À propos du mot d’ordre de nationalisation
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La revendication des nationalisations est réapparue récemment comme une réponse économique et politique aux suppressions d’emplois dues aux fermetures d’entreprises et aux restructurations provoquées par la crise profonde et prolongée du système capitaliste de production.
Réapparue, car cette question n’est pas nouvelle. Elle accompagne en effet tous les débats politiques au sein du mouvement ouvrier depuis le 19 ème siècle, dès lors que s’est posée la question : comment amener la masse des ouvriers à la nécessité de la révolution socialiste alors que leur conscience de classe n’est pas parvenue à ce stade.
Aujourd’hui, comment amener les ouvriers à cette conscience, alors que leurs formes d’action et d’organisation sont encore au niveau de la lutte défensive pour garder leur emploi, sauver leur entreprise, c’est-à-dire leur statut de salariés exploités ? Autrement dit, par quel mot d’ordre (ou revendication) transitoire, réalisable sans remettre en cause le système bourgeois, la classe ouvrière pourra-t-elle prendre conscience de la nécessité du reversement révolutionnaire du capitalisme ?
La nationalisation est la réponse que donnent certains syndicalistes, et certains courants ou organisations politiques qui se réclament du marxisme révolutionnaire voire du marxisme léninisme.
Le ROCML n’est pas d’accord avec ce mot d’ordre. Pour des raisons théoriques, historiques, et fondées sur le caractère de la situation socio-politique actuelle.
I. LA THÉORIE
Elle est connue de tous les marxistes qui ont lu les « classiques ». Aucun marxiste révolutionnaire ne conteste cette théorie, mais il n’est pas inutile de la rappeler. Analysant l’évolution du capitalisme de libre concurrence en capitalisme monopoliste, Engels envisage comme une nécessité le passage du monopole privé en propriété capitaliste d’État.
La nécessité de la transformation en propriété d’État apparaît d’abord dans les grands organismes de communication : postes, télégraphes, chemins de fer. (…)
Mais ni la transformation en sociétés par actions, ni la propriété d’Etat ne supprime la qualité de capital des forces productives. Et l’État moderne n’est à son tour que l’organisation de la société bourgeoise se donne pour maintenir les conditions extérieures générales du mode de production capitaliste contre les empiètements venant des ouvriers comme des capitalistes isolés. L’État moderne, quelle qu’en soit sa forme, est une machine capitaliste : l’État des capitalistes, le capitaliste collectif en idée. Plus il fait passer les forces productives dans sa propriété, et plus il devient capitaliste collectif en fait, plus il exploite de citoyens. Les ouvriers restent des salariés, des prolétaires. Le rapport capitaliste n’est pas supprimé, il est au contraire poussé à son comble. Mais arrivé à ce comble, il se renverse. La propriété d’État sur les forces productives n’est pas la solution du conflit, mais elle renferme en elle le moyen formel, la façon d’accrocher la solution.
Cette solution peut consister seulement dans le fait que la nature sociale des forces productives modernes est effectivement reconnue, que donc le mode de production, d’appropriation et d’échange est mis en harmonie avec le caractère social des moyens de production. Et cela ne peut se produire que si la société prend possession directement et sans détours des forces productives qui sont devenues trop grandes pour toute autre direction que la sienne[1].
La nationalisation des monopoles n’est donc en rien en contradiction avec la société capitaliste et ses lois économiques. Elle en est au contraire l’aboutissement logique, la phase ultime.
Dans « L’impérialisme stade suprême », Lénine développe cette thèse en expliquant que le capitalisme monopoliste d’État est le stade suprême du capitalisme et constitue l’antichambre du socialisme, qu’aucune autre étape ne saurait séparer du socialisme. La solution du passage de l’un à l’autre étant la révolution prolétarienne, la conquête du pouvoir par le prolétariat.
Cette thèse d’Engels et de Lénine fut continuellement dénaturée par les opportunistes qui se sont évertués à faire des nationalisations le moyen d’accéder au socialisme sans passer par la révolution. Voilà comment ce courant fut condamné par l’Internationale Communiste en 1921 :
« Revendiquer la socialisation ou la nationalisation des plus importantes branches de l’industrie, comme le font les partis centristes, c’est encore tromper les masses populaires. Les centristes n’ont pas seulement induit les masses en erreur en cherchant à les persuader que la socialisation peut arracher des mains du capital les principales branches de l’industrie sans que la bourgeoisie soit vaincue, ils cherchent encore à détourner les ouvriers de la lutte vitale pour leurs besoins les plus immédiats, en leur faisant espérer une mainmise progressive sur les diverses industries les unes après les autres, après quoi commencera la construction « systématique » de l’édifice «économique. Ils reviennent ainsi au programme minimum de la social-démocratie, c’est-à-dire à la réforme du capitalisme, qui est aujourd’hui une véritable duperie contre-révolutionnaire.
Si dans ce programme de nationalisation, par exemple de l’industrie du charbon, l’idée lassalienne joue encore un rôle pour fixer toutes les énergies du prolétariat sur une revendication unique, pour en faire un levier d’action révolutionnaire conduisant par son développement à la lutte pour le pouvoir, dans ce cas nous avons affaire à une rêverie de songe-creux : la classe ouvrière souffre aujourd’hui dans tous les Etats capitalistes de fléaux si nombreux et si effroyables qu’il est impossible de combattre toutes ces charges écrasantes et ces coups en poursuivant un objet si subtil tout à fait imaginaire. Il faut au contraire prendre chaque besoin des masses comme point de départ de luttes révolutionnaires qui dans leur ensemble, pourront constituer le courant puissant de la révolution sociale. »
Quitte à être taxé de « prestidigitateurs contemporains » qui se prononcent pour le socialisme « sans transition »[2], le ROCML adhère totalement à cette position de l’Internationale Communiste. Les « centristes », eux, s’ils se reconnaissent, devraient y réfléchir sérieusement.
