J. Staline
Textes au sujet de la situation en Ukraine
(1917-1918)

Réponse aux camarades ukrainiens
de l’arrière et du front

Depuis le jour où se sont tendues les relations avec la Rada d’Ukraine, je reçois de camarades ukrainiens une foule de réso.lutions et de lettres relatives à ce conflit. J’estime impossible et inutile de répondre séparément à chacun de ces textes qui se répètent presque toujours. J’ai donc décidé de choisir les questions le plus fréquemment soulevées et d’y répondre avec une précision qui dissipé tous les doutes. Tout le monde connaît ces questions

1° Comment le conflit a‑t‑il surgi?

2° Sur quels points porte‑t‑il?

3° Quelles mesures sont nécessaires pour le régler d’une manière pacifique?

4° Se peut‑il que l’on verse le sang de peuples frères?

On exprime ensuite la certitude générale que le conflit entre les deux peuples frères sera réglé pacifiquement, sans effusion de sang.

Tout d’abord, il convient de signaler une certaine confusion d’idées chez les camarades ukrainiens. Ils représentent parfois le conflit avec la Rada comme un conflit entre les peuples russe et ukrainien. Mais cela est faux. Entre les peuples russe et ukrainien, il n’y a pas et il ne peut y avoir de conflit. Les peuples russe et ukrainien, comme les autres peuples de Russie, sont formés d’ouvriers et de paysans, de soldats et de matelots. Tous ensemble, ils ont lutté contre le tsarisme et contre le régime Kérenski, contre les grands propriétaires fonciers et les capitalistes, contre la guerre et l’impérialisme. Tous ensemble, ils ont versé leur sang pour la terre et la paix, pour la liberté et le socialisme. Dans la lutte contre les propriétaires fonciers et les capitalistes, ils sont tous frères et camarades. Dans la lutte pour leurs intérêts vitaux, il n’y a pas et il ne peut y avoir de conflit entre eux. Certes, les ennemis des travailleurs ont intérêt à présenter le conflit avec la Rada comme un conflit entre les peuples russe et ukrainien : ils peuvent ainsi beaucoup plus facilement dresser les uns contre les autres les ouvriers et les paysans des peuples frères, à la grande joie des oppresseurs de ces peuples. Mais les ouvriers et les paysans conscients ont-ils peine à comprendre que ce qui est avantageux aux oppresseurs des peuples, est nuisible aux peuples eux-mêmes?

Le conflit ne s’est pas élevé entre les peuples de Russie et d’Ukraine, mais entre le Conseil des commissaires du peuple et le Secrétariat général de la Rada.

À quel propos a‑t‑il surgi?

On dit que ce fut à propos du centralisme et du droit de libre disposition, on dit que le Conseil des commissaires du peuple ne permet pas au peuple ukrainien de prendre en main le pouvoir et de décider librement de son sort. Est‑ce exact ? Non, cela est faux. Le Conseil des commissaires du peuple travaille précisément à faire en sorte que tout le pouvoir en Ukraine appartienne au peuple ukrainien, c’est‑à‑dire aux ouvriers et soldats, aux paysans et matelots ukrainiens. Le pouvoir soviétique, c’est‑à‑dire le pouvoir des ouvriers et des paysans, des soldats et des matelots, sans propriétaires fonciers et capitalistes, tel est justement le pouvoir populaire, pour lequel lutte le Conseil des commissaires du peuple. Le Secrétariat général, lui, n’en veut pas : il n’entend pas se passer des propriétaires fonciers et des capitalistes. C’est en cela, et non dans la question du centralisme, que réside tout le problème.

Le Conseil des commissaires du peuple a toujours défendu et continue à défendre le point de vue de la libre disposition. Il n’est pas opposé même à ce que le peuple ukrainien constitue un État indépendant. Il l’a déclaré officiellement à plusieurs reprises. Mais quand on confond la libre disposition du peuple avec l’absolutisme de Kalédine, quand le Secrétariat général de la Rada s’efforce de présenter les excès contre-révolutionnaires des généraux cosaques comme l’expression du droit de libre disposition du peuple, le Conseil des commissaires du peuple est obligé de constater que le Secrétariat général joue à la libre disposition pour camoufler son alliance avec Kalédine et Rodzianko. Nous sommes pour le droit des peuples à disposer d’eux‑mêmes; mais nous nous opposons à ce qu’on fasse passer en contrebande, sous le drapeau de la libre disposition, l’absolutisme de Kalédine, qui, hier encore, préconisait l’étranglement de la Finlande.

On dit que le conflit a surgi à propos de la République d’Ukraine, que le Conseil des commissaires du peuple ne la reconnaît pas. Est‑ce exact? Non, cela est faux. Le Conseil des commissaires du peuple a officiellement reconnu la République d’Ukraine dans l’"ultimatum" et la "réponse" à l’état‑major ukrainien de Pétrograd. Il est prêt à reconnaître la république de n’importe quelle région nationale de Russie, si la population laborieuse de cette région le désire. Il est prêt à reconnaître l’organisation fédérative de la vie politique de notre pays, si la population laborieuse des régions de Russie le désire. Mais quand on confond la république populaire avec la dictature militaire de Kalédine, quand le Secrétariat général de la Rada tente de présenter les monarchistes Kalédine et Rodzianko comme des piliers de la république, le Conseil des commissaires du peuple est obligé de dire que le Secrétariat général joue à la république pour camoufler ainsi sa dépendance totale aux gros richards monarchistes. Nous sommes pour la République d’Ukraine, mais nous ne voulons pas qu’on cache derrière le drapeau de la république les ennemis jurés du peuple, les monarchistes Kalédine et Rodzianko, qui, hier encore, préconisaient la restauration de l’ancien régime et la peine de mort pour les soldats.

