Chili : De la dictature militaire
à la "démocratie" comme jeu de société

LA VOIX DES COMMUNISTES, no 30, 2e semestre 2022 – p. 33-48

Au Chili, il y a trois ans, se déroulaient des mouvements de protestation et de revendication d’ampleur importante. Ils débutaient en octobre 2019 en réaction à une augmentation du tarif du métro, mais s’étaient amplifiés rapidement ensuite[1]. Ils touchaient des questions de portée considérable, notamment celle de la constitution sur laquelle était basé le régime politique existant. Sur ce point, le gouvernement en place sous la présidence de Sebastián Piñera réagissait en indiquant vaguement qu’il envisageait une procédure d’élaboration d’une nouvelle constitution en passant par le Parlement. Les partis de l’opposition à la coalition gouvernementale déclaraient qu’il fallait mettre en place une Assemblée constituante garantissant une large participation des citoyens.

Durant la période d’aout à décembre 2019, la contribution du mouvement syndical a été primordiale pour la consolidation et la continuité des actions revendicatives[2]. En aout a été formée une plateforme dénommée "Unidad Social" (Unité Sociale) regroupant des syndicats et des organisations de mouvements sociaux; en faisait partie notamment la confédération syndicale CUT (Confederación unitaria del trabajo). Elle prit l’initiative de convoquer à une grève générale pour le 5 septembre. Le manifeste publié lors de cet appel déclare entre autre[3] :

Unies et unis pour stopper la voracité du capital dans tous les domaines de la société, pour endiguer les abus, la répression et les atteintes à nos libertés et à nos droits, au bradage de nos richesses et de notre patrimoine, plus encore, lorsqu’au niveau mondial il y a une stratégie des secteurs les plus réactionnaires, représentatifs des grandes transnationales, avec pour objectifs d’en finir avec la démocratie, de reprendre les chemins du totalitarisme et d’exacerber la déprédation sauvage des êtres humains, des territoires et de l’environnement. C’est le destin de l’humanité et l’avenir même de notre planète qui sont en jeu.

Cette mobilisation a été réprimée par les forces de l’ordre (Carabineros) avec un bilan de près de 100 détenus.

Face aux mouvements de protestation qui se développent en octobre jusqu’à la journée d’affrontements intenses du 18 octobre, le gouvernement décrète l’état d’urgence le 20. Une journée nationale de protestation est convoquée pour le 21, à laquelle se joint Unidad Social, et celle‑ci réalise les 23-24 une grève générale nationale. Les revendications comprennent le rétablissement de l’institutionnalité démocratique, l’abandon des projets de loi qui signifient des atteintes aux droits sociaux, économiques et culturels du peuple, ainsi que la formation d’une Assemblée constituante pour la rédaction d’une nouvelle constitution. Le 25 la CUT appelle à des rassemblements au niveau national et se joint ensuite à la journée de protestation convoquée pour le 28. Le 30 se déroule une deuxième grève générale à l’appel de la CUT en commun avec Unidad Social, avec une large participation des travailleurs de divers secteurs, dont l’industrie, le commerce, les mines, la santé, la banque. Le 4 novembre la CUT se joint à une nouvelle journée nationale de protestation, et une autre le 11.

Entretemps, le 7, a été lancé un appel à une grève générale pour le 12, soutenu par des organisations des secteurs des ports, mines, énergie, construction, industrie, transport, commerce, services financiers et bancaires, éducation, santé, agriculture, agroindustrie, services publics[4]. Parmi les principales revendications figure toujours celle d’une Assemblée constituante. Durant la journée du 12, se déroulent une multitude d’actions de protestation, jusqu’au matin du 13. Selon le bilan d’Unidad Social, 2 millions de personnes se sont mobilisées au niveau national, avec une adhésion de 90 % dans le secteur public et 70 % dans le secteur privé, 94 % pour les travailleurs portuaires. Un bilan fait état de 849 arrestations et 46 civiles blessés.

Le 15 novembre, un certain nombre de partis politiques ont signé avec le gouvernement un "Accord pour la paix et la Nouvelle Constitution"[5]. Il stipule qu’un organe constituant sera formé, composé de membres désignés par voie d’élection générale; il sera chargé de rédiger une nouvelle constitution. Ce projet de constitution sera soumis à un plébiscite : s’il est approuvé, la nouvelle constitution remplacera l’ancienne qui sera abrogée, sinon cette dernière restera en vigueur.

Parmi les partis non-signataires de cet accord figurent le Parti Communiste du Chili (PCCh), le Parti Humaniste, le parti "Convergencia Social"; ils refusaient notamment une disposition de l’accord qui spécifie que "l’organe constituant devra approuver les préceptes juridiques et les règles de vote de ceux‑ci par un quorum des deux tiers de ses membres en fonction". Cette règle a effectivement des conséquences importantes, puisqu’elle implique la nécessité d’un degré élevé d’accord au sujet des contenus rédactionnels à adopter. Gabriel Boric, futur président, a signé à titre personnel bien qu’étant membre de "Convergencia Social".

Les mobilisations se poursuivent. Unidad Social convoque une troisième grève générale débutant le 25 novembre. L’initiative est motivée par l’insuffisance de l’accord du 15, l’absence de prise en compte des revendications sociales concernant notamment la précarité et le cout de la vie, et la CUT formule la demande d’un salaire mensuel minimum de 500.000 pesos (ce qui correspond actuellement à environ 550 dollars US). Pour des raisons de tactique, l’action est mise en oeuvre de façon étalée. La Unión Portuaria de Chile paralyse complètement les terminaux les 25 et 26, les autres organisations s’y joignent le 26 et poursuivent le 27. Parallèlement sont organisés des blocages de voies de communication. À cet égard on peut mentionner le mouvement Ukamau, faisant partie de Unidad Social, qui formule des revendications concernant des habitations dignes dans le cadre de plans d’urbanisme inclusifs et plus généralement des meilleures conditions de vie. Cette grève générale est encore suivie d’une journée de protestations convoquée par la CUT le 30 novembre.

Le 5 décembre, la CUT en commun avec Unidad social présente une proposition concernant une "Nouvelle constitution à travers une Assemblée constituante plurinationale et paritaire", stipulant notamment que l’Assemblée elle‑même détermine les quorums applicables aux approbations et que les peuples autochtones disposent d’un quota de 15 % des membres[6].

En octobre 2020 s’est déroulé un premier plébiscite, également prévu dans l’accord conclu le 15 novembre, pour évaluer les souhaits de la population relatifs à la constitution. Près de 80 % des voix exprimées étaient favorables à une nouvelle constitution[7]. L’élection des membres de l’organe constituant (au nombre de 155, à l’image de la chambre de députés) eut lieu en mai 2021 et les travaux débutèrent en juillet de la même année.

Le processus lancé ainsi doit se terminer en septembre 2022 par un "plébiscite constitutionnel final" décidant l’acceptation ou le rejet du texte de constitution proposé par le Convention. Le vote sera obligatoire pour tous ceux qui tiennent leur domicile au Chili sous peine d’amende pécuniaire. Nous reviendrons sur ce sujet plus loin dans le présent texte.

Durant l’année 2021 se sont déroulées également, en plusieurs temps, des élections parlementaires et présidentielles. Le système électoral au Chili permet la déclaration formelle d’alliances entre partis et prévoit l’éventualité d’élections primaires pour désigner, dans le cadre d’une alliance donnée, le candidat que celle‑ci présentera. Deux listes regroupaient les partis associés au gouvernement de l’époque : "Chile Podemos Más" ("Chili Nous pouvons plus") et "Frente Social Cristiano". Deux autres listes regroupaient les partis en opposition : "Apruebo Dignidad" ("J’approuve la Dignité") et "Nuevo Pacto Social". "Apruebo Dignidad" inclut entre autre le PCCh ainsi qu’une alliance dénommée "Frente Amplio" à laquelle participe "Convergencia Social". Sur un total de 155 députés, le résultat des élections parlementaires donnait 68 députés associés au gouvernement et 73 associés à l’opposition, ainsi que 14 sans rattachement clair[8]. Les députés ont assumé leur mandat en mars 2022 pour une période de 4 ans.

