Importante tâche des communistes
Élever le niveau de conscience de la classe

LA VOIX DES COMMUNISTES, no 12, avril 2015 – p. 16-19

Dans la VDC No 10 un premier article avait abordé les difficultés du mouvement ouvrier et les tâches que la situation de la classe impose aux communistes[1]. Nous avons essayé de montrer la réalité de l’état de la classe sur le plan organisationnel, sur la lutte politique et économique et leur interaction et donc sur le niveau actuel de conscience de classe. Dans cet article nous continuerons à approfondir le sujet en cherchant comment – en partant de leur situation actuelle – entrainer les prolétaires à prendre conscience d’appartenir à une classe pour elle-même, poursuivant ses objectifs politiques propres, indépendants de ceux de la classe dominante et des différentes couches petites et moyennes de la bourgeoisie.

On ne peut pas rester simplement sur le constat de la domination de l’idéologie de la bourgeoisie qui empêche la classe de s’organiser pour lutter pour ses propres intérêts. Il faut comprendre pourquoi il en est ainsi pour envisager ce qu’il est possible de faire pour transformer cette réalité. Le rapport entre la nécessité, ici la situation concrète de la classe et la liberté de transformer cette réalité, Lénine l’exprime ainsi, en reprenant Engels : "Hegel a été le premier à représenter exactement le rapport de la liberté et de la nécessité. Pour lui, la liberté est l’intellection de la nécessité" – "La nécessité n’est aveugle que dans la mesure où elle n’est pas comprise" – "La liberté n’est pas dans une indépendance rêvée à l’égard des lois de la nature, mais dans la connaissance de ces lois et dans la possibilité donnée par là même de les mettre en oeuvre méthodiquement pour des fins déterminées." (Lénine, La théorie de la connaissance de l’empiriocriticisme et du matérialisme dialectique, chapitre III, point 6: Liberté et nécessité[2].)

L’incompréhension de ce rapport dans la lutte des classes, entre l’état de la classe et sa conscience, a fortement déterminé la nature souvent volontariste, subjectiviste de notre travail vers et dans la classe. La société n’est pas statique, elle est en constante transformation et le rapport de forces entre classes aussi.

En permanence de nouveaux éléments rejoignent les rangs du prolétariat. La classe qui domine et qui l’exploite est minoritaire dans la société et diminue relativement toujours plus par rapport aux travailleurs. Mais sa force et son pouvoir elle le tient de son degré élevé d’organisation (État, police, syndicats, multinationales, armée, médias…) Qu’est-ce qui empêche le prolétariat d’en faire de même, de s’arracher à la soumission au capital et de s’engager sur une voie révolutionnaire?

Dans ce domaine on pourrait écrire plusieurs articles ou même des livres, mais on serait toujours loin de répondre à la vrai question : tant que les communistes n’arriveront pas à organiser la fraction la plus consciente du prolétariat, toutes nos thèses et analyses attendrons d’être vérifiées. Ici il faut reprendre ce que nous avons dit dans de précédents articles. Cette tâche d’organisation n’a pu, en France, être menée à bien après des décennies de lutte des marxistes léninistes. Il en est de même au niveau international, la crise du mouvement communiste ne pourra être surmontée qu’à partir du travail au sein de classe ouvrière.

Ce travail, le ROCML en toute humilité, conscient de ses faibles forces s’est donné pour tâche de l’entreprendre.

Il faut d’abord comprendre que la classe ouvrière n’a jamais été une classe monolithique. N’avoir pas pris en compte cette réalité a conduit les marxistes à des incompréhensions et des positionnements étrangers au marxisme. La classe n’est pas statique, elle est vivante. Ainsi aux côtés du prolétaire de longue date elle accueille des éléments expulsés des couches et classes moyennes (petits bourgeois, paysans…) par la soumission toujours croissante de la société aux lois du capital.

