12e congrès du Parti communiste (bolchévik) russe
(17‑25 avril 1923)

Documents

A.
Les facteurs nationaux dans l’organisation du Parti et de l’État [1]

Thèses pour le 12e congrès du PC(b)R
approuvées par le Comité central du Parti[2]

"Pravda" n° 65,
24 mars 1923

I

1. Le développement du capitalisme a révélé dès le siècle dernier une tendance à l’internationalisation des moyens de production et d’échange, à la suppression de l’isolement national, au rapprochement économique des peuples et à l’union graduelle de vastes territoires en un tout cohérent. Le développement ultérieur du capitalisme, le développement du marché mondial, l’ouverture de grandes voies maritimes et ferroviaires, l’exportation des capitaux, etc., ont encore accentué cette tendance, en attachant les uns aux autres les peuples les plus divers par les liens de la division internationale du travail et de la dépendance réciproque dans tous les domaines. Dans la mesure où ce processus reflétait le développement prodigieux des forces productives, où il contribuait à faire disparaitre le particularisme national et l’opposition d’intérêts entre les différents peuples, il a été et demeure un facteur de progrès (puisqu’il prépare les conditions matérielles de la future économie socialiste mondiale.

2. Mais cette tendance, en se développant, a pris des formes originales, qui ne correspondaient aucunement à sa signification historique interne. L’interdépendance des peuples et l’union économique des territoires se sont établies au cours du développement du capitalisme non par la collaboration de peuples égaux en droits, mais pas l’assujettissement de certains peuples à certains autres, par l’oppression et l’exploitation des peuples les moins évolués par les plus évolués. Les conquêtes et les spoliations coloniales, l’oppression et l’inégalité nationales, l’arbitraire et les violences impérialistes, l’esclavage colonial et la servitude nationale, enfin la lutte des nations "civilisées" entre elles pour s’assurer la domination exclusive des peuples "non civilisés"; c’est dans ce cadre que s’est déroulé le processus de rapprochement économique des peuples. Aussi a‑t‑on vu grandir, parallèlement à la tendance à l’union, une tendance à la destruction des formes violentes de cette union, une lutte pour libérer du joug impérialiste les colonies opprimées et les nationalités dépendantes. Dans la mesure où cette seconde tendance traduisait l’indignation des masses opprimées contre les formes impérialistes de l’union, où elle demandait que l’union des peuples se fît sur la base de la Coopération et de l’alliance librement consentie, elle a été et demeure une tendance de progrès, puisqu’elle prépare les conditions morales de la future économie socialiste mondiale.

3. La lutte de ces deux tendances fondamentales, qui s’expriment dans les formes propres au capitalisme, remplit l’histoire des États bourgeois multinationaux depuis un demi-siècle. La contradiction insurmontable de ces tendances dans le cadre du développement capitaliste a été à l’origine de la faiblesse interne et de l’instabilité à l’intérieur de ces États et guerres inévitables entre eux; désagrégation des vieux États coloniaux tandis qu’il s’en forme de nouveaux; nouvelle compétition pour s’emparer de colonies et nouvelle désagrégation des États multinationaux aboutissant à un nouveau remaniement de la carte politique du monde: tels sont les résultats de cette contradiction fondamentale. L’écroulement de l’ancienne Russie, de l’Autriche-Hongrie et de la Turquie, d’une part; l’histoire d’États coloniaux tels que la Grande-Bretagne et l’ancienne Allemagne, de l’autre; enfin, la "grande" guerre impérialiste et la montée du mouvement révolutionnaire des peuples coloniaux ou tenus en état d’infériorité, tous ces faits et d’autres analogues attestent de façon évidente l’instabilité et la précarité des États multinationaux bourgeois.

Ainsi, la contradiction insurmontable entre le processus d’union économique des peuples et les moyens impérialistes utilisés pour cette union a déterminé l’incapacité de la bourgeoisie, son impuissance, sa débilité, quand il s’agit Saborder de façon correcte le règlement de la question nationale.

4. Notre Parti a tenu compte de ces circonstances en faisant reposer sa politique en matière nationale sur le droit des nations à disposer d’elles-mêmes, le droit des peuples à se constituer en États indépendants. Dès les premiers jours de son existence, à son premier Congrès (en 1898), alors même que les contradictions du capitalisme sur le terrain national n’avaient pu encore se préciser avec une entière clarté, le Parti a reconnu ce droit imprescriptible aux nationalités. Par la suite, il a invariablement confirmé son programme national dans des décisions et des résolutions spéciales adoptées à ses congrès et à ses conférences, et cela jusqu’à la Révolution d’Octobre. La guerre impérialiste et le puissant mouvement révolutionnaire qu’elle a déterminé dans les colonies, n’ont fait qu’apporter une nouvelle confirmation des décisions du Parti sur la question nationale. Ces décisions peuvent se résumer ainsi :

a) répudiation catégorique de toutes les formes de contrainte à l’égard des nationalités;

b) reconnaissance de l’égalité et de la souveraineté des peuples en ce qui concerne la détermination de leur sort;

c) reconnaissance du principe qu’une union durable des peuples n’est possible que sur la base de la coopération et du libre consentement;

d) proclamation de cette vérité qu’une telle union n’est possible qu’après le renversement du pouvoir du Capital.

Ce programme de libération nationale, notre Parti ne s’est jamais lassé de l’opposer, dans son travail, à la politique d’oppression déclarée du tsarisme, aussi bien qu’à la politique bâtarde, semi-impérialiste, des menchéviks et des socialistes-révolutionnaires. Alors que la politique russificatrice du tsarisme avait creusé un abime entre ce dernier et les nationalités de l’ancienne Russie et que la politique semi-impérialiste des menchéviks et des socialistes-révolutionnaires avait poussé les meilleurs éléments de ces nationalités à se détourner du kérenskisme, la politique émancipatrice de notre Parti lui a gagné les sympathies et le soutien des larges masses de ces nationalités en lutte contre le tsarisme et la bourgeoisie impérialiste russe. On ne saurait guère douter que ces sympathies et ce soutien aient été un des éléments décisifs de la victoire de notre Parti dans les journées d’Octobre.

5. La Révolution d’Octobre a donné tout leur effet pratique aux décisions de notre Parti sur la question nationale. Après avoir renversé les propriétaires fonciers et les capitalistes, principaux représentants de l’oppression nationale, et donné le pouvoir au prolétariat, elle a rompu d’un coup les chaines de l’oppression nationale, modifié du tout au tout les anciens rapports entre les peuples, sapé la vieille haine nationale, déblayé le terrain pour la collaboration des peuples et gagné au prolétariat russe la confiance de ses frères d’autres nationalités, non seulement en Russie, mais aussi en Europe et en Asie. Est-il besoin de démontrer que, sans cette confiance, le prolétariat russe n’aurait pu vaincre Koltchak et Denikine, Youdénitch et Wrangel? Mais il n’est pas douteux non plus que les nationalités opprimées n’auraient pu parvenir à s’émanciper sans l’établissement de la dictature du prolétariat au centre de la Russie. La haine nationale et les conflits nationaux sont inévitables, inéluctables, tant que le pouvoir est entre les mains du Capital, que la petite bourgeoisie et surtout la paysannerie de l’ancienne nation "dominante", imbues de préjugés nationalistes, suivent les capitalistes; et réciproquement, on peut considérer la paix et la liberté nationales comme garanties si la paysannerie et les autres couches petites-bourgeoises suivent le prolétariat, c’est- à-dire si la dictature du prolétariat est assurée. Aussi la victoire des Soviets et l’instauration de la dictature du prolétariat sont-elles la base, le fondement sur lesquels peut s’édifier la coopération fraternelle des peuples unis au sein d’un même État.

6. Mais la Révolution d’Octobre n’a pas eu seulement pour résultat d’abolir l’oppression nationale, de fournir un terrain propice à l’union des peuples. Au cours de son développement, elle a encore mis au point les formes de cette union; elle a tracé les grandes lignes de l’union des peuples en un État fédératif. Dans la première période de la révolution, alors que les masses laborieuses des différentes nationalités prenaient pour la première fois conscience d’elles-mêmes en tant qu’imités nationales indépendantes, et que la menace d’une intervention étrangère n’était pas encore un danger réel, la coopération des peuples n’a pas revêtu une forme nettement définie et rigoureuse. Dans la période de la guerre civile et de l’intervention, quand les intérêts de la défense militaire des républiques nationales primaient tout et que les problèmes de l’organisation économique n’étaient pas encore à l’ordre du jour, la coopération a pris la forme d’une alliance militaire. Après la guerre, enfin, quand les problèmes du relèvement des forces productives détruites par la guerre se sont posés au premier plan, l’alliance militaire a été complétée par une alliance économique. L’association des républiques nationales en une Union des Républiques socialistes soviétiques marque l’étape finale du développement des formes de coopération, étape qui, cette fois, revêt le caractère d’une union à la fois militaire, économique et politique des peuples au sein d’un État soviétique multinational.

Ainsi le prolétariat a trouvé dans le régime soviétique la clé de la solution correcte du problème national ; il y a découvert la route à suivre pour organiser un État multinational stable, fondé sur l’égalité nationale et le libre consentement.

7. Mais trouver la clé de la solution correcte du problème national, ce n’est pas encore le résoudre à fond et définitivement, ni donner à cette solution une forme pratique et concrète. Pour appliquer correctement le programme national mis en avant par la Révolution d’Octobre, il faut encore surmonter les obstacles que nous a légués la période, dépassée désormais, de l’oppression nationale, obstacles qui ne peuvent être surmontés d’un seul coup, en un court laps de temps.

Ce legs comprend d’abord les survivances du chauvinisme impérialiste, qui est un reflet de l’ancienne situation privilégiée des Grands-Russes. Ces survivances subsistent dans l’esprit de nos fonctionnaires soviétiques, au centre et en province ; elles sont nichées dans nos administrations d’État, au centre et en province ; elles sont encore renforcées par les « nouvelles » tendances au chauvinisme grand-russe, genre Sména Vekh[3], qui s’accentuent de plus en plus en raison de la Nep. Elles se traduisent dans la pratique par le dédain arrogant et l’indifférence bureaucratique dont les fonctionnaires soviétiques russes font preuve à l’égard des besoins et des désidérata des républiques nationales. L’État soviétique multinational ne peut devenir vraiment solide, et la coopération des peuples dont il se compose, vraiment fraternelle, que si l’on extirpe ces survivances de nos administrations publiques, résolument et sans retour. Ainsi notre Parti a‑t‑il pour première tâche immédiate d’engager une lutte énergique contre les survivances du chauvinisme grand-russe.

Ce legs, c’est ensuite l’inégalité de fait, c’est‑à‑dire économique et culturelle, des nationalités de l’Union des Républiques. L’égalité nationale au point de vue juridique, gagnée grâce à la Révolution d’Octobre, est une conquête grandiose des peuples, mais elle ne résout pas par elle‑même toute la question nationale. Sans une aide effective et durable du dehors, un certain nombre de républiques et de peuples qui n’ont pas, ou presque pas, de prolétariat et qui, de ce fait, se trouvent en retard sous le rapport économique et culturel, sont incapables de tirer entièrement parti des droits et des possibilités à eux conférés par l’égalité nationale, de s’élever à un degré supérieur de développement et de rattraper ainsi les nationalités qui ont pris les devants. Cette inégalité de fait s’explique non seulement par l’histoire de ces peuples, mais aussi par la politique du tsarisme et de la bourgeoisie russe, qui s’attachaient à faire des régions périphériques uniquement des productrices de matières premières, exploitées par les régions centrales, où l’industrie était développée. Supprimer cette inégalité en un court laps de temps, faire disparaitre cet héritage en un an ou deux, est chose impossible. Le 10e Congrès de notre Parti a déjà noté que

l’abolition de l’inégalité nationale de fait est une oeuvre de longue durée, qui nécessite une lutte âpre et persévérante contre toutes les survivances de l’oppression nationale et de l’esclavage colonial[4].