Non, le centralisme et le droit de libre disposition n’ont rien à faire dans le conflit avec la Rada. Ce n’est pas sur ces problèmes que le litige a surgi. Le centralisme et le droit de libre disposition ont été artificiellement mêlés à la question par le Secrétariat général qui recourt à ce subterfuge stratégique pour cacher aux masses ukrainiennes les causes véritables du conflit.

Le conflit n’a pas surgi à propos du centralisme et du droit de libre disposition, mais au sujet des trois questions concrètes que voici.

Première question. ‑ Le conflit a commencé à propos des ordres donnés aux troupes du front par Petlioura, membre du Secrétariat général, ordres qui risquaient d’entraîner une désorganisation totale du front. Sans tenir compte du Grand Quartier général ni des intérêts du front, sans tenir compte des pourparlers de paix et de la paix en général, Petlioura, par ses ordres, rappelait en Ukraine toutes les unités ukrainiennes de l’armée et de la marine. Il est facile de comprendre que le front se serait effondré en un clin d’oeil, si ces unités lui avaient obéi : les unités ukrainiennes du Nord auraient fait mouvement vers le Sud, et les unités non ukrainiennes du Sud se seraient mises en route en direction du Nord; les autres nationalités seraient également parties "chacune de leur côté", les chemins de fer auraient été entièrement occupés à transporter les troupes et l’équipement, les vivres auraient cessé d’arriver sur le front, faute de moyens de transport, et il ne serait resté du front qu’un souvenir. Tout cela aurait radicalement compromis l’armistice et la paix. Il va sans dire qu’en temps ordinaire la place d’un soldat ukrainien est tout d’abord chez lui, en Ukraine. Il va sans dire que la "nationalisation" de l’armée est une mesure acceptable et souhaitable. Le Conseil des commissaires du peuple l’a déclaré officiellement à plusieurs reprises. Mais dans les conditions de la guerre, quand la question de la paix n’est pas encore réglée et que le front n’est pas formé d’après le principe des nationalités; quand, par suite de la faiblesse de nos transports, la "nationalisation" immédiate de l’armée risquerait d’entraîner le départ des soldats et l’effondrement du front, de compromettre la paix et l’armistice, il va sans dire que dans ces conditions, il ne pouvait être question d’un départ immédiat des unités nationales. J’ignore si Petlioura se rendait compte que par ses ordres insensés, il démolissait le front et compromettait la paix. Mais les soldats et les matelots ukrainiens l’ont compris immédiatement à de rares exceptions près, ils ont tous refusé de lui obéir et sont demeurés à leurs postes jusqu’à la conclusion de la paix. Ce faisant, les combattants ukrainiens ont sauvé la paix; quant aux ordres inconsidérés de Petlioura, cette question a perdu pour le moment son acuité exceptionnelle.

Deuxième question. ‑ Le conflit surgi à propos des ordres de Petlioura a été aggravé par la politique du Secrétariat général de la Rada, quand il a commencé à désarmer les Soviets des députés d’Ukraine. À Kiev, des détachements du Secrétariat général ont attaqué de nuit les troupes soviétiques et les ont désarmées. Des tentatives analogues ont eu lieu à Odessa et à Kharkov, mais sans succès, à cause de la résistance rencontrée. Mais nous savons de source sûre que le Secrétariat général concentre des troupes contre Odessa et Kharkov, afin de désarmer les troupes soviétiques. Nous savons de source sûre que dans toute une série de villes de moindre importance, les troupes soviétiques ont déjà été désarmées et "renvoyées dans leurs foyers". Ainsi le Secrétariat général de la Rada s’est assigné le but d’exécuter le programme de Kornilov et de Kalédine, d’Alexéïev et de Rodzianko, qui voulaient désarmer les Soviets. Mais les Soviets sont le rempart et l’espoir de la révolution. Quiconque les désarme, désarme la révolution, ruine la cause de la paix et de la liberté, trahit la cause des ouvriers et des paysans. Les Soviets ont sauvé la Russie du joug de Kornilov; ils l’ont sauvée de la honte du régime Kérenski; ils ont conquis pour ses peuples la terre et l’armistice. Les Soviets, et eux seuls, sont capables de conduire la révolution populaire jusqu’à la victoire totale. C’est pourquoi quiconque porte la main sur eux aide les grands propriétaires fonciers et les capitalistes à étrangler les ouvriers et les paysans de toute la Russie, aide les Kalédine et les Alexéïev à consolider leur pouvoir "de fer" sur les soldats et les cosaques.

