Quelques éléments concernant la situation actuelle
du mouvement ouvrier en Palestine

Dans notre texte "Le peuple palestinien réaffirme son refus tenace de l’occupation coloniale sioniste"[1] nous constatons, en référence à un document du 2e Congrès de l’IC tenu en 1920 : "La tâche de la formation d’un parti communiste qui “organise les ouvriers et les paysans et les conduit à la révolution” a sans doute été entreprise à l’époque de l’Internationale communiste, mais actuellement l’état de fait est tel qu’il faut recommencer de zéro."

En Palestine, existent actuellement deux partis intitulés "communistes", issus du processus historique qu’a parcouru le mouvement communiste en Palestine. Et le mouvement syndical est fortement dominé par une association entre le syndicat sioniste israélien – la Histadrouth – ainsi que la Fédération générale palestinienne des syndicats (PGFTU selon les initiales en anglais), celle-ci étant liée à l’Autorité palestinienne, laquelle coopère étroitement avec l’État sioniste.

Résumé de la trajectoire des organisations communistes

En juillet 1923 est constitué officiellement le Parti communiste palestinien (PCP) et ses dirigeants déclarent accepter les conditions d’adhésion à l’Internationale communiste. En décembre 1930 est décidée une modification de la composition du Comité central qui, pour la première fois, comprend une majorité de membres arabes. Ultérieurement, est créée au sein du Parti une structure particulière appelée "Section juive". Puis, celle-ci est dissoute en décembre 1939, ce qui contribue à accentuer au sein du Parti le clivage entre les composantes arabe et juive. Les communistes arabes décident par la suite de se séparer du PCP et créent en février 1944 une nouvelle organisation arabe appelée Ligue de libération nationale en Palestine (LLNP); ainsi le PCP est réduit à ses membres juifs.

En octobre 1948, les membres de la LLNP qui ont pu rester dans les régions du nouvel État d’Israël se joignent aux communistes juifs au sein du Parti communiste israélien (Maki, acronyme de HaMiflaga HaKomunistit HaYisraelit). En 1951 à la suite de l’annexion de la Cisjordanie par la Jordanie, est créé le Parti communiste jordanien (PCJ), qui rassemble les membres de la LLNP présents en Cisjordanie ainsi qu’un certain nombre de marxistes jordaniens. En 1953 un groupe dénommé Parti communiste palestinien de Gaza (PCPG) est organisé dans cette zone qui à l’époque se trouve sous contrôle égyptien.

En 1965 se produit une scission du Maki : les membres arabes et une minorité des membres juifs forment une organisation dénommée Rakah (acronyme pour Reshima Komunistit Hadasha, "Nouvelle liste communiste"); le Maki comprend désormais uniquement des membres juifs. Le Rakah constitue un groupe parlementaire "Rakah et Non-Partisans" qui s’élargit en 1977 sous la désignation "Hadash". Par la suite, au fil des échéances électorales, sont formées autour du Hadash diverses alliances passagères.

En 1975 le PCJ crée l’Organisation communiste palestinienne en Cisjordanie (OCPCJ), puis en 1980 une Organisation communiste palestinienne au Liban composée de membres du PCJ dans ce pays. En 1980 également l’OCPCJ étend son activité à Gaza. Il prend le contrôle du Comité central du PCJ et exige alors la création d’un Parti communiste palestinien indépendant. En 1982 le nouveau Parti communiste palestinien (PCP) ést effectivement créé, l’année suivante il absorbe le PCP existant dans la bande de Gaza.

Au cours des années 1980 le Maki décline et cesse son activité. En 1989, le Rakah reprend l’appellation abandonnée Maki mais en pratique n’apparait que sous le nom de Hadash.

Quant au PCP, il est rebaptisé Parti du peuple palestinien après la dissolution de l’URSS en 1991. Une faction a rejeté ces changements et continue à opérer sous le nom du Parti communiste palestinien.

Le terrain de l’activité syndicale

Dans le domaine de la défense des intérêts matériels des travailleurs palestiniens existent de nombreuses organisations syndicales, tandis que du côté de l’État d’Israël, c’est la Histadrouth qui prédomine. Ci-après figurent quelques éléments concernant cette dernière ainsi que la PGFTU.