Pour la fonction de président, les pôles mentionnés sont passés par l’étape des élections primaires[9]. "Chile Podemos Más" choisissait entre quatre prétendants et désignait Sebastián Sichel, sans appartenance à une organisation; il avait été ministre du Développement social et de la Famille de juin 2019 à juin 2020, puis président de la Banque de l’État du Chili (Banco del Estado de Chile, ou BancoEstado, une banque commerciale propriété de l’État) jusqu’en décembre 2020. "Apruebo Dignidad" choisissait entre Daniel Jadue (PCCh) et Gabriel Boric ("Convergencia social"), ce dernier fut désigné. Aux élections proprement dites, se présentaient en outre José Antonio Kast (pour la liste "Frente Social Cristiano") ainsi que quatre autres candidats. Le résultat du premier tour fit que le deuxième tour se jouait entre Boric et Kast.

Nous n’allons pas analyser en détail les programmes que proposaient l’un et l’autre. Mais on peut constater que la campagne électorale comportait quelques similitudes avec ce à quoi nous a habitués le couple Macron-Le Pen, avec Mélenchon comme troisième larron. À première vue cette mise en parallèle peut paraitre incongrue. Mais elle ne l’est pas, dans la mesure où Boric représente un mélange entre le "ni droite ni gauche" de Macron et l’étiquette de "gauche radicale" de laquelle les médias ont tendance à gratifier Mélenchon.

Voici quelques exemples de la façon dont la situation a été présentée par les médias.

El Mercurio (Chili), 11/12/2021 [10] : "Si aujourd’hui nous sommes confrontés à un choix entre des extrêmes, c’est en grande partie en raison de la complaisance qu’une partie importante de la gauche a montrée envers les positions radicales de son propre secteur, comme celles que représentent Boric, le FA [Frente Amplio] et le PC […]." France 24, 23/11/2021 [11] : "Boric ou Kast : le Chili centriste de toujours est parti vers les extrêmes." Cadena SER (Espagne), 19/12/2021 [12] : "Jose Antonio Kast et Daniel Boric, extrême droite et extrême gauche se mesurent dans les urnes, lors d’élections présidentielles pour le moins étranges. La majorité des Chiliens voteront pour un moindre mal, pas pour leur candidat."

Quand les médias se réfèrent à Kast, le vocabulaire est limité : il est d’extrême droite, ou alors ultradroitier, au mieux ultraconservateur. Quant à Boric, on peut noter quelques variations dans la façon de le désigner. Souvent il est simplement considéré comme "de gauche" mais parfois quand même comme "d’extrême gauche". Qui plus est, quand ce qualificatif est appuyé par des explications quelque peu développées, des flottements apparaissent. L’accusation d’être d’extrême gauche peut paraitre cohérente si elle vise "les positions radicales […] où la violence est admise ou tolérée comme instrument politique et où est promue l’idée que la “rue”, et non les élections ni le Congrès, est représentative de la volonté populaire"[13]. Cependant, l’accusation est plutôt confuse quand elle repose sur l’argument que Boric "défend […] un modèle social et écologique"[14]. Cela dit, l’interprétation fréquente qui associe Boric à une "nouvelle gauche" recouvre une réalité sociologique : "une nouvelle conception de la gauche chilienne […] avec un discours […] fondé sur l’égalité, l’écologie et le féminisme, et adapté aux ambitions et aux langages des nouvelles générations auxquelles il [le futur président] s’identifie […]"[15].

 

Quoi qu’il en soit, le point fondamental en rapport avec les élections est que Boric s’insère en toute connaissance de cause dans le contexte fixé par le système politique en place : une république parlementaire dont le caractère est déterminé par la domination de la bourgeoisie, du capital. Pour réussir à être élu il joue sur plusieurs tableau, dont l’un émane de son passé de militant étudiant. Mais il prend soin de ne pas rester enfermé dans ces limites.

En novembre 2021 au premier tour des élections présidentielles Boric obtient 25,82 %, Kast 27,91 %. L’objectif de Boric est de gagner au deuxième tour, il remodèle sa tactique en conséquence, et annonce ouvertement cette attitude[16] : "Nous allons faire toutes les révisions qui soient nécessaires. Je comprends qu’il y a une préoccupation en lien avec les angoisses du présent, que nous devons traiter." Le commentaire suivant de Jenny Pribble, professeure de sciences politiques à l’Université de Richmond, fait ressortir cet aspect[17] : "Je croie que tout le monde reconnait qu’avec le Congrès fragmenté, il sera difficile pour un candidat quel qu’il soit d’impulser un programme radical, c’est pourquoi je croie qu’il [Boric] a pivoté vers le centre de façon assez efficace."

Et ce n’était pas un virage de dernière minute[18] :

Boric avait anticipé pendant la campagne électorale qu’il allait être ouvert à la négociation de son agenda de transformation avec d’autres forces politiques, afin que les changements soient établis sur des fondements solides de consensus social. Son triomphe doit beaucoup au soutien reçu au second tour par l’ancienne "Concertación" (le Parti socialiste et la Démocratie chrétienne), la coalition de centre-gauche qui a alterné au pouvoir avec la droite depuis le retour de la démocratie en 1990. Le "Frente Amplio" de Boric (le "Podemos" chilien) avait auparavant joint les forces avec le puissant Parti communiste (PCCh) au sein de la coalition "Apruebo Dignidad".

En effet Boric maintient durablement une quête de consensus, d’autant plus compte tenu du fait qu’au parlement il ne dispose pas, à l’issue des élections de 2021, d’une majorité gouvernementale. Cette préoccupation imprègne ses prises de position, synthétisées par un terme dont il use amplement : "transversal", c’est‑à‑dire selon le dictionnaire ce "qui relie deux voies de circulation parallèles ou divergentes à partir d’un centre", "qui concerne différents domaines ou disciplines". Ainsi le programme présenté lors des élections présidentielles annonce[19] :

Notre Gouvernement et son programme auront trois perspectives transversales qui parcourent chacune de nos propositions et qui marquent notre projet politique placé dans le cadre de la recherche de justice sociale et de déconcentration du pouvoir. […] Une perspective féministe […] Transformation sociale et écologique […] Décentralisation […]

L’attitude "transversale" aboutit à un éclecticisme sans limites. Le programme de Boric mentionne la question du "travail sexuel"[20] :

Engagement du gouvernement à protéger, promouvoir et défendre les droits de ceux qui exercent le travail sexuel sous toutes ses formes; et avec les organisations qui les représentent.

En France existe une de ces organisations : le Strass (Syndicat du Travail Sexuel), créé en 2009 par des "travailleurSEs du sexe" lors des Assises européennes de la prostitution qui se tenaient alors à Paris. Ses "militants" perturbent régulièrement les mobilisations féministes en faveur de l’abolition de la prostitution. Quelques extraits de la présentation du Strass par lui-même[21] : "Nous nous battons avec le STRASS pour que touTEs les travailleurSEs du sexe aient les mêmes droits que toute personne et toutE travailleurSE." "Le STRASS accorde une attention particulière aux femmes ‑ en adoptant une position féministe fondée sur le droit de chacune de disposer librement de son corps." "Nous réclamons la disparition du code pénal des dispositions sanctionnant spécifiquement le “proxénétisme”. Censées nous protéger des exploiteurs, elles font aussi obstacle à l’exercice de la prostitution en nous refusant la possibilité de nous organiser (en nous empêchant, par exemple, de partager un lieu de travail) ou de bénéficier d’une quelconque aide extérieure." "Enfin, nous nous opposons fermement à la pénalisation de nos clients."

