Entretien avec Anwar Khoury,
membre du Comité central
du Parti communiste palestinien (PCP)
Ces textes proviennent du site
https://kommunistische-organisation.de
Ils ont éte traduits de l’allemand par nous – ROCML
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L’entretien suivant avec Anwar Khoury, membre du Comité central du Parti communiste palestinien (PCP), s’inscrit dans le cadre d’une série de conversations menées avec des camarades du PCP à l’automne 2023 et au printemps 2024.
La première partie de l’entretien présente le PCP, aborde la solution à deux États, la stratégie de libération nationale et les alliés dans la lutte anticoloniale et anti-impérialiste dans la région. La seconde partie est consacrée à l’évaluation de l’OLP et des différentes factions de la résistance, telles que le Hamas et le FPLP, ainsi qu’à la situation actuelle dans la bande de Gaza et en Cisjordanie. Cet entretien reflète la situation début avril 2024, c’est-à-dire avant la contre-attaque iranienne. Il est autorisé et a été mené par Noel Bamen.
Entretien avec Anwar Khoury – 1re partie [1]
"La lutte de libération nationale est une forme de lutte des classes"
Noel Bamen : Le Parti communiste palestinien (PCP) actuel a été fondé en 1991 lorsqu’une grande partie du Parti communiste de Palestine de l’époque s’est rebaptisée Parti du peuple palestinien (PPP). Qu’est-ce qui a conduit à cette scission?
Anwar Khoury : Je tiens tout d’abord à préciser que la première cellule communiste en Palestine a été fondée en 1919. Suite à la création d’Israël, les communistes se sont répartis sur trois régions : premièrement, l’État d’Israël, où ils ont continué d’opérer sous le nom de Parti communiste israélien; deuxièmement, en Cisjordanie, où, après son annexion par la Jordanie, ils sont devenus actifs sous le nom de Parti communiste jordanien; et troisièmement, dans la bande de Gaza, sous le nom de Parti communiste palestinien de Gaza. En 1982, après la reconnaissance de la Palestine par la Conférence du sommet arabe, les deux branches du parti en Cisjordanie et dans la bande de Gaza ont fusionné pour former le Parti communiste palestinien.
Suite à la trahison de Gorbatchev, une conférence simulée fut organisée au nom du parti, au cours de laquelle il fut décidé d’abandonner le marxisme-léninisme. Le mot "communiste" fut remplacé par "peuple" dans le nom du parti (PPP), et les statuts furent modifiés pour faire de la "pensée humaniste" une source d’"analyse"; la faucille et le marteau furent abandonnés comme symboles du parti. En conséquence, ceux qui restèrent fidèles à l’idéologie se rassemblèrent et rétablirent le parti immédiatement après cette conférence fatidique.
Cette scission et cette réorganisation étaient avant tout d’ordre idéologique. Mais sur le plan politique, nous avons également emprunté des voies radicalement différentes : contrairement au PPP, nous n’avons jamais reconnu les accords d’Oslo ni leurs institutions. Par conséquent, et c’est un point crucial, nous ne recevons aucun financement de l’Autorité palestinienne (AP), car nous considérons les accords d’Oslo et tout ce qui en a découlé comme une trahison de la cause palestinienne, et nous le disons clairement publiquement.
Parallèlement au PCP, le Parti communiste palestinien révolutionnaire (PCPR) a également été fondé en 1982.