Histadrouth

Pour un aperçu général :
"La Histadrouth : une organisation hostile aux travailleurs et au peuple palestiniens" 

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Le 26 octobre, la Histadrouth publie un enregistrement vidéo par lequel sa directrice des relations internationales, Avital Shapira, parle (en anglais) "de la situation en Israël, du terrorisme du Hamas et de la position de l’Histadrouth sur la voie à suivre"[2].

Voici la traduction :

Chers soeurs et frères

Je m’appelle Avital Shapira. Je suis la directrice des relations internationales de la Histadrouth.

Depuis samedi 7 octobre nous nous sommes réveillés dans un cauchemar du fait que nos familles, enfants, survivants de l’Holocauste, handicapés, et autres proches, ont été kidnappés à leur domicile, étouffés et brulés vifs. Des familles entières. Des communautés entières.

Je veux souligner : la guerre qui a lieu n’est pas contre les Palestiniens. C’est le moment pour nous de lutter afin de vaincre sans équivoque l’extrémisme religieux du Hamas qui a apporté tant de douleur et de souffrance aux deux peuples, israélien et palestinien.

Ce que nous avons vécu n’est ni plus ni moins que l’idéologie et les actes de l’État Islamique en Irak et en Syrie!

Nous, qui soutenons les valeurs libérales et agissons pour les droits des travailleurs et de l’homme nous ne pouvons pas rester inactifs devant les atrocités qui se produisent et les horribles mensonges propagés par le Hamas et ses mandataires, dont le seul objectif est d’éliminer le peuple juif à la manière nazie.

Depuis que le Hamas a pris le contrôle de la bande de Gaza en 2007, il a continuellement violé les droits des travailleurs palestiniens, des communautés LGBTQ, des minorités, des femmes, et bien plus encore. L’idéologie religieuse extrémiste légitime des violations quotidiennes des droits de l’homme contre leur propre peuple.

Vous et moi ne pouvons pas l’accepter!

Comme toutes les nations du monde, Israël a en effet le droit de se défendre, a le devoir de protéger ses citoyens! Nous ne pouvons pas permettre que le massacre que nous avons vécu se reproduise. C’est pourquoi nous devons mettre un terme à la terreur du Hamas.

Ce n’est pas seulement l’histoire d’Israël. C’est l’histoire de tous ceux qui chérissent la vie et la liberté. Même ‑ et peut-être surtout ‑ dans ces pires moments, dans les moments les plus difficiles, il est essentiel de se tourner vers un horizon à long terme.

La Histadrouth et le mouvement ouvrier d’Israël sont déterminés à trouver une solution qui apportera la paix à notre région, et à poursuivre nos relations de longue date avec la PGFTU visant à protéger les droits des travailleurs palestiniens employés en Israël.

Ce n’est qu’ensemble que nous surmonterons le mal pur et créerons le dénominateur commun et la confiance nécessaire entre nous et les Palestiniens, ce qui apportera lumière, paix et espoir.

Au niveau international, la Confédération syndicale allemande (Deutscher Gewerkschaftsbund – DGB) assume une position de solidarité avec l’État sioniste particulièrement prononcée.

En mars dernier, le secrétariat de la jeunesse du DGB s’est réuni pour la première fois hors d’Allemagne. De manière symbolique, la réunion a eu lieu à Tel-Aviv, au siège de la Histadrouth. Le DGB Jeunesse a fait une déclaration commune "pour être solidaire de ses collègues de la Histadrouth lorsqu’il est nécessaire de protéger cet État démocratique, régi par le droit, contre ses ennemis"[3].

Et le 10 octobre, le comité directeur du DGB adresse à la Histadrouth la lettre suivante[4] :

C’est avec un grand choc que nous avons appris l’attaque brutale et sans précédent du Hamas contre tout le peuple d’Israël. Nous condamnons fermement les attaques insidieuses du Hamas, le meurtre et l’enlèvement de citoyens pacifiques, considérés comme un acte de terreur et un crime de guerre. En ces heures sombres pour Israël, la Fédération allemande des syndicats et ses syndicats membres ainsi que son organisation de jeunesse DGB-Jugend sont à vos côtés. Nos pensées vont à tous ceux qui ont perdu la vie et souffrent de violences physiques et psychologiques, ainsi qu’à leurs familles en deuil, laissées sous le choc et la douleur. Notre combat commun pour la paix, la liberté, la démocratie et une société diversifiée est ce qui nous unit toujours et nous rend forts.