II. L’EXPÉRIENCE CONCRÈTE
DES NATIONALISATIONS « DÉMOCRATIQUES »
réalisées par des gouvernements à participation« communiste »
La ligne révisionniste de la possibilité du passage pacifique au socialisme, en niant la nécessité du renversement violent de l’État bourgeois comme condition première du développement socialiste de la société, développa dès après la Seconde Guerre mondiale (interview de Maurice Thorez au Times) la thèse selon laquelle le développement quantitatif du secteur nationalisé (capitaliste d’État ) accompagné d’une « démocratisation » progressive des pouvoirs économiques et politiques permettrait un passage progressif, sans révolution, au socialisme.
Le programme commun qui fut la base de la participation du PCF au gouvernement de F. Mitterrand en 1981 présentait les nationalisations comme la base d’une rupture avec le capitalisme.
La réalité a montré que les nationalisations passées, réalisées dans le cadre de l’État bourgeois, n’ont contribué en RIEN à rompre avec le capitalisme, ni à faire le moindre petit pas vers cette rupture.
Après la Seconde Guerre mondiale, elles ont permis à l’État de reconstruire l’appareil de production capitaliste en prenant à sa charge, ou plutôt en mettant à la charge du prolétariat les secteurs industriels, énergétiques et des transports que le capital privé ne pouvait développer avec profit dans les circonstances de sortie de la guerre. Que des concessions sociales aient été acquises par le prolétariat en échange de l’acceptation de ce projet, cela ne change rien à la nature du secteur nationalisé à cette époque, ni à ses buts. La bourgeoisie restant aux commandes, ces acquis ont été progressivement dégradés, et il en reste peu un demi-siècle plus tard.
Après 1981, elles ont servi aux restructurations nécessaires face aux premières conséquences de la crise naissante du système impérialiste. C’est l’État dirigé par les « socialistes » avec la participation de ministres « communistes » qui fut chargé de restructurer les entreprises nationalisées avant de les rendre au secteur privé dès qu’elles furent redevenues rentables.
Devant l’évidence qui sautait aux yeux des travailleurs dupés, le PCF révisionniste fit une « autocritique » sur sa participation au gouvernement « d’union de la gauche » qui avait mené cette opération avec sa caution. Aujourd’hui, il semble avoir mis dans un tiroir cette stratégie des nationalisations comme une progression vers le socialisme et enfoui dans les archives la perspective elle-même du socialisme. En absence de ligne de rechange, il se contente désormais d’une stratégie d’inflexion démocratique des plans définis par les monopoles face à la crise. Un capitalisme « à visage humain » en quelque sorte.
III. LES NATIONALISATIONS DANS LE CONTEXTE ACTUEL
Ce mot d’ordre semblait avoir disparu. Pourtant, depuis quelques mois, devant l’échec des luttes ouvrières contre les fermetures d’entreprises et l’absence de perspective, on a vu ressortir la nationalisation comme une solution au problème de l’emploi, comme une solution politique à la casse industrielle – voire comme un mot d’ordre permettant de faire progresser la conscience politique de la classe ouvrière vers la révolution socialiste.
Ce mot d’ordre de nationalisation comme solution au « maintien de l’emploi » est partagé par le leader CFDT d’Arcélor-Mittal de Florange, la plupart des organisations « à la gauche de la gauche », le Front de Gauche, des organisations se réclamant du marxisme léninisme, et même certains « socialistes » comme Arnaud Montebourg qui en a brandi la « menace » pour « faire pression » sur Mittal »… avant d’être lâché par « la droite du Parti »… sous la pression du MEDEF ! Nous comprenons bien les intentions des uns et des autres.
Pour Montebourg, il s’agissait d’illusionner les travailleurs pour mieux les démobiliser.
Pour les ouvriers et les organisations communistes il s’agit au contraire de définir des objectifs pour mobiliser les travailleurs et les faire sortir de leur impuissance actuelle à faire reculer la bourgeoisie dans ses plans économiques et antisociaux. Nous ne mettons pas en doute leur bonne foi et leur volonté de combattre les politiques du capital. Mais nous pensons que la bonne foi et la volonté anticapitaliste ne suffisent pas pour définir une ligne juste.
Nous pensons au contraire que la nationalisation n’est pas un objectif juste.
Elle n’est ni efficace dans l’immédiat, ni porteuse d’une possibilité d’avancée politique des travailleurs vers la perspective de la révolution socialiste.
Posons la question : Pourquoi la nationalisation d’une entreprise comme celle de Florange, voire d’Arcélor-Mittal, voire de toute la sidérurgie et même d’autres secteurs économiques clés, aboutirait-elle à d’autres résultats que ceux des nationalisations antérieures ? Il n’y a aucune raison de le croire.
Tous les communistes s’accordent pour dire qu’il s’agirait toujours d’entreprises capitalistes. Donc capitalistes d’État. Comme toutes les entreprises nationalisées au vingtième siècle en 1945 et en 1981. Ces entreprises, comme toutes les autres, seraient soumises à l’environnement économique national et international, soumises aux mêmes lois économiques, les lois économiques du capitalisme.
L’une des composantes de la crise qui conduit un monopole comme Arcélor-Mittal à fermer ses hauts fourneaux, c’est la baisse de rentabilité du capital investi (baisse du taux de profit), dans cette branche de la sidérurgie. La seconde, c’est la surproduction mondiale d’acier et la concurrence implacable qui en résulte sur les marchés. Devenu propriétaire d’Arcélor–Mittal, l’État échapperait-il à ces deux réalités ? Va-t-il produire de l’acier alors qu’il y en a trop ? Va-t-il investir à perte (du point de vue du capital) pour produire de l’acier qu’il ne saura pas vendre ?
