Considérations concernant certains aspects
du système impérialiste mondial

Introduction

Un échantillon comparatif

Pays impérialistes

Pays non impérialistes

La Russie pays impérialiste

Exportation de capitaux

Quelques groupes monopolistiques

Quelques grands capitalistes

Examen de quelques arguments mettant en doute le caractère impérialiste de la Russie

La Chine pays impérialiste

La Chine pays capitaliste

Deng Xiaoping

Les caractéristiques des rapports de production

Capitalistes et membres du Parti communiste

Une "autre répartition" des richesses

Exportation de capitaux

Quelques groupes monopolistiques

Quelques grands capitalistes

Examen de quelques arguments mettant en doute le caractère impérialiste de la Chine

Orientation prédominant vers l’exportation de marchandises

Prétendue aide au développement des pays concernés

Investissements justifiés par des besoins de matières premières

L’Union européenne – un conglomérat impérialiste

Exportation de capitaux

Pays non impérialistes

Brésil – Argentine – Inde

Colombie

Libye

Qu’est-ce qu’un pays impérialiste?

La Turquie pays non impérialiste

Exportation de capitaux

Quelques groupes monopolistiques

Expansionnisme


 

Introduction

Le présent texte tente de clarifier la notion de "pays impérialiste". La caractérisation que Lénine donne du capitalisme à son stade impérialiste souligne notamment les éléments suivants [1] : concentration de la production et du capital conduisant à la formation de monopoles; fusion du capital bancaire et du capital industriel en un "capital financier"; importance particulière de l’exportation des capitaux. Cette analyse des fondements de l’impérialisme capitaliste reste entièrement valable, en ce qui concerne le système capitaliste en son état actuel.

Concrètement, en traitant la question du droit des nations à disposer d’elles‑mêmes, il distingue trois principaux types de pays [2] : les pays capitalistes avancés de l’Europe occidentale et les USA; l’Est de l’Europe (l’Autriche, les Balkans, la Russie); les pays semi‑coloniaux comme la Chine, la Perse, la Turquie, et toutes les colonies.

Le programme de l’Internationale communiste, adopté lors du 6e Congrès de celle‑ci, en 1928, examine du point de vue de la lutte pour la dictature du prolétariat les conditions régnant dans les différents pays, à savoir : 1) pays du capitalisme hautement développé (ÉtatsUnis, Allemagne, Angleterre, etc.) et jouissant d’un régime politique de démocratie bourgeoise formé depuis longtemps; 2) pays d’un développement capitaliste moyen (Espagne, Portugal, Pologne, Hongrie, Balkans, etc.) qui conservent des vestiges assez importants du régime semiféodal et qui n’ont pas encore achevé leur transformation démocratique-bourgeoise; 3) pays coloniaux et semicoloniaux (Chine, Indes, etc.) et pays dépendants (Argentine, Brésil et autres) possédant un embryon d’industrie, parfois même une industrie développée; où prédominent les rapports sociaux du moyen âge féodal ou le “mode asiatique de production” tant dans la vie économique que dans sa superstructure politique; où les principales entreprises industrielles, commerciales, bancaires, les principaux moyens de transports, les plus grands domaines, les plus grandes plantations, etc., sont aux mains de groupes impérialistes étrangers; 4) les pays encore plus arriérés (dans certaine partie de l’Afrique, par exemple), où il n’y a pas ou presque pas d’ouvriers salariés, où la majorité des populations vit en tribus, où subsistent encore les formes primitives de l’organisation sociale, où la bourgeoisie nationale fait presque défaut, où l’impérialisme étranger joue, avant tout, le rôle d’un occupant militaire qui s’empare des terres.

À l’issue de la 2e guerre mondiale, sous l’impulsion des luttes de libération nationale, s’est ouvert un processus de désintégration des empires coloniaux qui s’étalait jusque dans les années 1970. Puis, le phénomène de la formation de groupes monopolistiques s’est amplifié selon un périmètre géographique toujours plus large.

Il convient de préciser ce qu’on entend en parlant de groupe monopolistique. Il s’agit de pôles de concentration de capitaux, établis sous forme de groupes de sociétés lesquelles, pour chacun de ces groupes, sont contrôlées à travers des sociétés financières (dites holdings) de façon à ce que la taille de chaque groupe confère à celui‑ci une position prédominante à différents degrés, dans des domaines d’activité donnés. La prédominance peut consister en un monopole exercé par un seul groupe au niveau mondial ‑ ceci dans de cas exceptionnels ‑ ou à un niveau régional, ou elle peut être établie par une constellation de plusieurs groupes intervenant dans un même secteur d’activité et qui entretiennent par voie de concertation implicite ou explicite une situation d’oligopole collectif.

Durant toute la période depuis la disparition des empires coloniaux, diverses visions se sont manifestées successivement, en ce qui concerne la hiérarchie des pouvoirs économiques et politiques dans le cadre du système capitaliste impérialiste mondiale, tel qu’il s’exerçait et s’exerce concrètement à un moment donné de son existence. Il est important pour les communistes d’analyser correctement cette question. Or, comme l’ont mise en lumière entre autre les récents évènements au Moyen Orient, des militants ou organisations qui se considèrent marxistes-léninistes adoptent parfois des positions erronées en la matière. C’est pourquoi nous formulons les réflexions qui suivent, afin de contribuer à la clarification des idées au sujet de l’impérialisme aujourd’hui.

Un échantillon comparatif

Il n’existe pas de schéma préétabli qui permettrait pour un pays donné de déduire mécaniquement s’il convient de le classer parmi les pays impérialistes. À l’origine du passage au stade de l’impérialisme se trouve l’apparition des groupes monopolistiques, ce qui représente un saut qualificatif dans le degré atteint par la centralisation et la concentration des capitaux. À son tour, cette transformation entraine le phénomène de l’exportation de capitaux. Nous examinons en premier lieu ce dernier aspect, parce que c’est celui qui concerne directement les relations entre pays.

[Note : Quand on parle d’investissements internationaux, c’est à dire d’investissements effectués dans un pays A de la part d’un agent économique établi dans un pays B, les statistiques recensent en premier lieu les flux pour une période temporelle donnée. Les valeurs peuvent être négatives, quand il s’agit de désinvestissements. Le résultat cumulé dans le temps de ses flux, selon le point de vue adopté, reflète soit la valeur totale des capitaux détenus dans le pays considéré à partir de l’extérieur, ou la valeur totale des capitaux détenus à partir du pays considéré à l’extérieur. "IDE" [investissements directs étrangers] est l’abréviation communément utilisée pour désigner les investissements internationaux.

Les tableaux sont basés sur des données fournies par la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (Cnuced, ou Unctad selon les initiales en anglais). Celles‑ci ont l’avantage de constituer des séries annuelles globales pour l’ensemble des pays du monde, mais les données le plus récentes disponibles datent de 2011 ou 2012 selon les cas. Elles sont basées sur les déclarations faites par les pays concernés. Elles sont partielles, incomplètes. Elles comportent des incohérences, puisque ce qu’un pays A déclare concernant un pays B n’est pas forcément symétrique par rapport à ce que le pays B déclare concernant le pays A. L’existence de relais de transit de différentes natures, notamment les dits "paradis fiscaux", dissimulent l’identification des détenteurs et la localisation finale des investissements, et ceci pour de volumes proportionnellement importants. Les chiffres cités ne peuvent avoir qu’une valeur indicative, ils ne peuvent être pris "à la lettre", il serait arbitraire d’en tirer des conclusions définitives. Elles peuvent néanmoins servir d’indicateur quantitatif, sous réserve de les interpréter en combinaison avec d’autres éléments, quantitatifs et qualitatifs.]

La question de l’exportation de capitaux ne doit pas être évaluée en un sens unilatéral : il faut mettre en rapport le volume des capitaux exportés avec le volume des capitaux importés. Comme premier approche, nous présentons quelques données en ce sens, en distinguant deux catégories de pays : des pays impérialistes dominants et des pays dominés par l’impérialisme, les premiers détenant des volumes notables de capitaux dans les derniers, tandis qu’inversement ceux‑ci ne détiennent que peu de capitaux à l’extérieur. Il est vrai qu’en établissant ainsi d’emblée une répartition bipolaire qui semble toute faite, nous anticipons quelque peu sur les conclusions, notamment en incluant la Chine et la Russie dans la catégorie des pays impérialistes. Nous aborderons plus loin d’autres éléments qui doivent être pris en compte conjointement avec le critère de l’exportation de capitaux, et qui relativisent celui‑ci.

Les tableaux qui suivent montrent pour chaque pays concerné les montants de stocks de capitaux les plus importants, respectivement pour les capitaux dans le pays détenus à partir de l’extérieur, et pour les capitaux détenus à partir du pays, à l’extérieur. En principe apparaissent à chaque fois le montant total pour l’ensemble de l’économie mondiale, ainsi que les montants pour les pays identifiables comme source/destination les plus importantes. On dit "pays identifiable", dans la mesure où divers pays jouent exclusivement ou partiellement un rôle de relais. Ce rôle est particulièrement prononcé pour les dits "paradis fiscaux" : Iles Vierges britanniques, Iles des Bermudes, les Iles Bahamas, etc. Mais notamment à l’intérieur de l’Europe, certains pays, tout en étant eux‑mêmes respectivement origine premier ou destination finale d’investissements, peuvent aussi fausser l’identification du pays auquel les capitaux comptabilisés sont rattachés du point de vue de l’implantation réelle. Ainsi par exemple de nombreux sièges sociaux de groupes sont localisés aux Pays‑Bas sans que le groupe puisse être qualifié raisonnablement comme néerlandais. Il est vrai d’ailleurs que dans le cadre du système impérialiste mondial, il y a de moins en moins de rapports directs, explicites, entre les pôles de concentration monopolistique des capitaux d’une part, les États impérialistes en tant que tels pris séparément d’autre part. Néanmoins cet aspect de la réalité garde sa pertinence, bien que de façon quelque peu diluée par le caractère de plus en plus diffus des canaux de circulation des capitaux.

Remarque : dans tous les tableaux qui suivent, "—" signifie qu’il n’y a pas de données disponibles. Les montants les plus significatifs apparaissent en caractères gras italiques.

Pour les exemples montrés dans la catégorie des pays impérialistes, les stocks de capitaux détenus par le pays à l’extérieur sont plus élevés que les stocks de capitaux dans le pays détenus à partir de l’extérieur; le rapport entre les deux varie entre 1,06 et 2,09, à l’exception de la Fédération de Russie et de la Chine.

Concernant la Fédération de Russie et la Chine, contrairement aux autres exemples de pays impérialistes, le montant des stocks de capitaux dans le pays détenus à partir de l’extérieur est supérieur au montant des stocks de capitaux détenus par le pays à l’extérieur : calculé de la même façon que pour les autres pays impérialistes, le rapport est respectivement de 0,8 et 0,59. Mais ce rapport situe néanmoins la Russie et la Chine largement au‑dessus des exemples de pays non impérialistes, pour lesquels le rapport le plus élevé constaté est de 0,37. Pour ces deux pays, ainsi que pour l’Union européenne dans son ensemble, des analyses plus détaillées sont données dans les sections respectives.

Dans la catégorie des pays non impérialistes, nous présentons d’abord le Brésil, l’Inde, la Turquie. Nous expliquerons ce choix par la suite, en rapport avec l’objectif de faire ressortir les éléments permettant de caractériser respectivement, les pays impérialistes et les pays non impérialistes. Pour ces exemples, les stocks de capitaux détenus par le pays à l’extérieur sont plus faibles que les stocks de capitaux dans le pays détenus à partir de l’extérieur; les rapports entre les deux vont de 0,15 à 0,37. Des analyses complémentaires suivront plus loin pour ces pays ainsi que pour l’Argentine et la Colombie.

La succession des pays est présentée par ordre décroissant en ce qui concerne le montant, pour chacun des pays, du stock de capitaux détenus dans l’ensemble du monde extérieur.

Pays impérialistes

 

USA

Stocks de capitaux,
en
millions de dollars US, pour 2011

détenus à l’extérieur

détenus à partir de l’extérieur

destination

montant

origine

montant

Monde

4.084.659

Monde

2.502.628

Pays-Bas

573.721

Grande-Bretagne

461.701

Grande-Bretagne

515.991

Japon

291.053

Luxembourg

350.619

Pays-Bas

225.703

Irlande

189.449

Allemagne

215.250

Japon

126.030

Suisse

202.220

Singapour

118.571

Luxembourg

192.860

Suisse

113.715

France

189.629

Allemagne

111.088

Belgique

80.299

Chine + HK

95.302

Espagne

46.177

[Hong Kong]

[39.998]

Singapour

24.207

France

79.621

Irlande

23.410

Belgique

50.941

Italie

21.272

Espagne

48.581

Chine + HK

8.644

Italie

25.981

[Hong Kong]

[4.915]

Féd. Russie

11.658

Féd. Russie

6.474

[Pays relais:]

 

[Pays relais:]

 

Iles Bermudes

280.461

Iles Vierges brit.

51.012

Iles Vierges brit.

200.219

Iles Bermudes

4.670

Iles Bahamas

30.640

Iles Bahamas

2.228

Ile Barbade

11.874

Ile Barbade

1 006

[Somme pays relais:]

[523.194]

[Somme pays relais:]

[58.916]

 

 

 

Grande-Bretagne

Stocks de capitaux,
en
millions de dollars US, pour 2011

détenus à l’extérieur

détenus à partir de l’extérieur

destination

montant

origine

montant

Monde

1.686.640

Monde

1.225.531

USA

317.694

USA

338.876

Pays-Bas

224.132

Pays-Bas

195.914

Luxembourg

212.450

France

94.677

France

82.653

Allemagne

77.376

Irlande

69.333

Luxembourg

74.122

Belgique

58.794

Espagne

62.535

Chine + HK

57.750

Suisse

55.876

[Hong Kong]

[47.952]

Japon

48.721

Espagne

57.736

Chine + HK

32.907

Allemagne

31.667

[Hong Kong]

[31.701]

Suisse

29.486

Belgique

25.011

Italie

18.102

Irlande

17.027

Singapour

14.747

Singapour

5.920

Féd. Russie

12.157

Italie

3.256

Japon

9.018

Féd. Russie

2.076

[Pays relais:]

 

[Pays relais:]

 

Iles Bermudes

24.158

Iles Bermudes

[Somme pays relais:]

[24.158]

[Somme pays relais:]

[—]

 

 

 

 

France

Stocks de capitaux,
en
millions de dollars US, pour 2011

détenus à l’extérieur

détenus à partir de l’extérieur

destination

montant

origine

montant

Monde

1.503.072

Monde

973.069

USA

241.943

Pays-Bas

166.233

Belgique

209.485

Luxembourg

128.312

Pays-Bas

171.293

Grande-Bretagne

116.492

Grande-Bretagne

159.185

Belgique

107.686

Allemagne

91.933

USA

101.675

Luxembourg

73.052

Allemagne

93.364

Suisse

59.064

Suisse

68.500

Italie

58.493

Espagne

33.772

Espagne

52.742

Italie

29.074

Irlande

32.790

Irlande

17.138

Japon

32.311

Japon

11.342

Chine + HK

30.016

Chine + HK

3.976

[Hong Kong]

[9.756]

[Hong Kong]

[3.380]

Féd. Russie

13.872

Singapour

2.832

Singapour

10.112

Féd. Russie

1.005

[Pays relais:]

 

[Pays relais:]

 

Iles Bermudes

7.731

Iles Bermudes

4.536

Iles Bahamas

1.174

Iles Cayman

358

Iles Vierges brit.

789

Iles Vierges brit.

291

Ile Barbade

206

Iles Bahamas

219

Iles Cayman

– 58

Ile Barbade

43

[Somme pays relais:]

[9.842]

[Somme pays relais:]

[5.447]

 

 

 

Allemagne

Stocks de capitaux,
en
millions de dollars US, pour 2011

détenus à l’extérieur

détenus à partir de l’extérieur

destination

montant

origine

montant

Monde

1.480.260

Monde

709.779

USA

328.485

Pays-Bas

166.793

Grande-Bretagne

151.547

Luxembourg

100.957

Pays-Bas

105.924

USA

65.042

Belgique

75.933

Grande Bretagne

63.166

Luxembourg

64.731

France

58.870

France

60.874

Italie

49.371

Chine + HK

55.585

Suisse

46.190

[Hong Kong]

[5.388]

Japon

19.907

Suisse

50.091

Espagne

15.877

Italie

46.896

Belgique

12.411

Espagne

35.554

Féd. Russie

4.118

Féd. Russie

25.445

Irlande

2.231

Japon

19.418

Chine + HK

1.757

Irlande

19.304

[Hong Kong]

[343]

Singapour

15.412

Singapour

1.232

[Pays relais:]

 

[Pays relais:]

 

Iles Cayman

2.817

Iles Bermudes

2.200

Iles Bermudes

1.736

Iles Vierges brit.

1.045

Iles Vierges brit.

144

Iles Cayman

787

Ile Barbade

107

Ile Barbade

Iles Bahamas

100

Iles Bahamas

[Somme pays relais:]

[4.904]

[Somme pays relais:]

[4 032]

 

 

 

 

Japon

Stocks de capitaux,
en
millions de dollars US, pour 2011

détenus à l’extérieur

détenus à partir de l’extérieur

destination

montant

origine

montant

Monde

962.790

Monde

225.787

USA

274.972

USA

70.771

Chine + HK

100.312

Pays-Bas

39.859

[Hong Kong]

[17.094]

France

20.465

Pays-Bas

84.786

Singapour

16.000

Grande-Bretagne

48.101

Grande-Bretagne

15.864

Singapour

31.642

Allemagne

9.632

Rép. Corée

17.933

Suisse

6.159

Allemagne

16.683

Chine + HK

5.134

France

15.782

[Hong Kong]

[4.575]

Belgique

14.724

Luxembourg

4.220

Taiwan

11.756

Taiwan

2.398

Luxembourg

6.982

Rép. Corée

2.220

Suisse

4.465

Italie

1.039

Italie

2.503

Espagne

380

Féd. Russie

1.721

Belgique

164

Espagne

1.514

Féd. Russie

71

[Pays relais:]

 

[Pays relais:]

 

Iles Cayman

67.850

Iles Cayman

18.428

[Somme pays relais:]

[67.850]

[Somme pays relais:]

[18.428]

 

 

 

Chine / Hong Kong

Stocks de capitaux, en millions de dollars US, pour 2011

détenus à l’extérieur

détenus à partir de l’extérieur

destination

montant

origine

montant

Chine
+HK+M

dont
Chine

Chine
+HK+M

dont
Chine

Monde *

752.768

160.586

Monde *

1.390.637

694.748

Grande-Bretagne

29.664

2.531

USA

113.846

67.592

USA

18.638

8.993

Japon

104.542

79.895

Luxembourg

17.976

7.082

Pays-Bas

87.616

11.678

Singapour

17.325

10.603

Singapour

76.483

52.956

France

7.104

3.724

Rép. Corée

60.058

49.854

Belgique

6.746

141

Taiwan

54.199

54.199

Japon

5.941

1.366

Grande-Bretagne

31.526

17.666

Rép  Corée

4.895

1.583

Allemagne

23.699

18.311

Pays-Bas

3.828

665

France

21.275

11.519

Allemagne

2.744

2.401

Belgique

7.015

1.257

Féd  Russie

4016

1.385

Italie

6.713

5.483

Italie

684

449

Espagne

4.767

2.287

Espagne

389

389

Luxembourg

1.684

1.684

Irlande

157

157

Irlande

641

641

Suisse

92

92

Féd. Russie

279

114

Taiwan

29

29

Suisse

[Pays relais:]

 

 

[Pays relais:]

 

 

Iles Vierges brit.

456.690

29.261

Iles Vierges brit.

457.261

121.571

Iles Cayman

36.282

21.692

Iles Bermudes

76.660

Iles Bermudes

29.005

752

Iles Cayman

37.802

23.830

Ile Barbade

3

3

Ile Barbade

3.927

3.927

Iles Bahamas

2

2

Iles Bahamas

[Somme pays relais:]

[521.982]

[51.710]

[Somme pays relais]

[575.650]

[149328]

 

* Hong Kong et Macao sont des Régions administratives spéciales de la République populaire de Chine, respectivement depuis 1997 et 1999. Le montant est calculé de façon à compenser les montants des stocks croisés internes à l’ensemble Chine/Hong Kong/Macao.

 

 

 

 

 

 

Espagne

Stocks de capitaux,
en
millions de dollars US, pour 2011

détenus à l’extérieur

détenus à partir de l’extérieur

destination

montant

origine

montant

Monde

656.727

Monde

617.065

Grande-Bretagne

94.375

Pays-Bas

138.680

USA

61.273

Luxembourg

96.160

Pays-Bas

58.457

Grande-Bretagne

60.294

Luxembourg

29.171

France

58.992

France

26.894

USA

52.509

Suisse

24.989

Allemagne

40.685

Allemagne

17.635

Italie

38.707

Irlande

12.174

Suisse

20.065

Italie

9.310

Belgique

16.913

Chine + HK

8.349

Irlande

8.603

[Hong Kong]

[2.480]

Féd. Russie

3.874

Belgique

8.276

Japon

1.703

Féd. Russie

1.328

Chine + HK

Japon

555

[Hong Kong]

[—]

[Pays relais:]

 

[Pays relais:]

 

Iles Cayman

963

Iles Cayman

[Somme pays relais:]

[963]

[Somme pays relais]

[—]

 

 

 

Italie

Stocks de capitaux,
en
millions de dollars US, pour 2011

détenus à l’extérieur

détenus à partir de l’extérieur

destination

montant

origine

montant

Monde

519.686

Monde

355.126

Pays-Bas

101.965

Pays-Bas

70.399

Allemagne

43.939

Luxembourg

65.134

Espagne

39.515

France

64.452

France

34.302

Allemagne

34.523

Luxembourg

32.162

Grande-Bretagne

30.501

USA

30.051

Belgique

22.272

Grande-Bretagne

18.926

Suisse

15.510

Belgique

18.490

USA

11.780

Suisse

12.252

Espagne

9.530

Irlande

11.223

Irlande

3.891

Chine + HK

10.631

Japon

1.904

[Hong Kong]

[1.230]

Chine + HK

833

Féd. Russie

7.391

[Hong Kong]

[235]

Singapour

1.519

Singapour

562

Japon

1.513

Féd. Russie

240

[Pays relais:]

 

[Pays relais:]

 

Iles Vierges brit.

224

Iles Bermudes

89

Iles Bahamas

45

Iles Vierges brit.

7

Iles Bermudes

11

Iles Bahamas

6

Iles Cayman

6

Iles Cayman

– 24

Ile Barbade

3

Ile Barbade

[Somme pays relais:]

[289]

[Somme pays relais:]

[78]

 

 

 

 

Féd. Russie

Stocks de capitaux,
en
millions de dollars US, pour 2011

détenus à l’extérieur

détenus à partir de l’extérieur

destination

montant

origine

montant

Monde

361.750

Monde

454.949

Pays-Bas

56.933

Pays-Bas

54.101

CEI

15.552

Luxembourg

20.386

Luxembourg

12.093

Allemagne

17.342

Suisse

11.962

France

14.701

Grande-Bretagne

10.058

Irlande

8.893

USA

9.145

Grande-Bretagne

6.251

Allemagne

6.337

Suisse

5.679

Espagne

3.115

USA

2.784

Irlande

1.848

Belgique

1.990

France

1.768

Japon

1.880

Italie

1.340

CEI

1.865

Chine + HK

279

Chine + HK

1.637

[Hong Kong]

[165]

[Hong Kong]

[252]

Belgique

137

Italie

1.137

Japon

20

Espagne

922

Singapour

3

Singapour

176

[Pays relais:]

 

[Pays relais:]

 

Chypre

125.355

Chypre

136.465

Iles Vierges brit.

45.962

Iles Vierges brit.

56.239

Iles Bahamas

5.481

Iles Bermudes

34.634

Iles Bermudes

3.557

Iles Bahamas

27.089

Ile Barbade

144

Iles Cayman

479

Iles Cayman

101

Ile Barbade

40

[Somme pays relais:]

[180.600]

[Somme pays relais:]

[254.946]

 

Pays non impérialistes

 

 

Brésil

Stocks de capitaux,
en
millions de dollars US, pour 2012

détenus à l’extérieur

détenus à partir de l’extérieur

destination

montant

origine

montant

Monde

266.252

Monde

746.902

Autriche

57.474

USA

113.440

USA

22.635

Autriche

8.172

 

 

 

Inde

Stocks de capitaux,
en
millions de dollars US, pour 2012

détenus à l’extérieur

détenus à partir de l’extérieur

destination

montant

origine

montant

Monde

79.857

Monde

218.134

Singapour

21.481

Ile Maurice

57.727

Ile Maurice

12.355

Grande-Bretagne

35.595

Grande-Bretagne

2.158

Singapour

17.654

 

 

 

Turquie

Stocks de capitaux,
en
millions de dollars US, pour 2012

détenus à l’extérieur

détenus à partir de l’extérieur

destination

montant

origine

montant

Monde

27.190

Monde

181.245

Pays-Bas

9.307

Pays-Bas

35.802

CEI hors F. Russie

6.100

Autriche

15.995

Féd. Russie

426

Féd. Russie

8.587

Autriche

167

CEI hors F. Russie

2.537

 

La Russie pays impérialiste

Exportation de capitaux

Le tableau ci‑dessous à gauche recense les rapports de la Russie avec les principaux pays impérialistes, et quelques autres. Les stocks de capitaux détenus à partir de l’extérieur sont prépondérants pour la France et l’Allemagne, mais l’inverse est le cas pour l’Italie, l’Espagne, la Grande‑Bretagne, les USA, et aussi l’Australie et l’Inde.