Exactement. À l’époque, il y a eu une sorte de coup d’État au sein du Parti communiste palestinien, issu du parti jordanien. Ce coup d’État a été initié par Bachir al-Barghouthi, qui dirigeait alors le PCP en tant que secrétaire général et l’a ensuite transformé en PPP. Certains opposants à cette évolution se sont ralliés autour d’Arabi Awwad et ont fondé le PCPR. Considérant la lutte armée comme le principal moyen stratégique, ils l’ont engagée dès 1982. Ils ont également combattu au Liban contre l’invasion israélienne. Cependant, le nombre de camarades a toujours été restreint, et aujourd’hui encore, il est insuffisant pour mener une lutte indépendante. Nous entretenons des contacts avec eux et, dans un esprit d’unité de tous les communistes, nous aspirons à une coopération, voire à une unification. Toutefois, cela ne s’est pas encore concrétisé car ils considèrent toujours la lutte armée comme la forme de lutte privilégiée, tandis que nous estimons que toutes les formes de lutte sont importantes et doivent être maîtrisées et mises en œuvre par le Parti communiste.
Pour en revenir à PCP : comment votre développement a‑t‑l progressé après son rétablissement en 1991?
Durant la dernière décennie du 20e siècle et la première du 21e siècle, notre parti a œuvré dans deux directions : d’une part, renforcer son organisation, et d’autre part, obtenir une reconnaissance internationale. Nous avons atteint ces deux objectifs.
Qu’est-ce que cela signifie exactement?
Premièrement, concernant la politique intérieure : en Palestine, un point crucial doit être compris : au moment où Arafat a signé les accords d’Oslo, tous les syndicats étaient sous contrôle communiste. Malheureusement, les communistes, en raison de leur soutien à Oslo, les ont trahis. Aujourd’hui, nous avons deux ou trois petits syndicats au sein desquels nous œuvrons. Nous avons également une organisation de jeunesse, certes petite, mais dynamique. Et nous travaillons lentement mais sûrement dans divers domaines et nous ne cessons de nous développer.
Sur la scène internationale, nous participons régulièrement et sans interruption à la Réunion internationale des partis communistes et ouvriers depuis des années. Concernant le monde arabe : nous avons longtemps manqué de positions unifiées sur de nombreuses questions, mais la situation s’améliore lentement. Des réunions ont lieu, mais il n’existe toujours pas de format établi, régulier et officiel. De plus, deux courants persistent dans la région : le courant gorbatchevien d’une part, et le nôtre, le courant révolutionnaire, d’autre part.
Qu’en est-il des relations avec le Parti communiste israélien?
Il existe des relations personnelles, tant avec des personnalités du Parti communiste qu’avec celles du Front démocratique pour la paix et l’égalité (Hadash), dirigé par le Parti communiste. Cependant, depuis la fondation du PCP en 1982, aucune relation officielle n’a jamais été entretenue avec le Parti communiste israélien.
Pourquoi pas?
Ces projets n’ont tout simplement jamais abouti. Il faut être deux pour danser le tango. Nous avons essayé de construire une relation. La question devrait donc être posée aux Israéliens, et non à nous.
En 2016, votre parti a publié un nouveau programme. Il convient de noter que vous avez rejeté la solution à deux États, expliquant que cette position avait conduit, d’une part, à un affaiblissement de la lutte de libération palestinienne et, d’autre part, à l’isolement des communistes palestiniens. Quel a été le cheminement qui vous a mené à cette prise de position? Et que signifie concrètement cette décision?
Avant d’expliquer la résolution de 2016, il convient d’éclairer les changements démographiques et politico-géographiques survenus en Palestine, notamment en Cisjordanie, suite à la signature des accords d’Oslo : la population de colons a connu une croissance incontrôlée, passant de 50.000 avant Oslo à près d’un million aujourd’hui. Le nombre de colonies est passé de quelques dizaines à plusieurs centaines et occupe désormais plus de 40 % du territoire sur lequel, selon l’accord, l’État palestinien devait être établi. De ce fait, la création d’un État palestinien unifié est devenue impossible, compte tenu des réalités démographiques, de la situation géographique et de la répartition des territoires.
Sur cette base, notre parti a décidé de rejeter la solution à deux États et d’exiger à la place un État démocratique pour tous ses habitants sur l’ensemble du territoire de la Palestine historique, y compris la mise en œuvre du droit au retour des Palestiniens déplacés et de leurs descendants, ainsi que du droit à l’autodétermination nationale.
