Le mouvement contre la réforme de la retraite de 2023

LA VOIX DES COMMUNISTES, no 31, 2e semestre 2023 – p. 4-11

Les raisons, pour la bourgeoisie, de prolonger la durée du travail
et de diminuer le salaire des travailleurs

La (les) "réforme(s)" concernant le régime de retraite ou encore d’autres "reformes" touchant au droit social pour les travailleurs (allocation chômage, sécurité sociale, etc.) sont présentées par le gouvernement comme nécessaires pour de raisons de finances publiques ou de survie de l’économie nationale. Mais la compréhension effective des mesures doit envisager la question sous un angle différent. Marx et Engels ont analysé la nature réelle du fonctionnement du capitalisme : la valeur des marchandises est déterminée par le temps de travail nécessaire à leur production, la valeur de la marchandise "force de travail" est déterminée par la valeur des marchandises nécessaires à la reproduction de cette force de travail (c’est‑à‑dire des marchandises de subsistances). Dans la mesure où le capitaliste s’arrange pour faire travailler les travailleurs plus longtemps que ce qui correspond à l’équivalent de leur salaire, ce capitaliste est tout content de récupérer une plus‑value pour lui‑même.

Cela dit, comme l’ont montré Marx et Engels, la nature réelle de ce fonctionnement est dissimulée par des apparences communément acceptées comme "vraies". Dans la vie de tous les jours le gouvernement, les capitalistes et les travailleurs perçoivent seulement les apparences. Ainsi en surface, subjectivement, toutes les négociations et mouvements revendicatifs se placent dans une perspective fictive quant au fond, mais dont les enjeux sont évidemment réels : les conditions de travail et de vie pour les travailleurs (le salaire), le niveau de rentabilité pour les capitalistes (le bénéfice). La conséquence ultime de cette situation "à double fond" est que la nature réelle exposée par Marx et Engels prendra toujours le dessus, dans le sens que les capitalistes garderont toujours leur position de classe dominante, exploiteuse, tant que la propriété privée des moyens de production n’aura pas été abolie.

Il est donc vain de s’adresser aux capitalistes avec un discours moralisateur en demandant le "partage des richesses". Ce n’est que par des luttes que les travailleurs peuvent obtenir des résultats. Or les enjeux revendicatifs dépassent la confrontation directe entre les travailleurs d’une entreprise particulière et leur employeur pour exiger une augmentation des salaires. En premier lieu le salaire proprement dit au sens strict subit la déduction des cotisations sociales auxquelles l’employeur participe également par ce qu’il considère comme des "charges". À cet égard il s’agit d’exiger la mise en oeuvre du système de salaire socialisé, c’est-à-dire que la rémunération ‑ assumée par le capital ‑ de la force de travail devrait inclure les ressources nécessaires tout au long de la vie, y compris après le départ à la retraite. La conscience de cette notion, autrefois mise en avant par le mouvement ouvrier, s’est affaiblie parmi les travailleurs depuis des décennies.

La bourgeoisie mène sans cesse une bataille idéologique, et la question du salaire occupe une place primordiale. Les revendications en vue d’augmentions de salaire rencontrent le refus obstiné de la part des employeurs. Par contre ceux‑ci font la promotion de dispositifs variés qui embrouillent le décompte monétaire de ce que le travailleur "mérite" : primes de rendement, participation, intéressement, etc. Ces méthodes réussissent effectivement dans une certaine mesure à déboussoler les travailleurs et à freiner leur engagement dans les luttes. Sur cet aspect certains syndicats (la CFDT c’est le champion), au lieu de mener la bataille autour du salaire, viennent souvent au secours des employeurs dans les négociations, en prenant à leur compte le système des primes.

Pour les travailleurs, dans la société capitaliste, le régime de retraite correspond à un droit pour disposer d’un revenu minimum durant leur vie après la période de travail. Pour les capitalistes, les travailleurs sont simplement des "facteurs" nécessaires pour la production – ce qui compte, c’est la force de travail, pas la personne humaine. Une question se pose : malgré le taux chômage et la pénibilité de travail, et en sachant qu’en moyenne la durée de la période de retraite pour les travailleurs est limitée, pourquoi on repousse l’âge de départ à la retraite?