À noter certains montants élevés pour les pays pouvant jouer un rôle de relais, montrés dans le tableau ci‑dessous à droite.

 

 

 

Fédération de Russie

 

Stocks de capitaux,
en
millions de dollars US,
pour 2012

 

détenus
à
l’extérieur

détenus
à partir de
l’extérieur

Monde

406.295

496.396

UE hors GB

265.684

338.242

USA

10.662

2.878

Grande-Bretagne

9.962

7.177

Allemagne

9.089

21.500

Espagne

3.715

942

France

3.279

17.023

Canada

1.669

189

Italie

1.612

1.249

Inde

1.251

186

Australie

1.091

73

 

 

 

 

Fédération de Russie

 

Stocks de capitaux,
en
millions de dollars US,
pour 2012

 

détenus
à
l’extérieur

détenus
à partir de
l’extérieur

Pays-Bas

64.632

59.565

Suisse

11.965

6.347

Luxembourg

9.114

30.315

Autriche

7.460

10.072

Irlande

2.538

18.862

 

 

 

Ensuite ci‑dessous à gauche un tableau portant sur la dite "Communauté des États indépendants" par laquelle la Fédération de Russie tente de perpétuer son influence sur l’aire géographique correspondant à l’ex‑URSS. Le tableau à droite montre quelques cas pour la zone de voisinage en Europe/Asie, où l’on note une prépondérance des stocks de capitaux détenus par la Russie à l’extérieur.

 

 

 

Fédération de Russie

 

Stocks de capitaux,
en
millions de dollars US,
pour 2012

 

détenus
à
l’extérieur

détenus
à partir de
l’extérieur

Total CEI

15.370

2.411

Ukraine

5.404

323

Biélorussie

3.790

173

Kazakhstan

2.453

891

Arménie

1.575

345

Tadjikistan

679

22

Moldavie

570

24

Ouzbékistan

277

43

Kirghizistan

202

112

Azerbaïdjan

61

461

 

 

 

 

Fédération de Russie

 

Stocks de capitaux,
en
millions de dollars US,
pour 2012

 

détenus
à
l’extérieur

détenus
à partir de
l’extérieur

Europe
de l’Est/Sud-Est

 

 

Bulgarie

2.835

72

Serbie

1.784

27

Rép. Tchèque

1.585

298

Lituanie

1.329

244

Monténégro

1.108

30

Bosnie-Herzég.

725

Asie
centrale/de l’Ouest

 

 

Chypre

151.806

150.409

Turquie

5.661

975

Géorgie

359

16

 

 

 

Ce qu’on distingue clairement, c’est le caractère impérialiste des relations entre la Fédération de Russie et la CEI. Le rapport entre les stocks de capitaux détenus par la Russie dans cette zone et les stocks de capitaux détenus en Russie à partir de cette zone est de 8,34 selon les données pour 2011 (6,37 en 2012), c’est‑à‑dire quatre fois la valeur la plus élevée constatée globalement pour les exemples de pays impérialistes.

Un constat similaire ressort des données pour les régions de voisinage de l’Europe et de l’Asie. En partant du tableau présenté ci‑dessus pour ces régions (en laissant de côté le cas de Chypre, dont on peut supposer qu’il joue plutôt un rôle de relais), on obtient un rapport entre les stocks de capitaux détenus par la Russie dans ces zones et les stocks de capitaux détenus en Russie à partir de ces zones, de 15.386/1.662 = 9,26.

Et on peut souligner le montant relativement élevé du stock de capitaux détenus par la Russie en Turquie, qui est de 5.661 millions, à comparer aux stocks détenus en France (3.279 millions) ou en Allemagne (9.089 millions).

Quelques groupes monopolistiques

Le groupe Rosneft est le producteur de pétrole prédominant en Russie. En 2012, Rosneftegaz, dont le capital est détenu à 100 % par l’État, détenait 75,16 % du capital d’OJSC Rosneft et 10,74 % du capital de JSC Gazprom [3]. Puis, cette même année, Rosneft racheta à British Petroleum (BP) les 50 % que ce groupe détenait dans le capital de TNK‑BP [4]. Cette dernière société avait été constituée en 2003 par BP et le consortium russe Alfa-Access-Renova (AAR). Rosneft acquit également auprès d’AAR les 50 % restants du capital de TNK‑BP. D’autre part, selon les dispositions de l’accord, la participation de BP au capital de Rosneft qui était à ce moment de 1,25 %, passe à 19,75 %. Cette opération fit de Rosneft le premier producteur mondial de pétrole brut côté en bourse, devant PetroChina et ExxonMobil (mais loin derrière la société nationale Saudi Aramco).

En décembre 2016 Rosneftegaz cède 19,5 % du capital de Rosneft à un consortium formé par l’autorité publique d’investissement (Qatar Investment Authority, QIA) et le groupe Glencore [5]. Ce dernier, dont la QIA est l’actionnaire principal, intervient dans l’élaboration et le négoce de produits de base tels que métaux, minéraux, agricoles ainsi que génération d’énergie. Il est un des principaux acheteurs du pétrole de Rosneft. En septembre 2017 est annoncé un accord selon lequel le conglomérat chinois CEFC rachète au consortium QIA‑Glencore 14,16 % du capital de Rosneft. Finalement, alors que CEFC traverse des difficultés, la transaction n’est pas rendue effective. Le consortium QIA‑Glencore est dissout, QIA reprend la participation dans Rosneft détenue par Glencore à l’exception d’un résidu de 0,6 %.

Fin septembre 2017, l’ancien chancelier allemand Gerhard Schröder est élu au poste de président du conseil d’administration de Rosneft [6]. Il préside déjà depuis quelques années le comité d’actionnaires de Gazprom, qui exploite le gazoduc Nord Stream reliant la Russie à l’Allemagne via la mer Baltique.

Les ressources de pétrole et gaz exploités par Rosneft se situent certes principalement en Russie, mais le groupe opère aussi ailleurs dans le monde, dans le domaine de la production (notamment Venezuela, Vietnam, Canada, Égypte) ainsi que de l’exploration (notamment USA, Brésil, Venezuela, Irak) [7].

ExxonMobil, groupe US constitué en 1999 par la fusion d’Exxon et de Mobil et qui figure aux côtés de Rosneft parmi les principaux producteurs mondiaux de pétrole et gaz, coopère avec Rosneft depuis 1992. Cette année‑là Mobil rejoignit le Caspian Pipeline Consortium (CPC) avec une participation au capital de 7,5 % [8]. Cet oléoduc transporte le pétrole du champ de Tengiz au Kazakhstan vers le port de Novorossiysk, au bord de la mer Noire. Puis, à partir de 1995, Exxon participe au développement du champ de pétrole et gaz de l’ile de Sakhaline, dont actuellement Exxon Neftegaz Limited, filiale d’ExxonMobil, détient 30 % du capital. En 2011, ExxonMobil et Rosneft signent un accord sur un partenariat stratégique concernant la zone aux larges de la Russie dans l’Arctique, accord élargi par la suite à d’autres régions. En 2013 Neftegaz America Shelf, filiale de Rosneft, acquiert 30 % du capital des blocks attribués à ExxonMobil dans le Golf de Mexique, et RN Cardium Oil Inc., filiale de Rosneft, acquiert 30 % du capital, aux côtés d’ExxonMobil, dans un projet en développement au Canada. Sous l’effet des sanctions US visant la Russie, un certain nombre de projets opérés en commun ont dû être suspendus ou abandonnés. En 2015 RN Exploration (filiale à 100 % de Rosneft) et ExxonMobil Exploration and Production Mozambique Offshore Limited obtiennent la concession pour trois champs en Mozambique [9].

L’actionnariat d’ExxonMobil est essentiellement constitué de capital négocié en Bourse. On peut noter que jusqu’en 2017, le président du comité de direction d’ExxonMobil était Rex Tillerson, ensuite nommé Secrétaire d’État du gouvernement US (et congédié en mars 2018).

En 2016 Rosneft acquiert la société Bashneft [10]. Cette dernière participe depuis 2012 à une concession de champ pétrolier en Irak, accordé à un consortium composé de Bashneft (30 %), Premier Oil (40 %), PetroVietnam (30 %); en 2015 Bashneft reprit la participation de Premier Oil. En février 2017 est signé un accord de coopération entre Rosneft et la compagnie d’État libyenne National Oil Corporation (NOC) [11]. En juin 2017, sont signés des accords de coopération entre Rosneft et le gouvernement régional du Kurdistan irakien [12]. Le groupe russe détiendra 60 % de l’opérateur de l’oléoduc kurde, les 40 % restants étant détenus par l’opérateur actuel KAR. Il tiendra une participation de 80 % dans l’exploitation de certains champs dans la région.

En Allemagne, la filiale Rosneft Deutschland GmbH possède trois raffineries qui constituent plus de 12 % de la capacité total de raffinage existant dans le pays. En aout 2017, le conglomérat indien Essar Group cède sa filiale Essar Oil, la seconde plus grande raffinerie en Inde, à Rosneft qui acquiert 49,13 % du capital, en alliance avec Trafigura et le fonds russe UCP, ces deux derniers acquérant également 49,13 % [13]. Rosneft dispose en outre de raffineries en Biélorussie et en Ukraine.

Le groupe Rusal figure parmi les plus grands producteurs d’aluminium au niveau mondial. Il a été constitué en 2000 par la fusion de quelques‑unes des plus grandes fonderies d’aluminium de la dénommée Communauté des États indépendants [14]. En 2006 Rusal fusionne avec son concurrence local Sual et intègre en outre les sites du secteur d’aluminium de la société suisse Glencore International. La société holding (United Company RUSAL Plc) a son siège sur l’ile de Jersey.

À l’origine, en 2007, Rusal était contrôlé par Oleg Deripaska, qui cependant par la suite a cédé une partie du capital, réduisant sa participation à 47,59 %. En 2017, la composition de l’actionnariat est la suivante. L’actionnaire principal est Deripaska à travers En+ Group Limited (48,13 %); Victor Vekselberg et Len Blavatnik contrôlent 20,50 % à travers SUAL Partners Limited; et Amokenga Holdings, filiale à 100 % de Glencore International Plc, possède 8,75 %. En+, enregistré également sur l’ile de Jersey, est contrôlé par Fidelitas International Investments Corp. (enregistré au Panama). Deripaska est le fondateur, fidéicommissaire et un des principaux bénéficiaires d’une fiducie discrétionnaire, à travers laquelle est exercé le contrôle de Fidelitas International Investments Corp. Par ce montage reposant sur un accord avec d’autres actionnaires, Deripaska contrôle la société holding de Rusal.

À l’opposé de Rosneft, Rusal dépend fortement des opérations en dehors de la Russie pour disposer des matières premières nécessaires aux fonderies [15]. En 2017, son réseau international fournit 53 % de sa production de bauxite et 64 % de sa production d’alumine.

En Guinée (Conakry) est constituée en 1958 la société Fria (ultérieurement dénommée Friguia) par un accord entre l’État et un consortium de cinq sociétés privées internationales [16]. Le complexe, installée autour de la ville de Fria, comprend une mine de bauxite, une installation de raffinement d’alumine et un chemin de fer de 160 km. Durant des années Frigua connait des difficultés, et change plusieurs fois de gestionnaire. Rusal acquiert la mine en 2006, mais la transaction est par la suite invalidée par un tribunal, et en 2012 l’État entame une procédure à l’encontre de Rusal; depuis, l’activité du site est suspendue.

En 1969 est créé l’Office des Bauxites de Kindia (OBK) [17]. Il appartient à 100% à la Guinée, et il a pour but d’exploiter les Mines de Kindia. En 1992, L’OBK est transformée en Société des Bauxites de Guinée (SBK), Puis en 2000 la Guinée et Rusal s’accordent à transférer la production de SBK à Rusal. Un an après, Rusal obtient de la Guinée, les Droits de Gestion de SBK. La SBK change de nom et devient Compagnie des Bauxites de Kindia (CBK).

Outre les mines mentionnées, la Guinée dispose des gisements de Dian‑Dian dans la région de Boké, considérés comme les plus larges au niveau mondial. En 2001 est signé une convention de concession minière entre la Guinée et la Russie, portant sur l’exploitation de ces mines, et à cette fin est constitué le Compagnie de bauxite et d’alumine de Dian‑Dian (Cobad), filiale de Rusal, cependant la production de bauxite n’a débuté qu’en 2017.

En Nigéria est constituée en 1989 la société Aluminium Smelting Company of Nigeria (ALSCON), par le gouvernement nigérien qui se réserve 70 % avec une participation de deux sociétés privées, une allemande et une US [18]. Le site qu’elle gère débute la production d’aluminium en 1997. Des désaccords apparurent entre les deux sociétés privées, en 2002 le gouvernement relance une nouvelle procédure de privatisation. Parmi les candidats figure Rusal qui est sélectionné par le gouvernement, mais cette décision est contesté par un autre candidat. Néanmoins, Rusal débute la production en 2008. En 2012 la Cour suprême annule l’attribution de la concession à Rusal. La dispute est finalement réglée par une transaction renouvelée entre le gouvernement et Rusal qui est confirmé comme actionnaire principale d’ALSCON.

En Ireland, Rusal opère une installation de raffinement, la plus grande de Rusal pour la production d’alumine et la plus grande en Europe. Elle produit un quart de la production d’alumine de Rusal. Autre mine au Jamaïque, avec également une installation de raffinement. Autre installation de raffinement en Ukraine. Le seul site de fonderie en dehors de la Russie se trouve en Suède.

En Guyane, Rusal possède 90 % du capital d’une mine, la Bauxite Company of Guyana. En Australie, Rusal possède 20 % du capital d’une installation de raffinement, Queensland Alumina Ltd, le reste du capital est détenu par Rio Tinto.

Le groupe Alrosa est le plus grand exploitant de mines de diamants, couvrant 25 % de la production mondiale [19]. Il opère essentiellement en Russie, mais détient 32,8 % dans Catoca Ltd, société établie en 1992 qui exploite la mine de Catoca en Angola.

Le groupe Renova opère dans les secteurs de la métallurgie, mines, produits chimiques, construction, transport, énergie, télécommunications, ingénierie, public utilities, médecine, finances [20]. Il est implanté en CEI, Suisse, Italie, Afrique du Sud, USA. Il détient des participations dans UC Rusal, T Plus Group, OCTO Telematics et les groupes suisses Schmolz+Bickenbach, OC Oerlikon, Sulzer. En Afrique du Sud, Renova détient 100 % du capital de Transalloys and 49 % de United Manganese of Kalahari (UMK) [21].

Quelques grands capitalistes

Les médias utilisent abondamment le terme "oligarque" pour désigner divers personnages de la société russe réputés à juste titre être riches et influents. Au départ, il s’agissait de décrire la situation particulière des années 1990, lorsqu’en Russie la restauration pleine et entière du capitalisme atteignit son point culminant. Le processus de liquidation de la société socialiste a certes engendré quelques phénomènes spécifiques. Mais le maintien obstiné d’un terme datant de cette période transforme le vocabulaire en jargon, utilisé par les médias au service de la propagande bourgeoise.

Ils sont riches et influents, mais les entourer d’un certain aura ne change rien au fait que ce sont de grands capitalistes, à l’égal de leurs confrères des USA, d’Europe et d’ailleurs. Voici quelques exemples, sélectionnés à partir du classement des multimilliardaires établi par la revue Forbes. (Remarque : les chiffres cités concernant les participations au capital ainsi que les effectifs sont prises à des dates variées, ils n’ont qu’une valeur indicative puisqu’ils sont susceptibles de changer dans le temps.)

Vladimir Lisin. Il détient 84 % du capital de Novolipetsk Steel (NLMK) à travers Fletcher Group Holdings Limited. Il contrôle en outre Universal Cargo Logistics Holding (UCL). NLMK est fabricant de produits en acier; le groupe est structuré selon une intégration verticale allant de l’extraction minière à l’élaboration de produits finis; il dispose de sites de fabrications en Russie, en Amérique du Nord, en Union européenne. L’effectif de NLMK s’élève à environ 62.000 employés. UCL comprend un opérateur de transport ferroviaire ainsi que quelques ports et compagnies de transport maritime.

Alexey Mordashov. Il est actionnaire majoritaire de Severstal. Il est en outre actionnaire à 22 % du groupe TUI. Severstal est le plus important producteur d’acier au niveau de la CEI, et figure parmi les principaux groupes d’extraction et de transformation d’acier au niveau mondial. L’effectif de Severstal s’élève à environ 70.000 employés. Le groupe allemand TUI est un des groupes les plus importants au niveau mondial dans le secteur de voyages et de tourisme.

Leonid Mikhelson. Il est le fondateur et président du groupe Novatek. Il est en outre actionnaire à 48 % de Sibur. Novatek est producteur de gaz naturel. Son effectif s’élève à environ 3.600 employés. Sibur est une société de pétrochimie. Son effectif s’élève à environ 27.000 employés.

Vagit Alekperov. Il est fondateur de Lukoil, dont il détient actuellement près du quart du capital. Lukoil est la plus grande société pétrolière indépendante en Russie; l’effectif s’élève à plus de 100.000 employés.

Gennady Timchenko. Il est actionnaire notamment de Novatek et Sibur (cf. Leonid Mikhelson plus haut).

Vladimir Potanin. Il détient 32,9 % du capital de MMC Norilsk Nickel PJSC, et une participation dans NPO Petrovax Pharm LLC. Norilsk opère dans les domaines d’exploration, extraction, affinage de métaux précieux; il en sera question plus loin. L’effectif de Norilsk s’élève à environ 83.000 employés. Petrovax Pharm est un groupe pharmaceutique opérant dans les domaines de la recherche, développement, production de médicaments et vaccins. L’effectif de Petrovax Pharm s’élève à environ 600 employés.

Andrey Melnichenko. Il détient des participations majoritaires dans les groupes Eurochem, SUEK, SGK. Eurochem est producteur de fertilisants; son effectif s’élève à environ 23.000 employés. SUEK figure parmi les plus importants producteurs de charbon au niveau mondial; son effectif s’élève à environ 33.500 employés. SGK est producteur d’énergie; son effectif s’élève à environ 19.000 employés.

Mikhail Fridman, German Khan, Alexei Kuzmichev. Ils sont co‑fondateurs d’Alfa Bank, et ils contrôlent Alfa Group et LetterOne. Alfa Bank est la plus grande banque non‑étatique en Russie, avec des filiales au Kazakhstan, aux Pays‑Bas et aux USA. Alfa Group est un conglomérat opérant dans le domaine de l’investissement financier, les activités incluent l’investissement bancaire, la gestion d’actifs, l’assurance, le commerce de gros; il se situe principalement en Russie et la CEI. L’effectif d’Alfa Group s’élève à environ 36.500 employés. LetterOne est une société d’investissement, opérant dans les secteurs de l’énergie, des télécoms, de la technologie, de la santé, du commerce de gros.

Viktor Vekselberg. Il est le fondateur de Sual Holding. Le groupe Sual est un fabricant d’aluminium opérant en Russie et Ukraine; il a été intégré par la suite dans le groupe Rusal. L’effectif de Rusal s’élève à environ 57.000 employés.

Alisher Usmanov. Il détient une participation dans le capital de Metalloinvest, ainsi que dans des sociétés des secteurs de télécommunications, de mines, de médias. Metalloinvest est fabricant de minerais et briquettes de fer ainsi que d’acier. L’effectif de Metalloinvest s’élève à environ 42.500 employés.

Roman Abramovich. Il détient des participations dans le capital d’Evraz et de Norilsk Nickel. Evraz est un des principaux fabricants de produits en acier au niveau mondial. Le groupe est basé sur une intégration verticale allant de l’extraction minière à la production d’acier; il opère dans la Fédération de Russie, aux USA, au Canada, en République Tchèque, en Italie et au Kazakhstan. L’effectif d’Evraz s’élève à environ 84.500 employés. (Pour Norilsk Nickel, cf. Vladimir Potanin, plus haut.)

Viktor Rashnikov. Il est actionnaire principal de Magnitogorsk Iron & Steel Works (MMK). MMK est un des principaux producteurs d’acier au niveau mondial. Son effectif s’élève à environ 45.000 employés.

Iskander Makhmudov. Il est le propriétaire principal du groupe UGMK (initiales en anglais UMMC). Il est actionnaire de Transmashholding (TMH). UMMC est un des principaux producteurs russes de matières premières (cuivre, zinc, charbon, or, argent), et produit en outre plomb, sélénium, tellure, cadmium et indium. L’effectif du groupe s’élève à environ 80.000 employés. TMH est le plus grand fabricant russe de locomotrices et équipements de chemins de fer. L’effectif de TMH s’élève à environ 53.000 employés.

Leonid Fedun. Il possède près de 10 % du capital de Lukoil (pour Lukoil, cf. Vagit Alekperov, plus haut)

Oleg Deripaska. Il est fondateur de Basic Element. Il détient 29,7 % du capital de Norilsk. Basic Element est un groupe d’investissement opérant dans les domaines de l’énergie, des matières premières, de la fabrication, des services financiers, de la construction, de l’aviation. Basic Element détient des participations dans des sociétés russes (dont Rusal, Gaz Group, Transstroy, Ingosstrakh) et étrangères (dont Strabag en Autriche, Hochtief en Allemagne, Magna au Canada). Le groupe comprend aussi des établissements dans la CEI, en Afrique, Australie, Asie et Amérique latine. L’effectif total de l’ensemble de ces sociétés s’élève à environ 300.000 employés. (Pour Norilsk, cf. Vladimir Potanin, plus haut.)

Examen de quelques arguments mettant en doute le caractère impérialiste de la Russie

Selon le point de vue exprimé antérieurement, la Russie est un pays impérialiste en fonction du critère des groupes monopolistiques et de l’exportation de capitaux. À cela s’ajoutent les manifestations d’une politique visant à la domination de façon prononcée, comme en Ukraine, en Syrie. Le fait est qu’autant en politique qu’en économie, la position de la Russie sur le plan international est faible, fragile, vulnérable face au poids des USA, de l’Europe, et sous un certain angle aussi de la Chine. Mais l’articulation d’ensemble entre, d’une part, les actions diplomatiques et militaires menées par la Russie pour des raisons de géopolitique, et d’autre part, les facteurs économiques mentionnés, montrent que la Russie est un pays impérialiste du point de vue économique, et une puissance, du moins au plan politique. C’est ce qu’on peut à juste titre résumer en caractérisant la Russie comme puissance impérialiste.

Il faut souligner qu’une des conditions pour formuler des affirmations pertinentes consiste à éviter d’employer des termes et des concepts en les coupant du contexte temporel dans lequel ils sont situés de par leur origine. Dans le livre "L’Impérialisme et la révolution", Enver Hoxha écrit au sujet de la période quand les révisionnistes khrouchtchéviens, après la mort de Staline, s’emparèrent du pouvoir en Union soviétique [22] :

Les peuples virent alors que l’Union soviétique était devenue une superpuissance impérialiste qui rivalisait avec les États‑Unis d’Amérique pour l’hégémonie mondiale et, de pair avec l’impérialisme américain, un autre grand ennemi de la révolution, du socialisme et des peuples du monde.

Cette caractérisation est tout à fait exacte, appliquée à la place qu’occupait l’URSS, le rôle qu’il assumait, et compte tenu de l’état du monde à l’époque. Elle repose en particulier sur le fait que les pays de l’Europe de l’Est où avaient été établis des gouvernements dirigés par des partis communistes suivaient la voie de l’URSS, à l’exception de l’Albanie. Le capitalisme ayant été restauré autant dans l’URSS que dans ces pays, ces derniers étaient alors soumis à une domination de type impérialiste, camouflé par la désignation de "division socialiste du travail". Cuba constituait un exemple typique de cette situation, en étant confiné à la "spécialisation" comme producteur de canne à sucre.

Par la suite, l’URSS traversait des périples chaotiques, se retrouvait coupée de cette sphère d’influence héritée du passé, et subissait aussi des revers dans les autres parties du monde. Mais cette modification du rapport de forces en sa défaveur n’a pas fait disparaitre son caractère de pays impérialiste.

Un argument parfois mis en avant pour écarter la caractérisation de la Fédération de Russie comme pays impérialiste consiste à se référer à la prépondérance pour ce pays, de l’exploitation de ses ressources en matières premières. Certes, si on regarde la Russie d’aujourd’hui en portant des oeillères, on peut se donner l’impression qu’elle se trouve dans la même situation que le Venezuela. Or, en élargissant un tant soit peu le champ de vision, il devient évident que ce n’est pas le cas. Certes, pour les deux pays le principal secteur des exportations est celui des carburants (pétrole et gaz). Mais pour le Venezuela, celui‑ci correspond à 97 % du total des exportations, tandis que pour la Russie, le taux est de 47,18 %. Ainsi, pour la Russie, il y a quand même aussi d’autres ressources de revenu, dont les métaux (10,18 %), les produits chimiques (4,86 %), les machines et équipements électriques (3,8 %). (Les données correspondent à l’année 2013.)