Et pour « maintenir l’emploi » ? Comment un Etat qui supprime des emplois dans la fonction publique pourrait-il financer le maintien de l’emploi d’ouvriers du privé en prenant la relève des entreprises privées défaillantes ?
Franchement, c’est prendre ses désirs pour la réalité. Et même en supposant qu’il s’agit de la seule possibilité pour résoudre la case de l’économie et de l’emploi, il faudrait un puissant rapport de force favorable à la classe ouvrière, pour faire pression sur un État bourgeois, pour le contraindre à tourner le dos aux lois du capital. Cela ne s’est jamais vu, même quand ce rapport de force existait, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.
Ainsi, toutes les nationalisations se sont faites dans le cadre des besoins du capital et ont fonctionné selon ses lois. Et il ne peut en être autrement. À moins d’oublier (ou de les mettre entre parenthèses tout en les reconnaissant) la nature de classe et la fonction de cet État.
Malgré les objections théoriques et malgré les confirmations de l’histoire, des organisations qui se réclament du marxisme-léninisme[3] avancent pourtant ce mot d’ordre de nationalisation. Parmi ces organisations, l’URCF a le mérite d’avoir édité un argumentaire intitulé : Les communistes révolutionnaires et la question de la nationalisation où elle s’efforce de justifier sa mobilisation autour de ce mot d’ordre.
C’est pourquoi nous examinerons ce document sans volonté particulière de notre part de viser cette organisation.
Quels sont ces « arguments » et quelles sont nos critiques (Les extraits du texte de l’URCF sont en italique. Nos commentaires sont en écriture droite).
Les communistes ne sont pas opposés à toute nationalisation.
Pourquoi y serions-nous opposés en effet ? Nous ne défendons pas l’entreprise capitaliste privée ! Nous pensons simplement que l’entreprise nationalisée reste un espace d’exploitation du travail salarié et que les communistes n’ont donc pas à choisir l’une plutôt que l’autre. C’est pourquoi nous nous opposons non aux nationalisations, mais au mot d’ordre de nationalisation avancé par des communistes car il diffuse l’illusion que l’entreprise nationalisée pourrait être autre chose qu’une entreprise capitaliste comme toute autre entreprise capitaliste.
En s’appuyant sur le rejet par l’Internationale communiste du mot d’ordre de nationalisation de certains monopoles avec indemnisation avancé par la social-démocratie dans les années 30, l’URCF laisse entendre que l’Internationale aurait simplement rejeté l’indemnisation, insinuant ainsi qu’elle aurait préconisé des nationalisations sans indemnisation. De même, cette critique de l’Internationale aurait visé surtout « la voie britannique » de nationalisation qui servait d’alibi au concept de « socialisme démocratique »
C’est réduire le sens et la portée des critiques de l’Internationale contre les nationalisations « à l’anglaise ». Nous reviendrons plus loin sur les recommandations de Lénine et de l’Internationale Communiste sur l’usage des mots d’ordre transitoires de nationalisation et de contrôle ouvrier.
Au demeurant, nous ne sommes pas nous non plus dogmatiquement opposés en toute circonstance au mot d’ordre de nationalisation. Ainsi, nous sommes d’accord avec l’URCF pour soutenir la nationalisation des richesses naturelles et des entreprises monopolistes étrangères dans les pays engagés dans un processus de libération nationale et de rupture avec l’impérialisme.
Mais, dans un pays impérialiste et dans les conditions actuelles, c’est différent.
La nationalisation Montebourg était une nationalisation bourgeoise.
« A Arcélor-Mittal (mais pas encore à PSA), la social-démocratie, par la voix de Montebourg, a annoncé l’idée d’une « nationalisation temporaire d’Arcélor-Mittal dans l’attente d’un repreneur », proposition relayée par des élus régionaux UMP, PS inquiets d’une nouvelle désertification économique de leur région. »
Bref, il y aurait pu y avoir une bonne nationalisation. Il aurait fallu pour cela qu’elle ne soit pas temporaire dans l’attente d’une bonne reprise, mais qu’elle soit définitive, sans indemnité et avec contrôle ouvrier.
« – Finalement le gouvernement social-démocrate a capitulé devant les vociférations de la patronne du MEDEF… »
L’URCF affirme paradoxalement qu’il aurait pu y avoir une grosse contradiction entre le MEDEF et Montebourg ? C’est une première erreur, camarades. Ensuite, et c’est la deuxième erreur, vous laissez penser que le gouvernement et Montebourg n’ont « fauté » que par faiblesse ? C’est se tromper sur la nature de classe de la social-démocratie. La social-démocratie ne pêche pas par sa faiblesse mais par son rôle politique de défense des intérêts de la classe bourgeoise. Les gesticulations populistes de l’aile gauche de la social-démocratie ne furent qu’une apparence trompeuse destinée à dissimuler son essence bourgeoise.
Quant aux vociférations de la patronne du MEDEF elles n’ont eu d’autre but que de conforter l’image d’un Montebourg prêt à en découdre avec le patronat ! Bien joué ! On attend le prochain épisode…
La nationalisation sans indemnisation et sous contrôle ouvrier serait une nationalisation à contenu prolétarien :
« Ce mot d’ordre oppose clairement la classe ouvrière à la bourgeoisie monopoliste et à la différence d’autres comme l’interdiction des licenciements ne se situe pas uniquement dans le cadre des rapports de production capitalistes mais subvertit ces mêmes rapports. Les marxistes léninistes accordent toujours le primat au contenu de classe sur la forme. Le mot d’ordre de nationalisation présente un contenu de classe différent et forcément antagonique selon la classe qui le porte. »
Mais qu’est-ce qui permet d’affirmer que la nationalisation est un mot d’ordre revendiqué par la « classe ouvrière » ? Peut-on identifier un groupe de militants à la classe ?
