Bulletin International – Présentation des documents
N° 51-52, mars-avril 1982
Ce que l’on appelle le «réformisme» a une très longue histoire, que cela soit en France ou dans d’autres pays, notamment l’Allemagne. Ses premiers théoriciens étaient contemporains de l’époque 1830 – 1848, celle qui vit les jeunes Marx et Engels – âgés respectivement de 29 ans et 27 ans, écrire le Manifeste. Aux mêmes phénomènes économiques, développement du capitalisme, de la bourgeoisie et du prolétariat, les réponses apportées étaient déjà antagonique. Près de 150 ans après, dans de conditions certes différentes, le réformisme tend toujours à se présenter comme l’alternative à la domination trop évidente du capitalisme. Il ne s’agit bien évidemment que d’un aménagement du capitalisme au sein du système capitaliste.
Ce retour périodique – cyclique – du réformisme est lié aux propres crises du système capitaliste au niveau mondial et de différents pays. Et aux traditions réformistes de ces différents pays. Quand se conjuguent la tendance d’une fraction de la bourgeoisie à faire appel au réformisme et l’engouement de couches sociales pour un changement pacifique, les conditions peuvent être remplies pour l’arrivée au gouvernement ou au sommet de l’État bourgeois d’une équipe réformiste. De façon bien sûr très schématisée c’est un peu ce qui s’est passé il y a un an avec l’élection de Mitterrand à la présidence de la République et la victoire électorale du Parti socialiste français. On n’abordera pas ici les résultats de cette année écoulée: la partie la plus importante en demeure encore cachée, ce sont les éventuelles transformations de l’économie française dans ce qu’elle a de dissociable de l’économie capitaliste mondiale. La mise en place des réformes s’achève à peine et ce bilan-là serait prématuré. Il ne pourrait s’appuyer sur aucunes données réelles.
Les textes publiés ci-après ont un tout autre objet, celui de rattacher l’expérience conduite en France à l’histoire du réformisme. Une démarche mécaniste consisterait à n’envisager cette histoire que du point de vue français et à tracer une ligne droite allant de J. Jaurès à F. Mitterrand en passant par L. Blum, président du Conseil socialiste en 1936 lors du Front populaire et de nouveau au gouvernement après 1944. Ce serait oublier que le réformisme est un courant mondial qui, de plus, charrie des conceptions très diverses identifiées aujourd’hui autant à des partis socialistes qu’à des partis se proclamant encore communistes. La récente visite à Paris du premier secrétaire du PC italien confirme les convergences que nous avions déjà soulignées. Ce serait surtout faire une impasse sur les véritables théoriciens du réformisme, apparus justement dans les pays capitalistes en crise grave où la bourgeoisie avait de réels problèmes pour assurer la continuité de sa domination. Avant la Seconde Guerre mondiale il s’agit avant tout de la Belgique, de l’Autriche, de l’Allemagne: la crise n’atteignant la France que tardivement. Que l’échec des réformistes ait conduit la bourgeoisie, échec lié à la peur de l’URSS et de la IIIe Internationale, à sacrifier son bras gauche au profit de son bras droit – le fascisme, le nazisme – ne change pas le fond du problème. En dernier lieu se limiter à la France serait escamoter une question primordiale: celle des conséquences du développement du révisionnisme moderne sur le renouveau du réformisme, de ses thèses, de son influence, de son audience. Passer de Jaurès, Blum à Mitterrand serait escamoter la transformation qui s’est opérée entre la SFIO et le PS qui, de fait, réunit aujourd’hui différents courants réformistes opposés les uns aux autres et ayant des bases sociales différentes.
Le réformisme du PS en 1982 (il serait plus exact de dire «les réformismes») ne peut être envisagé comme un développement de celui de Jaurès et de Blum, ni comme la reprise des thèses des théoriciens du réformisme, qu’il s’agisse d’Hilferding, de Bauer, d’Adler, d’Henri de Man, etc. Il y a adaptation de ces thèses, de certaines d’entre elles, au développement actuel de l’impérialisme français, au néo-colonialisme, à la situation de l’économie mondiale capitaliste, etc. Mais elles constituant un héritage commun du réformisme en tant que phénomène mondial. Et la crise actuelle du capitalisme, même si elle n’est pas identique à telle ou telle crise du passé, produit des effets semblables: quand il ne s’agirait par exemple que du chômage. Et face à ces effets – dans 1e cadre du système capitaliste – l’imagination réformiste n’est pas infinie. Elle se heurte même très vite aux limites tolérables par le capitalisme. C’est ainsi que les réformistes sont amenés à mettre en avant de vieux remèdes ayant fait la preuve de leur inefficacité, par exemple la réduction du temps de travail.
Il serait cependant erroné de ne limiter le projet réformiste qu’à la reconduction telle quelle du système capitaliste. Du moins les deux tendances co-existent. Les textes qui suivent mettent ainsi l’accent sur la question de l’État et des réformes de structures.
Le Bl publiera d’autres documents dans son prochain numéro, de la même période 1930-1934. Il faut souligner que la valeur de ces textes est inégale.
N° 53-54, mai-juin 1982
Comme «documents» ce numéro du BI comporte trois textes qui complètent le dossier présenté dans le dernier numéro et qui concernent les bases des thèses réformistes, qu’il s’agisse du Plan de la CGT de Jouhaux et de la SFIO ou du Plan du socialiste belge de Man. D’un point de vue marxiste-léniniste l’étude sérieuse de la social-démocratie tant du point de vue international que national n’a jamais été entreprise. Ces «documents» ne peuvent donc constituer que des pistes de travail. Un point doit être soulevé, celui de la persistance de la critique de la social-démocratie par des membres du PCF au début de l’année 1935 alors que la «grande idée» du Front populaire (étendu il faut le rappeler jusqu’à un parti de la bourgeoisie, le parti radical) a été lancée depuis octobre 1934 par Thorez. S’agit-il simplement de proposer un programme «moins avancé» que celui de la SFIO, ou bien est-ce le reflet de divergences au sein du PCF concernant la ligne mise en avant au Conseil national de juin 1934? Dans ce dernier cas, à l’occasion de la dénonciation du programme de la SFIO, ce pourrait être l’occasion de de réaffirmer certaines thèses correctes. On peut aussi analyser ces textes comme la mise en avant de ces thèses – mais ayant valeur à long terme – pour justifier l’immobilisme à court terme. On peut toujours parler de la dictature du prolétariat, de la nécessité de la lutte armée pour renverser la bourgeoisie tout en se justifiant de ne rien faire parce que les conditions ne sont pas mûres ou que d’autres tâches sont principales. Dans ce dernier cas, effectivement, les conditions ne seront jamais mûres parce qu’elles n’auront jamais été préparées.