4e conférence
du Comité central du Parti communiste (bolchevik) de Russie
élargie aux militants responsables
des Républiques et régions nationales [1] [2]
(9-12 juin 1923)

Documents

4e Conférence du Comité central du Parti communiste (bolchevik) de Russie
élargie aux militants responsables des Républiques et régions nationales.

Compte rendu sténographique, Moscou, 1923.

A.
Sur la question nationale
Projet de plateforme pour la 4e conférence du CC du PC(b)R
approuvé par le Bureau politique du Comité central 
[3]

Ligne générale de l’activité du Parti dans la question nationale

La ligne de l’activité du Parti dans la question nationale en ce qui concerne la lutte contre les déviations de la position adoptée par le 12e Congrès[4], doit se régler sur les points correspondants de la résolution de ce Congrès en la matière, savoir : le point 7 de la première partie de la résolution, et les points 1, 2 et 3 de la seconde partie.

Une des tâches fondamentales du Parti est de constituer et de développer, dans les Républiques et régions nationales, de jeunes organisations communistes avec les éléments prolétariens et semi-prolétariens de la population locale, d’aider par tous les moyens ces organisations à se mettre sur pied, à recevoir une éducation réellement communiste, à grouper des cadres communistes, même peu nombreux au début, mais animés d’un esprit internationaliste authentique. C’est seulement lorsque des organisations communistes réellement dignes de ce nom se seront consolidées dans les républiques et les régions que le pouvoir des Soviets y sera fort.

Mais les communistes des républiques et des régions doivent eux‑mêmes se souvenir qu’à cause de la composition sociale toute différente de la population, la situation, chez eux, diffère beaucoup de celle qui existe dans les centres industriels de l’Union des Républiques et que, pour cette raison, dans les régions de la périphérie, on doit souvent avoir recours à d’autres méthodes de travail. En particulier si l’on veut s’assurer l’appui des masses laborieuses de la population locale, il est nécessaire ici, dans une plus large mesure que dans les régions centrales, de favoriser les éléments de la démocratie révolutionnaire, ou même tout simplement les éléments loyaux à l’égard du pouvoir des Soviets. Sous bien des rapports, le rôle des intellectuels locaux, dans les Républiques et régions, est autre que celui des intellectuels des régions centrales de l’Union des Républiques. Les régions de la périphérie sont si pauvres en travailleurs intellectuels locaux qu’il faut tout faire pour gagner chacun d’eux au pouvoir des Soviets.

Le communisme des régions de la périphérie doit se rappeler qu’il est un communiste et que, pour cette raison, il doit, en se conformant au milieu où il se trouve, faire des concessions aux éléments nationaux locaux qui veulent et peuvent travailler loyalement dans le cadre du régime soviétique. Ce qui n’exclut pas, mais au contraire suppose une lutte idéologique incessante pour les principes du marxisme et le véritable internationalisme, contre la déviation nationaliste. C’est seulement ainsi qu’on pourra en finir avec le nationalisme local et gagner au pouvoir des Soviets les larges couches de la population locale.

Questions qui se rattachent à l’institution
d’une seconde Chambre du Comité exécutif central de l’Union
et à l’organisation
des commissariats du peuple de l’Union des Républiques

À en juger par des données encore incomplètes, ces questions sont au nombre de sept :

a) Composition de la seconde Chambre. Cette chambre doit se composer de représentants des Républiques autonomes et indépendantes (quatre représentants ou davantage pour chacune) et de représentants des régions nationales (un par région suffira). Il serait souhaitable de faire en sorte qu’en règle générale les membres de la première Chambre ne soient pas en même temps membres de la seconde. Les représentants des Républiques et des régions devront être validés par le Congrès des Soviets de l’Union des Républiques. Appeler la première Chambre : Soviet de l’Union, et la seconde : Soviet des Nationalités.

b) Droits de la seconde Chambre par rapport à la première. Il conviendrait d’établir l’égalité en droits de la première et de la seconde Chambre  chacune aurait l’initiative des lois et aucun projet soumis à l’examen de l’une ou de l’autre ne pourrait devenir loi sans le consentement des deux Chambres; si un accord se révèle impossible, un deuxième vote intervient en séance commune des deux Chambres; si le projet en litige ainsi amendé n’obtient pas la majorité des voix des deux Chambres, l’affaire est soumise au Congrès extraordinaire ou ordinaire des Soviets de l’Union des Républiques.

c) Compétence de la seconde Chambre. Sont du ressort de la seconde Chambre (comme de la première) les questions prévues au point 1 de la Constitution de l’URSS. Les attributions législatives du Présidium du Comité exécutif central de l’Union et du Conseil des commissaires du peuple de l’Union sont maintenues.

d) Le Présidium du Comité exécutif central de l’Union des Républiques. Le Comité exécutif central aura un seul Présidium. Celui‑ci sera élu par les deux Chambres du Comité exécutif central, étant bien entendu que la représentation des nationalités, ou tout au moins des plus importantes d’entre elles, y est garantie. La proposition faite par les Ukrainiens de créer deux présidiums ayant fonctions législatives, un pour chaque Chambre du Comité exécutif central, au lieu d’un seul, n’est pas rationnelle. Le Présidium est l’autorité suprême de l’Union; il exerce ses fonctions en permanence, sans discontinuer, d’une session à l’autre. La formation de deux présidiums ayant fonctions législatives entrainerait un dédoublement de l’autorité suprême, ce qui créerait inévitablement de graves difficultés pratiques. Les Chambres doivent avoir leurs présidiums, mais sans que ceux‑ci aient des fonctions législatives.

e) Nombre des commissariats fusionnés. À des sessions précédentes du Comité central, on a décidé que les commissariats fusionnés seraient au nombre de cinq (Affaires étrangères, Commerce extérieur, Guerre, Voies de communication et PTT), les commissariats dits directifs également au nombre de cinq (Finances, Conseil supérieur de l’économie nationale, Ravitaillement, Travail, Inspection ouvrière et paysanne), les autres commissariats devant être entièrement autonomes. Les Ukrainiens proposent de transférer les Affaires étrangères et le Commerce extérieur de la catégorie des commissariats fusionnés dans celle des commissariats directifs; autrement dit, de conserver ces commissariats dans les Républiques parallèlement aux commissariats des Affaires étrangères et du Commerce extérieur de l’Union, en les subordonnant aux directives de ces derniers. Cette proposition est inacceptable si nous voulons former réellement un État fédératif qui soit capable de se présenter à l’extérieur comme un tout unifié. Il faut en dire autant des traités octroyant les concessions, dont la conclusion doit être réservée à l’Union des Républiques.

f) Structure des commissariats du peuple de l’Union des Républiques. Les collèges de ces commissariats devraient être élargis par l’adjonction de représentants des nationalités les plus nombreuses et les plus importantes.

g) Droits des Républiques en matière budgétaire. L’autonomie des Républiques en matière budgétaire doit être élargie dans les limites de la quote‑part allouée à chacune, quote‑part dont le montant sera arrêté spécialement.

Mesures pour entrainer les éléments travailleurs de la population locale
à participer à l’oeuvre d’édification du Parti et de l’État soviétique

À en juger par des données encore incomplètes, il est d’ores et déjà possible de proposer quatre mesures :

a) Épurer l’appareil de l’État et du Parti des éléments nationalistes (au premier chef, des nationalistes grand-russes, mais aussi des nationalistes antirusses et autres). L’épuration doit être opérée avec prudence, en se fondant sur des données vérifiées et sous le contrôle du Comité central du Parti.

b) Travailler avec méthode et persévérance à donner un caractère national aux organismes de l’État et du Parti dans les républiques et régions, en rendant progressivement obligatoire l’usage officiel des langues de ces pays, que les militants responsables seront tenus d’apprendre.

c) Procéder au choix et au recrutement pour les administrations soviétiques des éléments plus ou moins loyaux qui se trouvent parmi les intellectuels locaux, tandis que d’autre part nos militants responsables des Républiques et régions travailleront à former de nouveaux cadres de collaborateurs de l’administration soviétique et du Parti, recrutés parmi les membres du Parti.

d) Organiser pour les ouvriers et les paysans sans-parti des conférences où des commissaires du peuple et des militants responsables du Parti présenteront des rapports sur les mesures les plus importantes prises par le pouvoir des Soviets.

Mesures pour élever le niveau culturel de la population locale

Il est nécessaire, par exemple :

a) de créer des clubs (sans‑parti) et autres établissements éducatifs fonctionnant dans la langue du pays;

b) de développer le réseau des établissements d’enseignement de tous les degrés, où l’instruction sera donnée dans la langue du pays;

c) de faire appel aux instituteurs plus ou moins loyaux;

d) de créer un réseau de sociétés chargées de répandre l’instruction dans la langue du pays;

e) d’organiser des maisons d’édition.

L’oeuvre d’organisation économique dans les Républiques et régions nationales
au point de vue des particularités de leur genre de vie

Il est nécessaire, par exemple :

a) de régler les déplacements de population et d’y mettre un terme là où il le faut;

b) d’assurer à la population laborieuse locale, dans toute la mesure du possible, des terres prélevées sur les fonds de l’État;

c) de mettre le crédit agricole à la portée de la population locale;

d) d’intensifier les travaux d’irrigation;

e) d’encourager au maximum la coopération, et en particulier la coopération artisanale (en vue d’y attirer les artisans à domicile);

f) de transférer des fabriques et des usines dans les républiques riches en matières premières appropriées;

g) d’organiser des écoles professionnelles et techniques pour la population locale;

h) d’organiser des cours d’agriculture pour la population locale.

Mesures pratiques pour l’organisation de formations militaires nationales.

On doit procéder dès maintenant à la création d’écoles militaires dans les Républiques et régions afin de former dans un délai déterminé des cadres composés d’hommes du pays, qui pourront servir ensuite de noyau des formations nationales. Il va sans dire que des mesures devront être prises pour assurer une composition satisfaisante des formations nationales, et notamment des cadres, tant au point de vue de la proportion des membres du Parti qu’au point de vue social. Là où il existe d’anciens cadres militaires formés d’hommes du pays (Tatarie et, en partie, Bachkirie), on pourrait organiser dès à présent des régiments de milice nationale. La Géorgie, l’Azerbaïdjan et l’Arménie ont déjà, je crois, chacun une division. En Ukraine et en Biélorussie, on pourrait créer dès maintenant (surtout en Ukraine) une division de milice par République.

