Les conflits interimpérialistes au Moyen-Orient

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Depuis la Première Guerre mondiale, les conflits « régionaux » à caractère interimpérialiste n’ont jamais cessé au Moyen-Orient. Source convoitée de matières premières et située au carrefour de grandes routes maritimes et terrestres, cette région est l’un des lieux d’affrontement privilégiés entre les grandes puissances impérialistes.

Après la Première Guerre mondiale, l’empire ottoman a laissé sa place aux deux grands pays impérialistes, la France et Angleterre. Ces deux pays impérialistes sont responsables du repartage de Moyen-Orient. L’occupation de la Palestine et le découpage du Kurdistan, de la Syrie et Iraq… ce sont eux. Après la Deuxième Guerre mondiale la domination passe entre les mains des USA. Une nouvelle division du Kurdistan entre quatre pays (Turquie, Iran, Iraq et Syrie) et l’occupation de Palestine en 1948 par Israël, ont entrainé la résistance de deux peuples opprimés dont le sort n’est toujours pas réglé aujourd’hui. Évidemment les pays impérialistes n’ont aucun intérêt que leurs revendications aboutissent. Depuis le début de siècle ils ont toujours utilisé ces sources de tension pour régler des conflits entre impérialistes en soutenant ou manipulant les forces réactionnaires locales, comme la Turquie « amie des Palestiniens », tout en entretenant des relations commerciales et un entrainement militaire avec Israël.

Ces trois dernières décennies, les conflits au Moyen Orient n’ont pas cessé : guerre entre Irak et Iran, les guerres du Golfe, Palestine, au Liban et les révoltes de peuples pays arabes en Égypte, Syrie et Bahreïn, etc. Les USA défendent leur zone d’influence et leurs intérêts géopolitiques face aux prétentions d’autres pays impérialistes (principalement la Russie et la Chine). Ce qui se déroule aujourd’hui en Irak et Syrie est la conséquence de la politique impérialiste, politique qui n’arrive pas à stabiliser la situation et à contrôler l’activité des forces réactionnaires dans la région.

Après qu’en 2003 le régime de Saddam Hussein fut abattu, l’Irak a été de fait divisé en deux : le gouvernement de Bagdad et la région autonome du Kurdistan Sud. Mais en réalité le gouvernement de Bagdad n’a jamais été capable de contrôler véritablement la zone actuellement entre les mains de l’État Islamique. Le pouvoir central entre les mains de politiciens issus de la minorité chiite a perdu toute légitimité aux yeux des peuples d’Irak, y compris sur une fraction importante des chiites.

La politique des USA visait à contrôler l’Irak et à saper le rôle grandissant de l’Iran dans la région et à le déstabiliser. C’est dans ce contexte et avec l’appui direct ou indirect de l’impérialisme et des forces réactionnaires que l’organisation de l’État Islamique (EI) s’est développée à partir de 2004.

Après 2010 les pays impérialistes n’ont pas trouvé d’autre force qui puisse militairement s’opposer au régime Assad en Syrie, ils se sont appuyés sur l’EI et sur d’autres groupes radicaux-islamiques. Et ce en s’appuyant sur le Qatar, l’Arabie Saoudite et la Turquie qui sont devenus les premiers fournisseurs d’armes à ces groupes. La Turquie a été utilisée comme un passage entre l’Europe et le Moyen-Orient. Évidemment chaque pays impliqué a poursuivi ses propres intérêts. Les USA visaient à créer un cordon de sécurité sunnite face à l’Iran chiite. Pour la Turquie il faut ajouter la question du Kurdistan Ouest (Syrie) où le peuple de Rojava a proclamé son autonomie, ce que la Turquie refuse chez elle au peuple kurde. C’est par l’EI interposé que la Turquie combat le peuple kurde. On sait que la Turquie fournit des armes et que certains dirigeants de l’EI ont été formés en Turquie.

L’EI est loin d’être homogène et stable. Il regroupe des anciens de Guantanamo qui ont participé à la guerre contre Kadhafi en Libye, des anciens soldats de Saddam Hussein, des anciens Frères musulmans de Syrie… voilà les principales forces composant l’EI. Il est répété dans les médias occidentaux que « des milliers de jeunes européens musulmans se battent dans ses rangs » ‑ c’est une réalité mais cette médiatisation sert surtout à dissimuler les responsabilités occidentales de cette situation.

Depuis des décennies on a manipulé et humilié les musulmans. L’impérialisme les a utilisés contre l’URSS dans la guerre d’Afghanistan. Le développement d’Al-Qaïda date de cette époque. Pendant la guerre du Golfe, on a encouragé tous les groupes radicaux islamistes contre Saddam Hussein. Évidemment une forte haine contre l’intervention ou l’occupation impérialistes s’est développée dans les peuples de la région. En l’absence de forces progressistes et communistes antiimpérialistes, le mécontentement a nourri les groupes obscurantistes et fascistes. En Europe des personnes déclassées, rejetées par la société, se tournent vers ces groupes à l’Islam « pur ». Pendant un siècle, pour contrer le communisme les USA ont tout fait pour développer une « ceinture verte ». L’organisation des Frères musulmans fut le principal fruit de ce travail. En Turquie, en 1980, après le coup d’État qui a été soutenu par l’Europe, et organisé par les USA, des centaines de milliers d’extraits du Coran ont été diffusés en Turquie et dans les montagnes du Kurdistan tout en organisant le massacre, la torture et la déportation pour le mouvement communiste et progressiste. Mais qui sème le vent récolte la tempête. Les impérialistes ont toutes les difficultés du monde à arrêter l’emballement d’une situation qui échappe à leur contrôle et qui permet à l’EI de poursuivre ses objectifs propres.