Et même si c’était le cas, qu’est-ce qui permet d’affirmer que ce mot d’ordre est forcément juste ? N’a-t-on pas vu ici et là des ouvriers, face aux mêmes réalités, revendiquer la création de scops ? Cela suffit-il à donner aux scops le label « classe ouvrière » ?
Les idées réformistes n’existeraient-elles pas chez les travailleurs ?
Est-ce la classe qui le revendique qui donne à un mot d’ordre son contenu de classe, ou la classe qui l’applique, parce qu’elle est la classe dominante et qu’elle dirige l’État ?
Admettons que sous la pression des luttes des entreprises soient nationalisées par expropriation, cela changerait-il leur nature capitaliste si l’Etat est capitaliste ? Les rapports de production capitalistes en seraient-ils subvertis. Et le contrôle ouvrier (sur quoi et par qui ?) y changerait-il quelque chose ? Ce contrôle ne s’exercerait-il pas dans le cadre de l’application des lois du capital ?
« La question de la transition (des voies transitoires) à la révolution est donc décisive… La nationalisation sans indemnisation et avec contrôle ouvrier est l’un de ces axes transitoires à l’expropriation finale des expropriateurs. »
Ici, nous ne sommes plus dans le cadre d’une revendication immédiate destinée à répondre au problème des licenciements mais dans celui de la théorie de la révolution.
Et bien que le document de l’URCF insiste toujours, d’un côté, pour dire que
« les marxistes révolutionnaires, tout en gardant comme cap la perspective stratégique de lutte pour le socialisme, (ils) doivent faire la clarté sur la nature de classe des nouvelles entreprises nationalisées, qu’elles ne constitueront pas des îlots de socialisme et relèveront du capitalisme d’État puisque l’État et les autres entreprises restent aux mains de la classe capitaliste… »
Cela n’empêche pas de poursuivre de l’autre côté que :
« Toutefois, ces entreprises nationalisées où les emplois sont sauvés, l’activité productrice relancée, les besoins en partie satisfaits pourront servir d’exemple pour conscientiser l’ensemble du monde du travail sur la compréhension que l’avenir et le salut ne se situent pas dans un « bon repreneur » ou dans de « bonnes indemnités » mais dans le combat permanent contre la propriété socialiste des moyens de production, par le processus qui en posant en dernière instance et en solutionnant les questions de l’État conduira des nationalisations de certaines entreprises à l’exigence de socialisation de l’ensemble de l’économie, liquidant ainsi le capitalisme. »
Arrêtons-nous là. Nous sommes en plein dans le « rêve-creux » lassallien fustigé par le IIIème Congrès de l’Internationale Communiste.
Car enfin, Pourquoi toutes les nationalisations antérieures dites « démocratiques » n’ont-elles pas engendré cette conscientisation de l’ensemble du monde du travail ?
Pourquoi n’ont-elles pas entraîné l’exigence de la socialisation de l’économie, liquidant ainsi le capitalisme ?
L’opportunisme, conscient ou pas, utilise toujours la même rhétorique : On affirme la théorie et l’objectif révolutionnaire (tout en gardant…) – puis on prend ses distances au nom de la « situation concrète » ou de « possibilités nouvelles » (toutefois…) et on finit par une nouvelle théorie qui contredit la première.
Le mouvement ouvrier communiste marxiste révolutionnaire est habitué à ces prétentions de développement créateur de la théorie marxiste au nom de son adaptation à la réalité. Elles ont toutes abouti à lui tourner le dos.
Nous terminerons sur la question de l’État
L’URCF assure adhérer bien sûr à la théorie marxiste-léniniste de l’État. Elle assure que l’État capitaliste doit être remplacé par un État ouvrier par la révolution socialiste.
C’est par rapport à cet objectif qu’elle justifie le mot d’ordre de nationalisation.
Examinons donc comment l’URCF articule ces deux questions :
« Pour l’URCF, le processus révolutionnaire peut coïncider avec une « guerre de position » de longue durée entre le capital et le travail jusqu’à l’offensive pour renverser le capitalisme.
La nationalisation sans indemnisation et avec contrôle ouvrier indique toute une période historique où les travailleurs imposeront des reculs au capital, gagneront et exerceront de nouveaux droits, contrôleront et dénonceront la gestion capitaliste, période où la conscience de classe devra progresser pour se poser la question de l’Etat et renverser le système d’exploitation. Processus qui débouchera sur une rupture par la révolution socialiste, à la socialisation de tous les monopoles…La bataille continue des travailleurs visera l’élargissement des droits, l’exigence croissante au-delà du contrôle ouvrier de diriger l’entreprise à la place de la haute bureaucratie d’État quand cette dernière sera l’instrument pour affaiblir le contenu de la nationalisation et organiser la gestion capitalistique du capital.
Cette lutte permanente inspirée et appuyée par les communistes aura pour objectif de satisfaire toujours plus les besoins vitaux et urgents des travailleurs, de populariser le combat afin d’étendre le champ des nationalisations à d’autres entreprises. »
Si l’on a bien compris, nationalisons d’abord les hauts fourneaux d’Arcélor-Mittal de Florange, puis tout le groupe Arcélor-Mittal, puis toute la sidérurgie, puis ainsi de suite tous les monopoles… Quand la haute bureaucratie d’État organisera la gestion capitalistique de l’entreprise nationalisée en dépit du contrôle ouvrier, alors les travailleurs en exigeront la direction.
