Zentrum); cependant les résultats des élections de juin 1920 conduisent à sa démission. Au Congrès du SPD de 1921 il obtient l’approbation d’une résolution qui autorise le parti à participer au niveau national de même que celui régional à des coalitions incluant le Parti populaire allemand (Deutsche Volkspartei, DVP). À partir de là, le SPD participe à certains gouvernements de coalition, sans en occuper le poste de chancelier.

[23]. Australie, Parti travailliste, 19041923.

À partir de 1904, le Parti travailliste australien (Australian Labor Party, ALP) dirige durant différentes périodes des gouvernements au niveau national. En 1915 il arrive à occuper une position dominante à la fois au niveau national que celui des états fédéraux. En octobre de cette année est constitué un gouvernement dirigé par William Hughes de l’ALP. Hughes reste en poste jusqu’en février 1923; cependant entretemps, en novembre 1916 il est exclu de l’ALP et forme le National Labor Party, transformé ensuite en Nationalist Party.

Le texte dit ici « Il y a déjà un gouvernement de ce genre en Australie », tandis que le texte en langue allemande dit « Eine solche gab es in Australien » (« il y avait »), ce qui est plus exact.

[24]. GrandeBretagne, élections 1918.

En GrandeBretagne, de mai 1915 à décembre 1918 se succèdent deux gouvernements dirigés par les libéraux en coalition avec les conservateurs et aussi des travaillistes (Labour Party). Aux élections de 1918, un grand nombre de dirigeants travaillistes perdent leurs mandats. David Lloyd George (libéral) forme un nouveau gouvernement de coalition, sans les travaillistes. En octobre 1922, Lloyd George démissionne. Aux élections consécutives de décembre, le Parti travailliste obtient 142 sièges et devient ainsi le deuxième groupe à la Chambre des Communes, derrière le Parti conservateur qui compte 347 sièges.

Aux élections de décembre 1923, le Parti travailliste obtient 191 sièges, le Parti conservateur 258, le Parti libéral 158. En janvier 1924 Ramsay MacDonald, président du Parti travailliste, est désigné comme Premier ministre d’un gouvernement minoritaire; mais en octobre le gouvernement est confronté à une motion de censure qui obtient une majorité de voix, il démissionne. Aux élections organisées ce même mois, les conservateurs obtiennent 412 sièges, les travaillistes 151.

[25]. Cf. note 22 .

[26]. 4e congrès de l’IC, décembre 1922, interventions de Grigori Zinoviev. Cf. le texte .

[27]. Comité exécutif de l’IC, juin 1923, rapport de Grigori Zinoviev. Cf. le texte .

[28]. Commission centrale du KPD, juin 1923, Heinrich Brandler. Cf. le texte .

8e Congrès du KPD, janvier 1923, Thèses relatives au front uni et au gouvernement ouvrier. Cf. le texte .

KPD de Thüringen: Programme pour la formation d’un gouvernement ouvrier et petit-paysan en Thüringen. Cf. le texte .

KPD de Sachsen: Programme pour la formation d’un gouvernement social-démocrate-communiste en Sachsen. Cf. le texte .

[29]. Au sujet de la tentative d’insurrection organisée en octobre 1923: cf. .

[30] 5e Congrès de l’IC, juin-juillet 1924, Grigori Zinoviev, rapport sur l’activité du Comité exécutif. Cf. le texte .

[31]. V. Lénine: Au sujet des compromis
Oeuvres, tome 25; Paris, Éditions Sociales, 1957; p. 333.

[32]5e Congrès de l’IC, juin-juillet 1924, Résolution sur la tactique communiste. Cf. le texte .

[33]. 5e congrès IC, juin-juillet 1924, August Thalheimer, Projet de programme au nom du KPD. Cf. le texte .

[34]. 6e Congrès de l’IC, juillet‑septembre 1928, Programme de l’IC. Cf. le texte .

[35]. 3e congrès de l’IC, juillet 1921, Thèses sur la tactique. Cf. le texte .

[36]. 4e congrès, novembre-décembre 1922, Nikolaï Boukharine. Cf. .

[37]. 4e congrès, novembre-décembre 1922, August Thalheimer. Cf. .

