Gouvernement socialiste, capital bancaire et capital industriel
BULLETIN INTERNATIONAL (NBE), no 78, novembre-décembre 1984 – p. 17-31
Les caractéristiques du rôle joué actuellement par les banques et autres institutions financières, au sein de l’économie française, sont influencées par un certain nombre de facteurs qui se manifestent depuis longtemps, et qui, en tout cas, ne sont pas nés avec l’arrivée du Parti socialiste au gouvernement. L’évolution du système bancaire n’est en grande partie que la prolongation de tendances anciennes. Bien plus, à maints égards, on constate plutôt la prédominance des obstacles et résistances aux changements auxquels pousse le développement général de l’économie.
À l’origine deux motifs principaux furent invoqués par le Parti socialiste pour justifier la nationalisation des banques.
D’une part, selon lui, elle était nécessaire afin que l’État puisse exercer la "maitrise du crédit", d’un point de vue général, c’est‑à‑dire en rapport avec les problèmes posés par l’inflation et l’instabilité du système monétaire international. À cet égard, on peut se référer par exemple à un livre publie en 1981 et rédigé par un collectif d’auteurs réunis dans le cadre d’un "groupe de travail spécialisé de la Commission économique" du Parti socialiste. On y lit notamment l’énumération suivante des raisons rendant nécessaire la nationalisation de l’intégralité du système bancaire :
La première et la plus fondamentale [raison] est de restituer à la nation son pouvoir régalien de création monétaire. […]
Par ce biais [de la monnaie scripturale] les banques ont aussi accaparé l’essentiel du pouvoir de création de monnaie, engendrant souvent l’inflation et faisant échec aux tentatives d’organisation du système monétaire. […]
Dès lors, le souci de maintenir les équilibres économiques et la volonté de contenir les ambitions politiques et les appétits de certains grands intérêts privés organisés, impliquent le retour à la collectivité nationale du privilège d’émission de la monnaie, y compris sous la forme scripturale[1].
Cette position a été reprise lors de l’adoption, le 23/09/1981 en Conseil des ministres, du projet de loi concernant les nationalisations. On lit dans l’expose des motifs entre autres :
Concernant le crédit, il est proposé au Parlement de rendre, par la Loi, la nation effectivement dépositaire du pouvoir de création de monnaie en posant comme principe qu’il s’agit d’une fonction nationale et en nationalisant, par voie de conséquence, le secteur bancaire[2].
L’évolution de la situation depuis 1981 a montré que la nationalisation des banques n’a absolument rien changé sous cet aspect. Pour traiter les problèmes posés dans le domaine monétaire, les gouvernements socialistes ont bien été obligés de prendre des mesures particulières. Ni les dévaluations successives, ni la "rigueur" censées combattre l’inflation, ne relèvent du domaine de la politique du crédit.
D’autre part, le deuxième objectif ayant fondé la nationalisation des banques concerne le financement des entreprises industrielles. Cette question comporte plusieurs aspects. Pour ce qui est des besoins de capitaux propres des grands groupes monopolistes, c’est la nationalisation même des sociétés constituant le noyau de ceux‑ci, qui visait à résoudre les problèmes qui se posent. Les banques aussi sont cependant appelées à contribuer au financement des restructurations mises en oeuvre dans le cadre de la crise économique actuelle. En outre, un enjeu important est constitué par les rapports entre le secteur bancaire et le secteur des entreprises industrielles de moindre taille, non-monopolistes. En fin de compte, parmi les transformations récentes de l’économie française, une place importante semble revenir à l’évolution des rapports triangulaires entre le capital industriel monopoliste, le capital bancaire et le capital industriel non-monopoliste.
La continuité dans le changement
Faisons d’abord état de quelques observations générales. Globalement, les commentateurs sont unanimes à constater que, depuis 1981, le système bancaire n’a pas connu des bouleversements profonds. Voici quelques échantillons :
Pour toutes ces raisons, Mr. Delors n’est pas pressé de bouleverser les structures du système financier français. […] Pour l’instant, on s’est borné à régler les problèmes les plus criants[3].
Quand on observe les réalisations intervenues [depuis 1981], le souci de rationalisation des structures ne semble pas avoir prévalu face aux réticences et obstacles divers rencontrés. Car il est vrai que le système bancaire public de l’automne 1983 ressemble comme un frère à celui de l’hiver 1981 [4].
Dès lors il faut se demander ce qui explique le grand vacarme que certaines affaires particulières ont suscité, vacarme qui pourrait laisser penser que la nationalisation des banques se heurtait à l’opposition totale des fractions concernées de la bourgeoisie. Il y avait en premier lieu le procès contre Pierre Moussa, l’ancien président de la Compagnie financière de Paris et des Pays Bas (Paribas). Celui-ci démissionna le 21/10/1981, constatant qu’il n’était pas en mesure de faire échec à la nationalisation de Paribas. Deux affaires étaient à l’origine de son inculpation. D’une part, Paribas avait mis en place des filières d’exportations de capitaux, effectuées en infraction à la législation des changes. D’autre part, en prévision des nationalisations, certaines transactions avaient été réalisées autour de Paribas International, société holding rassemblant les participations du groupe Paribas dans des sociétés étrangères. Au 31/12/1980, Paribas contrôlait notamment 72 % du capital de Paribas-Suisse, et 59,6 % d’une société belge, Cobepa. Paribas-Suisse détenait quelques-unes des participations financières les plus importantes de Paribas : dans Schlumberger, dans Power Corp. et dans Sung Hung Kai à Hongkong[5]. Le 05/10/1981, Paribas céda 20 % du capital de Paribas-Suisse à Cobepa, et d’autres cessions d’actions avant été effectuées. Paribas ne contrôlait plus que 60 % de Paribas-Suisse. Ensuite, le 07/10/1981, Paribas céda des actions de la Cobepa à Paribas-Suisse précisément, faisant ainsi tomber sa participation dans Cobepa également en dessous de 50 %. Enfin une société suisse, Pargesa, acquit pendant le mois d’octobre, plus de 50 % des actions de Paribas-Suisse.