Pourtant, il faut absolument l’abolir. Et on ne l’abolira que si le prolétariat russe concourt, par une aide effective et durable, au progrès économique et culturel des peuples retardataires de l’Union. Sinon, il n’y a pas à compter sur une coopération durable et bien comprise entre les différents peuples dans le cadre d’un État fédératif. Ainsi notre Parti a‑t‑il pour deuxième tâche immédiate d’engager la lutte pour supprimer l’inégalité de fait des nationalités, pour élever le niveau culturel et économique des peuples retardataires.

Ce legs se compose enfin des survivances du nationalisme chez un certain nombre de peuples qui ont connu le joug pénible de l’oppression nationale et n’ont pas encore eu le temps de se défaire de leur ressentiment pour les outrages nationaux subis autrefois. Ces survivances se traduisent dans la pratique par un certain isolationnisme national et un certain manque de confiance des peuples autrefois opprimés à l’égard des mesures qui émanent des Russes. Mais dans quelques républiques où l’on compte plusieurs nationalités, il n’est pas rare que ce nationalisme défensif se transforme en un nationalisme offensif, en un chauvinisme effréné de la nationalité la plus forte, dirigé contre les nationalités les plus faibles de ces républiques. Chauvinisme géorgien (en Géorgie), dirigé contre les Arméniens, les Ossètes, les Adjars et les Abkhaz; chauvinisme azerbaïdjanais (en Azerbaïdjan), dirigé contre les Arméniens; chauvinisme ouzbek (à Boukhara et en Khorezm), dirigé contre les Turkmènes et les Kirghiz : toutes ces variétés de chauvinisme, d’ailleurs encouragées par les conditions de la Nep et de la concurrence, constituent un mal de la pire espèce, qui menace de faire de certaines républiques nationales un théâtre de discordes et de dissensions. Inutile de dire que tous ces phénomènes freinent l’union effective des peuples en un seul État. Pour autant que les survivances du nationalisme sont une forme particulière de défense contre le chauvinisme grand-russe, la lutte énergique contre ce dernier représente le plus sûr moyen de les faire disparaitre. Mais pour autant qu’elles se transforment au sein de diverses républiques en un chauvinisme local dirigé contre les groupes nationaux les plus faibles, les membres du Parti ont le devoir de les combattre directement. Ainsi notre Parti a‑t‑il pour troisième tâche immédiate d’engager la lutte contre les survivances nationalistes, et surtout contre les formes chauvines qu’elles prennent.

8. On doit regarder comme une manifestation frappante de ce legs du passé le fait que l’Union des Républiques est considérée par une importante partie des fonctionnaires soviétiques, au centre et en province, non comme une union d’États égaux en droits, qui est appelée à garantir le libre développement des Républiques nationales, mais comme une étape vers la liquidation de ces Républiques, comme le début de la formation d’une Russie "une et indivisible". En condamnant cette façon de voir comme antiprolétarienne et réactionnaire, le Congrès invite les membres du Parti à redoubler de vigilance afin que l’union des Républiques et la fusion des commissariats ne soient pas utilisées par les fonctionnaires soviétiques à tendances chauvines pour couvrir leurs tentatives d’ignorer les besoins économiques et culturels des Républiques nationales. La fusion des commissariats est un examen que passent les administrations soviétiques : si cette expérience recevait dans la pratique une orientation chauvine et impérialiste, le Parti se verrait obligé de prendre contre cette déformation les mesures les plus énergiques, voire de revenir sur la fusion de certains commissariats jusqu’au moment où les administrations soviétiques seraient dument rééduquées dans un esprit de sollicitude vraiment prolétarienne et vraiment fraternelle pour les besoins et les désidérata des nationalités faibles et retardataires.

9. L’Union des Républiques étant une forme nouvelle de cohabitation des peuples, une forme nouvelle de leur coopération au sein d’un même État fédératif, où les survivances précitées doivent être éliminées au cours du travail des peuples en commun, les organismes supérieurs de l’Union seront constitués de manière à refléter non seulement les nécessités et désidérata généraux de toutes les nationalités de l’Union, mais encore les nécessités et désidérata particuliers des différentes nationalités. Aussi faut‑il créer, à côté des organismes centraux de l’Union déjà existants, qui représentent les masses laborieuses de toute l’Union indépendamment de leur nationalité, un organisme spécial où les nationalités seront représentées sur la base de l’égalité. Cette structure des organismes centraux de l’Union donnerait toute possibilité de prêter une oreille attentive aux besoins et aux désidérata des peuples, de leur apporter en temps voulu l’aide nécessaire, de créer une atmosphère de pleine confiance mutuelle et de faire disparaitre ainsi de façon la plus indolore le legs dont nous avons parlé.

10. C’est pourquoi le Congrès recommande aux membres du Parti, à titre de mesures pratiques, d’agir pour que :

a) le réseau des organismes supérieurs de l’Union comprenne un organisme spécial représentant toutes les Républiques et régions nationales sans exception, sur la base de l’égalité;

b) la structure des commissariats de l’Union repose sur des principes assurant la satisfaction des besoins et des désidérata des peuples de l’Union;

c) les organismes des Républiques et régions nationales soient composés surtout d’hommes du pays, connaissant la langue, les conditions de vie, les moeurs et les coutumes des peuples respectifs.

II

1. Dans la plupart des Républiques nationales, le développement des organisations de notre Parti se déroule dans des conditions qui ne sont pas entièrement favorables à leur croissance et à leur consolidation. Le retard économique de ces républiques, les faibles effectifs du prolétariat national, la pénurie ou même l’absence de cadres, de vieux militants du Parti parmi les hommes du pays, l’absence d’une littérature marxiste sérieuse dans la langue nationale, la faiblesse du travail éducatif du Parti, enfin les survivances des traditions nationalistes extrêmes qui n’ont pas encore eu le temps de disparaitre, tout cela a donné naissance, chez les communistes locaux, à une déviation très nette vers une surestimation des particularités nationales et la sous-estimation des intérêts de classe du prolétariat, à une déviation dans le sens nationaliste. Ce fait devient particulièrement dangereux dans les républiques comptant plusieurs nationalités, où il revêt souvent, chez les communistes de la nationalité la plus forte, la forme d’une déviation vers le chauvinisme, dont la pointe est dirigée contre les communistes des nationalités plus faibles (Géorgie, Azerbaïdjan, Boukhara, Khorezm). La déviation dans le sens nationaliste est néfaste parce qu’en freinant l’émancipation du prolétariat national de l’influence idéologique de la bourgeoisie nationale, elle rend plus difficile le rassemblement des prolétaires des différentes nationalités en une même organisation internationaliste.

2. D’autre part, la présence, tant dans les institutions centrales du Parti que dans les organisations des Partis communistes des Républiques nationales, de nombreux cadres de vieux militants communistes d’origine russe, qui ne sont point familiarisés avec les moeurs, les coutumes et la langue des masses laborieuses de ces Républiques et qui, de ce fait, ne sont pas toujours assez attentifs à leurs demandes, a fait naitre dans notre Parti une déviation vers une sous-estimation des particularités nationales et de la langue nationale dans l’activité du Parti, un dédain arrogant pour ces particularités, une déviation dans le sens du chauvinisme grand-russe. Cette déviation est néfaste non seulement parce qu’en freinant la formation de cadres communistes composés d’hommes du pays, au courant de la langue nationale, elle crée le danger de voir le Parti se détacher des masses prolétariennes des républiques nationales, mais encore et surtout parce qu’elle alimente et cultive la déviation, mentionnée plus haut, dans le sens du nationalisme et rend plus difficile la lutte contre cette dernière.

3. En condamnant ces deux déviations comme néfastes et périlleuses pour la cause du communisme et en attirant l’attention des membres du Parti sur le préjudice et le danger particuliers que présente la déviation dans le sens du chauvinisme grand-russe, le Congrès invite le Parti à éliminer au plus vite ces survivances du passé dans son organisation.

Le Congrès charge le Comité central d’appliquer les mesures pratiques suivantes :

a) formation de cercles d’études marxistes de type supérieur pour les responsables locaux du Parti dans les Républiques nationales;

b) développement d’une littérature marxiste théorique dans les langues nationales;

c) renforcement de l’Université des peuples d’Orient et de ses filiales;

d) création, auprès des Comités centraux des Partis communistes nationaux, de groupes d’instructeurs composés de militants du pays;

e) développement, dans les langues nationales, d’une littérature du Parti destinée aux masses;

f) intensification du travail éducatif du Parti dans les Républiques;

g) intensification du travail parmi les jeunes dans les Républiques.

B.
12e Congrès du PC(b)R [5]

12e Congrès du Parti communiste (bolchevik) de Russie.
Compte rendu sténographique, Moscou, 1923.

1.
Rapport sur les facteurs nationaux
dans l’organisation du Parti et de l’État
(23 avril)

Camarades,

Voici la troisième fois, depuis la Révolution d’Octobre, que nous examinons la question nationale : la première fois, ce fut au 8e Congrès[6]; la seconde, au 10e [7]; la troisième, au 12e. Cela n’indiquerait‑il pas un changement fondamental dans notre façon d’envisager cette question? Non, notre point de vue reste foncièrement le même qu’avant et depuis Octobre. Mais depuis le 10e Congrès, la situation internationale a changé : l’importance de ces réserves massives de la Révolution que constituent aujourd’hui les pays d’Orient, a augmenté. Ceci, en premier lieu. En second lieu, notre Parti, depuis le 10e Congrès, s’est trouvé placé devant certains changements de la situation intérieure dus à la Nep. Il faut tenir compte de tous ces facteurs nouveaux et en faire le bilan. C’est en ce sens qu’on peut dire que la question nationale se pose au 12e Congrès en termes nouveaux.

Examinons l’importance internationale de la question nationale. Vous savez, camarades, que, de par la volonté de l’histoire, nous sommes, nous, fédération soviétique, l’avant-garde de la révolution mondiale. Vous savez que nous avons été les premiers à percer le front général du capitalisme, le sort a voulu que nous soyons ainsi placés en tête. Vous savez que dans notre marche en avant, nous sommes arrivés jusqu’à Varsovie, puis que nous nous sommes repliés pour nous fortifier sur les positions que nous estimions les plus solides. À ce moment, nous sommes passés à la Nep; à ce moment, nous avons tenu compte du ralentissement de la cadence dans le mouvement révolutionnaire international; à ce moment notre politique est devenue, d’offensive, défensive. Après notre échec devant Varsovie (nous ne chercherons pas à farder la vérité), nous ne pouvions aller de l’avant, à cause du risque de nous couper de notre arrière, qui est paysan; nous risquions, enfin, de devancer par trop les réserves de la révolution que le sort nous a données, en Occident comme en Orient. Ç’est pourquoi nous avons effectué, un tournant dans le sens de la Nep à l’intérieur, d’un ralentissement de notre avance à l’extérieur, en nous disant qu’il fallait souffler un peu, panser nos blessures, ‑ celles de l’avant-garde, du prolétariat, ‑ établir le contact avec l’arrière paysan, poursuivre notre travail au sein des réserves qui n’avaient pu nous suivre : celles de l’Occident et celles de l’Orient, ‑ réserves massives qui constituent le gros des arrières du capitalisme mondial. Ce sont ces réserves, ‑ réserves massives constituant en même temps l’arrière de l’impérialisme mondial, ‑ qui sont en cause lorsqu’on discute la question nationale.

De deux choses l’une : ou bien nous mettons en branle, nous révolutionnons l’arrière profond de l’impérialisme, ‑ les pays coloniaux et semi-coloniaux d’Orient, ‑ en hâtant ainsi la chute de l’impérialisme; ou bien nous échouons, en renforçant l’impérialisme et en affaiblissant notre mouvement. C’est ainsi que la question se pose.

