Déclarations d’Ihsan Ataya,
du Jihad islamique palestinien, 28 octobre 2023

Ataya est membre du bureau politique du Jihad islamique palestinien (JIP), chef du département des relations arabes et internationales du JIP et envoyé de ce département au Liban. L’entretien dont le contenu est reproduit ci-dessous a été réalisé par le site Internet The Cradle[1].

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The Cradle : Quels étaient les principaux objectifs de la bataille dite du "Déluge d’Al‑Aqsa"? Quelles étaient vos attentes et dans quelle mesure les factions de la résistance ont-elles réussi à les atteindre?

Ataya : L’objectif de l’opération Déluge d’Al‑Aqsa a été annoncé dès le début, il s’agit d’empêcher que la mosquée Al-Aqsa (à Jérusalem) soit prise pour cible, que les rites religieux musulmans soient dénigrés ou insultés, que nos femmes soient agressées, que des efforts soient faits pour judaïser la mosquée Al‑Aqsa et pour normaliser l’occupation israélienne de ce site, ou pour fractionner la mosquée dans le temps ou dans l’espace.

C’est ce que l’ennemi s’efforçait de faire en permanence, et c’est pourquoi l’opération a été baptisée "Déluge d’Al‑Aqsa".

Le deuxième objectif de l’opération est de libérer des milliers de prisonniers palestiniens des prisons de l’occupation, après le refus constant de l’ennemi d’échanger des Palestiniens détenus depuis des années dans ses prisons contre des prisonniers détenus par la résistance à Gaza – ce qui a contraint les factions de la résistance à capturer davantage de Soldats sionistes.

En outre, l’un des objectifs les plus importants de l’opération était de mener une opération préventive, car l’ennemi se préparait à une frappe surprise contre la résistance.

Bien entendu, l’opération a remporté d’importants succès dès le début, montrant la faiblesse et la fragilité de l’entité d’occupation, la possibilité de la vaincre et de libérer toute la Palestine. Un grand nombre de soldats et de colons sionistes sont tombés entre les mains de la résistance palestinienne; ils joueront un rôle important dans le processus de négociation pour l’échange de prisonniers palestiniens.

L’opération Déluge d’Al‑Aqsa a également interrompu la récente initiative de normalisation avec l’Arabie saoudite, que les USA s’efforçaient de mener à bien, et l’opération a donc, à tout le moins, entravé cette initiative.

The Cradle : Israël fait le pari de paralyser l’environnement qui nourrit la résistance, à travers les massacres sans précédent commis aujourd’hui à Gaza. Entend-elle y parvenir en punissant tous les Palestiniens?

Ataya : Le Palestiniens de Gaza ne sont pas un "incubateur", ils font partie intégrante de la résistance. Ce sont eux qui se trouvent sur le devant de la scène dans la confrontation avec l’ennemi, avec leur fermeté et leur défiance à cet égard, malgré tous ces massacres sans précédent et la guerre d’extermination menée par les mains des sionistes avec l’administration US en tête, pour déplacer à nouveau les Palestiniens, les intimider, et briser la volonté de résistance. Jusqu’à présent, ils ont échoué et l’ennemi n’a pas pu atteindre son objectif déclaré – aux côtés des Américains – qui est le déplacement des Palestiniens de Gaza et de Cisjordanie.

The Cradle : Il y a des tentatives de la part d’Israël de séparer les partis de la résistance les uns des autres et de présenter ce qui se passe aujourd’hui à Gaza selon un effort de cibler uniquement le Hamas. Quelle est la position du JIP sur cette question?

Ataya : Cibler le Hamas, c’est cibler toute la résistance palestinienne, et c’est cibler le fer de lance de la résistance dans cet axe. C’est pourquoi l’occupation a tenté de faire la promotion de l’idée selon laquelle "le Hamas est l’État islamique" et de manipuler l’opinion publique internationale contre la résistance palestinienne avec ces mensonges. Mais assurément cibler le Hamas revient toujours à cibler tous les mouvements de résistance palestiniens, car briser la résistance à Gaza, c’est briser la résistance dans toute la région.