Qu’on ne vienne pas nous dire qu’il y a des socialistes au Secrétariat général et qu’ils ne peuvent donc trahir la cause du peuple. Kérenski se dit socialiste; il n’en a pas moins conduit des troupes contre le Pétrograd révolutionnaire. Gotz se dit socialiste; il n’en a pas moins soulevé les élèves des écoles militaires et les officiers contre les soldats et les matelots de Pétrograd. Savinkov et Avksentiev se disent socialistes; ils n’en ont pas moins promulgué la peine de mort pour les soldats du front. Il faut juger les socialistes non sur leurs paroles, mais sur leurs actes. Le Secrétariat général désorganise et désarme les Soviets d’Ukraine, il aide ainsi Kalédine à établir son régime sanglant sur le Don et dans le bassin houiller : c’est un fait qu’aucun drapeau socialiste ne saurait camoufler. Voilà pourquoi le Conseil des commissaires du peuple affirme que la politique du Secrétariat général est une politique contre-révolutionnaire. Voilà pourquoi le Conseil des commissaires du peuple espère que les ouvriers et les soldats ukrainiens qui, en Russie, ont lutté aux premiers rangs pour le pouvoir révolutionnaire des Soviets, sauront rappeler à l’ordre leur Secrétariat général, ou en élire un autre, dans l’intérêt de la paix entre les peuples.

On parle d’"échange" d’unités militaires entre l’Ukraine et la Russie, de délimitation, etc. Le Conseil des commissaires du peuple comprend parfaitement la nécessité d’une délimitation. Mais elle doit se faire fraternellement, à l’amiable, d’un commun accord, et non pas être imposée par la force, d’après le "principe" : "attrape autant que tu peux", "désarme tous ceux que tu peux", comme le fait en ce moment le Secrétariat général, qui s’empare des vivres et des équipements, vouant ainsi l’armée à la faim et au froid.

Troisième question. ‑ Le conflit a atteint son point culminant quand le Secrétariat général a refusé net de laisser passer les troupes révolutionnaires des Soviets, qui marchaient contre Kalédine. Des détachements du Secrétariat général arrêtent les convois de troupes révolutionnaires, déboulonnent les rails, menacent de faire usage des armes, en déclarant qu’ils ne peuvent laisser passer sur leur territoire des troupes "étrangères". Ce sont les soldats russes qui, hier encore, luttaient coude à coude avec les Ukrainiens contre les généraux-pendeurs qui voulaient écraser l’Ukraine, ce sont eux qu’on traite maintenant d’"étrangers"! Et cela au moment où ce même Secrétariat général laisse passer librement par son territoire, à Rostov, les unités cosaques de Kalédine et les officiers contre-révolutionnaires, qui, de tout côté, rejoignent Kalédine!

À Rostov, les hommes de Kornilov et de Kalédine massacrent les gardes rouges, et le Secrétariat général de la Rada nous empêche d’aider nos camarades de cette ville! Les officiers de Kalédine fusillent nos camarades dans les mines, et le Secrétariat général nous empêche de porter secours à nos camarades mineurs! Peut‑on s’étonner que Kalédine, hier encore battu, avance aujourd’hui vers le Nord, s’empare du bassin du Donetz et menace Tsaritsyne? N’est‑il pas clair que le Secrétariat général est l’allié de Kalédine et de Rodzianko? N’est‑il pas clair que le Secrétariat général préfère l’alliance avec les partisans de Kornilov à l’alliance avec le Conseil des commissaires du peuple?

On parle de la nécessité d’un accord entre le Conseil des commissaires du peuple et le Secrétariat général de la Rada. Mais est‑il difficile de comprendre qu’un accord avec le Secrétariat général actuel serait un accord avec Kalédine et Rodzianko? Est-il difficile de comprendre que le Conseil des commissaires du peuple ne peut accepter ce suicide? Nous n’avons pas commencé la révolution contre les propriétaires fonciers et les capitalistes pour la terminer par une alliance avec des pendeurs comme Kalédine. Ce n’est pas pour se rendre à la merci des Alexéïev et des Rodzianko que les ouvriers et les soldats ont versé leur sang.

De deux choses l’une :

ou bien la Rada rompra avec Kalédine, tendra la main aux Soviets et laissera passer les troupes révolutionnaires qui vont attaquer le nid contre-révolutionnaire du Don, ‑ et alors les ouvriers et les soldats d’Ukraine et de Russie cimenteront leur alliance révolutionnaire par un regain de fraternisation;

ou bien la Rada ne voudra pas rompre avec Kalédine, ne laissera pas passer les troupes révolutionnaires, ‑ et alors le Secrétariat général aura réussi à faire ce que les ennemis du peuple avaient tenté en vain, c’est‑à‑dire faire couler le sang de deux peuples frères.

Il dépend de la conscience et de l’esprit révolutionnaire des ouvriers et des soldats ukrainiens qu’ils rappellent à l’ordre leur Secrétariat général, ou qu’ils en élisent un autre, pour que ce dangereux conflit se règle d’une façon pacifique.

Il dépend de la fermeté et de l’esprit de résolution des ouvriers et des soldats ukrainiens qu’ils obligent le Secrétariat général à se prononcer explicitement sur l’alliance dont il est maintenant partisan : Kalédine et Rodzianko contre la révolution, ou bien avec le Conseil des commissaires du peuple pour combattre la contre-révolution des cadets et des généraux.