La question des formations nationales a une importance exceptionnelle tant pour la défense contre d’éventuelles attaques de la Turquie, de l’Afghanistan, de la Pologne, etc., qu’au cas où l’Union des Républiques se verrait forcée d’agir contre des États voisins. L’importance des unités nationales au point de vue de la situation intérieure de l’Union des Républiques n’est pas à démontrer. Il est à présumer qu’en conséquence nous devrons augmenter les effectifs de notre armée de 20 à 25.000 hommes environ.

Organisation du travail éducatif du Parti

Il est nécessaire, par exemple :

a) de créer des écoles d’éducation politique élémentaire dans la langue du pays;

b) de créer une littérature marxiste dans la langue du pays;

c) d’avoir une presse périodique bien organisée paraissant dans la langue du pays;

d) d’étendre l’activité de l’Université des peuples d’Orient, au centre et en province, et de consacrer à cette oeuvre les sommes nécessaires;

e) de fonder, auprès de l’Université des peuples d’Orient, un club de discussion du Parti auquel prêteront leur concours les membres du Comité central résidant à Moscou;

f) d’intensifier le travail au sein de l’Union de la jeunesse et parmi les femmes dans les républiques et régions.

Sur le choix des militants du Parti et de l’Administration soviétique
en vue d’appliquer la résolution du 12e Congrès
sur la question nationale

Il est indispensable d’introduire dans les sections de recensement et de répartition, d’agitation et de propagande, d’organisation, dans la section féminine et dans l’appareil des instructeurs du Comité central un certain nombre d’éléments nationaux (deux ou trois dans chaque secteur) : leur concours facilitera le travail politique courant du Comité central dans les régions de la périphérie et assurera une répartition rationnelle des militants du Parti et de l’administration soviétique par République et par région, en vue de garantir l’application de la ligne adoptée au 12e Congrès du PCR sur la question nationale.

B.
4e conférence du Comité central du PC(b)R

1.
Droitiers et "gauchistes" dans les républiques et régions nationales

Discours sur le premier point de l’ordre du jour
de la conférence : "L’affaire Soultan-Galiev"
(10 juin)

Je prends la parole pour présenter quelques observations sur les discours des camarades qui sont intervenus ici. En ce qui concerne l’aspect de principe de la question posée par l’affaire Soultan-Galiev, je tâcherai de l’éclairer dans mon rapport sur le deuxième point. Tout d’abord, la Conférence elle‑même. Quelqu’un (je ne me souviens plus qui) a dit ici que cette Conférence était un évènement sortant de l’ordinaire. C’est faux. Des conférences de ce genre n’ont rien de nouveau pour notre Parti. Celle‑ci est la quatrième depuis qu’existe le pouvoir des Soviets. Il y en a eu trois avant 1919. La situation nous permettait alors de réunir de telles conférences. Dans la suite, après 1919, en 1920-1921, nous avons été entièrement absorbés par la guerre civile et le temps nous a manqué pour ces sortes de conférences. Maintenant seulement que nous en avons fini avec la guerre civile, que notre activité d’organisation économique se développe en profondeur, que le travail du Parti est lui-même devenu plus concret, surtout dans les régions et les républiques nationales, nous avons pu de nouveau convoquer une conférence de ce genre. Je pense que le Comité central aura plus d’une fois encore recours à ce moyen pour établir une entière compréhension mutuelle entre ceux qui appliquent la politique en province et ceux qui l’élaborent. Je pense qu’il est bon de convoquer de telles conférences où sont représentées toutes les Républiques et toutes les régions, mais aussi des conférences pour des régions et républiques distinctes afin d’élaborer des décisions plus concrètes. Seule cette façon de poser la question peut satisfaire le Comité central et les militants de province.

J’ai entendu certains camarades dire que j’avais lancé un avertissement à Soultan-Galiev quand j’ai pu prendre connaissance de sa première lettre conspirative, adressée, je crois, à Adigamov, lequel garde le silence, reste bouche cousue, alors qu’il devrait se prononcer avant et plus que tous les autres. Ces camarades m’ont reproché d’avoir défendu Soultan-Galiev à l’excès. Oui, je l’ai défendu jusqu’à la dernière possibilité; je considérais, et je considère encore, que c’était là mon devoir. Mais je l’ai défendu dans une certaine limite. Et lorsque Soultan-Galiev a dépassé cette limite, je me suis détourné de lui. Sa première lettre conspirative atteste qu’il avait d’ores et déjà rompu avec le Parti, puisque le ton en est presque celui d’un garde-blanc : il y parle des membres du Comité central en des termes que l’on n’emploie qu’en parlant d’ennemis. Je l’ai rencontré par hasard au Bureau politique, où il défendait des revendications de la République tatare intéressant le commissariat de l’Agriculture. À ce moment déjà, je lui ai adressé un avertissement dans un billet où je qualifiais sa lettre conspirative d’antiparti; je l’accusais de créer une organisation du genre de celle de Validov et lui disais que s’il ne mettait pas un terme à son activité illégale dirigée contre le Parti, cela finirait mal pour lui et que tout soutien de ma part serait exclu. Il m’a répondu, avec beaucoup d’embarras, qu’on m’avait induit en erreur, qu’il avait effectivement écrit à Adigamov, mais tout autre chose que ce qu’on lui attribuait; qu’il restait ce qu’il avait toujours été : un homme du Parti, et qu’il donnait sa parole d’honneur de le rester à l’avenir. Néanmoins, huit jours plus tard, il expédie une deuxième lettre conspirative où il engage Adigamov à entrer en contact avec les basmatchs[5] et leur leader Validov, en lui disant de "brûler" la lettre. Voilà donc la bassesse, le mensonge qui m’a fait rompre toute relation avec Soultan-Galiev. Dès lors, il a été pour moi en dehors du Parti, en dehors des Soviets; j’estimais impossible de lui parler, bien qu’il eût essayé à plusieurs reprises de venir me trouver pour "causer". Des camarades de "gauche" m’ont reproché, dès le début de 1919, de soutenir Soultan-Galiev, de vouloir le conserver pour le Parti, de le ménager dans l’espoir qu’il cesserait d’être nationaliste, qu’il deviendrait marxiste. J’ai cru en effet de mon devoir de le soutenir jusqu’à un certain moment. Dans les Républiques et régions orientales, on trouve si peu d’intellectuels, d’hommes pensant ou même tout simplement sachant lire et écrire, qu’on pourrait les compter sur les doigts. Comment, dans ces conditions, ne pas les ménager? Il serait criminel de ne pas tout faire pour sauver de la corruption les hommes d’Orient dont nous avons besoin et les conserver pour le Parti. Mais il y a une limite à tout. Et cette limite a été atteinte quand Soultan-Galiev est passé du camp des communistes au camp des basmatchs. Dès lors, il a cessé d’exister pour le Parti. C’est pourquoi l’ambassadeur de Turquie lui a semblé plus acceptable que le Comité central de notre Parti.

J’ai entendu Chamigoulov me reprocher, lui aussi, d’avoir défendu Validov malgré ses demandes instantes d’en finir d’un coup avec celui‑ci, d’avoir cherché à le conserver pour le Parti. Je l’ai défendu en effet, avec l’espoir qu’il se corrigerait. On en a vu de pires que lui se corriger, ainsi que nous l’apprend l’histoire des partis politiques. Je pensais que Chamigoulov tranchait la question d’une façon trop simpliste. Je n’ai pas suivi son conseil. Il est vrai que sa prédiction s’est réalisée un an plus tard : Validov ne s’est pas corrigé et il a rejoint les basmatchs. Mais il n’en reste pas moins que le Parti y a gagné de retarder d’un an le départ de Validov de ses rangs. Si nous avions sévi contre lui en 1918, je suis convaincu que des camarades comme Mourtazine, Adigamov, Khalikov et d’autres ne seraient pas restés dans nos rangs. (Une voix : "Khalikov serait resté!") Khalikov ne serait peut‑être pas parti, mais tout un groupe de camarades qui militent dans nos rangs serait parti avec Validov. Voilà ce que notre tolérance et notre prévoyance ont gagné.

J’ai écouté Ryskoulov, et je dois dire que son discours n’était pas tout à fait sincère, qu’il était semi-diplomatique et qu’en général ce discours produit une impression pénible. J’attendais de lui plus de clarté et plus de sincérité. Quoi que puisse dire Ryskoulov, il est clair qu’il garde chez lui deux lettres conspiratives de Soultan-Galiev, qu’il n’a montrées à personne; il est clair qu’une communauté d’idées l’unissait à Soultan-Galiev. Peu importe que Ryskoulov se désolidarise de la cause de Soultan-Galiev dans ce qu’elle a de criminel, en affirmant qu’il n’était pas lié avec celui‑ci en ce qui concerne les rapports avec les basmatchs. Ce n’est pas de cela qu’il s’agit à cette conférence, mais des liens doctrinaux, idéologiques avec le soultan-galiévisme. Qu’une telle liaison ait existé entre Ryskoulov et Soultan-Galiev, cela est clair, camarades : Ryskoulov lui‑même ne saurait le nier. Le moment n’est‑il pas venu de se désolidariser enfin, ici même, du haut de cette tribune, résolument et sans réserve, du soultan- galiévisme? Le discours de Ryskoulov a été, à cet égard, semi-diplomatique et non satisfaisant.

Ienbaev a également prononcé un discours diplomatique, sans sincérité. N’est‑ce pas un fait qu’après l’arrestation de Soultan-Galiev, Ienbaev et un groupe de responsables tatars, que je tiens pour d’excellents praticiens malgré leur manque de fermeté idéologique, ont demandé au Comité central sa mise en liberté immédiate, en lui accordant une caution sans réserve et en laissant entendre que les documents saisis chez lui étaient des faux? N’est‑ce pas là un fait? Qu’a pourtant révélé l’enquête? Que tous les documents étaient authentiques. Leur authenticité a été reconnue par Soultan-Galiev lui‑même, qui a avoué plus de péchés que les documents n’en révélaient; il a admis sa responsabilité pleine et entière et fait amende honorable. N’est‑il pas clair qu’après tout cela, Ienbaev aurait dû reconnaitre ses erreurs résolument et sans réserve, et se désolidariser de Soultan-Galiev? Mais cela, Ienbaev ne l’a pas fait. Il a trouvé l’occasion bonne pour se moquer des "gauches", mais quant à se désolidariser du soultan-galiévisme résolument et en communiste, à se désolidariser de l’abime où a roulé Soultan-Galiev, il s’y est refusé, en estimant sans doute que la diplomatie le sauverait.

