Les travailleurs immigrés doivent s’organiser
en tant que prolétaires

LA VOIX DES COMMUNISTES, no 4, janvier 2011 – p. 10-14

(Texte disponible sous forme de fichier pdf ICI)

Les travailleurs immigrés font partie du prolétariat de France

Depuis les 17e-18e siècles, l’immigration et l’émigration sont des conséquences du développement du capitalisme. Et depuis le début 20e siècle, les vagues de déplacement des forces de travail se sont produites des pays colonisés et semi-colonisés vers les pays impérialistes. L’analyse de Lénine sur le caractère de l’immigration et de l’émigration reste valable aujourd’hui et continue d’éclairer le chemin du prolétariat[1].

Parmi les caractéristiques de l’impérialisme qui se rattachent au groupe de phénomènes dont nous parlons, il faut mentionner la diminution de l’émigration en provenance des pays impérialistes et l’accroissement de l’immigration, vers ces pays, d’ouvriers venus des pays plus arriérés, où les salaires sont plus bas. L’émigration anglaise, remarque Hobson, tombe à partir de 1884 : elle atteignait cette année‑là 242.000 personnes, et 169.000 en 1900. L’émigration allemande atteignit son maximum entre 1881 et 1890 : 1.453.000 émigrants; au cours des deux dizaines d’années suivantes, elle tomba respectivement à 544.000 et 341.000 pendant qu’augmentait le nombre des ouvriers venus en Allemagne, d’Autriche, d’Italie, de Russie, etc. D’après le recensement de 1907, il y avait en Allemagne 1.342.294 étrangers, dont 440.800 ouvriers industriels et 257.329 travailleurs agricoles. En France, les travailleurs de l’industrie minière sont "en grande partie" des étrangers : Polonais, Italiens, Espagnols. […]

À noter qu’en Angleterre, la tendance de l’impérialisme à diviser les ouvriers, à renforcer parmi eux l’opportunisme, à provoquer la décomposition momentanée du mouvement ouvrier, est apparue bien avant la fin du 19e siècle et le début du 20e. Car deux traits distinctifs essentiels de l’impérialisme, la possession de vastes colonies et le monopole du marché mondial, s’y sont manifestés dès la seconde moitié du 19e siècle. Marx et Engels ont méthodiquement, pendant des dizaines d’années, observé de près cette liaison de l’opportunisme dans le mouvement ouvrier avec les particularités impérialistes du capitalisme anglais. Ainsi, Engels écrivait à Marx le 7 octobre 1858 : "En réalité, le prolétariat anglais s’embourgeoise de plus en plus, et il semble bien que cette nation, bourgeoise entre toutes, veuille en arriver à avoir, à côté de sa bourgeoisie, une aristocratie bourgeoise et un prolétariat bourgeois. Évidemment, de la part d’une nation qui exploite l’univers entier c’est jusqu’à un certain point, logique." Près d’un quart de siècle plus tard, dans une lettre du 11 août 1881, il parle des "pires trade-unions anglaises qui se laissent diriger par des hommes que la bourgeoisie a achetés ou que, tout au moins, elle entretient". […]

Voilà donc, nettement indiquées, les causes et les conséquences. Les causes : 1) l’exploitation du monde par l’Angleterre; 2) son monopole sur le marché mondial; 3) son monopole colonial. Les conséquences : 1) l’embourgeoisement d’une partie du prolétariat anglais; 2) une partie de ce prolétariat se laisse diriger par des hommes que la bourgeoisie a achetés ou que, tout au moins, elle entretient. L’impérialisme du début du 20e siècle a achevé le partage du globe entre une poignée d’États, dont chacun exploite aujourd’hui (en ce sens qu’il en retire du surprofit) une partie du "monde entier" à peine moindre que celle qu’exploitait l’Angleterre en 1858; dont chacun, grâce aux trusts, aux cartels, au capital financier, à ses rapports de créditeur à débiteur, occupe une situation de monopole sur le marché mondial; dont chacun jouit, dans une certaine mesure, d’un monopole colonial (nous avons vu que, sur 75 millions de kilomètres carrés, superficie de toutes les colonies du monde, 65 millions, c’est‑à‑dire 86 %, sont concentrés aux mains de six grandes puissances; 61 millions de kilomètres carrés, soit 81 %, sont détenus par trois puissances.)