La solution pacifique du conflit repose entre les mains du peuple ukrainien.

 

J. Staline,
Commissaire du peuple,
12 décembre 1917.

Pravda [La Vérité], n° 213,
13 décembre 1917


 

À propos de la Rada d’Ukraine
(Discours prononcé à la séance du Comité exécutif central
des Soviets de Russie, le 14 décembre 1917)

On peut trouver étrange que le Conseil des commissaires du peuple, qui a toujours défendu résolument le principe de libre disposition, soit entré en conflit avec la Rada, qui se réclame de ce principe, elle aussi. Pour comprendre l’origine du conflit, il est nécessaire d’examiner la physionomie politique de la Rada.

La Rada invoque le principe du partage du pouvoir entre la bourgeoisie, d’une part, le prolétariat et la paysannerie, de l’autre, tandis que les Soviets se prononcent contre un tel partage et remettent tout le pouvoir au peuple, sans la bourgeoisie. Voilà pourquoi la Rada oppose au mot d’ordre "Tout le pouvoir aux Soviets" (c’est-à-dire au peuple) son mot d’ordre "Tout le pouvoir aux autorités locales de la ville et de la campagne" (c’est-à-dire au peuple et à la bourgeoisie).

On dit que la question de libre disposition est à l’origine du conflit. Mais cela est faux. La Rada propose d’instituer en Russie un système fédéral. Le Conseil des commissaires du peuple, lui, va plus loin qu’elle, puisqu’il ne recule pas devant le droit à la séparation. Par conséquent, le différend ne porte pas sur cette question. L’affirmation de la Rada selon laquelle le centralisme serait la source du désaccord, est, elle aussi, absolument fausse. Les centres régionaux constitués sur le modèle des Conseils des commissaires du peuple (Sibérie, Biélorussie, Turkestan) ont demandé des directives au Conseil des commissaires du peuple. Celui-ci a répondu : vous êtes vous-mêmes le pouvoir local, à vous d’élaborer des directives. Par conséquent, ce n’est pas là-dessus que le différend porte. En réalité, le désaccord entre le Conseil des commissaires du peuple et la Rada s’est élevé à propos des trois points suivants.

Première question : concentration des unités ukrainiennes sur le front sud. Il est certain que les troupes nationales sont celles qui défendent le mieux leur propre territoire. Mais à l’heure actuelle, notre front n’est pas formé d’après le principe des nationalités. Si on remaniait le front d’après les nationalités, cela provoquerait son effondrement total, vu la désorganisation des transports, et la cause de la paix en serait compromise. Les soldats ukrainiens se sont montrés plus raisonnables et plus loyaux que le Secrétariat général, puisque la plupart de leurs unités n’ont pas voulu se soumettre aux ordres de la Rada.

Deuxième question : désarmement des troupes soviétiques en Ukraine. En désarmant les troupes soviétiques, la Rada d’Ukraine, qui défend les intérêts de la bourgeoisie et des propriétaires fonciers ukrainiens, porte un coup à la Révolution. Sous ce rapport, les agissements de la Rada ne diffèrent en rien, quant au fond, de ceux de Kornilov et de Kalédine. Il va sans dire que le Conseil des commissaires du peuple combattra de toutes ses forces cette politique contre-révolutionnaire de la Rada.

Enfin, la troisième question : le refus de laisser passer les troupes soviétiques en marche contre Kalédine, auquel se sont ralliées toutes les forces contre-révolutionnaires de Russie. La Rada motive son refus par sa "neutralité" à l’égard d’un Kalédine "qui use du droit de libre disposition". Mais la Rada substitue ici l’autocratie de Kalédine au droit de libre disposition des Cosaques travailleurs. En empêchant le passage des troupes soviétiques, elle aide Kalédine à avancer vers le Nord. En même temps, elle laisse passer le Don librement aux unités cosaques de Kalédine. Au moment où l’on fusille nos camarades à Rostov et dans le bassin du Donetz, elle nous empêche de leur porter secours. Il va de soi qu’on ne saurait tolérer cette trahison de la Rada.

Le Conseil des commissaires du peuple ne peut renoncer à la lutte contre Kalédine. Le nid contre-révolutionnaire de Kalédine doit être détruit. C’est inévitable. Si la Rada nous empêche de marcher contre Kalédine, en faisant écran devant lui, les coups dirigés contre lui retomberont sur elle. Le Conseil des commissaires du peuple n’hésitera pas à lutter résolument contre elle, puisqu’il n’ignore pas qu’elle est l’alliée secrète de Kalédine. Il a intercepté une dépêche chiffrée, d’où il ressort nettement que la Rada est en contact direct avec la mission militaire française pour retarder la signature de la paix jusqu’au printemps, et par l’intermédiaire de la mission française, avec Kalédine. Cette alliance est dirigée contre la paix et contre la révolution. Cette alliance doit être brisée, et elle le sera.

On nous reproche d’appliquer une politique de fermeté à l’égard de la Rada. Mais n’est-ce pas cette politique de fermeté qui a ouvert les yeux des ouvriers et des paysans ukrainiens, en mettant en lumière l’essence bourgeoise de cette institution. Cela ressort, par exemple, du télégramme annonçant la création en Ukraine d’un nouveau pouvoir révolutionnaire ukrainien, qui reconnaît le pouvoir soviétique et agit contre la Rada bourgeoise.