Ce n’est pas un hasard que les employeurs, et la bourgeoisie dans son ensemble, font souvent des comparaisons avec d’autres pays concernant l’âge de départ à la retraite. La raison essentielle, c’est que les mécanismes de fonctionnement du capitalisme impliquent la concurrence, en premier lieu entre les capitalistes (les entreprises), et indirectement entre les travailleurs qui pour survivre doivent trouver du travail, quitte à accepter des conditions de travail et de salaire déplorables. Pour assurer des volumes de profits les plus élevés possibles, les capitalistes prolongent la durée du travail journalière et aussi la période de la vie des travailleurs pendant laquelle ils les exploitent. Et on ne parle pas ici seulement de la France ou d’un pays particulier. C’est au niveau mondial que les entreprises et surtout ce qu’on appelle les grands groupes sont préoccupés par l’objectif d’assurer leur place parmi l’ensemble des autres groupes. La survie des uns et des autres n’est jamais garantie ‑ sur la scène du capitalisme impérialiste mondial il y a toujours des gagnants et des perdants, y compris des "morts".

Le capitalisme ne répond pas aux besoins de l’humanité, il n’y répondra jamais. Son fonctionnement est guidé non pas par les besoins des travailleurs mais par l’objectif d’assurer les profits pour le capital ‑ et les deux critères sont incompatibles. C’est la contradiction fondamentale entre capital et travail.

Il arrive que les capitalistes tentent de répondre aux revendications de classe ouvrière. En cela il y a deux cas de figure. Soit ils ont besoin de main-d’œuvre pour assurer la continuité de la production et de la rentabilité, soit ils sont confrontés à une mobilisation de la classe ouvrière suffisamment massive pour arracher des concessions. Chaque fois que des revendications obtiennent satisfaction, c’est suite à un développement de la lutte de classe, mais chaque fois aussi la bourgeoisie met régulièrement en question ces victoires et cherche par tous les moyens à annuler les résultats.

Quand la bourgeoisie attaque le droit de retraite, parallèlement il attaque d’autres droits : la santé (organisation et prise en charge des moyens en matière de santé ‑ hospitalisation, soins, etc.), le régime de chômage, la formation professionnelle, les congés payés (durée et mode de calcul). Tous ces dispositifs sont liés à la distinction de deux parties du salaire : salaire direct (qu’on touche tous les mois/semaines), salaire indirect (socialisé) qui finance les régimes de retraite, maladie, allocation chômage, familiale, etc. Malheureusement, en l’état actuel des choses, la conscience à ce sujet s’est perdue chez les travailleurs des nouvelles générations, notamment pour la jeunesse, les immigrés, les femmes en situation précaire, la plupart des sous-traitants. Il en résulte une insuffisance notable de mobilisation d’une partie de la classe ouvrière, qui à cause du contexte individuel particulier ne réalise pas l’intérêt à participer à ces luttes. Cette question est cruciale, car elle influe fortement sur le degré global de conscience de la classe ouvrière et de son niveau d’organisation.

Le mouvement de début 2023 contre la réforme du régime de retraite

Ce mouvement constitue une suite par rapport à d’autres mouvements des dernières décennies. Le développement des luttes a été différent à chaque étape mais il y a aussi un fil de continuité.

D’abord il faut souligner que la lutte de classe n’est pas conduite selon le désir où la volonté de tel ou tel participant, militant, parti politique. Même les salariés qui n’ont pas une conscience de classe, sont poussés à faire partie de fait de la lutte de classe, à travers les conflits qui surgissent au quotidien. Or cette participation spontanée produit tant bien que mal un certain effet : chaque lutte peut faire naitre un embryon de conscience de classe. C’est le cas en particulier quand un droit existant obtenu par des luttes difficiles est remis en question : la connaissance des antécédences peut nourrir la détermination dans la défense des droits. C’est qui explique en partie la réussite de la continuité de l’intersyndicale dans le mouvement contre la réforme du régime de retraite. La mémoire collective de la classe ouvrière existe. Elle garde une certaine permanence, bien qu’elle n’intervienne pas toujours effectivement.