Ce qui distingue la situation actuelle, c’est l’existence de conditions économiques et politiques qui ne pouvaient manquer de rendre l’opportunisme encore plus incompatible avec les intérêts généraux et vitaux du mouvement ouvrier : d’embryon, l’impérialisme est devenu le système prédominant; les monopoles capitalistes ont pris la première place dans l’économie et la politique; le partage du monde a été mené à son terme; d’autre part, au lieu du monopole sans partage de l’Angleterre, nous assistons maintenant à la lutte d’un petit nombre de puissances impérialistes pour la participation au monopole, lutte qui caractérise tout le début du 20e siècle. L’opportunisme ne peut plus triompher aujourd’hui complètement au sein du mouvement ouvrier d’un seul pays pour des dizaines et des dizaines d’années, comme il l’a fait en Angleterre dans la seconde moitié du 19e siècle. Mais, dans toute une série de pays, il a atteint sa pleine maturité, il l’a dépassée et s’est décomposé en fusionnant complètement, sous la forme du social-chauvinisme, avec la politique bourgeoise.

Cette longue citation de Lénine tirée d’un classique du marxisme-léninisme nous éclaire sur la cause fondamentale des vagues d’immigration et leurs conséquences. Pour nous marxistes-léninistes, les travailleurs immigrés travaillant en France subissent la même exploitation que leurs frères de classe et font partie de la classe ouvrière de France. En conséquence ils doivent s’organiser dans les organisations politiques, syndicales, et associatives de la classe ouvrière pour mener le combat contre l’exploitation capitaliste. Toutes les formes et modalités de lutte qui peuvent se développer dans certaines conditions doivent être guidées par l’esprit de classe. À aucun moment les marxistes-léninistes ne peuvent accepter qu’elles deviennent des éléments de division de la classe.

Comme le souligne Lénine, la bourgeoisie a su tirer profit des divisions de la classe, et il en donne un exemple assez frappant[2] :

Aux États-Unis, les immigrants de l’Europe orientale et méridionale occupent les emplois les plus mal payés, tandis que les ouvriers américains fournissent la proportion la plus forte de contremaîtres et d’ouvriers exécutant les travaux les mieux rétribués. L’impérialisme tend à créer, également parmi les ouvriers, des catégories privilégiées et à les détacher de la grande masse du prolétariat.

Un siècle après la situation a‑t‑elle changé? Tous les bourgeois et petits bourgeois expliquent que la "globalisation", la mondialisation, le néolibéralisme etc., ont transformé la société au point que la question de l’immigration n’est plus une question parmi d’autres concernant la classe ouvrière mais un problème de "droits de l’homme". Il n’y a rien de plus faux : a‑t‑on jamais vu les patrons d’origine étrangère qui viennent investir en France être traités comme des immigrés et exiger d’eux un permis de séjour! Dès leur arrivée ils ont trouvé une place dans la société capitaliste. Mieux, en tant que patrons ils peuvent licencier des milliers de salariés dans leurs entreprises. Mais il ne viendra à personne l’idée de réclamer leur licenciement et leur expulsion. Tout le monde se souvient du patron d’Arcelor-Mittal. Mais une ou un travailleur sans papiers qui a travaillé pendant 10‑15 ans, dans des conditions difficiles peut être expulsé du jour au lendemain! Où sont les droits de l’homme dans tout cela?

Bien évidemment l’enjeu principal pour la bourgeoisie est de réaliser le maximum de profit sur les dos des travailleurs et ce en augmentant la "rentabilité" de son capital. Comment peut-elle faire? Marx a déjà répondu cette question : en augmentant la durée de travail, son intensité et en faisant baisser les salaires.

Concernant l’immigration Maurice Thorez s’exprimait ainsi dans une réunion de l’Internationale Communiste en 1931 [3] :

On se rappelle notre brève analyse du début sur l’impérialisme français, sa triple source de surprofits (colonies, peuple allemand et main-d’oeuvre étrangère en France). […] Sur le prolétariat français on peut dire que c’est le profit ordinaire. Mais la main-d’oeuvre étrangère, c’est un surprofit pour le capitalisme français, et il y a ici possibilité complémentaire de corruption d’une couche de la classe ouvrière, il y a ici la base pour le développement des illusions réformistes, la base d’une organisation réformiste.