Le fait est que tout l’Orient considère notre Union des Républiques comme un champ d’essai. Ou bien nous donnerons, dans le cadre de cette Union, une solution pratique et correcte à la question nationale; nous établirons ici, dans le cadre de cette Union, des relations vraiment fraternelles entre les peuples, une collaboration réelle: et alors l’Orient tout entier verra dans notre fédération le porte-drapeau de sa libération, l’avant-garde dont il doit suivre les traces, et ce sera le début de l’effondrement de l’impérialisme mondial. Ou bien nous commettrons ici une faute, nous entamerons la confiance que les peuples autrefois opprimés ont placée dans le prolétariat de Russie, nous priverons l’Union des Républiques de la force d’attraction qu’elle a acquise aux yeux de l’Orient : alors c’est l’impérialisme qui gagne, et nous qui perdons.

En cela réside l’importance internationale de la question nationale.

Si la question nationale prend pour nous tant d’importance également au point de vue de la situation intérieure, ce n’est pas seulement parce que, pour parler chiffres, l’ancienne nation dominante compte environ 75 millions d’hommes et les autres 65 millions (ce qui n’est déjà pas si mal); ce n’est pas seulement, non plus, parce que les nationalités autrefois opprimées occupent les régions les plus nécessaires au progrès économique, les plus importantes au point de vue de la stratégie militaire : c’est avant tout parce qu’il y a deux ans, nous avons instauré ce qu’on est convenu d’appeler la Nep, et qu’en conséquence le nationalisme grand-russe s’est intensifié et fortifié, on a vu naitre les idées du groupe Sména Vekh, on discerne ça et là le désir de réaliser par des moyens pacifiques ce que n’a pu faire Denikine, c’est‑à‑dire de créer une Russie dite "une et indivisible".

Ainsi, en rapport avec la Nep, nous assistons à la naissance d’une force nouvelle dans notre vie intérieure : le chauvinisme grand-russe, qui se niche dans nos administrations, s’infiltre dans les organismes des Soviets, mais aussi dans ceux du Parti, se retrouve dans tous les coins de notre fédération; si nous ne lui infligeons pas une riposte énergique, si nous ne tranchons pas à la racine ce mal alimenté par les conditions mêmes de la Nep, il risque de provoquer une rupture entre le prolétariat de l’ancienne nation dominante et les paysans des nations autrefois opprimées, ce qui mettrait en danger la dictature du prolétariat.

Mais la Nep n’alimente pas seulement le chauvinisme grand-russe; elle alimente aussi le chauvinisme local, surtout dans les Républiques où il existe plusieurs nationalités. Je veux parler de la Géorgie, de l’Azerbaïdjan, de Boukhara et en partie du Turkestan, où nous comptons plusieurs nationalités, dont les éléments avancés vont peut‑être bientôt se disputer la suprématie. Certes, à ne considérer que sa force, ce chauvinisme local n’est pas aussi dangereux que le chauvinisme grand-russe. Il n’en constitue pas moins un péril, puisqu’il menace de faire de certaines Républiques le théâtre de rivalités nationales, d’y relâcher les liens de l’internationalisme.

Telles sont les raisons d’ordre intérieur et international qui confèrent une importance considérable, primordiale, à la question nationale, surtout au moment actuel.

En quoi consiste le fond de classe de cette question? Dans les conditions présentes de l’évolution des Soviets, il consiste dans l’établissement de rapports justes entre le prolétariat de l’ancienne nation dominante et la paysannerie des nations autrefois opprimées. Le problème de l’alliance de la classe ouvrière et de la paysannerie a été débattu ici d’une façon plus que suffisante; mais lors de la discussion du rapport de Kamenev, Kalinine, Sokolnikov, Rykov, Trotski sur ce problème, il a surtout été question de l’attitude du prolétariat russe envers la paysannerie russe. Ici, dans le domaine national, nous avons affaire à un mécanisme plus compliqué. Ici, il s’agit d’établir des rapports justes entre le prolétariat de l’ancienne nation dominante, la couche la plus cultivée de l’ensemble du prolétariat de notre fédération, et la paysannerie, surtout la paysannerie des nationalités autrefois opprimées. Tel est le fond de la question nationale. Si le prolétariat parvient à nouer avec la paysannerie des autres nationalités des rapports susceptibles de faire disparaitre les survivances de cette méfiance à l’égard de tout ce qui est russe, que la politique tsariste avait inculquée et cultivée pendes dizaines d’années; si, qui plus est, le prolétariat russe parvient à faire régner une compréhension et une confiance réciproques totales, à établir une alliance véritable non seulement entre le prolétariat et la paysannerie russes, mais aussi entre le prolétariat et la paysannerie des nationalités autrefois opprimées, le problème sera résolu. Il faut, pour cela, que le pouvoir du prolétariat soit aussi cher à la paysannerie des autres nationalités qu’à la paysannerie russe. Pour que le pouvoir des Soviets devienne également cher à la paysannerie des autres nationalités, il faut que celle‑ci le comprenne, qu’il fonctionne dans sa propre langue, que le corps enseignant et les organes du pouvoir se composent d’hommes de l’endroit connaissant la langue, les moeurs, les us et coutumes de nationalités non russes. C’est seulement lorsque les administrations et les organes du pouvoir dans ces républiques commenceront à s’exprimer et à fonctionner dans la langue nationale, et dans la mesure où ils le feront, que le pouvoir des Soviets, qui apparaissait comme purement russe jusqu’à ces derniers temps, deviendra un pouvoir non seulement russe, mais commun à toutes les nationalités, cher aux paysans des nationalités autrefois opprimées.

Là réside un des principes de la question nationale, telle qu’elle se pose en général, et dans les conditions soviétiques en particulier.

Qu’est‑ce qui caractérise la solution de la question nationale au moment actuel, en 1923? Quelle forme ont pris en 1923 les problèmes qui attendent leur solution dans ce domaine? La forme d’une collaboration des peuples de notre fédération sur les plans économique, militaire et politique. Je veux parler ici des rapports entre nationalités. La question nationale, qui part de la nécessité d’établir des rapports justes entre le prolétariat et l’ancienne nation dominante et la paysannerie des autres nationalités, revêt aujourd’hui une forme particulière : celle de la coopération et de la cohabitation fraternelle de peuples qui, autrefois isolés, sont maintenant groupés dans le cadre d’un État unique.

Voilà le fond de la question nationale sous l’aspect qu’elle revêt en 1923.

La forme concrète de cette association politique est l’Union des Républiques, dont nous avons déjà parlé à la fin de l’an dernier, au Congrès des Soviets, et que nous avons instituée à cette date.

La base de cette Union est le libre consentement et l’égalité juridique de ses membres. Libre consentement et égalité, parce que le point de départ de notre programme national est le droit des nations à former des États distincts : ce qu’on appelait autrefois le droit de libre disposition. Aussi devons-nous dire nettement qu’aucune union de peuples, aucune association de peuples en un seul État ne peut être durable que si elle a pour base un consentement absolument libre, si les peuples eux‑mêmes veulent s’unir. L’autre base est l’égalité juridique des peuples qui font partie de l’Union. Et cela se conçoit. Je ne parle pas de l’égalité de fait, ‑ j’y reviendrai, ‑ puisque l’établissement d’une égalité de fait entre des nations avancées et des nations retardataires est une chose extrêmement compliquée, extrêmement difficile, et qui demande des années. Je parle pour l’instant de l’égalité juridique. Elle se traduit par le fait que toutes les Républiques faisant partie de l’Union, ‑ en l’occurrence, elles sont au nombre de quatre : la Transcaucasie, la Biélorussie, l’Ukraine et la RSFSR, ‑ jouissent au même degré des bienfaits de l’Union et renoncent simultanément et au même degré en faveur de l’Union à certains des droits que l’indépendance leur conférait. Si les commissariats du peuple aux Affaires étrangères n’existent plus en RSFSR, en Ukraine, en Biélorussie, dans la République de Transcaucasie, il est bien évident que leur abolition et la création d’un commissariat aux Affaires étrangères commun à l’Union des Républiques entraineront certaines restrictions à l’indépendance de ces républiques, dans le sens d’une limitation uniforme pour toutes. Il est bien évident que si chacune de ces Républiques avait auparavant son commissariat du peuple au Commerce extérieur, désormais aboli, aussi bien en RSFSR que dans les autres républiques, pour permettre la création d’un commissariat au Commerce extérieur commun à l’Union tout entière, cela entrainera également certaines restrictions à l’indépendance complète dont les Républiques jouissaient, restrictions opérées dans l’intérêt commun de l’Union, et ainsi de suite. Certains posent une question purement scolastique : les républiques restent‑elles indépendantes depuis qu’elles se sont unies? Je vois là une question scolastique. Leur indépendance se trouve restreinte, puisque toute union entraine une restriction des droits dont jouissaient auparavant ceux qui se sont unis. Mais chacune des Républiques conserve indiscutablement les éléments fondamentaux de l’indépendance, ne serait-ce que parce que chacune a le droit de sortir de l’Union par décision unilatérale.

Ainsi, sous la forme concrète qu’elle a prise dans les conditions où nous nous trouvons actuellement, la question nationale est celle de l’établissement d’une coopération des peuples sur les terrains économique, extérieur et militaire. Nous devons, dans tous ces domaines, grouper les Républiques au sein d’une union appelée URSS. Telles sont les formes concrètes que la question nationale a prises à l’heure actuelle.

Mais la chose est plus facile à dire qu’à faire. En effet, dans les conditions où nous sommes placés, un certain nombre de facteurs, loin de favoriser l’union des peuples en un même État, la contrecarrent.

Les facteurs favorables vous sont connus : avant tout, le rapprochement des peuples sur le plan économique, inauguré avant l’établissement du pouvoir des Soviets et consolidé par lui; une certaine division du travail entre les peuples, inaugurée avant nous et que nous, pouvoir des Soviets, avons consolidée : c’est le facteur essentiel pour favoriser l’association des Républiques en une union. Le second facteur favorable à l’union tient à la nature même du pouvoir des Soviets. Cela se conçoit. Le pouvoir des Soviets est le pouvoir des ouvriers, la dictature du prolétariat, qui, tout naturellement, incite les éléments travailleurs des Républiques et des peuples de l’Union à vivre en bonne amitié. Cela se conçoit. Le troisième facteur favorable à l’union est l’encerclement impérialiste, qui constitue le milieu où l’Union des Républiques doit agir.

Mais il est aussi des facteurs qui s’opposent à cette union, qui la contrecarrent. La principale force qui entrave l’association des républiques en une même fédération, est celle qui grandit chez nous, comme je l’ai déjà dit, dans les conditions de la Nep : le chauvinisme grand-russe. Ce n’est nullement par l’effet du hasard, camarades, que les hommes de la Sména Vekh ont gagné une foule de partisans parmi les fonctionnaires soviétiques. Ce n’est nullement là quelque chose de fortuit. Ce n’est pas non plus par hasard que ces messieurs de la Sména Vekh chantent les louanges des communistes bolcheviks d’un air de dire : parlez du bolchévisme tant que vous voudrez, pérorez sur vos tendances internationalistes tant qu’il vous plaira; nous savons, quant à nous, que vous réaliserez ce que Denikine n’a pu réaliser : que vous, bolcheviks, vous avez fait revivre ou, en tout cas, vous ferez revivre l’idée d’une grande Russie. Tout cela n’a rien de fortuit. Ce n’est pas non plus par hasard que cette idée a même pénétré dans certaines de nos institutions du Parti. À la session plénière de février, où la question d’une deuxième Chambre a été soulevée pour la première fois, j’ai entendu des membres du Comité central prononcer des discours incompatibles avec le communisme, des discours qui n’ont rien de commun avec l’internationalisme. Tout cela est un signe des temps, une épidémie. Le principal danger de tout cela, c’est qu’en rapport avec la Nep grandit de jour en jour, d’heure en heure, le chauvinisme grand-russe, qui s’attache à effacer tout ce qui n’est pas russe, à mettre les rênes du gouvernement dans les mains de l’élément russe en écrasant ce qui n’est pas russe. Le grand danger, c’est que, par une telle politique, nous risquons de perdre la confiance que les anciens peuples opprimés ont placée dans les prolétaires russes, confiance que ceux‑ci ont gagnée pendant les journées d’Octobre, quand ils ont renversé les grands propriétaires fonciers et les capitalistes russes, qu’ils ont brisé les chaines de l’oppression nationale à l’intérieur de la Russie, retiré les troupes de Perse et de Mongolie, proclamé l’indépendance de la Finlande, de l’Arménie et, d’une façon générale, posé la question nationale sur des bases entièrement nouvelles. La confiance que nous avions gagnée alors, nous pouvons la perdre complètement si nous ne nous armons pas tous contre ce chauvinisme nouveau, ce chauvinisme grand-russe, je le répète, qui s’avance en rampant, s’insinue goutte à goutte dans les yeux et les oreilles, corrompt peu à peu nos militants. Ce dangereux ennemi, camarades, nous devons coute que coute lui faire mordre la poussière. Sinon, nous sommes menacés de perdre la confiance de la classe ouvrière et de la paysannerie des peuples autrefois opprimés, menacés de voir se rompre les liens qui unissent ces peuples au prolétariat russe et, par suite, menacés d’une fissure dans le système de notre dictature.