Le secteur des matières premières constitue effectivement un élément primordial de l’économie russe. Les éléments présentés dans tout ce qui précède le montrent en particulier pour le pétrole et le gaz ainsi que l’acier et l’aluminium. Mais parler à ce propos simplement de l’exportation commerciale comme source de revenu évacue le fait que ‑ comme on le voit dans les exemples exposés plus haut ‑ les principaux groupes russes de ces secteurs procèdent au développement de l’exportation de capitaux, bien que ce soient à de degrés relativement limités.

Certains effets produits par les sanctions que les USA ont imposées récemment à l’égard de divers cibles liées à la Russie, font ressortir en quoi celle‑ci dispose de points forts sur le plan économique. Parmi les cas les plus saillants se trouve la société Norilsk Nickel, qui opère dans les domaines d’exploration, extraction, affinage de métaux précieux (nickel, palladium, platine, cuivre) et élabore également des sous‑produits (cobalt, chrome, rhodium, argent, or, iridium, ruthénium, sélénium, tellure, soufre) [23]. Norilsk Nickel tient notamment une position dominante pour le platine et le palladium, avec 40 % de la production mondiale pour ce dernier. O. Deripaska, qui possède 29,7 % de Norilsk, et V. Potanin, principal dirigeant et actionnaire à 32,9 %, sont cible de sanctions de la part du gouvernement US. Mais selon l’avis d’analystes économiques, il est improbable que les mesures soient appliquées jusqu’au bout, étant donnée l’importance stratégique de Norilsk sur le marché du nickel et du palladium. L’interdiction de commercer avec Norilsk aurait des implications profondes sur l’industrie automobile et autres, et risquerait d’entrainer des dommages considérables pour l’industrie US en général. Par ailleurs, sur le plan financier, il faut noter que parmi les actionnaires concernés il y a des fonds de pension US.

Concernant le domaine militaire, le tableau présenté ci‑dessous donne quelques indications sur la capacité des différents pays de peser sur le plan mondial, ou du moins régional [24]. Les comparaisons numériques en termes d’effectifs de personnel et de matériel n’ont qu’une signification limitée, puisque pour un pays donné, la situation géographique et le contexte géopolitique impliquent des choix spécifiques en termes de types d’armements et de concepts stratégiques.

 

 

 

Budget

Personnel

Air

Mer

Chars

USA

647.000

1.282

13.362

415

5.884

Union europ. (hors GB)

198.170

1.463

5.915

1.274

5.992

[dont DE+FR+IT+ES] *

[134.500]

[755]

[3.328]

[388]

[1.365]

Chine

151.000

2.183

3.035

714

7.716

Grande-Bretagne

50.000

198

832

76

227

Inde

47.000

1.363

2.185

295

4.426

Fédération de Russie

47.000

1.014

3.914

352

20.300

Allemagne

45.200

179

714

81

432

Japon

44.000

247

1.508

131

679

France

40.000

205

1.262

118

406

Italie

37.700

248

828

143

200

Espagne

11.600

124

524

46

327

Turquie

10.200

350

1.056

194

2.446

 

Données pour 2018.

Budget : budget annuel consacré à la défense (millions dollars US).

Personnel : Personnel militaire actif (milliers).

Air : nombre d’unités aéronautiques de tous types.

Mer : nombre d’unités navales de tous types.

Chars : nombre de chars de combat.

* DE+FR+IT+ES : Allemagne, France, Italie, Espagne.

La Chine pays impérialiste

La Chine pays capitaliste

Il est évident que la Chine est un pays capitaliste. Pourtant il se trouve des personnes qui considèrent que la Chine construit le socialisme, et qui rejettent par là‑même l’idée que ce pays ait un caractère impérialiste. On traite brièvement la question de la nature capitaliste de la Chine, parce que c’est un exemple éclatant de la façon dont certains peuvent s’obstiner à maintenir, par "conviction", une affirmation contraire à la réalité. Donc voici, sans faire une analyse proprement dite, quelques rappels disparates de faits.

Deng Xiaoping

Deng Xiaoping est nommé vice‑premier ministre en 1952, et ministre des Finances l’année suivante. Il est nommé au poste de chargé du secrétariat du CC au printemps 1954, devient membre du BP en 1955, puis membre du Comité permanent du BP dès la création de cet organisme en 1956 [25]. Cette même année le titre de chargé du secrétariat du CC est changé en celui de secrétaire général du CC; Deng l’occupera jusqu’en 1966.

Extrait d’un discours prononcé par Deng le 7 juillet 1962 [26] :

En ce qui concerne la question du type de rapports de production qui constitue le meilleur mode, je crains que nous devrions laisser le sujet à la discrétion des autorités locales, en leur permettant d’adopter un quelconque mode de production, pourvu qu’il puisse faciliter la récupération et la croissance les plus rapides de la production agricole. Il faudrait également permettre aux masses d’adopter un quelconque mode selon ce qui leur parait adapté, en légalisant des pratiques illégales si nécessaire. […] En parlant de livrer batailles, le camarade Liu Bocheng cite souvent un proverbe du Sechuan ‑ "Peu importe qu’un chat soit noir ou blanc [jaune, roux, selon les reproductions des paroles], pourvu qu’il attrape les souris" [27].

Deng est destitué en 1966 avec le déclenchement de la "Révolution culturelle". La condamnation politique qui le frappe est rectifiée à partir de 1972 et en 1975 il devient à nouveau vice‑premier ministre, vice‑président du CC et membre du Comité permanent du BP. Mais cette même année Mao Zedong lance une campagne qui le vise indirectement. Après la mort en 1976 de Zhou Enlai, premier ministre depuis 1949, Hua Guofeng lui succède, Deng est destitué de son poste de vice‑premier ministre. Puis, toujours en 1976, après la mort de Mao, Hua Guofeng assume le poste de président du Parti; la veuve de Mao, Jiang Qing, et ses trois partisans sont arrêtés. Deng Xiaoping demande la révision de son cas, il recouvre tous ses postes en 1977.

En 1987 il se retire du Comité central et de ses principales fonctions : membre du Bureau politique et de son Comité permanent, président de la Commission centrale des conseillers du PCC. En 1989 il démissionne également des postes de président des Commissions militaires du Parti et de l’État. Il décède en février 1997. Durant le 15e Congrès du PCC tenu en septembre de la même année, Jiang Zemin, président du parti, présente un rapport intitulé "Portons haut levé le grand étendard de la théorie de Deng Xiaoping pour l’avancement tous azimuts de la cause de l’édification du socialisme à la chinoise au XXIe siècle". Le chapitre 3 est intitulé ’’Statut historique et portée directrice de la théorie de Deng Xiaoping’’ [28] :

[…] L’intégration du marxisme-léninisme à la réalité chinoise a connu deux bonds historiques qui ont donné naissance à deux grandes théories. Les principes théoriques concernant la révolution et l’édification de la Chine, de même que la synthèse de l’expérience qui en a été tirée, les deux s’étant avérée justes dans la pratique, constituèrent le résultat du premier bond; son principal fondateur étant Mao Zedong, notre Parti l’a appelé la pensée de Mao Zedong. La théorie de l’édification du socialisme à la chinoise constitue le résultat du deuxième bond; son principal fondateur étant Deng Xiaoping, notre Parti l’a appelé la théorie de Deng Xiaoping. […]

[…] le Comité central a proposé que le Parti, lors de son XVe congrès, établisse la théorie de Deng Xiaoping comme idéologie directrice, par une stipulation de ses statuts selon laquelle le PCC prend le marxisme-léninisme, la pensée de Mao Zedong et la théorie de Deng Xiaoping comme guides d’action. Cette décision historique a été prise par notre Parti suite à quelques 20 années de pratique fructueuses du processus de réforme, d’ouverture et de modernisation socialiste. Elle montre la détermination et la conviction de la direction collective centrale et du Parti tout entier à mener l’avancement tous azimuts de la cause de l’édification socialiste à la chinoise amorcée par Deng Xiaoping vers le prochain siècle. […]

Voici les raisons pour lesquelles la théorie de Deng Xiaoping constitue une nouvelle étape du développement du marxisme en Chine. […]

Deuxièmement, la théorie de Deng Xiaoping, qui maintient les réalisations essentielles théoriques et pratiques du socialisme scientifique, a clarifié la question fondamentale de "la nature du socialisme et des moyens de l’édifier", et a révélé de façon tranchée l’essence du socialisme, ce qui a élevé notre compréhension du socialisme à un nouveau niveau scientifique. Afin d’émanciper nos esprits pendant cette nouvelle période, la clé est de le faire sur cette question. En dernière analyse, le manque d’une compréhension très claire de cette question a été la cause du parcours tortueux et des erreurs qu’a connu notre socialisme avant la réforme et l’ouverture, et la cause des inquiétudes qui ont, depuis lors, assailli le peuple pendant sa marche en avant. Les efforts pour redresser la situation et entreprendre la réforme globale, consistant à fixer le développement économique comme tâche centrale plutôt que de considérer la lutte des classes comme lien clé, à passer de la fermeture ou de la semi‑fermeture à la réforme et à l’ouverture, et d’une économie planifiée à une économie socialiste de marché ‑ ces changements historiques des 20 dernières années ont constitué un processus de compréhension progressive de cette question fondamentale. Et ce processus se poursuivra concrètement pendant les années à venir. […]

La référence à Deng est restée en vigueur depuis [29] :

Durant les 36 ans depuis la mise en oeuvre de la réforme et de l’ouverture, la Chine a accompli des réalisations phénoménales, et l’année présente marque le 110e anniversaire de la naissance de Deng Xiaoping, "l’architecte en chef" du programme de réforme et d’ouverture de la Chine. Nous sommes témoins d’une évolution historique de la Chine d’aujourd’hui, que nous devons à la Théorie Deng Xiaoping, et à un grand réveil du Parti communiste de Chine et de la nation et du peuple chinois. Nous sommes convaincus plus que jamais dans l’histoire que notre cause ne serait pas ce qu’elle est aujourd’hui, en absence du cours stratégique de l’édification du socialisme aux caractéristiques chinoises que Deng Xiaoping a tracé pour nous.

Quant à la caractérisation officielle de l’économie chinoise comme "économie socialiste de marché", il faut mentionner un fait qui montre clairement que, dans cette formule, le qualificatif "socialiste" n’est qu’un élément purement décoratif. La Chine a été admise comme membre de l’OMC en 2001. Or les pays membres de l’OMC sont soumis au respect d’un certain nombre de critères à respecter, concernant le fonctionnement de l’économie du pays et de ses rapports économiques avec les autres pays membres. Actuellement, le conflit déclenché par le président US, Donald Trump, concernant les relations commerciales entre les USA et la Chine, a entrainé des controverses au sujet des obligations pouvant s’appliquer à cette dernière. D’une part, les négociations ayant précédé l’adhésion de la Chine lui ont accordé des dispositions d’allègement des obligations, en considérant qu’au départ, elle était un pays "en voie de développement". D’autre part, dans les domaines des procédures anti‑dumping, une distinction est faite entre pays "à économie de marché" et pays qui ne sont pas considérés comme tels, ces dernières étant soumis à des règles qui leur sont défavorables. Pour des raisons évidentes d’opportunité, la Chine affirme être "le pays en développement le plus grand du monde" [30], et être une "économie de marché" [31]. Quoi qu’il en soit, elle fait clairement allégeance au règne du capital [32] :

La Chine continuera à adhérer à la politique nationale fondamentale de réforme et ouverture. La Chine embrassera de manière plus proactive la globalisation économique, adoptera des politiques visant à promouvoir, selon un standard élevé, des mesures libéralisant et facilitant le commerce et l’investissement, et travaillera ensemble avec d’autres pays pour édifier une communauté d’avenir partagé avec des intérêts convergents étendus et un haut degré d’interdépendance.

Les règles de conduite adoptées par les sociétés chinoises en matière de gestion sont en parfaite harmonie avec celles appliquées dans toutes les pays capitalistes du monde. Voici par exemple la formule employée par le groupe CITIC [33]. (Au sujet de ce groupe, cf. plus loin à propos du personnage de Rong Yiren, ainsi que dans l’annexe "Le Venezuela “bolivarien” ‑ un exemple instructif en rapport avec la question de l’anticapitalisme et de l’antiimpérialisme".)

CITIC Ltd. vise à générer de la valeur durable pour les actionnaires dans le long terme, et nous reconnaissons que la gestion efficace des relations avec les parties intéressées, y compris celles avec les investisseurs, constitue la clé pour réaliser cette valeur. Nous pensons que les objectifs de la société et ceux des actionnaires devraient être harmonisés pour la création de valeur à long terme, et nous espérons que nos actionnaires soient d’accord avec notre conviction que la croissance durable à long terme est plus importante que les gains à court terme.

On doit certes noter la nuance apportée par la distinction entre "croissance durable à long terme" et "gains à court terme". Mais l’essentiel réside dans la profession de foi en faveur de la génération de valeur pour les actionnaires ainsi que la référence aux "parties intéressées". (Cf. la note [34] au sujet de ce vocabulaire.)

Les caractéristiques des rapports de production

En 1978 débute un processus de modifications successives concernant les mécanismes de fonctionnement des entreprises propriétés de l’État [35]. Antérieurement, ces entreprises exerçaient le contrôle sur leurs activités, elles remettaient les excédents comptables au gouvernement, lequel couvrait d’autre part les déficits; les gestionnaires étaient des représentants de l’État. Le premier pas du changement consistait à introduire des schémas de rétention et de partage des bénéfices, encadrés par un système contractuel de responsabilité. Ainsi la séparation entre propriété et gestion est mise en place. En 1990 est créé la Bourse de Shanghai, et peu après en 1991, celle de Shenzen. Cette année, pour la première fois une société d’État est transformée en société par actions. En 1992, le 14e congrès du PCC adopte une règlementation sur le système de sociétés par action, et par la suite le marché des capitaux se développe rapidement. Des dizaines de milliers d’entreprises d’État de faible envergure sont privatisées ou liquidées, des millions de travailleurs sont licenciés, tandis que des entreprises d’État importantes sont restructurées et souvent inscrites en Bourse. Néanmoins, l’État reste prédominant comme actionnaire dans les sociétés d’État partiellement privatisées. L’économie de marché revêt progressivement une place important. Le secteur privé arrive à compter pour 75 % de la production industrielle. Vers 1999, le secteur privé couvre plus de 70 % des employés non‑agricoles.

Depuis, diverses reformes ont été opérées, qui se réfèrent notamment aux principes formulés par l’OCDE.

En 2007, selon certaines estimations, le secteur d’État comptait pour environ 40 % du PIB (45 % pour le PIB hors secteur agricole) [36]. Depuis, le pourcentage a baissé, restant néanmoins élevé en comparaison aux d’autres pays. Le secteur d’État est organisé en plusieurs niveaux : central, province, local. Les entreprises situées au niveau central sont gérées par la Commission de supervision et d’administration des actifs propriétés de l’État (State‑Owned Assets Supervision and Administration Commission, SASAC), leurs activités principales se situent dans le domaine de dix industries régulées, mais elles étendent leurs activités aussi dans d’autres secteurs. Elles étaient au nombre de 149 en 2008; en 2016 elles étaient au nombre de 102, dont 66 % sont cotés en Bourse au niveau national et/ou international. Selon une étude portant sur l’année 2010, au sein de l’ensemble du secteur d’État, ces industries régulées représentent 81 % des actifs et 83 % de la production d’industrielle, et à leur tour les entreprises d’État constituent globalement 38 % des actifs totaux du secteur des industries manufacturières du pays. Selon des données de 2014, les actifs nets des entreprises d’État s’élèvent à 7 billions de dollars US, dont seulement 3,2 billions correspond à des titres détenus par l’État.

Comme s’il y avait besoin de dissiper des doutes, le chef du service de recherche au sein du SASAC explique que ces entreprises d’État, puisque ce sont des entreprises, doivent suivre la loi de l’économie de marché ainsi que les règlements concernant le développement des sociétés [37].

De façon similaire au cas de la Russie ‑ bien que dans un contexte assez différent ‑, la trajectoire de la transformation de l’économie chinoise est complexe. Il n’empêche qu’elle se déroule fondamentalement en fonction des exigences déterminées par le capital. Voici des extraits d’un programme de modification des mécanismes d’établissement des prix, exposé en 2015 par le gouvernement [38] :

D’ici 2017, les contrôles de prix concernant essentiellement tous les biens et services dans les secteurs concurrentiels seront levés. […] À ce moment, des prix fixés par le gouvernement existeront uniquement pour des services d’utilité clé, des programmes de biens publics et des industries de réseau représentant des monopoles naturels, telles que la fourniture d’électricité et d’eau. D’ici 2020, la Chine devrait avoir un mécanisme solide de fixation des prix dans lequel le marché joue un rôle décisif, des règlements rationnels et transparents concernant l’établissement des prix et une loi antimonopole correctement appliquée. La réforme de l’établissement des prix a bougé rapidement ces dernières années, les contrôles de prix ayant été relâchés dans les domaines de la médicine, des télécommunications et du transport. Le mois dernier, une réunion de la direction du Conseil d’État [c’est‑à‑dire du gouvernement] a décidé de réduire le nombre de catégories de prix fixés par le gouvernement de 13 à 7, ce qui ramène de presque 100 à 20 le nombre total de postes soumis à des restrictions de prix. […] Une augmentation de l’investissement privé est attendue dans les services publics. […]

Et voici un extrait d’un exposé concernant la modification de la structure des entreprises d’État [39] :

Premièrement la transformation des entreprises encore totalement propriétés de l’État en sociétés devrait être accélérée. Selon le ministère chinois des Finances, 16 % des entreprises d’État ‑ plus de 20.000 ‑ tombent dans cette catégorie, n’ayant pas encore été transformées en sociétés sous la loi chinoises des sociétés.

Deuxièmement, les entreprises mères des 113 entreprises d’État centrales soumises à la Commission de supervision et administration des actifs propriétés de l’État (State‑owned Assets Supervision and Administration Commission, SASAC) devraient être transformées en sociétés. Actuellement, seules sept parmi elles ont un actionnariat diversifié, tandis que dans la majorité des cas l’État est l’investisseur exclusif. Par contraste, la majorité des entreprises subordonnées à ces entreprises sont maintenant constituées en sociétés, et quelques‑unes sont déjà inscrites en Bourse.

Troisièmement, l’État devrait réduire la proportion moyenne de participations qu’il détient dans des entreprises. En 2012, il y avait en Chine 54.000 entreprises entièrement propriétés d’État, comptant pour 37 % de toutes les entreprises d’État. Leurs actifs totaux comptaient pour 41 % du total. Alors qu’un petit nombre d’industries en rapport avec la sécurité nationale peuvent rester propriété de l’État seul, la plupart des entreprises d’État devraient diversifier leur structure d’actionnariat et réduire leur pourcentage moyen de participations d’État. […]

On peut citer ici une formulation concernant ce passage d’"entreprises propriétés d’État" en "sociétés sous la loi chinoises des sociétés" qui est symptomatique en ce qui concerne la supercherie en matière de présentation théorico-idéologique du prétendu socialisme chinois [40] :

China Telecommunications Corporation a annoncé que le type de société a été changé d’une entreprise propriété du peuple entier en société à propriété exclusive de l’État.

Selon le discours officiel, il ne s’agirait nullement d’un recul, mais bien au contraire d’un progrès dans la construction du socialisme.

Capitalistes et membres du Parti communiste

Le cercle des capitalistes se chevauche avec celui des membres du PCC et aussi celui des représentants au parlement. Un antécédent concernant le PCC est celui de Rong Yiren, membre du PCC depuis 1985 [41]. En 1979, à la demande du PCC, Rong établit la China International Trust & Investment Corporation (CITIC), avec, selon certaines informations, une participation partagée entre lui (40 %) et l’État (60 %). CITIC s’est développé pour devenir un conglomérat comprenant diverses sociétés holding dans les secteurs des lignes aériennes, les banques et l’investissement immobilier, les usines d’aluminium, et le bois. En 1993 Rong est élu vice‑président de Chine, il se retire en 1998. En 1999, selon le magazine Forbes, il était le chinois le plus riche avec une fortune estimée de 1 milliard de dollars US.

Formellement, les hommes d’affaires du secteur privé sont accueillis favorablement au parti à partir de 2002. Selon une enquête datant de 2012, environ un tiers parmi eux étaient membres du PCC [42]. Ce taux était même plus élevé si on restreint le périmètre aux entreprises dont les actifs étaient supérieurs à 100 millions de yuan (environ 16 millions de dollars US); il était alors de plus de la moitié. Le Congrès national du peuple (CNP, environ 3000 délégués) et le Congrès consultatif politique du peuple chinois (CCPPC, le plus haut organe consultatif du parti, environ 2200 délégués) sont les principales institutions centrales de l’État. Les délégués sont désignés par périodes de cinq ans sur la base de listes de candidats établies par le PCC. En 2015, 106 membres du CNP et 97 membres du CCPPC, c’est‑à‑dire 4 % pour l’ensemble, figuraient dans la liste de 1271 personnes les plus riches en Chine; leur fortune combinée s’élevait à 464 milliards de dollars US [43]. Un autre rapport, de 2017, indique que le CNP comprenait environ 100 milliardaires en dollars US; 209 délégués avaient une fortune supérieure à 300 millions de dollars US [44].

En 2012, une investigation journalistique constatait que la famille du premier ministre de l’époque, Wen Jiabao, disposait d’une fortune estimée à au moins 2,7 milliards de dollars US [45]. Entre autre, le frère cadet de Wen Jiabao dirigeait une société qui bénéficiait de contrats gouvernementaux et de subventions à hauteur de plus de 30 millions de dollars US. La même année, une autre investigation révélait que la famille de Xi Jinping, alors vice‑président (et président depuis 2013, ainsi que dirigeant du PCC), disposait notamment d’investissements dans des entreprises dont les actifs s’élèvent à 376 millions de dollars US [46].

Une "autre répartition" des richesses

Des données fournies par une enquête effectuée par un institut de l’Université de Pékin conduisent au constat qu’en 2012, parmi les ménages, les 25 % les plus pauvres possèdent 1,6 % des richesses du pays, tandis que les 1 % les plus riches en possèdent 16,1 %. Une étude utilisant ces données, complétées par d’autres portant sur les fortunes supérieures, évalue les pourcentages respectivement à 1,2 et 35,3 [47].

Exportation de capitaux

Voici quelques données concernant les stocks de capitaux détenus par la Chine à l’extérieur et détenus en Chine à partir de l’extérieur. Il faut tenir compte de Hong Kong et Macao, qui sont des Régions administratives spéciales de la République populaire de Chine, respectivement depuis 1997 et 1999. Les trois tableaux ci‑dessous présentent une comparaison entre les pays qui forment la fourchette de montants au sein de laquelle se situe la Chine.

 

 

Stocks de capitaux détenus à l’extérieur

en millions de dollars US, pour 2012

destination

origine

USA

Grande-Bretagne

France

Allemagne

Japon

Pays-Bas

Belgique

Chine
H. K.
Macao

Espagne

Italie

Féd. Russie

Suède

Brésil

Chine
hors
HK/M

Rép. Corée

Monde

4.453.307

1.716.935

1.568.811

1.539.917

1.037.698

975.552

911.489

911.706

635.673

535.033

406.295

388.500

266.252

222.639

202.802

 

Stocks de capitaux détenus à partir de l’extérieur r

en millions de dollars US, pour 2012

origine

destination

USA

Chine
H. K.
Macao

Grande-Bretagne

France

Allemagne

Belgique

Brésil

Chine
hors
HK/M

Espagne

Pays-Bas

Féd. Russie

Italie

Suède

Japon

Rép. Corée

Monde

2.650.832

1.536.880

1.477.720

1.029.834

1.004.107

968.602

746.902

740.903

627.727

572.986

496.396

363.625

362.826

205.752

156.142

 

 

Rapport: Stocks de capitaux détenus à l’extérieur / Stocks de capitaux détenus à partir de l’extérieur

 

Japon

Pays-Bas

USA

Allemagne

France

Italie

Rép. Corée

Grande-Bretagne

Suède

Espagne

Belgique

Féd. Russie

Chine
H. K.
Macao

Brésil

Chine
hors
HK/M

Monde

5,04

1,70

1,68

1,53

1,52

1,47

1,30

1,16

1,07

1,01

0,94

0,82

0,59

0,36

0,30

 

 

 

On peut noter que pour l’ensemble Chine/Hong Kong/Macao, le montant des stocks de capitaux détenus à l’extérieur est proche du montant correspondant pour le Japon (le rapport entre le premier et le dernier est de 0,88).