Le discours de Firdevs n’a été que diplomatie d’un bout à l’autre. Lequel des deux a dirigé l’autre au point de vue idéologique : Soultan-Galiev ou Firdevs? C’est une question que je ne résoudrai pas. Je crois pourtant qu’au point de vue idéologique, c’est Firdevs qui a dirigé Soultan-Galiev, plutôt que l’inverse. Je ne vois rien de particulièrement répréhensible dans les exercices théoriques de Soultan-Galiev. S’il s’en était tenu à l’idéologie du panturquisme et du panislamisme, il n’y aurait que demi-mal. Je dirais que cette idéologie, malgré l’interdiction prononcée par la résolution du 10e Congrès du Parti sur la question nationale, peut être considérée comme tolérable et que l’on peut se borner à la critiquer dans les rangs de notre Parti. Mais lorsque les exercices idéologiques aboutissent à l’établissement d’un contact avec les leaders basmatchs, avec Validov et consorts, il est absolument impossible de justifier ces pratiques basmatches par une innocente idéologie, comme Firdevs tente de le faire. Vous ne tromperez personne en justifiant de la sorte l’activité de Soultan-Galiev. On peut justifier ainsi et l’impérialisme et le tsarisme, puisque eux aussi ont leur idéologie, qui peut paraitre parfois assez innocente. Il n’est pas permis de raisonner de la sorte. Vous n’êtes pas ici devant un tribunal, mais devant une conférence de militants responsables qui exigent de vous de la droiture et de la sincérité, non de la diplomatie.

Je trouve que Khodjanov a bien parlé. Ikramov n’a pas mal parlé non plus. Mais il est, dans les discours de ces camarades, un passage que je dois relever, qui donne à réfléchir. Tous deux ont dit qu’il n’existait aucune différence entre le Turkestan d’aujourd’hui et le Turkestan tsariste; que seulement l’enseigne avait changé : que le Turkestan était resté ce qu’il était sous le tsar. Camarades, si ce n’est pas là un lapsus, si cela a été dit après mure réflexion et de propos délibéré, alors les basmatchs ont raison, et c’est nous qui avons tort. Si le Turkestan est une colonie comme sous le tsarisme, les basmatchs ont raison, et ce n’est pas à nous de juger Soultan-Galiev; c’est lui qui doit nous juger, parce que nous tolérons l’existence d’une colonie dans le cadre du régime soviétique. Si cela est vrai, je ne comprends pas pourquoi vous‑mêmes n’avez pas rejoint les basmatchs. De toute évidence, Khodjanov et Ikramov ont prononcé ce passage de leur discours sans mure réflexion : ils ne peuvent ignorer que l’actuel Turkestan soviétique se distingue foncièrement du Turkestan tsariste. J’ai tenu à relever ce passage obscur dans les discours de ces camarades pour qu’ils tâchent d’y réfléchir et de corriger leur faute.

Je prends à mon compte une partie des griefs qu’Ikramov a présentés contre l’activité du Comité central, quand il disait que nous n’avons pas toujours été attentifs et n’avons pas toujours réussi à poser en temps voulu les problèmes pratiques que dictait la situation des républiques et régions orientales. Le Comité central est surchargé de besogne et ne réussit pas à être assez tôt partout, c’est évident. Mais d’autre part, il serait ridicule de croire qu’il puisse tout faire en temps voulu. Il y a peu d’écoles au Turkestan, c’est exact. Les langues locales ne sont pas encore d’usage courant dans les institutions d’État, ces institutions elles‑mêmes n’ont pas encore un caractère national. Le niveau de culture est en général bas. Tout cela est juste. Mais peut-on espérer sérieusement que le Comité central ou le Parti dans son ensemble sachent, en deux ou trois ans, relever le niveau culturel du Turkestan? Nous clamons, ‑ et nous nous en plaignons tous, ‑ que la Russie, le peuple russe, pourtant plus cultivé que les autres peuples de l’Union des Républiques, a un bas niveau de culture. Ilitch a maintes fois déclaré que nous manquons de culture, qu’il est impossible en deux ou trois ans, et même dix, de relever sensiblement le niveau de culture de la Russie, comment peut‑on demander le relèvement accéléré du niveau de culture des régions non russes, qui sont retardataires et ignorantes? N’est‑il pas clair que les neuf dixièmes de la "faute" incombent en l’occurrence aux conditions mêmes, à l’état arriéré, et qu’il faut, comme on dit, en tenir compte?

À propos des "gauchistes" et des droitiers :

En existe‑t‑il dans les organisations communistes des régions et des Républiques? Oui bien entendu. On ne saurait le nier.

En quoi pèchent les droitiers? En ceci : qu’ils ne sont pas et ne peuvent pas être un antidote, un rempart sûr contre les courants nationalistes qui se développent et se renforcent en liaison avec la Nep. Le fait que le soultan-galiévisme est apparu, qu’il a groupé un certain nombre de partisans dans les Républiques orientales, surtout en Bachkirie et en Tatarie, atteste indéniablement que les éléments de droite, qui dans ces Républiques sont la grande majorité, ne constituent pas un rempart satisfaisant contre le nationalisme.

Il ne faut pas oublier que nos organisations communistes de la périphérie, dans les républiques et les régions, ne peuvent se développer et se mettre sur pied, donner naissance à de vrais cadres marxistes internationalistes, que si elles triomphent du nationalisme. Le nationalisme est le principal obstacle idéologique à la formation de cadres marxistes, d’une avant-garde marxiste à la périphérie et dans les Républiques. L’histoire de notre Parti atteste que le Parti bolchévik, dans sa portion russe, a grandi et s’est fortifié en combattant le menchevisme, parce que le menchevisme est l’idéologie de la bourgeoisie, le véhicule de l’idéologie bourgeoise dans notre Parti et que celui-ci n’aurait pu se mettre debout s’il n’en avait triomphé. Ilitch l’a écrit à plusieurs reprises. Ce n’est qu’à mesure qu’il triomphait du menchevisme, de ses formes d’organisation et de son idéologie, que le bolchévisme a grandi et s’est consolidé en tant que véritable parti dirigeant. Il faut en dire autant du nationalisme en ce qui touche nos organisations communistes de la périphérie et des républiques. Le nationalisme joue pour ces organisations le même rôle qu’autrefois le menchevisme pour le Parti bolchevik. Ce n’est que sous le couvert du nationalisme que toutes sortes d’influences bourgeoises, les influences mencheviks y comprises, peuvent pénétrer dans nos organisations de la périphérie. Dans les Républiques, nos organisations ne peuvent devenir marxistes que si elles savent tenir tête au courant nationaliste qui s’ingénie à pénétrer dans notre Parti à la périphérie, et cela parce que la bourgeoisie renait, que la Nep se développe et le nationalisme aussi; parce qu’il y a les survivances du chauvinisme grand-russe qui, à leur tour, stimulent le nationalisme local; parce qu’il y a l’influence des États étrangers qui soutiennent le nationalisme par tous les moyens. Dans les Républiques et les régions, la lutte contre cet ennemi est une phase par où nos organisations communistes sont obligées de passer si elles veulent se fortifier en tant qu’organisations vraiment marxistes. Il n’existe pas d’autre voie. Et dans cette lutte, les droitiers se montrent faibles. Faibles parce qu’ils sont contaminés par le scepticisme à l’égard du Parti et qu’ils cèdent facilement à l’influence du nationalisme. Voilà par où pèche l’aile droite des organisations communistes dans les Républiques et régions.

Mais les "gauches" de la périphérie pèchent non moins gravement, sinon plus. Si les organisations communistes de la périphérie ne peuvent pas se consolider, se développer de façon à donner naissance à de vrais cadres marxistes, à moins de surmonter le nationalisme, ces cadres à leur tour ne peuvent devenir des organisateurs de masse, ne peuvent grouper autour d’eux la majorité des masses laborieuses que s’ils apprennent à être suffisamment souples pour attirer dans nos institutions d’État tous les éléments nationaux tant soit peu loyaux, en leur faisant des concessions; que s’ils apprennent à manoeuvrer entre une lutte énergique contre le nationalisme dans le Parti et une lutte non moins énergique pour faire participer au travail soviétique tous les éléments plus ou moins loyaux qui se trouvent parmi les hommes du pays, les intellectuels, etc. Les "gauchistes" de la périphérie sont plus ou moins exempts de cette attitude sceptique à l’égard du Parti, de cette tendance à se laisser influencer par le nationalisme. Mais leur péché est de ne pas savoir se montrer souples à l’égard des éléments de démocratie bourgeoise, ou simplement des éléments loyaux qui existent dans la population; de ne pas savoir ni vouloir manoeuvrer pour entrainer ces éléments; de dénaturer la ligne du Parti, qui vise à gagner la majorité de la population laborieuse du pays. Cette souplesse, cette capacité de manoeuvrer entre la lutte contre le nationalisme et la lutte pour attirer dans nos institutions d’État les éléments tant soit peu loyaux, il faut les acquérir et les développer coute que coute. Nous ne pouvons les acquérir et les développer que si nous tenons compte de toute la complexité et des particularités spécifiques de la situation dans nos régions et nos Républiques; si nous ne cherchons pas à transplanter purement et simplement à la périphérie les modèles mis au point dans les régions centrales industrielles, qui ne sauraient être transplantés là tels quels; si nous ne rebutons pas les éléments de la population imbus d’esprit nationaliste, les petits-bourgeois nationalistes; si nous apprenons à entrainer ces éléments à l’oeuvre générale de l’administration de l’État. Le péché des "gauchistes", c’est qu’ils sont contaminés par le sectarisme et ne comprennent pas l’importance primordiale de ces tâches complexes du Parti dans les Républiques et les régions nationales.

