On ne peut pas organiser la classe ouvrière
sans organiser sa fraction plus avancée dans un parti communiste

LA VOIX DES COMMUNISTES, no 8, décembre 2012 – p. 16-19

Dans le précédent journal, dans l’article "l’individu et l’organisation", nous avons écrit par rapport à l’individu que « s’il s’en remet à une lutte individuelle, consciemment ou inconsciemment, il reste dans les limités fixées par la bourgeoisie ».

Dans ce premier article, nous avons insisté sur l’importance et le rôle de l’organisation historique, et sur le rôle de l’individu. Dans celui-ci nous allons essayer d’approfondir notre propos : même organisé, l’individu n’est pas pour autant coupé de la société, de l’influence de l’idéologie bourgeoise dominante et débarrassé des comportements petit-bourgeois.

Rappelons pour commencer la position de l’Internationale Communiste sur la question du Parti[1] :

« Le Parti Communiste est une fraction de la classe ouvrière et bien entendu il en est la fraction la plus avancée, la plus consciente et, partant, la plus révolutionnaire. Il se crée par la sélection spontanée des travailleurs les plus conscients, les plus dévoués, les plus clairvoyants. Le Parti Communiste n’a pas d’intérêts différents de ceux de la classe ouvrière. Le Parti Communiste ne diffère de la grande masse des travailleurs qu’en ce qu’il envisage la mission historique de l’ensemble de la classe ouvrière et s’efforce, à tous les tournants de la route, de défendre non les intérêts de quelques groupes ou de quelques professions, mais ceux de toute la classe ouvrière. Le Parti Communiste constitue la force organisatrice et politique, à l’aide de laquelle la fraction la plus avancée de la classe ouvrière dirige, dans le bon chemin, les masses du prolétariat et du demi-prolétariat. »

Résumons brièvement : qu’est-ce que le Parti?

– Le parti est une fraction de la classe ouvrière.

– Le parti est la fraction la plus avancée.

– Le parti est la fraction la plus consciente.

– Le parti est la fraction la plus révolutionnaire.

Est reprise dans ce texte l’analyse classique de Marx selon laquelle « le Parti Communiste n’a pas d’intérêts différents de ceux de la classe ouvrière » et « pratiquement, les communistes sont donc la fraction la plus résolue des partis ouvriers de tous les pays, la fraction qui stimule toutes les autres; théoriquement, ils ont sur le reste du prolétariat l’avantage d’une intelligence claire des conditions, de la marche et des fins générales du mouvement prolétarien »[2].

Nous avons repris ces deux citations pour affirmer, au contraire de tous les révisionnistes et opportunistes, qu’il n’y a pas de différence de conception du Parti entre Marx et l’Internationale Communiste fondée par Lénine. Évidemment la société change et les luttes de classe peuvent prendre des formes nouvelles. Aussi on ne doit pas se référer aux principes énoncés par nos prédécesseurs communistes d’une manière dogmatique sans les valider par une analyse de la situation concrète.

Il n’est pas possible d’organiser la classe
sans organiser sa fraction la plus avancée

Qu’entendons-nous par fraction la plus avancée? L’expérience du mouvement communiste et ouvrier nous apprend qu’il s’agit des militants de la classe ouvrière qui réfléchissent à leur condition et veulent la transformer, qui s’organisent pour lutter, revendiquer, manifester, et dont l’action vise à renforcer et faire croitre la force de la classe ouvrière.

Le Parti « se crée par la sélection spontanée des travailleurs les plus conscients, les plus dévoués, les plus clairvoyants » (cf. la citation plus haut).

Quand il n’y a pas un parti ou une seule organisation communiste[3] qui structure la lutte à tous les niveaux – économique, politique et idéologique -, ces militants restent dispersés, isolés les uns des autres. Ils ne sont pas protégés de l’influence des illusions de la petite bourgeoisie et grande bourgeoisie.

Aujourd’hui nous sommes une poignée de militants communistes de la classe ouvrière. Nous subissons l’héritage de plus d’un demi-siècle d’influence sans partage du révisionnisme, du réformisme et de plusieurs formes de pensées bourgeoises et petite-bourgeoises. Sans oublier l’influence anarchosyndicaliste dans la classe ouvrière, qui en France a toujours été importante. Aussi les tâches qui s’imposent à nous aujourd’hui ne seront pas faciles à réaliser.

Souvent lorsqu’on discute de la question organisationnelle, on se limite aux seuls aspects pratiques.