La Compagnie financière de Paris et des Pays‑Bas fut loin d’être étrangère à cette opération. Pour financer la prise de contrôle de Paribas-Suisse, Pargesa avait procède à des augmentations de capital qui firent passer son capital de 50.000 à 280 millions de francs suisses, puis à plus de un milliard de francs suisses (soit près de trois milliards de francs français). Or, suite à la première de ces augmentations de capital, les principaux actionnaires de Pargesa, dont la dénomination exacte est d’ailleurs Paribas-Geneve S.A., sont les groupes américain A.G. Becker, canadien Power Corp. et belge Frères Bourgeois. Toutes ces sociétés sont liées à Paribas qui contrôlait notamment 60 % de A.G. Becker et 20 % de Power Corp.[6].
Prenons maintenant un deuxième exemple : le Crédit Commercial de France (CCF), autre banque qui s’était farouchement opposée aux nationalisations. Son président à l’époque, Jean-Maxime Lévêque, a mis en oeuvre, en 1981, une grande campagne publicitaire, avec des slogans du genre que voici :
Au Crédit Commercial de France, nous sommes attachés à notre liberté comme à la vôtre. Nous savons que notre entreprise est utile à notre pays et nous en sommes fiers.
Pourquoi vouloir l’abattre, si ce n’est au nom d’une idéologie qui a déjà fait assez de mal dans le monde[7]?
Le 29/04/1981, dans son allocution devant l’Assemblée Générale des actionnaires, il s’explique plus longuement :
Le projet de nationalisation des banques n’est rien d’autre qu’un projet marxiste.
Son but est de mettre fin à l’indépendance des banques pour donner au pouvoir politique le monopole du crédit aux entreprises et aux particuliers, le contrôle de l’épargne et des patrimoines familiaux, et la surveillance de tous les règlements financiers, à l’intérieur du pays et avec l’étranger. Par la nationalisation du système bancaire, le pouvoir politique se rend maitre de toutes les entreprises, et des affaires personnelles de tous les citoyens. Du jour où les banques ne sont plus indépendantes et où, par conséquent, elles ne sont plus en concurrence, l’entreprise et le citoyen ne sont plus libres[8].
Jean-Maxime Lévêque ne s’en tint pas seulement aux paroles. Dans son opposition aux nationalisations il tenta de contourner les dispositions qui allaient être appliquées concernant l’indemnisation des actionnaires. Ainsi, il envisagea, à la fin de l’année 1981, de faire verser aux actionnaires un "acompte sur les dividendes" pour l’année 1982, ceci en prévision du fait qu’au cas où la loi de nationalisation serait votée au cours du printemps 1982, le Président Directeur Général et le Conseil d’Administration cesseraient d’exercer leurs fonctions. Il n’y renonça que parce que l’Assemblée Nationale vota un amendement au projet de loi de nationalisation prévoyant que le montant des sommes versées et à valoir sur les dividendes, au titre de l’exercice 1981, serait soustrait de l’indemnisation[9].
En se référant aux deux exemples cités, on pourrait penser qu’il s’agit des manifestations d’une hostilité générale des représentants du capital bancaire vis-à-vis de la politique du gouvernement. En réalité, autant pour le CCF que pour Paribas, un facteur particulier était à l’origine de l’ampleur prise par le conflit; c’est qu’il s’agit des deux banques le plus fortement liées à la bourgeoisie internationale.
À partir des années soixante, Paribas a mis en oeuvre une stratégie de développement largement basée sur des alliances internationales. Ainsi, en 1973, Paribas effectua une prise de participation croisée avec l’une des principales merchant banks de Londres, S.G. Warburg, ce qui à l’époque constitua la première entente internationale entre banques d’affaires. À l’issue de cette opération, Paribas contrôlait environ 30 % du capital de Warburg. L’année suivante, Warburg et Paribas acquirent conjointement 20 % chacune du capital de la banque A.G. Becker, quatrième investment bank des États‑Unis[10].
Au total, les actionnaires étrangers représentaient 25 % du capital de Paribas. En octobre 1981, un syndicat de défense des actionnaires de Paribas a été constitué pour le Benelux ainsi qu’un autre pour la Suisse. Par ailleurs les associés étrangers de Paribas exprimèrent publiquement leur hostilité à la nationalisation, comme par exemple le président de la banque A.G Becker :
Nous ne pouvons pas conserver comme partenaires une société devenue la propriété d’un gouvernement quel qu’il soit[11].
On peut noter en outre des participations étrangères importantes dans le Crédit du Nord, qui fait partie du groupe Paribas : la National Westminster Bank britannique et la Bayrische Vereins Bank de la République Fédérale d’Allemagne possèdent chacune 4,9 % du capital[12].