Étant donné que les origines du développement capitaliste impérialiste de la Chine sont récentes, il faut prendre en compte l’évolution dans le temps des investissements à l’extérieur. Les estimations à cet égard varient, ce qui s’explique à la fois par les mêmes problèmes que pour les autres pays en général, mais plus particulièrement aussi par le rôle que jouent Hong Kong et Macao. Pour citer une source parmi d’autres [48] : "Longtemps considérée comme un unique pays d’accueil, la Chine est même désormais exportatrice nette d’IDE. Les flux sortants sont ainsi passés de 7 à plus de 180 milliards de dollars entre 2001 et 2016." Et concernant les facteurs qui relativisent cette évaluation, on peut citer par exemple un article qui donne les indications suivantes [49] : "Selon les données fournies par le ministère du Commerce, les IDE sortants venant de Chine se sont accrus de presque 7,6 % en atteignant 116 milliards de dollars US. […] Quelques 70 % de tous les IDE chinois sortants vont à Hong Kong, aux Iles Cayman et aux Iles Virgin britanniques […] Parfois les fonds sont canalisés à travers ces localisations d’escale avec l’objectif de les faire revenir en Chine en tant qu’IDE pour bénéficier de termes préférentiels. Il est estimé que ces “voyages aller‑retour” comprennent environ 40 % du total des flux d’investissements vers l’extérieur à destination de ces localisations d’escale. […] Il peut prendre un certain nombre d’années pour que ce capital accomplisse son voyage, ce qui fait que les voyages aller‑retour ainsi que le “offshoring” [placement de fonds à l’extérieur] peuvent accroitre les montants dans le sens vers l’extérieur sans être contrebalancés par les données dans le sens vers le pays, de la même année. Selon notre estimation, les flux IDE sortants en 2013 peuvent avoir été surévalués à cause des voyages aller‑retour, avec un montant réel plus proche de 82 milliards de dollars US." Néanmoins ce même article considère qu’"il se peut bien que la Chine devienne un exportateur net de capital dans le proche futur. La tendance en hausse pour les IDE sortants de la Chine est là pour rester."

Pour garder la cohérence des comparaisons qui traversent l’ensemble de ce texte, nous nous sommes référés toujours à la même source, avec les données le plus récentes disponibles (2011 ou 2012 en ce qui concerne les données bilatérales par pays). Il est clair que dans le cas de la Chine, cela aboutit à une sous‑évaluation considérable de l’importance relative des investissements extérieurs de la Chine tels qu’ils ont évolué depuis. Concernant les montants globaux au niveau mondial, les données sont disponibles pour 2017 : les stocks de capitaux détenus par la Chine à l’extérieur s’élevait à 1.482.020 millions de dollars US, et le stock de capitaux détenus en Chine à partir de l’extérieur à 1.490.933 millions [50]. Calculé sur cette base le rapport comparant les stocks à l’extérieur aux stocks à partir de l’extérieur s’élève à 0,99. Par ailleurs, pour cette même année, l’agence d’information gouvernementale chinoise indique que les stocks de capitaux détenus par la Chine à l’extérieur s’élevaient à plus de 1.800.000 millions [51].

Quelques groupes monopolistiques

Pour illustrer le caractère capitaliste des entreprises chinoises, voici quelques noms figurant dans la liste des sociétés cotées en Bourse aux USA, en 2001 (en incluant celles domiciliées à Hong Kong ainsi que dans des localisations "off‑shore") [52].

Aluminum Corp of China Ltd.

Beijing Yanhua Petrochemical Co. Ltd.

China Eastern Airlines Corp. Ltd.

China Petroleum & Chemical Corp. – Sinopec

China Southern Airlines Corp. Ltd.

Guangshen Railway Co. Ltd.

Huaneng Power International Inc.

Jilin Chemical Industrial Co. Ltd.

PetroChina Co. Ltd.

Sinopec Shanghai Petrochemical Co. Ltd.

Yanzhou Coal Mining Co. Ltd.

China Mobile (H.K.) Ltd. (Hong Kong)

China Unicom Ltd. (Hong Kong)

City Telecom (H.K.) Ltd. (Hong Kong)

CLP Power Hong Kong Ltd. (Hong Kong)

CNOOC Ltd. (Hong Kong)

I-Cable Communications Ltd. (Hong Kong)

Kowloon-Canton Railway Corp. (Hong Kong)

MTR Corp. (Hong Kong)

Pacific Century Cyberworks Ltd. (Hong Kong)

Wharf Holdings Ltd. (Hong Kong)

Jinpan International Ltd. (British Virgin Islands)

Nam Tai Electronics Inc. (British Virgin Islands)

Qiao Xing Universal Telephone, Inc. (British Virgin Islands)

Chinadotcom Corp. (Cayman Islands)

New China Homes, Ltd. (Cayman Islands)

Sina.com (Cayman Islands)

Voici quelques indications concernant les groupes monopolistiques, qu’ils soient à participation de capitaux d’État ou non.

La revue Fortune établit annuellement une liste des plus grandes sociétés au niveau mondial. En considérant la liste publiée en 2015 [53], on relève les caractéristiques suivantes. Parmi les 500 sociétés composant cette liste, 98 sociétés sont basées en Chine, en incluant celles dont le siège se trouve à Hong Kong. Ainsi la Chine se place au deuxième rang, derrière les USA, pour lesquels le chiffre s’élève à 128. Par comparaison dans le temps, les nombres respectifs étaient les suivants : en 2010 : 46 pour la Chine et 139 pour les USA; en 2000, 10 pour la Chine et 179 pour les USA. Des 98 sociétés chinoises, seules 22 relèvent du secteur privé.

Voici la liste des 12 sociétés chinoises les plus grandes, elles sont toutes propriété de l’État. Leur chiffre d’affaires (pour 2014) est indiqué en dollars US.

China Petroleum & Chemical Corp (Sinopec) (446,8 milliards). Propriété d’État. Plus grand raffineur de pétrole en Asie.

China National Petroleum (CNPC) (428,6 milliards). Plus grand producteur de pétrole de Chine. Filiale principale : PetroChina.

State Grid (339,4 milliards). Propriété d’État. Production et transport d’électricité.

Industrial & Commercial Bank of China (163,2 milliards). Propriété d’État.

China Construction Bank (139,9 milliards). Propriété d’État.

Agricultural Bank of China (130 milliards). Propriété d’État.

China State Construction Engineering (CSCEC) (129,9 milliards). Propriété d’État. Conglomérat qui opère dans le secteur de la construction et de la propriété immobilière.

Bank of China (BOC) (120,9 milliards).

China Mobile Communications (CHLKF) (107,5 milliards). Partenaire principal d’Apple en Chine.

SAIC Motor (102,2 milliards). Plus grand fabricant de voitures en Chine. Partenaire de plusieurs sociétés étrangères, notamment General Motors et Volkswagen.

China Railway Engineering (99,5 milliards). A pour filiale China Railway Group, l’une des deux entreprises d’État qui dominent la construction de l’infrastructure ferroviaire en Chine (avec China Railway Construction).

China National Offshore Oil (CNOOC) (99,2 milliards). L’une des trois principales entreprises d’État dans le secteur pétrolier, avec Sinopec et PetroChina.

Une autre liste, bien qu’antérieure (de 2001), est intéressante parce qu’elle indique le montant des actifs ainsi que le nombre d’employés, et ceci en distinguant le total et la part localisée à l’extérieur de la Chine [54]. Cette liste comporte les 12 sociétés chinoises transnationales les plus grandes (classées selon les actifs détenus à l’extérieur).

 

 

Activité

Pour l’ensemble

dont à l’extérieur

 

Actifs

(millions de
dollars US)

Employés

Actifs

(millions de
dollars US)

Employés

China Ocean Shipping (Group) Company

Transport

16.926

74.669

9.382

4.124

China National Offshore Oil Corp. (CNOOC)

Pétrole

8.635

24.406

4.814

13

China State Construction Engineering Corp.

Construction

8.099

236.464

3.739

6.833

China Nat’l Cereal, Oils and Foodstuff I & E Corp.

Commerce

5.014

25.000

3.707

359

China National Petroleum Corporation (CNPC)

Pétrole

83.254

1.167.129

3.350

4.400

China National Chemicals I & E Corp. (Sinochem)

Commerce

4.928

7.950

2.788

350

Capital Iron & Steel (Group) Corporation

Fer & acier

6.675

179.997

969

2.086

China National Metals and Minerals I & E Corp.

Commerce

2.797

7.145

729

570

China Harbor Engineering Company (Group)

Construction

3.271

70.160

520

812

Shanghai Baoshan Iron & Steel (Group) Corp.

Fer & acier

19.389

113.896

383

50

Haier Group Corporation

Réfrigération

3.188

31.281

328

803

ZTE Corporation

Équip. Télécom.

1.205

12.961

17

120

 

Quelques grands capitalistes

La revue Fortune établit une liste des citoyens chinois les plus riches. Ci‑dessous quelques noms figurant dans cette liste pour l’année 2017. Leur fortune estimée est indiquée en dollars US.

He Xiangjian (18,7 milliards). Fondateur de Midea Group Co. Ltd., qui compte parmi les plus grands fabricants mondiaux d’équipements. Midea comprend plus de 200 filiales, notamment dans le secteur de la robotique, dont Kuka en Allemagne.

Li Shufu (16,5 milliards). Dirigeant de Geely Automobile Holdings, un des dix plus importants fabricants de voitures de Chine. Geely a acquis Volvo en 2010.

Zhou Qunfei (10,6 milliards). Fondateur et dirigeant de Lens Technology, fabricant d’écrans pour téléphones mobiles, inscrit en Bourse de Shenzen depuis 2015. Parmi les clients : Apple, Samsung, LG, Microsoft, Nokia.

Guo Guangchang (10 milliards). Dirigeant de Fosun International, un conglomérat d’investissement centré sur l’assurance. Les investissements incluent la fabrication d’acier, les mines, le tourisme, les produits pharmaceutiques.

Pan Zhengmin et famille (9,3 milliards). Dirigeant d’AAC Technologies, fabricant de composants électroniques miniaturisés, inscrit en Bourse de Hong Kong depuis 2005. Parmi les clients : Apple.

Sun Piaoyang (7,1 milliards). Dirigeant de Jiangsu Hengrui Medicine, qui était à l’origine une entreprise d’État.

Wei Jianjun et famille (6,2 milliards). Dirigeant de Great Wall Motor, plus grand producteur de véhicules SUV de Chine.

Ma Jianrong et famille (5,7 milliards). Dirigeant de Shenzhou International Group Holdings, un des plus grands exportateurs chinois de lainages et vêtements. Parmi les clients : Nike, Uniqlo, Adidas.

Wang Chuanfu (5,6 milliards). Il dirige BYD, principale société du secteur des véhicules électriques en Chine. La société Berkshire Hathaway de Warren Buffet détient 8 % des actions.

Yu Yong (5,4 milliards). Dirigeant de la société minière China Molybdenum, inscrite en Bourse de Hong Kong. En 2016, China Molybdenum a acquis l’activité niobium et phosphates d’Anglo American Plc.

Liu Yonghao et famille (4,9 milliards). Dirigeant de New Hope Group, qui comporte plus de 600 filiales dans 30 pays (dont les USA) et dont l’effectif s’élève à près de 70.000 employés. La filiale New Hope Liuhe est une des plus grandes sociétés chinoises dans le secteur de l’agrobusiness.

Zhang Shiping et famille (4,8 milliards). Dirigeant de China Hongqiao Group, plus grand fabricant mondial de produits en aluminium, coté en Bourse de Hong Kong. Il contrôle également Weiqiao Textile, fabricant de coton, coté en Bourse de Hong Kong.

Examen de quelques arguments mettant en doute le caractère impérialiste de la Chine

Pour ceux qui considèrent la Chine comme un pays socialiste, la question ne se pose pas (cf. plus haut). Le fait est que les groupes monopolistiques chinois ont une envergure d’ordre de grandeur comparable à celle des grands groupes dominants au niveau mondial, mais que jusqu’ici ils se sont développés principalement dans le cadre de la Chine, bénéficiant de la dimension considérable de l’économie intérieure du pays. Néanmoins, il y clairement une stratégie cherchant à mettre en oeuvre l’insertion dans le système capitaliste impérialiste mondiale, de façon accéléré surtout depuis les années 2000. À cet égard, quelques caractéristiques spécifiques des relations économiques internationales de la Chine peuvent faire penser certains qu’il ne s’agit pas de rapports de type impérialiste.

Orientation prédominant vers l’exportation de marchandises

Parmi les caractéristiques fondamentales de l’impérialisme capitaliste, Lénine souligne le fait que "l’exportation des capitaux, à la différence de l’exportation des marchandises, prend une importance toute particulière". Les rapports de production capitalistes en général exigent la mise en valeur du capital, c’est‑à‑dire il doit être mis en mouvement pour produire de la plus‑value et pour assurer la valorisation de cette plus‑value, par sa transformation en profit. Sous l’effet du développement des forces productives, ce processus peut se déployer uniquement à travers l’accumulation de masses de capitaux toujours plus élevées, et le passage au stade impérialiste exprime le fait que les frontières nationales des pays capitalistes dominants sont devenues trop étroites pour mettre en oeuvre le niveau d’accumulation nécessaire.

Pour pousser le plus loin possible l’échelle de l’accumulation, l’exportation de capitaux doit s’effectuer directement en tant que capital productif. Mais les transactions propres à l’impérialisme font aussi intervenir les sphères du capital bancaire et du capital marchand. Lénine, dans "L’impérialisme, stade suprême…" [55] :

Or, les monopoles introduisent partout leurs méthodes : l’utilisation des "relations" pour des transactions avantageuses se substitue, sur le marché public, à la concurrence. Rien de plus ordinaire que d’exiger, avant d’accorder un emprunt, qu’il soit affecté en partie à des achats de produits dans le pays prêteur, surtout à des commandes d’armements, de bateaux, etc. […] L’exportation des capitaux devient ainsi un moyen d’encourager l’exportation des marchandises.

Un rapport du consul austro‑hongrois à Sao‑Paulo (Brésil) déclare : "La construction des chemins de fer brésiliens est réalisée principalement avec des capitaux français, belges, britanniques et allemands. Les pays intéressés s’assurent, au cours des opérations financières liées à la construction des voies ferrées, des commandes de matériaux de construction".

Le cas de la Chine est représentatif de ce cas de figure. Il y a à cet égard un certain parallélisme entre la façon dont d’une part les pays capitalistes durant la phase initiale de l’impérialisme capitaliste, ont procédé pour affirmer leur emprise sur les colonies et les pays semi‑coloniaux, et d’autre part la Chine durant son développement récent tente de rattraper son retard. Toute sorte de données concernant aussi bien le domaine financier que celui du commerce le montrent. La stratégie déployé depuis quelques années, synthétisée par la désignation "Belt and Road" (littéralement "ceinture et route"), est particulièrement significative en ce sens. Elle vise à développer sous tous les aspects les éléments pouvant contribuer à élever considérablement le niveau des échanges commerciaux extérieurs et à assurer leur protection. Bien que camouflée par une rhétorique de bienfaiteur international, elle est conçue dans l’intérêt des capitaux chinois ainsi que de l’économie capitaliste chinois dans son ensemble. En se contentant d’une seule indication à titre d’exemple, on peut signaler que selon certaines statistiques les entreprises d’État chinoises contrôlent 10 % de la capacité des terminaux portuaires de containers en Europe [56].

Prétendue aide au développement des pays concernés

C’est avec des pays africains notamment que la Chine développe des relations économiques alliant plusieurs aspects coordonnés. La Chine se charge du développement d’infrastructures et d’activités dans des domaines censées contribuer au développement de l’économie locale, tout en accordant des ressources de financement. Or les projets sont orientés en conformité avec la stratégie d’expansion définie par la Chine, notamment en ce qui concerne aussi bien les échanges commerciaux qui interviennent dans l’exécution des travaux, que les exportations/importations que visent à établir ces projets. Il faut aussi souligner que du point de vue financier il ne s’agit pas d’une "aide au développement" telle que le terme est généralement employé au niveau des institutions internationales, c’est‑à‑dire de financements non remboursables. La Chine applique trois formes d’aide bilatérale, à savoir subventions, prêts sans intérêts et prêts à conditions préférentielles [57]. Seules environ 20 % de cette aide prennent la forme de subventions; le gros se fait sous forme de prêts aux taux du marché, ou proche de ce taux. Par comparaison, les USA accordent 90 % de leurs aides sous forme de subventions soumises à certaines conditions, le reste sous forme de prêts; un quart de ces fonds sont exempts de remboursements. Par ailleurs, le type préféré par la Chine pour la matérialisation de l’aide consiste en marchandises et en l’attribution de l’exécution des travaux d’infrastructure aux entreprises chinoises, c’est‑à‑dire c’est l’économie chinoise qui bénéficie des financements. De même, environ un tiers des remboursements sont stipulés sous forme de marchandises. En outre, habituellement la Chine se réserve la définition et le contrôle des projets concernés. Et les termes de financement prévoient en bonne partie des remboursements sous forme de marchandises.

Contrairement aux mythes entretenus au sujet du Venezuela et de son recours à la Chine comme partenaire pour sauver son économie, ce pays est également exposé aux implications négatives de cette relation. On peut se référer à Manuel Sutherland, un économiste proche du Parti communiste de Venezuela (PCV). D’abord, pour situer ses positions, voici comment il décrit la situation actuelle de ce pays [58] :

Dans un bref résumé, on a vu qu’il ne s’agit pas de l’échec de mesures économiques qui émaneraient des textes de Marx ou de la Révolution russe! À partir de certains éléments spécifiques, on a observé que la politique économique bolivarienne n’a rien à voir avec un changement révolutionnaire anticapitaliste ou avec une métamorphose des relations sociales de production. […] La composante idéologique et certains discours anti‑impérialistes et anti‑entrepreneuriaux trompent la plupart des analystes qui étudient les discours des présidents et non leurs politiques spécifiques.

Bien que le gouvernement bolivarien ait augmenté les dépenses sociales, nationalisé les entreprises, développé des politiques de transferts directs aux plus pauvres et accordé d’énormes subventions dans les services publics, la centralité de sa politique économique n’était rien d’autre que la poursuite de l’appropriation et du gaspillage des revenus pétroliers, avec l’aggravation de la consolidation de politiques de "contrôle" qui n’ont fait qu’accélérer les processus de destruction de l’agriculture, de l’industrie et du commerce en faveur de l’enrichissement du capital importateur-financier et de l’engraissement d’une caste militaro-bureaucratique hyper-corrompue qui pille la nation, jusqu’à l’appauvrir à des niveaux jamais vus auparavant sous ces latitudes.

Voici ce qu’explique Sutherland au sujet de la Chine [59] :

Ce qui est en jeu avec la dette du Venezuela vis‑à‑vis de la Chine, ce sont 28 milliards de dollars US. […] Le Venezuela se trouve malheureusement dans une situation de nécessité extrême où les prêteurs posent des conditions très dures et léonines en leur faveur. Les chinois tentent d’investir dans des domaines variés comme l’électricité, le fer et l’acier, mais le cadre légal vénézuélien est très compliqué et ils tentent d’exercer une pression pour que cela change, pour qu’il y ait une nouvelle réforme et une ouverture économique. Les chinois tentent d’instruire économiquement quelques vénézuéliens qui n’ont pas des idées claires, en ce qui concerne la nécessité d’ouvrir l’économie pour que les processus d’accumulation du capital puissent être libérés.

Investissements justifiés par des besoins de matières premières

Une grande partie des investissements extérieurs de la Chine se situent dans le domaine de l’extraction de matières premières. D’un point de vue purement technique, on pourrait argumenter que de telles activités se justifient par l’impossibilité pour un pays, quel qu’il soit, de se développer en autarchie absolue. Mais il faut envisager jusqu’au bout les implications des différentes manières de maintenir des relations avec d’autres pays. Sur le plan économique, il n’y a, fondamentalement, que deux alternatives nettement séparées. Soit le pays, dans ces relations, se tient à l’écart des mécanismes propres au capital, soit il est fatalement transformé en élément du système mondial capitaliste. Pour la Chine, c’est clairement le deuxième cas qui s’applique. Tout au plus on peut estimer que le motif premier, direct, des investissements à l’extérieur n’est pas forcément l’impossibilité de mettre en oeuvre l’accumulation de capitaux dans un cadre national devenu trop étroit. Quoi qu’il en soit, indépendamment des intentions décisionnelles concrètes initiales, ces opérations, comme tous les investissements, s’intègrent finalement dans le processus global de reproduction élargie du capital et les mécanismes qui le régissent.

D’ailleurs, des cas notables existent de sociétés transnationales chinoises, qui ne se situent pas dans le secteur des matières premières et qui opèrent à l’extérieur en développent des activités de fabrication. Comme exemple on peut citer le groupe Haier [60]. Ses activités incluent la fabrication et la commercialisation d’appareils électroménagers : réfrigérateurs, lave‑linge et lave‑vaisselle, climatiseurs, électroménagers de cuisine et chauffe‑eau, services de distribution, fours à microondes, aspirateurs de fumée, à gaz, etc.; il offre en outre des appareils audiovisuels, informatiques et de télécommunication.

L’histoire de Haier est exemplaire. En 1984 Zhang Ruimin assume la direction de la Fabrique générale de réfrigérateurs Qingdao, à Qingdao dans la province de Shandong. La société procède à des acquisitions d’autres sites de production, et en 1991 adopte Haier comme nom de marque. En 1992 Deng Xiaoping, qui à l’époque était retiré de toutes les fonctions dans le parti et le gouvernement, parcourt les zones économiques spéciales Zhuhai, Shenzhen et Guangzhou dans la province de Guangdong, lesquelles avaient été établis au début des années 1980 dans le cadre de la politique promue par Deng. Cette visite donne une nouvelle impulsion à la mise en oeuvre des orientations qu’il incarne. C’est ainsi que Haier s’installe dans la zone industrielle de Qingdao Est. En 1993 Haier Réfrigérateurs est inscrit à la Bourse de Shanghai. Durant les années 1990 Haier élargit ses activités en intégrant successivement d’autres entreprises. En 1999, Haier établit un site de fabrication aux USA. En 2001, Haier entre en Italie en reprenant l’usine de réfrigérateurs de Meneghetti. En 2006 Haier noue au Pakistan une coopération avec le groupe pakistanais Ruba. Puis Haier initie une série d’acquisitions : en 2007 un site de fabrication de réfrigérateurs en Inde; en 2009 une participation de 20 % dans Fisher & Paykel Appliances Holdings de Nouvelle Zélande, dont il devient ainsi le principal actionnaire; en 2012, les activités d’équipements domestiques du groupe japonais Sanyo Electric; la même année, la totalité du capital de Fisher & Paykel. En 2013 Haier établit une société commune avec Fagor, l’un des principaux fabricants européens d’équipements domestiques. En 2016, Haier reprend les activités d’équipements domestiques de General Electric.

Arrivé à ce point, Haier devient numéro un mondial de l’électroménager en valeur, devant Whirlpool; jusque‑là, c’était seulement le cas en volumes, grâce à ses clients chinois. Haier détient alors 20 % de parts de marché aux USA, 22 % en Asie hors Chine, mais seulement 2,3 % en Europe. Puis, en 2018, Haier acquiert le groupe italien Candy. En passant, on peut noter que, suite aux mesures protectionnistes prises successivement par les USA et la Chine, Haier a suspendu ses projets d’exporter vers la Chine des produits fabriqués aux USA sous la marque GE.

Haier est structuré autour de Haier Group Corp., qui dispose de deux filiales cotées en Bourse, Haier Équipements domestiques et Qingdao Haier Co. Haier Group Corp. détient 41,1 % de Qingdao Haier, aux côtés de la société d’investissement Kohlberg Kravis Roberts & Co. (5,00 %), du fonds gouvernemental de Singapour dénommé GIC Pte Ltd. (4,80 %) ainsi que de divers sociétés chinoises de gestion de fonds. C’est Qingdao Haier qui intègre dans son périmètre les activités venant de Fisher & Paykel, Sanyo, GE, Candy, et qui dispose en outre d’une participation de 48 % dans la société mexicaine Mabe.

La carrière de Zhang Ruimin à la tête de Haier va de pair avec une carrière de membre du PCC. En 2002, durant le 16e congrès national du parti, il est élu membre suppléant du Comité central. Il est aussi secrétaire du Comité du parti du Groupe Haier. En 2007 il participe en tant que délégué au 17e Congrès national du peuple, et il est renouvelé dans sa fonction de membre suppléant du CC. La présidente de Haier, Yang Mianmian, est également députée.

De même que pour la Russie, le critère de l’exportation de capitaux à lui seul ne peut appuyer de façon évidente et tranchée l’affirmation que la Chine est un pays impérialiste. Néanmoins pour les mêmes raisons que pour la Russie, on peut constater que la conjugaison des différents facteurs qui jouent un rôle à cet égard ‑ capacité de peser sur la situation mondiale aux niveaux économique et politique en temps "normale", déploiement des moyens, y compris militaires, pour assumer une épreuve de force dans un contexte de concurrence interimpérialiste aggravée ‑, font de la Chine une puissance impérialiste.