Le gouvernement issu des élections de 2021

La composition du gouvernement constitué en mars 2022 est marquée par la vision "transversale"[22]. La plupart des ministres ont fait carrière sur la base de formations universitaires. Plusieurs parmi eux étaient dans le passé impliqués dans des activités militantes en milieu estudiantin, notamment durant des périodes de fortes mobilisations (2006, 2011, 2019). Cinq ministères sont pris en charge par des membres de la formation dont vient Boric, "Convergencia social" : Économie, Développement et Tourisme; Énergie; Justice et Droits de l’Homme; Femme et Équité entre les genres; Cultures, Arts et Patrimoine. Deux ministres ont vécu à Cuba durant les années 1970-1980, leur parents ayant émigré sous l’effet du coup d’État de 1973.

Le PCCh est présent au gouvernement avec trois ministres : Travail et Protection sociale; Science, Technologie, Connaissance et Innovation; Secrétariat général du Gouvernement. Jeannette Alejandra Jara Román est ministre du Travail et de la Protection sociale. En 1988 elle a rejoint l’organisation de la Jeunesse communiste (JJCC), elle a été en 1997 présidente de la Fédération des étudiants de l’Université de Santiago (Feusach); en 1999 elle adhère au PCCh et depuis 2015 elle fait partie de son Comité central. Camila Antonia Amaranta Vallejo Dowling est ministre du Secrétariat général du gouvernement. Elle a rejoint la JJCC en 2006, en 2010 elle a été élue présidente de la Fédération d’Étudiants de l’Université du Chili (FECH), en décembre 2011 c’est Boric qui a été élu à ce poste, Vallejo passant à être vice-présidente. Elle a été élue députée pour les périodes 2014-2018 et 2018-2022. Elle est membre du Comité central du PCCh depuis 2010.

Au départ, l’équipe gouvernementale peut faire valoir quelques références favorables, du moins sur le plan propagandiste. Nicolás Grau, de "Convergencia social", ministre de l’Économie, du Développement et du Tourisme, a contribué à la campagne électorale par la proposition que les travailleurs intègreront 50 % des directions d’entreprise[23]. Quant à Camila Vallejo, en tant que députée elle avait fait la promotion d’un projet de réduction de la journée de travail à 40 heures (au lieu de 45) par semaine, qui est actuellement en discussion au Sénat[24].

Par contre le ministère des Finances est en charge de Mario Marcel, lequel a d’autres compétences à faire valoir. En 2015, il avait été nommé administrateur de la Banque centrale du Chili, puis en 2016 président de cette organisation, poste qu’il a occupé jusqu’à fin janvier 2022. Auparavant, il avait exercé plusieurs fonctions dans des organismes internationaux : directeur du domaine des pratiques de bonne gouvernance de la Banque mondiale, directeur adjoint de la gouvernance et du développement territorial de l’OCDE, responsable du Département Capacité institutionnelle et Finances de la Banque interaméricaine de développement (BID). Pendant 13 ans, il a travaillé pour le gouvernement du Chili au ministère des Finances, entre 2000 et 2006 il a été directeur des budgets.

Le Parti communiste du Chili

En décembre 2020 s’est tenu le 26e Congrès du PCCh[25]. Les militants ont choisi les 96 membres du Comité central pour la période 2021‑2024, parmi une liste de 144 candidats. (Il faut noter qu’au Chili la loi, en particulier depuis un dispositif adopté en 2017, règlemente assez strictement la désignation des organes de direction des partis politiques, sur la base du suffrage universel par les membres; le "Servicio Electoral", organe supérieur de l’administration électorale, tient le registre des adhérents et supervise la régularité des élections internes aux partis.) Le vote a atteint un taux de participation de 12,5 % (6.180 votants sur près de 48.000 membres actifs). Avec 5.923 voix, Camila Vallejo est arrivée à la première position, suivie de Daniel Jadue, avec 5.822 voix. Une Commission politique a été constituée, pour laquelle Guillermo Teillier et Lautaro Carmona ont été reconduits respectivement comme président et secrétaire général.

Teillier, né en 1943, fait figure de vétéran, il avait assumé la fonction de président la première fois en 1988. En 2002 Gladys Marín Millie a été élue comme présidente, elle avait été secrétaire générale depuis 1994. En 2005 elle décède, Teillier, qui était passé à la fonction de secrétaire général, assume de nouveau celle de président.

Daniel Jadue défend des positions qui souvent le mettent publiquement en porte à faux par rapport à l’orientation officielle du PCCh, et simultanément existent des discordances marquées entre lui et Boric avec qui il était en compétition pour la candidature aux élections présidentielles au nom de la liste "Aprueba Dignidad". Ainsi, en novembre 2021, à une question sur le rôle de Jadue dans un gouvernement à l’issue de l’éventuelle victoire de Boric, celui‑ci répondait[26] : "Je suis en bon termes avec Daniel […]. Daniel est bien dans la municipalité [Recoleta, dont Jadue est maire, quartier de la capitale Santiago] et il va rester dans la municipalité. Au gouvernement, nous avons besoin de personnes transversales."

Le contexte établi depuis 2019 offre au PCCh l’occasion de jouer dans la pièce, en se laissant guider par son programme adopté en 2001 [27] :

La forme de domination actuelle est une nouvelle phase de développement de l’impérialisme, nourrie par le néolibéralisme économique. Le néolibéralisme s’identifie aujourd’hui non seulement à son expression économique, mais à tous les aspects qui composent la domination idéologique qu’il a développée. Ainsi, la contradiction fondamentale de l’époque se situe entre cette forme de domination, dans son ensemble, et le processus de démocratisation croissante de la société.

Dans le pays s’est imposé et se maintient un modèle économique néolibéral, qui a intégré le Chili dans la nouvelle phase de développement capitaliste au bénéfice des conglomérats transnationaux et des groupes économiques internes, portant atteinte à notre souveraineté et contraire aux intérêts de la grande majorité des Chiliens : ouvriers, intellectuels, couches moyennes, petits et moyens entrepreneurs, jeunesse, femmes. […]

Dans le domaine économico-social, la ligne de partage s’exprime entre l’emprise du capital étranger et les grands intérêts économiques internes, d’une part, et les majorités nationales, d’autre part, y compris une part significative de la bourgeoisie non monopoliste, également victime du processus de spoliation de la part du grand capital. […]

Il est indispensable de faire place à l’unité de tous ceux qui sont affectés par ce projet pour conquérir une démocratie réelle, nationale, populaire et participative. […]

Nous posons comme principe la Nouvelle Majorité Nationale en tant que force politique et sociale, pluraliste et multiclassiste, qui se construit dans l’action, par des ouvriers, travailleurs, couches moyennes de la ville et de la campagne, secteurs marginalisés, professionnels, intellectuels, artistes, artisans, entrepreneurs non monopolistes, minorités ethniques, femmes au foyer, retraités, membres des forces armées et forces de l’ordre, et la jeunesse, c’est‑à‑dire tous ceux qui sont affectés par l’emprise transnationale et l’application du modèle néolibéral. […]

La conquête de la démocratie réclamera dans un moment historique, le changement du caractère de classe du pouvoir. Les réformes qui puissent être atteintes seront toujours précaires, des triomphes provisoires, avec la réaction aux aguets pour les liquider. Notre expérience montre qu’il ne suffit pas de conquérir le gouvernement. Il faut que le peuple conquière et exerce la totalité du pouvoir. […]

Nous sommes pour l’unité de la gauche avec toutes les forces avancées et progressistes opposées au système néolibéral, guidées par une direction partagée, avec une stratégie et une tactique communes, compte tenu de la diversité de pensée de ses membres, marxistes et chrétiens, révolutionnaires et réformistes, humanistes, écologistes et libres penseurs. Recréer une proposition de gauche, démocratique, nationale, antiimpérialiste, en vue du socialisme et conformément aux nouvelles conditions nationales et internationales, est un facteur décisif dans la construction de cette nouvelle alternative. […]

Construire un pouvoir majoritaire est une voie de création. Pour que la révolution triomphe, elle doit en permanence résoudre, sous une forme favorable au peuple, le problème du pouvoir de l’État et la conquête de la conscience et de la volonté de millions de Chiliens.