Jacques de Fouchier, prédécesseur de Pierre Moussa à la Présidence de Paribas, et qui avait été rappelé après la démission de ce dernier pour exercer de nouveau cette fonction par intérim, a souligné lui‑même l’influence que la présence des actionnaires étrangers a exercée sur le cours des évènements. En s’adressant aux actionnaires de Paribas le 12/12/1982, il explique :
L’action de conviction en votre faveur auprès des responsables du texte de loi [de nationalisation] se trouvait donc étroitement solidaire de l’action qu’il fallait entreprendre autour de la planète pour rameuter les fidélités de notre réseau international et de nos principaux partenaires.
Les résultats que mes collaborateurs et moi‑même avons eu la chance de pouvoir enregistrer dans ce dernier domaine ne sont peut‑être pas étrangers, de ce fait, à la façon dont le gouvernement a accepté de tenir compte des prises de position du Conseil Constitutionnel [concernant l’indemnisation][13].
Quant au Crédit Commercial de France, la somme des participations étrangères dans son capital est la plus forte, par comparaison à toutes les banques françaises (mises à part les filiales de banques étrangères) : plus de 35 %. Il s’agit de banques et de compagnies d’assurances d’Europe, du Canada, des États‑Unis, ainsi que d’un groupe financier saoudien[14].
Non seulement l’opposition aux nationalisations que manifestèrent ces deux banques, était le résultat de ces conditions spécifiques, mais en outre il s’avéra par la suite qu’il ne s’agissait que d’escarmouches visant à affronter les évènements dans la position la plus favorable possible. Une fois les jeux faits, les rapports bancaires internationaux n’en étaient pas pour autant bouleversés. Ainsi Paribas continua sa stratégie d’alliances internationales. En ce qui concerne la banque américaine A.G. Becker il y a certes eu quelques vicissitudes conduisant Paribas, après avoir acquis la totalité du capital de cette banque, à s’en défaire; mais au cours de ces restructurations de ses implantations aux États‑Unis, elle a acquis une participation importante dans une des principales institutions financières américaines, Merrill Lynch. Et pour ce qui est de Paribas-Suisse, un accord fut conclu en mai 1984, entre les parties concernées, et qui permit à Paribas de reprendre le contrôle de la société. Voici comment Jean-Yves Haberer, président de Paribas, voit rétrospectivement l’évolution de la situation :
La nationalisation n’a rien changé aux activités et aux relations internationales de Paribas. Ni en Amérique, ni en Asie, cela n’a été perçu comme un changement d’identité. Curieusement c’est dans deux pays riverains de la France, la Suisse et la Belgique, qu’on s’est posé le plus de questions à notre sujet. […]
Mais après les émotions de 1981, l’atmosphère est revenue au calme. On nous a observé, nous avons convaincu et c’est cela qui a rendu possible le rachat de la majorité du capital dans notre filiale de Genève[15].
La spécialisation du capital bancaire
Si donc l’incompatibilité est plus apparente que réelle entre la politique de nationalisation appliquée par le gouvernement et les projets des principales fractions du capital bancaire, on peut se demander en quoi précisément les deux convergent, sinon coïncident. En ce qui concerne le système bancaire, l’enjeu ne touche d’ailleurs pas simplement telle ou telle banque, mais d’un point de vue général les rapports entre capital bancaire et capital industriel. En effet, contrairement au cas de la nationalisation d’un certain nombre de groupes industriels déterminés, c’est en principe le système bancaire dans son ensemble qui devait être nationalisé. Disons en passant qu’en dernière analyse la différence n’est pas aussi tranchée qu’il n’y parait, puisque d’une part, certaines catégories de banques sont restées en dehors du champ des nationalisations ‑ et non des moindres : en fait partie notamment le Crédit Agricole ‑, et que d’autre part les plus grandes banques étaient déjà nationalisées. Aussi l’extension en termes relatifs, de la partie nationalisée du secteur bancaire, est‑elle limitée, compte tenu de ces deux facteurs.
Donnons d’abord quelques indications concernant la structure des rapports entre capital bancaire et capital financier, au niveau international. Nous nous referons ici à un ouvrage analysant la composition du capital des sociétés les plus importantes dans le monde[16]. Voici quelques conclusions auxquelles arrive l’auteur, sur la base de statistiques datant de 1980, et comparées à des données concernant l’année 1965.
Si l’on distingue au sein des sociétés prises en considération trois catégories : liaisons majoritaires (le premier actionnaire détient plus de 50 % du capital), liaisons minoritaires (entre 5 % et 50 %), et liaisons indéterminées (moins de 5 %), on arrive à la répartition suivante : 20 % de liaisons majoritaires, 52 % de liaisons minoritaires et 28 % de liaisons indéterminées. La catégorie des liaisons minoritaires est donc la plus importante, et de loin. En outre, on constate que, au sein de cette catégorie, prédominent comme premier actionnaire les institutions financières (pour le quart de l’ensemble). En ce qui concerne l’évolution dans le temps, la part des liaisons minoritaires reste, il est vrai, à peu près stable, alors que les liaisons majoritaires ont doublées. Par contre, le poids, mentionne ci‑dessus, des institutions financières comme premiers actionnaires, est le résultat d’un doublement des liaisons au cours de la période analysée, et elles relèvent d’ailleurs presque exclusivement des liaisons minoritaires.