Et ainsi la voie sera ouverte au renversement du capitalisme. CQFD !
Sauf que la question de l’État a été complètement occultée, détournée, rejetée à plus tard, à l’issue d’une guerre de position de longue durée.
Le mouvement communiste international a pourtant largement traité au cours de son histoire du rapport entre les revendications ou les mots d’ordre transitoires et la conquête du pouvoir d’État par le prolétariat.
La volonté de l’URCF de faire de ces revendications et mots d’ordre des leviers de l’activité révolutionnaire n’est en effet pas nouvelle.
Lénine, il faut le dire, avait lui-même impulsé ce type de revendications et de mots d’ordre entre Février et Octobre 1917 dans les « Thèses d’avril » et dans « La catastrophe imminente et les moyens de la conjurer ».
Rappelons que cette période correspondait à une situation de double pouvoir, que la situation militaire et économique était désastreuse, que le rapport de force entre le gouvernement bourgeois issu de la révolution de février et les soviets était instable, et que les masses étaient en ébullition.
Quels étaient ces mots d’ordre ? : La nationalisation de la terre, la nationalisation des banques, la nationalisation des syndicats capitalistes (trusts), le contrôle ouvrier… à côté des mots d’ordre du pouvoir aux soviets, de la conquête des soviets par les bolcheviks, de l’armement du prolétariat.
Dans le livre JOSEPH STALINE, HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION RUSSE, préparé par Maxime Gorki, V. Molotov, K. Vorochilov, Serge Kirov, A. Jdanov et supervisé par Joseph Staline lui-même, un chapitre est consacré à cette question des mots d’ordre à la veille de la révolution prolétarienne.
Voilà comment était exprimé le lien dialectique intrinsèque entre ces mots d’ordre transitoires et la conquête nécessaire du pouvoir par le prolétariat :
« La plateforme économique des bolchéviks traduisait les intérêts et les aspirations de la classe ouvrière et des masses paysannes travailleuses. Les bolchéviks appelaient les prolétaires et les paysans travailleurs à s’emparer immédiatement des terres des propriétaires fonciers, à nationaliser toute la terre, à nationaliser l’industrie trustifiée, à instaurer le contrôle ouvrier sur la production et la répartition.
Chaque paragraphe de la plate-forme économique bolchévik : nationalisation de la terre, contrôle ouvrier ou nationalisation des banques et des trusts, était un mot d’ordre de combat autour duquel les bolchéviks rassemblaient les masses et formaient l’avant-garde politique, sans laquelle la conquête du pouvoir par la classe ouvrière et la paysannerie pauvre était impossible. Chaque revendication de la plate-forme bolchéviks touchait à des questions d’actualité brûlante…
Chaque mot d’ordre, chaque proposition pratique n’était qu’une partie d’une plate-forme générale, d’un schéma complet et cohérent, dont toute la base, dont toute l’essence tendait à instaurer la dictature du prolétariat.
Les revendications du programme du Parti ne pouvaient être réalisées que sur la base de la dictature du prolétariat, de la suppression du pouvoir des capitalistes et des propriétaires fonciers, sur la base de l’instauration du pouvoir des soviets… (souligné par nous – ROCML)
Le sixième congrès du Parti Bolchévik a indiqué nettement que ce n’était qu’à la suite d’une révolution, de la liquidation de la dictature de la bourgeoisie, quand le pouvoir serait passé au prolétariat, aux soviets bolchéviks, que la situation économique pouvait commencer à s’améliorer. »
Sur le contrôle ouvrier :
« De même que les autres mots d’ordre de la plate-forme économique, le « contrôle ouvrier » était un mot d’ordre de lutte pour le pouvoir. Les bolchéviks ne le concevaient nullement en dehors du mot d’ordre fondamental : la dictature du prolétariat. »
Enfin sur la nationalisation des banques et de l’industrie trustifiée :
« Seul l’État de la dictature prolétarienne pouvait réaliser la nationalisation. La nationalisation des banques et des entreprises sapait les fondements du capital. D’autre part, le passage aux mains de la dictature du prolétariat des entreprises bancaires, des plus grandes entreprises industrielles et des transports, créait la base qui allait permettre de passer à l’économie socialiste réglée par un plan. »
Il est clair que pour Lénine et le Parti Bolchévik, Les mots d’ordre transitoires étaient le moyen de mener immédiatement les masses à la révolution et que la réalisation de ces mots d’ordre était conditionnée par la victoire de la révolution et l’instauration de la dictature du prolétariat.
Les Congrès de l’internationale communiste, confrontés à des interprétations réformistes des mots d’ordre bolchéviks insistèrent constamment sur les conditions d’utilisation de ces mots d’ordre. Ainsi le projet de programme du VIe congrès précise clairement cette condition :
« Lorsqu’une poussée révolutionnaire a lieu (souligné par nous – ROCML), lorsque les classes dirigeantes sont désorganisées, les masses en état d’effervescence, les couches sociales intermédiaires disposées dans leurs hésitations à se joindre au prolétariat, lorsque les masses sont prêtes au combat et aux sacrifices, le parti du prolétariat a pour but de les mener directement à l’assaut de l’État bourgeois. Il le fait avec des mots d’ordre transitoires de plus en plus accentués (soviets, contrôle ouvrier de la production, comités paysans pour l’expropriation de la grande propriété foncière, désarmement de la bourgeoisie, armement du prolétariat, etc.).