La décision a donc été prise uniquement en fonction de la situation de 2016? Pourquoi si tard? Après tout, les accords d’Oslo ont débuté en 1993 et suscitaient déjà de nombreuses critiques; la Seconde Intifada, en réaction à ces accords, a commencé en 2000. Par ailleurs, les communistes palestiniens militent pour une solution à deux États depuis plus de 60 ans, tandis que d’autres forces, comme le FPLP, l’ont toujours rejetée.
Le premier plénum du Comité central du Parti communiste, convoqué après la publication du plan de partage de l’ONU en 1947, vota contre. Un coup d’État interne mineur eut alors lieu, et la direction finit par l’accepter. Sans cet accord, elle aurait dû se préparer à la guerre. Elle ne le fit pas. Au lieu de cela, elle accepta le plan et perdit la guerre qui s’ensuivit.
L’Union soviétique a accepté le plan de partage. Plusieurs théories expliquent pourquoi le PCUS, malgré sa position antisioniste, a plaidé pour la création d’un État sioniste…
L’Union soviétique voyait en Israël un État démocratique susceptible de devenir le centre d’un projet démocratique régional. Malheureusement, elle n’a pas su percevoir Israël pour ce qu’il était réellement : un État capitaliste et colonial. Staline a commis une erreur. En tant que communistes, nous ne devrions pas avoir honte des erreurs de notre mouvement, erreurs que nous devons aujourd’hui critiquer. Nous sommes "staliniens" lorsqu’il s’agit d’organiser et de construire le socialisme. Mais cela ne signifie pas que nous devions approuver chacune des positions ou décisions prises par Staline sur tous les sujets. Cela vaut également pour la Palestine.
Cette démarche d’autocritique concernant une position aussi longtemps défendue est remarquable et, malheureusement, loin d’être acquise. Comment s’est déroulée la discussion sur la révision de la position en faveur d’une solution à deux États?
Nous avons régulièrement débattu de cette question pendant huit ans. Nous avons progressivement élaboré collectivement une position fondée sur la réflexion et l’étude. Au terme de ce débat, nous avons remanié notre programme et formulé publiquement notre autocritique.
Une grande partie du mouvement communiste, voire la plupart des partis dans le monde, continue d’adhérer à la solution à deux États. Essayez-vous de faire évoluer cette position? Vous entretenez des liens étroits avec le KKE grec, par exemple. Or, ce parti reste inflexiblement attaché à sa position sur la solution à deux États.
Nous présentons nos positions à nos partis frères et à nos camarades du monde entier, et nous en discutons avec eux. De cette manière, nous faisons progressivement évoluer les positions sur la Palestine au sein du mouvement communiste international. Ces positions ont d’ailleurs déjà commencé à évoluer, lentement mais sûrement : quiconque suit les récentes résolutions des partis communistes et ouvriers en constatera les signes. Le KKE modifiera également sa position. Mais pour l’instant, il s’agit d’une affaire interne. Et nous n’intervenons pas dans ces débats internes.
Quelle est la situation au sein des partis communistes arabes?
Au sein du mouvement communiste arabe, deux factions s’affrontent sur la question palestinienne. La première représente notre position. Elle regroupe, par exemple, les camarades du Parti communiste libanais et du Parti communiste syrien. La seconde faction défend la solution à deux États.
Avez-vous des idées concrètes sur ce à quoi devrait ressembler la libération de la Palestine?
Notre objectif est un État démocratique pour tous ses habitants. Cela signifie que nous voulons vivre dans un État où chacun jouit de droits et de responsabilités pleins et entiers. Nous participons tous à la construction de cet État; aucun groupe social n’est privilégié par rapport à un autre. Cela signifie qu’il n’y a absolument aucune discrimination. Contrairement à la situation actuelle, où la réalité du pouvoir sioniste se traduit avant tout par une discrimination raciste.