N’oubliez pas, camarades, que si nous avons marché contre Kerenski, drapeaux déployés, et si nous avons renversé le Gouvernement provisoire, c’est entre autres parce que nous sentions derrière nous la confiance des peuples opprimés, qui attendaient des prolétaires russes leur libération. N’oubliez pas ces réserves que constituent les peuples opprimés, qui se taisent, mais, par leur silence, exercent une pression et décident de bien des choses. Souvent cela ne se sent pas, mais ces peuples, ils vivent, ils existent, et il ne faut pas les oublier. N’oubliez pas que si nous n’avions pas eu, à l’arrière de Koltchak, de Denikine, de Wrangel et de Youdénitch, ce qu’il est convenu d’appeler les "allogènes"; si ces peuples autrefois opprimés n’avaient miné l’arrière de ces généraux par leur sympathie tacite avec les prolétaires russes, ‑ camarades, c’est un facteur particulier de notre développement que cette sympathie tacite; on ne la voit ni ne l’entend, mais elle décide de tout, ‑ sans cette sympathie, nous n’aurions pu faire mordre la poussière à aucun de ces généraux. Au moment où nous marchions contre eux, la désagrégation commençait sur leurs arrières. Pourquoi? Parce que ces généraux s’appuyaient sur les éléments colonisateurs du milieu cosaque, parce qu’ils n’offraient aux peuples opprimés d’autre perspective que le maintien de leur oppression : dès lors, en nous voyant déployer le drapeau de leur libération, les peuples opprimés étaient obligés de se jeter dans nos bras. Voilà ce qui a décidé du destin de ces généraux; voilà la somme des facteurs que les succès de nos armes ont rejetée dans l’ombre, mais qui en définitive a décidé de tout. Il ne faut pas l’oublier. Aussi devons-nous opérer un tournant énergique pour combattre les nouvelles tendances chauvines et clouer au pilori les fonctionnaires de nos administrations et les camarades du Parti qui oublient cette conquête d’Octobre : la confiance des peuples autrefois opprimés, à laquelle nous devons attacher le plus grand prix.

Il faut bien comprendre que si une force comme le chauvinisme grand-russe s’épanouit à son aise et trouve le champ libre, nous perdrons la confiance des peuples autrefois opprimés, toute coopération au sein d’une Union sera impossible et nous n’aurons point d’Union des Républiques.

Tel est le premier et le plus dangereux des facteurs qui entravent l’association des peuples et des Républiques en une même union.

Le second facteur, camarades, qui fait également obstacle au rassemblement des peuples autrefois opprimés autour du prolétariat russe, est l’inégalité de fait des nations, inégalité que nous avons héritée de la période du tsarisme.

Nous avons proclamé et nous faisons respecter l’égalité juridique; mais il y a loin encore de l’égalité de droit, qui par elle‑même a une très grande importance dans l’histoire du développement des Républiques soviétiques, à l’égalité de fait. Officiellement, toutes les nationalités et tous les peuples retardataires ont, dans notre fédération, autant de droits que toutes les nations avancées. Mais le malheur est que certaines nationalités n’ont pas de prolétariat, qu’elles n’ont point passé par la phase du développement industriel, que ce dernier n’y est même pas commencé, qu’elles sont terriblement en retard sur le plan culturel et nullement en état de tirer parti des droits que la révolution leur a donnés. C’est là, camarades, une question plus importante que celle des écoles. Certains camarades pensent à ce propos qu’il suffit, pour trancher le noeud, de mettre au premier plan la question des écoles et de la langue. Cela est faux, camarades; on n’ira pas loin rien qu’avec des écoles; les écoles se développent, la langue aussi; mais l’inégalité de fait reste à la base de tous les mécontentements et de toutes les frictions. Ici, il ne s’agit pas seulement d’écoles et de langue; ce qu’il faut ici, c’est de notre part une aide effective, constante, sincère, une véritable aide prolétarienne aux masses laborieuses des nationalités en retard sous le rapport culturel et économique. En plus des écoles et de la langue, le prolétariat de Russie doit prendre toutes les mesures pour créer des foyers d’industrie dans les régions périphériques, dans les républiques qui retardent au point de vue culturel : si elles retardent, ce n’est pas de leur faute, c’est parce qu’on les considérait autrefois comme des sources de matières premières. Certaines tentatives ont été faites dans ce sens. La Géorgie a pris une fabrique de Moscou, qui va bientôt commencer à fonctionner. Boukhara en a pris une, mais pouvait en prendre quatre. Le Turkestan en prend une grande. Tout atteste donc que ces républiques, retardataires sur le plan économique et qui n’ont pas de prolétariat, doivent, avec l’aide du prolétariat russe, fonder chez elles des foyers d’industrie, si modestes qu’ils soient, afin que se créent dans ces foyers des groupes de prolétaires locaux susceptibles de faire la chaine entre les prolétaires et les paysans russes d’une part, et les masses laborieuses de ces Républiques, d’autre part. Nous aurons à fournir un travail sérieux dans ce domaine, et à elles seules les écoles ne suffiront pas.

Mais il existe encore un troisième facteur qui entrave l’association des Républiques en une fédération : c’est l’existence du nationalisme dans les différentes Républiques. L’influence de la Nep s’exerce sur la population russe, mais aussi non‑russe. La Nep développe le commerce et l’industrie privés au centre de la Russie, mais aussi dans les différentes Républiques. Et ainsi la Nep et avec elle le capital privé nourrissent, cultivent les nationalismes géorgien, azerbaïdjanais, ouzbek, et autres. Certes, sans le chauvinisme grand-russe, agressif parce qu’il est fort et qu’il l’était autrefois, et parce qu’il a conservé l’habitude d’opprimer et d’humilier, sans le chauvinisme grand-russe, le chauvinisme local, en tant que réponse au premier, n’existerait peut‑être qu’en réduction, en miniature pour ainsi dire : après tout, en effet, le nationalisme antirusse est une forme défensive, une forme aberrante de défense contre le nationalisme grand-russe, contre le chauvinisme grand-russe. Si ce nationalisme était exclusivement défensif, on pourrait peut‑être se dispenser de faire tant de bruit à son sujet. On pourrait concentrer toute son action, tout son effort, contre le chauvinisme grand-russe dans l’espoir que ce puissant ennemi une fois maté, l’autre, le nationalisme antirusse, le sera également; car, je le répète, celui‑ci n’est après tout qu’une réaction au nationalisme grand-russe, une réponse à ce dernier, une sorte de défense. Oui, il en serait ainsi, si le nationalisme antirusse n’était qu’une réaction au nationalisme grand-russe[8]. Mais le malheur est que, dans certaines Républiques, ce nationalisme, de défensif, devient offensif.

Prenons la Géorgie. Plus de 30 % de sa population se compose de non‑Géorgiens : Arméniens, Abkhaz, Adjares, Ossètes, Tatares. Les Géorgiens sont à la tête. Chez certains communistes géorgiens est née et se propage l’idée qu’on n’a guère besoin de tenir compte de ces petites nationalités : elles sont moins civilisées, moins développées, disent‑ils; on peut donc les négliger. C’est là du chauvinisme, un chauvinisme malfaisant et dangereux, puisqu’il peut transformer la petit République de Géorgie en un théâtre de discordes. Ce qui, du reste, est déjà chose faite.

L’Azerbaïdjan. Principale nationalité : l’azerbaïdjanaise; mais il s’y trouve aussi des Arméniens. Il existe également chez certains Azerbaïdjanais une tendance, parfois exprimée ouvertement, à se dire : nous, Azerbaïdjanais, nous sommes ici chez nous, alors que les Arméniens sont des intrus; ne pourrait‑on pas, pour cette raison, les écarter un peu, négliger leurs intérêts? Voilà encore du chauvinisme. Il est préjudiciable à cette égalité des nationalités sur laquelle repose le pouvoir des Soviets.

Boukhara. Là, à Boukhara, il existe trois groupes ethniques : les Ouzbèks, nationalité principale; les Turkmènes, nationalité "de moindre importance" au regard du chauvinisme boukharien, et les Kirghiz, peu nombreux et, parait‑il, "moins importants".

Même chose au Khorezm : des Turkmènes et des Ouzbèks, les Ouzbèks formant la nationalité principale, les Turkmènes étant considérés comme "de moindre importance".

Tout cela aboutit à des conflits et à l’affaiblissement du pouvoir des Soviets. Cette tendance au chauvinisme local doit être, elle aussi, tranchée à la racine. Certes, comparé au chauvinisme grand-russe, qui fait à lui seul les trois quarts de la question nationale, le chauvinisme local n’a qu’une importance restreinte; mais pour le travail local, pour les hommes de l’endroit, pour le développement pacifique des Républiques nationales elles‑mêmes, il a une importance primordiale.

Parfois ce chauvinisme suit une évolution bien digne qu’on s’y intéresse. Je pense ici à la Transcaucasie. Vous savez qu’elle se compose de trois Républiques comprenant dix nationalités. Depuis des temps très anciens, elle a été le théâtre de massacres et de discordes, puis de guerres, au temps des menchéviks et des Dachnaks. Vous connaissez la guerre qui s’est déroulée entre la Géorgie et l’Arménie. Vous êtes également au courant des massacres d’Azerbaïdjan au début et à la fin de 1905. Je pourrais citer toute une série de régions où la majorité arménienne a massacré le reste de la population, composée de Tatars : Zanguézour, par exemple. Je pourrais signaler une autre province : celle de Nakhitchévan, où les Tatares, qui prédominaient, ont massacré tous les Arméniens. C’était à la veille de la libération de l’Arménie et de la Géorgie du joug de l’impérialisme. (Une voix dans la salle : "C’était leur manière de résoudre la question nationale!") Oui, c’est aussi une manière de résoudre la question nationale. Mais ce n’est pas la manière soviétique. Il va sans dire que les ouvriers russes ne sont pour rien dans cette mutuelle animosité nationale, puisque ce sont les Tatars et les Arméniens qui sont aux prises, sans les Russes. C’est pourquoi il faut en Transcaucasie un organisme spécial, capable de régler les rapports entre les nationalités.

On peut affirmer que les rapports entre le prolétariat de l’ancienne nation dominante et les travailleurs de toutes les autres nationalités font les trois quarts de la question nationale. Mais il faut compter pour un quart les rapports entre les nationalités autrefois opprimées.

Eh bien! Si, dans cette atmosphère de méfiance mutuelle, le pouvoir soviétique ne savait pas instituer en Transcaucasie un organisme de paix entre les nationalités, capable de régler frictions et conflits, nous reviendrions à l’époque du tsarisme ou à celle des Dachnaks, des Moussavatistes, des menchéviks, où les gens se brulaient et se massacraient les uns les autres. Aussi le Comité central a‑t‑il, à trois reprises, affirmé la nécessité de maintenir la Fédération de Transcaucasie en tant qu’organisme de paix entre les nationalités.