Certes, sans pratique concrète, sans actes quotidiens, une organisation ne saurait exister. Cette organisation est bien sûr le résultat de la lutte politique pratique du prolétariat, mais en retour, comme disait Lénine, la lutte de classe du prolétariat ne peut s’élever à un haut niveau politique sans parti politique. Voilà pourquoi le prolétariat sans son parti est inexistant sur la scène politique comme c’est malheureusement le cas d’aujourd’hui.

La question de l’organisation doit dépasser le simple niveau de l’organisation de la classe pour sa lutte dans le cadre réduit de l’affrontement quotidien du capital et du travail.

La question de l’organisation
est à la fois stratégique et tactique

Elle est stratégique, parce qu’il faut construire le Parti communiste en tant qu’état-major dirigeant la lutte de la classe pour arracher le pouvoir des mains des capitalistes et au-delà pour édifier le socialisme puis le communisme. L’effort à réaliser est d’ordre théorique, politique et pratique. Le Parti est l’avant-garde de la classe qui dirige toutes les organisations de masse de la classe : syndicats, organisation de jeunesse, organisation de femmes, associations de quartier, sportives, coopératives, etc. Et après la prise du pouvoir il faut rajouter les soviets. C’est le Parti qui dirige l’alliance avec d’autres couches ou classes sociales.

Elle est tactique, parce que la tactique permet d’intervenir dans la vie quotidienne de la société et dans le développement des luttes immédiates, de suivre les évolutions de la pensée, du mode de vie, les nouvelles formes que prend la lutte. Chaque évènement doit nous intéresser.

En résumé, la tactique s’occupe de la forme et des méthodes de l’organisation dans l’action quotidienne. C’est dans ce domaine de la tactique que réside les plus grandes difficultés.

Nous sommes une organisation communiste qui a pour but de construire un parti communiste révolutionnaire. Nous sommes au tout début du chemin qui mène à ce parti. Si chaque camarade – et nous incluons les militants qui adhèrent à la théorie marxiste-léniniste de la révolution et qui ne sont pas adhérents du ROCML – ne comprend pas le rôle historique qu’il doit assumer aujourd’hui, alors on n’atteindra pas notre but.

Ce rôle est d’abord théorique. Et cette tâche ne sera jamais effectuée par le travail d’un seul individu isolé des autres. Cela a été vérifié jusqu’à aujourd’hui : aucune organisation communiste n’est née du mouvement spontané de la classe. La bonne volonté et l’engagement individuel ne peuvent suffire. Certains intellectuels peuvent effectuer un travail non négligeable, intéressant pour le mouvement ouvrier, mais ce travail ne débouche sur aucune activité politique concrète de la classe. De nombreux livres existent. Mais si l’analyse théorique d’un phénomène social est souvent bien réalisée, aucune conclusion politique n’est tirée de cette analyse. Aucune direction n’est apportée à la pratique politique de la classe. Toutes ces études restent des études intellectuelles coupées des tâches concrètes de la pratique révolutionnaire. Un exemple : Stéphane Beaud et Michel Pialoux ont écrit sur « la condition ouvrière », sur la « violence urbaine ». Quel est le lien entre les deux? La nouvelle situation nous impose quoi? Comment la classe ouvrière peut-elle s’organiser? Quel est le lien entre le lieu du travail et le quartier, quelle est sa nature? Avec la Zone d’Activité Industrielle, le chantier, les transports, le ravitaillement…. Comment organiser le prolétariat? Tous ces changements qui se produisent, à quels types nouveaux de formes de lutte et d’organisation doivent-ils conduire?

On pourrait donner d’autres exemples mais celui-là suffit à illustrer notre propos. Tous ces travaux qui ne débouchent pas sur une pratique politique, même s’ils apportent quelques satisfactions aux individus qui les créent, montrent que leurs auteurs n’ont rien compris à la méthode dialectique du matérialiste historique.

Une autre attitude consistant à refuser toute organisation politique est adoptée par des camarades qui se réclament du marxisme-léninisme. Ils nous disent : « Nous ne sommes pas contre l’organisation. Mais les conditions ne sont pas réunies pour s’organiser politiquement ». Ils oublient que la question de l’organisation est une question subjective. Tant qu’il y a lutte de classe, tant qu’il y a des milliers et des millions de travailleurs qui luttent quotidiennement, il n’y a pas plus favorable que cette lutte pour commencer à organiser politiquement la classe.