Si les droitiers sont dangereux, en raison de la facilité avec laquelle ils se laissent influencer par le nationalisme, ce qui fait qu’ils peuvent entraver la croissance de nos cadres communistes à la périphérie, le danger que représentent les "gauchistes", c’est que dans leur engouement pour un "communisme" simplifié et hâtif, ils peuvent détacher notre Parti de la paysannerie et des larges couches de la population locale.

Lequel de ces dangers est le plus grave? Si les camarades qui dévient "à gauche" pensent poursuivre à la périphérie leur politique de dissociation artificielle de la population, ‑ et cette politique a été pratiquée non seulement en Tchétchénie et dans la région des Yakoutes, non seulement au Turkestan… (Ibrahimov : "C’est la tactique de différenciation")… Ibrahimov a imaginé à présent de substituer la tactique de différenciation à la tactique de dissociation, mais cela ne change rien à l’affaire, ‑ s’ils pensent, dis‑je, poursuivre leur politique de dissociation par en haut; s’ils pensent que l’on peut transplanter tels quels les modèles russes dans un milieu spécifiquement national, sans tenir compte des moeurs et des conditions concrètes; s’ils pensent qu’en combattant le nationalisme, il faut en même temps jeter par-dessus bord tout ce qui est national; en un mot, si les communistes de "gauche", à la périphérie, pensent rester incorrigibles, je dois dire que des deux dangers, celui de "gauche" peut se révéler le plus grave.

C’est là tout ce que je voulais dire sur les "gauchistes" et les droitiers. J’ai quelque peu pris les devants, mais c’est parce que toute la Conférence en avait fait autant en anticipant sur la discussion du deuxième point.

E faut stimuler les droitiers pour les obliger, pour leur apprendre à combattre le nationalisme, afin de forger de vrais cadres communistes avec les hommes du pays. Mais il faut de même stimuler les "gauches" pour leur apprendre à être souples, à savoir manoeuvrer afin de gagner les larges masses de la population. Il faut faire tout cela parce que la vérité se situe "au milieu", entre les droitiers et les "gauchistes", ainsi que Khodjanov l’a justement remarqué.

2.
Mesures pratiques pour l’application de la résolution
du 12e Congrès du Parti sur la question nationale [6]

Rapport sur le second point de l’ordre du jour
(10 juin)

Camarades,

Vous avez déjà dû recevoir le projet de plate-forme[7] du Bureau politique sur la question nationale (Des voix : Tout le monde ne l’a pas). Cette plate‑forme se rapporte au deuxième point de l’ordre du jour et à toutes ses subdivisions. Vous avez reçu en tout cas l’ordre du jour de la Conférence sous la forme d’une dépêche chiffrée du Comité central.

On peut diviser les propositions du Bureau politique en trois groupes.

Le premier groupe de questions concerne le renforcement, dans les Républiques et les régions, des cadres communistes composés d’hommes de l’endroit.

Le deuxième groupe embrasse tout ce qui se rapporte à l’application pratique des décisions concrètes du 12e Congrès sur la question nationale, à savoir : la participation des éléments travailleurs de la population locale à l’oeuvre d’organisation du Parti et de l’administration soviétique; les mesures nécessaires pour élever le niveau culturel de la population locale; l’amélioration de la situation économique des républiques et des régions, compte tenu des particularités spécifiques du mode d’existence; enfin, le développement des coopératives dans les régions et les Républiques, les transferts d’usines, la création de foyers d’industrie, etc. Ce groupe de questions touche aux tâches économiques, culturelles et politiques des régions et des Républiques en conformité avec les conditions locales.

Le troisième groupe concerne la Constitution de l’Union des Républiques en général, et en particulier les amendements apportés à cette Constitution en vue d’instituer une seconde Chambre du Comité exécutif central de l’Union. Ce dernier groupe de questions se rattache, on le sait, à la prochaine session du Comité exécutif central de l’Union.

J’aborde le premier groupe : comment former et renforcer des cadres marxistes composés d’hommes de l’endroit, qui seront susceptibles de constituer le rempart principal et, en dernière analyse, décisif, du pouvoir des Soviets à la périphérie? Si l’on examine le développement de notre Parti (je prends sa portion russe, qui en constitue l’essentiel) et si l’on en suit les principales étapes; puis si, par analogie, on imagine ce que sera, dans l’immédiat, le développement de nos organisations communistes dans les régions et les républiques, je crois que l’on trouvera la clé des particularités qui, dans ces pays, marquent le développement de notre Parti.

Dans la première période du développement de notre Parti, de sa portion russe, la tâche essentielle était de créer des cadres, des cadres marxistes. Ces cadres marxistes, ils se sont façonnés, forgés durant la lutte contre le menchevisme. Leur tâche en ce temps, au cours de cette période, ‑ qui va de la fondation du Parti bolchevik à l’expulsion des liquidateurs, incarnation la plus achevée du menchevisme, ‑ la tâche essentielle en ce temps était de gagner au bolchévisme les éléments les plus actifs, les plus honnêtes, les plus éminents de la classe ouvrière, de créer des cadres, de forger une avant-garde. À l’époque, la lutte était dirigée au premier chef contre les courants de caractère bourgeois, notamment le menchevisme, qui empêchaient de rassembler ces cadres, d’en faire un tout, d’en faire le noyau fondamental du Parti. Le Parti, alors, ne voyait pas encore s’imposer à lui, en tant que besoin immédiat et vital, la tâche de nouer de larges contacts avec les millions d’ouvriers et de paysans travailleurs, de conquérir ces masses, de conquérir la majorité dans le pays. Le Parti n’en était pas encore là.

Ce n’est qu’à la phase suivante du développement de notre Parti, à son deuxième stade, lorsque ces cadres eurent grandi, qu’ils eurent constitué le noyau fondamental de notre Parti, que nous eûmes gagné, ou presque, la sympathie des meilleurs éléments de la classe ouvrière, c’est alors seulement que le Parti vit s’imposer à lui, en tant que besoin immédiat et urgent, la tâche de conquérir les masses, de transformer les cadres du Parti en un véritable parti ouvrier de masse. Durant cette période le noyau de notre Parti eut à lutter moins contre le menchevisme que contre les éléments de "gauche" de notre Parti, les "otzovistes" de tout acabit, qui tentaient de substituer une phraséologie révolutionnaire à l’étude sérieuse des particularités de la situation nouvelle créée depuis 1905, entravaient par leur tactique "révolutionnaire" simpliste la transformation des cadres de notre Parti en un véritable parti de masse et menaçaient par leurs agissements de couper le Parti des larges masses ouvrières. Est‑il besoin de démontrer que s’il n’avait engagé une lutte résolue contre ce danger de "gauche", s’il n’en avait triomphé, le Parti n’aurait jamais pu gagner à sa cause des millions de travailleurs?

Tel est, en gros, le tableau de la lutte sur les deux fronts : contre les droitiers, c’est‑à‑dire les menchéviks, et contre les "gauchistes"; le tableau du développement de notre Parti considéré dans sa portion russe, la portion essentielle.

Le camarade Lénine a tracé d’une façon suffisamment concluante ce tableau nécessaire, inévitable, du développement des Partis communistes, dans sa brochure La Maladie infantile du communisme. Il y a démontré que les Partis communistes d’Occident doivent passer et sont déjà en train de passer, à peu près, par les mêmes phases de développement. Nous ajouterons, pour notre part, qu’il faut en dire autant du développement de nos organisations communistes et de nos Partis communistes à la périphérie.

Il convient toutefois de noter que, malgré l’analogie qui existe entre ce qu’a connu le Parti dans le passé et ce que connaissent actuellement nos organisations du Parti à la périphérie, il existe dans les républiques et les régions nationales certaines particularités essentielles du développement de notre Parti dont il faut tenir compte à tout prix et avec soin, sans quoi nous risquons de commettre une série d’erreurs des plus graves dans la fixation des tâches que comporte la formation de cadres marxistes avec les hommes de l’endroit.

Passons à l’examen de ces particularités.

Il est nécessaire et obligatoire de combattre les éléments de droite et de "gauche" dans nos organisations de la périphérie; sinon, nous ne pourrons pas former des cadres marxistes étroitement liés aux masses. Voilà qui est évident. Mais ce qui caractérise la situation dans les régions périphériques et ce qui la distingue du développement de notre Parti dans le passé, c’est que dans ces régions les cadres se forgent et se transforment en parti de masse non sous un régime bourgeois, comme ce fut le cas pour notre Parti, mais sous le régime soviétique, sous la dictature du prolétariat. Autrefois, sous le régime bourgeois, on pouvait, et il fallait, étant donné les conditions d’alors, frapper d’abord les menchéviks (pour former des cadres marxistes), et ensuite les "otzovistes" (pour faire de ces cadres un parti de masse), la lutte contre ces deux déviations remplissant deux périodes entières de l’histoire de notre Parti. Maintenant, dans les conditions présentes, nous ne pouvons agir de même; maintenant, le Parti est au pouvoir, et le Parti au pouvoir a besoin, dans les régions périphériques, de cadres marxistes surs, composés d’hommes de l’endroit liés aux larges masses de la population. Maintenant, nous ne pouvons pas vaincre d’abord le danger de droite avec l’aide des "gauchistes", comme ce fut le cas dans l’histoire de notre Parti, et ensuite le danger de "gauche" avec l’aide des droitiers : maintenant, nous devons soutenir la lutte à la fois sur les deux fronts, en nous attachant à vaincre les deux dangers, afin d’obtenir en définitive dans les régions périphériques des cadres qui soient composés d’hommes de l’endroit ayant une formation marxiste et liés aux masses. On pouvait parler autrefois de cadres qui n’étaient pas encore liés aux larges masses, cette liaison devant s’établir à la phase suivante du développement; maintenant, cela serait ridicule; on ne saurait imaginer en effet, sous le pouvoir des Soviets, des cadres marxistes qui ne soient liés, d’une manière ou de l’autre, aux larges masses. Ce serait là des cadres qui n’auraient rien de commun ni avec le marxisme, ni avec un parti de masse. Tout cela complique beaucoup la question et met nos organisations du Parti des régions périphériques dans la nécessité de lutter simultanément contre les droitiers et les "gauchistes". D’où la position de notre Parti engagé dans la lutte, en même temps, sur les deux fronts, contre les deux déviations.