L’Union européenne – un conglomérat impérialiste

Les changements intervenus dans la situation internationale depuis la constitution de la Communauté économique européenne en 1958 ont considérablement remodelé le contexte dans lequel se place cette tentative d’alliance entre plusieurs pays impérialistes (Allemagne, France, Italie, Belgique, Luxembourg, Pays‑Bas). À l’origine le projet était motivé principalement par deux aspects : la nécessité de faire face à l’Union soviétique qui aux yeux de la bourgeoisie incarnait le communisme, et le problème de la reconstruction sous contrôle, de l’Allemagne.

Aujourd’hui même la bourgeoisie s’est résignée à admettre que la Russie est passée à l’économie capitaliste. Cela ne l’empêche pas d’utiliser le terme communiste en un sens purement idéologique. Par exemple Pierre Gattaz du Medef se plait à plaisanter à l’occasion d’un voyage en Chine : "J’ai quitté un pays communiste, la France, pour venir dans un pays libéral, la Chine!" [61]. Et Maurice Taylor, le PDG de Titan qui en 2014 s’était porté candidat à la reprise de Goodyear Amiens, se lamente [62] : "On doit reprendre au minimum 652 ou 672 ouvriers, c’est impossible! Le maximum, c’est 333, parce qu’après, ce n’est plus rentable! […] La France est devenue un pays communiste, et quand vous tomberez aussi bas que la Russie, peut‑être que vous aurez une chance de repartir." Néanmoins, la Russie ne s’est évidemment pas intégrée dans le cercle des impérialistes occidentaux, elle a développé ses propres velléités d’impérialisme (à ce sujet, cf. plus loin). Cela fait qu’elle est toujours considéré comme un ennemi, bien qu’à de degrés divers, comme l’ont montré les divergences qui se sont fait jour avec l’élection de Donald Trump comme président des USA. Celui‑ci a tenté d’affirmer que le danger principal ne venait pas de la Russie mais de la Chine. C’est vraisemblablement exact du point de vue économique, cependant l’équipe gouvernementale de Trump ne s’est pas alignée sur cette vision, comprenant que la politique internationale ne se réduit pas à des considérations d’affairistes. En outre on peut supposer qu’il ne déplait pas à Trump de mettre l’Europe sous pression face à la Russie, en faisant mine de abandonner l’Europe à son sort : en effet l’Europe subit plus directement que les USA, les menaces économiques et politiques venant de la Russie.

Quant à la reconstruction de l’Allemagne, elle a fait de ce pays une puissance impérialiste qui pèse plus que la France dans l’Union européenne, surtout depuis que la Grande‑Bretagne a quitté celle‑ci. Cependant, les caractéristiques de l’impérialisme allemand restent marquées par la situation créée par sa défaite militaire. Mais il s’est adapté en faisant reposer sa puissance sur une structure économique particulière, avec une orientation des investissements extérieures prioritairement non pas vers la production, mais vers la conquête de marchés.

Le passage de la CEE initiale à l’Union européenne en 1993, et les adhésions successives ultérieures, ont changé qualitativement la composition, puisque les petits pays forment désormais la large majorité des États membres. (Pour la caractérisation de ces "petits pays", cf. plus loin.)

Exportation de capitaux

Voici quelques données concernant les stocks de capitaux détenus à l’extérieur, en millions de dollars US, pour 2011 (pour de raisons de disponibilité). L’Union européenne est considérée dans sa composition actuelle, sans la Grande‑Bretagne.

Un facteur d’incertitude important vient du fait que certains pays jouent, dans une mesure plus ou moins importante, un rôle de simple relais : Belgique, Irlande, Luxemburg, Pays‑Bas.

 

Stocks de capitaux détenus à l’extérieur,
en
millions de dollars US, pour 2011

destination

origine

France

Allemagne

Italie

Espagne

France

 

60.874

34.302

26.894

Allemagne

91.933

 

43.939

17.635

Italie

58.493

46.896

 

9.310

Espagne

52.742

35.554

39.515

 

reste UE hors GB

559.331

504.655

241.927

187.689

[dont pays relais *]

[486.620]

[265.891]

[163.840]

[108.078]

total UE hors GB

762.499

647.979

359.683

241.527

reste monde

740.573

832.281

160.002

415.200

* Belgique, Irlande, Luxemburg, Pays Bas.

Les données en termes de stocks de capitaux font ressortir des zones d’influence différenciées.

Pour l’Europe du Sud‑Est (Bosnie, Herzégovine, Macédoine, Serbie) : Allemagne 1.664; pour la France, peu de données disponibles pour la période récente : 575 en 2005 (714 pour l’Allemagne), 0 en 2010 (1.819 pour l’Allemagne). Et pour la dite "Communauté des États indépendants" (CEI) formée autour de la Fédération de Russie : Allemagne 30.072, France 17.626.

La France est orientée vers l’Afrique, plus que l’Allemagne. Par contre l’Allemagne est orientée vers l’Asie, plus que la France. C’est le cas notamment pour la dite "Communauté des États indépendants" (CEI) formée autour de la Fédération de Russie. Cependant en Asie de l’Ouest (Asie de l’Ouest : Bahreïn, Irak, Jordanie, Koweït, Liban, Oman, Qatar, Arabie Saoudite, Syrie, Turquie, Émirats Arabes Unis, Yémen), c’est la France qui est plus présente que l’Allemagne.

L’Espagne est fortement présente en Amérique latine.

 

Stocks de capitaux détenus à l’extérieur, en millions de dollars US, pour 2011

origine

destination

Afrique
Nord

Afrique
Autre

Total
Afrique

CEI

Asie
Est

Asie
Sud-Est

Asie
Sud

Total
Asie
Est/Sud

Asie
Ouest

Amér.
Sud

Amér.
centrale

Total
Amér.
lat.

France

21.660

31.376

53.036

17 626

34.736

17.224

4.790

56.750

23.847

40.720

3.237

43.957

Allemagne

3.519

9.057

12.576

30.072

66.459

28.805

13.357

108.621

14.639

41.983

11.182

53.165

Espagne

 

147.767

38.309

186.076

 

À l’issue des élargissements successifs de l’Union européenne, celle‑ci comprend des pays dont la situation contraste fortement avec celle des principales puissances qui étaient à l’origine de l’unification. Prenons le cas de la République Tchèque et de la Slovaquie, deux pays membres de l’UE constitués par le partage en deux de ce qui était auparavant la Tchécoslovaquie.

Si l’on examine d’abord les stocks de capitaux qui sont relativement élevés, on obtient le tableau suivant :

 

 

Rép. Tchèque

Slovaquie

 

Stocks de capitaux,
en
millions de dollars US,
pour 2012

Stocks de capitaux,
en
millions de dollars US,
pour 2012

 

détenus
à
l’extérieur

détenus
à partir de
l’extérieur

détenus
à
l’extérieur

détenus
à partir de
l’extérieur

Monde

16.828

136.001

4.412

55.816

UE hors GB

15.974

116.023

3.719

50.046

Pays-Bas

8.443

39.566

– 223

11.732

Allemagne

371

19.199

16

6.493

Autriche

9

17.642

270

8.798

Luxembourg

95

8.042

335

2.413

France

127

6.750

80

2.002

Suisse

30

5.875

26

984

Chypre

1.885

5.226

467

2.335

Belgique

* 2 645

* 4 845

* 475

* 544

USA

50

4.570

1

711

Espagne

29

4.031

763

Grande-Bretagne

150

2.822

108

559

Pologne

145

2.151

162

– 11

Corée, Rép.

1.626

2.506

Suède

1.487

464

Japon

1.363

123

Italie

12

1.201

36

4.742

Hongrie

75

427

61

2.911

Irlande

1.176

– 970

537

Rép. Tchèque

 

 

2.430

4.126

Slovaquie

2.234

4.041

 

 

* Données provenant du pays indiqué dans la ligne respective.

 

L’essentiel des stocks détenus respectivement en République Tchèque et en Slovaquie provient de l’intérieur de l’Union européenne. Quasi sans exception les stocks détenus dans ces deux pays sont, de façon significative, supérieurs aux stocks détenus par ces deux pays à l’extérieur. La République Tchèque détient un stock relativement élevé en Irlande, pays connu pour son rôle de relais pour des transactions financières dont la nature et la destination reste incertaines.

On trouve quelques cas ou les rapports entre entrants et sortants sont inversés, mais à des niveaux insignifiants et de valeur erratique d’une année à l’autre. La Turquie est parmi eux; on regardera ce pays de plus près par la suite.

 

 

Rép. Tchèque

Rép. Tchèque

Slovaquie

Slovaquie

 

Stocks de capitaux,
en
millions de dollars US, pour 2012

Stocks de capitaux,
en
millions de dollars US, pour 2012

 

détenus
à l’extérieur

détenus
à partir de l’extérieur

détenus
à l’extérieur

détenus
à partir de l’extérieur

 

2011

2012

2011

2012

2011

2012

2011

2012

Bulgarie

595

740

1

– 5

4

7

4

1

Roumanie

704

610

25

17

– 6

16

– 19

– 4

Turquie

108

257

-20

3

36

168

12

3

 

Compte tenu de ces données, on constate que la République Tchèque et la Slovaquie n’ont pas de nature propre de pays impérialistes, ils se sont assuré un strapontin en acceptant d’être soumis aux puissances qui dominent le conglomérat impérialiste formé par l’UE.

Pays non impérialistes

Brésil – Argentine – Inde

Stocks de capitaux internationaux

À titre d’exemples, nous présentons d’abord les cas du Brésil, de l’Argentine, de l’Inde. Le Brésil en particulier compte parmi les pays qui parfois sont considérés comme pays impérialistes. Ce pays a connu une période de notoriété en étant inclus dans le groupe de pays dénommé "BRIC". L’acronyme est formé des initiales de Brésil-Russie-Inde-Chine. Il a été mise à la mode durant les années 2000 par Jim O’Neil, à l’époque président de Goldman Sachs Asset Management. O’Neil prédisait que les pays ainsi désignés allaient réaliser une croissance économique particulièrement forte et constitueraient donc une destination de choix pour des investissements rentables. Plus récemment, le même personnage a ajouté l’Afrique du Sud, ce qui donne "BRICS", et a introduit aussi une sélection de quatre autres pays désignés par l’acronyme "MIST" : Mexique, Indonésie, Corée du Sud (S), Turquie. D’autres regroupements de pays ont attiré l’attention des économistes sous des angles variés, selon le même modèle. Évidemment, du point de vue d’une analyse marxiste-léniniste, ce genre d’approche n’a aucune pertinence.

Dans la série de ces neuf pays, le Brésil détient un stock de capitaux à l’extérieur, en 2012, de 266 milliards de dollars US, montant le plus élevé après la Chine et la Russie. Après le Brésil, viennent la Corée du Sud, le Mexique, l’Afrique du Sud, puis l’Inde avec 79 milliards, suivie de la Turquie avec 27 milliards, puis l’Indonésie en dernier. Si on se réfère au Produit intérieur brut (PIB), la Chine vient en premier, et de loin, avec 12.238 milliards de dollars US, suivie de l’Inde avec 2.597 milliards (par comparaison pour la France 2.583 milliards), le Brésil 2.056 milliards, la Russie 1.578 milliards, ensuite vient le Corée du Sud, suivi du Mexique avec 1.150 milliards, puis l’Indonésie, suivie de la Turquie avec 851 milliards, puis l’Afrique du Sud en dernier.

La place du Brésil et de l’Inde parmi les pays mentionnés motive le choix les concernant. Nous ajoutons l’Argentine à titre de comparaison avec le Brésil. Par ailleurs la Turquie nous parait symptomatique pour des raisons qui seront exposées en examinant ce pays séparément plus loin.

En ce qui concerne les données en termes de stocks de capitaux, il convient de souligner que la pertinence d’une interprétation mathématique formelle est limitée, du fait que ces données sont incomplètes, voire faussées, et entachées d’incohérences du point de vue d’ensemble. Néanmoins, sous réserve et faute de mieux, des comparaisons peuvent être faites par rapport aux données indiquées plus haut pour les pays impérialistes.

D’abord le Brésil. Si l’on examine les stocks de capitaux qui soient relativement élevés, on obtient le tableau ci‑dessous à gauche. Exceptions en ce qui concerne la prédominance des capitaux détenus à partir de l’extérieur, par rapport aux capitaux détenus à l’extérieur : l’Autriche, la Hongrie, l’Argentine, le Pérou. Le tableau à droite montre les données pour quelques destinations de type relais.

 

 

 

Brésil

 

Stocks de capitaux,
en
millions de dollars US,
pour 2012

 

détenus
à partir de
l’extérieur

détenus
à
l’extérieur

Monde

746.902

266.252

UE hors GB

440.747

128.194

USA

113.440

22.635

Espagne

81.327

16.144

France

34.498

1.407

Grande-Bretagne

24.010

2.004

Allemagne

17.417

474

Chile

10.768

1.248

Autriche

8.172

57.474

Uruguay

7.610

3.215

Italie

7.054

431

Argentine

2.556

6.898

Hongrie

583

3.852

Pérou

403

3.027

 

 

 

 

Brésil

 

Stocks de capitaux,
en
millions de dollars US,
pour 2012

 

détenus
à partir de
l’extérieur

détenus
à
l’extérieur

Iles Cayman

15.789

42.826

Iles Bermudes

9.130

852

Iles Vierges Brit.

6.926

22.502

Panama

4.090

2.558

Iles Bahamas

1.273

14.656

Antilles neerland.

1.197

1.459

Ile Barbade

446

[Somme pays relais:]

[38.851]

[84.853]

 

 

 

Les proportions des stocks de capitaux détenus à l’extérieur dans les destinations de type relais par rapport au total sont élevés : le calcul donne 84.001 / 266.252 = 0,315, alors que par comparaison les valeurs correspondantes pour les USA et pour la Fédération de Russie sont de 511.320 / 4.084.659 = 0,125 et 55.245 / 361.750 = 0,153 respectivement (selon les données indiquées dans les tableaux présentés plus haut pour ces deux pays).

Ces chiffres ne disent rien de la destination finale des capitaux concernés. Si on fait simplement abstraction de cette partie des flux de capitaux, le rapport entre stocks détenus à partir de l’extérieur et stocks détenus à l’extérieur, de 266.252 / 746.902 = 0,36 devient (266.252 – 84.001) / (746.902 – 29 721) = 717.181 / 182.251 = 0,25; c’est‑à‑dire le proportion relative des stocks détenus à l’extérieur est sensiblement moindre en comptant uniquement les stocks de capitaux pour lesquels les pays concernés peuvent être considérés comme points d’origine ou de destination effectifs.

Et voici plus en détail, les données pour l’Amérique latine, avec dans la deuxième colonne, les stocks détenues à l’extérieur, par ordre de grandeur.

 

 

Brésil

 

Stocks de capitaux,
en
millions de dollars US,
pour 2012

 

détenus
à partir de
l’extérieur

détenus
à
l’extérieur

Mexique

17.320

1.305

Chili

10.768

1.248

Uruguay

7.610

3.215

Argentine

2.556

6.898

Colombie

1.869

816

Pérou

403

3.027

Venezuela

105

1.453

 

Il est intéressant de prendre en considération l’Argentine qui contraste fortement avec le Brésil. Voici, le tableau correspondant pour ce pays.

 

 

 

Argentine

 

Stocks de capitaux,
en
millions de dollars US,
pour 2012

 

détenus
à partir de
l’extérieur

détenus
à
l’extérieur

Monde

102.261

UE hors GB

44.694

Espagne

20.206

594

USA

19.380

209

Pays-Bas

9.552

Chile

7.018

3.392

Brésil

6.760

* 2.556

Suisse

4.147

Allemagne

3.363

1

Luxembourg

3.344

France

3.148

45

Uruguay

2.893

4.717

Mexique

2.233

1.124

Grande-Bretagne

1.681

* les données proviennent du pays indiqué pour la ligne correspondante

 

Parmi les pays du continent sud‑américain (Argentine, Bolivie, Brésil, Chili, Colombie, Équateur, Paraguay, Pérou, Uruguay, Venezuela), pour le montant des capitaux détenus à partir de l’extérieur, l’Argentine vient en deuxième place, derrière le Brésil, tandis que pour le montant des capitaux détenus à l’extérieur, c’est aussi le Brésil qui vient en premier, le Chili en deuxième avec 73.267 millions et l’Argentine en troisième, mais avec un montant de dimension largement inférieure.

Le stock de capitaux détenus à partir du Brésil est relativement significatif, comparé à ceux détenus à partir d’autres pays. Les quelques stocks significatifs de capitaux détenus à l’extérieur sont localisés dans la région latino‑américaine, et la situation d’ensemble montre une prépondérance absolue des stocks détenus en Argentine à partir d’autres pays. Seule exception notable, l’Uruguay qui est étroitement liée à l’Argentine par les antécédents de la colonisation espagnole.

Pour l’Inde, même constat que pour les pays mentionnés jusqu’ici.

 

 

Inde

 

Stocks de capitaux,
en
millions de dollars US,
pour 2012

 

détenus
à partir de
l’extérieur

détenus
à
l’extérieur

Monde

218.134

79.857

UE hors GB

36.622

14.458

Ile Maurice

57.727

12.355

Grande-Bretagne

35.595

2.158

USA

32.562

7.066

Singapour

17.654

21.481

Japon

15.470

34

Suisse

11.145

1.660

Pays-Bas

10.476

11.134

Corée, Rép.

3.074

805

Chypre

2.543

1.673

Italie

1.279

111

Émirats arabes unis

1.221

3.874

Espagne

687

152

Oman

507

243

Canada

462

1.188

Féd. Russie

422

1.841

Bangladesh

17

114

Sri Lanka

16

522

Bahreïn

10

1.921

Colombie

785

 

Quelques cas de rapports inversés entre les montants de stocks de capitaux détenus respectivement à partir de l’extérieur et à l’extérieur : Pays‑Bas, Canada, Singapour, Bangladesh, Sri Lanka, Bahreïn, Émirats arabes unis, Russie.

Groupes monopolistiques

Jusqu’ici, nous avons procédé à des comparaisons uniquement en termes de stocks de capitaux. Or, l’autre caractéristique fondamentale de l’impérialisme, celle des groupes monopolistiques, si elle peut être considérée comme allant de soi pour les principaux pays impérialistes mentionnés, doit être examinée explicitement pour autant qu’il s’agisse de justifier le choix de ranger certains pays dans la catégorie des pays non impérialistes. Toutefois, il faut garder à l’esprit le fait que la distinction entre groupes monopolistiques d’une part, et entreprises capitalistes qui n’ont pas ces caractéristiques d’autre part, n’est pas une simple question de dimension quantitative.

Les quelques exemples présentés ci‑après sont choisis parmi les groupes de sociétés qui prévalent par leur importance relative dans le cadre du pays concerné, en prenant en compte aussi quelques aspects qui les rendent symptomatique de par la façon dont ils se placent dans le système capitaliste impérialiste mondiale. La section "Qu’est‑ce qu’un pays impérialiste?" (cf. plus loin) développe cette dernière question.

Deux remarques préalables concernant la façon d’apprécier le degré d’internationalisation d’un groupe de sociétés. En premier lieu, il faut éviter de se laisser abuser par des informations superficielles. Comme on sait, les médias, dans le domaine économique comme dans les autres, ont tendance à mélanger information et tournures alléchantes dont la signification réelle peut être floue : "le géant mondial du secteur", "le plus grand producteur mondial", etc. Les grandeurs chiffrées auxquelles on peut se référer sont multiples, et de pertinence parfois discutable : chiffre d’affaires, ventes en volume, valeurs des actifs. Un indicateur qui intéresse les investisseurs est la valorisation boursière, dite aussi capitalisation boursière. Elle correspond au nombre d’actions multiplié par le dernier cours d’échange, ce qui indique de façon tout à fait hypothétique la "valeur marchande" de l’entreprise. Il s’agit d’une mesure susceptible d’être extrêmement volatile. Ainsi il est arrivé que Boeing, suite à l’annulation d’une série de contrats avec la Chine, a perdu en quelques jours la moitié de sa capitalisation boursière.

Ensuite, un élément central en rapport avec l’internationalisation est la composition de l’actionnariat, et à cet égard l’analyse doit tenir compte de divers aspects. Le capital peut être négocié en bourse, partiellement ou totalement, et la règlementation fait qu’en dessous d’un certain seuil (habituellement 5 % du capital), les actionnaires ne sont pas forcément identifiés. En outre il y a une distinction entre actions avec ou sans droit de vote. Ainsi, quand il est question de savoir qui contrôle une société donnée, les actions avec droit de vote sont déterminantes, et ceci éventuellement dans le cadre d’un accord liant plusieurs actionnaires entre eux. Cependant, pour déterminer la place d’un groupe dans l’ensemble des flux mondiaux de capitaux, il faut prendre en considération la totalité des actions du groupe concerné (ce qu’on appelle son capital social) puisque quand il s’agit de toucher les dividendes, les capitalistes n’ont nullement besoin d’un droit de vote.

Les informations concernant l’actionnariat utilisent un terme technique, celui de capital flottant. Il s’agit des actions, émises par une entreprise, qui sont effectivement échangeables sur le marché, c’est‑à‑dire en Bourse. À la différence du capital flottant, une grande part des actions n’est pas achetable sur le marché, elles sont détenues par des actionnaires stables, des actionnaires dirigeants ou encore des institutions financières.

Dans les présentations qui suivent, nous incluons des indications historiques qui n’ont pas forcément une signification directe pour l’analyse de la situation actuelle. Néanmoins ces antécédents aident à appréhender la complexité des problématiques posées. Pour autant qu’il s’agisse de compositions d’actionnariat, les indications portent sélectivement sur des situations momentanées. En effet, dans ce domaine s’applique la réflexion émise autrefois par Laurence Parigot en tant que présidente du Medef : "La vie, la santé, l’amour sont précaires. Pourquoi le droit du travail ne le serait‑il pas?"… ce à quoi on peut ajouter la volatilité des paquets d’actions, qu’ils soient négociés en Bourse ou qu’ils changent de propriétaire par marchandages bilatéraux en direct.

Brésil

Au Brésil existent des groupes monopolistiques d’envergure considérable [63].

Petrobras

* Histoire [64]

Dans le cas du Brésil plus que pour d’autres pays, il faut évoquer le cadre politique. En 1930, Getúlio Vargas est porté à la présidence du Brésil par un mouvement militaire. En 1935 il obtient un renforcement considérablement de ses pouvoirs, puis en 1937 il proclame "l’État nouveau". Ce régime est autoritaire, personnel, répressif. Son nom reprend celui de la dictature salazariste au Portugal et sa Constitution, adoptée au lendemain du coup d’État, celle en vigueur dans la Pologne de Pilsudski. Les pouvoirs publics deviennent les principaux soutiens du développement économique et de l’industrialisation du pays. En particulier, grâce à la création d’entreprises d’économie mixte et de conseils techniques, l’État favorise l’essor de l’extraction de minerais et de pétrole, ainsi que l’industrie lourde.

En 1945, Vargas annonce des élections présidentielles, mais une fraction de l’armée hostile à l’éventualité qu’il reste au pouvoir le destitue. Les élections se déroulent avec comme candidats deux militaires, Eduardo Gomes et Henrique Dutre, ce dernier est élu. Cependant Vargas est à nouveau élu en 1951, et il reprend la mise en oeuvre de son plan d’industrialisation. En 1952 le gouvernement crée la Banque nationale de développement économique (Banco Nacional de Desenvolvimento Econômico, BNDE) en tant qu’agence gouvernementale. En 1954 Vargas se suicide.

En 1971 la BNDE est transformée en entreprise d’État de droit privé, en 1982 elle modifie sa dénomination qui devient Banque nationale de développement économique et social (BNDES). Après la création, en 1974, de trois filiales afin d’opérer sur les marchés de capitaux, celles‑ci sont fusionnées en 1982 en une filiale unique, BNDESPar. En 2009 la BNDES établit une branche pour l’Amérique du Sud à Montevideo ainsi qu’un bureau pour l’Europe à Londres, en 2013 un bureau pour l’Afrique à Johannesburg.

Petrobras comme société d’État

En 1938, Getúlio Vargas crée le Conseil national du pétrole (CNP), en 1953 il crée la société Petrobas. Petrobras et ses filiales ont le monopole des activités d’exploitation et de transformation, mais pas de la distribution. Le gouvernement fédéral est l’actionnaire majoritaire et exerce un contrôle total sur le groupe.

Suite au développement de Petrobras, en 1961 la capacité de raffinage du pays dépassait pour la première fois sa consommation. Au début des années 1970, les quatre raffineries privées en activité dans le pays sont expropriées. En 1967 est constitué Petrobras Química S.A. (Petroquisa), en 1973 Petrobras Fertilizantes S.A. (Petrofértil). Pour faire face à la forte augmentation des activités internationales (dans le domaine de la commercialisation), la filiale Petrobras Internacional S.A. (Braspetro) est créée en 1972. La structure du groupe consiste désormais en une société holding Petrobras, dotée du monopole de la prospection, de l’exploitation et du raffinage du pétrole, avec des filiales (Braspetro, Petroquisa et Petrofértil) agissant dans des domaines spécifiques.