[38]4e congrès, novembre-décembre 1922, Résolution sur la question du programme de l’IC. Cf. le texte .

[39]. 5e congrès IC, juin-juillet 1924, August Thalheimer, Projet de programme au nom du KPD. Cf. le texte .

[40]. Bureau politique du Comité central du KPD: Le « Programme d’action » de Brandler (Réponse), janvier 1928. Cf. le texte .

[41]. 11e congrès du KPD, mars 1927, Thèses relatives à la situation politique et aux tâches du KPD. Cf. le texte (en allemand) .

Im Moment des Vorhandenseins einer unmittelbar revolutionären Situation entsteht für die Partei die Aufgabe, die Massen zum direkten Sturm auf den bürgerlichen Staat zu führen. Die Arbeiterklasse muß der Bourgeoisie im offenen Kampf die Macht entreißen und selbst die gesamte Staatsmacht in ihre Hände nehmen. Sie muß die Arbeiter-und Bauern-Regierung, die Rätemacht, die Diktatur des Proletariats aufrichten.

C’est-à-dire:

Au moment de l’existence d’une situation immédiatement révolutionnaire, se pose au parti la tâche de conduire les masses à l’attaque directe contre l’État bourgeois. La classe ouvrière doit arracher le pouvoir à la bourgeoisie dans une lutte ouverte et prendre elle-même tout le pouvoir d’État entre ses mains. Elle doit établir le gouvernement ouvrier et paysan, le pouvoir des conseils, la dictature du prolétariat.

[42]. G. Brandler: Contribution à un programme d’action pour l’Allemagne. Cf. le texte .

[43]. Preussag.

En octobre 1923 est publiée la loi créant la Société prussienne par actions de mines et de haut-fourneaux (Preußische Bergwerks- und Hütten-Aktiengesellschaft, Preussag) qui transforme les entreprises minières de l’État de Prusse en société par actions. Preussag gère les mines et les forges de l’État prussien en Basse-Saxe, en Sarre et en Haute-Silésie; l’État reste propriétaire du capital. Après la Deuxième guerre mondiale, la société déménage son siège à Hannover. Elle passe au secteur privé en 1959 et par la suite diversifie ses activités qui vont du pétrole au bain de bouche. Dans les années 1980 elle se sépare de l’exploitation minière. Depuis 1994, Preussag s’est transformé en groupe de tourisme TUI au moyen d’acquisitions ciblées.

[44]Friedrich Engels, Die Kommunisten und Karl Heinzen, Deutsche-Brüsseler-Zeitung, Nr. 79, 3 octobre 1847;
Werke, Band 4, Dietz Verlag Berlin, 1977;
p. 309 (ici p. 313):

Alle Maßregeln zur Beschränkung der Konkurrenz, der Anhäufung großer Kapitalien in den Händen einzelner, alle Beschränkung oder Aufhebung des Erbrechts, alle Organisation der Arbeit von Staats wegen etc., alle diese Maßregeln sind als revolutionäre Maßregeln nicht nur möglich, sondern sogar nötig. Sie sind möglich, weil das ganze insurgierte Proletariat hinter ihnen steht und sie mit bewaffneter Hand aufrechterhält. Sie sind möglich, trotz aller von den Ökonomen gegen sie geltend gemachten Schwierigkeiten und Übelstände, weil eben diese Schwierigkeiten und Übelstände das Proletariat zwingen werden, immer weiter und weiter zu gehen bis zur gänzlichen Aufhebung des Privateigentums, um nicht auch das wieder zu verlieren, was es schon gewonnen hat. Sie sind möglich als Vorbereitungen, vorübergehende Zwischenstufen für die Abschaffung des Privateigentums, aber auch nicht anders.

[45]. Bureau politique du Comité central du KPD: Le « Programme d’action » de Brandler (Réponse). Cf. le texte .

[46]. La citation extraite de la résolution est ici traduite à partir de la version en allemande du texte du Bureau politique. Pour un extrait correspondant de la résolution elle-même, cf. plus haut .

[47]. 11e congrès du KPD, mars 1927, Thèses relatives à la situation politique et aux tâches du KPD. Cf. le texte (en allemand) .

[48]. Cf. le texte .