Il faut noter ensuite que le développement de nos organisations communistes de la périphérie ne s’opère pas d’une façon isolée, comme ce fut le cas, dans l’histoire de notre Parti, pour sa portion russe, mais sous l’action immédiate du noyau fondamental de notre Parti, qui sait par expérience non seulement former des cadres marxistes, mais aussi assurer leur liaison avec les larges masses de la population, et appliquer l’art de la manoeuvre révolutionnaire dans la lutte pour le pouvoir des Soviets. Ce qui distingue à cet égard la situation dans les régions de la périphérie, c’est qu’en fonction des conditions propres au développement du pouvoir des Soviets dans ces pays, nos organisations du Parti y peuvent et doivent manoeuvrer pour consolider la liaison avec les larges masses de la population, en utilisant à cet effet la riche expérience accumulée par le Parti dans la période précédente. Jusqu’à ces tous derniers temps, le Comité central du PCR avait coutume de manoeuvrer dans les régions périphériques directement, par-dessus la tête des organisations communistes locales, parfois même de façon à les éviter, en attirant à l’oeuvre générale d’édification du pouvoir des Soviets tous les éléments nationaux plus ou moins loyaux. Dorénavant, ce sont les organisations du Parti de la périphérie qui devront elles-mêmes effectuer ce travail. Elles peuvent et doivent le faire, en se rappelant bien que c’est là le meilleur moyen de transformer les cadres marxistes composés d’hommes de l’endroit en un véritable parti de masse, capable d’entrainer à sa suite la majorité de la population.

Telles sont les deux particularités dont il faudra tenir un compte rigoureux pour déterminer la ligne de notre Parti dans les régions de la périphérie, en ce qui concerne la formation de cadres marxistes et la conquête, par ces cadres, des larges masses de la population.

Je passe au second groupe de questions. Comme les camarades n’ont pas tous reçu le projet de plate-forme, je vais en donner lecture et le commenter.

En premier lieu, les "mesures pour entrainer les éléments prolétariens et semi-prolétariens à l’oeuvre d’organisation du Parti et de l’État soviétique". Dans quel but? Pour rapprocher de la population l’appareil du Parti et surtout celui de l’administration soviétique. On doit faire usage, dans ces appareils, des langues que comprennent les larges masses de la population; sinon, il sera impossible de les rapprocher de cette dernière. Si l’objectif du Parti est de rendre le pouvoir des Soviets cher aux masses, il ne pourra l’atteindre qu’en rendant ce pouvoir compréhensible aux masses. Il faut que les hommes qui se trouvent à la tête des administrations d’État, et ces administrations elles‑mêmes fassent usage de la langue que la population comprend. Il faut chasser des administrations les éléments chauvins, qui s’attachent à ruiner les sentiments d’amitié et de solidarité entre les peuples de l’Union; il faut en épurer nos administrations, à Moscou comme dans les Républiques et placer à la tête des administrations d’État dans les républiques des hommes du pays, au courant de la langue et des moeurs de la population.

Je me souviens qu’il y a deux ans le président du Conseil des commissaires du peuple de Kirghizie était Pestkovski, qui ne parlait pas kirghiz. À cette époque déjà, cette circonstance rendait extrêmement difficile le resserrement des liens entre le gouvernement de la République de Kirghizie, et les masses paysannes de ce pays. C’est pourquoi le Parti a fait en sorte que l’actuel président du Conseil des commissaires du peuple de la République de Kirghizie soit un Kirghiz.

Je me souviens aussi qu’un groupe de camarades de Bachkirie a proposé l’an dernier un camarade russe pour la présidence du Conseil des commissaires du peuple de ce pays. Le Parti a catégoriquement rejeté cette proposition et assuré la nomination d’un Bachkir.

Notre tâche est de suivre cette ligne et, d’une manière plus générale, de conférer progressivement un caractère national aux administrations gouvernementales dans toutes les républiques et les régions nationales et, au premier chef, dans une république de l’importance de l’Ukraine.

En deuxième lieu :

procéder au choix et au recrutement des éléments plus ou moins loyaux qui se trouvent parmi les intellectuels locaux, tandis que d’autre part on travaillera à former des cadres soviétiques recrutés parmi les membres du Parti.

Cette thèse ne demande pas d’éclaircissements spéciaux. Maintenant que le pouvoir appartient à la classe ouvrière, qui a groupé autour d’elle la majorité de la population, il n’y a pas lieu de craindre la participation d’éléments plus ou moins loyaux, jusques et y compris d’anciens "octobristes", à l’oeuvre d’organisation de l’État soviétique. Il faut absolument, au contraire, faire participer tous ces éléments à la tâche dans les Républiques et légions nationales, afin de les assimiler et de les soviétiser au cours même de ce travail.

En troisième lieu :

organiser pour les ouvriers et les paysans sans-parti des conférences où des membres du gouvernement présenteront des rapports sur les mesures prises par le pouvoir des Soviets.

Je sais que de nombreux commissaires du peuple, dans les Républiques, en Kirghizie, par exemple, n’aiment pas se rendre en province, fréquenter les réunions de paysans, prendre la parole dans les meetings, informer les larges masses de ce que le Parti et le pouvoir des Soviets font dans les questions qui tiennent particulièrement à coeur aux paysans. II faut mettre un terme à cet état de choses. Il faut convoquer absolument des conférences d’ouvriers et de paysans sans-parti et y faire connaitre aux masses l’oeuvre du pouvoir des Soviets. Sinon, on ne saurait même pas songer à rapprocher du peuple l’appareil d’État.

Poursuivons : "Mesures pour élever le niveau culturel de la population locale." On propose un certain nombre de mesures qui sont naturellement loin d’épuiser la question. Les voici : a) "créer des clubs (sans-parti) et autres institutions éducatives fonctionnant dans la langue du pays"; b) "développer le réseau des établissements d’enseignement de tous les degrés où l’instruction sera donnée dans la langue du pays"; c) "faire appel aux instituteurs plus ou moins loyaux"; d) "créer un réseau de sociétés chargées de répandre l’instruction dans la langue du pays"; e) "organiser des maisons d’édition". Toutes ces mesures sont claires et compréhensibles. Aussi ne demandent- elles pas d’explications spéciales.

Poursuivons : "Oeuvre d’organisation économique dans les Républiques et régions nationales du point de vue des particularités de leur genre de vie". Les mesures que le Bureau politique propose, en conséquence, sont les suivantes : a) "régler les déplacements de population et y mettre un terme là où il le faut"; b) "assurer à la population laborieuse locale des terres prélevées sur les fonds de l’État"; c) "mettre le crédit agricole à la portée de la population locale"; d) "intensifier les travaux d’irrigations"; e) "transférer des fabriques et des usines dans les Républiques riches en matières premières"; f) "organiser des écoles professionnelles et techniques"; g) "organiser des cours d’agriculture"; et enfin : h) "encourager au maximum la coopération, et en particulier la coopération artisanale (en vue d’y attirer les artisans à domicile)".

Je dois insister sur ce dernier point en raison de son importance toute particulière. Autrefois, au temps des tsars, l’évolution était la suivante : le koulak s’enrichissait, le capital agricole se développait, la masse des paysans moyens se trouvait en état d’équilibre instable, tandis que les larges masses de la paysannerie, les larges masses de petits cultivateurs se débattaient dans l’étau de la ruine et de la misère. Mais à présent, sous la dictature du prolétariat, quand le crédit, la terre et le pouvoir sont aux mains de la classe ouvrière, il est impossible, malgré la Nep, malgré la renaissance du capital privé, que l’évolution se fasse comme autrefois. Les camarades ont absolument tort, qui affirment qu’en raison des progrès de la Nep, nous verrons se renouveler la vieille histoire du développement des koulaks aux dépens de la majorité des paysans, vouée à la ruine. Cette voie n’est pas la nôtre. Dans les conditions nouvelles, quand le prolétariat est au pouvoir, quand il a en main les fils principaux de l’économie, l’évolution doit suivre une autre voie, celle de l’union des petits exploitants agricoles en coopératives de tout genre, que le gouvernement soutiendra dans leur lutte contre le capital privé; celle de la participation progressive des millions de petits exploitants à l’édification du socialisme, par l’intermédiaire des coopératives; celle de l’amélioration progressive de la situation économique des petits exploitants (au lieu qu’ils s’appauvrissent). À cet égard, "l’aide maxima aux coopératives" des régions de la périphérie, pays essentiellement ruraux, a une importance primordiale pour le développement économique à venir de l’Union des Républiques.

Poursuivons : "Mesures pratiques pour organiser des formations militaires nationales." J’estime que nous avons trop tardé à mettre au point les mesures de cet ordre. Nous devons créer des formations militaires nationales. Cela ne se fera naturellement pas en un jour, mais on peut et on doit procéder, dès à présent, à l’ouverture d’écoles militaires dans les Républiques et les régions, afin de former, dans un délai fixé, des cadres composés d’hommes du pays, qui pourront servir ensuite de noyau aux formations nationales. C’est une tâche qu’il est absolument nécessaire d’entreprendre et de poursuivre. Si nous avions des formations militaires nationales sures, pourvues de cadres surs, dans des Républiques comme le Turkestan, l’Ukraine, la Biélorussie, la Géorgie, l’Arménie et l’Azerbaïdjan, notre République se trouverait en bien meilleure posture, aussi bien au point de vue défensif qu’au cas où nous nous verrions contraints d’entrer en action. Nous devons nous mettre à l’oeuvre sans tarder. Il nous faudra, bien entendu, augmenter nos effectifs de 20.000 à 25.000 hommes, mais cela ne doit pas constituer un obstacle insurmontable.

Je ne m’étendrai pas sur les autres points (voyez le projet de plate-forme), parce qu’ils vont de soi et ne demandent aucun éclaircissement.

Troisième groupe de questions : celles qui se rapportent à l’institution d’une seconde Chambre du Comité exécutif central de l’Union et à l’organisation des commissariats du peuple de l’Union des Républiques. On a dégagé les principaux problèmes, ceux qui sautent aux yeux tout d’abord, sans que la liste de ces questions ne puisse, bien entendu, être considérée comme complète.

