Ukraine : Une bataille de chiens
arbitrée par des impérialismes rivaux

LA VOIX DES COMMUNISTES, mars 2014, no spécial

(Texte disponible sous forme de fichier PDF)

Les médias occidentaux ‑ français en ce qui nous concerne ‑ ont présenté les évènements qui se sont déroulés en Ukraine comme une insurrection démocratique contre un pouvoir corrompu et dictatorial responsable de la débâcle économique du pays.

Que le pouvoir de Ianoukovytch ait été un pouvoir antipopulaire, mafieux, corrompu et responsable de la catastrophe économique et sociale qui ravage l’Ukraine est incontestable. Il en est ainsi dans tous les ex-pays socialistes où la contrerévolution bourgeoise a renversé le pouvoir populaire. Dans ces pays, les anciens apparatchiks qui contrôlaient l’économie et les structures d’État ont en effet utilisé à leur profit la propriété collective avant de se l’accaparer complètement. Laminée par la destruction du socialisme et la crise mondiale du capitalisme, l’économie de ces pays s’est effondrée, et les oligarques qui dirigent les différents secteurs de l’économie en faillite se déchirent pour savoir qui va influencer ou diriger directement l’État pour réaliser avec les grandes puissances les accords qui vont les enrichir.

Depuis 25 ans, la classe ouvrière d’Ukraine a vu défiler ces rapaces, et dans sa grande majorité, le peuple travailleur n’a pris parti ni pour le pouvoir qui les affamait, ni pour les instigateurs de « l’insurrection » qui se sont installés aux commandes.

Les dirigeants qui ont impulsé les évènements sont en effet connus des Ukrainiens. Iouchtchenko, Timochenko et les autres ont déjà été au pouvoir. Parmi les forces organisées et armées qui ont forcé Ianoukovytch à s’enfuir, se retrouvent tous les partis d’extrême droite, fascistes, voire nazis. Ce sont les chefs de ces mouvements qui se sont autoproclamés président et ministres du nouveau gouvernement. La situation économique, sociale et politique qui s’annonce ne pourra qu’aggraver la vie des masses populaires.

La crise que traverse l’Ukraine est imbriquée dans les rivalités qui opposent les différents impérialismes dans les conditions de la crise générale que traverse ce système.

« Ignorant » que les « combattants » de Kiev étaient des bandes organisées fascistes antisémites et nazies, les USA et l’UE les ont soutenus depuis le début. On peut même penser qu’ils les ont préparés et leur ont donné le feu vert. Les buts de ce nouveau bras de fer imposé par les impérialismes occidentaux à l’impérialisme russe sont économiques et géopolitiques : l’Ukraine est un pays avec une agriculture riche, des ressources minières et des structures industrielles importantes. Elle est aussi située géographiquement à un carrefour stratégique entre la Russie et l’Europe de l’Ouest et du Sud. Mais surtout par sa façade sur la mer Noire elle donne accès à la Méditerranée, c’est-à-dire à l’Afrique du Nord (Tunisie, Égypte…) et au Proche-Orient (Turquie, Syrie…)

Depuis l’éclatement de l’URSS et l’accès à l’indépendance politique de l’Ukraine, malgré l’instabilité des gouvernements qui se sont succédé à Kiev, l’Ukraine et la Russie ont maintenu des rapports d’interdépendance économiques étroits. La Russie est restée le principal investisseur et le meilleur client de l’Ukraine. De son côté cette dernière dépend de Moscou pour son approvisionnement en gaz et ses aides financières vitales dans le contexte actuel de crise. En échange, l’Ukraine est traversée par le gazoduc russe vers l’Europe et surtout, les forces navales russes mouillent dans les ports de Crimée. Services en échange de roubles sonnants et trébuchants bien sûr. Ianoukovytch venait d’obtenir de Moscou la promesse d’une aide de 15 milliards.

De leur côté, les impérialismes européens ne sont pas en manque. Les multinationales du pétrole et de l’acier ont établi des positions fortes. Les compagnies pétrolières (Shell) ont conclu récemment des contrats pour la prospection et l’exploitation des gisements situés en mer Noire. Chevron a obtenu le droit d’exploiter un gisement de gaz de schiste. Sur le plan militaire, l’OTAN a conclu des accords avec l’armée ukrainienne. Et pour avancer d’avantage ses pions, Washington a conforté le gouvernement insurrectionnel d’une aide de 35 milliards de dollars.

Après l’éclatement de l’URSS, la Russie était restée maitre des rapports de rivalité internes et internationaux en Ukraine. Les USA et l’Europe ont attendu et préparé l’occasion de bousculer l’équilibre antérieur. Les mobilisations réactionnaires de Kiev, suite à la décision de Ianoukovytch de s’éloigner de l’UE et de se remettre sous la tutelle de Moscou leur ont fourni cette occasion.

Quelles suites?

Après une victoire de ses marionnettes, l’impérialisme occidental va consolider son avantage sur la plus grande partie possible de l’Ukraine. De son côté, Moscou va défendre bec et ongles ses prérogatives sur l’autre partie en utilisant le nationalisme russe mais aussi en sachant que l’oligarchie ukrainienne ne peut se passer de ses rapports économiques avec la Russie.

Un compromis politique et économique est donc l’issue logique du conflit entre les trois parties.

Poutine a déclaré le 4 mars que bien qu’il le considère toujours président légal, Ianoukovytch n’est plus qualifié pour diriger l’Ukraine. En rejetant en même temps le pouvoir illégal de Kiev, il a ouvert la voie d’un compromis politique qui, tout en acceptant un autre gouvernement, lui assurerait le maintien des acquis antérieurs de la Russie ou tout au moins la plus grande partie possible dans le rapport de forces actuel.

Ainsi se joue la partie d’échecs pour le repartage du monde entre les principales puissances impérialistes. Obligés d’abandonner leur rêve militaire de mettre à genoux la Syrie, les impérialistes occidentaux tentent de déstabiliser la Russie à ses frontières, et ils viennent de marquer un point. Peut-être modeste, mais significatif de la possibilité de faire bouger les lignes sans recourir à la guerre directe, mais en utilisant les points faibles de leurs adversaires.

Dans cette bataille de chacals, les intérêts de la classe ouvrière ukrainienne sont absents. Ni un gouvernement d’oligarques liés à Moscou, ni un gouvernement d’oligarques liés à l’Europe et aux USA ne résoudra la situation catastrophique où se trouve l’Ukraine. L’avenir du prolétariat ne se construira pas dans un soutien aux uns ou aux autres. Il se prépare comme dans tous les pays du monde avec l’organisation autonome du prolétariat dans son parti communiste, avec la prise du pouvoir par la classe ouvrière et les masses travailleuses exploitées, avec la reconstruction du socialisme.

 

mars 2014