Comme l’explique Lénine, le paysan pauvre, devenu rivé à l’usine par le capital, rêve longtemps de "retourner à son village, et exploiter un petit bout de terre". Aujourd’hui ce processus continue. Un travailleur immigré qui arrive en France appartient souvent à une couche sociale non prolétaire et il rêve de réussir à s’élever au-dessus de sa condition. Mais en France il devient un prolétaire dans la grande majorité des cas. La conscience de cette couche immigrée est très loin de la conscience de classe prolétarienne. Sa volonté de s’en sortir individuellement (reflet de la forme principale de domination d’idéologie bourgeoise) entre en contradiction avec sa nouvelle condition qui l’oblige à se soumettre aux règles du système capitaliste. Il est mis en concurrence permanente avec les autres salariés. Ainsi quand un étudiant diplômé bac+5 et plus, travaille temporairement comme serveur, vendeur, cela peut avoir deux effets contradictoires : créer une instabilité au sein de la classe en caressant le rêve d’échapper à sa condition de prolétaire, mais sa formation intellectuelle à analyser une situation peut jouer un rôle positif pour la lutte. Devant cette réalité seule une véritable organisation prolétarienne peut permettre à la classe de surmonter les difficultés mais aussi d’exploiter ce qui est potentiellement porteur de renforcement de la conscience de classe. Quand elle n’existe pas la classe ouvrière n’a aucune conscience de son existence et donc de sa force économique et politique.

La classe ouvrière n’existe en tant que classe pour soi dans la société que dans son mouvement pour ses revendications politiques et sociales entrainée dans ce mouvement par son organisation communiste. Nous avons déjà abordé ce problème dans les numéros précédents de notre journal. Seule la conscience de classe permet de dépasser l’échelon local, branche, usine, chantier… et toutes sortes de corporatismes. Elle ne peut naitre spontanément, aussi nous allons essayer d’abord de comprendre les conditions objectives qui s’opposent au développement de la conscience de classe.

La plus importante c’est cette division objective qu’est la division du travail dans la société capitaliste, division qui s’impose aux travailleurs et les met en concurrence les uns avec les autres. Elle détruit la confiance en soi, elle détruit la confiance envers les autres. Dans une lutte pour des revendications économiques dans une entreprise, on est très loin de toute lutte politique mais il faut déjà avoir obtenu un minimum d’unité chez les travailleurs. À chaque lutte correspond un niveau conscience donné sur les buts visés et sur l’organisation et la forme de la lutte. Sans une prise de conscience de classe même embryonnaire toute lutte même la plus simple ne peut être menée.

L’évolution de la division du travail capitaliste, la forme qu’elle prend aujourd’hui de par sa généralisation au monde entier, impose à la classe ouvrière de modifier elle aussi ses formes et mode d’organisation. Mais l’inertie est grande. La prise de conscience et l’analyse théorique nécessaire pour répondre à ces nouveaux défis sont toujours en retard par rapport à la réalité. Aujourd’hui travailler dans la classe impose aux communistes de réaliser ce travail théorique. Sans entreprendre cette tâche, ni l’unité de la classe ni le parti politique ne sauraient être obtenus.

Dans cette situation on peut comprendre la difficulté pour les travailleurs de mener toute lutte de classe victorieusement. Les centrales syndicales sont sous influence politique et idéologique de la bourgeoisie et soumettent la classe ouvrière à la domination de la bourgeoisie et à la réalisation de la politique du patronat et de son gouvernement.

L’expérience du mouvement ouvrier et communiste du 20e siècle est pour nous communistes une grande aide pour comprendre et agir aujourd’hui.

« Les organisations ouvrières pour la lutte économique doivent être des organisations professionnelles. Tout ouvrier social-démocrate doit, autant que possible, soutenir ces organisations et y travailler activement. […] Laissons participer à l’union tout ouvrier qui comprend la nécessité de s’unir pour lutter contre le patronat et le gouvernement. Le but même des unions corporatives ne saurait être atteint si elles ne groupaient pas tous ceux à qui est accessible au moins ce degré élémentaire de compréhension et si ces unions corporatives n’étaient pas des organisations très larges. Et plus larges seront ces organisations, plus large aussi sera notre influence sur elles, influence exercée non seulement par le développement “spontané” de la lutte économique mais aussi par l’action directe et consciente des membres socialistes de l’Union sur leurs camarades. »

(Lénine, Que faire?, chapitre VI, point c : L’organisation des ouvriers et l’organisation des révolutionnaires.)