(…) Quand la poussée révolutionnaire fait défaut, les Partis communistes s’inspirant des besoins quotidiens des travailleurs doivent formuler des mots d’ordre et des revendications partielles en les rattachant aux objectifs fondamentaux de l’Internationale communiste. Ils se garderont cependant de donner des mots d’ordre transitoires spécialement appropriés à une situation révolutionnaire et qui, en l’absence de celle-ci, se transforment en des mots d’ordre d’intégration au système des organisations capitalistes (exemple : le contrôle ouvrier, etc. ). Les mots d’ordre et les revendications partielles conditionnent absolument, de façon générale une bonne tactique. Les mots d’ordre transitoires sont inséparables d’une situation révolutionnaire.
Est-il utile de préciser dans quelle situation nous nous trouvons aujourd’hui ?
IV. CONCLUSION
En faisant du mot d’ordre de nationalisation et de la réalisation de ce mot d’ordre sous le pouvoir bourgeois, une étape transitoire entre le capitalisme monopoliste et le socialisme, l’URCF commet une faute théorique.
Même accompagné de phrases révolutionnaires, ce mot d’ordre transitoire reste un mot d’ordre réformiste dès lors que la poussée révolutionnaire fait défaut et dès lors qu’il n’est pas associé à la nécessité de la dictature du prolétariat pour le mettre en œuvre. Il propage l’illusion que l’État bourgeois pourrait prendre le parti du travail contre celui du capital. Il n’est ni plus ni moins qu’ « un rêve-creux ».
Février 2013 – ROCML
V. DOCUMENTS :
UN PRÉCÈDENT HISTORIQUE
POLÉMIQUE ENTRE LE PARTI SOCIALISTE
ET LE PARTI COMMUNISTE
SUR LE MOT D’ORDRE DES NATIONALISATIONS.
Les communistes, dans leur grande majorité (pour ne pas dire plus), ne connaissent pas l’histoire du Parti Communiste Français, y compris parmi ceux qui en revendiquent l’héritage révolutionnaire.
Dans cet article, le ROCML remet en mémoire quelques aspects ignorés ou occultés de cette histoire et en particulier la position du PCF sur les nationalisations, dans les années 1930. Les textes apportés donnent un éclairage sur la valeur de ce mot d’ordre que le PCF révisionniste mit au centre de son programme après la seconde guerre mondiale. Ce mot d’ordre, aujourd’hui relégué par ce parti, est maintenant ressorti par des organisations qui déclarent avoir rompu avec le révisionnisme et qui se réclament pour certaines du marxisme-léninisme. Nous ajoutons ici quelques pièces destinées à éclairer et à approfondir le débat.
Voici un premier texte dont nous laissons au lecteur le soin d’en découvrir l’auteur :
Le Parti socialiste réclame le pouvoir – Pour éliminer les grands monopoles capitalistes, pour en restituer le profit à la nation, pour en remettre la gestion aux travailleurs et aux usagers associés sous le contrôle de l’État :
– Mines, dont les ouvriers connaissent le chômage et la misère, au moment où les besoins de la France l’obligent à importer le tiers de sa consommation charbonnière;
– Assurances privées, dont la gestion collective avec le concours des agents et des assurés libérerait l’État de la souveraineté d’une oligarchie de financiers et permettrait sans frais ni impôts d’assurer le fonctionnement d’un système général d’assurances couvrant tous les risques – y compris le chômage et les calamités agricoles;
– Grandes industries métallurgiques, chimiques, électriques, qui pillent le budget de l’État et soufflent sur les conflits mondiaux dont elles profitent;
– Transports, dont le fonctionnement anarchique coûte quatre milliards par an à l’État.
– Crédit et banque pour :
1° Protéger la petite épargne abandonnée au pillage des écumeurs.
2° Assurer la répartition rationnelle du crédit aujourd’hui soumis à la capricieuse dictature du capitalisme financier;
3° Pour préserver enfin du chantage et de la souveraineté des puissances financières l’indépendance de l’État républicain, de la presse et du suffrage universel.
Voilà un discours que l’on croirait directement sorti du PCF des années 70 ou de l’URCF, PRCF, PCOF… des années 2010…
Hé bien, qu’on se détrompe et que l’on s’étonne ! Il s’agit d’une partie du rapport prononcé par Paul Faure, secrétaire national du Parti Socialiste, au trentième congrès national du Parti Socialiste en mai 1934. Référence : Paris, Librairie Populaire, 12 rue Feydau, 1934.
Et le PCF alors, il devait applaudir des deux mains ?…
Hé bien non, encore une fois, qu’on se détrompe et que l’on s’étonne !
Voilà comment ce programme du PS était traité dans les CAHIERS DU BOLCHÉVISME : (Les italiques sont conformes à l’original)
Or, que disent le plan de Toulouse et le plan de la C.G.T ?
Ils préconisent notamment la nationalisation du crédit et des grandes entreprises industrielles, le contrôle et la direction des branches maîtresses de l’économie.
Dire que de telles mesures peuvent être l’œuvre d’un gouvernement formé dans le cadre du régime actuel, ne pas voir qu’il s’agit là des mesures fondamentales consacrant le passage du régime capitaliste au régime socialiste et que par conséquent la dictature du prolétariat en est la condition politique préalable, c’est commettre une profonde erreur.
Nous pensons toujours, fidèles à la doctrine de Marx et de Lénine, que la socialisation des moyens de production et d’échange ne peut être que l’œuvre du pouvoir prolétarien instauré après une bataille victorieuse contre les forces du vieux régime.
Oh, nous connaissons les arguments des partisans de la méthode qu’on nous propose. Ils disent : « Nous savons très bien que la classe capitaliste opposera des résistances, mais nous sommes décidés alors à les briser par tous les moyens. »
Alors…, c’est-à-dire qu’on reconnaît, en somme, que l’heure de la guerre civile sonnera quand il s’agira d’imposer le plan.