Cette lutte a effectivement pris en compte une certaine expérience passée. Elle n’a pas démarré de rien. Le rôle des "intersyndicales" comme forme d’unité d’action entre diverses organisations syndicales comporte, dans la pratique, toujours des aspects critiquables et critiqués. Mais l’intersyndicale répond en général à une demande, un souhait, des travailleurs. L’existence d’une telle unité d’action accorde plus de visibilité à la lutte et encourage les travailleurs à y participer. Le fait que l’agression mise en oeuvre par la bourgeoisie a été particulièrement brutale a engendré une réaction au sein des confédérations syndicales (dont la CFDT) : les directions, sans exception, ont subi la pression de leur base dans le sens de rejeter les compromis vis‑à‑vis du gouvernement. C’est ainsi que l’intersyndicale a été maintenue jusqu’au 6 juin 2023 (et il est encore question, du moins en parole, de la poursuivre).

Toutefois, l’intersyndicale n’a pas fait disparaitre les défauts fondamentaux caractérisant l’état d’organisation actuel de la classe ouvrière. Elle ne pouvait pas constituer un remède ultime. La division de la classe ouvrière est déterminée par des facteurs idéologiques, politiques et organisationnels. Ce qui fait qu’à un certain stade du mouvement, les positions et attitudes des confédérations se sont différenciées. Exemple : après l’utilisation du "49.3" la CGT et Solidaires ont cherché à utiliser des moyens en dehors de la grève et la manifestation, tandis que les autres confédérations sont restées absentes ou étaient ouvertement en désaccord.

Il faut tenir compte du contexte dans lequel cette lutte a été entamée : la COVID, la crise économique, la guerre d’Ukraine, l’inflation… La bourgeoisie tente de faire croire qu’il s’agit à chaque fois de difficultés circonstancielles passagères, mais il faut comprendre que l’ensemble de ces évènements font partie des problèmes chroniques inhérents au système capitaliste. La question du coronavirus, par exemple, renvoie à la fois à l’incapacité de la société capitaliste de répondre aux besoins de santé et de surmonter les effets dommageables d’évènements naturels[1]. Globalement l’existence de lignes de front au sein de la société est la cause qui accumule les sources de conflits et qui en particulier donne un dynamisme aux mouvements contre la réforme du régime de retraite.

Ce mouvement a été précédé par la lutte dans le secteur des raffineries. Celle‑ci représentait potentiellement un enjeu important. Mais l’opportunité qu’elle impliquait n’a pas été saisie comme il l’aurait fallu. La CFDT s’était dissociée des grèves démarrées par la CGT : selon une déclaration de Laurent Berger, "la CFDT n’est pas tellement pour les grèves préventives, elle est pour agir au moment où l’on discute sur le sujet". Alors, pour sauver l’intersyndicale, la lutte contre l’impact de l’inflation et pour le salaire, qui avait été démarrée durant l’année 2022, n’a pas été utilisé comme levier pouvant approfondir la force des mobilisations globalement. Il est pourtant indispensable de considérer les deux questions ‑ retraite et salaire ‑ comme étroitement liées. Et le salaire constitue aussi une question sur laquelle il faut insister pour démasquer les positions des organisations politiques comme le RN ou des réformistes, qui ne remettent pas en cause la société capitaliste.

La position de classe est basée sur la défense des intérêts des travailleurs, donc en opposition aux intérêts des capitalistes. Entre les deux, impossible de vivre ensemble sans conflit. La lutte pour un régime de retraite dans l’intérêt des travailleurs est légitime et juste. Mais il faut la mener en étant conscient des mécanismes de la société capitaliste, autrement on tombe fatalement dans une position réformiste, comme certains qui cherchent la solution gestionnaire dans la société capitaliste comme l’issu du problème. Au bout du compte il faut éliminer la société capitaliste.