L’EI n’a pas été antiimpérialiste. C’était une marionnette entre les mains des impérialistes qui a rompu ses ficelles. Le but des USA en Irak était d’établir un pouvoir avec trois composantes : les Kurdes, les chiites, et l’EI comme représentant des sunnites pour affaiblir le régime syrien. Même Obama n’a pas caché cette stratégie. Mais ces forces sont loin d’avoir un caractère de classe homogène. La bourgeoisie est divisée entre les diverses ethnies et tendances religieuses irréconciliables.

Le régime syrien résiste non sans succès avec le soutien de la Russie et de l’Iran. L’autonomie du Kurdistan de Syrie, les mouvements des deux dernières années en Turquie qui renforcent le Kurdistan Nord (la partie kurde de Turquie), l’impérialisme US ne l’avait pas prévu. Ni que les anciens soldats des Saddam Hussein feraient alliance avec l’EI. Aujourd’hui les USA et les forces réactionnaires régionales alliées des USA ont perdu momentanément le contrôle de la situation.

Pour redresser la situation à leur avantage les impérialistes occidentaux vont s’appuyer sur le Kurdistan Sud (Irak), seule région qui est stable pour l’instant. Et leur intervention est présentée comme une action humanitaire pour sauver les peuples de la barbarie de l’EI! Or en 2013 l’EI a attaqué les Kurdes de Syrie, massacré enfants et femmes. Sont‑ils intervenus? Non, parce que les pays impérialistes occidentaux et leurs alliés locaux espéraient que l’État Islamique affaiblirait la Syrie et les Kurdes et permettrait d’ériger une barrière sunnite face aux chiites qui soutiennent l’Iran et empêcherait l’autonomie régionale de Kurdistan Ouest.

On pourrait penser que cette nouvelle situation peut favoriser l’indépendance du Kurdistan. Le Kurdistan est séparé en quatre (Iran, Iraq, Syrie et Turquie). Les Kurdes sont divisés. L’éventualité que le Kurdistan Sud puisse proclamer son indépendance existe ‑ mais seulement si ainsi se constitue une force mercenaire dans les mains des impérialistes et utilisable contre d’autres Kurdes de Syrie ou de Turquie. La pratique de Massoud Barzani le prouve. En 2013 il a fait creuser un fossé à la frontière avec la Syrie pour empêcher que les Kurdes de Syrie se réfugient et se ravitaillent au Kurdistan Sud à la suite des attaques de l’EI.

Comment les USA pourraient-ils rétablir la situation en leur faveur? Par la mise en place de deux à trois petits États en Irak ‑ le Kurdistan, Bagdad (chiite) et la frontière actuelle de l’État islamique avec une partie de la Syrie qui est sous son contrôle. Par contre les USA et les impérialistes occidentaux vont essayer de remplacer l’EI avec d’autres forces. Déjà la présence au Golan (la frontière syrienne qui est sous l’occupation d’Israël) d’une branche d’Al-Qaïda montre que les impérialistes ne veulent pas laisser tranquille Bachar el‑Assad, mais ils n’ont pas pour le moment une autre force pouvant constituer une alternative. Le conflit avec la Syrie a dépassé le caractère régional.

Car la question de la Syrie rejoint celle de l’Ukraine, résultat des conflits interimpérialistes. Et même si dans tous ces conflits certaines forces résistent comme Rojava (Kurdes de Syrie) ou certaines forces progressistes en Ukraine, cela ne change pas le caractère général de ces guerres impérialistes[1].

Quelle est la solution?

Il n y a pas des solutions dans le système capitaliste-impérialiste, ni pour la paix ni pour arrêter des conflits permanents dont dépendent les intérêts des différentes bourgeoisies et des États bourgeois. Seule la force antiimpérialiste conséquente, le prolétariat, doit s’organiser pour mettre fin à la guerre et rétablir la paix entre les peuples par la reconnaissance du droit à l’autodétermination des peuples. Chaque peuple opprimé et tous les travailleurs doivent construire leurs propres forces politiques et militaires pour faire face à la guerre réactionnaire et impérialiste. La faiblesse des forces progressistes au Moyen-Orient est liée au caractère de classe bourgeois et petit-bourgeois des organisations actuelles.

Divisé, le peuple kurde est dans une situation difficile. La Turquie, officiellement ralliée à la coalition militaire prétendue anti-Daesh, a placé quelques tanks à sa frontière; mais elle regarde les bras croisés les assauts djihadistes contre Kobanê et empêche par la force tout passage de combattants kurdes de Turquie vers la zone des combats. Tout en affirmant en parole être dans la coalition anti-Daesh, son but est de laisser massacrer les combattants kurdes pour établir ensuite une zone tampon frontalière avec la Syrie, échappant à la souveraineté de l’État syrien.

Aujourd’hui, l’intérêt du peuple kurde est de s’unir. Sa résistance dérange les pays impérialistes et capitalistes régionaux qui le divisent et l’oppressent. Le mouvement révolutionnaire international a le devoir de soutenir les revendications nationales, politiques et sociales, du peuple kurde.

Rassemblement Organisé des Communistes Marxistes-Léninistes

Septembre 2014



[1]. Question : comment se fait-il que ce conflit n’enflamme pas le prix du pétrole? Ce que l’on peut dire dès à présent c’est qu’une des raisons de la décision d’intervention aérienne des USA en Irak et en Syrie contre les forces de l’EI est liée à cette question.