Par conséquent, nous pensons que les tentatives de l’ennemi ont échoué, et même les trolls des médias sociaux qui ont essayé de créer une division entre les Palestiniens, leur résistance et la résistance de la région ont tous échoué, car toute la résistance a prouvé qu’elle était présente sur le champ de bataille. Comme l’a annoncé spécifiquement dès le premier jour la direction de la Résistance islamique au Liban, le Hezbollah, la résistance "n’est pas neutre", en plus des messages militaires envoyés depuis l’Irak, le Yémen et la Syrie.

Le front nord (Liban) avec la Palestine occupée, ce front est "bouillant" et non pas chaud. Mais maintenant, nous pouvons dire que les fronts irakien, syrien, yéménite et iranien sont bien sûr des fronts chauds, mais au Liban, c’est un front bouillant. Le Hezbollah a offert un grand nombre de martyrs jusqu’à présent, c’est une preuve pour réfuter tous ces soupçons et ces tentatives de tromper l’opinion publique – outre la rencontre qui a réuni le secrétaire général du Hezbollah, Sayyed Hassan Nasrallah, avec le secrétaire général mouvement Djihad islamique, Ziad al‑Nakhaleh, et le chef adjoint du Politburo du Hamas, Saleh al‑Arouri.

Toutes les factions de la résistance sont fortement présentes à la table, gérant la bataille depuis une salle d’opérations conjointes à différents niveaux, suivant attentivement ce qui se passe – instant après instant – évaluant la situation, faisant des recommandations et décidant de ce qui est approprié dans l’intérêt de Gaza et dans l’intérêt de la résistance pour briser le projet sioniste-US dans la région.

The Cradle : Quelles sont les "lignes rouges" suivies par ces partis de résistance pour étendre leur portée?

Ataya : À mon avis, l’ennemi a franchi toutes les lignes rouges. L’élargissement de la bataille est lié au cours des évènements à Gaza : si la résistance à Gaza peut briser le projet sioniste-US et vaincre seul cet ennemi sur le terrain, pourquoi ouvrir tous les fronts et en faire une bataille régionale?

Il est peut-être dans l’intérêt de la résistance palestinienne de briser l’ennemi et de lui infliger une deuxième défaite en moins d’un mois – après son incapacité à protéger ses soldats et ses colons au début de l’opération Déluge d’Al‑Aqsa. La deuxième défaite aura lieu s’il engage une bataille terrestre et envahit Gaza. Cela dépend donc du déroulement de la bataille, de la capacité de la résistance à tenir face à l’assaut, et de sa capacité à tenir à Gaza des puissantes cartes pour affronter cet ennemi.

Malgré l’horreur des massacres et l’ampleur des massacres perpétrés contre le Palestiniens, nous sommes convaincus que les victoires ne sont jamais sans prix et sans sacrifices. L’Algérie a donné des millions de martyrs pour se libérer du colonialisme français, et les Palestiniens ont fourni et fournissent toujours des martyrs pour leur cause.

The Cradle : Nous avons parlé d’intégration et de coordination autour de l’opération Déluge d’Al‑Aqsa. Qui a choisi le l’échéance?

Ataya : Les Brigades Al-Qassam [Brigades Izz al-Din al-Qassam, branche armée du mouvement Hamas] et la direction du Hamas ont annoncé dès le début que c’étaient eux qui choisissaient l’échéance et planifiaient cette opération. Mais après le début de l’opération, les autres factions de la résistance palestinienne à Gaza ont été informées – au sein de l’équipe des opérations conjointes – de se joindre à cette bataille, car elles estimaient également que cette bataille serait vaste et étendue et ne se limiterait pas à la destruction d’une position militaire, capturant des soldats ennemis et les ramenant à Gaza. Nous avons infiltré les colonies, élargi la zone de nos incursions, et la bataille s’est étendue dans le cadre de l’opération Déluge d’Al‑Aqsa.