Izvestia [Les Nouvelles], n° 254,
17 décembre 1917


 

Qu’est-ce que la Rada d’Ukraine?

Le lecteur trouvera plus bas la dépêche chiffrée qu’a interceptée le pouvoir soviétique et qui dévoile la nature véritable de la Rada et les intentions véritables des missions militaires de "nos alliés" en ce qui concerne la paix. Il ressort de cette dépêche qu’une espèce d’alliance a déjà été mise au point entre la mission française et la Rada, en sorte que "les membres de la mission française travaillent en contact direct avec la Rada". De la dépêche, il ressort ensuite que cette alliance a pour but de "soutenir un simulacre de front russe jusqu’en février ou mars et de retarder la signature définitive de l’armistice jusqu’au printemps". Il en ressort enfin que la mission française a conclu un accord avec l’"Assemblée cosaque" (c’est-à-dire avec le "gouvernement" de Kalédine) pour assurer le "ravitaillement en charbon et en vivres des fronts de Roumanie et du Sud-Ouest" (qui, selon le plan établi, doivent être occupés par la Rada).

Bref, il existe, comme on le voit, une alliance entre la Rada, Kalédine et la mission militaire française, pour saboter la paix et la "retarder jusqu’au printemps". La mission, en l’occurrence, n’agit pas d’une manière indépendante, mais sur "les instructions pressantes du gouvernement français".

Nous ne voulons pas examiner ici la conduite des missions militaires de "nos alliés". Leur rôle est suffisamment clair : en août, elles aidaient Kornilov, en novembre, la Rada et Kalédine; en décembre, elles fournissent des autos blindées aux rebelles. Tout cela pour "la guerre jusqu’au bout". Nous ne doutons pas que l’entreprise agressive des "alliés" ne soit brisée par la lutte des peuples de Russie pour une paix démocratique. Les missions se conduisent comme en Afrique centrale. Mais bientôt les "alliés" pourront se convaincre que la Russie n’est pas l’Afrique centrale… Ce qui nous intéresse surtout, en l’occurrence, c’est le rôle honteux joué par la Rada.

Nous savons maintenant pourquoi elle concentre sur le front de Roumanie et du Sud-Ouest les unités ukrainiennes en se couvrant de la "nationalisation" de l’armée, elle essaye de dissimuler l’accord conclu avec la mission française pour retarder l’armistice jusqu’au printemps.

Nous savons maintenant pourquoi la Rada ne laisse pas passer les troupes soviétiques en marche contre Kalédine : en se couvrant de la "neutralité" à l’égard de Kalédine, elle s’efforce de dissimuler son alliance avec lui contre les Soviets.

Nous savons maintenant pourquoi la Rada proteste contre l’"intervention" du Conseil des commissaires du peuple dans la vie intérieure de l’Ukraine : en faisant des phrases sur la non-intervention, elle s’efforce de dissimuler l’intervention effective du gouvernement français dans la vie de l’Ukraine et de toute la Russie, en vue de liquider les conquêtes de la révolution.

Très souvent, des camarades ukrainiens me posent la question : qu’est-ce que la Rada ?

Je réponds.

La Rada, ou plus exactement son Secrétariat général, est un gouvernement de traîtres au socialisme, qui se disent socialistes pour tromper les masses. Tout comme le gouvernement de Kérenski et de Savinkov qui, eux aussi, se disaient socialistes.

La Rada, ou plus exactement son Secrétariat général, est un gouvernement bourgeois qui lutte contre les Soviets, en alliance avec Kalédine. Naguère, le gouvernement de Kérenski, allié à Kornilov, désarmait les Soviets de Russie. Aujourd’hui, le gouvernement de la Rada, allié à Kalédine, désarme les Soviets d’Ukraine.

La Rada, ou plus exactement son Secrétariat général, est un gouvernement bourgeois qui lutte contre la paix, en alliance avec les capitalistes anglo-français. Naguère, le gouvernement de Kérenski retardait la conclusion de la paix, en condamnant des millions de soldats à servir de chair à canon. Aujourd’hui, le gouvernement de la Rada cherche à compromettre la cause de la paix, "en retardant l’armistice jusqu’au printemps".

Le gouvernement de Kérenski a été renversé par les efforts conjugués des ouvriers et des soldats de Russie.

Nous ne doutons pas que le gouvernement de la Rada sera, lui aussi, renversé grâce aux efforts des ouvriers et des soldats d’Ukraine.

Seule, une nouvelle Rada, la Rada des Soviets des ouvriers, soldats et paysans d’Ukraine, pourra défendre les intérêts du peuple d’Ukraine contre les Kalédine et les Kornilov, contre les propriétaires fonciers et les capitalistes.