Toute forme de terrorisme, d’assassinats aveugles et de disparitions est inacceptable et se heurtera à notre résistance résolue. Les derniers jours nous ont montré à quel point l’antisémitisme est profondément enraciné dans les sociétés du monde entier. Nous sommes choqués et préoccupés par la façon dont l’antisémitisme brutal s’est manifesté, également ici en Allemagne. "Plus jamais ça" n’est pas pour nous une vaine confession, bien au contraire. C’est notre forte conviction. Nous luttons contre l’antisémitisme ici en Allemagne, ainsi que dans nos organisations syndicales mondiales. Soyez assurés que nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour vous soutenir dans votre lutte, nous sommes les plus proches de vous. Nous sommes également solidaires de tous les travailleurs qui viennent en aide à ceux qui en ont besoin ‑ soldats, pompiers, fonctionnaires, médecins et infirmières ‑ pour n’en nommer que quelques-uns, qui travaillent sans relâche pour sauver des vies et sécuriser des infrastructures.

Israël est confronté à une situation difficile et nous sommes heureux que notre gouvernement se soit rapidement joint à nous et ait exprimé son soutien inconditionnel aux personnes attaquées en Israël.

Nos pensées sont avec vous et tout le peuple d’Israël.

Fédération générale palestinienne des syndicats (PGFTU)

Le mouvement syndical palestinien a été fortement politisé dans le passé, et la PGFTU reste largement dépendant de l’Autorité nationale palestinienne (ANP). Des personnes travaillent à la fois pour la PGFTU et pour l’ANP, des membres du Conseil législatif palestinien siègent au conseil d’administration de la PGFTU, les dirigeants de celle-ci sont issus de l’arène politique et non de la classe ouvrière. Ainsi entre autre la PGFTU ne fait que récolter l’argent pour le système d’assurance maladie, tandis que le ministère du Travail de l’ANP joue le rôle majeur dans la mise en oeuvre des lois du travail.

Dans la mesure où le droit du travail israélien régit Jérusalem, les Palestiniens de Jérusalem peuvent adhérer à la fois aux fédérations de Cisjordanie et à la Histadrouth israélienne. Par contre les Palestiniens de Cisjordanie et de la bande de Gaza qui travaillent en Israël ne sont pas autorisés à adhérer à des syndicats israéliens ni à organiser leurs propres syndicats en Israël, tandis que les syndicats palestiniens de Cisjordanie et de la bande de Gaza ne sont pas autorisés à mener des activités syndicales en Israël[5].

Traditionnellement la Histadrouth collecte auprès des travailleurs palestiniens des cotisations syndicales, 1 % de leurs salaires étant automatiquement déduit à cette fin. La PGFTU estime qu’entre 1970 et 1994 la Histadrouth a encaissé 400 millions de shekels [selon le taux de change actuel, environ 100 millions d’euros]. La Histadrouth n’a pas pour autant fourni des services particuliers aux travailleurs palestiniens, en dehors du fait que ceux-ci pouvaient bénéficier des conventions collectives obtenues par la Histadrouth concernant les travailleurs israéliens. En mars 1995 la PGFTU et la Histadrouth ont finalement signé un accord stipulant que la moitié du 1 % encaissé par la Histadrouth sera reversée à la PGFTU, avec la précision que ces sommes devaient être utilisées "pour des activités syndicales visant à protéger les travailleurs en Israël et à défendre leurs droits."

En juin 2008, la PGFTU a déclaré que le Hamas à Gaza avait pris possession de son siège et avait ordonné au personnel du syndicat de discuter de la manière dont il devait fonctionner sous le régime du Hamas[6]. Shaher Sae’d, secrétaire général de la PGFTU, indiquait que le syndicat refuse de négocier.

La PGFTU apparait ici et là comme signataire d’appels lancés par l’organisation de campagnes ciblées de boycott, de désinvestissement et de pression auprès des consommateurs et vis‑à-vis des entreprises ("BDS", pour "boycott, désinvestissement, sanctions")[7]. Il est arrivé, en 2009, que la signature de Shaher Sae’d soit citée explicitement. Quant à la mention "PGFTU", elle correspond en réalité à une liste limitative de certaines organisations syndicales associées à la Fédération.