Sans entrer ici dans une polémique sur la position du P’C’F hier et aujourd’hui, constatons que malheureusement la division de la classe ouvrière continue de se développer sur la même base. La division de classe, la discrimination, le racisme, le chauvinisme sont les conséquences de la division du travail au sein de la société capitaliste. Ainsi si l’on examine la lutte des sans-papiers des trois ou quatre dernières décennies, celle‑ci est restée une lutte de "l’immigration", elle n’a pas mobilisé l’ensemble les classe ouvrière en France.

Par rapport à d’autres couches du prolétariat les sans-papiers notamment, mais aussi l’ensemble des travailleurs immigrés, subissent des conditions de travail les plus pénibles et ce pour un salaire moindre. La division de la classe ouvrière en couches distinctes, par le type et les conditions de travail, entretient les divisions d’origine nationale. Ainsi dans le bâtiment le ferrailleur est arabe, le plombier est polonais, le maçon est turc, le coffreur est portugais et sont ainsi divisés selon les diverses communautés. C’est un effet du capitalisme qui attise les rivalités entre les travailleurs des diverses nationalités et dont il sort gagnant. Sans lutte contre le capitalisme la lutte contre le racisme ne serait jamais efficace. Tant que la classe ouvrière ne l’aura pas compris, la division de classe persistera. La confiance et la solidarité entre les diverses composantes de la classe ouvrière ne peuvent se développer que dans la lutte et autour des intérêts généraux de la classe. Le travail au sein de la classe ouvrière doit être mené dans un but : le développement de la conscience de classe. Même classe, même combat. Il faut regagner le terrain sur une base claire. Recréer la solidarité de classe, créer les organisations communes, politiques, syndicales et autres.

Nous devons dénoncer l’interdiction pour les travailleurs immigrés d’occuper certains postes de travail et l’absence des droits politiques, leur non-éligibilité à tous les niveaux. Pour travailler ou pénalement ils sont considérés comme adultes à partir de 14‑15 ans, mais ils ne le sont pas pour les droits politiques et ce jusqu’à la fin de leur vie. Ils n’ont aucun droit fondamental, mais sont rendus responsables de certains maux de la société! C’est le capitalisme qui chaque jour crée de nouveaux dangers pour la vie des travailleurs de France et non les travailleurs immigrés. Bien au contraire les immigrés travaillent dans des secteurs vitaux pour le bienêtre de la société : la construction, l’agriculture, la santé, l’aide aux personnes âgées, etc., sans même espérer avoir droit à une retraite décente. Pour espérer sortir d’une situation précaire il faut en moyenne 5 à 10 ans. On reproche aux immigrés de "profiter des avantages sociaux" et dans le même temps de ne pas vouloir s’intégrer à la société française, de ne pas faire l’effort de parler français!

Pour conclure cette première partie ajoutons que le phénomène d’immigration est la conséquence du développement du capitalisme. Celui‑ci ne dépend pas de la bonne ou mauvaise volonté des travailleurs ou de la bourgeoisie dont la survie en tant que classe est assujettie aux lois fondamentales qui régissent la société capitaliste : le capital pour continuer d’exister en tant que capital doit "produire" le profit, plus de profit, encore plus de profit! Et cela la bourgeoise le réalise en employant, quand elle en a l’opportunité, la force de travail la moins chère possible.

On comprend ainsi mieux pourquoi la bourgeoisie a besoin de la force de travail immigrée en France comme dans tous les pays impérialistes, même si suivant les particularités du développement du capitalisme d’un pays à l’autre l’immigration a pu fluctuer et prendre des formes différentes.

Les travailleurs immigrés ne sont ni étrangers, ni une minorité, ni une communauté. Ils font partie de la classe ouvrière de France. La classe ouvrière, à aucune période de son histoire, n’a été homogène comme on voudrait nous le faire croire, un ouvrier du nord de la France peut être "différent" de celui du sud de la France, mais leur position en face de la production est la même.

La classe ouvrière doit donc revendiquer l’égalité de droits pour tous les travailleurs immigrés, le droit de séjour illimité quels que soient leur nationalité d’origine, leur religion ou leurs secteurs de travail.