La seconde Chambre, telle que le Bureau politique la conçoit, est partie constitutive du Comité exécutif central de l’URSS. On a proposé de créer, à côté du Comité exécutif central existant, un Soviet suprême des Nationalités qui ne ferait point partie du Comité exécutif central. Ce projet a été repoussé et le Bureau politique a estimé plus rationnel de diviser le Comité exécutif central lui-même en deux Chambres, dont la première, qu’on pourra appeler Soviet de l’Union, sera élue au Congrès des Soviets de l’Union des Républiques, tandis que la seconde, qu’il conviendrait d’appeler Soviet des Nationalités, sera élue par les Comités exécutifs centraux des Républiques et par les Congrès des régions nationales, à raison de cinq représentants par République et d’un par région, l’élection de ces représentants devant être validée par le Congrès des Soviets de l’Union des Républiques.

En ce qui concerne les droits de la seconde Chambre par rapport à la première, nous nous sommes arrêtés au principe de l’égalité. Chacune aura un présidium, qui n’exercera pas de fonctions législatives. Les deux Chambres réunies éliront d’autre part un Présidium commun, investi de l’autorité suprême dans l’intervalle des sessions du Comité exécutif central. Aucun projet, qu’il soit présenté à l’une ou l’autre des deux Chambres, n’aura force de loi s’il n’a été approuvé par les deux; autrement dit, l’égalité des Chambres est complète.

Poursuivons sur la question du Présidium du Comité exécutif central. J’en ai déjà parlé en passant. Le Bureau politique estime qu’on ne saurait admettre l’existence de deux présidiums ayant des pouvoirs législatifs. Le Présidium, s’il est l’autorité suprême, ne peut se diviser en deux ou en plusieurs parties; l’autorité suprême doit être unique. Il a donc semblé rationnel que le Présidium commun du Comité exécutif central de l’URSS fût composé des présidiums des deux Chambres, plus quelques personnes élues par les deux Chambres réunies, c’est‑à‑dire en séance plénière du Comité exécutif central.

Vient ensuite la question du nombre des commissariats fusionnés. Vous savez que, d’après l’ancienne Constitution, celle qui a été adoptée l’an dernier au Congrès des Soviets de l’Union, les questions relatives à la guerre, aux affaires étrangères, au commerce extérieur, aux PTT et aux chemins de fer sont du ressort du Conseil des commissaires du peuple de l’Union; cependant, cinq autres commissariats reçoivent le nom de directifs, ce qui veut dire que le Conseil supérieur de l’Économie nationale, les commissariats du peuple au Ravitaillement, aux Finances, au Travail et l’Inspection ouvrière et paysanne sont une organisation à deux degrés; enfin, les six autres commissariats sont indépendants. Ce projet a été critiqué par une partie des Ukrainiens : Rakovski, Skrypnik et d’autres. Mais le Bureau politique a rejeté la proposition des Ukrainiens de transférer les commissariats du peuple des Affaires étrangères et du Commerce extérieur de la catégorie des commissariats fusionnés dans celle des commissariats directifs, et il a adopté pour l’essentiel les principales dispositions de la Constitution dans l’esprit des décisions de l’an dernier.

Telles sont, dans l’ensemble, les considérations qui ont inspiré le Bureau politique pour l’élaboration du projet de plateforme.

Je crois que sur la question de la Constitution de l’Union des Républiques et de la seconde Chambre, la Conférence devra se borner à un bref échange de vues, d’autant plus que la commission de la session plénière du Comité central s’occupe de cette question[8]. Des mesures pratiques pour l’application des décisions du 12e Congrès, il faudra, je crois, parler plus en détail. Quant au renforcement des cadres marxistes composés d’hommes du pays, on devra lui consacrer une grande partie des débats.

Je pense qu’avant d’ouvrir la discussion il serait bon d’entendre les rapports que les camarades des différentes Républiques et régions présenteront en se basant sur la documentation qu’ils ont apportée avec eux.

3.
Discours de clôture des débats
(10 juin)

Je voudrais avant tout dire quelques mots des rapports des camarades et, d’une façon générale, du caractère de la Conférence à la lumière des rapports présentés. Bien que cette Conférence soit la quatrième depuis que le pouvoir des Soviets existe, c’est la seule qui soit tout à fait digne de ce nom et où des rapports plus ou moins complets et solidement étayés aient été présentés par les délégués des républiques et des régions. De ces rapports il résulte que dans les régions et les républiques, les cadres communistes ont fait des progrès, qu’ils apprennent à travailler seuls. J’estime que l’abondante documentation que les camarades nous ont présentée ici, l’expérience du travail dans les régions et les républiques dont ils ont donné la preuve ici, doivent absolument être portées à la connaissance de tout le Parti par les procès-verbaux de cette Conférence. Les hommes ont grandi et vont de l’avant, ils apprennent à gouverner : telle est la première conclusion, la première impression qui se dégage de ces rapports.

Si l’on passe à leur contenu, on peut diviser les documents présentés en deux groupes : les rapports des représentants des Républiques socialistes et ceux des représentants des Républiques populaires, non socialistes (Boukhara, Khorezm).

Abordons l’examen du premier groupe. Il en ressort que, si l’on se demande dans quelle mesure l’appareil du Parti, et surtout de l’État, s’est rapproché de la langue et du mode de vie du peuple, c’est la Géorgie qui doit être regardée comme la République la plus évoluée, la plus avancée. Après la Géorgie vient l’Arménie. Puis les autres Républiques et régions. Voilà, selon moi, une conclusion indiscutable. Cela s’explique par le niveau de culture plus élevé de la Géorgie et de l’Arménie. En Géorgie, la proportion des personnes sachant lire et écrire est assez forte; elle atteint 80 %; en Arménie, elle n’est pas inférieure à 40 %. Tel est le secret de l’avance que ces deux pays ont prise sur les autres républiques. Il s’ensuit que moins un pays, une République, une région compte d’analphabètes, plus il est cultivé, plus aussi l’appareil du Parti, l’appareil de l’État soviétique sont proches du peuple, de sa langue et de son mode de vie. Ceci, toutes choses égales, bien entendu. Voilà qui est clair, et il n’y a rien de nouveau dans cette conclusion; mais précisément parce qu’il n’y a là rien de nouveau, on oublie souvent cette conclusion et il n’est pas rare que l’on tente de mettre le retard culturel et, partant, le retard des institutions politiques, sur le compte des "erreurs" de la politique du Parti, sur le compte des conflits, etc., alors que la raison de tout cela est l’instruction insuffisante, le manque de culture. Voulez‑vous faire avancer votre pays sous le rapport des institutions politiques? Développez l’instruction de la population, élevez le degré de culture du pays, et le reste viendra de lui‑même.

Si l’on envisage le problème sous cet angle et si l’on considère la situation dans les différentes Républiques à la lumière de ces rapports, il faut reconnaitre que la situation, l’état de choses actuel du Turkestan sont les plus fâcheux, les plus alarmants. Retard culturel, proportion d’analphabètes terriblement élevée; divorce profond entre l’appareil d’État, d’une part, et la langue, le mode de vie des peuples du Turkestan, d’autre part; rythme de développement extrêmement lent : tel est le tableau. Il est pourtant clair que de toutes les Républiques soviétiques, le Turkestan est la plus importante pour le développement de la révolution en Orient, non seulement parce qu’il présente une combinaison des nationalités dont les rapports avec l’Orient sont les plus étroits, mais aussi parce que, du fait de sa position géographique, il s’enfonce au coeur même de cet Orient qui est exploité au maximum et où s’est accumulé le maximum de matière explosive pour la lutte contre l’impérialisme. C’est pourquoi le Turkestan actuel est le point le plus faible du pouvoir des Soviets. Nous devons en faire une République modèle, un poste avancé du développement de la révolution en Orient. Il est donc nécessaire de concentra: notre attention sur ce pays, d’y élever le niveau culturel des masses, d’y nationaliser l’appareil d’État et ainsi de suite. Cette tâche, nous devons nous en acquitter coute que coute, sans regarder à l’effort, sans reculer devant les sacrifices.

Il faut considérer l’Ukraine comme le second point faible du pouvoir des Soviets. Au point de vue de la culture, du développement de l’instruction, etc., la situation y est la même, ou peu s’en faut, qu’au Turkestan. L’appareil d’État y est aussi éloigné de la langue et du mode de vie du peuple qu’au Turkestan. Or, ce pays a, pour les peuples d’Occident, la même importance que le Turkestan pour ceux d’Orient. La situation de l’Ukraine est encore compliquée par certaines particularités du développement industriel. Les principales industries : les mines et la métallurgie, n’y ont pas jailli du sol par suite du développement naturel de l’économie nationale; elles ont été créées d’en haut, introduites, artificiellement implantées du dehors. Aussi le prolétariat de ces industries n’est‑il pas d’origine locale et ne parle‑t‑il pas ukrainien. Il suit de là que l’action culturelle de la ville sur les campagnes et l’alliance du prolétariat et de la paysannerie ont été rendues beaucoup plus difficiles par cette différence dans la composition nationale du prolétariat et de la paysannerie. Il faut tenir compte de cela en travaillant à faire de l’Ukraine une République modèle, ce qu’elle doit absolument devenir en raison de son énorme importance pour les peuples d’Occident.

Je passe aux rapports sur le Khorezm et Boukhara. Du Khorezm, je ne dirai rien, en raison de l’absence de son représentant : comment critiquer l’activité du Parti communiste du Khorezm et de son gouvernement rien qu’en se fondant sur la documentation dont dispose le Comité central? Ce que Broïdo a dit ici du Khorezm concerne le passé et n’a que peu de rapports avec la situation présente. Du Parti il a dit qu’il comptait 50 % de marchands, etc. Il en était peut‑être ainsi dans le passé, mais on y procède actuellement à une épuration; pas une carte du Parti n’y a été délivrée; à proprement parler, il n’y a pas de Parti là‑bas, et on ne pourra en parler qu’après l’épuration. On dit que le Parti compte là‑bas plusieurs milliers de membres. Je crois qu’après l’épuration il n’en restera pas plus de quelques centaines. La situation était exactement la même, l’an dernier, à Boukhara, où l’on a compté 16.000 membres du Parti avant l’épuration et pas plus d’un millier après.