En 1972, à la suite de la création de coentreprises avec d’autres sociétés, des enquêtes de prospection sont engagées en Colombie, en Iraq et au Madagascar. Dans ce dernier cas, c’est en association avec un groupe US, Chevron. L’année suivante, les exploitations sont étendues à l’Égypte et à l’Iran, avec la participation de Mobil Oil, également US.

En 1997 entre en vigueur une loi mettant fin au monopole de Petrobras, puis la structure du capital du groupe est modifiée par un processus de privatisation. La loi limite la participation de l’État national au capital de Petrobras à 50 %, plus une action avec droit de vote de la société.

La Colombie est le pays où Petrobras a commencé ses opérations internationales, lorsque Braspetro a acheté des concessions d’exploitation dont disposait la société Tennecol. Peu de temps après, cependant, Petrobras a quitté le pays, puis est revenu en 1986 pour effectuer des activités d’exploration. En 2004, elle s’est associée à Exxon et à la société d’État Empresa Colombiana de Petróleo (Ecopetrol) pour explorer la région de la mer des Caraïbes colombienne.

En Amérique du Sud, Petrobras a signé des contrats de production et d’exploitation en mer en Argentine. Dans ce pays, Petrobras exerce ses activités dans les secteurs du raffinage, de la distribution, de la pétrochimie et de l’énergie électrique. Dans le secteur de la distribution, elle opère également en Uruguay, au Paraguay, en Colombie et au Chili.

En Amérique du Nord, Petrobras a prospecté les réserves du golfe du Mexique, en 1987 a été créée la filiale Petrobras América Inc., puis les opérations se sont étendues à d’autres régions de l’Amérique du Nord. Dans le secteur du raffinage, Petrobras est implanté directement aux USA, ainsi qu’au Japon. En ce qui concerne les activités d’exploitation et de production, elles se situent au Moyen‑Orient et en Asie au Yémen et en Chine, en Afrique en Algérie et en Angola, en Europe en mer de Norvège.

* Structure [65] :

Voici des indications concernant la composition de l’actionnariat à la date du 31/12/2018. La part du gouvernement et des entités liées (notamment BNDES) dans le capital, par catégorie : actions avec droit de vote 63,7 %, actions sans droit de vote 22,6 %, capital total : 46 %. Pour les actionnaires étrangers les pourcentages sont les suivantes : actions avec droit de vote : 30,2 %, actions sans droit de vote 42,8 %, capital total 35,6 %.

Petrobras est inscrit en bourse à São Paulo, Buenos Aires, México, New York, Madrid, Berlin, Stuttgart, Francfort.

Vale

* Histoire [66] :

Voici quelques étapes du développement du groupe Vale, à l’origine dénommé Companhia Vale do Rio Doce (CVRD), puis devenant Vale en 2007.

Suite au déclenchement de la Deuxième guerre mondiale, des négociations sont entamées entre les gouvernements brésilien et US. Le Brésil obtient un prêt de 20 millions de dollars US. En contrepartie, les USA sont autorisés à installer des bases militaires dans le Nord‑Est du Brésil. En 1941 est constituée la Companhia Siderúrgica Nacional (CSN) dont le gouvernement détient environ 88 % des actions avec droit de vote. En 1942 sont signés les Accords dits de Washington entre le Brésil, la Grande‑Bretagne et les USA, qui définissent les bases pour le développement de la production et l’exportation de minerai de fer. Le Brésil obtient un prêt de 45 millions de dollars US pour l’établissement des premières installations d’envergure de fabrication d’acier en Amérique latine. À cette fin est constituée la CVRD. L’État détient 55 % du capital initial, dont la totalité des actions avec droit de vote. Au départ l’objectif était que la CVRD fournisse les matières premières à la CSN. Les accords de Washington prévoient le transfert au gouvernement brésilien de deux sociétés minières ‑ Companhia Brasileira de Mineração e Siderurgia S.A. (propriété du capitaliste US Percival Farquhar) et Itabira de Mineração S.A. (propriété du même Farquhar en association avec six Brésiliens) ‑ ainsi que de la ligne de chemin fer Estrada de Ferro Vitória a Minas S.A. (EFVM) qu’ils contrôlaient. En contrepartie, le Brésil entre en guerre du côté des puissances alliées, contre l’Allemagne.

En 1962, la CVRD constitue une filiale de transport maritime, Vale do Rio Doce Navegação SA (Docenave). En 1967 elle constitué la Florestas Rio Doce S.A., une entreprise de reboisement, marquant ainsi le début de la diversification des activités. En 1969 elle établit la première installation de fabrication de boulettes (pellets) de fer. Après la découverte en 1967 de gisements de fer dans la région de Carajás, est constituée en 1970, par une association entre la CVRD et US Steel, la Amazônia Mineração S.A. (AMZA) : la CVRD détient 51 %, US Steel 49 %. En 1973 est constituée une usine de pâte à papier, la Celulose Nipo‑Brasileira (Cenibra), en association avec la société japonaise Japan Pulp and Paper Co. Ltd. En 1973 également est constituée une usine de fabrication de boulettes (pellets) de fer, la Companhia Ítalo‑Brasileira de Pelotização (Itabrasco), en association avec la société italienne Finsider International, la CVRD détenant 50,9 % et Finsider 49,1 %. L’année suivante sont constituées deux autres usines de fabrication de boulettes (pellets) de fer : la Companhia Nipo‑Brasileira de Pelotização (Nibrasco) en association avec plusieurs sociétés japonaises avec à la tête Nippon Steel, ainsi que la Companhia Hispano‑Brasileira de Pelotização en association avec la société espagnole Ensidesa. À partir de 1973 se déroulent des négociations en vue de la construction d’une usine d’aluminium, la Alumínio Brasileiro S.A (Albrás) ainsi qu’une usine d’alumine Alunorte, ceci en association entre la CVRD (51 % pour Albrás et 60,8 % pour Alunorte) et un consortium de sociétés japonaises détenant la part restante (consortium de composition changeante : d’abord LMSA, puis Nalco en 1977, finalement NAAC‑Nippon Amazon Aluminium Co. Ltd.). La production d’Albrás démarre en 1985. En 1979 est constitué la Mineração Rio do Norte (MRN), un consortium exploitant la principale mine de bauxite du pays; la composition du capital est la suivante : CVRD 40 %, BHP Billiton 14,8 %, Alcoa 13,2 %, Rio Tinto Alcan 12 %, la société brésilienne CBA 10 %, Reynolds 5,0 %, et Hydro, filiale du groupe norvégien Norsk Hydro ASA 5 %. (En 2000 Alcoa acquiert Reynolds. En 2015 BHP opère une scission d’entreprise pour se séparer de certaines activités, en créant le groupe South32, lequel se substitue à BHP dans MRN.)

Après l’acquisition par la CVRD, en 1977, de la participation de US Steel dans AMZA, en 1980 le gouvernement s’engage dans un projet visant à développer l’exploitation de la mine de Carajás à grande échelle. Les besoins financiers sont estimés à 3,3 milliards de dollars US. Des financements internationaux sont négociés : 600 millions de dollars US de la Communauté économique européenne, 500 millions du Japon, 305 millions de la Banque mondiale. Les accords avec l’Europe et le Japon incluent l’obligation de fourniture de minerai de fer à des sociétés déterminées, aux prix du marché mondial qui sont sur une tendance à la baisse. D’autres financements suivent : 250 millions de banques commerciales US, 60 millions de l’URSS. En 1986 un contrat de fourniture de ferromanganèse est signé avec l’URSS à un taux de remboursement défavorable de 10 %. Le projet entre dans le stade opérationnel à partir de 1985.

En 1984 est constituée une usine de ferrosilicium, la Eletrovale, par un consortium composé des groupes japonais Kawasaki Steel Corp. et Mitsubishi Corp. ainsi que la société brésilienne Metalur. La même année la CVRD s’associe à Kawasaki Steel dans une société créée à l’initiative d’un entrepreneur US, Wilkinson, pour constituer California Steel Industries (CSI) aux USA. Initialement, Wilkinson détient 50 %, les deux partenaires 25 % chacun. En 1986 Wilkinson cède sa part et la répartition entre la CVRD et Kawasaki Steel passe à 50 % chacun. (En 2003 Kawasaki Steel change sa dénomination en JFE Steel.)

En 1991 la CVRD acquiert une participation dans la société française Société européenne d’alliage pour la sidérurgie (SEAS), initialement à hauteur de 35 %, puis portée à 65 %. La société est alors dénommée Rio Doce Manganèse Europe (RDME), puis renommé en Vale Manganèse France (VMF) en 2008, elle devient Glencore Manganèse France en 2012, après acquisition par le groupe Glencore International.

En 1997, la CVRD conclut un partenariat avec une société US, Southern Star Resources Ltd, pour l’extraction d’or. À partir de cette même année, elle est inscrite à la bourse de New York (NYSE). En 2006 elle acquiert la société canadienne Inco.

À partir de 2000, la CVRD se concentre sur le secteur minier et se désengage notamment du secteur papier, mais aussi de la sidérurgie.

En 2000 Hydro Aluminium A.S (du groupe Norsk Hydro) acquiert 25,25 % des actions avec droit de vote de Alumina do Norte do Brasil S.A (Alunorte). À l’issue de l’opération, la CVRD détient 50,32 % des actions avec droit de vote d’Alunorte et 44,41 % du capital total, puis en 2002, suite à une autre modification de l’actionnariat, ces pourcentages passent respectivement à 62,09 % des actions avec droit de vote et 19,05 % des actions sans droit de vote, ce qui représente 57,03 % du capital total. En 2011, Hydro acquiert d’autres participations de Vale à des actifs dans le secteur de l’aluminium. Ainsi les parts de Vale dans Albrás et Alunorte sont reprises par Hydro.

* Structure [67] :

En 1993 le gouvernement met en vente la totalité des actions avec droit de vote qu’il détient dans la CSN (à ce moment 90,8 %). À cette occasion la CVRD acquiert 9,4 % des actions avec droit de vote, à travers sa filiale Docenave.

Ensuite la CVRD est incluse dans le programme de privatisations décrété par le gouvernement en 1995. C’est en 1997 qu’un consortium brésilien dans lequel la part de la CSN est de 40 %, acquiert 41,73 % des actions avec droit de vote de la CVRD (31 % du capital total) [68]. Compte tenu de la composition du consortium, sa participation aux actions avec droit de vote de la CVRD se répartit comme suit : CSN 16,3 %, Litel Participações (fonds de pension) 10,43 %, Eletron S.A (lié à la banque Opportunity) 10 %, Sweet River (Nations Bank) 5 %.

À ce moment, la composition de l’actionnariat de la CSN est la suivante [69] : le groupe brésilien Vicunha (14,3 %), Bradesco (10,9 %), Previ (10,5 %), Docenave (9,9 %), Caixa Beneficente da CSN (CBS) (9,8 %) et le Clube de Investimentos da CSN (9,2 %). Les deux derniers sont respectivement le fonds d’investissement et le fonds de pension de la CSN.

Ainsi avec les privatisations successives de la CSN et de la CVRD s’était établie une situation de participations croisées entre les deux groupes.

En 2001, un accord est mis en oeuvre pour séparer les rapports d’actionnariat [70]. D’un côté, la CSN vend sa participation dans la CVRD qui est transféré à Litel Participações S.A. ainsi que Babié Participações S.A., une société holding propriété de Bradesplan et Bradespar, tandis que Vicunha Siderurgia acquiert les participations de Bradespar et Previ dans la CSN (respectivement 17,9 % et 13,8 %), ce qui porte la participation de Vicunha Siderurgia dans CSN à 46,5%. De l’autre côté, la CVRD transfère sa participation dans la CSN (10,3 %) au fond de pension de la CVRD, Valia.

En 2003 la société japonaise Mitsui acquiert auprès de Bradespar une participation de 15 % dans Valepar S.A, société holding qui contrôle la CVRD [71]. Il en résulte que Mitsui nomme 2 des 12 membres du directoire de Valepar et 2 des 11 membres du directoire de la CVRD [72].

En 2017 les actionnaires de Valepar concluent un accord suite auquel Valepar est absorbé par Vale, le but étant de transformer Vale en société n’ayant pas d’actionnaires définis en position de contrôle, et qu’elle puisse être inscrite en bourse dans un segment particulier jugé plus favorable au développement de l’actionnariat [73].

En résumé, la situation la plus récente :

Les principaux actionnaires de Vale sont [74] : Previ (le plus gros fonds de pension brésilien, associé à la Banco da Republica do Brazil) 20,99 %, BNDESPar 6,31 %, Bradespar 5,74 %, Mitsui 5,59 %, ce qui fait en tout 38,62 %. Le gouvernement dispose d’un droit de véto. À cela s’ajoute le capital flottant, qui se répartit comme suit, selon la nationalité : brésilien 14,42 %, non‑brésilien 46,97 %, ce qui fait en tout 61,39 %.

Vale est inscrit en bourse à São Paulo, Buenos Aires, Mexico, New York, Madrid, Paris, Berlin, Stuttgart, Francfort, Munich, Hambourg.

Quant à la CSN, le capital consiste uniquement en actions avec droit de vote. L’actionnariat est composé comme suit, en 2018 [75] : Vincunha Aços S.A. 49,21 %, Rio Iaco Participações S.A. 4,19 %, Trésorerie 2,19 %, Caixa Beneficiente Empr CSN 1,45 %, BNDES Participações S.A. 0,63 %, CFL Participações S.A. 0,29 %, Vicunha Textil S.A. 0,36 %. Le restant se répartit en actions négociées en bourse à Sao Paulo (19,79 %) et New York (21,88 %).

Bradesco/Bradespar [76]

Bradesco est un des principaux groupes financiers au Brésil. Bradespar est une société holding liée à Bradesco.

Pour Bradesco, près des trois quarts des actions avec droit de vote sont détenus par trois entités : la famille Aguiar, dont le fondateur, et deux fonds représentant le management et les employés. La part du capital négociée en bourse est la suivante, en septembre 2018 [77] : 26,27 % du capital avec droit de vote, 97,75 % du capital sans droit de vote, 62,00 % du capital total.

Bradesco est inscrit en bourse à São Paulo, Buenos Aires, Mexico, New York, Madrid, Stuttgart, Francfort.

Gerdau

* Histoire [78] :

En 1891 est constituée une fabrique de clous, Cia. Fábrica de Pregos Pontas de Paris, à Porto Alegre. En 1901 João Gerdau acquiert cette société et l’enregistre comme Cia. João Gerdau, administrée ensuite par son fils Hugo en tant que João Gerdau&Filho. En 1907 João Gerdau acquiert une fabrique de meubles, la Fábrica de Móveis Navegantes, dont son fils Walter assume l’administration. En 1914 Hugo Gerdau participe comme associé à constitution de la Cia. Geral de Indústrias dont il assume par la suite le contrôle. En 1916 João Gerdau & Filho devient Hugo Gerdau puis en 1939 Fábrica de Pregos Hugo Gerdau Ltda. En 1946 Curt Johannpeter assume la direction de cette société. En 1947 celle‑ci se transforme en société anonyme cotée à la Bourse de Porto Alegre. En 1948 Gerdau démarre ses activités dans la sidérurgie avec l’acquisition de la Siderúrgica Riograndense (constituée en 1938) En 1959 la Fábrica de Pregos Hugo Gerdau S.A. se transforme en la Fábrica Metalúrgica Hugo Gerdau S.A. En 1962 Deltec, une banque à capitaux US et européens, acquiert 14 % du capital de la Siderúrgica Riograndense. Après deux acquisitions d’usines, en 1969, Fábrica Metalúrgica Hugo Gerdau S.A. devient Metalúrgica Gerdau S.A. L’ensemble des sociétés de Gerdau constitue désormais le Groupe Gerdau. Durant les années 1970, le groupe se développe, notamment par la construction en 1971 d’une usine appelée Cia. Siderúrgica da Guanabara (Cosigua) à Rio de Janeiro en association avec Thyssen ATH. En 1979 Gerdau prend le contrôle total de Consigua. Avec l’acquisition en 1981 de Siderúrgica Laisa S.A., en Uruguay, débute la transnationalisation. À partir de 1984 Consigua est inscrit en bourse. En 1989 le groupe acquiert Courtice Steel Inc., au Canada, puis en 1992 la Siderúrgica Aza e Indaq, au Chili. L’extension du groupe se fait entre autre à l’occasion de privatisations initiées par le gouvernement. En 1994 Gerdau constitue un établissement bancaire, dans l’objectif de fournir un support financier aux clients, fournisseurs et prestataire de services. En 1995 Gerdau reprend la division acier du groupe canadien Canam Manac, renommée en Gerdau MRM Steel Inc. En 1997 le groupe termine une réorganisation qui modifie substantiellement la structure. Le groupe rassemble 28 sociétés directement intégrées, et deux à capitaux ouverts : Gerdau S.A. et la holding Metalúrgica Gerdau. En 1997 Gerdau acquiert une participation dans Açominas, aux côtés de NatSteel (appartenant au groupe indien Tata), en 1999 il assumera le contrôle.

En Argentine, Gerdau acquiert en 1997 une participation dans la Sociedad Industrial Puntana S.A. (SIPSA), puis en 1998 dans la Sipar Laminación de Aceros. Ces participations évoluent, au bout du compte en 2001 SIPSA devient filiale de Sipar, et Gerdau détient 38,18 % dans Sipar.

En 1999 Gerdau acquiert auprès du groupe japonais Kyoei Steel Ltd, une participation de 88 % dans FLS Holdings Inc., qui détient 85 % du capital d’une société aux USA, Ameristeel Corp. En 2000 Gerdau acquiert le contrôle à 100 % de FLS Holdings.

En 2001 Gerdau ouvre une usine à São Paulo en association avec le groupe italien Monteferro.

En 2002 Gerdau fusionne aux USA avec Co‑Steel, et constitue Gerdau Ameristeel.

En Colombie en 2004, Gerdau acquiert une participation majoritaire dans deux sociétés, Distribuidora de Aceros Colombianos (DIACO) et Siderurgica del Pacifico (SIDELPA). En Espagne en 2005, Gerdau acquiert une participation de 40 % de Corporación Sidenor, dans un consortium avec Santander (40 %) et un groupe de cadres (20 %); en 2008 Gerdau augmente sa participation à 60 %. En 2006 Gerdau acquiert Siderperu, au Pérou, GSB en Espagne. En 2007 Gerdau s’implante au Mexique, en République Dominicaine, au Venezuela, en 2008 au Guatemala. En 2008 Gerdau investit dans un site de sidérurgie en Inde, conjointement avec Kalyani Steels (45 % chacun); en 2013 Gerdau reprend la part de Kalyani. Ameristeel avait été inscrit en bourse d New York à partir de 2004; en 2010 Gerdau acquiert l’intégralité du capital.

* Structure

Gerdau S.A. est la société holding qui rassemble les filiales du groupe. Le contrôle final du groupe est exercé par la famille Gerdau Johannpeter, dont quatre membres, brésiliens résidents au Brésil, détiennent la totalité du capital d’une société holding dénommé Stichting Gerdau Johannpeter, domicilié aux Pays‑Bas. Le contrôle immédiat de Gerdau S.A. passe par une société holding dénommée Metalúrgica Gerdau qui directement ou indirectement détient 96,69 % des actions avec droit de vote de Gerdau S.A.

Voici des indications concernant la composition de l’actionnariat à la date du 31/7/2018 [79].

La part détenue directement ou indirectement dans le capital par la famille Gerdau/Johannpeter est la suivante, par catégorie : actions avec droit de vote 97,26 %, actions sans droit de vote 8,50 %, capital total 38,1%. Pour les investisseurs institutionnels brésiliens les pourcentages respectifs sont les suivants : 0,31 %, 15,95 %, 10,73 %. Pour les investisseurs étrangers : 0,98 %, 16,88 %, 11,57 %. Pour le capital flottant : 1,16 %, 58,11 %, 39,11 %.

Gerdau S.A. est inscrit en bourse à São Paulo, Mexico, New York, Madrid, Stuttgart, Francfort.

JBS‑Friboi

* Histoire [80]

En 1953, José Batista Sobrinho constitue une boucherie, Casa de Carnes Mineira. À partir de 1970 elle est associée à la marque Friboi. En 1980 Sobrinho constitue la société Flora qui fabrique des produits de cosmétique et de propreté. En 2004, en association avec Frigorifico Bertin, Friboi constitue la société BF Alimentos. Par la suite Friboi acquiert la participation de la famille Bertin et devient propriétaire unique, BF Alimentos est dissoute. En 2005 Friboi se transforme en JBS S.A. Cette même année JBS acquiert 85% de Swift Armour SA Argentina (n’étant à l’époque plus partie du groupe US Swift). JBS détient d’autres implantations en Argentine, dont les sites de l’ex Compañía Elaboradora de Productos Alimenticios (CEPA) acquises en 2006, ainsi qu’une usine d’emballage. En 2007 JBS effectue deux acquisitions aux USA : le groupe SB Holdings Inc., qui devient JBS Trading USA Inc. ainsi que Swift&Co. En 2008 JBS acquiert aux USA des activités du groupe Smithfield, à savoir Smithfield Beef Group Inc (qui devient JBS Packerland Inc) et Five Rivers Cattle Feeding LLC. La même année JBS acquiert en Australie Tasman Group Services Pty Ltd et Industry Park Pty Ltd. En 2009 JBS acquiert aux USA une participation de 64 % de Pilgrim’s Pride.

En 2009 également, JBS intègre les sociétés de Bertin SA. dans le groupe. La famille Bertin reçoit une participation indirecte de 28,7 % dans JBS (cf. des détails plus loin).

En 2010 est constituée Eldorado Brasil Celulose SA, fabricant de pâte à papier et de papier, dont J&F Investimentos S.A., la société holding de la famille Batista, détient 75 %, et MCL Empreendimentos 25 %. En 2012 J&F acquiert la participation de MCL Empreendimentos.

Par ailleurs en 2010 JBS acquiert en Australie Tatiara Meat Company Pty Ltd, aux USA McElhaney Cattle Co Inc, en Belgique Toledo International NV, en outre JSB augmente sa participation dans Pilgrim’s Pride à 67,27%. En 2011 J&F acquiert Bertin Higiene e Limpeza.

En 2012 JBS reprend en leasing, au Brésil, les actifs de Doux Frangosul SA, du Groupe Doux SA. français.

En 2013 la participation indirecte dans JBS de Bertin est restructurée comme participation à 24,75 % dans J&F Investimentos SA, qui contrôle JBS (cf. des détails plus loin).

En 2014 aux USA, Pilgrim’s Pride, dont l’actionnaire majoritaire est JBS USA Holdings, acquiert les activités volailles au Brésil et au Mexique, d’un groupe US, Tyson Foods. En 2015 J&F acquiert la société Alpargatas S.A., fabricant de chaussures et vêtements. La même année JBS acquiert en Irlande la société Moy Park Ltd., en Australie Primo Smallgoods Pty Ltd, et JBS USA acquiert certaines unités de Cargill Meat Solutions Corp. En 2016 est constitué JBS Foods International BV comme société holding pour les activités du groupe en dehors du Brésil. En 2017 JBS acquiert Plumrose USA Inc.

Des embuches sur le chemin de l’ascension

En 2016 la justice ouvre des investigations au sujet de possibles opérations frauduleuses impliquant différentes sociétés du groupe J&F [81]. Sont visés notamment les frères Joesley et Wesley Batista. En mai 2017 des dirigeants de J&F révèlent avoir effectué des paiements illégaux à des politiciens et fonctionnaires afin d’obtenir des contrats et des crédits de la part des institutions financières d’État, et pour régler des différends avec le gouvernement en matière de taxes et autres. Selon ces témoignages, JBS a payé au président d’intérim Michel Temer 4,6 millions de dollars, tandis que les présidents précédents Luiz Inacio Lula Da Silva et Delma Rousseff avaient reçu respectivement 50 millions et 30 millions. Le président de JBS Joesley Batista révèle qu’il avait enregistré clandestinement une conversation avec Michel Temer en mars 2017 où le président parait donner son assentiment à l’idée de payer des sommes pour soudoyer un législateur emprisonné. Batista a signé une déclaration plaidant coupable d’avoir distribué des sommes à environ 2000 politiciens durant les dix dernières années, dont Dilma Rousseff. Lui et son frère Wesley sont condamnés individuellement à payer des amendes de 110 millions de reais. Des négociations sont en cours pour déterminer la somme à payer par J&F, qui selon ce qui est envisagé [mai 2017] serait de 3,2 milliards de dollars US sur 25 ans.

Pour faire face à cette situation, J&F/JBS doit faire marche arrière à grande échelle en ce qui concerne ses opération d’expansion à l’extérieur. Les activités dans le secteur de la viande bovine en Argentine, Paraguay et Uruguay sont vendues à Minerva SA pour 300 millions de dollars US. Alpargatas est vendu à Cambuhy Investimentos Ltda, Itaúsa Investimentos Itaú SA et Brasil Warrant Gestão de Investimentos Ltda pour environ 1 milliard de dollars US. Eldorado est vendu à Paper Excellence BV, une société contrôlée par une famille indonésienne, pour 3,6 milliards de dollars US. Moy Park est vendu à Pilgrim’s Pride Corp, filiale de J&F, pour environ 1 milliard de dollars US. Vigor, dont J&F détient 80 % et JBS 20 % est vendu au groupe mexicain Grupo Lala SAB de CV pour environ 1,5 milliards de dollars US en tout. Five Rivers Cattle Feeding LLC aux USA et Canada est vendu à Pinnacle Asset Management LP pour environ 200 millions de dollars US.