Il existait, et il existe encore, un groupe de communistes géorgiens qui protestent non contre l’entrée de la Géorgie dans l’Union des Républiques, mais contre le fait que cette entrée s’effectue par l’intermédiaire de la Fédération de Transcaucasie. Ils voudraient, voyez‑vous, se sentir plus près de l’Union; pas besoin, disent‑ils, entre nous, Géorgiens, et l’Union des Républiques, de ce mur que constitue la Fédération de Transcaucasie; pas besoin de fédération. Ce qui peut sembler très révolutionnaire.

Mais on décèle ici une autre intention. Tout d’abord, ces déclarations attestent que, dans la question nationale telle qu’elle se pose en Géorgie, l’attitude envers les Russes n’a qu’une importance secondaire : en effet, ces camarades-déviationnistes (c’est ainsi qu’on les appelle) n’élèvent aucune objection contre l’entrée directe de la Géorgie dans l’Union, c’est‑à‑dire qu’ils n’ont pas peur du chauvinisme grand-russe, estimant que de toute façon il est tranché à la racine, ou n’a pas une importance décisive. Il est bien évident qu’ils redoutent davantage la Fédération de Transcaucasie. Pourquoi? Pourquoi les trois peuples principaux qui vivent en Transcaucasie, qui se sont combattus si longtemps, qui se sont entretués et se sont fait la guerre; pourquoi ces peuples, maintenant que le pouvoir soviétique a enfin établi entre eux les liens d’une union fraternelle sous la forme d’une fédération et que cette fédération a donné de bons résultats, devraient‑ils briser les liens ainsi créés? De quoi s’agit‑il, camarades?

De ceci, que les liens créés par la Fédération de Transcaucasie privent la Géorgie de la situation privilégiée qu’elle aurait pu occuper en raison de sa position géographique. Jugez vous‑mêmes. La Géorgie a un port : Batoum, par où affluent les marchandises d’Occident; elle possède un noeud ferroviaire de l’importance de Tiflis, indispensable aux Arméniens et indispensable à l’Azerbaïdjan, qui reçoit ses marchandises de Batoum. Si la Géorgie était une république à part, si elle n’appartenait pas à la Fédération de Transcaucasie, elle pourrait adresser un petit ultimatum à la fois à l’Arménie, qui ne peut se passer de Tiflis, et à l’Azerbaïdjan, qui ne peut se passer de Batoum. La Géorgie en retirerait certains avantages. Ce n’est pas par hasard que le monstrueux décret, connu de tout le monde, sur l’établissement de cordons de troupes à la frontière, a été rédigé en Géorgie et non ailleurs. On en rejette à présent la responsabilité sur Sérébriakov. Soit. Mais le fait n’en reste pas moins que le décret a vu le jour en Géorgie, et non en Azerbaïdjan ou en Arménie.

Il existe encore une autre raison. Tiflis est la capitale de la Géorgie, mais les Géorgiens n’y représentent pas plus de 30 % de la population, les Arméniens 30 % au moins, les autres nationalités venant ensuite. Voilà ce qu’il en est de la capitale de la Géorgie. Si la Géorgie formait une république à part, on pourrait y procéder à certains transferts de population, par exemple faire partir la population arménienne de Tiflis. N’a‑t‑on pas adopté en Géorgie le fameux décret sur la "règlementation" de la population de Tiflis, décret dont le camarade Makharadzé a dit qu’il n’était pas dirigé contre les Arméniens? On se proposait de procéder à un transfert de population tel que le nombre des Arméniens de Tiflis aurait diminué, d’année en année, par rapport à celui des Géorgiens, et de faire ainsi de Tiflis une vraie capitale géorgienne. Je sais bien que le décret sur les expulsions a été rapporté. Mais il subsiste une foule de mesures souples, comme le "décongestionnement", grâce auxquelles on pourrait, tout en gardant les apparences de l’internationalisation, faire en sorte qu’il y ait moins d’Arméniens à Tiflis.

Ce sont ces avantages géographiques que les déviationnistes de Géorgie ne veulent point perdre, c’est la situation désavantageuse des Géorgiens à Tiflis même, où ils sont moins nombreux que les Arméniens, qui incitent nos déviationnistes à combattre la fédération. Les menchéviks expulsaient les Arméniens et les Tatars de Tiflis purement et simplement. Mais aujourd’hui, avec le pouvoir des Soviets, cela est impossible; il faut donc sortir de la fédération, et on aura alors la possibilité juridique de procéder en toute liberté à certaines opérations qui permettront d’utiliser à fond contre l’Azerbaïdjan et l’Arménie la position avantageuse des Géorgiens. On aboutirait ainsi à une situation privilégiée des Géorgiens au sein de la Transcaucasie. Tout le danger est là.

Pouvons‑nous créer, au mépris des intérêts de la paix entre les différentes nationalités de Transcaucasie, des conditions assurant aux Géorgiens une situation privilégiée par rapport aux Républiques d’Arménie et d’Azerbaïdjan? Non, nous ne pouvons l’admettre.

Il est un vieux système, bien spécial, de gouvernement des nations, qui veut que le pouvoir de la bourgeoisie se rapproche de certaines nationalités et leur octroie des privilèges, tandis qu’il abaisse les autres nations, en refusant de s’occuper d’elles. C’est ainsi qu’en se rapprochant d’une nationalité, il exerce par son intermédiaire une pression sur les autres. Telle était la méthode de gouvernement en Autriche, par exemple. Chacun se souvient de la déclaration du ministre autrichien Beust, qui, ayant fait appeler un ministre hongrois, lui dit : "Toi, gouverne tes hordes; moi, je me charge des miennes." En d’autres termes : pressure et écrase tes nationalités en Hongrie, j’en ferai autant en Autriche. Nous sommes, toi et moi, des nations privilégiées; écrasons les autres.

Il n’en allait pas autrement pour les Polonais intégrés à l’Autriche. Les Autrichiens se rapprochaient d’eux, ils leur accordaient des privilèges, afin que les Polonais les aidassent à renforcer leurs positions en Pologne, moyennant quoi ils leur permettaient d’étrangler la Galicie.

C’est là un système particulier, purement autrichien, qui consiste à faire une situation à part à certaines nationalités et à leur accorder des privilèges afin de venir à bout des autres. La bureaucratie y voit un procédé de gouvernement "économique", puisqu’on n’a affaire qu’à une seule nationalité; mais la politique y voit la mort certaine de l’État : en violant le principe de l’égalité des nationalités et en accordant des privilèges à l’une d’entre elles, on signe en effet l’arrêt de mort de sa politique nationale.

C’est exactement de cette façon que l’Angleterre gouverne l’Inde aujourd’hui. Pour venir à bout plus facilement, du point de vue de la bureaucratie, des nationalités et des groupes ethniques de l’Inde, l’Angleterre a divisé celle‑ci en Inde britannique (240 millions d’habitants) et Inde indigène (72 millions). Pourquoi? Parce que l’Angleterre voulait faire une situation à part à un groupe de nations et leur accorder des privilèges afin de gouverner plus commodément les autres nationalités. Il existe en Inde plusieurs centaines de nationalités, et l’Angleterre s’est dit : à quoi bon s’en occuper? Mieux vaut faire à quelques‑unes d’entre elles une situation à part, leur accorder certains privilèges et gouverner les autres par leur intermédiaire : d’abord, le mécontentement des autres se tournera alors non contre l’Angleterre, mais contre ces nations privilégiées; et ensuite, cela revient moins cher de "s’occuper" de deux ou trois nations seulement.

Voilà encore un système de gouvernement, le système anglais. À quoi aboutit‑il? À rendre l’appareil "meilleur marché", c’est exact. Mais, camarades, si on laisse de côté les avantages d’ordre bureaucratique, cela signifie la mort certaine de la domination anglaise en Inde; ce système rend inévitable, aussi sûr que deux et deux font quatre, la mort de l’administration et de la domination anglaises.

C’est dans cette voie dangereuse que nous poussent nos camarades, les déviationnistes de Géorgie, lorsqu’ils combattent la fédération en violant toutes les lois du Parti, lorsqu’ils veulent sortir de la fédération pour conserver une situation avantageuse. Ils nous poussent à leur accorder certains privilèges aux dépens des Républiques d’Arménie et d’Azerbaïdjan. Nous ne pouvons nous engager sur cette voie; ce serait en effet la mort certaine de toute notre politique et du pouvoir des Soviets au Caucase.

Ce n’est point un hasard si nos camarades de Géorgie ont senti le danger. En passant à l’attaque, ce chauvinisme géorgien, dirigé contre les Arméniens et les Azerbaïdjanais, a alerté le Parti communiste de Géorgie. Il est tout naturel que celui‑ci, qui a déjà tenu deux congrès depuis qu’il existe légalement, ait chaque fois condamné à l’unanimité la position des camarades partisans de la déviation, car, sans une Fédération de Transcaucasie, il est impossible, dans les conditions actuelles, de maintenir la paix et d’instaurer l’égalité au Caucase. On ne peut admettre qu’une nation soit privilégiée par rapport à une autre. Nos camarades l’ont compris. Voilà pourquoi, après deux années de luttes, le groupe Mdivani ne constitue qu’une minuscule poignée de gens sans cesse boutée dehors par le Parti en Géorgie même.

Ce n’est pas non plus un hasard si le camarade Lénine s’est tant pressé et s’il a tant insisté pour que la fédération soit instaurée sans retard. Ce n’est pas un hasard si, à trois reprises, notre Comité central a confirmé la nécessité de créer en Transcaucasie une fédération ayant son Comité central et son pouvoir exécutif, dont les décisions devraient être obligatoires pour les Républiques. Ce n’est pas un hasard si les deux commissions, celle du camarade Dzerjinski et celle de Kamenev et Kouïbychev, ont déclaré à leur retour à Moscou que la fédération était une nécessité.

Ce n’est pas un hasard, enfin, si les menchéviks du Sotsialistitcheski Viestnik[9] félicitent nos camarades déviationnistes pour leur lutte contre la fédération et les portent aux nues : qui se ressemble s’assemble.

Je passe à l’examen des moyens, des méthodes à l’aide desquels il nous faut triompher des trois principaux facteurs qui contrecarrent l’union : le chauvinisme grand-russe, l’inégalité de fait entre les nations et le nationalisme local, surtout lorsqu’il devient chauvinisme. Parmi les moyens qui peuvent nous aider à extirper sans douleur tout ce vieil héritage du passé, gênant pour le rapprochement des peuples, il en est trois que je mentionnerai.

Premier moyen : tout faire pour que le pouvoir des Soviets soit compris et aimé dans les Républiques, pour qu’il ne soit pas seulement russe, mais commun aux différentes nations. Il faut pour cela que non seulement les écoles, mais aussi toutes les institutions, tous les organismes du Parti et de l’administration soviétique prennent progressivement un caractère national, qu’ils usent de la langue que les masses comprennent, qu’ils fonctionnent dans des conditions adaptées au genre de vie du peuple en question. C’est à cette condition seulement que nous aurons la possibilité de faire du pouvoir des Soviets un pouvoir non seulement russe, mais aussi commun aux différentes nations, proche, compréhensible et cher aux masses laborieuses de toutes les républiques, et notamment de celles qui sont en retard sous le rapport économique et culturel.

Le second moyen qui peut nous faciliter l’extirpation sans douleur de l’héritage légué par le tsarisme et la bourgeoisie, c’est de donner aux commissariats de l’Union des Républiques une structure qui permette au moins aux principales nationalités d’avoir leurs représentants dans les différents collèges, et qui crée une situation telle que les besoins et les désidérata de chaque république soient satisfaits sans faute.

Troisième moyen : nous devons avoir, parmi nos organismes centraux supérieurs, un organe qui soit l’interprète des besoins et des désidérata de toutes les Républiques et nationalités sans exception.

C’est sur ce dernier point que je voudrais attirer spécialement votre attention.