Nous aspirons à construire un nouvel État National, Social et Démocratique, indépendant et souverain, qui se fondé sur une nouvelle Constitution proposée par une Assemblée Constituante, qui mette fin à l’héritage institutionnel dictatorial, instaure un système électoral démocratique et proportionnel, réforme le Code du Travail, […].

Et en décembre 2019, après les mobilisations de septembre-octobre, la même orientation, cette fois dans une perspective de mise en pratique plus concrète[28] :

Avec la force constituante du peuple du Chili, nous aspirons à la construction d’un nouvel État, démocratique et souverain, plurinational, garant et responsable des droits du peuple du Chili. Qui observe et respecte les droits de l’Homme et de l’environnement. Avec les forces armées et les forces de l’ordre et de la sécurité attachées sans restriction à une doctrine démocratique. La nouvelle Constitution doit nous doter d’un nouvel État pour un nouveau Chili.

Les forces de l’ordre et les forces armées

Un État, qu’il soit bourgeois ou prolétarien, "démocratique" ou "dictatorial", dispose naturellement d’organes ayant pour tâche d’exercer la force, autant que nécessaire, pour protéger le pouvoir en place face à des perturbations internes ou agressions externes mettant en péril directement ou indirectement les rapports sociaux établis.

Par principe, le gouvernement actuel au Chili assume la pose "transversale" du défenseur de la population à l’égard des actions malveillantes ‑ ce qui correspond à l’idée d’un État au-dessus des classes.

Au Chili le 29 mars est un jour traditionnel de commémoration, le "Jour du jeune Combattant". Ce jour-là en 1985, à l’époque d’Augusto Pinochet, les frères Rafael et Eduardo Vergara Toledo ont été assassinés par des agents des forces de l’ordre (appelés Carabiniers de Contrôle de l’Ordre Public ‑ COP, entité militarisée comme la Gendarmerie en France). Izkia Siches, ministre de l’intérieur du gouvernement de Boric, a tenu les propos suivants à cette occasion[29] :

Une société dans laquelle nous vivons et construisons l’accompagnement de toutes les personnes qui habitent ce pays, exige le maintien de l’ordre public, et donc la fonction que vous remplissez […] est fondamentale. […] Il est pour nous nécessaire de réitérer l’appui de notre gouvernement à vos fonctions et que vous vous sentez, dans chacun des rôles qu’il vous échoit de jouer, confiants en ce que nous sommes là, vous soutenant et vous accompagnant dans chacune de ces actions.

Parmi "chacune de ces actions", voici un exemple. En mai 2022, débute à la raffinerie de l’ENAP, située à Hualpén dans la région de Biobío, une grève des travailleurs engagés par le biais de la sous-traitance[30]. L’ENAP ‑ Empresa Nacional del Petróleo S.A. ‑ est une société nationale dépendante du ministère de l’Énergie. La direction réagit en annonçant qu’elle cesse la distribution de combustible dans la région, afin de susciter parmi la population une peur de pénurie et de mettre ainsi sous pression les grévistes.

La Direction générale de l’électricité et des combustibles (SEC) sollicite alors auprès de la déléguée présidentielle de Biobío "la force policière nécessaire pour évacuer les installations occupées", ce qui fut fait, moyennant une cinquantaine de véhicules policiers ainsi que des canons à eau et du gaz lacrymogène[31].

Dans ce cas le caractère de classe de l’affrontement est apparent. Cependant le gouvernement prend plus généralement prétexte de "la violence" pour considérer comme justifiées l’existence des forces de police et leur action. Boric considère que "la criminalité est un problème transversal dans tout le Chili", qu’il faut "renforcer l’institution des Carabiniers par une réforme très profonde" et qu’il est nécessaire que "toutes les forces politiques adhèrent transversalement à un accord national en matière de sécurité"[32]. Or, au Chili comme sur tout le continent sud-américain, les phénomènes de violence sont répandus sur la base de phénomènes divers qui ne peuvent pas être englobés dans un concept aussi général que passepartout comme celui de "la violence".

Dans la pratique, ce contexte complique considérablement les efforts du gouvernement de respecter sa prétention d’être de gauche, progressiste. Outre la délinquance en général, le grand banditisme, le trafic de stupéfiants, certains conflits sociaux s’expriment à travers un niveau élevé de violence. C’est le cas en ce qui concerne la situation de la population mapuche. Dans le cadre du présent texte, il n’y a pas lieu d’analyser cette question de façon détaillée, mais il est nécessaire d’en donner un exposé succinct, afin de montrer les turbulences auxquelles le gouvernement actuel s’expose.

Historiquement, le peuple mapuche constituait une grande population autochtone de l’Amérique du Sud, vivant sur un territoire qui s’étend sur les États actuels du Chili et de l’Argentine, de la côte ouest à la côte est du continent. Des traces archéologiques de la présence des Mapuche remontent au 5e siècle avant notre ère. Durant la deuxième moitié du 15e siècle, l’empire Inca ‑ constitué à partir du 14e siècle au départ autour de la région de Cuzco ‑ réalisait son expansion vers le sud, mais son avancée fut bloquée par les Mapuche à la hauteur de l’actuelle région de Maule. Puis en 1541 les Espagnols entreprennent une campagne d’occupation vers le sud et avancent jusqu’à la rivière Biobío, mais ne réussissent pas à prendre effectivement le contrôle des territoires mapuche. En 1641 est conclu un accord par lequel les Espagnols reconnaissent l’indépendance territoriale des Mapuche entre des frontières marquées par la rivière Biobío et la rivière Quillen. Ultérieurement, après la constitution des États indépendants du Chili et de l’Argentine au 19e siècle, la lutte des populations mapuche pour leur liberté nationale se poursuit, et continue encore actuellement.

Le mouvement mapuche, en tant qu’expression d’une action organisée du groupe ethnique au sein de la société chilienne, a émergé dans les premières décennies du 20e siècle. Diverses positions s’y sont exprimées, allant de celles qui visaient l’assimilation jusqu’à celles voulant préserver la séparation sociale complète. Les multiples organisations et structures dans lesquels les Mapuche se rassemblent maintiennent des rapports d’autonomie entre elles, même au prix de s’opposer. Le fait est que ce contexte rend la situation fortement conflictuelle dans la zone où vivent les Mapuche.

En octobre 2021 le Président Sebastián Piñera avait déclaré l’état d’urgence dans plusieurs provinces des régions Araucanía et Biobío. Piñera expliquait que "selon ce décret d’exception, les forces armées pourront fournir un soutien logistique, technologique et de communication, et pourront également fournir un soutien de surveillance, de patrouille et de transport à toutes les procédures de police qui sont mises en oeuvre dans les provinces déclarées en état d’exception"[33]. Initialement limité à 15 jours, la mesure a été prolongé à plusieurs reprises, jusqu’au 26 mars 2022. Boric et le nouveau gouvernement entré en fonction le 11 mars, ont dès le départ dû définir une position à l’égard de cette question, restée entièrement d’actualité. Boric a tenté de trouver un consensus sur une mesure qui d’un côté satisferait les exigences de "sécurité" qu’on lui adressait amplement, mais de l’autre ne ressemblerait pas trop à une mesure répressive telle que Piñera l’avait déployée. N’ayant pas pu trouver un soutien suffisant de la part de ses alliés au Parlement, Boric a dû se résigner à déclarer le 17 mai l’état d’exception faisant intervenir non seulement les forces de l’ordre mais aussi les forces armées[34]. Officiellement il s’agit de contrer les actes de violence et d’assurer la sécurité sur les axes de circulation. En effet, une des principales sources de problèmes est liée à ce que d’une part les Mapuche, dans ces régions qui leur seraient réservées dans une hypothétique perspective historique, subissent une présence envahissante ‑ au sens propre ‑ d’entreprises d’exploitation forestière, et que d’autre part les routes où se produisent des incidents sont empruntées notamment par les camions de transport de ces entreprises. Les camionneurs concernés déclenchent périodiquement des actions de grève et de blocage pour exiger des mesures de protection.