Cela signifie toutefois que le socialisme ne figure pas parmi vos priorités immédiates en tant qu’objectif stratégique et indispensable en Palestine. Que répondez-vous à ceux qui affirment qu’une Palestine libre, du fleuve à la mer, n’est possible que sous le socialisme?
Ils n’ont pas compris la différence entre libération nationale et révolution socialiste. Idéalement, la libération nationale devrait évoluer directement vers une révolution socialiste. Mais la libération nationale, même sans révolution socialiste, est précieuse en soi et constitue une étape importante vers l’émancipation de toute exploitation et de toute domination de classe.
Il existe une relation dialectique entre la lutte du mouvement de libération nationale et la lutte des classes. Plus précisément, cela signifie que la lutte de libération nationale est une forme de lutte des classes.
Quel est le lien entre la lutte de libération en Palestine et les luttes anti-impérialistes et de classes dans la région et dans le monde?
Nous faisons partie du mouvement mondial de libération; par conséquent, chaque victoire, où qu’elle se déroule dans le monde, a un impact sur notre cause. L’histoire regorge d’enseignements. Les révolutions cubaine et vietnamienne, par exemple, ont triomphé malgré l’échec de la lutte des classes à l’échelle mondiale. N’oublions pas non plus que la Grande Révolution socialiste d’Octobre a réussi dans le contexte d’un système capitaliste mondialisé. Deux facteurs ont contribué à la victoire des peuples qui ont conquis leur liberté : la volonté même de ces peuples de lutter pour leur libération, facteur fondamental, et la solidarité internationale avec leur combat.
Nous n’avons pas besoin d’une révolution mondiale pour que notre peuple triomphe. Si nous devions attendre la victoire de la classe ouvrière mondiale pour résoudre la question palestinienne, cela prendrait une éternité. Le soutien international est donc important, mais la lutte que nous, Palestiniens, menons pour notre libération l’est encore plus.
Et qu’en est-il de la région, des pays arabes? Des manifestations ont eu lieu et se poursuivent dans des pays comme la Jordanie et l’Égypte, mais aussi le Maroc. Les populations de ces pays parviendront-elles à exercer une pression suffisante sur leurs régimes pour que ces derniers apportent une aide réelle à la Palestine?
Il y a un proverbe persan : "Lentement, lentement, le temps viendra." Je ne pense pas que ce sera bientôt, mais cela arrivera.
Vous évoquez positivement "l’axe de résistance". Qu’entendez-vous exactement par là?
L’opposition arabe historique à la reconnaissance d’Israël, l’opposition palestinienne aux accords d’Oslo et l’axe de résistance actuel s’inscrivent dans une continuité historique et politique. Cet axe comprend aujourd’hui des factions de la résistance palestinienne ‑ Hamas, Jihad islamique, FPLP, FDLP, FPLP-CG, etc. ‑, le Hezbollah au Liban, les forces armées en Irak et les États d’Iran, de Syrie et du Yémen. Bien que le Parti communiste palestinien ne partage pas leurs points de vue, il se considère politiquement comme faisant partie de cet axe de résistance contre le colonialisme sioniste, contre les accords d’Oslo et contre l’impérialisme.
Entretien avec Anwar Khoury – 2e partie [2]
"Le 7 octobre a marqué le début de la fin pour Israël"
Noel Bamen : En tant que parti, vous soutenez toutes les formes et factions de résistance. Cela inclut, entre autres, les organisations de résistance islamistes telles que le Hamas et le Jihad islamique. Certains à gauche mettent constamment en garde contre les forces islamistes, en se référant à l’expérience de la révolution iranienne.