Si nous pouvions instituer au sein du Comité exécutif central de l’Union deux Chambres égales en droits, dont l’une serait élue au Congrès des Soviets de l’Union, indépendamment des nationalités, tandis que l’autre serait élue par les Républiques et les régions nationales (toutes les Républiques ayant le même nombre de représentants, et toutes les régions nationales aussi), mais validée à ce même Congrès des Soviets de l’Union des Républiques, je crois que nos organismes supérieurs exprimeraient non seulement les intérêts de classe de tous les travailleurs sans exception, mais aussi les désidérata purement nationaux. Nous aurions un organisme qui reflèterait les intérêts spécifiques des nationalités, des peuples et des groupes ethniques de l’Union des Républiques. Il est impossible, camarades, dans les conditions qui existent chez nous, alors que l’Union groupe au total 140 millions d’habitants au moins, dont environ 65 millions ne sont pas russes, il est impossible, dis‑je de gouverner un tel État si l’on n’a pas devant soi, ici même, à Moscou, au sein de l’organisme suprême, des ambassadeurs de ces nationalités, qui expriment non seulement les intérêts communs à tout le prolétariat, mais encore les intérêts particuliers, spéciaux, spécifiques de l’ordre national. Sans cela, impossible de gouverner, camarades. Impossible de gouverner sans avoir en main ce baromètre, sans avoir des hommes capables d’énoncer ces besoins spéciaux des différentes nationalités.

Il existe deux moyens de gouverner un pays : dans le premier cas, l’appareil est "simplifié"; on a à sa tête, disons, un groupe ou un seul homme, qui a des yeux et des mains partout grâce à ses gouverneurs. C’est là une forme de gouvernement extrêmement simple; l’homme qui administre le pays reçoit les informations que peuvent lui fournir les gouverneurs, et il se berce de l’espoir que sa gestion est honnête et correcte. Puis surgissent les frictions; les frictions se transforment en conflits, les conflits en soulèvements. Puis les soulèvements sont écrasés. Ce système de gouvernement n’est pas le nôtre; de plus, il est trop couteux malgré sa simplicité. Mais il est un autre système, le système soviétique. Au pays des Soviets, nous appliquons une méthode qui permet de prévoir avec exactitude tous les changements, toutes les circonstances, chez les paysans comme chez les nationaux, chez ceux qu’on est convenu d’appeler les "allogènes" comme chez les Russes, de sorte qu’il existe dans les organismes suprêmes un certain nombre de baromètres qui annoncent le moindre changement, signalent à l’avance le mouvement "basmatch"[10], le banditisme, Cronstadt, toutes les tempêtes et tous les cataclysmes. Tel est le système de gouvernement soviétique. Et s’il s’appelle pouvoir des Soviets, pouvoir populaire, c’est parce que, appuyé sur les masses, il est le premier à détecter un changement, parce qu’il prend les mesures appropriées et redresse à temps la ligne politique si elle a dévié, ‑ parce qu’il se critique lui‑même, et redresse la ligne politique. Ce système de gouvernement, c’est le système soviétique, et il nous oblige à avoir dans le réseau de nos organismes supérieurs des organes qui reflètent tous les besoins et tous les désidérata nationaux.

On objecte que ce système complique l’administration, qu’il multiplie les organismes nouveaux. C’est exact. Jusqu’ici, nous avions le Comité exécutif central de la RSFSR; puis nous avons créé le Comité central de l’Union; il faudra maintenant dédoubler ce dernier. Mais on n’y peut rien. J’ai déjà dit que le système de gouvernement le plus simple est de confier la gestion des affaires à une seule personne assistée de gouverneurs. Seulement, depuis Octobre, les expériences de ce genre sont exclues. Le système s’est compliqué, mais il facilite le gouvernement et il le rend profondément soviétique. C’est pourquoi je suis d’avis que le Congrès doit accepter l’institution d’un organisme spécial, ‑ une seconde Chambre au sein du Comité exécutif central de l’Union, ‑ comme une nécessité absolue.

Je ne dirai pas que c’est là un moyen parfait d’assurer la coopération des peuples de l’Union; je ne dirai pas que c’est là le dernier mot de la science. Nous poserons encore plus d’une fois la question nationale; car les conditions nationales et internationales changent et elles peuvent encore changer. Je ne suis pas sûr que nous ne devrons pas séparer de nouveau certains commissariats que nous fusionnons au sein de l’Union des Républiques, si l’expérience montre que cette fusion conduit à des résultats négatifs. Mais une chose est claire : dans les conditions actuelles, dans la situation présente, nous n’avons pas à notre disposition de meilleure méthode, ni un autre organisme qui fasse mieux l’affaire. Nous n’avons pas pour le moment de meilleur moyen ni d’autre possibilité que l’institution d’une seconde Chambre pour créer un organisme capable de refléter toutes les oscillations, tous les changements intervenus au sein de chaque République.

Il va sans dire que dans cette seconde Chambre doivent être représentés non seulement les quatre Républiques qui se sont unies, mais aussi tous les peuples, puisqu’il s’agit non seulement des républiques (au nombre de quatre) qui se sont officiellement unies, mais de tous les peuples et de toutes les nationalités de l’Union des Républiques. C’est pourquoi nous devons avoir une forme qui exprime les désidérata de toutes les nationalités et Républiques sans exception.

Je me résume, camarades.

L’importance de la question nationale est donc déterminée par la nouvelle situation internationale, par le fait que nous devons ici, en Russie dans notre fédération, donner à la question nationale une solution juste, une solution modèle, afin de fournir un exemple à l’Orient, où se trouvent les principales réserves de la révolution, et d’accroitre, ce faisant, le crédit de notre fédération auprès d’elles et sa puissance d’attraction sur elles.

Du point de vue de la situation intérieure, les conditions créées par la Nep, le chauvinisme grand-russe en train de se renforcer et le chauvinisme local nous font également un devoir de souligner l’importance particulière de la question nationale.

J’ai dit, ensuite, que l’essentiel, dans la question nationale, est l’établissement de rapports justes entre le prolétariat de l’ancienne nation dominante et la paysannerie des nations autrefois assujetties; qu’à ce point de vue, la forme concrète que revêt actuellement la question nationale est la recherche des méthodes, la recherche des moyens propres à assurer la collaboration des peuples au sein de l’Union des Républiques, au sein d’un même État.

J’ai parlé ensuite des facteurs qui favorisent ce rapprochement des peuples. J’ai parlé des facteurs qui contrecarrent l’union. J’ai insisté spécialement sur le chauvinisme grand-russe qui est en train de se renforcer. C’est lui qui constitue le danger principal; il peut ruiner la confiance des peuples autrefois opprimés dans le prolétariat russe. C’est notre ennemi le plus dangereux, et nous devons l’abattre : si nous l’abattons, nous aurons abattu les neuf dixièmes du nationalisme qui a subsisté et se développe dans certaines Républiques.

Poursuivons. Le danger existe que quelques groupes de camarades ne nous poussent à attribuer des privilèges à certaines nationalités au détriment des autres. J’ai dit que nous ne pouvions nous engager dans cette voie, susceptible de ruiner la paix entre les nationalités et de tuer la confiance des masses des autres nationalités dans le pouvoir des Soviets.

J’ai dit encore que le principal moyen d’éliminer sans douleur ces facteurs qui contrecarrent l’union est de créer au sein du Comité exécutif central une seconde Chambre, dont j’ai parlé plus explicitement en février, à la session plénière du Comité central, et à laquelle les thèses font allusion en termes plus voilés afin de permettre aux camarades de suggérer eux‑mêmes une forme différente et plus souple, un organisme différent et plus approprié, qui soit capable de refléter les intérêts des nationalités.

Telles sont mes conclusions.

Je crois que c’est seulement en suivant cette voie que nous aboutirons à une solution correcte de la question nationale, que nous pourrons déployer largement le drapeau de la révolution prolétarienne et lui gagner la sympathie et la confiance des pays d’Orient, qui constituent les principales réserves de la révolution et peuvent jouer un rôle décisif dans les futures batailles du prolétariat contre l’impérialisme.

2.
Discours de clôture des débats sur le rapport
"Les facteurs nationaux dans l’organisation du Parti et de l’État"
(25 avril)

Camarades,

Avant de passer au compte rendu des travaux de la section de la question nationale, permettez-moi de répliquer aux orateurs qui sont intervenus sur mon rapport, à propos de deux points essentiels. Cela prendra en tout et pour tout une vingtaine de minutes, pas davantage.

Première question : un groupe de camarades ayant à sa tête Boukharine et Rakovski a démesurément grossi l’importance de la question nationale, l’a exagérée; la question nationale lui a fait perdre de vue la question sociale, la question du pouvoir de la classe ouvrière.

Pour nous, communistes, il est évident que la base de notre travail, est le renforcement du pouvoir des ouvriers; ce n’est qu’après que se pose à nous une autre question, très importante certes, mais subordonnée à la première : la question nationale. On nous dit qu’il ne faut pas blesser les sentiments des nationaux. C’est absolument juste, et je tombe d’accord là‑dessus : il ne faut pas blesser leurs sentiments. Mais partir de là pour créer une nouvelle théorie selon laquelle le prolétariat grand-russe doit être placé dans une position d’infériorité par rapport aux nations autrefois opprimées, c’est proférer une ineptie. Boukharine a fait un véritable mot d’ordre de ce qui, dans l’article connu du camarade Lénine, n’est qu’une façon de parler. Il est pourtant clair que la base politique de la dictature du prolétariat est constituée, avant tout et surtout, par les régions centrales, les régions industrielles, et non par celles de la périphérie, qui sont des contrées paysannes. Si nous forçons la note en faveur des régions paysannes de la périphérie et au détriment des régions prolétariennes, il peut en résulter une fissure dans l’organisme de la dictature du prolétariat. Cela est dangereux, camarades. En politique, il est interdit de rien exagérer, tout comme de rien sous-estimer.

N’oublions pas qu’à côté du droit des peuples à disposer d’eux‑mêmes, il y a le droit de la classe ouvrière de consolider son pouvoir, et que le premier est subordonné au second. Il est des cas où le droit de libre disposition entre en conflit avec un autre droit, un droit supérieur : celui de la classe ouvrière arrivée au pouvoir de consolider ce pouvoir. Dans ces cas‑là, ‑ disons‑le en toute franchise, ‑ le droit de libre disposition ne peut ni ne doit faire obstacle au droit qu’a la classe ouvrière d’exercer sa dictature. Le premier doit céder au second. C’est ce qui s’est passé, par exemple, en 1920, quand nous avons été obligés de marcher sur Varsovie pour défendre le pouvoir de la classe ouvrière.

Il ne faut donc pas oublier, avant de prodiguer les promesses aux nationaux, avant de faire des courbettes aux représentants des nationalités, comme certains camarades l’ont fait à ce Congrès, il faut se rappeler que la sphère de la question nationale et les bornes, pourrait‑on dire, de sa compétence sont limitées, en raison de notre situation extérieure et intérieure, par la sphère et la compétence de la "question ouvrière", qui est la question fondamentale.

Beaucoup se sont référés aux notes et aux articles de Vladimir Ilitch. Je ne voudrais pas citer mon maitre, le camarade Lénine; il n’est pas ici, et je craindrais de me référer à lui à tort et hors de propos. Néanmoins, je me vois obligé de citer un texte qui a le caractère d’un axiome et qui ne peut susciter aucun malentendu, afin qu’il ne subsiste chez les camarades aucun doute au sujet de l’importance relative de la question nationale. En analysant une lettre de Marx sur la question nationale dans un article consacré à la libre disposition, le camarade Lénine aboutit à la conclusion suivante :

Pour lui [Marx], il ne fait pas de doute qu’à côté de la "question ouvrière", la question nationale n’a qu’une importance subordonnée[11].

Il n’y a là que deux lignes, mais elles sont décisives. Voilà ce que certains de nos camarades, qui font du zèle, devraient bien se mettre dans la tête.