« Il n’y a pas un grain d’utopisme chez Marx; il n’invente pas, il n’imagine pas de toutes pièces une société “nouvelle”… Non, il étudie, comme un processus d’histoire naturelle, la naissance de la nouvelle société à partir de l’ancienne, les formes de transition de celle-ci à celle-là. Il prend l’expérience concrète du mouvement prolétarien de masse et s’efforce d’en tirer des leçons pratiques[4]. »

Depuis la Commune de Paris de nombreuses luttes ont été menées par le prolétariat. Pour les plus récentes citons les années 1989, 1995, 1997, 2003, 2005, 2007 et 2010… Sans parler d’autres luttes, les sans-papiers, la solidarité avec la Palestine… Quelles avancées politiques ont émergés de tous ces mouvements en l’absence d’une organisation politique marxiste-léniniste?

Une organisation c’est un « lieu » pour la réflexion. Elle permet un travail de réflexion collectif alors que des travaux individuels en dehors de l’organisation ne débouchent sur aucune action politique. La méthode de Marx est claire. Dès le début, en communiste conséquent, il a recherché à s’organiser. L’Internationale n’est pas tombée du ciel. Le travail organisationnel qu’il a mené n’a pas entravé son travail théorique. Au contraire, s’il n’y avait pas eu l’Internationale, le travail théorique de Marx n’aurait pas eu le rayonnement qu’il a eu.

Rappelons que la théorie marxiste-léniniste est cohérente. Elle n’est pas dans un domaine matérialiste, et dans un autre idéaliste. Mais une organisation marxiste-léniniste ne doit pas seulement être cohérente, elle doit assurer la continuité avec une ligne politique juste qui défende les intérêts propres du prolétariat.

Sans avoir une pratique régulière et continue, l’organisation n’existe pas. On ne peut à la fois, être membre de l’organisation et à la fois chercher une « liberté » individuelle qui s’affranchit de la politique de l’organisation. Du moment qu’un individu est organisé, sa liberté est « encadrée » par les buts et les perspectives de l’organisation. Le jour où il n’est plus en accord avec les principes et les buts fondamentaux de l’organisation, la discipline devient un enfer pour lui.

« Il découle de tout le développement historique jusqu’à nos jours que les rapports collectifs dans lesquels entrent les individus d’une classe et qui étaient toujours conditionnés par leurs intérêts communs vis-à-vis d’un tiers, furent toujours une communauté qui englobait ces individus uniquement en tant qu’individus moyens, dans la mesure où ils vivaient dans les conditions d’existence de leur classe; c’était donc là, en somme, des rapports auxquels ils participaient non pas en tant qu’individus, mais en tant que membres d’une classe[5]. »

Si l’on comprend bien le concept d’« individu moyen », pourquoi ne s’appliquerait-il pas à nos « élites »? Pourquoi les intellectuels seraient-ils au-dessus des préoccupations moyennes partagées au sein d’une classe de la société? Évidemment, "[…] la véritable richesse intellectuelle de l’individu dépend entièrement de la richesse de ses rapports réels. C’est de cette seule manière que chaque individu en particulier sera délivré de ses diverses limites nationales et locales […]"[6].

Il apparait ainsi que toute démarche intellectuelle individuelle reste spontanément dans cadre de la pensée moyenne bourgeoise. Seule son intégration dans un projet révolutionnaire collectivement construit peut lui conférer un sens et une utilité révolutionnaires.

Alors dans ces conditions comment un communiste, prolétaire ou intellectuel[7], doit s’organiser, et sous quelle forme? Quel type d’organisation? La réponse est donnée par la pratique du mouvement communiste international. L’organisation communiste, dès sa naissance doit s’organiser sur la base centralisme démocratique. Comment peut-on comprendre ce qu’est le centralisme démocratique? Est-il vrai que le centralisme démocratique empêcherait le développement des idées, limiterait l’expression des capacités individuelles et favoriserait la bureaucratie?

On peut se poser d’autres questions. Mais il est notoire que tous les courants qui se sont battus contre le communisme, qui ont combattu ou abandonné le centralisme démocratique, ont vu leur parti disparaitre ou devenir un parti bourgeois. En tout cas ils ne sont pas devenus ou restés des partis du prolétariat.