Que pouvons-nous retenir aujourd’hui de ces recommandations :

– Que les organisations économiques, corporatives (ou professionnelles) des prolétaires doivent être les plus larges possible.

– Que tous les ouvriers communistes doivent travailler au sein de ces organisations.

– "Et plus larges seront ces organisations, plus large aussi sera notre influence sur elles."

La tentation de créer en dehors des syndicats une organisation à caractère syndical « de lutte de classe » censé regrouper les syndicalistes de lutte de classe est vouée à l’échec et ne fait que détourner l’énergie des communistes qui doivent s’investir dans les syndicats, à la fois pour mener la lutte quotidienne et contre les attaques du gouvernement et créer ainsi une zone d’influence pour leur activité politique.

Cette influence sur la classe le communiste s’appuie « non seulement par le développement "spontané" de la lutte économique », mais aussi par son « action consciente et directe » vers les membres du syndicat (cf. Lénine cité plus haut).

Mais cette activité ne peut être capitalisée, transmise, consolidée que par l’organisation communiste. Sinon les fruits de l’activité d’un communiste isolé sont perdus pour la classe.

Pourquoi? Car une organisation professionnelle ou corporative est toujours menacée de disparition ou d’éclatement (fermeture d’usine ou réorganisation en plusieurs entités etc.) par la réorganisation économique, par une nouvelle division du travail. La bourgeoisie se sert souvent de ce levier pour briser l’unité de la classe. Seule l’organisation communiste peut assurer une continuité et persister à promouvoir et organiser le travail syndical et politique. C’est ce que l’histoire du mouvement ouvrier nous montre. Ce sont les communistes organisés dans le Parti qui ont, quelles que soient les circonstances, combattu pour l’unité politique de la classe et pour l’unité syndicale. Mais la bourgeoisie a une longue expérience du pouvoir et elle aussi a su tirer des leçons de l’histoire à son avantage.

Diviser pour mieux régner, c’est pourquoi elle favorise le développement de tout ce qui peut diviser la classe ouvrière et tous les travailleurs : le chauvinisme, le nationalisme, le régionalisme, les guerres de religion, l’âge (vieux-jeune), sexe (femme-homme), immigrés-travailleurs nationaux, etc. Mais le capital, lui, n’a pas de patrie, n’a pas de pays, n’a pas de nation, n’a pas de religion. Il va là où il y a du profit à réaliser. Où est le patriotisme de ces bourgeois grands "patriotes" qui s’expatrient pour ne pas payer des impôts!

Aucune morale ne peut s’opposer à l’exploitation de l’homme par l’homme. La destruction, l’asservissement d’un pays n’a jamais pour but de défendre les intérêts du prolétariat. Aujourd’hui la sale guerre que mène Israël contre le peuple palestinien n’enrichit pas les travailleurs israéliens, au contraire. C’est la bourgeoisie sioniste et l’impérialisme qui tirent profit de cette guerre. Il en est de même pour toutes les guerres impérialistes menées par la France. Les conséquences de l’évolution de la division du travail dans l’économie capitaliste engagée dans les années 1975-80 n’ont pas été sans conséquences sur l’organisation et la lutte de la classe. À partir de 1980 la destruction massive de la grande industrie ou sa délocalisation, la flexibilité et la mobilité de l’emploi ont eu pour conséquence la destruction des grandes concentrations industrielles en France et fait disparaitre ou réduit la taille et la force des organisations ouvrières traditionnelles.

Cette évolution de la division du travail a nourri l’illusion que les conflits de classe relevaient du passé et étaient remplacés par le conflit entre régions au niveau mondial. La réaction du « petit patronat » sous-traitant des grands monopoles victime aussi de cette transformation a trouvé le mouvement des "bonnets rouges" en Bretagne pour s’exprimer. Le capital a continué à s’investir là où du profit peut être réalisé. Le capital n’est pas sentimental et patriotique! Et ce n’est pas une question de volonté pour le capitaliste, c’est une question de survie. Il ne peut faire autrement. Aucune solution comme la ré-industrialisation prônée par des dirigeants politiques et syndicaux ne peut le sortir de ses difficultés. Le capitalisme devient une force de plus en plus destructive. Il ne peut y avoir de solution dans le cadre de ce système.