J. Staline,
Commissaire du peuple

Pravda [La Vérité], n° 215,
15 décembre 1917


 

À propos de la Rada bourgeoise de Kiev

Les journaux bourgeois répandent avec empressement le bruit d’une prétendue "ouverture de pourparlers entre la Rada et le Conseil des commissaires du peuple". Les milieux proches des contre-révolutionnaires s’emploient à faire mousser ces rumeurs, en soulignant leur portée "toute particulière". Les choses en sont venues au point que beaucoup de camarades ne sont pas loin de prêter foi à la fable des pourparlers avec la Rada de Kiev; un grand nombre d’entre eux m’ont déjà écrit pour me demander ce qu’il y avait de vrai dans tout cela.

Je déclare publiquement que :

1. le Conseil des commissaires du peuple ne mène pas de pourparlers avec la Rada de Kiev et ne se propose pas d’en mener.

2. la Rada de Kiev s’étant définitivement liée à Kalédine et menant des pourparlers de trahison avec les impérialistes austroallemands dans le dos des peuples de Russie, le Conseil des commissaires du peuple estime que la seule chose à faire avec elle est de la combattre implacablement jusqu’à la victoire complète des Soviets d’Ukraine.

3. la paix et le calme ne s’établiront en Ukraine qu’après l’élimination totale de la Rada bourgeoise de Kiev et son remplacement par une nouvelle Rada, la Rada socialiste des Soviets, dont le noyau s’est déjà constitué à Kharkov.

J. Staline,
Commissaire du peuple

Pravda [La Vérité], n° 9,
13 janvier 1918


 

Message téléphonique au Comité de Pétersbourg
du Parti ouvrier social-démocrate (bolchevik) de Russie

Nous conseillons à la Commission exécutive du comité de Pétersbourg et à tous les comités d’arrondissement du Parti bolchévik de mobiliser tous les ouvriers sans perdre une minute, afin d’organiser, conformément à la décision qui sera prise ce soir par le Soviet de Pétersbourg, des dizaines de milliers d’ouvriers et d’obliger tous les bourgeois sans exception à creuser des tranchées aux abords de Pétersbourg sous le contrôle des ouvriers. A cette heure où la révolution est en danger, c’est l’unique moyen de sauver la révolution. Les militaires indiqueront la ligne des tranchées; préparez les armes et, surtout, organisez-vous et mobilisez-vous tous, sans exception.

Lénine, Staline,
21 février 1918

Publié pour la première fois.

Télégramme au Secrétariat populaire
de la République soviétique d’Ukraine

Il y a cinq jours, le général Hoffmann dénonçait l’armistice, et le lendemain il engageait des opérations militaires. Le Conseil des commissaires du peuple s’est déclaré prêt à reprendre les pourparlers le paix; mais il n’a pas encore reçu de réponse. Apparemment, le gouvernement allemand ne se presse pas de répondre afin de piller le pays jusqu’au bout et ouvrir seulement ensuite les pourparlers de paix. Les Allemands ont pris Dvinsk, Rovno, Minsk, Volmar, Hapsale; ils marchent sur Pétersbourg et Kiev. Apparemment, le but de cette campagne est non seulement de conquérir des territoires, mais, surtout, d’étrangler la Révolution et ses conquêtes.

Le Conseil des commissaires du peuple a décidé d’organiser la riposte à partir de Pétersbourg, de mobiliser toute la population ouvrière, et aussi la bourgeoisie; si cette dernière refuse de creuser des tranchées, on emploiera la force, on l’obligera à le faire sous le contrôle des ouvriers.

L’opinion générale des camarades est que vous, les gens de Kiev, devez, sans perdre une minute, organiser une riposte semblable à partir de votre ville, à l’ouest, mobiliser tout ce qui est viable, faire donner l’artillerie, creuser des tranchées, contraindre la bourgeoisie à exécuter ce travail sous le contrôle des ouvriers, proclamer l’état de siège et agir avec toute la rigueur nécessaire. La tâche commune est de défendre Pétrograd et Kiev, d’arrêter les bandes d’Allemands coûte que coûte.

La situation est beaucoup plus grave qu’elle ne vous paraît peut-être : nous avons la certitude que les bandes allemandes entendant faire une promenade militaire depuis Pétersbourg jusqu’à Kiev et là, seulement là, dans ces capitales, entamer des pourparlers de paix. Je crois que vous n’avez pas encore annulé le traité conclu par l’ancienne Rada avec les Allemands. S’il en est ainsi, nous pensons que vous ne devez pas vous hâter de le faire.

Encore une fois : ne perdez pas une minute, mettez-vous à l’oeuvre sans discussion et montrer à tous que le pouvoir soviétique est capable de se défendre.

Tout notre espoir repose sur les ouvriers, puisque l’"armée" en voie de démobilisation s’est montrée tout juste bonne à s’abandonner à la panique et à s’enfuir.

J’attends une réponse immédiate.

Sur mandat du Conseil des commissaires du peuple,

J. Staline,

Pétrograd, le 21 février 1918

Publié pour la première fois dans le recueil :
Documents relatifs à l’écrasement des occupants allemands en Ukraine en 1918,
Éditions politiques d’État, 1942

Message par fil direct
au Secrétariat populaire de la République soviétique d’Ukraine

Sur mandat du Conseil des commissaires du peuple, le commissaire du peuple Staline.