L’intersyndicale et la continuité du mouvement contre la réforme de la retraite.

Au démarrage du mouvement début 2023, un mot d’ordre est apparu, "bloquer le pays", "la France à l’arrêt". Ce mot d’ordre a été repris quasiment par toutes les confédérations. En réalité dans la pratique il n’a pas eu d’effet. Malgré le fait que l’unité d’action a été décidée, le travail de terrain n’a pas suivi, l’intersyndicale n’a pas réalisé l’unité d’action dans les branches ou les entreprises. Les quelques actions qui ont été entreprises sont restées sans continuité. De toute façon certaines confédérations (CFTC, CFE-CGC) sont loin d’avoir une tradition de la grève, et même la CFDT la perd ces dernières années.

Il faut tenir compte du fait que les divisions introduites par les restructurations des entreprises et de l’appareil de production en général ne facilitent pas les mobilisations de travailleurs. Au cours des dernières décennies les formes de grève se sont été modifiées sous plusieurs aspects : à la fois très courtes et très partielles, dans un chantier ou un lieu de travail. Il est difficile sur un périmètre plus large de définir une action commune à un même moment basée sur un même intérêt. Même pour une cause comme le régime de retraite, tous les salariés ne l’abordent pas de la même manière. Mis à part les freins extérieurs à la réalisation de la grève (la pression de la part des employeurs, les obstacles formels contre la lutte syndicale tels que le service minimum, la réquisition des grévistes), le niveau d’organisation préalable des travailleurs est faible.

Il faut envisager l’organisation des travailleurs sur deux plans essentiels : politique et professionnel.

Plan professionnel :

Face à la division du travail mise en place par le capital, les organisations syndicales n’ont jusqu’ici pas pu trouver les réponses nécessaires. Le syndicalisme de proximité a été affaibli[2]. Pour une bonne partie cela est dû à la restriction des moyens syndicaux imposée par les modifications du Code du travail. Exemple : la réduction du temps de délégation (réduit presque de moitié) entraine des difficultés pour rester en contact avec les travailleurs sur les lieux de travail, et pour entretenir des coordinations entre entreprises ou branches. Le syndicalisme de proximité concerne les petites et moyennes entreprises, mais aussi les grands groupes et les entreprises comprenant de multiples agences. La participation aux journées d’action s’est souvent faite sous forme de congé individuel, jours RTT, absence sans motif… Surtout les secteurs des emplois précaires, des intérimaires, des jeunes travailleurs, des femmes dans les activités comme le nettoyage, l’aide à domicile, la restauration ‑ ont été très loin de suivre les mouvements par le biais de la grève. En particulier la jeunesse, les immigrés, les femmes (dans le secteur précaire) ne se sont pas mobilisés à cause d’un facteur précis : pour ces trois catégories la retraite est un objectif de tout façon hors d’atteinte.

Ces constats signifient que les travailleurs ne se sont pas engagés conjointement en tant que classe ouvrière contre l’attaque du capital.

Plan politique :

Depuis l’arrivée de Mitterrand au pouvoir (1981) une vague de dépolitisation s’est produite et développée de façon accélérée. Outre l’absence d’une organisation politique de la classe ouvrière, le désintérêt à l’égard de la politique (voir le taux participation aux élections locales et nationales) freine la compréhension de la réalité. De multiples facteurs exercent une influence négative : l’esprit corporatiste qui réduit l’horizon de l’action envisagée et peut aller jusqu’à la méfiance à l’égard d’autres travailleurs; l’enfermement dans l’individualité ethnique (sur ce point les employeurs sont complices actifs). Même ceux qui ont conscience des dangers qui menacent leur vie, sont très éloignés d’adopter une position de classe. La politique réformiste petite-bourgeoise ne peut pas unifier et mobiliser la classe ouvrière. La construction de la conscience de classe pour les travailleurs, d’une part, se fait à travers l’expérience des luttes quotidiennes mais, d’autre part, a impérativement besoin d’une organisation/parti politique capable d’alimenter et guider ce processus[3].