Anwar Khoury : Bien sûr, il faut veiller à ne pas reproduire les erreurs du Tudeh. Et le Tudeh a commis des erreurs. Il est impératif de défendre son organisation. Le Tudeh a porté Khomeiny au pouvoir, puis a été écrasé par lui faute de s’être défendu, ou plutôt, faute d’avoir pu le faire. Mais la situation en Palestine aujourd’hui est totalement différente de celle de l’Iran en 1979. Il faut être prudent lorsqu’on compare ces deux pays et ces deux situations; on ne peut en aucun cas les mettre sur un pied d’égalité. Nous soutenons la résistance des forces islamiques contre le colonialisme sioniste. Parallèlement, nous mettons en garde contre le fait que leur idéologie religieuse peut avoir, et aura, un impact négatif sur l’avenir de la Palestine.
Et le FPLP? Vous les soutenez politiquement au sein de la résistance; comme vous, ils militent pour une solution à un seul État, etc. Par ailleurs, à l’instar du PCP, ils considèrent la lutte armée comme le principal moyen stratégique de la lutte pour la libération de la Palestine. Aspirez-vous également à une unité politique avec eux?
Notre position repose sur la conviction que la forme de la lutte est déterminée par les conditions objectives de notre pays. Nous ne rejetons aucune forme de lutte, mais quelle qu’elle soit, nous devons être capables d’en assumer les conséquences. Sans le soutien et la force nécessaires pour supporter les conséquences d’une stratégie comme la lutte armée, on mène les masses à leur perte. Qu’est-il advenu depuis 1965, année de la naissance du mouvement armé palestinien moderne? Où le slogan de la lutte armée nous a‑t‑l conduits? De la défaite de 1967 à celle d’Amman en 1970-1971, et de la défaite au Liban en 1982 aux honteux accords d’Oslo. Toutes les organisations qui ont érigé la lutte armée en priorité stratégique ont finalement participé aux accords d’Oslo, soit directement ‑ comme le Fatah, mais aussi le DFLP ‑, soit indirectement‑ comme le FPLP. En échange de quelques dollars et de postes au sein des institutions d’Oslo, elles ont enterré le rôle militant de l’OLP.
Mais le DFLP et le FPLP se sont opposés aux accords d’Oslo et poursuivent la résistance armée. Vous critiquez donc leur participation ultérieure aux différents gouvernements et institutions de l’Autorité palestinienne (AP) et leur rôle au sein de l’OLP?
Exactement. Le DFLP a participé directement aux gouvernements de Mahmoud Abbas, entre autres. On observe de nombreux aspects opportunistes dans ses actions. Le FPLP, comme mentionné précédemment, a soutenu le système d’Oslo de manière plus indirecte : par exemple, il reçoit des fonds du gouvernement. Il prétend les recevoir du Fonds national palestinien, mais ce fonds est contrôlé par Abbas. Le Hamas a également participé aux élections dans le cadre du système d’Oslo.
Notre réponse, cependant, est un boycott total du système d’Oslo et une réforme de l’OLP afin qu’elle puisse redevenir un véritable front de libération. Pour cela, elle doit toutefois changer de nature. Le problème ne date pas d’Oslo. Même avant, son fonctionnement était antidémocratique : les organisations membres se voyaient attribuer des sièges en fonction de leur poids politique respectif. Des élections sont nécessaires. Parallèlement, l’OLP doit inclure tous les Palestiniens ‑ ceux de Palestine et ceux en exil ‑ et toutes les formes du mouvement national, et non seulement les groupes armés.
Sauf erreur de ma part, j’ai l’impression que l’OLP n’a jamais été aussi unie que d’autres fronts de libération, comme ceux de Cuba, d’Algérie ou du Vietnam. Au lieu d’un commandement supérieur commun, par exemple, chaque faction menait ses propres opérations, parfois en contradiction flagrante avec les autres.
C’est vrai. L’unité a toujours été très fragile. En réalité, la Salle commune actuelle des factions de la résistance palestinienne est militairement mieux coordonnée que ne l’a jamais été l’OLP. Politiquement, la situation est différente, car seuls les groupes armés en font partie. De plus, sa présence se limite à la bande de Gaza.