Notre première cible doit être l’idéologie bourgeoisie et les formes qu’elle prend dans la classe. Le réformisme en est une, il empêche objectivement le développement de mouvement ouvriers on doit être notre cible. Il faut savoir déterminer sur le lieu de travail quel est l’obstacle qui empêche les travailleurs de s’organiser pour la lutte collective. En France, aujourd’hui 86 % des salariés travaillent dans des entreprises de moins de 10 personnes. Parfois il n’existe même pas de syndicat d’entreprise, donc avant toute chose il nous appartient d’en créer un. Une fois le syndicat créé, se pose le problème de quelle politique syndicale doit-on mener. Devant les difficultés, il est facile alors de tomber dans le travers de la critique systématique des réformistes, des dirigeants corrompus, de la bureaucratie syndicale et de penser que la classe se réveillera toute seule et se débarrassera des éléments corrompus.

Mais sans mobiliser, organiser l’unité des travailleurs pour l’action cela n’arrivera jamais. Sans mobilisation des travailleurs, la conscience de classe ne développera pas. Ce n’est pas le mode ou le type d’action qui détermine le succès ou non d’un mouvement et la prise de conscience. Mais comme depuis des décennies un Parti communiste, enraciné dans la classe n’existe pas, les communistes doivent tout reprendre à zéro sur les plans idéologique, politique, organisationnel et dans la pratique quotidienne. C’est pour cette raison que nous nous trouvons dans la première phase d’un processus de construction du Parti qui correspond essentiellement à rallier les éléments les plus conscients de la classe ouvrière.

Le réformiste se retranche souvent derrière cette constatation évident pour tous qu’« aujourd’hui il n’existe pas de situation révolutionnaire ». Mais cela ne nous nous dispense pas de mener une propagande révolutionnaire, de mener la lutte avec des tactiques à caractère révolutionnaire. La tactique révolutionnaire ne consiste pas simplement à brandir le drapeau rouge à prôner constamment la révolution. Quelle tactique peut unir les éléments combattifs de la classe. Quelle tactique pour mener une grève, une occupation, une rencontre nationale des travailleurs en lutte, etc. Comment agir avec nos forces limitées par rapport à l’ampleur du travail à réaliser. L’aiguisement des contradictions de la société capitaliste, les crises et la guerre qui ravage la vie quotidienne, l’impasse de la société capitaliste sont des conditions favorables à notre lutte. On peut trouver mille moyens pour mener la lutte quotidienne, l’organiser et obtenir des succès même les plus simples. Les possibilités existent pour mener la lutte de la classe ouvrière dans une perspective communiste contre le capitalisme qui ne peut répondre aux besoins du prolétariat et de tous les travailleurs.

Si la situation n’est pas aujourd’hui révolutionnaire, la classe ouvrière est la seule classe qui peut révolutionner la société et pour ce faire elle a besoin de sa propre organisation prolétarienne révolutionnaire. Voilà la tâche principale des communistes. Aujourd’hui tout militant qui se dit communiste doit s’engager dans la construction cette organisation. Les communistes qui doutent de cette nécessité ou la rejettent à des temps plus propices en retardent de fait la réalisation. Car seul le travail collectif organisé peut élever les capacités individuelles de chacun pour le profit de tous.



[1]. "Le mouvement ouvrier et ses difficultés – Le rôle des communistes", La Voix des Communistes, no 10, avril 2014, p. 6-9.

https://rocml.org/vdc-no-10-2014-04-p-06-09/

[2]. Les passages sont repris de l’ouvrage d’Engels intitulé "Mr. E. Dühring bouleverse la science", section Philosophie, chapitre XI: La morale et le Droit. Liberté et nécessité.