Le rôle de l’État, du parlement, du pouvoir exécutif (gouvernement)
et des différentes composantes de la bourgeoisie

Certaines couches de la bourgeoisie étaient en désaccord avec la reforme ‑ sur la forme, pas sur le fond. Au sein de la grande bourgeoisie qui domine dans l’appareil d’État, existent des forces politiques qui défendent l’idéologie de l’État-nation "contre mondialisation". Le RN (ex-FN) est un exemple. Durant le mouvement il n’est pas intervenu activement, mais a exercé une certaine influence en adoptant une attitude de modération.

Il ne faut pas sous-estimer l’influence du populisme. Chercher à nouer des alliances au service de la lutte c’est une chose; tomber dans le populisme c’en est une autre. Que ce soit les gilets jaunes, ou "Nuit debout", ou les révoltes de quartiers : il peut y avoir des revendications qui coïncident plus ou moins avec celles de la classe ouvrière (pouvoir d’achat, conditions de travail, logement…). Mais dans ces contextes, les revendications exprimées n’incarnent pas la position propre à la classe ouvrière. Ces mouvements ne visent pas la société capitalisme en tant que telle comme ennemi. L’esprit reste souvent dans le sens "anti" : anti-Sarkozy, anti-Holland, anti-Macron. Le RN profite de ce mécontentement, pour tromper avec ses mensonges des travailleurs et une grande partie de la population de villes de petite/moyen taille qui ont été ravagées par la politique "néo-libérale" (capitaliste). Le RN joue sur la nostalgie de l’État-nation (impliquant la qualité d’"État fort"). Il déploie l’hypocrisie en ce qui concerne le régime de retraite, prétendant être contre le report de l’âge à 64 ans, et défendant en même temps dans son programme ‑ en faveur des petites et moyennes entreprises françaises ‑ la baisse des cotisations sociales. Bref le RN propose en réalité une retraite minable. C’est ainsi qu’il n’a jamais mobilisé contre la réforme. Par ailleurs il fait de la propagande anti-CGT. En référence à la déclaration de Martinez appelant à « barrer la route au RN », il argumente sur le thème « vous avez voté pour Macron, et vous voyez le résultat ». Les sympathisantes du RN ont pris ouvertement position contre la mobilisation, en ayant le faux espoir qu’aux prochaines élections le RN arrivera au gouvernement et baissera l’âge de départ à la retraite. Là encore il ne faut pas se focaliser sur la question de l’âge de 64 ans prise isolément. C’est au système capitaliste (auquel le système du salariat est directement lié) qu’il faut mettre fin.

Les organisations dites de gauche, PS, Écologistes, France Insoumise et PC (NUPES) adoptent une politique qui prétend chercher la solution avec les « valeurs républicaines ». Comme pour tous les autres, leur mode opératoire consiste à entretenir l’espoir d’obtenir un vote majoritaire aux élections parlementaires (et aux prochaines élections présidentielles). Leurs orientations sont réformistes quant aux perspectives qu’elles font miroiter, mais elles jouent aussi dans la pratique immédiate un rôle négatif vis‑à‑vis du mouvement. Cette fois‑ci la CFDT n’a pas pu freiner comme en 2010. Ce sont les composantes de la NUPES qui sont intervenues en ce sens. Néanmoins le NUPES a aussi manoeuvré en aidant à la constitution de l’intersyndicale. Le PS en particulier, qui a perdu ses forces après l’échec de Hollande, a cherché un souffle nouveau dans le mouvement ouvrier. Malgré cette réalité, certaines parties prenantes tentent de nier (dissimuler…) l’influence des partis politiques et leurs liens avec les organisations syndicales.