La contradiction fondamentale de la société n’oppose pas les travailleurs immigrés aux travailleurs "nationaux" mais la bourgeoisie à la classe ouvrière. Les forces et les militants qui ne peuvent ou ne veulent pas reconnaitre cette réalité favorisent la tâche de la bourgeoisie et cantonnent la lutte des travailleurs immigrés pour leur droit à une lutte pour tenter de résoudre un "problème de société" dans le cadre de société capitaliste.

Les immigrés sont des travailleurs en France : quels sont les obstacles qui les empêchent de s’organiser dans les mêmes organisations de la classe ouvrière de France – parti politique, syndicat, associations…?

Nous mettons souvent l’accent dans nos interventions sur le danger pour la classe ouvrière d’abandonner la tâche de s’organiser politiquement pour défendre ses intérêts face à la bourgeoisie. Le prolétariat sans son parti ne peut mener la lutte contre le chauvinisme, facteur de désunion, et assurer son unité. Et justement, une tâche importante pour les travailleurs immigrés est de s’organiser. Comment?

Aujourd’hui il existe des associations de travailleurs immigrés, et certaines de ces associations d’immigrés avancent des revendications culturelles, identitaires à caractère "antiraciste", mais escamotent la question de l’appartenance à une classe. La lutte contre l’injustice devient une bagarre entre le blanc et les autres (les Arabes, blacks, etc.). Se battre sur ce terrain communautaire conduit à une double impasse : soit, sous forme d’une lutte politique tournée vers le pays d’origine, soit par manque de confiance dans les organisations "françaises". On peut trouver d’autres raisons, mais ces deux‑là sont fondamentales.

Le sociologue Saïd Bouamama justifie la deuxième attitude : "En menant ces luttes, nos anciens ont été confrontés aux mêmes difficultés, au même paternalisme, au même chantage à la “division”, au même refus de reconnaître leur autonomie de décision et d’action. Ils ont tenu bon et malgré les difficultés ont ainsi arraché des victoires et des acquis. Nous avons besoin de cette expérience aujourd’hui pour qu’elle aide à féconder de nouveaux combats pour l’égalité."

Saïd Bouamama a écrit ces phrases dans le cadre d’une préparation de "rencontres nationales des luttes de l’immigration". Quand on lit la formule "reconnaître leur autonomie de décision et d’action", on peut se demander : autonomie par rapport à quoi ou à qui? Vis‑à‑vis de l’idéologie bourgeoisie, des organisations bourgeoises, du réformisme, des méthodes d’action réformistes? Alors nous sommes d’accord. Car ce n’est pas seulement les travailleurs immigrés qui ont perdu leur autonomie, c’est la classe ouvrière de France toute entière. Depuis plus d’un demi-siècle elle n’a plus de parti politique qui la représente et capable de conduire ses luttes, elle est aujourd’hui politiquement dépendante et soumise à la bourgeoisie et à la petite bourgeoisie. Le dernier grand mouvement de classe est là pour en témoigner.

Par ailleurs, pour lutter contre le paternalisme, confronté aux mêmes difficultés, point n’est besoin d’être un immigré. Il faut pour cela s’en tenir à des positions marxistes-léninistes. Lénine, toute sa vie, a lutté contre le chauvinisme, parce que sans unité de la classe ouvrière, la lutte contre le capitalisme ne peut être menée victorieusement. Tant que la classe ouvrière n’est pas indépendante idéologiquement, politiquement et organisationnellement, sans parti propre elle sera soumise (immigrés et français de souche compris) à la politique de la bourgeoisie.

Il est un autre aspect qu’il faut remarquer. Les enfants de parents issus de l’immigration, de la deuxième, ou troisième, génération sont‑ils des immigrés? Ils sont nés en France, vivent en France et pour l’écrasante majorité n’ont jamais mis les pieds dans le pays de leurs parents. Si on se place du point de vue de la lutte de classe, on cherchera la classe sociale à laquelle ils appartiennent et non leur plus ou moins lointaine origine nationale[4] :

Les classes sont des groupes d’hommes dont l’un peut s’approprier le travail de l’autre, à cause de la place différence qu’il occupe dans une structure déterminée, l’économie sociale.