Il importe de distinguer deux types d’institutions financières : celles qui gèrent des fonds et celles qui sont propriétaires des fonds investis. Voici quelques citations qui montrent le poids que revêtent précisément les institutions gérantes de fonds :
Il y en a, au total, 79 (16 % de l’ensemble des firmes), dont 71 aux États‑Unis. […]
Le cas remarquable des États‑Unis permet de montrer que les institutions financières actionnaires principaux de l’industrie sont des banques commerciales. Ces banques prennent leurs participations par l’intermédiaire de leur département de fonds de fiducie.
Le premier actionnaire de ces firmes est la Morgan Guaranty Ttust.
[…] Au total, elle se situe parmi les trois premiers actionnaires de 62 firmes américaines, soit le quart des firmes américaines, ou de 13 % de l’ensemble des firmes étudiées.
Elle est aussi parmi les trois premiers actionnaires du tiers des 30 premières firmes mondiales et de la moitié des 30 premières firmes américaines. […]
Si l’on considère […] les autres banques américaines gestionnaires de fonds de fiducie, et les autres institutions financières, on trouve une banque ou une institution financière comme premier actionnaire minoritaire du tiers des firmes américaines, comme premier actionnaire minoritaire ou avec moins de 5 % du capital des deux tiers des firmes, et parmi les trois premiers actionnaires des trois-quarts des 237 firmes américaines[17].
Par contre pour un dixième de l’ensemble, le premier actionnaire est une institution financière privée, propriétaire des capitaux. Pour un autre dixième, il s’agit d’institutions publiques, presque exclusivement propriétaires des fonds.
En résume, les institutions financières ont donc une place importante parmi les différents types d’actionnaires détenant les principaux capitaux investis dans l’industrie. Or, quels sont les rapports entre ces institutions financières et les sociétés au capital desquelles elles participent? À cet égard, plusieurs observations indiquent qu’il n’y a pas de domination des premières sur les dernières, et que la stratégie appliquée par les institutions financières ne vise de toute façon pas à une telle domination. En effet, il est instructif de prendre comme exemple parmi les sociétés dont il s’agit, celles dont les profits sont élevés et réinvestis dans la société même, c’est‑à‑dire celles qui ont un taux d’autofinancement élevé, et conséquemment un taux d’endettement faible. On relève parmi ces sociétés : IBM, ICI, BASF, EXXON. Or, on constate parallèlement que précisément ces sociétés‑là sont l’objet de liaisons avec les institutions financières les plus importantes :
Le premier actionnaire d’IBM est la Morgan Guaranty Trust, premier investisseur institutionnel américain; le premier actionnaire de Imperial Chemical (ICI) est la compagnie Prudential Assurances, premier investisseur institutionnel britannique; le premier actionnaire de Siemens est la compagnie d’assurances Allianz, première compagnie d’assurances allemande; le premier actionnaire d’Exxon est la Chase Manhattan Bank, un des premiers investisseurs institutionnels américains.
Les résultats sont du même ordre pour General Electric, Honeywell, Xerox, Bourroughs, etc.[18].
Rien ne sert de courir, il suffit de prendre le train en marche
L’orientation de la politique économique du Parti socialiste, telle qu’elle avait été proclamée avant mai 1981 et immédiatement après, visait à première vue à établir des liens plus étroits et plus directs entre capital industriel et capital bancaire, en obligeant ce dernier à atténuer sa position de spécialisation dans des opérations financières ayant leur logique propre, fondée sur des critères de gestion différents de ceux qui guident la valorisation du capital industriel. En effet, la critique des banques, sous cet angle, était un des thèmes favoris du Parti socialiste.
Ainsi Jacques Delors, ministre de l’Économie et des Finances, lors du débat sur le projet de nationalisation, en octobre 1981 :
Il importe plus que jamais de mettre l’appareil financier au service du développement économique. L’appareil bancaire ne doit pas utiliser l’appareil industriel comme source d’enrichissement, mais, dans le cadre d’une politique d’ensemble, il doit se mettre au service des entreprises[19].
Et Laurent Fabius, ministre délégué chargé du Budget, en novembre 1982 :
Le secteur bancaire, empreint d’un grand conservatisme, a depuis longtemps confisqué la créativité industrielle au lieu de se mettre à son service[20].
En particulier, le gouvernement reprenait à son compte, dans un premier temps, les positions de ceux qui critiquaient l’existence de groupes financiers réunissant des capitaux industriels autour d’un noyau constitué par une société bancaire. Les cibles principales de ces attaques étaient, on s’en souvient, les sociétés financières Compagnie financière de Paris et des Pays‑Bas et Compagnie financière de Suez. Cette position prévalut encore, lors de l’adoption, le 23 septembre 1981 en Conseil des ministres, du projet de loi de nationalisation. Citons encore une fois l’exposé des motifs :
Le gouvernement cèdera dans un délai d’un an au secteur privé, et par priorité aux anciens actionnaires, celles des participations détenues par les deux compagnies financières [Paribas et Suez] dans des sociétés dont l’activité ne s’exerce pas dans le domaine de la banque ou n’est pas nécessairement lié à d’autres entreprises du secteur public[21].