Quelle garantie a-t-on de la victoire des travailleurs à ce moment ? Qui peut affirmer que les conditions du succès des exploités dans la guerre de classes seraient précisément réalisées au moment où, le gouvernement ayant été légalement occupé par des adversaires des privilèges, la bourgeoisie engagerait le combat ?
Toute la question est là. Il n’y a absolument aucune raison (et on ne peut citer aucun exemple historique à cet égard) pour qu’un parallélisme existe, d’une part, entre l’accession légale au gouvernement d’hommes disposés à prendre des mesures socialistes, et, d’autre part, la réalisation des conditions requises pour le triomphe du prolétariat dans la guerre civile.
(Fernand Fontenay, LES CAHIERS DU BOLCHÉVISME, No 13, 1er Juillet 1935)
Le PS pour les nationalisations, le PCF contre, ça devrait faire réfléchir, non ?
Dans un numéro précédent des CAHIERS DU BOLCHÉVISME, l’un des dirigeants de l’Internationale Communiste, Clément GOTTWALD, avait démonté dans le détail l’illusion que représentent les nationalisations avant la prise du pouvoir par le prolétariat.
Voici cet article… qui laisse à penser que le PCF, à l’époque, a dû être « aidé » par l’Internationale communiste pour engager la lutte contre cette mystification.
K. GOTTWALD
Ma réponse aux socialistes français
Cahiers du Bolchevisme – Numéro 4
15 Février 1935
En novembre 1934, notre Parti frère, le Parti communiste français, a proposé au Parti socialiste un programme d’action du « front populaire du travail, de la paix et de la liberté ». La réponse du Parti socialiste fut très évasive. Je l’ai lue et voici comment j’aurais répondu aux social-démocrates français :
(…) Voici quel est notre raisonnement : Parler de la « réalisation progressive du socialisme » dans les limites du capitalisme, tant que les capitalistes sont au pouvoir et disposent de tous les moyens de production, c’est une utopie. (…)
(…) nous doutons beaucoup de la justesse de certains points de votre programme. Vous y parlez de la « nationalisation du crédit, des banques et des assurances ». Dans un autre point, vous promettez « l’ordre et la justice à la production par la socialisation des grands monopoles capitalistes, la propriété collective des grands moyens de production et d’échange qui mettra fin au règne du profit et à l’exploitation du travail salarié ». Comme vous ne mentionnez même pas dans votre projet le renversement de la bourgeoisie, il faut supposer que vous concevez toutes ces mesures dans le cadre du capitalisme, c’est-à-dire dans une situation où le pouvoir est aux mains de la bourgeoisie. (…)
Supposons que l’État : capitaliste réalise la « nationalisation » que vous proposez, soit, à vrai dire, l’étatisation des banques, des sociétés de crédit et des assurances. Dans ce cas, une question surgit immédiatement : Que deviendront les anciens actionnaires et propriétaires des banques, des établissements de crédit et des compagnies d’assurances ? Personne ne croira que l’État capitaliste est capable d’exproprier ces capitalistes. Ce qu’il fera tout au plus, c’est leur acheter les établissements financiers « nationalisés » au comptant ou à crédit (souligné par nous – ROCML). En tout cas, l’État capitaliste ferait payer par les petits contribuables les frais d’une telle « nationalisation ». De sorte que le premier effet de cette « nationalisation » sera, avant tout, d’augmenter les impôts qui pèsent sur les grandes masses de la population. Ensuite, admettons que les banques, les instituts de crédit et les compagnies d’assurances passent aux mains de l’État capitaliste, leur caractère capitaliste disparaîtra-t-il de ce fait ? Certes, non. Nous le voyons par l’exemple de l’Allemagne et de l’Autriche où la majeure partie du capital-actions des grandes banques contrôlant la plupart des entreprises industrielles de ces pays est aux mains de l’État capitaliste. Or, il ne viendra jamais à l’idée de personne d’affirmer que la Deutsche Diskont Bank de Berlin ou le Kreditanstalt sont des établissements socialistes. Pourquoi les États capitalistes autrichien et allemand ont-ils acheté la majorité des actions de ces banques ? Tout le monde le sait : simplement pour les « assainir » aux frais de l’État. Peut-on convaincre les masses que précisément l’État capitaliste français pourrait ou voudrait un jour « nationaliser » les banques dans un autre but que pour les « assainir » aux dépens des contribuables ? Cela signifie donc que la seconde conséquence d’une telle « nationalisation » serait de rejeter sur les grandes masses des contribuables les pertes subies par les banques capitalistes.
Il en est de même pour la « socialisation des grands monopoles-capitalistes », que vous proposez. Vous avez manifestement en vue l’étatisation de ces monopoles, leur transfert aux mains de l’État capitaliste. Mais, dans ce domaine, nous avons déjà une foule d’exemples â l’échelle internationale. Il existe des monopoles d’État dans différents États : tabac, allumettes, sucre, pétrole, alcool, etc. Quelle est la chose qui saute aux yeux en ce qui les concerne ? C’est que ces monopoles d’État spéculent sur les objets de grande consommation encore plus que les monopoles privés. La signification de ces monopoles d’État est en réalité celle-ci : ils permettent à l’État capitaliste de frapper les grandes masses, avec plus de facilité et de commodité, d’impôts supplémentaires et indirects. Est-ce pour cela que nous devons nous battre en France ? Je doute qu’on puisse le proposer sérieusement aux travailleurs, aux paysans et aux artisans français.