* Structure

En 2009 JBS opère la fusion avec Bertin S.A., la famille Bertin recevant une participation indirecte de 28,7 % dans JBS, via Bracol Holding Ltda (renommé par la suite en Tinto Holdings) et Blessed Holdings LLC (basé aux USA), qui ensemble possèdent Bertin Fundo de Investimentos em Participações (FIP Bertin, renommé ensuite FIP Pinheiros[82]. Une société holding FB Participações SA est créée comme propriété conjointe des familles Bertin et Batista. FIP Bertin possède une participation de 48,51 % dans FB Participações, et cette dernière détient une participation majoritaire dans JBS. J&F Participações (prédécesseur de J&F Investimentos) détient 45,2 % de FB Participações.

En 2013 Tinto Holdings engage une procédure en justice contre J&F Investimentos, en contestant un transfert d’actions de FIP Bertin qui avait été effectué en faveur de Blessed Holdings, et en affirmant que cette dernière est en fait propriété de la famille Batista par l’intermédiaire de mandataires. JBS déclare que Blessed Holdings est contrôlé par Lighthouse Capital Insurance Co basé aux Iles Cayman et US Commonwealth Life basé au Puerto Rico. Parmi les actionnaires de ces sociétés, figuraient les étrangers Colin Murdoch Muirhead, James Walker, Paul Backhouse et Nicholas Ferris. Un accord est signé entre les deux familles, la participation indirecte dans JBS de FIP Bertin est restructurée comme participation à 24,75 % dans J&F Investimentos, holding qui détient 100 % de FB Participações de même que 100 % de J&F Participações qui contrôle JBS (avec 42,41 % du capital) [83]. Fin 2016 Wesley et Joesley Batista acquièrent chacun 50 % de Blessed Holdings.

En mai 2017 le tribunal demande l’annulation de l’accord entre JBS et Bertin au motif qu’il implique une fraude fiscale. Jusque‑là, la structure de J&F Investimentos était constituée de sociétés holding appartenant au fondateur, José Batista Sobrinho, et de ses trois filles, ainsi que des frères Joesley et Wesley Batista. C’est‑à‑dire que six membres de la famille se partageaient la participation dans la société de portefeuille mère de JBS. Puis à partir de juin, selon la nouvelle composition déposée auprès de l’administration, J&F Investimentos avait comme actionnaires uniquement des sociétés appartenant à Joesley et Wesley Batista, qui entretemps avaient passé un accord avec l’administration qui leur accordait une immunité totale.

La BNDES est la principale entité impliquée dans l’endettement de JBS. À travers des augmentations successives du capital de JBS, la participation de la BNDES dans le capital JBS oscillait entre le pourcentage initial de 2007 de 12,9 %, et 30,4 %. Elle partage le rôle de l’État comme pourvoyeur de fonds avec la Caixa Econômica Federal. Suite aux investigations, les services de police indiquent que depuis 2007 le fonds BNDESPar associé à la BNDES a fourni environ 2,6 milliards de dollars US pour financer les acquisitions effectuées par JBS [84].

En février 2019, le capital de JBS est composé de la manière suivante [85] : J&F Investimentos S.A. 40.64 %, capital flottant 56,95 % (dont 21,32 % du capital pour BNDES Participações S.A.).

Oi

* Histoire [86] :

En 1962 le gouvernement de la province de Rio Grande do Sul acquiert la Companhia Telefônica Riograndense (CTR), filiale du groupe US de télécommunications ITT, transformée en la Compañía Riograndense de Telecomunicaciones (CRT). En 1972 est créé Telecomunicações Brasileiras SA (Telebras) dépendant du ministère des Communications, chargé de planifier, implanter et opérer le service national de télécommunications. Telebras établit une branche dans chaque État fédéral et met en oeuvre l’incorporation des compagnies de téléphone existantes, acquérant leurs actifs ou le contrôle de l’actionnariat. La CRT est maintenue comme société au niveau de la province, le gouvernement de province détenant 85,39 %, Telebras 13,85 %, le reste appartenant à divers entreprises privées.

Lorsque le gouvernement national entame une période de privatisation, la CRT est incluse dans le programme. En 1996, une première adjudication permet au groupe espagnol Telefónica d’acquérir 35 % des actions avec droit de vote. En 1998 un consortium dénommé TBS acquiert 31 % du capital total, dont 89 % du capital avec droit de vote [87]. Parmi les sociétés issues de la privatisation de Telebras, se trouve aussi Brasil Telecom. En 2000 Brasil Telecom acquiert la totalité du capital de CRT, en 2002 elle acquiert les activités de réseaux fibre optique de GlobeNet, dont elle établit une filiale en Colombie en 2008.

Par ailleurs, parmi les entités de Telebras inclues dans le processus de privatisation, se trouve Tele Norte Leste Participações S.A. C’est celle‑ci qui constitue l’origine du groupe Oi. Le contrôle de Tele Norte est acquis par un consortium constitué à cet effet en 1997, Guanaco Participações SA, composé par les sociétés Construtora Andrade Gutierrez S.A., Inepar S.A., Indústria e Construções, Macal Investimentos e Participações Ltda., Fiago Participações S.A., Brasil Veículos, Companhia de Seguros Aliança do Brasil. En 1998 Guanaco Participações change sa dénomination en Telemar Participações SA. En 2002 Telemar est transformé en Oi. En 2008 Oi établit une filiale en Mozambique, en 2009‑2010 Brasil Telecom est intégré dans Oi.

En 2011 intervient une transaction dont les enjeux sont multiples. En 2003 le groupe portugais Portugal Telecom (PT) et le groupe espagnol Telefónica s’étaient associés pour acquérir Vivo, opérateur de télécommunications au Brésil (à l’origine, à l’issue des privatisations, dénommé Telecomunicações de São Paulo S.A., Telesp), avec 50 % du capital pour chacun. Par la suite Telefónica montre sa volonté d’acquérir à tout prix la totalité de Vivo, perspective rejeté par le gouvernement portugais. Finalement en 2011 Telefónica réussit à arriver à ces fins, moyennant un arrangement conclu en contrepartie de l’acquisition par Telefónica des actions de PT dans Vivo, entre les gouvernements respectifs du Portugal et du Brésil.

Grâce à cet arrangement, dans un premier temps en 2011 un accord est signé entre Oi et Portugal Telecom : PT acquiert une participation de 22,38% dans Oi, et il est prévu que Oi acquière une participation de 10 % de PT. Cette dernière disposition est effectivement réalisée l’année suivante. Les actionnaires brésiliens d’Oi incluent des fonds de pensions brésiliens ‑ Previ, Funcef, Petros, Fundação Atlântico ‑, BNDES Participações, et le groupe du secteur de construction, Andrade Gutierrez.

Allant plus loin, la perspective de l’opération consiste à constituer un nouveau groupe fusionnant les deux entités [88]. Ainsi en 2015 un accord est signé concernant la mise en place de la nouvelle structure commune, dénommée CorpCo. À ce stade PT détient 27,2% du capital total de Oi, les droits de vote étant limités à 15 % du total des actions avec droit de vote. Oi est fortement endetté (près de 7 milliards de dollars US en 2010, le triple en 2013), la BNDES étant son principal créditeur.

Mais des difficultés financières et des litiges entre actionnaires conduisent à l’échec de l’opération. Le groupe PT est séparé en deux entités : PT Portugal qui comprend les actifs au Portugal, et PT SGPS qui change son nom en Pharol. PT Portugal est acquis par le groupe Altice (Altice est contrôlé par Patrick Drahi, mais comprend environ un tiers d’actions négociés en bourse. La société holding est domiciliée aux Pays‑Bas.) Oi garde les activités en Afrique ainsi que quelques participations dans des filiales de PT. En 2016 Oi s’est déclaré en faillite et se trouve en redressement judiciaire. En 2017, sa dette s’élève à 19.000 millions de dollars US, plus 6.400 millions à titre d’amendes et honoraires liés à la procédure judiciaire, en 2018 il réussit à réduire sa dette d’environ 70 % [89].

La procédure de redressement judiciaire modifie considérablement les rapports entre Pharol et Oi. Pharol tente de maintenir son objectif de rester l’actionnaire principal de Oi, mais les mesures imposées pour restructurer les dettes contractées par Oi font que la participation de Pharol se retrouve fortement diluée. Abstraction faite des réécritures de nature comptable, qui pour 2016 transcrivent les opérations de restructuration, en juillet 2018, compte tenu d’opérations d’augmentation du capital à titre de conversion de dettes, Pharol détient moins de 8 % de Oi. Des fonds d’investissement nombreux arrivent à détenir plus d’un tiers du capital, leur rôle étant en principe de gérer la situation et de recéder par la suite leurs participations. La participation de Pharol descend en dessous de 5 % en 2018, les principaux actionnaires étant Goldentree avec 15,78 %, York Global avec 11,45 %. Environ 50 % du capital est flottant.

Quant à Pharol, ses principaux actionnaires sont, en décembre 2018 [90] : Adar Macro Fund Ltd (Fond d’investissement domicilié aux Iles Cayman, créé par un Israélien) avec droits de vote à hauteur de 10,00 % et 10,29 % du capital total, ainsi que Telemar Norte Leste S.A. c’est‑à‑dire Oi) participation au capital total de 10,00 % avec droits de vote à même hauteur. Géographiquement le capital total est réparti comme suit : Portugal 49 %, reste de l’Europe 29 %, USA et Canada 11 %, Brésil 10 %, reste du monde 1 %. Il s’agit à environ 60 % de capital flottant.

Oi est inscrit en bourse à Sao Paolo, Mexico, New York, Berlin.

Pharol est inscrit en bourse à Londres, Stuttgart, Berlin, Munich, Lisbonne.

Inde

ArcelorMittal

Concernant ArcelorMittal, il faut constater qu’il ne s’agit nullement d’un groupe indien.

Le père de Lakshmi N. Mittal, Mohan, avait fondé en Inde une entreprise de production d’acier dans les années 1970, sous le nom d’Ispat. Mais tandis que cette société sera dirigée par la suite par les deux frères de Lakshmi, ce dernier se charge d’établir en 1976 une société en Indonésie, PT Ispat Indo. C’est à partir de là qu’il développera Mittal Steel, et ceci de façon indépendant par rapport à la société indienne.

À travers Caribbean Ispat il acquiert en 1989 une société, Iscott, à Trinidad et Tobago. Ensuite, des acquisitions se succèdent : au Mexique en 1992, au Canada en 1994. En 1995 le siège de la société est transféré de l’Indonésie à Londres. Les acquisitions se poursuivent. Au Kazakhstan en 1995, en Allemagne en 1995 puis en 1997, aux USA en 1998, en France en 1999, en Roumanie et en Algérie en 2001, en République Tchèque en 2003, en Bosnie, en Macédoine, en Pologne et en Afrique du Sud en 2004. En 2004, aux USA, est constitué Mittal Steel par la fusion de Ispat/LNM Holdings avec International Steel Group (ISG). ISG avait été constitué à partir de 2002 par des rachats successifs de sociétés en faillite : LTV Corporation (LTV), Acme Steel Corporation (Acme), Bethlehem Steel Corporation (Bethlehem), Weirton Steel Corporation (Weirton) and Georgetown Steel Corporation (Georgetown). Mittal Steel est alors le plus grand groupe au monde dans le secteur de l’acier, Lakshmi N. Mittal est directeur général.

L’expansion de Mittal Steel continue : à nouveau aux USA ainsi qu’en Ukraine et en Chine en 2005, à nouveau au Canada en 2006, puis en 2007 fusion avec Arcelor qui à ce moment était le deuxième groupe le plus grand du secteur, derrière Mittal Steel. Arcelor avait été créé en 2002 par la fusion d’Arbed (Luxembourg), Aceralia (Espagne) et Usinor (France). Arcelor disposait de sites en Belgique, Allemagne, Italie, Brésil, Argentine, Pologne, Maroc, Canada.

Jusqu’à récemment, le groupe ArcelorMittal n’avait pas établi de filiale en Inde. Ce n’est qu’en octobre 2018 qu’il a acquis Essar Steel, qui opère une installation intégrée d’aciérie en Inde occidentale. Il est prévu que le groupe japonais Nippon Steel soit associé à l’opération et détienne un peu moins de 50 % des actions de cette filiale.

Colombie

Stocks de capitaux internationaux

Nous avons fait référence plus haut à la façon dont la vision dominante en matière d’économie scrute en permanence l’horizon pour détecter les "opportunités" pour réaliser des investissements profitables. Les dits "BRICS" sont considérés comme des représentants de poids des pays "émergents". Dans le sillage de ces "grands émergents", d’autres "petits émergents" attirent également l’attention. "Le Mexique, la Colombie, le Nigeria, l’Indonésie ou la Turquie forment la tête de pont de ces nouveaux émergents. […] ils ont dû […] multiplier les efforts pour améliorer leur réputation auprès des investisseurs étrangers. […] beaucoup d’investisseurs préfèrent aujourd’hui travailler avec ces nouveaux émergents plutôt qu’avec leurs grands frères, souvent plus restrictifs dans leur réglementation. Ils jettent ainsi leur dévolu sur le Mexique plutôt que sur le Brésil, sur la Turquie plutôt que la Russie, ou encore sur l’Indonésie plutôt que sur la Chine."

Parmi les pays mentionnés (Mexique, Colombie, Nigeria, Indonésie, Turquie) nous retenons la Colombie comme exemple complémentaire. Pour reprendre les comparaisons faites au sujet des BRICS : dans la série de ces cinq pays, pour le stock de capitaux à l’extérieur en 2012, la Colombie se situe en troisième place avec 8.182 millions de dollars US, loin derrière le Mexique (131 106  millions) et précédée par la Turquie (27 190  millions). Si on se réfère au PIB, la Colombie vient en dernier avec 309 milliards de dollars US (le Mexique, en premier, avec 1.150  milliards).

 

 

Colombie

 

Stocks de capitaux,
en
millions de dollars US,
pour 2012

 

détenus
à partir de
l’extérieur

détenus
à
l’extérieur

Espagne *

8.436

3.404

USA

8.434

779

Mexique

3.156

354

Chile

2.119

2.820

Suisse

1.832

Allemagne *

1.548

Grande-Bretagne

1.109

Brésil

816

* 1.386

Inde

785

France

620

34

Chine

346

Italie *

325

14

Pays-Bas

304

10

Belgique

57

0

Panama

2.702

Pérou

1.093

Uruguay

180

Argentine

116

[Somme]

[29.887]

[12.892]

Les données proviennent des pays indiqués pour chaque ligne.

* données pour 2011

 

Groupes monopolistiques

Santo Domingo

* Histoire [91]

En 1913 est constitué la Cervecería Barranquilla. En 1905 avait été constitué à Barranquilla The Walters Brewing and Ice Makin Co., d’origine britannique, en 1915 elle change sa dénomination en The Walters Brewing and Ice Makin Co. Ltd.Cervecería Bolívar, et en 1922 la Cervecería Barranquilla acquiert la majorité du capital, la dénomination devenant Cervecería Bolívar S.A. En début des années 1930, Cervecería Barranquilla subit les conséquences de la crise économique. En 1933 Mario Santo Domingo ‑ qui précédemment en 1911 avec ses frères avait constitué une société d’export-import, Santo Domingo&Co ‑ participe à une opération destinée à remédier aux difficultés de la Cervecería Barranquilla. Il en résulte la constitution de Cervecería Barranquilla y Bolívar S.A., dont la famille Santo Domingo détient 26 % du capital. Cette brasserie commercialise une seule bière appelée “Águila”.

Progressivement Mario Santo Domingo amplifie l’étendue de ses investissements. Vers le milieu des années 1960, il contrôle Transportes industriales SA, est propriétaire de Sanpac, de Petroquímicas de Colombia, de Fábrica Nacional de Grasas, de Inversiones Rurales y Urbanas, détient des actions de Siderúrgica del Atlántico y Paz de Río, détient des actions avec droit de vote dans le comité directeur de Capitalización y de Seguros. Julio Mario Santo Domingo, fils de Mario, prend progressivement en main la gestion des activités.

En 1969, celui‑ci effectue une opération importante pour consolider l’activité de brasserie comme noyau du groupe Santo Domingo, en s’alliant au Consorcio Bavaria.

L’origine de Bavaria remonte à 1889, lorsque la Sociedad Kopp y Costelló (de Leo S. Kopp y Carlos Arturo Costello) entreprend l’établissement d’une brasserie, projet qui aboutit en 1890 à la constitution à Bogotá de la société familiale Bavaria Kopp’s Deutsche Brauerei (en espagnol Bavaria Gran Fábrica de Cerveza Alemana). La société se développe, en changeant plusieurs fois de raison sociale. En 1897 la famille s’associe à des investisseurs européens, en gardant cependant 50 % du capital. En 1922 la famille vend la majeure partie de ses actions à la société Handel en Industrie Maatschappij, domiciliée à Amsterdam. Raison social : Bavaria Bogotá ‑ Handel‑en Jinaustrie Maatschappij Bogotá. En 1930 est constitué le Consorcio de Cervecerías Bavaria S.A. par la fusion de Bavaria Bogotá avec Cervecería Continental de Medellín. Suite à l’invasion des Pays‑Bas par l’Allemagne, les actions détenues par Handel sont confisquées, mises en vente sur le marché international à bas prix, et finissent étant propriété d’investisseurs colombiens.

Pour revenir à Santo Domingo, en décembre 1967, Bavaria acquiert Cervecería Barranquilla y Bolívar S.A. (appelé communément Cervecería Águila) moyennant une attribution d’actions à la famille Santo Domingo, qui deviennent les actionnaires individuels les plus importants, avec environ de 10 % du capital. Ultérieurement la participation atteint progressivement 75 %.

Dans les années 1990 le groupe Santo Domingo développe des activités dans divers domaines : téléphone portable, boissons gazeuses, jus, internet, presse et télévision, ce qui motive la constitution d’une division spécialisée pour gérer les participations d’investissements, dénommée Valores Bavaria (Valorem à partir de 1997). Une crise économique sévère affecte le groupe à la fin des années 1990, au début des années 2000 il opère des restructurations en cédant des actifs, dont Caracol Radio et la ligne aérienne Avianca. Le groupe se recentre sur son noyau d’activités, la bière. En 2000 il acquiert une participation dans Cervecería Leona, en 2002 la totalité. En 2002 il acquiert une participation dans la brasserie péruvienne Backus&Johnston et la porte à 74 % en 2003. En 2005 SABMiller acquiert Bavaria moyennant un accord qui comprend un paiement de 7,8 milliards de dollars US dont une partie en actions, moyennant quoi la famille Santo Domingo devient actionnaire à environ 15,1 % de SABMiller, par l’intermédiaire de la société holding BevCo. (Plus de détails sur SABMiller ci‑dessous.) Ultérieurement Santo Domingo réduit sa participation à 13,9 %. Julio Mario Santo Domingo décède en 2011, son fils Alejandro opère la concentration du groupe Santo Domingo sur quatre activités : médias et divertissement, transport et logistique, immobilier et tourisme, agro‑industrie et commerce. En 2016 SABMiller fusionne avec le groupe AB InBev. (Plus de détails sur AB InBev ci‑dessous.) Au moment de la conclusion de la transaction, le plus gros actionnaire de SABMiller est Altria avec 26,6 %, compagnie de tabac US (marques Marlboro, L&M and Benson&Hedges). Le deuxième plus gros actionnaire est Santo Domingo. Pour Santo Domingo, l’accord consiste en une formule associant paiement en espèces et échange d’actions, Santo Domingo à travers BevCo devient actionnaire d’AB Inbev à hauteur de 5,01 %. Alejandro Santo Domingo Davila occupe un siège au comité directeur, il possède aussi 1,7 % d’AB InBev en nom propre.

Bavaria-SABMiller-ABInbev

* SABMiller [92]

En 1895 est constitué la South African Breweries Ltd (SAB) à Londres, propriété de Castle Brewery, société établie à Johannesburg en Afrique du Sud. SAB est d’abord coté en Bourse de Londres, puis à partir de 1897 en Bourse de Johannesburg. En 1925 SAB se diversifie vers les boissons non alcooliques en acquérant une participation dans Schweppes Co. En 1950 le siège de SAB est transféré à Johannesburg. En 1956 SAB acquiert les deux autres brasseries les plus grandes d’Afrique du Sud et contrôle ainsi environ 90 % du marché local. En 1970 SAB transfère son siège en Afrique du Sud. À partir de 1974 SAB se diversifie vers la distribution de produits de masse et devient un conglomérat intervenant dans des secteurs variés. En 1977 SAB prend le contrôle d’Amalgamated Beverage Industries Ltd., une société qui effectue la mise en bouteille pour Coca‑Cola en Afrique du Sud. En 1993 SAB acquiert le contrôle de Dreher Breweries, brasserie en Hongrie. En 1994 SAB constitue en Chine une société commune avec China Resources Enterprise Ltd. En 1999 SAB se transforme en South African Breweries Plc, en transférant son siège à Londres. En 2000 SAB acquiert une brasserie en Inde. En 2001 SAB acquiert une brasserie au Honduras et constitue au Salvador une société commune avec des capitalistes locaux, BevCo Ltd. En 2002 SAB reprend à Philip Morris Companies Inc. la Miller Brewing Company, la deuxième brasserie la plus importante aux USA. Cette société devient SABMiller Plc. En 2003 SAB acquiert en Italie 60 % de Birra Peroni S.p.A.

En 2005 SAB acquiert Bavaria S.A., en Colombie. En 2007 SAB acquiert Koninklijke Grolsch N.V au Danemark. En 2008 aux USA, SAB réunit Miller Brewing Co avec les activités de Molson Coors Brewing Co, en constituant une société commune, MillerCoors. En 2011, SAB acquiert Foster’s Group en Australie.

En ce qui concerne la composition de l’actionnariat, en 1999 encore plus de 80 % du capital était détenue par des actionnaires sud‑africains. En 2010 ce pourcentage est descendu à 40 %, tandis que 31 % sont résidents de Grande‑Bretagne et 23 % des USA [93].

* ABInBev [94]

Le développement d’AB InBev débute dans les années avec l’acquisition par le brésilien Jorge Paulo Lemann, cofondateur du fonds d’investissement 3G Capital, de la brasserie brésilienne Brahma. En 2004 Brahma fusionne avec la société belge Interbrew, créant InBev. En 2008 InBev acquiert la brasserie la plus importante aux USA, Anheuser Busch, devenant AB InBev. AB InBev acquiert aussi la brasserie mexicaine Modelo.

En 2010, 3G Capital racheté la chaine de restauration rapide Burger King. En 2013, le fonds fait équipe avec l’investisseur américain Warren Buffett (propriétaire du fonds d’investissement Berkshire Hathaway) pour acquérir le groupe Heinz. Toujours en partenariat avec Buffett, 3G Capital, via Burger King, rachète en 2014 la chaine de café canadienne Tim Hortons.

En 2015 le groupe Heinz acquiert Kraft Foods, l’un des principaux fabricants de produits d’épicerie en Amérique du Nord. La société fusionnée prend le nom de The Kraft Heinz Co .Les actionnaires de Heinz gardent ensemble 51 % du capital, mais Berkshire Hathaway est le premier actionnaire de Kraft Heinz, avec 26,7 % du capital.

* Structure [95]

Selon des données de 2015, AB INBev est contrôlé par le fonds d’investissement 3G Capital et par des actionnaires belges via Stichting AK domicilié aux Pays‑Bas. 47,23 % des actions constituent du capital flottant.

À son décès en 2011 Julio Mario Santo Domingo avait transmise sa fortune à ses descendants établis aux USA, où Alejandro Santo Domingo est né et a grandi. Alejandro s’est marié avec Lady Charlotte Wellesley, la fille du neuvième Duc de Wellington, sa nièce est mariée à Andrea Cassiraghi, qui se trouve en quatrième position pour la succession au trône de Monaco.

Libye

Nous avons déjà souligné que, pour analyser la place d’un pays donné dans le système impérialiste dans son ensemble, il ne suffit pas de constater si ce pays est, ou n’est pas, origine de flux de capitaux vers l’extérieur. Pour mettre en lumière ce fait, prenons le cas de la Libye.