Mais plus qu’un simple dégagement du secteur bancaire touchant à des positions de domination vis‑à‑vis du secteur industriel, les projets du Parti socialiste visaient, sous certains aspects, à constituer des ensembles financiers liant des capitaux bancaires à un noyau constitué de capitaux industries. Il convient ici d’évoquer rapidement la question des sources de financement du secteur industriel. Traditionnellement, ce qu’on appelle le "taux d’autofinancement" des entreprises est très bas dans l’industrie française, en comparaison avec l’industrie des autres principaux pays impérialistes; c’est‑à‑dire, une partie relativement grande des sources de financement est constituée par des emprunts (et non des capitaux propres, réunis par l’émission d’actions). Les nationalisations effectuées en France ne l’ont pas été au détriment des capitaux industriels, mais au contraire ont pour raison d’être, parmi d’autres, le souci de remédier à ce problème. En effet, à cet égard la nationalisation vise à substituer au financement par emprunt, dans la mesure du possible, les "dotations en capital", fournies par l’État en tant qu’actionnaire. Il revient à ce dernier de réunir par différents moyens les ressources nécessaires. Remarquons qu’il les trouve en partie en mettant en oeuvre une redistribution de la plus‑value, au détriment de certaines fractions de la bourgeoisie, par exemple par l’intermédiaire des impôts (impôt sur les sociétés, et aussi l’impôt sur les grandes fortunes nouvellement crée).
Certains dirigeants d’entreprises nationalisées insistent eux‑mêmes sur l’importance du problème posé par la faiblesse de l’autofinancement, dont les implications dépassent d’ailleurs le domaine purement financier. Par exemple Roger Fauroux, président de la Compagnie de Saint‑Gobain (qui occupait cette fonction dès avant 1981) :
La grande nouveauté résultant de la nationalisation c’est la découverte que l’on a un actionnaire. Dans la forme française du capitalisme, les grands groupes n’avaient pas ou peu d’actionnaires très présents, contrairement à ce qui se passe aux États‑Unis où l’actionnariat a encore un rôle très actif. Quoique l’on ait dit de la disparité entre les partenaires, les exigences de l’État aujourd’hui sous la forme du contrat de plan me paraissent correspondre à ce qu’un banquier allemand ou un conseil d’administration américain exige de l’industriel qui est chargé de faire fructifier les actifs qui lui sont confiés[22].
Citons encore un autre commentateur avisé, Christian Stoffaës, auteur du livre "La grande menace industrielle", paru en 1978; dans les années 1970, journaliste au Figaro, il a été chargé du Centre d’étude et de prévention créé à l’époque par André Giraud, ministre de l’industrie sous la présidence de Valery Giscard d’Estaing.
Dans certains pays, par exemple aux États‑Unis, les restructurations sont imposées par les actionnaires ou les banques d’affaires ou commerciales qui ont l’oeil fixé sur la rentabilité.
En France, il est clair que le marché financier exerçait très peu ce rôle et que les grands groupes industriels étaient très largement auto-contrôlés par leurs propres technostructures dirigeantes. Ce sont probablement les raisons pour lesquelles le mouvement de restructuration amorcé dans les secteurs en crise s’est trouvé accéléré par les nationalisations : les apports importants en fonds propres ou quasi-propres ont permis de lever les préalables financiers; les changements de dirigeants et l’arrivée de l’État comme arbitre renforcé ont permis d’une part de trouver des acquéreurs français aux activités déficitaires, d’autre part de poser différemment les problèmes psychologiques et les questions de personnes suscités par les restructurations[23].
Ce qui était censé concrétiser le mieux, du moins dans certains secteurs, l’instauration d’ensembles financiers autour d’un noyau appartenant non pas au capital bancaire, mais au capital industriel, c’était le projet d’une banque nationale d’investissement. Or, c’est précisément à ce sujet que l’on peut le mieux observer les réajustements opérés par le Parti socialiste. La banque nationale d’investissement n’a pas vu le jour, mais une solution a bien été adoptée, dont la signification n’est pas de remplacer provisoirement la réalisation de projets plus amples, mais au contraire de bloquer ces derniers.
Tous ces arguments [contre le projet de banque nationale d’investissement] ont pesé lourd dans la décision qui a été prise au printemps 1982 d’organiser une sorte de parade aux menaces de création d’une banque nationale d’investissement en mettant plus directement le système bancaire national au service des entreprises publiques[24].
Au lieu de réunir l’ensemble des différentes institutions bancaires intervenant dans le financement des entreprises industrielles nationalisées en un organisme unique, et de faire jouer à celui‑ci son rôle sous l’hégémonie des capitaux industriels concernés, une société holding fut créée dont la fonction est simplement d’orienter quelques capitaux vers les entreprises nationalisées, tout en constituant un écran entre celles‑ci et les banques qui ainsi ne sont pas directement impliquées.
On peut distinguer un projet maximaliste et une approche plus réaliste. […]
D’autres projets moins radicaux [que le projet maximaliste] ont été élaborés. Ils opèrent une distinction entre le financement du secteur privé et celui du secteur public, sans procéder à des regroupements massifs, et sans mettre en cause les statuts et les activités des deux grandes compagnies financières (Suez et Paribas)[25].
Cela dit, le projet de banque nationale d’investissement ne concernait de toutes façons que le financement des groupes industriels nationalisés. Pour ce qui est de l’ensemble de l’industrie, des propositions furent avancées parallèlement.
L’épargne, sollicitée par ailleurs, s’oriente particulièrement mal vers l’industrie. […]
Cette perspective est renforcée par un système financier très hétérogène et très compartimenté qui ne comporte plus de réseaux spécifiques au financement de l’industrie […].