Le Parti communiste palestinien est-il membre de l’OLP?
Le Parti communiste palestinien était membre de l’OLP depuis la réunion du Conseil national palestinien à Alger en 1988. Lors de la scission du parti, le Parti populaire (PPP) est resté au sein de l’OLP. Nous, le PCP nouvellement fondé, souhaitions rejoindre l’OLP, mais c’était admis uniqyuement à condition d’accepter la politique d’Arafat. Nous avons refusé. Nous sommes prêts à rejoindre l’OLP, mais pas aux conditions du Fatah. Et, comme je l’ai dit, nous voulons la réformer.
Pour en revenir au FPLP : vous lui reprochez d’avoir mené une politique parfois opportuniste concernant le système d’Oslo et d’appartenir à l’OLP actuelle. Existe-t-il également des différences idéologiques fondamentales?
Nous ne considérons pas le FPLP et le FDLP comme des organisations communistes, mais plutôt comme des mouvements de gauche au sens large : leurs racines plongent dans le mouvement nationaliste arabe, une organisation panarabe de gauche qui s’est par la suite fortement alignée sur Abdel Nasser. Après leur défaite en 1967, ils se sont tournés, selon leurs propres dires, vers le marxisme-léninisme. Le FPLP a ainsi été fondé en 1968, et le FDLP s’en est séparé en 1969. Le FPLP était dirigé par George Habash, et le FDLP par Nayef Hawatma. Tous deux ont profondément marqué leurs organisations respectives. Et ces deux organisations demeurent avant tout des nationalistes de gauche. Certes, elles sont aussi marxistes. Mais elles ne sont pas des communistes ‑ y compris au regard de leur propre nom.
Revenons à la situation actuelle en Palestine : nous nous sommes entretenus en septembre dernier. Je vous avais alors demandé si, selon vous, la situation en Cisjordanie depuis l’été 2021 ou début 2023 pouvait déjà être qualifiée d’Intifada. Vous aviez répondu que ce n’était pas encore le cas, principalement en raison d’un niveau d’organisation insuffisant.
C’est exact. Mais avant d’aborder les récents événements en Cisjordanie, il est nécessaire d’examiner les causes de la situation actuelle. Depuis près de trente ans, le peuple palestinien subit une double agression : d’abord, de la part de l’occupation sioniste, ensuite, de la part de l’Autorité palestinienne. L’agression de l’occupation prend diverses formes : persécutions, arrestations et assassinats arbitraires, ainsi que fermeture des points de passage frontaliers, empêchant ainsi les travailleurs de gagner leur vie. Quant à l’Autorité palestinienne, elle n’est rien d’autre que le bras armé de l’occupation. Elle commet des actes que l’occupation ne peut accomplir elle-même, comme des arrestations et même des meurtres dans les plus grandes villes palestiniennes de Cisjordanie.
Face à cette double oppression, divers mouvements émergèrent spontanément et indépendamment des partis et organisations traditionnels. Ils surent inventer de nouvelles formes de coordination, difficiles à déjouer pour leurs ennemis. De ce fait, ni l’occupation ni l’Administration autonome n’ont pu les éliminer ni les contenir. Ce phénomène se propagea lentement mais sûrement. Toutefois, faute d’organisation révolutionnaire et de lien avec l’action de masse organisée, il n’avait pas encore atteint le stade d’une intifada en septembre de l’année précédente.
Puis vint le mois d’octobre.