Avant‑hier, 22 février, le gouvernement allemand nous a proposé des conditions de paix très dures, on peut même dire féroces; de plus les Allemands en exigent l’acceptation dans les quarante-huit heures. Pendant ce temps, des détachements allemands marchent sur Revel et Pskov, menaçant Pétrograd, et nos troupes n’opposent plus aucune résistance. Je ne sais si vous avez eu connaissance de ces conditions. Nous les avons transmises partout par radio. Je vous en communique les principales.

"Point quatre. ‑ La Russie conclut immédiatement la paix avec la République populaire d’Ukraine. L’Ukraine et la Finlande seront immédiatement évacuées par les troupes russes et la Garde rouge." "Les navires de guerre russes de la mer Noire, etc., seront immédiatement rappelés dans les ports russes où ils resteront jusqu’à la conclusion de la paix générale, ou bien ils seront désarmés." "La navigation commerciale dans la mer Noire et les autres mers reprendra, comme il était stipulé dans la convention d’armistice. Le dragage des mines commencera immédiatement."

"Point trois. ‑ La Livonie et l’Estonie seront immédiatement évacuées par les troupes russes et la Garde rouge; elles seront occupées par la police allemande jusqu’à ce que l’organisation du pays y garantisse la sécurité et l’ordre public. Tous les habitants arrêtés pour motifs politiques seront immédiatement libérés."

"Point cinq. ‑ La Russie, dans la mesure de ses forces, fera tout son possible pour assurer immédiatement le retour ordonné à la Turquie des provinces orientales d’Anatolie et elle reconnaîtra l’annulation de la capitulation de la Turquie."

Plus loin viennent les points, relatifs à un accord commercial, sur lesquels repose le traité, connu de vous, entre l’ancienne Rada et l’Autriche-Hongrie.

Bref, il faut qualifier les conditions d’incroyablement féroces. Il nous semble que le point relatif à l’Ukraine signifie non la restauration du pouvoir de Vinnitchenko qui, par lui‑même, ne présente aucune valeur pour les Allemands, mais une pression très réelle sur nous, pour que vous et nous acceptions le traité de l’ancienne Rada avec l’Autriche-Hongrie, les Allemands ayant besoin non de Vinnitchenko, mais de l’échange de produits fabriqués contre du blé et du minerai.

Étant donné l’offensive allemande et la fuite de nos troupes, voici comment nous envisageons la situation : en raison du rythme trop lent du mouvement révolutionnaire en Occident, en raison du manqué de résistance de nos troupes et de la rapacité inouïe des impérialistes allemands, nous qui avons renversé les impérialistes de chez nous, sommes provisoirement tombés entre les griffes de l’impérialisme étranger; nous devons dès maintenant préparer des forces pour organiser contre lui une guerre patriotique, en espérant que les forces révolutionnaires se développeront en Occident, ce qui, selon nous, est inévitable. Pour nous préparer, nous avons besoin d’un répit minimum que pourrait nous donner la paix, si féroce fût-elle. Nous devons en aucun cas nous leurrer d’illusions. Il faut avoir le courage de regarder la réalité en face et reconnaître que nous sommes provisoirement tombés entre les griffes de l’impérialisme allemand. Le Comité exécutif central des Soviets de Russie s’est inspiré de ces considérations quand il a résolu aujourd’hui, à 3 heures du matin, de conclure la paix à ces conditions féroces et de charger le Conseil des commissaires du peuple d’envoyer une délégation à Brest, ce qui a été fait aujourd’hui même. Le Comité exécutif central a décidé que c’était là le seul moyen de maintenir le pouvoir des Soviets. En attendant, nous devons nous préparer et encore une fois nous préparer à organiser la guerre sainte contre l’impérialisme allemand.

Nous sommes tous d’avis que votre Secrétariat populaire doit envoyer sa délégation à Brest et y déclarer que si les Austro-Allemands ne donnent pas leur appui à l’aventure Vinnitchenko, le Secrétariat populaire n’élèvera pas d’objection contre les principes sur lesquels repose le traité de l’ancienne Rada de Kiev. Une telle démarche de votre part soulignerait, tout d’abord, la fraternité morale et politique des Soviets du Sud et du Nord ; en second lieu, elle sauvegarderait le pouvoir des Soviets en Ukraine, ce qui constituera un énorme avantage pour toute la révolution internationale. Nous désirons vivement que vous nous compreniez et que vous soyez d’accord avec nous sur les questions principales de cette paix malheureuse.

J’attends une réponse immédiate à deux questions. La première : envoyez-vous vos délégués aujourd’hui même à Pétrograd ou, ce qui serait encore plus simple, directement à Brest, en vue de pourparlers communs avec les Allemands? La seconde : partagez-vous notre point de vue que le traité de Vinnitchenko est acceptable en dehors de Vinnitchenko et de sa clique? J’attends une réponse à ces questions pour préparer le mandat et organiser votre voyage à Brest.

J. Staline,
Commissaire du peuple,
Pétrograd, le 24 février 1918

Publié pour la première fois.


 

Le noeud ukrainien

Fin février, avant même la conclusion de la paix avec l’Allemagne, le Secrétariat populaire de la République soviétique d’Ukraine a envoyé une délégation à Brest pour y déclarer qu’il consentait à apposer sa signature sous le traité conclu par l’ancienne Rada de Kiev avec la coalition allemande.