Peut‑être faut-il recréer en France une différence entre banques de dépôt et banques d’affaires. Traditionnellement, les banques ne veulent financer que les fonds de roulement et un peu d’équipement par une faible part de prêts à long terme. Elles ne financent pas les fonds propres. Or, ceci est paradoxal dans un pays qui n’a pas de Bourse [voir note ci‑après]. Il faut développer un relais de professionnels. Seuls ceux‑ci développeront le financement des fonds propres pas à pas, cas par cas.
Et l’auteur ajoute en note :
La capitalisation boursière de la place de Paris [c’est‑à‑dire la valeur totale des actions] est comparable à celle de la Suisse ou de l’Australie, et bien inférieure à la seule capitalisation d’IBM[26].
Mais par ailleurs une autre orientation fut exprimée, visant à la suppression de la spécialisation bancaire, c’est‑à‑dire des différentes catégories de banques (banques de dépôts, banques d’affaires, etc.). C’est celle qui prévalut en fin de compte, du moins au niveau juridique, par la loi du 24 janvier 1984. Sur la base de cette orientation, des règlementations particulières sont établies uniquement pour autant qu’elles favorisent l’orientation de l’épargne vers l’industrie. D’où un certain nombre d’inventions, telles les CODEVI, ainsi que la décision d’abolir progressivement l’encadrement du crédit, ce qui devrait donner à une "nouvelle sélectivité du crédit" la liberté de s’exercer, c’est‑à‑dire là encore une mesure censée favoriser les investissements dans l’industrie.
Cependant la formulation du projet de "mettre les banques au service de l’industrie" allait d’emblée de pair avec l’affirmation de ses limites :
Il faut affirmer cependant, avec clarté, les limites d’une telle évolution. Le banquier n’a pas à devenir un chevalier d’industrie, ni le gestionnaire fonctionnarisé d’un service public chargé de distribuer des subventions. Le métier de banquier conservera même sa caractéristique essentielle : un compromis permanent entre les contraintes de rentabilité et de sécurité et la nécessite de prendre certains risques. Seulement, lors de l’examen des dossiers, des éléments nouveaux devront être pris en compte, et la hiérarchisation des critères qui déterminent l’octroi ou le refus d’un crédit sera modifiée[27].
Il faut éviter, en outre, la confusion des rôles : le banquier ne doit pas être actionnaire pour des montants notables de l’entreprise à laquelle il accorde des prêts[28].
Ces affirmations semblent refléter l’attitude qui prévaut, en ce qui concerne les orientations appliquées en général par les banques.
Il semble néanmoins qu’on ait observé progressivement, dans les grandes banques nationales, une circonspection accrue à l’égard de cette activité spécifique de prise de participations industrielles : le portage, c’est‑à‑dire la prise de participations provisoire, parait s’être développé. Le mouvement de repli a particulièrement marqué le Crédit Lyonnais. On peut lire dans le dernier rapport d’activité (1982) : "L’activité de banque d’affaires du Crédit Lyonnais et de ses filiales spécialisées ne s’effectue plus que très exceptionnellement par prise de participation. Un effort est également exercé pour recéder les participations existantes. Par contre, l’établissement a accentué son action de conseils pour tous problème de rapprochement et de restructuration"[29].
Cela dit, il convient d’en revenir à la question, évoquée plus haut, des participations détenues par les sociétés financières telles que Paribas et Suez. À l’origine, la position du gouvernement s’inscrivait bien dans l’orientation visant à assurer à l’industrie les financements bancaires nécessaires, en évitant une intervention directe des banques dans l’industrie. Or, par la suite, étant donné que toute modification fondamentale du système bancaire fut soigneusement évitée, les points de vue exprimés en ce qui concerne le rôle joué par les sociétés financières devinrent également caducs. Voici ce qu’explique, au début de 1984, Thierry Le Roy, chef du Service des entreprises nationales au ministère de l’Industrie et de la Recherche :
Les compagnies financières et les banques nationalisées doivent pouvoir continuer de développer leur rôle dans le financement de l’économie, notamment de l’industrie, y compris par l’apport de fonds propres, donc par la prise ou la cession de participation, aussi bien dans le secteur public que dans le secteur privé[30].
Et les dirigeants actuels de Paribas et de Suez l’entendent tout‑à‑fait de cette oreille. Ainsi, Jean-Yves Haberer, président de Paribas :
À l’égard de l’industrie, aucun système bancaire dans les pays industriels, sauf peut‑être en RFA, ne fait autant que le système bancaire français. […]
Il n’y a pas de concurrence entre Suez et Paribas. Ce qui nous manque, en France, c’est d’avoir un nombre beaucoup plus grand de groupes financiers et de banques d’affaires.
Des Suez et des Paribas, ce n’est pas deux qu’il en faudrait, c’est huit ou dix! Nous ne nous gênons pas, il y a place pour beaucoup d’autres, pour le plus grand profit de notre développement industriel[31].
Eux-mêmes confirment clairement qu’ils agissent selon leur propre façon de voir. Voici par exemple ce qu’explique Jean Peyrelevade, président de la Compagnie financière de Suez. À la question de savoir s’il était satisfait des rapports avec l’État en tant qu’actionnaire, il répond :
Dans l’ensemble, je suis très satisfait. Nous avons une autonomie totale.