The Cradle : Les Brigades Al‑Qods ["La Sainte", c’est-à-dire Jérusalem, branche armée du mouvement JIP] ont lancé une importante opération militaire depuis le sud du Liban. Qu’est-ce que cela indique? Ces opérations vont-elles continuer?

Ataya : L’opération militaire a été capable de porter un coup à l’ennemi : elle a été capable de prouver l’unité des arènes de confrontation palestiniennes, que les Palestiniens forment une unité, un peuple et une résistance indivisibles, et que ce qui se passe où que ce soit contre les Palestiniens nous concerne tous, où qu’ils soient.

Qu’un groupe de combattants des Brigades Al‑Qods puisse prendre d’assaut le territoire palestinien occupé, y pénétrer sur une bonne distance et tendre une embuscade aux soldats sionistes – c’est aussi un coup porté à la sécurité de toutes les agences de surveillance et de renseignement sionistes, un coup de portée moral. Elle épuise l’ennemi dans le nord de la Palestine, ce qui a conduit à la neutralisation d’une partie des forces qu’il veut mobiliser contre Gaza, et l’empêche de se concentrer sur un seul front sur le terrain.

C’était un message très important pour les réfugiés palestiniens dans leurs camps au Liban – pour leur rappeler de pointer leurs armes sur l’ennemi et non les uns sur les autres – et aussi un aspect positif pour le Liban, car le pays est soumis une forte pression étrangère pour naturaliser ses réfugiés palestiniens. Cette opération est donc venue dire à tout le monde que nous ne voulons pas de cela, que le peuple palestinien veut libérer sa terre et y retourner.

C’est une voie importante que nous continuerons. C’est à elle que sont dues les tentatives de l’ennemi de faire pression sur le Liban pour qu’il empêche les opérations contre lui dans le nord de la Palestine. Mais cela ne justifie pas que l’ennemi prenne pour cible des sites libanais, car ce sont des groupes palestiniens menant des opérations à l’intérieur de la Palestine occupée.

La bataille est grande ouverte et continuera. Même en Cisjordanie, il y a des affrontements constants où nous frappons partout où c’est possible, et ces derniers jours, la rue palestinienne en Cisjordanie s’est embrasée, les gens sortant pour manifester contre cette barbarie sioniste, ce bombardement massif de Gaza. , et la coupure de ses réseaux électriques et Internet vendredi.

The Cradle : L’invasion terrestre a-t-elle commencé?

Ataya : À mon avis, jusqu’à présent, nous avons assisté à une tentative de tester la capacité de la résistance à faire face, et l’occupant ne s’est pas encore engagé à lancer une invasion terrestre, pour ne pas être déçu et incapable de progresser. Il a donc ajouté qu’il souhaitait étendre l’opération contre Gaza, cherchant à faire pression sur la résistance pour qu’elle négocie au sujet des prisonniers civils.

The Cradle : Où en sont les négociations aujourd’hui?

Ataya : Les négociations sont clairement au point mort parce que l’ennemi ne veut pas respecter une condition qui établirait un cessez-le-feu de 5 jours. Il veut un cessez-le-feu d’une journée seulement, mais la résistance sait qu’une seule journée n’est pas suffisant, ni pour décharger les camions d’aide, ni pour les distribuer aux Palestiniens.

The Cradle : Plusieurs scénarios ont été suggérés sur la façon de mettre fin à la guerre, comme une proposition rapportée dans le journal saoudien Asharq Al-Awsat qui recommande de livrer le chef du Hamas, Yahya Sinwar, à l’occupant et de mettre fin à tout cela. Ou une proposition de déployer des forces arabes ou internationales à Gaza. Comment les factions de la résistance palestinienne voient-elles ce qui se passe aujourd’hui ?