Je passe au rapport sur Boukhara. À ce propos, je dois dite, au préalable, deux mots du ton général et du caractère des rapports présentés. J’estime qu’en général les rapports sur les Républiques et les régions étaient véridiques, qu’en général ils ne s’écartaient pas de la réalité. Un seul s’en est écarté totalement : le rapport sur Boukhara. Ce n’est même pas un rapport, mais de la diplomatie d’un bout à l’autre : tout ce qu’il y a de négatif à Boukhara s’y trouve estompé, voilé; tout ce qui brille extérieurement et saute aux yeux est mis au premier plan, en montre. Conclusion : à Boukhara, tout va pour le mieux. J’estime que nous sommes venus à cette conférence non pas pour faire assaut de diplomatie, pour nous montrer aimables l’un envers l’autre, tout en essayant de nous mener l’un l’autre par le bout du nez, mais pour dire toute la vérité, pour faire apparaitre toutes les plaies, comme il sied à des communistes, pour les mettre à nu et trouver les moyens d’y porter remède. Ce n’est qu’à cette condition que nous pourrons aller de l’avant. À cet égard, le rapport de Boukhara se distingue de tous les autres par son caractère mensonger. Ce n’est pas par hasard que j’ai interrogé ici le rapporteur sur la composition du Conseil des Nazirs de Boukhara. Le Conseil des Nazirs, c’est le Conseil des commissaires du peuple. Comprend‑il des "dehkans", c’est‑à‑dire des paysans? Le rapporteur n’a pas répondu. Mais j’ai quant à moi certaines informations sur ce sujet. Eh bien, il n’y a pas un seul paysan dans le gouvernement de Boukhara. Parmi ses neuf ou onze membres, on trouve le fils d’un riche négociant, un marchand, un intellectuel, un mullah, un marchand, un intellectuel, encore un marchand, mais pas un seul paysan. Or on sait que Boukhara est un pays exclusivement paysan.

Cette question est en rapport direct avec celle de la politique du gouvernement de Boukhara. Quelle est la politique du gouvernement à la tête duquel se trouvent des communistes? Tient‑il compte des intérêts de la paysannerie, de sa paysannerie? Je citerai seulement deux faits qui illustrent la politique de ce gouvernement, à la tête duquel se trouvent des communistes. D’un document signé par des camarades investis de hautes responsabilités et par de vieux membres du Parti, il ressort, par exemple, que la Banque d’État de Boukhara a, depuis qu’elle existe, accordé 75 % de ses crédits aux négociants privés et 2 % aux coopératives paysannes. En chiffres absolus, cela se traduit ainsi : sept millions de roubles-or aux négociants et 220.000 aux paysans. Autre chose : à Boukhara, on n’a pas confisqué la terre. Mais l’on a confisqué le bétail de l’émir… au profit des paysans. Et quel est le résultat? Il ressort de ce même document qu’environ 2.000 têtes de bétail ont été confisquées pour les paysans, mais que ceux‑ci n’en ont reçu qu’environ 200; le reste a été vendu, ‑ vendu, il va sans dire, à des citoyens aisés.

Et ce gouvernement‑là se dit soviétique, populaire! Est‑il besoin de démontrer que l’activité du gouvernement de Boukhara, telle qu’elle vient d’être dépeinte, n’a rien de populaire ni de soviétique?

Le rapporteur a peint sous les couleurs les plus radieuses les rapports du peuple de Boukhara avec la RSFSR et l’Union des Républiques. À l’en croire, tout va pour le mieux, à cet égard aussi. La République de Boukhara veut, parait‑il, entrer dans l’Union. Le rapporteur estime apparemment qu’il suffit de vouloir entrer dans l’Union des Républiques pour trouver la porte toute grande ouverte. Non, camarades, ce n’est pas si simple. Il faut encore demander si l’on veut bien vous admettre dans l’Union des Républiques. Avant d’entrer dans l’Union, il faut mériter aux yeux de ses peuples le droit d’y être admis, il faut conquérir ce droit. Je dois rappeler aux camarades de Boukhara qu’on n’entre pas dans l’Union des Républiques comme dans un moulin.

Je voudrais, enfin, en achevant la première partie de ce discours qui marque le terme de la discussion sur les rapports, parler d’un de leurs traits caractéristiques. Personne, pas un seul rapporteur n’a répondu à la question posée dans l’ordre du jour de la conférence : existe‑t‑il des réserves disponibles, inutilisées, de militants locaux? Personne n’a répondu à cette question, personne ne l’a même abordée, si ce n’est Grinko, qui n’est pourtant pas rapporteur. Or elle a une importance primordiale. Y a‑t‑il, dans les Républiques ou les régions, des militants disponibles, inutilisés, qui appartiennent à la population locale? Si oui, pourquoi ne les utilise‑t‑on pas? Et si ces réserves font défaut, si la pénurie de militants continue à se faire sentir, avec quels éléments locaux comble‑t‑on les vides des appareils du Parti ou de l’administration soviétique? Toutes ces questions sont de la plus haute importance pour le Parti. Je sais que dans les Républiques et les régions il y a des dirigeants, généralement des Russes, qui, parfois, s’opposent à l’avancement d’hommes du pays, empêchent leur promotion à certains postes, les relèguent à l’arrière-plan. Cela arrive, et c’est une cause de mécontentement dans les Républiques et les régions. Mais la grande et principale cause de mécontentement tient à ce que la réserve disponible d’hommes du pays aptes au travail est terriblement restreinte, ou plutôt n’existe pas du tout. Tout est là. Si l’on manque de militants locaux, il faut évidemment avoir recours à des hommes qui ne sont pas du pays, à des hommes d’autres nationalités, parce que le temps presse, qu’il faut construire et gouverner, et que les cadres locaux ne grandissent que lentement. J’estime qu’ici les militants des régions et des républiques ont voulu quelque peu ruser en passant ce fait sous silence. Il est pourtant évident que les neuf dixièmes des malentendus s’explique par le manque de militants d’origine locale. Une conclusion s’impose, qui ne peut être que celle‑ci : assigner au Parti, comme objectif de combat, le but de former au plus vite, pour l’administration soviétique et pour le Parti, des cadres composés d’hommes du pays.

Des rapports, je passe aux interventions. Je constate, camarades, que personne, pas un orateur, n’a critiqué la déclaration de principes du projet de plate-forme présenté par le Bureau politique. Je vois là une preuve de l’accord de la Conférence, une preuve de sa solidarité avec les thèses exposées dans cette partie de la plate-forme.

L’addition, ou l’intercalation, que Trotski a proposée et sur laquelle il a parlé (elle concerne la déclaration de principe), doit être acceptée, puisqu’elle ne change absolument rien au caractère de cette partie de la résolution; qui plus est, elle en découle tout naturellement. Et cela d’autant plus qu’au fond, elle ne fait que répéter le point bien connu de la résolution du 10e Congrès sur la question nationale où l’on dit qu’il est inadmissible de transplanter mécaniquement les modèles de Petrograd et de Moscou dans les régions et les Républiques. C’est là, bien entendu, une répétition, mais je crois qu’il n’est pas mauvais de répéter parfois certaines choses. Je n’ai donc pas l’intention de m’étendre sur la déclaration de principes de la résolution. Le discours de Skrypnik permet de penser qu’il l’interprète à sa manière et qu’en face de l’objectif essentiel : lutter contre le chauvinisme grand-russe, danger principal, il s’attache à estomper l’autre danger, celui du nationalisme local. Mais pareille interprétation est profondément erronée.

La deuxième partie de la plate-forme du Bureau politique a trait au caractère de l’Union des Républiques et à certains amendements à sa constitution en rapport avec l’établissement de ce qu’on est convenu d’appeler la seconde Chambre. Je dois dire que sur ce point, le Bureau politique n’est pas tout à fait d’accord avec les camarades ukrainiens. La teneur du projet de plateforme du Bureau politique a été adoptée par celui‑ci à l’unanimité. Mais certains points sont contestés par Rakovski. C’est ce qu’on a vu, notamment, à la commission de l’assemblée plénière du Comité central. Peut‑être n’aurait‑il pas fallu en parler, puisque ce n’est pas ici que cette question se règlera. J’ai déjà traité de cette partie de la plate-forme; j’ai dit que la question était à l’étude devant la commission de l’assemblée plénière du Comité central et la commission du Présidium du Comité exécutif central de l’Union[9]. Mais puisqu’elle a été soulevée, je ne puis passer outre.

Il n’est pas vrai que le problème de la confédération et de la fédération ne soit qu’une bagatelle. Est‑ce par hasard que, lorsqu’ils ont examiné le projet de Constitution en question, adopté au Congrès de l’Union des Républiques, les camarades ukrainiens ont biffé la phrase où il est dit que les républiques "s’unissent en un État fédératif unique"? Est‑ce par hasard et ne l’ont-ils pas fait? Pourquoi avoir biffé cette phrase? Est‑ce encore par hasard que les camarades ukrainiens, dans leur contreprojet, ont proposé de faire des commissariats du peuple du Commerce extérieur et des Affaires étrangères non pas des commissariats fusionnés, mais des commissariats directifs? Où est‑il, cet État fédératif unique si chaque République conserve ses commissariats du peuple des Affaires étrangères et du Commerce extérieur? Est‑ce par hasard que les Ukrainiens, dans leur contreprojet, ont réduit à néant le pouvoir du Présidium du Comité exécutif central en le partageant entre les deux présidiums des deux Chambres? Tous ces amendements de Rakovski ont été notés et étudiés par la commission de l’assemblée plénière du Comité central, et rejetés par elle. Alors, pourquoi les répéter ici? Je vois dans cette insistance de certains camarades d’Ukraine le désir d’aboutir, en ce qui concerne la définition du caractère de l’Union, à quelque chose d’intermédiaire entre la confédération et la fédération, mais plus proche de la confédération. Il est pourtant évident que nous formons non une confédération, mais une fédération des républiques, un État fédératif unique, auquel ressortissent toutes les questions de l’armée, de la politique étrangère, du commerce extérieur et autres, sans que l’existence de cet État amoindrisse aucunement la souveraineté de chaque République.