Et quand on lui fait remarquer que ce n’est pas l’avis de beaucoup de ses confrères, il précise :
Ils sont banquiers. Oui, il faut bien distinguer le métier d’investisseur de celui de banquier. Je vous parle de mes rapports comme banquier d’affaires, comme investisseur. Et là, j’ai une liberté totale. Il arrive que les pouvoirs publics me demandent de regarder tel ou tel dossier. Nous avons à chaque fois répondu en conscience si cela nous intéressait ou non. Je n’ai eu aucune pression de ce point de vue‑là. Dans les affaires que nous initions, nous ne consultons pas l’actionnaire. Nous n’avons jamais tiré la sonnette pour demander son autorisation[32].
En définitive, les gouvernements socialistes n’ont mis en oeuvre aucune solution nouvelle en ce qui concerne les rapports entre banques et industrie. Ils se contentent de faire pression sur les banques pour qu’elles interviennent plus dans le financement de l’industrie par la voie de crédits, même si, en fonction de critères de rentabilité financière, certaines de ces opérations ne sont pas souhaitées par les banques concernées. Il faut d’ailleurs noter à cet égard la distinction que fait le président de Suez entre la fonction de banquier et celle d’investisseur (voir ci‑dessus). Pour ce qui est de la fonction de banquier, il applique, pour sa propre société, justement ces mêmes critères de rentabilité financière, divergents de ceux que le gouvernement voudrait voir pris en compte.
Quand nous finançons sous forme de prêts, et non pas comme investisseurs, nous ne nous préoccupons pas fondamentalement du taux de rentabilité interne de l’investissement [c’est‑à‑dire du taux de rentabilité calculé du point de vue de la société industrielle concernée]. […] Nous voulons tout bêtement et tout simplement un plan de trésorerie qui nous permette d’être certains qu’on récupèrera les fonds. Un point c’est tout[33].
Cependant, dans son souci de résoudre les problèmes de financement de l’industrie, le Parti socialiste a adopté vis‑à‑vis des compagnies financières l’attitude de la fuite en avant, s’appuyant sur l’autre fonction assumée par celles‑ci, conjointement avec celle de banquier : la fonction d’investisseur. Alors qu’à l’origine, les projets du Parti socialiste visaient à modifier le rapport de forces entre banques et industrie en faveur de cette dernière, les gouvernements socialistes ont fini par tabler précisément sur les interventions, autrefois critiquées, des compagnies financières dans l’industrie.
Le cas Creusot-Loire
Pour finir, évoquons rapidement un exemple qui met en lumière bon nombre des caractéristiques, analysées ci‑dessus, de la politique économique appliquée par le Parti socialiste : les restructurations intervenues autour de la société Creusot-Loire, une des principales sociétés industrielles faisant partie du groupe Empain-Schneider. C’est un groupe qui a une structure très enchevêtrée réunissant des holdings financiers et des sociétés industrielles, et qui a pris soin de rester le plus possible indépendant vis‑à‑vis des autres groupes, ainsi que des banques. Il connait depuis des années des difficultés. Le rôle de l’État en tant que client (notamment pour !es centrales nucléaires, en ce qui concerne précisément Creusot-Loire) fait de celui‑ci un partenaire obligatoire dans la recherche d’une solution aux problèmes posés. Or les positions des deux parties rendaient un accord difficile : le groupe Empain-Schneider voulait éviter à tout prix une quelconque intrusion sur son terrain; le gouvernement refusait de jouer un simple rôle de bailleur de fonds, sans pouvoir influer sur la structure et la stratégie du groupe. Peu à peu, le groupe Empain-Schneider devait faire des concessions. Ainsi, sur un des points cruciaux du litige : la structure financière complexe visant à protéger le groupe contre toute prise de participation de l’extérieur. Des aménagements furent effectues. Notons qu’un des pas importants sur cette voie, la suppression en 1982 de l’Auxiliaire de Participations, société holding luxembourgeoise, fut réalisée a la demande du gouvernement, alors que Jean Peyrelevade, actuellement président de la Compagnie financière de Suez, était proche collaborateur du Premier ministre, Pierre Mauroy[34].
En ce qui concerne les modalités du renflouement de Creusot-Loire, la position du gouvernement vis‑à‑vis des banques a été une source de conflit. Les banques impliquées n’étaient pas favorables à l’idée d’engager les fonds que le gouvernement leur demandait et considéraient que les actionnaires du groupe Empain-Schneider eux‑mêmes n’étaient pas suffisamment mis à contribution. Cela aboutit au limogeage de Daniel Deguen qui en tant que président du Crédit Commercial de France avait proteste vigoureusement. Mais il est vrai que de manière générale les banques se plaignent de se voir imposer par le gouvernement un rôle de "commanditaires" à l’égard d’entreprises incapables de rembourser leurs dettes et que d’autres personnes, tel Jacques Mayoux, président de la Société Générale, seraient visées, après Daniel Deguen[35].
Face aux réticences de celles parmi les banques qui s’en tenaient à la position traditionnelle de spécialisation bancaire, le gouvernement semble s’en remettre d’autant plus aux sociétés financières qui, elles, jouent sur les deux tableaux. Les projets du gouvernement en ce qui concerne Creusot-Loire s’accordaient parfaitement avec le point de vue de Suez et Paribas, dans la mesure où ils visaient à soustraire au contrôle par les sociétés financières du groupe Empain-Schneider, les entreprises de ce groupe relevant du secteur industriel. En effet, le gouvernement posait une alternative : soit les actionnaires de Creusot-Loire, c’est‑à‑dire les sociétés holdings du groupe Empain-Schneider, apportent eux‑mêmes les fonds nécessaires à Creusot-Loire, soit un groupe d’investisseurs capable de réunir les capitaux prend une participation dans une des sociétés holdings de manière à disposer du contrôle du groupe[36].