Le représentant du commandement allemand à Brest, le fameux Hoffmann, a refusé de recevoir cette délégation, en déclarant qu’il ne voyait pas la nécessité de pourparlers de paix avec elle.

Dans le même temps, les troupes de choc allemandes et austro-hongroises envahissaient l’Ukraine soviétique, conjointement avec les détachements de haydamaks de Petlioura et de Vinnitchenko.

Pas de paix, mais la guerre à l’Ukraine soviétique : tel était le sens de la réponse d’Hoffmann.

En vertu du traité signé par l’ancienne Rada de Kiev, l’Ukraine devait fournir à l’Allemagne 30 millions de pouds de blé pour la fin d’avril. Sans parler de la "libre exportation du minerai" exigée par l’Allemagne.

Le Secrétariat populaire de l’Ukraine soviétique connaissait certainement cette clause du traité et il savait ce qu’il faisait en se déclarant prêt, officiellement, à signer une paix à la Vinnitchenko.

Le gouvernement allemand, en la personne d’Hoffmann, n’en a pas moins refusé d’entamer des pourparlers de paix avec le Secrétariat populaire, reconnu par tous les Soviets d’Ukraine, urbains et ruraux. Il a préféré une alliance avec des morts, une alliance avec la Rada de Kiev, renversée et expulsée, à un traité de paix avec le Secrétariat populaire, reconnu par le peuple d’Ukraine et seul capable de fournir la "quantité nécessaire" de blé.

Cela signifie que l’invasion austro-allemande a pour but non seulement d’obtenir le blé, mais surtout de renverser le pouvoir des Soviets en Ukraine et de rétablir l’ancien régime bourgeois.

Cela signifie que les Allemands ne veulent pas seulement tirer de l’Ukraine des millions de pouds de blé, mais qu’ils entendent spolier de leurs droits les ouvriers et les paysans ukrainiens, en leur enlevant le pouvoir qu’ils ont conquis au prix de leur sang, pour le remettre aux propriétaires fonciers et aux capitalistes.

Les impérialistes d’Autriche et d’Allemagne apportent à la pointe de leurs baïonnettes un joug nouveau, un joug infâme, qui ne le cède en rien à l’ancien joug des Tatars tel est le sens de l’invasion qui vient de l’Ouest.

Le peuple ukrainien le sent de toute évidence, et il se prépare fiévreusement à la riposte. La formation d’une Armée rouge paysanne, la mobilisation de la Garde rouge ouvrière, une série d’escarmouches réussies contre les brutes "civilisées" succédant aux premières crises de panique, la reprise de Bakhmatch, Konotop, Néjine et l’avance sur Kiev, l’enthousiasme de plus en plus vif des masses, attesté par ces milliers de combattants qui vont se battre contre les esclavagistes : voilà comment l’Ukraine populaire répond à l’incursion des brutes.

Contre le joug étranger en provenance de l’Ouest, l’Ukraine soviétique déclenche une guerre patriotique, une guerre de libération : tel est le sens des événements qui s’y déroulent.

Cela signifie que les Allemands devront conquérir chaque poud de blé, chaque bout de métal de haute lutte, en soutenant un combat acharné contre le peuple ukrainien.

Cela signifie qu’il leur faudra littéralement conquérir l’Ukraine par les armes pour avoir le blé et installer sur le trône Petlioura-Vinnitchenko.

L’"attaque foudroyante", par laquelle ils entendaient tuer deux lièvres en même temps (avoir le blé et démolir l’Ukraine soviétique), a toutes les chances de se transformer en une guerre de longue durée des esclavagistes étrangers contre le peuple ukrainien, fort de vingt millions d’hommes, à qui, l’on veut ravir le pain et la liberté.

Est-il besoin d’ajouter que les ouvriers et les paysans ukrainiens ne ménageront pas leurs forces dans cette lutte héroïque contre les brutes "civilisées" ?

Est-il encore besoin de démontrer que la guerre patriotique commencée en Ukraine a toutes les chances de bénéficier du soutien le plus complet de la Russie soviétique tout entière?

Et qu’adviendra‑t‑il, si la guerre d’Ukraine, devenue une opération de longue haleine, se transforme finalement en une guerre de tout ce qu’il y a d’honnête et de noble en Russie contre le nouveau joug qui vient de l’Ouest ?

Et qu’adviendra‑t‑il, si les ouvriers et les soldats allemands comprennent enfin, au cours de cette guerre, que les hommes qui font la loi chez eux ne s’inspirent pas de la "défense de la patrie allemande", mais obéissent à la gloutonnerie de la bête impérialiste malade d’indigestion, et qu’ayant compris cela, ils en tirent les conclusions pratiques qui s’imposent?

Ne s’ensuit‑il pas clairement que là, en Ukraine, se forme le noeud essentiel de toute l’actualité internationale le noeud de la Révolution ouvrière commencée en Russie et de la contrerévolution impérialiste venant de l’Ouest?

La bête impérialiste malade, d’indigestion qui se rompt lee cou en Ukraine soviétique, n’est-ce pas à cela que conduit maintenant la logique implacable des événements?…

lzvestia, [Les. Nouvelles], n° 47,
14 mars 1918,
Signé : J. Staline