Un commentaire de la part d’un organe sioniste allemand, datant de 2017, laisse entrevoir la réalité[8] :

Le site Internet du BDS cite la PGFTU comme membre fondateur du Comité national palestinien pour le boycott, le désinvestissement et les sanctions (BNC) [selon les initiales en anglais], qui coordonne le BDS. Mais c’est une invention du BDS. En fait, une telle décision n’existe pas et il n’y a aucune référence à ce sujet sur le site Internet de la PGFTU. Au contraire, Shaher Sae’d, président de longue date de la PGFTU, ne veut absolument pas conseiller le soutien au BDS. […] Dans des communiqués de presse, la PGFTU tient les autorités palestiniennes et les employeurs responsables des mauvaises conditions de travail et recommande les conditions israéliennes comme modèle. […] La PGFTU, qui compte 290.000 membres, sait qu’un boycott réussi d’Israël irait à l’encontre des intérêts des travailleurs palestiniens.

Le caractère limité des signatures faites au nom du PGFTU s’applique en particulier en ce qui concerne l’appel "Les syndicats palestiniens lancent un appel aux travailleurs du monde entier : Arrêtez d’armer Israël! Ne soyez pas complices de ses crimes!", publié le 16 octobre[9].

Histadrouth et PGFTU
au sein de la Confédération syndicale internationale

Les deux entités syndicales occupent diverses postes de direction à la Confédération syndicale internationale (CSI)[10].

Autant la Histadrouth que la PGFTU sont membres de la CSI dès le congrès de fondation de celle-ci, tenu en 2006. Depuis, la Histadrouth est régulièrement représentée parmi les responsables composant la Vice-présidence, ainsi que la PGFTU ‑ en la personne de Shaher Sae’d ‑ à partir du 2e congrès. Au sein du Bureau exécutif, un système d’alternance calculée se met en place. Au départ la Histadrouth occupe un siège de titulaire, le PGFTU un siège de 1er remplaçant (Shaher Sae’d), au 2e congrès ces attributions sont renouvelés, mais il est précisé que le titulaire siège pour les deux premières années de l’intervalle entre deux congrès (qui est de 4 ans) et le remplaçant pour les deux années suivantes. À partir du 3e congrès l’arrangement devient explicite. Pour la première moitié de l’intervalle, la Histadrouth siège comme titulaire et la PGFTU comme 1er remplaçant; pour la deuxième moitié, la PGFTU siège comme titulaire et la Histadrouth comme 1er remplaçant. Actuellement encore, Shaher Sae’d dirige la PGFTU et la représente à la CSI.

 

novembre 2023



[1]https://rocml.org/peuple-palestinien-refus-occupation-coloniale-sioniste/

[2]https://global.histadrut.org.il/news/an-address-to-the-histadruts-international-counterparts-on-the-war-against-hamas-and-the-way-forward/

[3]https://global.histadrut.org.il/news/histadrut-and-dgb-celebrate-60-years-of-solidarity-between-israeli-and-german-trade-unions/

[4]https://www.dgb.de/uber-uns/dgb-heute/internationale-und-europaeische-gewerkschaftspolitik/++co++d3b71aa4-6754-11ee-8914-001a4a160123

Traduit de l’original en anglais.

[5]https://library.fes.de/pdf-files/iez/05253.pdf

[6]https://www.aljazeera.com/news/2008/7/19/palestinian-union-hit-on-all-sides

[7]. À titre d’exemple, voir un document diffusé en 2006 par le syndicat CGT du groupe Alstom, concernant la construction de lignes de tramway à Jérusalem. 

[8]https://www.juedische-allgemeine.de/politik/nicht-alle-raeder/

[9]https://merip.org/2023/10/palestinian-trade-unions-call-for-an-end-to-arming-israel/

https://www.chroniquepalestine.com/appel-urgent-syndicats-palestiniens-arretez-etre-complices-arretez-armer-israel/

[10]https://www.ituc-csi.org/IMG/pdf/_Report_on_Activities_complet_-_EN.pdf

https://www.ituc-csi.org/IMG/pdf/no_08_-_appendix_09gc_constitutional_bodies-2.pdf

https://www.ituc-csi.org/IMG/pdf/no_07_-_03co_constitutional_bodies-3.pdf

https://www.ituc-csi.org/IMG/pdf/22_05_24_26gc_e_05_-_constitutional_bodies.pdf

https://www.ituc-csi.org/IMG/pdf/23_06_15_31gc_e_02_-_constitutional_bodies.pdf

https://www.ituc-csi.org/IMG/pdf/230912_constitutional_bodies_en.pdf