Un des principaux protagonistes de ce groupe d’investisseurs était la Compagnie financière de Suez. Et là encore se confirmait le fait que les compagnies financières agissent dans leur intérêt propre, en toute liberté, comme l’explique Jean Peyrelavade, président de Suez :
Nous souhaitions explorer les voies d’une possible solution au drame que connait Creusot-Loire. […] Mais nous n’étions en aucune façon mandatés, à quelque titre que ce soit, par les pouvoirs publics[37].
Cependant, les représentants du groupe Empain-Schneider étaient décidés à refuser toute solution entravant leur contrôle du groupe. Ce qui conduisit Suez à se retirer de la recherche d’une solution. Citons encore Jean Peyrelevade :
[Empain-Schneider] proposait une intervention du groupe d’investisseurs précités [à la tête duquel se trouvait Suez] à hauteur de 40 % dans les structures de contrôle du groupe. […]
Une telle organisation de l’actionnariat ne répondait pas à nos yeux au souci des investisseurs éventuels et des banquiers de se prémunir contre le risque d’être transformés en simples préteurs apportant des moyens importants, mais privés de tout pouvoir réel[38].
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Les divergences, voire les contradictions, sont manifestes entre le programme économique formulé par le Parti socialiste en 1981, et la politique économique qu’il applique actuellement. Mais il ne s’agit bien entendu pas du reniement d’une quelconque orientation anticapitaliste. Les projets que le Parti socialiste a envisagés à une certaine époque étaient bel et bien basés sur l’idée que celui‑ci se faisait des intérêts d’une certaine fraction de la bourgeoisie. Tout en entretenant son image de gauche, le Parti socialiste visait en fait à anticiper sur certaines tendances, réelles ou imaginaires, du développement du capitalisme. Or, s’étant aperçu qu’on ne pouvait pas être plus royaliste que le roi, il a révisé sa position. En définitive, ces ambitions n’auront fait que déblayer le terrain pour certaines réalisations plus conformes aux tendances prédominantes, sur des voies où des fractions significatives de la bourgeoisie se sont effectivement engagées de par leur propre initiative.
Ernest Leroux
novembre 1984
[1]. Lefranc (Thomas), L’Imposture monétaire, Paris, 1981, Éditions Anthropos, p. 183.
[2]. Le Monde, 25 septembre 1981.
[3]. Le Monde, 17 février 1983.
[4]. Coupaye (Pierre), Les Banques en France, Paris, 1984, La Documentation française, p. 34.
[5]. Le Monde, 14 octobre 1981.
[6]. Le Monde, 14 octobre 1981 et 23 octobre 1981.
[7]. Le Monde, 17 avril 1981.
[8]. Le Monde, 2 mai 1981.
[9]. Le Monde, 10 novembre 1981.
[10]. Le Monde, mai 1982 et 25 mars 1983.
[11]. Le Monde, 17 octobre 1961.
[12]. Coupaye (Pierre), op. cit., p. 19.
[13]. Le Monde, 17 février 1982.
[14]. Le Monde, 22 septembre 1981, et Coupaye (Pierre), op. cit., p. 19.
[15]. Les Échos, 21 juin 1984.
[16]. Grou (Pierre), La structure financière du capitalisme multinational, Paris, 1983, Presses de la Fondation Nationale des Sciences Politiques.
[17]. Idem, p. 53‑55.
[18]. Idem, p. 143.
[19]. Coupaye (Pierre), op. cit., p. 148.
[20]. Blanc (Jacques) et Brulé (Chantal), Les nationalisations françaises en 1982, Paris, 1983, La Documentation française, p. 65.
[21]. Le Monde, 25 septembre 1981.
[22]. Nationalisations industrielles et bancaires, Paris, Cahiers Français n° 214, janvier-février 1984, La Documentation française, p. 41.
[23] Idem, p. 61.
[24]. Coupaye (Pierre), op. cit., p. 151.
[25]. Idem, p. 149‑150.
[26]. Wulf (Alain de) et Sert (Paul Percie du), Le Financement des Entreprises (Rapports de missions au ministre d’État, ministre du Plan et de l’Aménagement du Territoire, Volume 4), Paris, 1983, La Documentation françaises, p. 14 et p. 33.
[27]. Gourdin (Pierre), L’Allocation des ressources financières (Rapports de missions au ministre d’État, ministre du Plan et de l’Aménagement du Territoire, Volume 4), Paris, 1983, La Documentation françaises, p. 108.
[28]. Idem, p. 118.
[29]. Coupaye (Pierre), op. cit., p. 58.
[30]. Nationalisations industrielles et bancaires, op. cit., p. 49.
[31]. Les Échos, 21 juin 1984.
[32]. Le Monde, 29 juin 1984.
[33]. Économie et Politique, n° 81, janvier 1986, p. 63.
[34]. Les Échos, 18 juin 1984.
[35] Le Monde, 7 juin 1984.
[36] Les Échos, 12 juin 1984.
[37]. [note non renseignée dans l’original]
[38]. [note non renseignée dans l’original]