Le gouvernement s’efforce de noyer le poisson. Un organisme appelé "Unité de coordination stratégique" (UCS) est chargé d’"orienter le travail opérationnel et d’investigation des institutions compétentes, dans le but ultime de prévention, de contrôle et de poursuites judiciaires à l’encontre d’organisations criminelles". Dirigée par le sous-secrétaire à l’Intérieur, l’UCS comprend : les Carabiniers du Chili, la Police d’enquête, la Gendarmerie du Chili, le Service national des douanes, la Direction générale du Territoire maritime et de la Marine marchande, la Direction générale de l’aéronautique civile, la Direction générale de la mobilisation nationale. Selon les régions concernées, la liste des "délits traités prioritairement" varie. Dans la zone dont il est question ici, la liste est la suivante : "violence et délinquance rurale : trafic de stupéfiants, délits violents associés à la violence rurale (attaques incendiaires), vol organisé (bétail, bois, véhicules)"[35].

Les argumentations déployées sont tortueuses. La porte-parole du gouvernement, Vallejo (membre du PCCh) se trouve d’ailleurs sur la défensive quand on lui rappelle des prises de position antérieures[36]. Alors qu’elle était députée, Vallejo avait voté contre la proclamation de l’état d’exception déclaré par Piñera, et s’exprimait à ce sujet sur les réseaux sociaux : "Quand un conflit qui dure depuis plus de 200 ans est conduit comme une guerre, il n’y a pas de paix, seulement effusion de sang, nous n’allons pas approuver que ce gouvernement criminel continue de violer les droits de l’Homme et nous voterons contre l’état d’exception en Araucanía. Utilisez l’intelligence et non les armes!" Maintenant, au nom du nouveau gouvernement, elle tient un discours en décalage avec cette position tout en jurant d’être fidèle à elle-même. En se référant à sa propre argumentation antérieure, elle explique : "Cela, je le pense toujours, c’est pourquoi, au nom de notre Gouvernement, nous ne sommes pas en train de déclarer la guerre, nous sommes en train de protéger des routes pour pouvoir dialoguer, élaborer un plan intégral de Bien Vivre dans la Macrozone Sud […]. Nous ne sommes pas en train d’habiliter les Forces armées à pénétrer sur les chemins locaux ou les communautés. […] Pour tout ce qui a trait aux domaines de l’ordre et de la sécurité, dans des territoires hors des chemins, dans des communautés, c’est à la police d’agir."

L’Assemblée constituante

Parallèlement aux déboires du gouvernement, le processus d’élaboration d’une nouvelle constitution, lancé dans le cadre de l’"Accord pour la paix et la Nouvelle Constitution" signé en novembre 2019, est en cours. Une première étape consistait à formaliser le cadre dans lequel la Convention constituante devait opérer. Au Parlement ont été définies des modifications de la constitution en vigueur, destinées à permettre la mise en place du processus d’élaboration et adoption éventuelle d’une constitution entièrement nouvelle. Ces modifications ont été adoptées en mars 2020. Est précisé notamment[37] :

Conformément à l’article 5, premier alinéa, de la Constitution, tant que la Convention est en fonction, la souveraineté appartient essentiellement à la Nation et est exercée par le peuple à travers les plébiscites et les élections périodiques que la Constitution et les lois déterminent et, également, par les autorités établies par la présente Constitution. Il sera interdit à la Convention, à l’un quelconque de ses membres ou à une fraction d’entre eux, de s’attribuer l’exercice de la souveraineté, en assumant d’autres attributions que celles expressément reconnues par la présente Constitution.

Le texte de la Nouvelle Constitution soumis à un plébiscite doit respecter le caractère de République de l’État du Chili, son régime démocratique, les décisions judiciaires définitives et exécutoires, et les traités internationaux ratifiés par le Chili et qui se trouvent être en vigueur.

En vertu de l’"Accord pour la paix social et la nouvelle constitution", les votes ‑ autant le vote lors du plébiscite final d’approbation/rejet du projet de constitution que les votes au sein de la Convention constituante dans le cadre de ses travaux ‑ sont soumis à des règles de quorum[38] : "L’organe constituant devra approuver les préceptes et le règlement de vote de ceux‑ci par un quorum des deux tiers de ses membres en fonction."

La question des ressources du sous-sol

Parmi les divers thèmes traités par la Convention constitutionnelle figure une contribution soumise par la Confederación de Trabajadores del Cobre (Confédération des travailleurs du cuivre, CTC) qui s’inspire largement des mesures qu’avait mises en oeuvre Salvador Allende en 1971 sous forme de modification de la Constitution[39]. Les éléments-clé des articles proposés pour la Constitution sont les suivantes.

–   Ils concernent "les biens publics" et les "ressources naturelles ou d’actifs stratégiques"; la loi définirait ce qui appartiendrait à ces catégories; il s’agirait notamment des eaux et des mines, en particulier des grandes exploitations minières de cuivre, d’hydrocarbures, de lithium.

–   Ils déclarent que "l’État a le domaine absolu, exclusif, inaliénable et imprescriptible de tous les biens publics établis par la loi".

–   Ils prévoient "un régime de propriété collective ou d’autres formes de gestion collective" auxquelles peuvent être soumis "la terre, les ressources naturelles et les moyens de production" "à des fins de socialisation et selon l’intérêt général".

–   Ils précisent les modalités de "l’exploration, l’exploitation ou la mise à profit de ressources naturelles ou d’actifs". L’État peut exercer ces activités "directement ou par ses sociétés dans lesquelles il détient une participation en tant que contrôleur", et le domaine des ressources et actifs stratégiques lui est réservé exclusivement. Par contre dans le domaine non stratégique ces activités peuvent aussi être exercées "par le biais de concessions administratives ou de contrats spéciaux d’exploitation, avec les exigences et dans les conditions que le Président de la République fixe, pour chaque cas, par décret suprême".

–   Ils reconnaissent "le droit à la propriété privée et la fonction sociale qu’elle a" mais précisent que "le contenu de la propriété privée, sa fonction sociale et ses limites sont fixés par la loi" et que "toute personne peut être privée de sa propriété, pour juste cause d’utilité publique ou d’intérêt social".

La CTC est aussi cosignataire, aux côtés du Sindicato Interempresa de la Minería (Syndicat interentreprises des mines, SIM) et diverses associations, d’un autre texte rédigé dans le même esprit, à quelques variations près[40], et elle s’est inspiré des travaux du Centro de Estudios Nacionales de Desarrollo Alternativo (Centre d’études nationales sur le développement alternatif ‑ CENDA), une fondation créée en 1995. Avant de soumettre sa contribution à la Convention constitutionnelle, elle avait publié un article intitulé "Propositions économiques pour la Nouvelle Constitution"[41]. Il est intéressant d’en citer quelques passages éclairants, et qui sont directement repris d’un document de la CENDA[42].

En renationalisant le cuivre et les biens communs stratégiques, la Nouvelle Constitution s’inspirera des saines recommandations de la théorie de la rente formulées par les fondateurs de la théorie économique moderne et suivies par toutes les écoles ultérieures, à la seule exception de l’extrémisme néolibéral qui, sans les renier, relativise leur importance. […]

En renationalisant le cuivre et les biens communs stratégiques, la Nouvelle Constitution rétablira les bases pour le développement au Chili du mode de production social moderne, dont la richesse repose exclusivement sur la valeur ajoutée par le travail de ses citoyennes et citoyens, sur la production de masse de biens et services qui sont vendus sur des marchés concurrentiels. […]

En rétablissant le droit du peuple travailleur à l’intangibilité de ses salaires, la Nouvelle Constitution imposera le respect de cette part de la valeur créée entièrement et exclusivement par son effort, qu’il se réserve pour lui-même après avoir partagé le reste avec les propriétaires des moyens de production (Adam Smith 1776), pour s’offrir une vie décente ensemble avec ses familles, y compris ses ainés.