Or le manque d’unité idéologique et politique de la classe ouvrière bloque les efforts de développement des mouvements, qui restent enfermés dans une tactique à court terme. Il n’y a pas une perspective anticapitaliste visant à renverser le pouvoir de la bourgeoisie. Chaque fois on prend simplement pour cible la politique de telle ou telle gouvernement en particulier. Pour dépasser ces limites il faut effectuer un travail d’organisation sur des bases communistes marxistes-léninistes, afin d’atteindre un niveau qui permettra de regrouper l’avant-garde de classe dans une organisation.

La maladie anarcho-syndicaliste ‑ confusion entre les rôles respectifs du parti et des syndicats ‑ a toujours été fortement présente dans le mouvement ouvrier en France. La persistance d’un mouvement ouvrier sous une forme ou une autre (toutefois alimenté par des réactions spontanées) est une réalité objective. Mais notre rôle spécifique consiste à attirer ces luttes vers la seule perspective qui puisse aboutir à l’abolition du système capitaliste : le renversement du pouvoir de la bourgeoisie et la prise du pouvoir par le prolétariat. Cela nécessite de préparer le cadre organisationnel approprié. Sinon on va courir tous les temps derrière le mouvement spontané. La grève générale cette fois‑ci ‑ une fois de plus ‑ ne s’est pas réalisée. Déjà les mouvements de 2017 et 2019‑2020 nous ont montré que le mot d’ordre de la grève générale ne trouve pas d’écho dans la classe. Les tentatives d’interpréter les mots d’ordre « La France en Arrêt », « Bloquer le pays » n’y ont rien fait. Ce slogan peut paraitre "avancé", mais s’envole en l’air sans effet réel.

Quelle leçon en tirer? En continuité avec la logique de ce qui précède : le développement de l’organisation politique de la classe ouvrière est au centre de tout. Ce n’est pas seulement le parti politique qui manque. Le mouvement syndical doit également être mis en cause. La restructuration des organisations syndicales afin de les ramener à proximité des travailleurs est urgente. La lutte contre la réforme du régime de retraite a fait avancer des luttes au niveau local. Mais on est très loin d’un niveau d’influence du mouvement qui serait suffisant pour franchir un palier dans l’organisation.

La question est donc de savoir comment on peut oeuvrer afin de développer le niveau de la conscience de la classe parmi les travailleurs. Les programmes électoraux des forces politiques réformistes ou "républicaines" proposent des mesures qu’ils promettent d’appliquer quand elles seront au gouvernement. Une telle approche est par essence inappropriée pour s’opposer à la domination de la bourgeoisie. La pratique appliquée par l’appareil d’État le prouve continuellement : la répression policière (et pression aussi en dehors des moments de conflit ouvert), l’utilisation de dispositions comme le "49.3" (c’est-à-dire l’alinéa 3 de l’article 49 de la Constitution française), les positions du Conseil constitutionnel, les embrouilles au Parlement le 8 juin dernier autour de la proposition de loi présentée par le groupe "Liot" (qui tendait à ramener à 62 ans l’âge légal de départ à la retraite). Il est important de dénoncer ce contexte et de déjouer les illusions répandues au sujet des agissements de l’État bourgeois. Aucune mesure économique et sociale ne peut être conçue ni jugée sans prendre en compte le fait que l’État dominé par la bourgeoisie détermine sa mise en oeuvre. La police, la gendarmerie, le Parlement, la justice ‑ aucun de ces organes ne’est indépendant de la bourgeoisie. Toutes ces institutions défendent la société capitaliste. Tant que cette réalité n’est pas perçue par les travailleurs, la classe ouvrière ne peut pas acquérir sa conscience propre authentique. Le mouvement récent, différent d’autres mouvements précédents, a apporté des éléments nouveaux. La durée de la lutte a permis des débats plus approfondis qu’auparavant, sur la question de la lutte de classe, le capital, les rapports entre partis politiques et syndicats. Il faut que les militants se réclamant du marxisme-léninisme renforcent leur présence dans les débats, même si ce n’est pas à la hauteur de ce qu’on recherche au fond.