Si l’Union a des commissariats du peuple des Affaires étrangères, du Commerce extérieur et autres, et si chacune des républiques faisant partie de l’Union possède, elle aussi, ces mêmes commissariats, il est bien évident que l’Union ne se présentera pas comme un État unique face au monde extérieur. En effet, de deux choses l’une : ou bien nous fusionnons ces appareils et nous nous présentons, face à l’ennemi extérieur, comme un État unique; ou bien nous ne les fusionnons pas, nous formons non un État fédératif, mais un conglomérat de républiques, et alors chacune d’elles doit posséder un appareil parallèle. Je crois qu’ici la vérité est du côté du camarade Manouilski, et non du côté de Rakovski et de Skrypnik.

Des questions qui intéressent l’État, je passe aux problèmes d’un caractère purement concret et pratique, qui sont relatifs en partie à la proposition pratique du Bureau politique, en partie aux amendements que pourront déposer ici les camarades praticiens. En ma qualité de rapporteur du Bureau politique, je n’ai pas dit, et je ne pouvais pas dire que les propositions pratiques, concrètes, du Bureau politique épuisaient la question. Au contraire, j’ai reconnu dès le début qu’il pouvait y avoir ici des lacunes et que des additions seraient inévitables. C’est une addition de ce genre que Skrypnik propose en ce qui concerne les syndicats. Cette addition est acceptable. J’admets également plusieurs additions présentées par le camarade Mikoïan. En ce qui concerne les fonds de l’édition et de la presse en général dans certaines Républiques et régions retardataires, un amendement s’impose effectivement. Cette question a été négligée. E en va de même pour la question des écoles dans certaines régions, et même certaines Républiques. Les écoles du premier degré ne figurent pas au budget d’État. C’est bel et bien une lacune, et il y a peut‑être une masse de lacunes de ce genre. C’est pourquoi je propose aux camarades praticiens, qui ont surtout parlé de l’état de leurs organisations et se sont moins attachés à donner quelque chose de concret, d’y songer et de soumettre au Comité central les additions, amendements, etc., concrets, qui s’imposent; après les avoir coordonnés, celui-ci les insèrera dans les points appropriés et les fera connaitre aux organisations.

Je ne puis passer sous silence la proposition de Grinko selon laquelle il est indispensable de créer des conditions de faveur pour faciliter l’entrée du Parti et la promotion dans ses organismes dirigeants aux hommes du pays moins cultivés et appartenant à des nationalités peut-être moins prolétariennes. Cette proposition est juste et, à mon avis, il faut l’accepter.

Je terminerai mon discours de conclusion par la proposition suivante : adopter pour base le projet de plate-forme du Bureau politique sur la question nationale, en prenant également en considération l’amendement de Trotski; demander au Comité central de classer et d’insérer dans les points appropriés de la plate-forme des amendements de caractère pratique qui ont déjà été présentés ou qui pourront l’être; demander au Comité central de faire imprimer et de distribuer aux organisations, d’ici une semaine, le projet de plate-forme, les procès-verbaux, la résolution, les principaux documents déposés par les rapporteurs; adopter le projet de plate-forme sans créer de commission spéciale.

Je n’ai pas parlé de la création d’une commission de la question nationale auprès du Comité central. Camarades, j’éprouve quelques doutes sur l’opportunité de créer une organisation de ce genre, d’abord parce qu’il est tout à fait sûr que les Républiques et les régions ne nous donneront pas les travailleurs marquants qu’il faudrait pour cela. J’en suis convaincu. En second heu, je crois que les comités régionaux et les comités centraux des Républiques ne consentiront pas à abandonner à la commission créée auprès du Comité central une partie de leurs droits en ce qui concerne la répartition des militants. À l’heure actuelle, quand nous procédons à la répartition des forces, nous consultons d’ordinaire les comités régionaux et les comités centraux des Républiques. Au cas où la commission serait créée, c’est naturellement là que le centre de gravité se trouverait reporté. Il n’existe aucune analogie entre la commission de la question nationale et les commissions des coopératives ou du travail parmi les paysans. Ces dernières élaborent d’ordinaire des directives générales. Mais pour la question nationale, nous n’avons pas besoin de directives générales; ce qu’il faut, c’est indiquer les mesures concrètes à prendre dans chaque république et dans chaque région. Voilà ce qu’aucune commission générale n’est en état de faire. Il n’est guère probable qu’une commission puisse élaborer et adopter des décisions, pour la République d’Ukraine par exemple : deux ou trois Ukrainiens ne peuvent se substituer au Comité central du PC(b) d’Ukraine. C’est pourquoi j’estime qu’une commission ne donnerait aucun résultat appréciable. La mesure qui est proposée ici, ‑ introduire des éléments nationaux dans les principales sections du Comité central, ‑ me semble tout à fait suffisante pour le moment. Si dans six mois des succès substantiels n’ont pas été obtenus, alors on pourra poser la question d’une commission spéciale.

4.
Réponses aux interventions
(12 juin)

Puisqu’on m’a attaqué, permettez-moi de répondre au sujet de l’"une et indivisible". Ce n’est personne d’autre que Staline qui a flétri l’"une et indivisible" dans la résolution sur la question nationale, au point 8. De toute évidence, ce n’est pas l’"indivisible" qui est en cause, mais la fédération, en ce moment où les Ukrainiens veulent nous imposer une confédération. Voilà la première question.

La seconde concerne Rakovski. Je répète ce que j’ai déjà dit : dans la Constitution adoptée au 1er Congrès des Soviets de l’URSS, il est dit que telles ou telles Républiques "s’unissent en un État fédératif unique" : "l’Union des Républiques socialistes soviétiques". Les Ukrainiens ont adressé au Comité central un contreprojet. Il y est dit : telles ou telles Républiques "forment une Union des Républiques socialistes". Les mots "s’unissent en un État fédératif unique" ont été biffés. Six mots de biffés. Pourquoi? Par l’effet du hasard? Que devient dans tout cela la fédération? J’aperçois encore, chez Rakovski, un germe de confédéralisme du fait qu’il a biffé, dans le paragraphe bien connu de la Constitution adoptée par le 1er Congrès, le passage d’après lequel le Présidium est "investi de l’autorité suprême dans l’intervalle des sessions", et qu’il a partagé le pouvoir entre les Présidiums des deux Chambres, c’est‑à‑dire qu’il a fait de l’autorité fédérale une fiction. Pourquoi cela? Parce qu’il est contre l’idée même d’un État fédératif, contre toute autorité fédérale réelle. Voilà pour la deuxième question.

Troisième point : dans le projet des Ukrainiens, les commissariats du peuple des Affaires étrangères et du Commerce extérieur ne fusionnent pas, mais passent dans la catégorie des commissariats directifs.

Telles sont les trois raisons pour lesquelles je vois dans les propositions de Rakovski des embryons de confédération. D’où vient que vous vous écartez ainsi du texte de la Constitution, adopté également par la délégation ukrainienne? (Rakovski : "Il y a eu le 12e Congrès.")

Pardon. Le 12e Congrès a repoussé vos amendements et adopté la rédaction : "Union des Républiques en un État fédératif unique".

Je constate qu’au cours de la période qui va du 1er Congrès de l’Union des Républiques au 12e Congrès du Parti et à la Conférence actuelle, certains camarades ukrainiens ont évolué du fédéralisme ou confédéralisme. Eh bien, moi, je suis pour la fédération, c’est‑à‑dire contre la confédération, c’est‑à‑dire contre les propositions de Rakovski et de Skrypnik.

 

Notes



[1]. Source : I. V. Staline, Oeuvres, tome 5 (1921 1923); Paris, Nouveau Bureau d’Édition, 1980; p. 239‑279.

[2]. La quatrième Conférence du Comité central du PC(b)R, élargie aux militants responsables des républiques et régions nationales, fut convoquée sur l’initiative de Staline; elle se tint à Moscou du 9 au 12 juin 1923. Elle comprenait, outre les membres titulaires et suppléants du Comité central, 58 représentants des Républiques et régions nationales. Le point principal de l’ordre d jour fut le rapport de Staline sur les "Mesures pratiques à prendre pour appliquer la résolution du 12e Congrès sur la question nationale". Les représentants de vingt organisations du Parti dans les Républiques et régions nationales présentèrent aussi des rapports sur la situation locale. La Conférence discuta également le rapport de la Commission centrale de contrôle sur l’activité antiparti et antisoviétique de Soultan-Galiev (voir les résolutions de la Conférence dans les Résolutions et décisions des congrès, conférences et sessions plénières du Comité central du PCUS, 1re partie, 1953, p. 759-766, édition russe. (IMEL.)

[3]. Le projet de plate-forme sur la question nationale fut rédigé par Staline à la fin de mai 1923 en liaison avec la préparation de la 4e Conférence et approuvé le 4 juin par le Bureau politique du Comité central du PC(b)R. C’est ce projet qui fut adopte par la Conférence en guise de résolution sur le rapport de Staline relatif aux "Mesures pratiques à prendre pour appliquer la résolution du 12e Congrès sur la question nationale". (IMEL.)

[4]. "Les facteurs nationaux dans l’organisation du Parti et de l’État", Thèses pour le 12e congrès du PC(b)R (17‑25 avril 1923) .

[5]. Le mouvement basmatch est un mouvement nationaliste contrerévolutionnaire d’Asie centrale (Turkestan, Boukhara, Khorezm) des années 1918-1924. Il prit la forme d’un banditisme déclaré à caractère politique. Dirigé par les "beys" et les "mullahs", il visait à détacher les républiques d’Asie centrale de la Russie soviétique et à restaurer la domination des classes exploiteuses. Le mouvement basmatch était activement soutenu par les impérialistes anglais qui se proposaient de faire de l’Asie centrale un colonie. (IMEL.)

[6]. Cf. note 4 .

[7]. Voir ci-dessus .

[8]. Cette commission, chargée de mettre au point les propositions pratiques relatives à a formation de l’URSS, fut créée par décision de l’assemblée plénière du Comité central du PC(b)R en date du 24 février 1923. Elle était présidée par Staline et comprenait des représentants des organisations du Parti de toutes les Républiques fédérales. C’est sous sa direction que fut élaboré le projet de Constitution de l’URSS. (IMEL.)

[9]. La commission du Présidium du Comité exécutif central de l’URSS, chargée de dresser le projet de Constitution de l’URSS, se composait de 25 représentants des Républiques fédérées. Staline en faisait partie au nom de la RSFSR. Les séances plénières de la commission consacrées à l’examen du projet de Constitution se tinrent du 8 au 16 juin 1923.