Ataya : Premièrement, la tentative de l’ennemi de modifier les faits sur le terrain et de redessiner la carte de la région à partir de Gaza échouera. Tout comme la tentative de dessiner la carte d’un "nouveau Moyen-Orient" a échoué en 2006, tout comme ces tentatives ont échoué dans la guerre contre le Yémen, comme elles ont échoué dans la guerre globale contre la Syrie et comme elles ont échoué dans la guerre économique étouffante dirigée contre tous ces pays de la région, ce projet échouera sans aucun doute lui aussi.

Il existe une certaine similitude à certains égards entre ce qui s’est passé au Liban en 2006 et ce qui se passe actuellement à Gaza. À l’époque, la résistance libanaise a été accusée de s’être aventurée dans la guerre de manière inconsidérée. L’ennemi a lancé de vastes campagnes contre elle et a exercé de fortes pressions sur elle, exigeant que le Hezbollah lui remette les deux soldats israéliens capturés, tout en lançant une vaste agression sous prétexte de les récupérer.

Ce que veut aujourd’hui la résistance à Gaza, c’est arrêter la guerre d’extermination contre le peuple palestinien, reconnaitre la défaite de l’ennemi et s’adresser à un négociateur pour un échange mutuel de prisonniers.

Actuellement, les USA tentent de sauver cette entité, car "Israël" est considéré comme sa base pour la colonisation de toute la région. Le "gros bâton" US a été brisé lors de l’opération Déluge d’Al‑Aqsa, et il est donc venu pour inverser la défaite de cette armée qui a attaqué toute cette région, pour sauver sa base avancée dans cette région.

Tant que la résistance à Gaza est inflexible, tant qu’elle n’épuise pas ses capacités de confrontation et tant que les Palestiniens supportent cette énorme pression, elle brisera certainement ce projet.

Après tous ces sacrifices, aucun des dirigeants de la résistance ne sera satisfait sans la libération de tous les prisonniers palestiniens en échange des soldats sionistes qui sont désormais considérés comme un trésor entre les mains de la résistance.

The Cradle : Dans quelle mesure comptez-vous sur le monde arabe?

Ataya : Du côté populaire, nous comptons sur toutes les populations arabes pour exercer une grand pression, y compris dans les pays qui ont normalisé leurs relations et suivi le projet US. Cette pression de la rue arabe affectera le processus décisionnel à Washington – si les USA sentent que des têtes vont tomber, que des régimes vont tomber, ils y remédieront pour ne pas perdre leurs outils dans la région.

Quant aux pays de l’Axe de la Résistance, ils sont également prêts et présents pour une participation sur le terrain. Par exemple, les Irakiens se rassemblent aujourd’hui à la frontière jordano-irakienne, le Yémen est prêt à atteindre la Palestine et à combattre à nos côtés si les frontières sont ouvertes, et la Syrie également. Quant à l’Iran, dès le premier instant son ministre des Affaires étrangères n’a cessé de se déplacer, de contacter et de visiter des pays et des dirigeants, afin de faire pression et de changer leurs certitudes sur ce qui se passe – pour arrêter la guerre de l’ennemi qui cherche l’anéantissement.

La résistance a également gagné au Liban en 2006. La résistance à Gaza gagnera en 2023; elle remportera une victoire divine, nous en sommes surs, cette guerre doit avoir des répercussions qui feront tomber des trônes ou des régimes dans ce monde.

The Cradle : Selon vous, qu’est-ce que le Déluge d’Al‑Aqsa a affirmé dans votre conflit avec l’ennemi israélien?

Ataya : L’opération a été lancée pour changer la face de la région et la face du monde, dans l’intérêt de la résistance, dans l’intérêt de la libération de la Palestine et dans l’intérêt de la rupture du projet US-sioniste dans cette région.

 



[1]. The Cradle, 30/10/2023.

https://new.thecradle.co/articles/palestinian-islamic-jihad-al-aqsa-flood-was-a-preemptive-strike-against-the-enemy