Ce mouvement nous montre très clairement, dans les lieux de travail (de production), un fait : s’il n’y a pas d’organisation ‑ ni politique ni syndicale ‑, la lutte contre la bourgeoisie ne dépassera pas un travail d’agitation. Certes ce dernier est indispensable aussi. Mais "bloquer la production" sera possible seulement sur la base d’une conscience et d’une organisation de la classe ouvrière a un niveau élevé. Au‑delà du rôle individuel des dirigeants de telle ou telle confédération syndicale, les communistes marxistes-léninistes doivent réfléchir et agir selon une vision à long terme.

Il faut mettre en avant un principe : sans avoir confiance en la classe ouvrière et sa capacité de s’organiser et de prendre le pouvoir, aucun travail dans le sens marxiste-léniniste ne pourra être efficace. La confiance en soi de chaque militant doit aller de pair avec la confiance en la classe ouvrière. Les évènements récents ont été marqués par des actions fortes, dans les secteurs des raffineries, de l’énergie, du métro, de la Sncf, plusieurs milliers de travailleurs ont mené une lutte déterminée, des grèves, d’une durée prolongée. Voilà les sources de dynamisme !

Le fait que le mouvement s’est étalé sur une période assez prolongé est important. Il s’est étalé sur six mois ponctués par des assemblées générales, des débrayages, grèves et occupations sur les lieux de travail, des manifestations organisées par les syndicats, des actions de solidarité avec les militants – à l’égard notamment de la CGT. En parallèle il s’est lié à d’autres luttes sectorielles et locales. Cette ampleur dans le temps et dans l’espace a permis de faire valoir l’élément fondamental : pour faire face à la domination de la bourgeoisie, quelle que soit l’enjeu d’un conflit, il faut agir selon une vision politique de classe contre classe. Concrètement les mobilisations n’ont pas réussi à culminer dans un arrêt de travail à l’échelle nationale. Néanmoins les actions ont pris une ampleur considérable jusqu’aux villes petites et moyennes, sous forme de manifestations, pétitions, assemblées publiques etc. L’intersyndicale a joué un certain rôle favorable à cet égard. La lutte n’a pas réussi à faire reculer la volonté du gouvernement d’aller au bout de sa démarche, mais elle a produit un résultat très important : la prise de conscience que l’acharnement du gouvernement est lié au fait que la réforme entré en vigueur correspond aux intérêts du capital, des capitalistes, de la bourgeoisie.

Un débat a eu lieu sur la question "est-ce qu’on a gagné ou perdu ?". Pour nous, cette question n’a pas de sens. La lutte de classe existe au‑delà de la volonté des communistes. Le rôle des communistes consiste à approfondir le degré d’organisation du mouvement ouvrier, à constituer l’avant-garde de la classe ouvrière en tant que parti communiste marxiste-léniniste, lequel doit assumer le rôle dirigeant vis‑à‑vis de l’ensemble des travailleurs en tant que classe. La faiblesse actuelle du mouvement ouvrier à tous les points de vue ‑ idéologique, politique, organisationnelle ‑ ne nous permet pas d’interagir avec les diverses expressions de mécontentements et de contestations en dehors du mouvement ouvrier. Notre activité, notre existence même, doivent rester indépendants de toute influence ou compromission vis‑à‑vis des forces bourgeoises.

 



[1]. Voir nos articles à ce sujet dans le journal La Voix des Communistes :

https://rocml.org/tag/coronavirus-covid-19/

[2]. À ce sujet un amendement au projet de document d’orientation du 53. Congrès de la CGT avait été soumis, visant à souligner les raisons objectives des difficultés auxquelles sont confrontées les Union locales. Voici des extraits (ces considérations n’ont pas été prises en compte pour le document d’orientation adopté).

[…] La structure de l’appareil productif subit à tous les niveaux des évolutions dans le temps, orientées par les besoins du capital qui vise à assurer au mieux l’objectif de réaliser des bénéfices. Il en résulte certaines difficultés pour la mise en oeuvre des objectifs qui sont les nôtres dans le cadre de l’activité syndicale. Le rôle qui incombe aux unions locales est crucial, mais en l’état actuel des choses elles ne sont pas en capacité de l’assumer correctement.