D’autre part, on ne peut pas parler de ce point de vue simplement de l’immigration en général. Il y a les travailleurs immigrés qui font partie de classe ouvrière en France. Par contre, parmi les immigrés certains vont quitter leur statut de travailleur, changer de classe sociale. Il suffit de voir le nombre de petits artisans, restaurateurs et autres professions libérales qui sont issus de l’immigration et dont certains sont d’anciens travailleurs immigrés. Aujourd’hui il y a des milliers de petits artisans issus de l’immigration et certains exploitent jusqu’à 30‑40 salariés. Pour cette catégorie, quelle revendication peut‑on soutenir? Quelle autonomie, avec qui, pour quoi faire? Allons plus loin : quelle autonomie pour Rachida Dati, Fadela Amara ou Zidane? Pas besoin de faire un dessin.

Il faut être clair encore une fois et répéter : l’autonomie de la classe sera assurée par l’édification et l’existence de son propre parti, le parti communiste. La classe ouvrière devient alors une classe pour soi. Sans avoir cette perspective, toutes les interventions vers les travailleurs immigrés seront, dans la société capitaliste, conduite sur le la voie du démocratisme bourgeois. C’est une voie réformiste. Nous cherchons quant à nous la voie du communisme.

Abordons maintenant la première attitude, celle qui consiste à s’organiser pour mener la lutte politique dans le pays d’origine. Cette attitude est aussi très répandue dans l’immigration. Il y a des mouvements de libération (les Kurdes, les Tamouls, etc.). Il y a des organisations d’exilés de tendance communiste, révolutionnaire, nationaliste, etc.

En ce qui concerne les mouvements de libération, qu’on soit d’accord ou pas avec leur tactique, ils sont cohérents dans leur pratique. Ils ne se réclament pas comme représentants politiques de la classe ouvrière. De ces mouvements, nous n’attendons pas qu’ils se considèrent comme partie du prolétariat du pays où ils se trouvent. De même, il est normal qu’un travailleur puisse rester solidaire de la lutte de ses camarades dans son pays d’origine. Mais un prolétaire solidaire avec la lutte politique d’autres pays n’est pas nécessairement kurde, tamoul, ou palestinien. La conscience de classe d’un communiste le conduit à être solidaire avec les luttes antiimpérialistes, progressistes et communistes d’autres pays. À nouveau écoutons Lénine, sur la conscience de classe[5] :

Or, l’une des conditions essentielles de l’extension nécessaire de l’agitation politique, c’est d’organiser des révélations politiques dans tous les domaines. Seules ces révélations peuvent former la conscience politique et susciter l’activité révolutionnaire des masses. C’est pourquoi cette activité est une des fonctions les plus importantes de la social-démocratie internationale tout entière, car la liberté politique ne supprime nullement les révélations mais en modifie seulement un peu la direction. C’est ainsi par exemple que le parti allemand, grâce à sa campagne infatigable de révélations politiques, fortifie particulièrement ses positions et étend son influence. La conscience de la classe ouvrière ne peut être une conscience politique véritable si les ouvriers ne sont pas habitués à réagir contre tous abus, toute manifestation d’arbitraire, d’oppression, de violence, quelles que soient les classes qui en sont victimes, et à réagir justement du point de vue social-démocrate [lire communiste – Ndr], et non d’un autre. La conscience des masses ouvrières ne peut être une conscience de classe véritable si les ouvriers n’apprennent pas à profiter des faits et événements politiques concrets et actuels pour observer chacune des autres classes sociales dans toutes les manifestations de leur vie intellectuelle, morale et politique, s’ils n’apprennent pas à appliquer pratiquement l’analyse et le critérium matérialistes à toutes les formes de l’activité et de la vie de toutes les classes, catégories et groupes de la population. Quiconque attire l’attention, l’esprit d’observation et la conscience de la classe ouvrière uniquement ou même principalement sur elle-même, n’est pas un social-démocrate; car, pour se bien connaître elle-même, la classe ouvrière doit avoir une connaissance précise des rapports réciproques de la société contemporaine, connaissance non seulement théorique… disons plutôt : moins théorique que fondée sur l’expérience de la vie politique.

Cela est clair. Pour ce travail, oui, on a besoin d’une idéologie et une ligne politique qui est assurée par une organisation qui s’appelle parti communiste. Voilà pourquoi le ROC‑ML consacre toutes ses forces pour réaliser cette tâche : édifier le parti communiste.