Enfin, vous parlez de la « propriété collective des grands moyens de production et d’échange ». Là encore, nous ne pouvons interpréter cela autrement que comme une proposition visant l’étatisation des grandes entreprises et du commerce de gros. Nous nous voyons de nouveau dans l’obligation de croire que vous envisagez leur passage aux mains de l’État capitaliste, leur étatisation. De même que pour les banques, se pose la question d’une indemnisation des anciens propriétaires de ces entreprises. Doivent-ils être indemnisés ou non ? En se plaçant au point de vue de l’État capitaliste et dans les cadres du capitalisme, on ne peut faire autrement que répondre par l’affirmative â cette question, si on ne veut pas se leurrer soi-même et tromper les masses travailleuses. Alors surgit la question : « Qui doit payer cette indemnité ? » Il va de soi que ce ne sont pas les capitalistes puisque ce sont eux qui la recevront. De sorte que c’est la population travailleuse des villes et des campagnes qui doit acquitter la facture d’une telle « collectivisation » de la grande industrie et du commerce de gros. C’est un côté de la médaille inacceptable, évidemment, pour les masses. Mais il y a encore l’autre côté. Les ouvriers et les employés se poseront, certes, cette question très pratique : Notre situation s’améliorera-t-elle, nos droits politiques seront-ils plus grands dans les grosses entreprises et maisons commerciales d’État que vous nous proposez ? Là encore, c’est la pratique qui nous donne la meilleure réponse. Par exemple, nous avons déjà en France des arsenaux de l’État, il y existe des chemins de fer de l’État, des fabriques de tabac, des mines, des forêts, des domaines, etc., appartenant à l’État. Or, la seule différence en ce qui concerne les conditions de travail dans ces entreprises et les entreprises privées, c’est que l’État refuse à ses salariés le droit de défendre leurs intérêts par la grève, – moyen qu’ils ont la faculté d’employer dans leur lutte contre les patrons privés. Ne lutte-t-on pas précisément en France contre l’attaque gouvernementale visant le droit de grève et de coalition des fonctionnaires ? De sorte que conseiller aux ouvriers français de se battre pour l’étatisation des grandes entreprises par l’État capitaliste cela revient à leur recommander de remplacer l’exploiteur individuel par l’exploiteur collectif. Non, les ouvriers français n’accepteront pas de pareilles choses. Ils ne tiennent nullement à tomber de Charybde en Scylla. Voilà en quoi votre projet de programme commun provoque principalement nos craintes et nos doutes. Si vous insistez sur la nécessité d’énumérer dans le programme d’action du « front populaire », sous forme de déclaration, les mesures les plus importantes que la classe ouvrière réalisera dans l’intérêt de tout le peuple travailleur lorsqu’elle sera devenue la classe dirigeante, c’est-à-dire lorsqu’elle aura conquis le pouvoir, alors nous sommes évidemment d’accord avec vous. Mais il aurait fallu en tout cas développer logiquement dans ce programme la pensée suivante :
En luttant pour la réalisation de toutes ces revendications pressantes des ouvriers, des paysans, le front unique du prolétariat déclare à toutes les couches travailleuses de la population qu’on ne peut garantir d’une façon certaine leur existence et leurs intérêts qu’en arrachant le pouvoir des mains de la bourgeoisie et qu’en instaurant le pouvoir de la classe ouvrière et des paysans travailleurs, sous la direction du prolétariat, et seuls les moyens révolutionnaires permettent de le réaliser. Une telle révolution aboutira à la création d’un gouvernement ouvrier et paysan qui s’appuiera sur les Soviets des ouvriers, des paysans, des artisans et des soldats et sur la force du prolétariat armé. Le gouvernement ouvrier et paysan expropriera sans indemnité toutes les banques et établissements financiers, mettra sous séquestre les comptes courants des riches, mais laissera intactes les épargnes des petits déposants. Le gouvernement ouvrier et paysan expropriera sans indemnité toutes les fabriques, les usines et le commerce de gros, et en fera, selon leur importance, soit la propriété de l’État ouvrier, soit des municipalités, soit des coopératives ouvrières et paysannes, tout en laissant intacte la propriété privée des petits commerçants et artisans. Le gouvernement ouvrier et paysan expropriera sans aucune indemnité toutes les terres appartenant aux gros propriétaires et à l’Église et les distribuera gratuitement, avec l’outillage, aux paysans travailleurs, tout en protégeant la propriété de ces derniers. Le gouvernement ouvrier et paysan annulera toutes les dettes des paysans travailleurs, des artisans et des petits commerçants envers les banques et les sociétés de crédit. Le gouvernement ouvrier et paysan réduira considérablement les impôts des paysans travailleurs, des artisans, etc. Nous pensons que c’est ainsi seulement que peut être posée, dans le programme d’action, la question de ce que fera la classe ouvrière immédiatement après la prise du pouvoir et que c’est ainsi seulement qu’on peut y répondre. (…)
Il ne suffit pas d’affirmer avoir rompu avec le révisionnisme ou le réformisme. Des camarades communistes sincères qui ont rompu tardivement ou qui rompent actuellement avec le PCF social-démocratisé n’ont pas complètement analysé les causes idéologiques qui ont mené le PCF hors de la voie révolutionnaire. Ils en reproduisent aujourd’hui les fautes politiques.
Le ROCML considère que la lutte de principe contre ces vestiges de la social-démocratie et du révisionnisme est une de ses contributions principales à la construction d’un véritable parti communiste marxiste-léniniste en France.
[1]. F. Engels, « l’Anti-Dühring », Chapitre deuxième, Questions théoriques, 1876, 77, 78.
[2]. Cf. la brochure de l’URCF, « Les communistes révolutionnaires et la question de la nationalisation » : « Passons sur les prestidigitateurs contemporains qui se prononcent pour le socialisme « sans transition ». Comment ? Nous ne le saurons pas, pour cause! »
[3]. URCF, PCOF, PRCF, CC 59/62 et nombre de groupes oppositionnels à l’intérieur ou à l’extérieur du PCF.