Seconde question : le chauvinisme grand-russe et le chauvinisme local. Sur ce point ont pris la parole Rakovski et surtout Boukharine, qui a proposé de supprimer le paragraphe relatif aux méfaits du chauvinisme local. À quoi bon, a‑t‑il dit, perdre son temps avec un vermisseau comme le chauvinisme local, quand nous avons devant nous le "Goliath" du chauvinisme grand-russe? D’une manière générale, Boukharine s’est montré d’humeur repentante. C’est compréhensible : pendant des années, il avait péché contre les nationalités et nié le droit de libre disposition. Il était temps, enfin, de battre sa coulpe. Mais ce faisant, il est tombé dans l’excès contraire. Il est curieux d’entendre Boukharine inviter le Parti à suivre son exemple et à faire aussi pénitence, quand chacun sait que le Parti n’est nullement en cause, puisque, dès le début de son existence (en 1898), il a reconnu le droit de libre disposition et n’a donc rien à se reprocher. Le fait est que Boukharine n’a pas compris le fond de la question nationale. Quand on dit que, dans cette question, la lutte contre le chauvinisme grand-russe doit passer au premier plan, on veut souligner par là le devoir des communistes russes, on veut dire par là que le devoir du communiste russe est de combattre lui‑même le chauvinisme russe. Si les communistes du Turkestan ou de Géorgie, et non les communistes russes, engageaient la lutte contre le chauvinisme russe, on considèrerait cela comme du chauvinisme antirusse. Cela brouillerait tout et renforcerait le chauvinisme grand-russe. Seuls les communistes russes peuvent engager la lutte contre le chauvinisme grand-russe et la mener jusqu’au bout.

Et qu’a‑t‑on en vue lorsqu’on recommande de combattre le chauvinisme local? On veut souligner par là le devoir, pour les communistes locaux, pour les communistes non-russes, de lutter contre leur propre chauvinisme. Peut‑on nier qu’il existe des tendances au chauvinisme antirusse? Mais tout le Congrès a pu, par lui-même, se convaincre qu’il existe un chauvinisme local géorgien, bachkire et autre, et qu’il faut le combattre. Les communistes russes ne peuvent lutter contre le chauvinisme tatar, géorgien ou bachkire; si un communiste russe assumait la lourde tâche de combattre le chauvinisme tatar et géorgien, on y verrait une lutte engagée par un chauvin grand-russe contre les Tatars ou les Géorgiens. Cela brouillerait tout. Seuls les communistes tatars, géorgiens et autres peuvent combattre le chauvinisme tatar, géorgien et autre; seuls les communistes géorgiens peuvent lutter avec succès contre le nationalisme ou le chauvinisme géorgien. Tel est le devoir des communistes non‑russes. Aussi doit‑on souligner dans les thèses cette double tâche : celle des communistes russes (lutte contre le chauvinisme grand-russe) et celle des communistes non‑russes (lutte contre le chauvinisme antiarménien, antitatar, antirusse). Sinon, les thèses seront unilatérales; sinon, il n’y aura d’internationalisme ni dans l’appareil de l’État, ni dans celui du Parti.

Si nous luttons uniquement contre le chauvinisme grand-russe, cette lutte fera perdre de vue celle qu’engagent chez eux les chauvins tatars et autres, lutte qui se développe sur le plan local et qui est particulièrement dangereuse aujourd’hui, dans les conditions de la Nep. Nous ne pouvons que soutenir la lutte sur deux fronts; en effet, le succès ne sera possible que si nous luttons sur ces deux fronts, d’une part contre le chauvinisme grand-russe, qui constitue le principal danger dans notre oeuvre d’édification, et d’autre part contre le chauvinisme local; sans cette lutte sur deux fronts, aucune union étroite n’est possible entre les ouvriers et les paysans russes et ceux des autres nationalités. Dans le cas contraire, on pourrait aboutir à un encouragement au chauvinisme local, à une politique de prime en sa faveur, ce que nous ne saurions admettre.

Permettez‑moi, à ce propos encore, de me référer au camarade Lénine. Je ne l’aurais pas fait si de nombreux camarades ne l’avaient, à notre Congrès, cité à tort et à travers, et en le déformant; permettez‑moi donc de vous lire ce passage d’un article du camarade Lénine que tout le monde connait :

Le prolétariat doit exiger la liberté de séparation politique pour les colonies et les nations opprimées par "sa" nation. Sinon, l’internationalisme du prolétariat resterait un mot vide de sens; ni la confiance, ni la solidarité de classe entre les ouvriers de la nation opprimée et de la nation qui opprime ne seraient possibles[12].

Telles sont, pour ainsi dire, les obligations des prolétaires d’une nation dominante ou autrefois dominante. Plus loin, Lénine parle des devoirs des prolétaires ou des communistes des nations autrefois opprimées :

D’autre part, les socialistes des nations opprimées doivent tout particulièrement défendre et réaliser l’unité totale et inconditionnelle, y compris en matière d’organisation, des ouvriers de la nation opprimée et de ceux de la nation qui opprime. Sinon, impossible d’assurer une politique indépendante du prolétariat et sa solidarité de classe avec le prolétariat des autres pays contre toutes les manigances, les trahisons et les escroqueries de la bourgeoisie. Car la bourgeoisie des nations opprimées se sert constamment des mots d’ordre de libération nationale pour duper les ouvriers[13].

Vous voyez que si l’on suit le camarade Lénine, ‑ et il y a des camarades ici qui n’ont juré que par son nom, ‑ on doit laisser dans la résolution les deux thèses, celle qui est dirigée contre le chauvinisme grand-russe aussi bien que celle qui est dirigée contre le chauvinisme local, étant donné que ce sont là deux aspects d’un même phénomène, que ce sont des thèses dirigées contre le chauvinisme en général.

Je borne là mes répliques aux orateurs qui sont intervenus sur ce problème.

Permettez‑moi maintenant de vous communiquer les résultats des travaux de la section de la question nationale. La section a pris pour base les thèses du Comité central. Elle en a laissé six points sans changement : les points 1, 2, 3, 4, 5, et 6. La discussion, à la section, a été surtout vive quand on s’est demandé si les Républiques autonomes devaient d’abord sortir de la RSFSR, et les Républiques indépendantes du Caucase sortir de la Fédération de Transcaucasie pour entrer individuellement dans l’Union des Républiques. C’était la proposition d’une partie des camarades géorgiens, proposition qui, on le sait, n’a pas la sympathie des délégations géorgienne, arménienne et azerbaïdjanaise. La section a examiné ce problème et, à une très forte majorité, elle s’est prononcée pour le maintien de la recommandation développée dans les thèses : la RSFSR continue à former une entité; il en va de même pour la Fédération de Transcaucasie, et elle entre comme telle dans l’Union des Républiques. On n’a pas mis aux voix toutes les propositions de ce groupe de camarades géorgiens : leurs auteurs, voyant qu’elles ne rencontraient aucune sympathie, les ont retirées. La lutte, sur cette question, a été sévère.

Le second problème qui a provoqué une vive discussion est celui de la structure de la seconde Chambre. Une partie des camarades (la minorité) proposait qu’elle comprenne les représentants non pas de toutes les républiques, nationalités et régions, mais uniquement des quatre Républiques : RSFSR, Fédération de Transcaucasie, Biélorussie et Ukraine. La majorité n’a pas retenu cette proposition et la section s’est prononcée contre elle, en estimant plus rationnel de former la seconde Chambre sur la base d’une représentation égale de toutes les Républiques (tant indépendantes qu’autonomes) et de toutes les régions nationales. Je n’exposerai pas les raisons alléguées, le représentant de la minorité, Rakovski, devant prendre ici la parole pour défendre sa proposition, qui n’a pas passé à la section. Quand il aura parlé, je présenterai aussi mes arguments.

Une discussion, pas très vive d’ailleurs, s’est encore engagée pour savoir s’il fallait introduire dans les thèses un amendement sur la nécessité de s’orienter, en résolvant la question nationale, non seulement sur l’Orient, mais sur l’Occident. La section s’est prononcée sur cet amendement, qui venait de la minorité, de Rakovski : elle l’a rejeté. Je reviendrai aussi sur cette question quand Rakovski aura parlé.

Je vais donner lecture des amendements qui ont été adoptés. Six points ont été votés sans modifications. Au point 7, deuxième paragraphe, troisième ligne, avant les mots : "C’est pourquoi la lutte décisive", intercaler ce qui suit :

La situation dans un certain nombre de Républiques nationales (Ukraine, Biélorussie, Azerbaïdjan, Turkestan) se complique du fait qu’une fraction importante de la classe ouvrière, principal appui du pouvoir des Soviets, appartient à la nationalité grand-russe. Dans ces régions, l’alliance de la ville et de la campagne, de la classe ouvrière et de la paysannerie rencontre un obstacle des plus puissants dans les survivances du chauvinisme grand-russe, aussi bien dans les organes du Parti que dans ceux de l’administration soviétique. Parler, dans ces conditions, de la supériorité de la culture russe et déclarer inévitable la victoire de cette culture, culture supérieure, sur celles des peuples plus en retard (cultures ukrainienne, azerbaïdjanaise, ouzbek, kirghiz, etc.), c’est tout simplement tenter de consolider la domination de la nationalité grand-russe.

J’ai accepté cet amendement parce qu’il améliore les thèses.

Le second amendement concerne également le point 7.

Avant la phrase "sinon il n’y a aucune raison d’estimer", ajouter le passage suivant :

Cette aide doit se traduire en premier lieu par l’adoption d’une série de mesures pratiques en vue de former, dans les Républiques des nationalités autrefois opprimées, des foyers d’industrie, où l’on attirera au maximum la population locale. Enfin, conformément à la résolution du 10e Congrès, cette aide doit s’accompagner d’une lutte des masses laborieuses pour consolider leurs positions sociales, contre les couches supérieures d’exploiteurs locaux et immigrés, qui se renforcent à la faveur de la Nep. Ces Républiques étant surtout des contrées agricoles, les mesures sociales intérieures doivent consister, principalement, dans la distribution aux masses laborieuses de terres prises sur les fonds disponibles de l’État.

Plus loin, dans ce même point 7, au milieu du deuxième paragraphe, là où il est question du chauvinisme géorgien, azerbaïdjanais et autre, ajouter : "Le chauvinisme arménien et autre." Les camarades d’Arménie n’ont pas voulu qu’on oubliât les Arméniens; ils ont tenu à ce que leur chauvinisme soit également mentionné.

Plus loin, au point 8 des thèses, après les mots "une et indivisible", ajouter :

Il faut également considérer comme un legs du passé la tendance de certaines administrations de la RSFSR à se subordonner les commissariats indépendants des Républiques autonomes et à préparer leur liquidation.

Ajouter plus loin, toujours au point 8 :

et en proclamant la nécessité absolue de l’existence et du développement des Républiques nationales.

Plus loin, au point 9, commencer comme suit :

L’Union des Républiques, formée sur la base de l’égalité et du libre consentement des ouvriers et des paysans des différentes Républiques, est la première expérience tentée par le prolétariat pour régler les relations internationales entre des pays indépendants, et le premier pas vers la création de la future République soviétique universelle du travail.

Le point 10 avait un paragraphe "a"; on l’a fait précéder d’un nouveau paragraphe "a" rédigé comme suit :

a) dans les organismes centraux de l’Union sera garantie l’égalité des droits et des devoirs des différentes Républiques, aussi bien en ce qui concerne leurs relations mutuelles qu’à l’égard du pouvoir central de l’Union.

Puis viendra un paragraphe "b", qui n’est autre que l’ancien paragraphe "a", rédigé comme suit :

b) dans le réseau des organismes suprêmes de l’Union, il sera créé un organe spécial représentant toutes les Républiques et régions nationales sans exception, sur la base de l’égalité; toutes les nationalités faisant partie de ces Républiques y seront représentées dans la mesure du possible.

L’ancien paragraphe "b" devient le paragraphe "c", rédigé comme suit :

c) la structure des organismes exécutifs de l’Union garantira une participation effective des représentants des Républiques à leurs travaux et la satisfaction des besoins et désidérata des peuples de l’Union.