Il est normal que les organisations révolutionnaires et communistes continuent un travail en exil, tourné vers leurs pays d’origine, et nous soutenons leurs luttes. Mais ce n’est là qu’un aspect de la question, cette activité ne peut permettre de mobiliser la masse des travailleurs immigrés dans la lutte de classe. On peut compter par centaines de milliers les travailleurs immigrés qui vivent en France ou dans d’autres pays européens. La plupart de ces travailleurs n’y sont pas installés provisoirement. Ils sont là pour refaire leur vie. Malgré toutes les pressions et difficultés cela fait pour la majorité d’entre eux 10, 20 ou 30 ans qu’ils sont exilés. Il n’est pas rare de trouver un travailleur sans papiers qui vit en France depuis 15‑20 ans. Ce n’est plus une situation temporaire.

Aujourd’hui il y a environ 3 millions de travailleurs issus de l’immigration qui vivent en France avec leurs familles. Si les travailleurs immigrés continuent à s’organiser sur la base communautaire, comment peut‑on réaliser l’unité de la classe ouvrière. Comme on l’a vu, leur situation de classe est la même, indépendamment de leur pays d’origine, la langue, leur religion, etc. Pour résoudre tous ces problèmes posés à la classe ouvrière par la société capitaliste il faut avoir des forces et une perspective. La question de l’immigration ne sera pas résolue dans la société capitaliste. Obama, un noir, de parents immigrés africains, est devenu président de la première puissance impérialiste. Qu’a‑t‑il changé dans vie quotidienne des centaines de millions d’immigrés et de descendants d’immigrés vivant aux États-Unis?

Il y a en France de nombreuses associations d’immigrés. Elles peuvent jouer un rôle important pour aider les travailleurs immigrés à s’intégrer à la lutte de classe en France. Par exemple en les aidant à maitriser la langue française, à comprendre la situation politique et savoir défendre leurs intérêts immédiats, à s’organiser dans les syndicats sur leur lieu de travail; bref en leur donnant les moyens de s’engager dans la lutte de classe et d’agir en tant que membres de la classe ouvrière de France, de lutter et s’organiser en tant que prolétaires en France.

Toute organisation qui se dit communiste ne peut pas se permettre le luxe de faire n’importe quoi. Dans le passé l’Internationale Communiste donnait comme premier devoir à un communiste qui arrivait dans un pays de contacter l’organisation communiste membre de l’Internationale. Aujourd’hui où l’Internationale Communiste n’existe plus, où comme en France aucun parti communiste n’existe, que peut faire un communiste issu de l’immigration? Choisir sa place sans sentimentalisme là où il juge être utile. Un communiste n’a pas de pays ni de patrie. Avant tout il est communiste. Il fera son travail de communiste partout où il se trouve, et il ne doit pas hésiter à joindre ses efforts à la lutte des communistes du pays pour édifier le Parti Communiste.

Comme le remarquait Marx, ce ne sont pas les hommes qui choisissent les conditions de la lutte pour leur émancipation, même si ce sont eux qui écrivent leur propre histoire. Mais les hommes ne créent leur histoire qu’une seule fois. Si cela était possible de rejouer l’histoire plusieurs fois ce serait plus facile. Il faut choisir sa voie en toute conscience : soit abattre le capital, soit rester dans la spontanéité sur le terrain et les règles fixées par le capital.

Tous les camarades communistes qui vivent en France, quels que soient leurs pays d’origine, ont le devoir de s’unir pour réaliser les tâches que l’histoire assigne au prolétariat de France, et dans le monde.

Vive le socialisme !

Vive le communisme !

Vive le parti communiste !

 



[1]. V. I. Lénine : L’impérialisme, stade suprême du capitalisme; Oeuvres, tome 22, Paris, Éditions sociales, 1960; p. 305‑307.

[2]Idem, p. 305.

[3]. Maurice Thorez : Rapport à la 11e assemblée plénière du Comité exécutif de l’Internationale communiste (mai 1931); Oeuvres, livre 2e, tome 1er; Paris, Éditions sociales, 1950.

[4]. V. I. Lénine : La grande initiative; Oeuvres, tome 29, Paris, Éditions sociales, 1962; p. 425.

[5]. V. I. Lénine : Que faire?; Oeuvres, tome 5, Paris, Éditions sociales, 1973; p. 421.