En rétablissant le droit du peuple travailleur à l’intangibilité de ses salaires, la Nouvelle Constitution garantira au Chili la validité du pacte social moderne. Celui‑ci reconnait la légitimité de l’appropriation par l’entrepreneuriat de l’excédent de la valeur créée exclusivement par le travail, à la seule condition que soit respectée comme sacrée la part réservée au peuple travailleur, de cette valeur.

Les "saines recommandations de la théorie de la rente", la "production de masse de biens et services qui sont vendus sur des marchés concurrentiels", la "part de la valeur créée entièrement et exclusivement par son effort [du peuple travailleur], qu’il se réserve pour lui-même après avoir partagé le reste avec les propriétaires des moyens de production" : tout cela présenté en 2021 par des syndicalistes comme préceptes de la "théorie économique moderne" ‑ celle d’Adam Smith, 1776 ! ‑, c’est franchement aberrant.

Dans le cadre de la Convention constitutionnelle, des éléments de ces propositions ont été repris au cours des travaux de la Commission Environnement. Celle‑ci, en février 2022, a statué sur un projet d’"Initiative constitutionnelle constituante qui établit le statut constitutionnel des biens stratégiques"[43].

Certains articles ont été approuvés, dont voici les principaux passages.

Les biens naturels tels que le cuivre, le lithium, l’or, l’argent, les hydrocarbures liquides ou gazeux, l’uranium, le manganèse, le molybdène, le cobalt, le bore, les terres rares et autres minerais sont des biens de caractère stratégique pour le pays […].

L’État, au nom des peuples du Chili, a le domaine absolu, exclusif, excluant, inaliénable et imprescriptible de tous les biens stratégiques, de toutes les mines […].

En cas de nationalisation d’activités ou de sociétés de biens stratégiques, la nationalisation inclura celles‑ci mêmes, les droits de ceux qui en sont titulaires, et la totalité de leurs biens. Les concessions minières d’exploration et d’exploitation constituées en faveur de ces sociétés cesseront de forme immédiate dès la nationalisation effective. […]

En raison de l’intérêt des peuples du Chili et dans l’exercice du droit souverain et inaliénable de l’État de disposer librement de ses richesses et de ses biens naturels, sont nationalisées les entreprises d’exploitation et d’exploration de biens stratégiques, et sont par là déclarés incorporés au domaine national plein et exclusif, tous les biens des dites entreprises et de leurs filiales liés à leur activité sur le territoire national passant au domaine national.

L’État prendra immédiatement possession de ces biens […]. Conformément au domaine patrimonial de l’État sur tous les biens stratégiques, il n’y aura pas lieu à une quelconque indemnisation pour les droits sur les biens miniers et d’hydrocarbures, puisque par mandat constitutionnel ils appartiennent à l’État du Chili.

Les représentants des capitalistes ont évidemment rejeté vigoureusement l’idée que ces dispositions puissent devenir réalité. Ils ont clairement fait comprendre qu’ils y opposait leur véto.

Diego Hernández, président de la Sociedad Nacional de Minería (SONAMI)[44] :

La décision adoptée c’est une barbarie, avec des erreurs juridiques claires et évidentes. La nationalisation du cuivre a été approuvée, mais le cuivre, actuellement, appartient à l’État chilien. Ainsi, cette mesure signifie seulement nationaliser les entreprises […]. Une nationalisation aurait de graves conséquences pour notre économie dans un contexte de mondialisation, puisque les entreprises concernées auront recours aux traités internationaux pour défendre leurs intérêts légitimes.

Joaquín Villarino, président exécutif du Consejo Minero[45] :

Il est regrettable que certains parmi les membres de la commission Environnement ignorent les droits acquis, outrepassent ouvertement leurs attributions et y compris ignorent naïvement le principe de réalité.

Richard von Appen, de la Sociedad de Fomento Fabril (Société de promotion de l’industrie, Sofofa)[46] :

Le précepte de liberté d’entreprendre approuvé par la plénière suscite des inquiétudes, car il établit le droit de développer des activités économiques, ce qui laisse entendre qu’il n’autorise pas la liberté économique concernant "tout type d’activité économique", comme il le fait pour la Constitution actuelle et comme nous le posons dans notre Initiative Populaire de Précepte "Entreprends Librement".

Au bout du compte, dans le projet de constitution établi par la Convention au niveau supérieur, qui chapeaute les commissions, il ne reste pas grand-chose des propositions formulées par l’"Initiative constitutionnelle constituante" concernée. Comme le note un commentateur[47] : "Ainsi, la pression des corporations semble avoir porté ses fruits, puisque le projet n’a recueilli que 66 voix, sur les 103 dont il avait besoin." Voici quelques extraits du projet tel que validé à cette étape[48].

Les dispositions du domaine des "droits fondamentaux" respectent fidèlement les préceptes bourgeois.

Toute personne, physique ou morale, dispose de la liberté d’entreprendre et de développer des activités économiques. Son exercice doit être compatible avec les droits consacrés par la présente Constitution et avec la protection de la nature. […] Toute personne, physique ou morale, dispose du droit à la propriété de toute espèce et sur toutes sortes de biens, à l’exception de ceux que la nature a rendus communs à tous et de ceux que la Constitution ou la loi déclarent inappropriables. […] Nul ne peut être privé de sa propriété, sauf en vertu d’une loi autorisant l’expropriation pour cause d’utilité publique ou d’intérêt général déclarée par le législateur.

Le "statut constitutionnel des minéraux" reprend en premier lieux un article contenu dans la constitution existante.

L’État détient le domaine absolu, exclusif, inaliénable et imprescriptible de toutes les mines et substances minérales, métalliques, non métalliques, et des gisements de substances fossiles et d’hydrocarbures existant sur le territoire national, sans préjudice de la propriété des terrains sur lesquels ils se trouveraient.

Le rôle de l’État dans le domaine économique est défini dans les grandes lignes, d’une façon qui autorise tous les arrangements éventuels entre le gouvernement et les entrepreneurs.

L’État exercera une initiative publique dans l’activité économique. Pour cela, il pourra développer des activités d’entrepreneur, qui peuvent prendre diverses formes de propriété, de gestion et d’organisation selon ce que déterminent les règlementations respectives. […]

L’État pourra accorder des autorisations administratives pour l’usage des biens communs naturels inappropriables, conformément à la loi, à titre temporaire, sous réserve de causes d’expiration, d’extinction et de révocation, avec des obligations spécifiques de conservation, justifiées par l’intérêt public, la protection de la nature et le bénéfice collectif. Ces autorisations, qu’elles soient individuelles ou collectives, ne génèrent pas de droits de propriété.

La question des populations autochtones

Les dispositions relatives à la formation de l’Assemblée constituante comprenaient l’attribution de 17 sièges réservés à des représentants des populations autochtones. Il importe de mentionner le fait qu’une des principales organisations de défense des intérêts des Mapuche, la Coordinadora de Comunidades en Conflicto Arauco-Malleco[49], communément désigné comme Coordinadora Arauco-Malleco (CAM), a d’emblée refusé de s’inscrire dans cette perspective.

Hector Llaitul, porte-parole de la CAM, affirme[50] :

Si nous formulons l’objectif de la restitution territoriale autonome, et le désirons réellement, nous ne pouvons privilégier des luttes institutionnelles et fonctionnelles en rapport avec le système qui nous domine. Nous devons nous imposer des modes de lutte qui affrontent directement le système et l’État capitalistes chilien.