« La centralisation démocratique dans l’organisation du Parti communiste doit être une véritable synthèse, une fusion de la centralisation et de la démocratie prolétarienne. Cette fusion ne peut être obtenue que par une activité permanente commune, par une lutte également commune et permanente de l’ensemble du Parti. La centralisation dans le Parti communiste ne doit pas être formelle et mécanique; ce doit être une centralisation de l’activité communiste, c’est-à-dire la formation d’une direction puissante, prête à l’attaque et en même temps capable d’adaptation.

Une centralisation formelle ou mécanique ne serait que la centralisation du "pouvoir" entre les mains d’une bureaucratie en vue de dominer les autres membres du parti ou les masses du prolétariat révolutionnaire extérieures au parti. Mais seuls les ennemis du communisme peuvent prétendre que, par ses fonctions de direction de la lutte prolétarienne et par la centralisation de cette direction communiste, le Parti communiste veut dominer le prolétariat révolutionnaire. C’est là un mensonge et, de plus, à l’intérieur du Parti, la lutte pour la domination ou un antagonisme d’autorités est incompatible avec les principes adaptés par l’Internationale Communiste relativement à la centralisation démocratique[8]. »

Aujourd’hui, la faiblesse des organisations communistes est le résultat de l’échec du Mouvement Communiste International, qui a fait perdre à beaucoup militants la connaissance scientifique des conditions de l’édification organisationnelle des Partis communistes.

Le centralisme démocratique est une arme dans les mains du prolétariat. Dans le parti du prolétariat il n’y aura pas de « démocratie » pour l’idéologie bourgeoise et petite-bourgeoise. En tous cas, la lutte idéologique contre les attitudes et comportements bourgeois et petit-bourgeois doit être permanente. La démocratie ne doit pas empêcher l’unité d’action du parti. Avant la décision, pendant les congrès, dans les ordres du jour tous les membres du parti ont les mêmes droits. Une fois que la décision a été prise, la discipline engage tout le monde. Même ceux qui ont défendu un point de vue minoritaire. Sans ce fonctionnement, le parti du prolétariat ne pourra jamais avoir un poids dans la lutte de classe.

Alors, aujourd’hui, bien qu’il n’existe pas de Parti, l’organisation des communistes est une question d’actualité, une nécessité pour que ce parti existe quand les masses ouvrières avanceront vers la révolution. Ce parti n’apparaitra pas un jour comme une génération spontanée. Il ne sortira pas tout fait du mouvement spontané et des luttes syndicales. Il faut en préparer les conditions idéologiques, politiques et organisationnelles. C’est la mission des ouvriers et des intellectuels communistes d’y travailler collectivement, donc de manière organisée, selon la méthode collective du centralisme démocratique, pour créer ces conditions.

C’est la raison d’être du Rassemblement Organisé des Communistes Marxistes-Léninistes.

 



[1]. IIe Congrès de l’IC (juillet 1920), Résolution sur le rôle du Parti communiste dans la révolution prolétarienne.

Cf. la brochure "L’internationale communiste et les questions d’organisation des partis communistes 1920-1932", page 5.

https://rocml.org/wp-content/uploads/2014/12/FINAL_BROCHURE_ORGANISATION_IC.pdf

[2]. K. Marx – F. Engels, Le Manifeste du parti communiste.

[3]. Dans la situation où ce Parti n’existe pas encore, une véritable organisation communiste, si elle se fixe cet objectif, doit présenter les caractéristiques de ce Parti pour ce qui est des principes organisationnels (centralisme démocratique) et de son rapport avec la classe.

[4]. Lénine, L’État et la révolution (chapitre III – L’expérience de la Commune de Paris 1871, Analyse de Marx).

[5]. K. Marx – F. Engels, L’idéologie allemande – Première partie: Feuerbach (Traduction française de Renée Cartelle et Gilbert Badia, 1952; Paris, Éditions sociales, 1970.

[6]Ibidem.

[7] Quand on parle de l’organisation du prolétariat, on parle d’une organisation qui défend la théorie et l’intérêt politique de la classe ouvrière. Comme disait Lénine, le prolétariat n’acquiert pas la connaissance scientifique du prolétariat par la seule lutte de classe ; elle lui est apportée de l’extérieur de cette lutte, et c’est précisément le rôle des communistes organisés dans le Parti, quelle que soient leur origine de classe.

[8]. IIIe Congrès de l’IC (juin 1921), Thèses sur la structure, les méthodes et l’action des partis communistes.

Cf. la brochure "L’internationale communiste et les questions d’organisation…", page 12.

https://rocml.org/wp-content/uploads/2014/12/FINAL_BROCHURE_ORGANISATION_IC.pdf