Puis viendra un paragraphe "d", nouveau :

d) des droits suffisamment larges seront attribués aux Républiques en matière financière, et notamment budgétaire, afin qu’elles puissent faire preuve d’initiative dans l’administration de l’État, ainsi que dans les domaines culturel et économique.

Suivra l’ancien paragraphe "c", devenu paragraphe "e" :

e) les organes des Républiques et régions nationales seront composés de préférence de gens du pays, connaissant la langue, les us et les coutumes des peuples intéressés.

On a ajouté ensuite un paragraphe nouveau. Ce sera le point "f" :

f) des lois spéciales seront adoptées pour garantir l’usage de la langue maternelle dans tous les organismes de l’État et dans toutes les administrations auxquelles la population locale et nationale et les minorités nationales ont affaire; d’après ces lois, quiconque aura porté atteinte aux droits nationaux et notamment aux droits des minorités nationales, sera poursuivi et châtié avec toute la rigueur révolutionnaire.

On ajoute ensuite un paragraphe "g" :

g) le travail éducatif sera intensifié dans l’Armée rouge en vue d’inculquer les idées de fraternité et de solidarité entre les peuples de l’Union, et des mesures pratiques seront appliquées pour organiser des unités nationales, toutes les précautions étant prises pour assurer l’entière capacité de défense des Républiques.

Telles sont les additions adoptées par la section et contre lesquelles je n’ai pas d’objection, puisqu’elles rendent plus précises les thèses.

Quant à la deuxième partie, aucun amendement tant soit peu sérieux n’y a été apporté. On a proposé quelques corrections insignifiantes, que la commission élue par la section de la question nationale a décidé de renvoyer au futur Comité central.

La seconde partie reste donc telle qu’elle figure dans les documents imprimés qui ont été distribués.

3.
Réponse aux amendements de la résolution
(25 avril)

Bien que Rakovski ait modifié les deux tiers de la résolution présentée par lui à la section et qu’il l’ait réduite des trois quarts, je me prononce résolument contre son amendement. Et voici pourquoi. Nos thèses sur la question nationale sont établies en sorte que nous ayons pour ainsi dire la face tournée vers l’Orient, les regards fixés sur les grandes réserves latentes qu’il recèle. La manière dont nous avons posé l’ensemble de la question nationale s’inspire de l’article d’Ilitch, où, que je sache, il ne souffle mot de l’Occident, parce que ce n’est pas là qu’est le centre de la question nationale, mais dans les colonies et semi-colonies d’Orient. Rakovski voudrait que, tout en nous tournant vers l’Orient, nous nous tournions aussi vers l’Occident. Mais c’est impossible, camarades, et contre nature. On se tourne soit d’un côté, soit de l’autre, mais on ne peut le faire des deux côtés à la fois. Nous ne pouvons ni ne devons changer le ton général des thèses, leur ton oriental. C’est pourquoi j’estime que l’amendement de Rakovski doit être repoussé.

J’accorde à cet amendement une importance extrême. Si le Congrès l’adopte, je dois dire que les thèses s’en trouveront bouleversées. Rakovski propose de constituer la seconde Chambre de telle sorte qu’elle se compose des représentants des États. Il considère l’Ukraine comme un État, mais non la Bachkirie. Pourquoi? Nous ne supprimons pourtant pas les Conseils des commissaires du peuple des Républiques. Le Comité exécutif central de Bachkirie n’est‑il pas une institution d’État? Et pourquoi la Bachkirie ne serait‑elle pas un État? L’Ukraine cessera‑t‑elle d’en être un après son entrée dans l’Union? Le fétichisme de l’État a égaré Rakovski. Si les nationalités sont égales en droits, si elles ont chacune sa langue, ses moeurs, ses us et coutumes, si elles ont créé leurs institutions d’État; leur Comité exécutif central et leur Conseil des commissaires du peuple, n’est‑il pas clair que toutes ces formations nationales constituent des États? Je ne pense pas que nous puissions nous départir du principe de l’égalité des Républiques et des nationalités dans la seconde Chambre, notamment en ce qui concerne les nationalités d’Orient.

De toute évidence, Rakovski est séduit par le système fédératif prussien. La fédération allemande est constituée de telle manière, qu’il n’existe aucune égalité entre les États. Pour ma part, je propose de faire en sorte qu’à côté de la représentation de classe, ‑ la première Chambre, élue au Congrès des Soviets de l’Union, ‑ nous ayons une représentation des nationalités sur une base d’égalité. Les peuples d’Orient, qui sont organiquement liés à la Chine et à l’Inde, qui leur sont liés par la langue, la religion, les moeurs, etc., ont une importance primordiale pour la Révolution. L’importance spécifique de ces nationalités peu nombreuses est de beaucoup supérieure à celle de l’Ukraine.

Si nous commettons une petite erreur en Ukraine, les effets n’en seront pas très sensibles en Orient. Mais il suffit de commettre une petite erreur dans un petit pays comme l’Adjaristan (120.000 habitants), pour que les effets s’en fassent sentir en Turquie, et dans tout l’Orient, car la Turquie est rattachée à l’Orient par les liens les plus étroits. Il suffit de commettre une petite erreur à l’égard de la petite région des Kalmouks, qui sont en relations avec le Tibet et la Chine, pour que cela ait de plus graves répercussions sur notre travail qu’une erreur à l’égard de l’Ukraine. Nous sommes placés devant la perspective d’un puissant mouvement en Orient et notre effort doit viser avant tout à éveiller l’Orient, sans rien faire qui puisse amoindrir, même de loin, même indirectement, l’importance de chaque nationalité, si petite soit‑elle, de nos régions périphériques de l’Est. C’est pourquoi j’estime qu’il serait plus juste, plus rationnel et plus avantageux pour la révolution, au point de vue du gouvernement d’un grand pays comme l’Union des Républiques, qui compte 140 millions d’habitants, ‑ que le mieux serait de faire en sorte que dans la seconde Chambre, toutes les Républiques et toutes les régions nationales soient représentées sur un pied d’égalité. Nous avons huit Républiques autonomes ainsi que huit Républiques indépendantes; la Russie adhèrera en tant que République; nous avons quatorze régions : ce sera là cette seconde Chambre qui doit refléter tous les besoins et desideratas des nationalités et faciliter le gouvernement d’un aussi grand pays. C’est pourquoi j’estime que l’amendement de Rakovski doit être repoussé.

4.
Supplément au rapport
de la commission de la question nationale
(25 avril)

Camarades,

En vous présentant mon rapport sur les travaux de la section de la question nationale, j’ai omis deux petites additions, qu’il ne convient pas d’omettre. Au paragraphe 10 du point "b", là où il est dit qu’il faut instituer un organisme spécial où seront représentées, sur la base de l’égalité, toutes les républiques et toutes les régions nationales sans exception, il y a lieu d’ajouter : "en tenant compte dans la mesure du possible de toutes les nationalités faisant partie de ces Républiques"; en effet, certaines des Républiques qui seront représentées à la seconde Chambre, comprennent plusieurs nationalités. Par exemple, le Turkestan. On y trouve, outre les Ouzbèks, des Turkmènes, des Kirghiz et d’autres groupes ethniques; il faut donc faire en sorte que chacune de ces nationalités ait sa représentation.

Seconde addition, portant sur la deuxième partie, tout à la fin :

Étant donné l’importance énorme que prend l’activité des militants responsables dans les républiques autonomes et indépendantes, et dans les régions périphériques en général (établissement du contact entre les travailleurs de la République en question et ceux du reste de l’Union), le Congrès fait un devoir au Comité central de procéder avec un soin particulier aux choix de militants capables d’assurer pleinement l’application effective des décisions du Parti sur la question nationale.

Deux mots enfin, au sujet d’une remarque qu’a faite Radek dans son discours. Ce sont les camarades arméniens qui me le demandent. Cette remarque, selon moi, ne correspond pas à la réalité. Radek a dit ici que les Arméniens oppriment, ou peuvent opprimer, les Azerbaïdjanais en Azerbaïdjan et que, réciproquement, les Azerbaïdjanais peuvent opprimer les Arméniens en Arménie. Je dois dire que des faits de ce genre ne peuvent se produire. Ce qui arrive, au contraire, c’est qu’en Azerbaïdjan, les Azerbaïdjanais, étant en majorité, oppriment les Arméniens et les massacrent, comme ce fut le cas au Nakhitchévan, où ils ont égorgé presque tous les Arméniens; de même, les Arméniens, en Arménie, massacrent presque tous les Tatars : ce fut le cas à Zanguézour. Mais qu’une minorité étrangère opprime dans un État ceux qui en compose la majorité, c’est là une chose qui n’est pas naturelle et ne s’est jamais vue!

 

Notes



[1]. Source : I. V. Staline, Oeuvres, tome 5 (1921‑1923); Paris, Nouveau Bureau d’Édition, 1980; p. 159‑168.

[2]. Le projet de thèses sur la question nationale pour le 12e Congrès du Parti fut discuté à la session plénière du Comité central du PC(b)R, le 21 février 1923. Une commission présidée par Staline fut créée pour mettre ces thèses définitivement au point. Le Bureau politique du Comité central du PC(b)R les examina et les approuva le 22 mars. Elles furent publiées le 24 mars dans le n° 65 de la Pravda. (IMEL.)

[3]. "Smenovékhovstvo" : courant politique bourgeois qui prit naissance à l’étranger en 1921 dans l’émigration contrerévolutionnaire russe. Ses dirigeants : N. Oustrialov, I. Klioutchnikov, d’autres encore, éditèrent la révue Sména Vekh [Changements de jalons] (ce titre avait d’abord été celui d’un recueil d’articles). Le "Smenovékhovstvo" traduisait les idées de cette partie de la bourgeoisie qui renonçait à la lutte armée ouverte contre le pouvoir des Soviets. Ses tenants espéraient que le passage de la Russie soviétique à la nouvelle politique économique aurait pour effet de transformer graduellement le système soviétique en une démocratie bourgeoisie. (IMEL.)

[4]. Voir la résolution du 10e Congrès du PC(b)R : "Les tâches immédiates du Parti dans la question nationale", dans les Résolutions et décisions des congrès, conférences et sessions plénières du Comité central du PCU, 1re partie, 1953, p. 559, édition russe. (IMEL.)

Voir : 10e congrès du Parti communiste (bolchevik) russe (8‑16 mars 1921) 

[5]. Source : I. V. Staline, op. cit.; p. 169‑230.

[6]. 8e congrès du Parti communiste (bolchevik) russe (18‑23 mars 1919).

[7]. 10e congrès du Parti communiste (bolchevik) russe (8‑16 mars 1921).

[8]. Dans l’original : antirusse, ce qui est manifestement une erreur.

[9]Sotsialistitcheski Viestnik [Le Courrier socialiste], organe des émigrés menchéviks contrerévolutionnaires. Fondé par Martov en février 1921 et publié à Berlin jusqu’en mars 1933, à Paris de mai 1933 à juin 1940, ensuite en Amérique. Il devint le porte-parole des milieux impérialistes les plus réactionnaires. (IMEL.)

[10]. Le mouvement basmatch est un mouvement nationaliste contrerévolutionnaire d’Asie centrale (Turkestan, Boukhara, Khorezm) des années 1918-1924. Il prit la forme d’un banditisme déclaré à caractère politique. Dirigé par les "beys" et les "mullahs", il visait à détacher les républiques d’Asie centrale de la Russie soviétique et à restaurer la domination des classes exploiteuses. Le mouvement basmatch était activement soutenu par les impérialistes anglais qui se proposaient de faire de l’Asie centrale un colonie. (IMEL.)

[11]. Lénine : "Du droit des nations à disposer d’elles-mêmes", Oeuvres, 4e édition russe, t. 20, p. 406. (IMEL.) [Oeuvres, t. 20, p. 461.]

[12]. Lénine : "La révolution socialiste et le droit des nations à disposer d’elles-mêmes", Oeuvres, 4e édition russe, t. 22, p. 136. (IMEL.) [Oeuvres, t. 22, p. 160.]

[13]. Lénine : Oeuvres, t. 22, p. 160-161