Et précisément en rapport avec la Constituante, en 2020 [51] :

Donc, ce à quoi nous nous employons, c’est la construction, ou libération, nationale, et si cela veut dire qu’à un moment donné nous nous engageons dans le voie de l’indépendance de la nation mapuche, nous allons le faire. Mais pour cela, il manque encore un nécessaire rapport de force. Nous n’envisageons pas de faire partie de l’État chilien.

Il y a des propositions qui ont à voir avec l’inclusion, avec l’intégration, nous les considérons comme une déroute pour la maison mapuche. D’autres propositions, qui ont à voir avec une forme d’autonomie régionaliste ou fédérative, signifient à leur tour faire partie de l’État. Il y a aussi une approche de la plurinationalité, mais c’est aussi celle de l’intégration et de la subordination. Au fond notre projet politique est celui de la reconstruction de la nation mapuche. Et cela implique tout ce que nous avons déjà dit sur l’autonomie, c’est-à-dire l’indépendance politique, organique, idéologique, culturelle; la construction d’une pensée propre, une proposition politique mapuchiste. Et c’est pourquoi notre principal combat aujourd’hui est territorial, comme élément nécessaire à l’autonomie, et ce que nous faisons, c’est désormais développer l’autonomie dans la pratique, de facto, en confrontation à l’État, en confrontation à l’institutionnalité oppressive.

 

La "démocratie" bourgeoise,
même "participative"
maintient en vie la société capitaliste
et tous ses maux

La "démocratie bourgeoise", quelle qu’en soit la forme, ne permet pas d’éliminer les maux engendrés par les rapports de production capitalistes. L’expérience de la Convention constitutionnelle au Chili confirme ce constat. L’échec était inévitable, pour une raison fondamentale. Le régime en place a prescrit que le texte de la nouvelle constitution devait respecter "le caractère de République de l’État du Chili" et "son régime démocratique" (cf. plus haut). Cette exigence implique qu’aussi bien le texte lui‑même que la procédure de son élaboration dans toutes ses étapes (détermination de la composition de la Convention constitutionnelle, élaboration et validation du contenu du texte à soumettre au plébiscite), ainsi que la procédure du plébiscite doivent respecter le principe du suffrage universel. Or la bourgeoisie exerce une influence décisive sur le résultat, à la fois directe puisqu’elle‑même est incluse dans le suffrage universel, qu’indirecte de par son rôle dominant sur le plan économique.

En automne 2019, les travailleurs ont fortement contribué à l’ampleur considérable des mobilisations de protestation et de revendication, notamment par le biais des organisations syndicales. Or la tournure prise ultérieurement par le mouvement signifiait que les travailleurs perdaient non seulement l’initiative mais aussi la capacité d’influer significativement sur la suite des évènements. Ils sont restés paralysés en inscrivant leur action dans le cadre de la démocratie bourgeoise et ses procédures électorales.

Les discussions au sein de la Constituante se limitent, malgré certains faux-semblants d’enjeux fondamentaux, à des questions qui peuvent préoccuper les réformistes ‑ interventions plus ou moins prononcées de l’État dans le domaine économique ‑, les écologistes de diverses nuances ‑ radicaux, rêveurs, collaborationnistes ‑, les populations autochtones ‑ pour celles‑ci une certaine reconnaissance constitutionnelle peut effectivement avoir un sens, mais potentiellement en divergence avec une bonne partie de ces populations qui suivent des voies différentes.

Rien dans les évènements depuis 2019 n’apporte les changements fondamentaux nécessaires pour avancer vers l’élimination de la société capitaliste. Et même la perspective limitée d’en finir avec les survivances de la dictature militaire est illusoire. Le projet de constitution prévoit deux institutions de force publique : les forces armées et les polices. "Les forces armées sont intégrées uniquement et exclusivement par l’armée, la marine et l’armée de l’air. Elles dépendent du ministère chargé de la défense nationale et sont des institutions destinées à sauvegarder la souveraineté, l’indépendance et l’intégrité territoriale de la République, contre les agressions extérieures, telles qu’établies dans la Charte des Nations Unies. […] Ce sont des institutions professionnelles, hiérarchiques, disciplinées et par essence obéissantes et non délibératives." "Les polices dépendent du ministère chargé de la sécurité publique et sont des institutions policières, non militaires, de nature centralisée, ayant juridiction sur tout le territoire du Chili, et sont destinés à garantir la sécurité publique, faire respecter la loi et préserver les droits fondamentaux, dans le cadre de leurs compétences." Le projet de constitution spécifie aussi la façon d’appliquer d’éventuelles restrictions ou suspensions des droits et garanties assurés par la Constitution "dans les situations exceptionnelles suivantes : conflit armé international, conflit armé interne tel qu’établi par le droit international ou calamité publique". Mais toute cette procédure, considérée comme le summum de la démocratie participative, fait l’impasse sur l’expérience de la période de 1970‑1973.

En effet, aucune constitution ne peut imposer ses normes par le simple fait qu’elles soient écrites noir sur blanc, face à un coup de force tel que l’a effectué Pinochet contre le gouvernement d’Allende. Si les forces armées sont "des institutions par essence obéissantes", alors il reste à savoir à qui elles obéissent à un moment donné. Bien que de façon ambigüe et incertaine, le contexte actuel au Chili comporte, en comparaison à la période antérieure, des aspects favorables du point de vue des libertés démocratiques ‑ pas tant sous l’angle juridique qu’en rapport avec l’orientation des forces politiques au gouvernement. Mais il laisse les travailleurs désarmés en cas d’une répétition du scénario dont a été victime le gouvernement d’Allende.

La seule voie à suivre pour sortir de la société capitaliste, c’est celle montrée théoriquement par Karl Marx et Friedrich Engels, voie dans laquelle s’était engagé dans la pratique le prolétariat en Russie en 1917, par l’instauration d’un État de dictature du prolétariat. Un tel État exclut certes les capitalistes de la participation à la détermination des orientations politiques appliquées, mais est néanmoins un État pleinement démocratique dans le sens qu’il réalise la démocratie pour l’ensemble de la population travailleuse. Et de par ses origines, étant issu d’une révolution armée dirigée par le parti d’avant-garde de la classe ouvrière, il dispose des moyens adéquats pour se défendre par la violence armée révolutionnaire contre la violence armée réactionnaire.

Notes



[1]https://obtienearchivo.bcn.cl/obtienearchivo?id=repositorio/10221/28283/1/Cronologia_proceso_constituyente__prensa__def.pdf

[2]https://fielchile.cl/v2/2021/04/13/cronologia-sindical/

[3]https://cut.cl/cutchile/2019/08/28/manifiesto-de-unidad-social-convocando-a-la-gran-protesta-nacional-de-este-5-de-septiembre-otro-chile-es-posible-nos-cansamos-nos-unimos/

[4]https://elsiglo.cl/2020/11/11/historia-la-multitudinaria-huelga-general-del-1211-de-2019/

[5]https://obtienearchivo.bcn.cl/obtienearchivo?id=documentos/10221.1/76280/1/Acuerdo_por_la_Paz.pdf

[6]https://cut.cl/cutchile/2019/12/05/unidad-social-presenta-propuesta-nueva-constitucion-via-asamblea-constituyente-plurinacional-y-paritaria/

[7]https://servel.cl/plebiscito-nacional-2020-fue-la-mayor-votacion-de-la-historia-de-chile/

[8]https://www.elmostrador.cl/destacado/2021/11/22/axel-callis-y-la-nueva-composicion-del-parlamento-es-un-congreso-caotico-paralizante-va-a-ser-muy-complejo-llegar-a-acuerdos/

[9]https://www.pauta.cl/politica/elecciones-presidenciales-2021-candidatos-partidos

[10]https://www.elmercurio.com/blogs/2021/12/11/93885/paja-en-el-ojo-ajeno.aspx

El Mercurio : Quotidien le plus ancien de langue espagnole et principal périodique de circulation national au Chili.