Parmi les facteurs principaux qui sont source de difficultés il faut citer l’éparpillement des travailleurs autant selon la fonction (atelier de fabrication, chantier, transport de marchandises, etc.) que selon le périmètre géographique dans lequel ils évoluent (lieu de travail, siège de l’entreprise, domicile). En particulier le fort degré de précarité que le capital a imposé progressivement (sous-traitance, travail temporaire, contrats à durée déterminée etc.) accentue les effets négatifs qui entravent les efforts d’impulser les actions collectifs des travailleurs. Cela inclut une tendance à des rapports de méfiance mutuelle entre les travailleurs en situation précaire et ceux ayant un emploi relativement stable. Les distanciations liées aux origines ethniques et/ou aux croyances peuvent engendrer également des obstacles.

[…] Les syndicats d’entreprise sont un élément fondamental, incontournable, de l’organisation syndicale globalement. Mais ils ne doivent pas fonctionner en tant qu’unités de base livrées à eux-mêmes (ce qui mène fatalement à des orientations corporatistes), ni simplement se reposer sur les structures organisationnelles mises en place par les employeurs (comité d’entreprise/comité central d’entreprise par exemple). La cohérence interne de notre organisation doit être fondée sur la vision commune déterminée par la conscience de classe. Les unions locales sont destinées à constituer un chainon primordial dans ce lien qui doit traverser la CGT du haut de la direction confédéral en passant par les instances intermédiaires – en créant notamment des rapports interprofessionnels -, jusqu’aux syndicats d’entreprise.

[3]. Voir l’article "La conscience de classe ne se développera que par la lutte", La Voix des Communistes, no 15, 1er trimestre 2016, p. 8‑12.

https://rocml.org/wp-content/uploads/2021/12/VdC_2016-03_15.pdf

La meilleure façon de former la conscience de classe, c’est la lutte et avec un moyen qui n’est pas dépassé : la grève. Ce qui manque aujourd’hui c’est un travail de base qui corresponde à la nouvelle situation économique et sociale, en particulier face à la restructuration du capitalisme, la flexibilité, la mobilité, la précarité, la sous-traitance et l’ensemble des dispositifs dits de "mondialisation". Les anciennes formes et modes d’action ne permettent pas d’entrainer dans la lutte la majorité des prolétaires divisés en titulaires, sous-traitants, détachés, intérimaires. Cela crée des difficultés et une rupture des organisations syndicales avec la classe. […] Si on veut organiser la classe, comment, avec quels moyens, avec qui, etc. : depuis de nombreuses années dans le monde entier l’expérience a montré qu’aucune lutte ne saurait être organisée simplement en donnant une directive. Sans avoir une organisation politique ‑ le Parti communiste ‑ la classe ouvrière ne peut pas s’organiser indépendamment de la bourgeoisie. La lutte spontanée sans présence de militants communistes au sein de la classe, bien qu’elle puisse apporter énormément de choses, reste dans le cadre d’une société bourgeoise où la victoire n’est que provisoire. Seule une organisation communiste capable d’"organiser la classe" peut nous mener au succès. Si l’on n’a pas cette organisation aucune accumulation durable d’une force politique révolutionnaire n’est possible. Pour ne pas en rester au niveau d’un mouvement spontané, il faut avoir une organisation politique qui crée le lien politique et physique. Nous avons déjà écrit dans La Voix des Communistes à plusieurs reprises que le travail au sein de la classe n’est pas seulement mené sur le lieu de travail. Il y a également le quartier. Les communistes se sont-ils engagés dans cette voie? Pas vraiment jusqu’ici. Qu’est-ce qu’on peut faire? Dans le quartier, mise à part une poignée de lumpenprolétaires, il y a des chômeurs et des jeunes qui viennent de quitter l’école sans aucune issue de pouvoir obtenir de travail.