En 1976 la société étatique libyenne Lafico (Libyan Arab Foreign Investment Company) avait acquis 10 % du capital de Fiat, participation qui était montée jusqu’à 15 % lorsqu’en 1986 elle avait été recédée; en 2002 la Lafico a de nouveau acquis 2,27 % du capital de Fiat; en 2011 selon certains calculs la valeur des participations détenues par la Libye en Italie s’élevaient à 3,6 milliards d’euros. Après la chute du régime de Mouammar Kadhafi, de multiples démarches ont été entamées par les autorités qui prenaient la succession, pour récupérer les fortunes dispersées un peu partout [96]. Selon les recensements, au moins 100 milliards d’euros étaient placés en obligations et en actions réparties en participations dans des entreprises importantes comme France Télécom, Alstom, EDF, Vivendi, Danone, Dassault, EADS, la multinationale Yara (l’État norvégien détient 36 % du capital), plus gros producteur mondial de fertilisants, et plusieurs autres dans les secteurs du pétrole et du gaz, dans les télécommunications (15 % de Retelit, une compagnie italienne de télécommunications), dans les infrastructures de développement, dans l’industrie aéronautique comme le groupe d’aéronautique et de défense Finmeccanica contrôlé par l’État italien, dans l’industrie automobile (2 % de Fiat Chrysler Automobiles par exemple) dans plusieurs médias (Financial Times, ou Quinta Communications, une société de production de films basée à Paris, par exemple), dans la maison d’édition Pearson (3 % du capital), dans la grande distribution, le textile (22 % de la compagnie de textile Olcese par exemple), dans les secteurs de l’énergie (entre 0,5 % et 2 % du groupe pétrolier ENI, et dans le groupe Total) et du BTP, dans le sport (7,5 % du club de football de la Juventus de Turin) ou encore dans des banques comme British Arab commercial Bank (83,5 % du capital), une banque de détail londonienne, ou UniCredit qui est la première banque italienne (7,5 % du capital), ou dans un fonds commun d’investissement avec la banque italienne Mediobanca destiné à investir dans des entreprises italiennes en difficulté.

Il n’en découle pas que la Libye serait un pays impérialiste ‑ simplement, afin de rentabiliser ses revenus, le régime s’est fait complice des grands groupes à capital multinational.

Qu’est‑ce qu’un pays impérialiste?

Le fond de la question

Lénine, juste avant le passage cité au début du présent texte, énonce "aussi brièvement que possible" ce qu’est l’impérialisme, à savoir "le stade monopoliste du capitalisme". C’est pour préciser cette formulation succincte, qu’il écrit : "Aussi […] devons‑nous donner de l’impérialisme une définition englobant les cinq caractères fondamentaux suivants" [97], puis la suite. Il est donc question de l’impérialisme comme système, lequel englobe toutes les régions du monde entrées en contact avec les rapports de production capitalistes. Il serait erroné de transposer cette caractérisation au niveau des pays pris séparément, et de désigner comme pays impérialistes ceux dont l’économie est gouvernée par des groupes monopolistiques constitués dans le cadre même des pays en question.

Certes, Lénine analyse la constellation de pays telle qu’elle se présentait à l’époque, et qui, concrètement, oppose deux types de pays : ceux où se sont constitués les groupes monopolistiques dont la naissance a fait passer le capitalisme à son stade impérialiste, et ceux où les rapports de production capitalistes n’ont pas localement atteint le même degré de développement. Les premiers sont les pays impérialistes qui exercent leur domination sur les autres, à savoir sur les colonies ainsi que sur les "pays dépendants qui, nominalement, jouissent de l’indépendance politique, mais qui, en réalité, sont pris dans les filets d’une dépendance financière et diplomatique" [98]. Parmi les pays impérialistes, il distingue les grandes puissances (Angleterre, Russie, France, Allemagne, USA, Japon) d’une part, et de l’autre les petits États possédant des colonies de faible étendue (Belgique, Hollande, etc.). Ces colonies "sont, pourrait‑on dire, le prochain objectif d’un “nouveau partage” possible et probable des colonies. La plupart de ces petits États ne conservent leurs colonies que grâce aux oppositions d’intérêts, aux frictions, etc., entre les grandes puissances, qui empêchent celles‑ci de se mettre d’accord sur le partage du butin [99]."

La dissolution des empires coloniaux ainsi que l’élévation du degré de développement économique des pays dépendants (Lénine mentionne l’Argentine) et aussi dans une certaine mesure des ex‑colonies (par exemple l’Inde), a conduit à ce que l’existence de groupes monopolistiques et l’exportation de capitaux s’est répandue au‑delà du périmètre de ces pays qui à l’origine constituaient la base de l’impérialisme. Or les autres pays ne sont pas pour autant sortis par là‑même de leur situation de pays dominés cible de l’exportation de capitaux de la part des pays impérialistes dominants. Certes, dans ces pays la structure des rapports de production et des rapports sociaux, la composition de la société en termes de classe, ont été forment modifiées. La lutte de classe ayant pour objectif la révolution prolétarienne et la construction du socialisme, doit se déployer dans des conditions concrètes qui diffèrent de celles existantes durant les périodes précédentes. En particulier la distinction entre révolution démocratique bourgeoisie et révolution prolétarienne a perdu largement sa pertinence. Mais la position de ces pays dans les chaines d’interconnexion au sein du système impérialiste mondial garde des caractéristiques propres, lesquelles impliquent que ces pays ne peuvent nullement être assimilés aux pays impérialistes dominants.

L’interconnexion des flux de capitaux

Les exemples présentés plus haut visent à mettre en lumière le fait que pour un pays donné, les éléments de la réalité doivent être analysés non pas isolément, mais dans leur interconnexion d’ensemble. Un constat superficiel peut se contenter de voir une relation entre l’existence de groupes monopolistiques dans un pays et les flux d’exportation de capitaux à partir de ce pays. Mais les flux sortants de capitaux vont de pair avec des flux entrants, et les capitaux des groupes monopolistiques sont d’origines variées, domestiques et extérieurs.

Les pays présentés à titre d’exemples fournissent quelques faits instructifs.

Le "melting pot" des capitaux

En reprenant les indications figurant plus haut, voici un résumé de quelques aspects concernant la composition en termes de capitaux, des groupes monopolistiques, pour le Brésil.

Petrobras. 35,6 % du capital total sont détenus par des actionnaires étrangers.

Vale. La société japonaise détient Mitsui 5,59 % du capital total. La part du capital flottant non‑brésilien s’élève à 46,97 % du capital total. Vale est inscrit en bourse à São Paulo, Buenos Aires, Mexico, New York, Madrid, Paris, Berlin, Stuttgart, Francfort, Munich, Hambourg.

CSN. Le capital consiste uniquement en actions avec droit de vote, 21,88 % sont négociées en bourse à New York.

Bradesco. La part du capital total négociée en bourse est de 62,00 %. Bradesco est inscrit en bourse à São Paulo, Buenos Aires, Mexico, New York, Madrid, Stuttgart, Francfort.

Gerdau : Des investisseurs institutionnels étrangers détiennent 11,57 % du capital total de Gerdau SA. Aux côtés des investisseurs stables, le capital flottant constitue 39,11 % du capital total. Gerdau S.A. est inscrit en bourse à São Paulo, Mexico, New York, Madrid, Stuttgart, Francfort.

Oi : La participation du groupe portugais Pharol descend en dessous de 5 % en 2018, les principaux actionnaires étant Golden Tree Asset Management Lp (domicilié aux USA) avec 15,78 %, York Global Finance BDH, Llc (domicilié aux USA) avec 11,45 %. Environ 50 % du capital est flottant. Oi est inscrit en bourse à Sao Paolo, Mexico, New York, Berlin

Pharol : Les deux principaux actionnaires sont Adar Macro Fund Ltd (fonds d’investissement domicilié aux Iles Cayman, créé par un Israélien) avec 10,29 % du capital total, ainsi que Telemar Norte Leste S.A. (c’est‑à‑dire Oi) avec 10,00 % du capital total. Géographiquement le capital total est réparti comme suit : Europe 78 %, USA et Canada 11 %, Brésil 10%. Il s’agit de capital flottant à environ 60 %. Pharol est inscrit en bourse à Londres, Stuttgart, Berlin, Munich, Lisbonne.

L’"ascenseur social"

Le cas du groupe Santo Domingo en Colombie est révélateur en ce qui concerne la dynamique dans le temps des processus d’accumulation tels qu’ils peuvent se déployer dans le cadre de la hiérarchie imposée par le système impérialiste mondial. Le groupe s’est développé initialement en dehors d’une influence directe de capitaux extérieurs. Mais à mesure que l’imbrication avec le capitalisme impérialiste international s’est approfondie, le groupe s’est converti en élément de la chaine impérialiste, et finalement les détenteurs des capitaux se sont hissés au niveau supérieur, extraterritorial, de la chaine.

Les velléités ne font pas la réalité

Les éléments d’information présentés pour le Brésil font ressortir l’importance de l’intervention de l’État. Le pays a traversé une période durant laquelle a été mise en oeuvre une politique économique dite de "industrialisation par substitution aux importations". Elle consistait à développer des forces productives de façon ciblée, dans le but de réduire la dépendance vis‑à‑vis des importations de biens. En bonne partie, cet effort s’exerçait sur la base d’un secteur d’entreprises d’État. Puis le contexte a changé, le dirigisme a été remplacé par l’ouverture, ce qui impliquait la concurrence de la part des grands groupes internationaux. La réaction d’un certain nombre de capitalistes dans le pays a été de tenter de prendre les devants, et de s’internationaliser eux‑mêmes avant l’arrivée des étrangers. L’État a adapté ses interventions en ce sens.

Dans certains cas, le résultat a été désastreux. JBS en est l’exemplification extrême : un groupe privé, brésilien à l’origine, qui se développé en dehors des étapes de nationalisation/privatisation, mais considérablement subventionné par l’État dans un contexte de corruption et de fraudes juridiques.

JBS fournit d’ailleurs un exemple de la façon dont les médias introduisent des déformations ‑ bienveillantes ou malveillantes selon les cas ‑ de la réalité, dont il faut se méfier. En 2011 le magazine Forbes consacre un article à JBS sous le titre "L’histoire derrière le plus grand producteur mondial de viande" [100]. Selon l’article JBS "est responsable de 22 % de l’approvisionnement en boeuf aux USA." On pourrait être tenté d’extrapoler que JBS assure l’approvisionnement du monde entier à un niveau de même envergure, ce qui serait effectivement impressionnant. Or la phrase suivante indique que "environ 70 % de son revenu [de JBS] provient de son activité aux USA." Ce qui signifie que, raisonnant grossièrement, JBS fournit au reste du monde hors USA, l’équivalent de 9,5 % des importations de boeuf aux USA. Bref, c’est quand même pas la faillite de JBS qui risquerait de condamner l’humanité à la famine.

Le cas de Oi est particulièrement significatif sous un certain angle, dans la mesure où il est jalonné par des tractations entre gouvernements (Brésil et Portugal).

Voici comment un observateur dresse en 2016 le bilan des mésaventures de Oi [101] :

Alors que ses actionnaires tenant la majorité de contrôle bénéficiaient de dividendes et d’une série d’activités douteuses, la société a accumulé des dettes de 64 milliards de reales, arrivait à une valorisation en Bourse inférieure à un milliard, a aujourd’hui une structure surdimensionnée et, fondamentalement, n’arrive pas à investir.

En 2014, alors que le groupe América Móvil (Embratel+Claro+NET) investissait environ 13 milliards de reales pour son activité au Brésil, la Oi, qui possède une infrastructure beaucoup plus grande, a investi des misérables 1,08 milliards de reales.

La Turquie pays non impérialiste

Exportation de capitaux

En ce qui concerne l’articulation entre les flux de capitaux au niveau mondial, le caractère prédominant des stocks de capitaux détenus à partir de l’extérieur est prononcé, comme le montre le tableau ci‑dessous.

 

 

Turquie

 

Stocks de capitaux, en millions de dollars US

 

détenus à partir
de l’extérieur

détenus
à l’extérieur

 

2011

2012

2011

2012

Monde

130.912

181.245

23.897

27.190

UE hors GB

89.131

118.479

12.251

14.334

Pays-Bas

25.372

35.802

7.452

9.307

Autriche

12.358

15.995

546

167

Allemagne

11.384

15.961

935

759

Grande-Bretagne

9.133

12.876

282

274

Espagne

6.640

11.415

24

24

Luxembourg

6.200

9.408

809

860

France

6.374

8.858

28

18

USA

7.961

8.634

1.599

1.746

Russie, Féd.

3.207

8.587

558

426

Émirats arabes unis

7.233

7.749

32

39

Suisse

2.782

6.176

386

406

Finlande

4.333

5.880

1

1

Italie

2.948

4.643

10

16

Grèce

4.419

4.201

20

47

Panama

1.977

2.245

270

270

Belgique

6.316

2.216

202

206

Irlande

1.549

2.170

732

759

Arabie saoudite

1.123

1.902

26

26

Japon

1.205

1.586

Corée, Rép.

847

1.258

2

2

Malaisie

382

1.013

165

299

 

Pour la globalité des stocks, le rapport entre ceux détenus à partir de l’extérieur et ceux détenus à l’extérieur, est de 6,67 (pour 2011). Comme mentionné par ailleurs, les Pays‑Bas figurent parmi les pays qui, pour une partie des capitaux recensés, peuvent jouer un rôle de relais. Dans les cas des données prises comme référence ici, c’est le seul pays pour lequel cette ambigüité atteint un ordre de grandeur significatif. Abstraitement on peut imaginer que la totalité du stock de capitaux détenus par la Turquie aux Pays‑Bas revient en fait en Turquie, et que seule la différence correspond effectivement à un stock net détenu en Turquie à partir de l’extérieur. Mais une telle hypothèse ne ferait qu’accentuer encore la prédominance prononcée des stocks détenus dans le pays à partir de l’extérieur, puisqu’elle signifierait que le stock de capitaux détenus aux Pays‑Bas à partir de la Turquie est égal à 0, tandis que néanmoins le stock de capitaux détenus par les Pays‑Bas en Turquie serait supérieur à 0 (25.372 ‑ 7.452).

Compte tenu des récents évènements en Syrie, il est utile d’analyser le cas de la Turquie plus en détail. Les montants des stocks de capitaux détenus à partir de l’extérieur sont élevés notamment pour les pays impérialistes européens : Allemagne, Grande‑Bretagne, Espagne, France. Mais le montant pour la France est de même ordre de grandeur que pour les USA, et ‑ ce qu’il est intéressant de noter ‑ également pour la Fédération de Russie. Concernant cette dernière, le rapport entre les stocks détenus à partir de l’extérieur et ceux détenus à l’extérieur est de de 20,16 (à comparer à la valeur de 6,67 pour la globalité des stocks, indiqué ci‑dessus), c’est‑à‑dire le poids des investissements russes en Turquie est non seulement relativement élevé en termes absolus, mais va en sens unilatéral.

Si l’on cherche les cas de relations orientées dans le sens de l’exportation de capitaux turcs vers l’extérieur, on les trouve dans certaines régions de voisinage : Europe de l’Est/Sud‑Est, Asie centrale, présentées dans le tableau ci‑dessous à gauche. On peut indiquer aussi quelques données concernant les régions, également de voisinage, de l’Asie de l’Ouest et du Sud, que montre le tableau à droite. Dans cette dernière région, l’orientation prédominant va dans le sens des capitaux en Turquie détenus à partir de l’extérieur, à l’exception de l’Iraq et du Pakistan.

 

 

 

Turquie

 

Stocks de capitaux, en millions de dollars US

 

détenus à partir
de l’extérieur

détenus
à l’extérieur

 

2011

2012

2011

2012

Europe
de l’Est/Sud-Est

 

 

 

 

Bosnie-Herzég.

1

257 [188]

222 [197]

Roumanie

5 [8]

8 [9]

244 [804]

144 [487]

Macédoine

110 [152]

82 [192]

Bulgarie

— [80]

— [83]

75 [331]

57 [402]

Hongrie

14 [79]

15 [68]

20 [7]

27 [7]

Croatie

— [4]

— [4]

9 [15]

22 [166]

Monténégro

18 [16]

18 [23]

Slovaquie

— [36]

— [168]

8 [12]

8 [3]

Lettonie

3 [-1]

4 [1]

Estonie

— [3]

— [3]

— [4]

2 [5]

Serbie

29

44

1 [6]

1 [6]

Asie centrale

 

 

 

 

Azerbaïdjan

1.638
[2 937]

2.140
[3 355]

4.752
[1 710]

5.051
[1 933]

Kazakhstan

169 [579]

363 [395]

626 [462]

646 [549]

Ouzbékistan

101

112

Géorgie

8

13

344 [812]

111 [—]

 

 

 

 

Turquie

 

Stocks de capitaux, en millions de dollars US

 

détenus à partir
de l’extérieur

détenus
à l’extérieur

 

2011

2012

2011

2012

Asie de l’Ouest

 

 

 

 

Bahreïn

556

985

– 392

175

Iraq

6

28

82

161

Syrie

1

5

9

8

Jordan

87

131

2

4

Oman

3

4

Qatar

59

74

2

1

Kuwait

814

1.874

Lebanon

185

727

Asie du Sud

 

 

 

 

Iran

197

375

223

224

Pakistan

27

39

28

137

Libye

139

226

176

7

 

(Les données entre crochets "[ ]" proviennent non pas des sources fournies par la Turquie, mais de celles fournies par les pays indiqués pour les lignes respectives. Elles sont mentionnées pour compléter le tableau, et on voit ici le problème de l’incohérence des données selon les sources.)

 

 

Au sujet de l’Azerbaïdjan, il faut noter que, sur la base d’un accord conclu avec les USA en 2005, des bases militaires US ont été établies dans ce pays, et qu’il coopère étroitement avec l’OTAN.

Quelques groupes monopolistiques

Pour la Turquie, un des principaux groupes monopolistiques est le groupe Koç. Pour cerner le degré auquel l’existence d’un tel groupe serait susceptible d’impliquer un caractère impérialiste pour la Turquie, on peut d’abord effectuer une comparaison purement formelle. Le montant du stock de capitaux détenus en Turquie à partir de l’extérieur, en 2012, est de 181 milliards de dollars US. Selon la capitalisation boursière, la société holding du groupe, Koç Holding Market, vaut environ 9 milliards de dollars US. À première vue, on pourrait déduire qu’ainsi l’importance comparée de Koç équivaut à 5 % du stock de capitaux de 181 milliards, ce qui de toute façon est assez limité. Prenant un autre exemple de ce genre de calcul, celui des USA comme pays et de Boeing comme groupe, on obtient les données suivantes. Montant du stock de capitaux détenus aux USA à partir de l’extérieur, en 2012 : 2.651 milliards de dollars US; capitalisation boursière de Boeing : 52 milliards de dollars US, ce qui correspond à 19 % du stock de capitaux. Et pour que ce genre de calcul revête plus de signification, il faudrait prendre en compte non pas un seul groupe, mais plutôt l’ensemble des grands groupes considérés comme prépondérants pour chacun des pays qu’on met en rapport. L’écart entre la Turquie et les USA serait autrement plus saillant.

Ensuite, comme il a été examiné plus haut au sujet du Brésil, il faut tenir compte d’un autre facteur qui peut relativiser l’importance de tels groupes, en rapport avec la question du caractère impérialiste du pays concerné, à savoir la composition de l’actionnariat. Certes, à l’origine du groupe Koç se trouve une société établie par Vehbi Koç, et tout au long de l’extension du groupe par la multiplication de filiales et la création de sociétés financières, la famille a gardé le contrôle de l’ensemble. Mais autant au niveau du holding central que celui des différentes filiales, la part des capitaux étrangers est considérable.

Outre le groupe Koç, on peut, en se référant aux classements établis par la revue Forbes, retenir les exemples de deux autres groupes : Enka, Sabanci.

Le groupe Enka (Enka Insaat ve Sanayi A.S.) comprend des activités dans les domaines de la construction, de l’énergie, de la fabrication, du commerce et de la location. Cela inclut : centrales énergétiques, installations dans les secteurs du pétrole, du gaz et des substances chimiques, sites industrielles, routes, ponts, tunnels, immeubles de bureaux, centres commerciaux [102]. La capitalisation boursière du groupe s’élève à environ 5,2 milliards de dollars US actuellement (2018). Il est le plus grand producteur d’énergie électrique de la Turquie. Dans le domaine de la construction, il est engagé principalement dans des projets en Géorgie, Turkménistan, Kazakhstan, Irak, Kosovo. En dehors de la Turquie, il comprend une filiale en Chine, et une à Moscou (où il dispose de 650.000 mètres carrés de surface d’immeubles de bureaux et de centres commerciaux destinés à la location).

Le groupe Sabanci (Hacı Ömer Sabancı Holding A.Ş.) comprend des activités dans les domaines de la banque et l’assurance (plus de 60 % du chiffre d’affaires), l’énergie, le ciment, la distribution et l’industrie [103]. La quasi‑totalité du chiffre d’affaires provient de l’intérieur de la Turquie. La famille Sabanci détient 53,9 % de la société holding, 42,8 % constituent du capital négocié en Bourse.

Expansionnisme

Partant de l’affirmation que, du point de vue des critères économiques des groupes monopolistiques et de l’exportation de capitaux, la Turquie n’est pas un pays impérialiste, est‑ce que sa puissance militaire et sa politique expansionniste vis‑à‑vis de la Syrie peuvent d’un point de vue global conduire à la conclusion contraire?

En Irak, la Turquie avaient établi des relations économiques avec la Région autonome du Kurdistan instaurée en 2005 [104]. Le Gouvernement régional du Kurdistan d’Irak (GRK) annonce détenir des réserves de pétrole de l’ordre de 45 milliards de barils (30 % des réserves irakiennes) et de 4.000 à 7.000 Md de m3 de gaz. Le Kurdistan irakien s’est aussi positionné comme carrefour commercial entre l’Europe et la Turquie d’une part, et l’Irak et l’Iran d’autre part. La Turquie a depuis longtemps cherché à contrer l’influence de l’Iran en Irak. Massoud Barzani, président de la région kurde jusqu’en octobre 2017, a été l’allié le plus important de la Turquie en Irak. La région est montée à la troisième place comme marché d’exportations de la part de la Turquie. Par ailleurs le transport du pétrole et du gaz vers la Méditerranée passent par un oléoduc qui part de Kirkuk et traverse ensuite la Turquie. Cette dernière touche des commissions pour le transit.

Voici un résumé succinct pour comprendre la situation en matière d’extraction et transport du pétrole [105]. En Irak se trouvent deux ensembles de champs : d’une part le pétrole du nord représente environ 21 % de la production totale en 2014 et est exporté moyennant un oléoduc traversant la Turquie vers la Méditerranée; d’autre part le pétrole du centre et du sud représente les autres 79 % et l’exportation se fait par bateaux à partir du port de Basrah. Le pétrole du nord a été transporté à l’origine à travers un oléoduc passant par la Syrie, lequel a été abandonné en 1982. En 1977 a été construit l’oléoduc Kirkuk-Ceyhan rejoignant la Turquie au poste de frontière de Faysh Khabur puis passant par la Turquie jusqu’à Ceyhan au bord de la Méditerranée. Il était opérationnel jusqu’en 1990, mais par la suite les conflits dans la région entravaient fortement son utilisation; la section irakienne se trouvait hors service. En 2013 le GRK construisit un oléoduc partant des champs de Kirkuk, à Khurmala, vers la frontière turque où il est relié à la section turque de l’oléoduc d’origine. En 2014, au moment de l’apparition de Daesh en Irak, le GRK consolida son contrôle sur tous les principaux champs pétroliers.

Mais compte tenu de la situation créée suite au référendum qui s’est déroulé en septembre 2017 et à la réaction consécutive du gouvernement irakien, le contexte a considérablement changé. Les mesures économiques imposées par le gouvernement central entrainent le risque d’un effondrement de l’économie kurde et par là menacent aussi les intérêts de la Turquie. Celle‑ci fournit des marchandises de consommation en passant par le biais de commerçants basés dans la région kurde, et le GRK a une dette de plusieurs milliards de dollars à l’égard de la Turquie. Or, le GRK est en manque de fonds, ne serait‑ce que pour payer ses propres fonctionnaires. Pour s’adapter, la Turquie tente d’offrir ses services de médiation entre les Kurdes et le gouvernement irakien. Des responsables en matière de pétrole du gouvernement central accusent les autorités kurdes de ne pas répondre à la demande faite par le ministre du pétrole, de reprendre l’utilisation de l’oléoduc kurde pour l’exportation du pétrole de Kirkuk. La Turquie s’est engagé qu’elle traitera l’export de pétrole uniquement avec l’agence étatique chargée de la commercialisation du pétrole irakien, la SOMO (State Oil Marketing Organization).

Dans ce contexte, comme mentionné plus haut, le groupe Enka est engagé en Irak, en tant qu’acteur dans le domaine de la construction.

Il ne semble pas que, même combinée avec ces éléments d’ordre économique, la politique expansionniste de la Turquie vis‑à‑vis de la Syrie puisse être interprétée de façon à attribuer à ce pays un caractère impérialiste.


 



[1]. V. I. Lénine, "L’impérialisme, stade suprême du capitalisme" (1916); Œuvres, t. 22; Paris, Éditions Sociales, 1960; p. 287.

[2]. V. I. Lénine, "La révolution socialiste et le droit des nations à disposer d’elles-mêmes" (1916); Œuvres, t. 22; Paris, Éditions Sociales, 1960; p. 163.

[3]"Vladimir Putin requested the Government to develop the privatization program of Rosneftegaz assets", 24/5/2012.
(http://www.arctic-info.ru/en/news/ekonomika/vladimir_putin_requested_the_government_to_develop_the_privatization_program_of_rosneftegaz_assets/)

[4]. "De Rosneft à Gazprom, la Russie compte sur l’énergie", 25/10/2012.
(https://ww