[11]https://www.france24.com/es/américa-latina/20211123-boric-kast-chile-centrista-extremos

[12]https://cadenaser.com/ser/2021/12/19/internacional/1639901991_601183.html

Sociedad Española de Radiodifusión : La Société diffuse des programmes sonores par radio au public. Elle sert des clients en Espagne. Constitué en 1924, Madrid – Espagne.

[13]https://www.elmercurio.com/blogs/2021/12/11/93885/paja-en-el-ojo-ajeno.aspx

[14]https://cadenaser.com/ser/2021/12/19/internacional/1639901991_601183.html

[15]https://www.efe.com/efe/america/politica/de-allende-a-boric-la-nueva-izquierda-chilena-o-posible-fin-transicion/20000035-4754559

[16]https://www.latercera.com/politica/noticia/boric-descarta-que-jadue-asuma-algun-rol-si-llega-a-la-moneda-daniel-se-va-a-quedar-en-el-municipio-en-el-gobierno-necesitamos-gente-transversal/QG3OET7MWNASLDJGLTJ3C6UWIU/

[17]https://es.euronews.com/2021/12/16/chile-gabriel-boric-de-la-protesta-estudiantil-a-la-campana-presidencial

[18]https://www.publico.es/internacional/alamedas-transversales-gabriel-boric.html

[19]https://www.servel.cl/wp-content/uploads/2021/06/5_PROGRAMA_GABRIEL_BORIC.pdf

[20]https://www.servel.cl/wp-content/uploads/2021/06/5_PROGRAMA_GABRIEL_BORIC.pdf

[21]https://www.helloasso.com/associations/syndicat-du-travail-sexuel-strass

[22]https://www.gob.cl/instituciones/

[23]https://www.pauta.cl/politica/nicolas-grau-ministro-de-economia-gabinete-boric

[24]https://msgg.gob.cl/wp/ministra-camila-vallejo/

[25]https://www.cooperativa.cl/noticias/pais/politica/partido-comunista/camila-vallejo-la-mas-votada-en-eleccion-del-comite-central-del-pc/2020-12-16/165609.html

[26]https://www.latercera.com/politica/noticia/boric-descarta-que-jadue-asuma-algun-rol-si-llega-a-la-moneda-daniel-se-va-a-quedar-en-el-municipio-en-el-gobierno-necesitamos-gente-transversal/QG3OET7MWNASLDJGLTJ3C6UWIU/

[27]http://americo.usal.es/oir/opal/Documentos/Chile/Partido%20Comunista%20de%20Chile/Programa(2001).pdf

p. 13-16.

[28]https://pcchile.cl/historico/2019/12/22/pleno-del-comite-central-ratifica-compromiso-por-una-nueva-constitucion-nos-estamos-preparando-y-organizando-para-disputar-decididamente-los-contenidos/

[29]https://www.latercera.com/nacional/noticia/la-arenga-de-siches-a-carabineros-que-prestaran-servicios-en-el-dia-del-joven-combatiente-estaremos-apoyandolos-y-acompanandolos-en-cada-una-de-esas-acciones/W76BFAUCYRHBVMXY36JJ7V4ZPY/

[30]https://www.biobiochile.cl/noticias/nacional/region-del-bio-bio/2022/05/06/subcontratados-movilizados-acusan-a-enap-y-al-ministerio-de-energia-de-cerrar-la-opcion-de-dialogo.shtml

[31]https://www.nuevamineria.com/revista/el-informe-de-la-sec-al-gobierno-que-zanjo-el-desalojo-de-los-subcontratistas-de-enap/

[32]https://www.diarioconcepcion.cl/politica/2022/01/09/presidente-electo-gabriel-boric-font-hay-que-entregar-mas-poder-a-los-territorios-y-mayores-facultades-a-los-gobiernos-regionales.html

https://www.lanacion.cl/boric-pidio-acuerdo-politico-transversal-en-seguridad-no-podemos-aceptar-esta-violencia/

[33]https://www.latercera.com/nacional/noticia/no-publicar-para-entender-que-significa-y-como-opera-el-estado-de-emergencia-en-la-macrozona-sur-decretado-hoy-por-el-gobierno/K3ISK53NUBCNBIX32QOATAHDKQ/

[34]https://www.latercera.com/nacional/noticia/monsalve-por-termino-del-estado-de-excepcion-en-macrozona-sur-el-gobierno-ha-tomado-decisiones-que-permiten-mejorar-las-capacidades-de-las-policias-para-garantizar-la-seguridad-que-merece-todo-chileno/U2KKIBHLZZEHTIXM4NDLXYZCR4/

https://www.latercera.com/politica/noticia/boric-dice-que-estan-trabajando-en-estados-de-emergencia-intermedios-para-violencia-en-la-araucania-para-que-no-sea-un-estado-de-excepcion-o-nada/FEWPORF2FNBYFDC7G7X2PZHVPY/

https://radio.uchile.cl/2022/05/17/desde-estado-de-decepcion-a-decision-dificil-y-valiente-parlamentarios-reaccionan-a-estado-de-emergencia-del-gobierno/

[35]https://www.subinterior.gob.cl/unidad-coordinadora-estrategica/

[36]https://www.24horas.cl/politica/ministra-vallejo-defiende-estado-de-excepcion-enfocado-en-rutas-no-estamos-declarando-guerra-5308430

https://www.latercera.com/politica/noticia/vallejo-por-estado-de-excepcion-en-la-macrozona-sur-como-gobierno-no-estamos-declarando-guerra-estamos-resguardando-rutas/U5CWKLPW7VCXFGG2O5FRHX5HFA/

[37]https://c80.cl/constitucion/capitulo-xv/del-procedimiento-para-elaborar-una-nueva-constitucion-politica-de-la-republica/articulo-135-disposiciones-especiales/

[38]https://obtienearchivo.bcn.cl/obtienearchivo?id=documentos/10221.1/76280/1/Acuerdo_por_la_Paz.pdf

[39]https://plataforma.chileconvencion.cl/m/iniciativa_popular/detalle?id=15150

[40]https://plataforma.chileconvencion.cl/m/iniciativa_popular/detalle?id=5602

[41]https://docs.google.com/document/d/17QwJoP8bLotAX_Ou1-DCBNdIjPSGiVcvPOHNcqayZvE/

[42]https://docs.google.com/document/d/1WQOK4-C3gjyBel_RpZqx1994Wq2RfdAFmlvAFt54qGk/

[43]https://www.chileconvencion.cl/wp-content/uploads/2022/01/270-5-Iniciativa-Convencional-de-la-cc-Ivanna-Olivares-sobre-Bienes-Naturales-Estrategicos-17-01-1154-hrs.pdf

https://www.cconstituyente.cl/comisiones/verDoc.aspx?prmID=2108&prmTipo=DOCUMENTO_COMISION

[44]http://enernews.com/nota/344379/nacionalizacion-de-cobre-y-litio-avanza-en-constitucional-chilena-el-texto-y-las-reacciones-mineras

[45]http://enernews.com/nota/344430/convencional-olivares-vamos-a-ir-primero-por-la-escondida-criticas-desde-la-mineria

[46]https://www.ex-ante.cl/los-8-temas-de-la-convencion-que-mas-preocupan-a-los-empresarios/

[47]https://www.huaral.pe/derechos-mineros-estatales-no-fueron-aprobados-en-votacion-de-la-asamblea-constitucional-de-chile/2022/

[48]https://www.chileconvencion.cl/wp-content/uploads/2022/05/PROPUESTA-DE-BORRADOR-CONSTITUCIONAL-14.05.22-1-1.pdf

Points 251, 255, 302, 324

[49]. Malleco est une province du Chili, elle fait partie de la région Araucanía.

[50]https://www.mapuexpress.org/2015/07/01/hector-llaitul-%e2%80%9csi-queremos-soberania-territorio-y-autonomia-nuestra-lucha-debe-confrontar-directamente-al-estado-capitalista%e2%80%9d/

[51]https://www.redalyc.org/journal/5350/535062214007/html/