Puis vint octobre. Depuis, beaucoup de choses ont changé : la population est de plus en plus impliquée et intégrée à la lutte de libération. Des manifestations ont lieu quotidiennement. De nouveaux groupes armés ont émergé dans diverses villes. Les choses s’agitent, mais le mouvement reste encore modeste. La nouveauté réside dans l’organisation et l’engagement profond des citoyens dans le combat. Depuis 1993, la jeunesse a été endoctrinée par les écoles de l’Autorité palestinienne, les réseaux sociaux, etc. Mais le 7 octobre a réveillé toute la population. Des pans de la population, auparavant inactifs, s’en prennent désormais aux soldats. On peut déjà l’affirmer : Israël a perdu cette guerre. Certes, des dizaines de milliers de civils ont été tués. Mais le 7 octobre a stoppé net la tendance des régimes arabes à faire la paix avec Israël. Pour la première fois de son histoire, Israël s’est senti exposé pendant plus de 24 heures. Et les Israéliens savent eux aussi qu’ils ont perdu la guerre. Mais ils refusent de l’admettre.
La branche armée du FPLP, les Brigades Abou Ali Mustafa, a annoncé il y a plusieurs semaines avoir établi ses propres cellules armées en Cisjordanie. Par ailleurs, des vidéos ont fait surface montrant des combattants du Hamas apparaissant ouvertement dans des villes de Cisjordanie.
En effet, l’afflux de membres vers les grandes factions de résistance armée a également augmenté depuis octobre.
Et qu’en est il avec l’AP?
Deux choses sont d’ores et déjà certaines ce 7 octobre : deux personnes iront en enfer, Benjamin Netanyahu et Mahmoud Abbas. Netanyahu ira en prison et Abbas dans une maison de retraite ‑ autrement dit, il quittera le pays, vraisemblablement pour la Jordanie, où il coulera une retraite dorée avec l’argent volé.
Comment évaluez-vous la situation à Gaza? La résistance tiendra-t-elle le coup, ou Israël réussira‑t‑l à procéder au nettoyage ethnique de la bande de Gaza?
Les pertes sont énormes : humaines, matérielles, etc. Mais la résistance a déjà gagné. Israël n’a plus aucun contrôle. Contrôler la situation signifierait empêcher la résistance de tirer des roquettes. Ils tentent également de forcer les gens à fuir vers la péninsule du Sinaï. Nos contacts à Gaza nous indiquent cependant que la population a l’attitude suivante : "Nous préférons mourir plutôt que d’être chassés de chez nous comme réfugiés." Face à une telle conviction et une telle force, je ne crois pas qu’Israël réussira. Bien sûr, nous avons perdu beaucoup d’hommes. Le nombre de morts atteindra peut-être 50.000 ou 60.000 d’ici la fin de cette guerre. Mais cela ne change rien au fait qu’Israël perdra.
Octobre a marqué le début de la fin pour Israël. Depuis, des centaines de milliers de colons ont quitté le pays. 56 % des Israéliens juifs possèdent deux passeports, deux maisons et deux emplois : l’un en Palestine et l’autre hors de Palestine. Viennent ensuite les Haredim, qui représentent 20 % de la population israélienne. Ils ne font pas leur service militaire, leurs hommes ne travaillent pas; ils prient, étudient, etc. Israël n’est plus le même État, la même société qu’avant. J’en suis certain : c’est le début de la fin, mais cela prendra du temps, encore quelques années.
Qu’attendez-vous du mouvement international de solidarité communiste et palestinienne?
Deux choses : premièrement, lutter pour un cessez-le-feu; deuxièmement, faire des dons à l’aide humanitaire, qui est absolument indispensable à Gaza. Nous collectons nous-mêmes des dons, qui parviennent ensuite à la bande de Gaza grâce à nos camarades et à nos contacts.
[1]. https://kommunistische-organisation.de/klaerungunddebatte/der-nationale-befreiungskampf-ist-eine-form-des-klassenkampfes-interview-mit-anwar-khoury-teil-1-the-national-liberation-struggle-is-a-form-of-class-struggle/
[2]. https://kommunistische-organisation.de/englisch/der-7-oktober-war-der-anfang-vom-ende-israels-interview-mit-anwar-khoury-teil-2-october-7-was-the-beginning-of-the-end-of-israel-interview-with-anwar/
