Impérialisme et antiimpérialisme aujourd’hui
LA VOIX DES COMMUNISTES, no 11, octobre 2014 – p. 10-12
(Texte disponible sous forme de fichier PDF)
I – LE SYSTÈME CAPITALISTE-IMPÉRIALISTE
En ce début du XXIe siècle les conflits armés et agressions impérialistes se sont multipliés. Elles ont donné lieu chez ceux qui se réclament du communisme et dans les milieux anti impérialistes à des analyses et des positionnements politiques – tant en politique intérieure qu’extérieure – totalement erronés concernant le capitalisme ayant atteint son stade suprême, l’impérialisme.
En politique extérieure, partant du constat que ces agressions et conflits sont le fait des impérialistes occidentaux, nord-américain et européens, la Russie et la Chine sont considérés comme des défenseurs de la paix mondiale et des peuples opprimés que nous devrions soutenir. Certains, lors des évènements de Crimée ont même qualifié Poutine de « Lénine de notre époque ».
En politique intérieure, le caractère impérialiste de la France et des conséquences que cela implique dans son organisation économique et politique sont occultés. On entraine les militants à se battre pour une France capitaliste débarrassée de la domination du capital financier en rêvant d’un retour à une situation révolu à jamais des trente glorieuses et des revendications du programme du CNR.
Tous ces positionnements s’appuient sur une connaissance erronée ou superficielle de l’impérialisme, sur des préjugés et une vision du monde des classes dites « moyennes » dont la survie est liée à la survie et au développement du mode de production capitaliste.
Cet article est le premier de toute une série d’articles qui devraient éclairer les divers aspects du système capitaliste contemporain et contribuer à définir la politique des communistes et de tous les anticapitalistes conséquents dans leur lutte contre ce système aujourd’hui historiquement dépassé et décadent.
L’évolution historique inévitable du capitalisme en impérialisme
Marx et Engels dans le Manifeste du parti communiste[1] avaient en 1848 avaient magistralement décrit les causes qui ont conduit à cette évolution :
« Poussée par le besoin de débouchés toujours nouveaux, la bourgeoisie envahit le monde entier. Il lui faut s’implanter partout, exploiter partout, établir partout des relations. Par l’exploitation du marché mondial, la bourgeoisie donne un caractère cosmopolite à la production et à la consommation de tous les pays »
Et ce « au grand désespoir des réactionnaires[2] » :
« (…) au grand désespoir des réactionnaires elle a enlevé à l’industrie sa base nationale. Les vieilles industries nationales ont été détruites et le sont encore chaque jour. Elles sont supplantées par de nouvelles industries dont l’adoption devient une question de vie ou de mort pour toutes les nations civilisées, industrie qui n’emploient plus des matières premières indigènes, mais des matières premières venues des régions les plus lointaines, et dont les produits se consomment non seulement dans le pays même mais dans toutes les parties du globe (…) À la place de l’ancien isolement des provinces et des nations se suffisant à elles-mêmes, se développent des relations universelles, une interdépendance universelle des nations. »
Plus tard Lénine, dans son ouvrage « L’impérialisme stade suprême du capitalisme »[3] définira cette évolution comme la phase ultime, suprême du capitalisme, l’impérialisme. À ce stade l’économie mondiale est dominée par les monopoles, les multinationales. Les monopoles sont la conséquence de l’accumulation du capital et à la nécessité pour continuer à se valoriser avec profit à dépasser les frontières du marché national devenu trop exigu et conquérir des marchés extérieurs, des débouchés financiers par l’exportation des capitaux et s’assurer l’approvisionnement en matières premières.
Si l’on devait définir l’impérialisme aussi brièvement que possible, écrit Lénine :
« Il faudrait dire qu’il est le stade monopoliste du capitalisme. Cette définition embrasserait l’essentiel, car, d’une part, le capital financier est le résultat de la fusion du capital de groupements monopolistes d’industriels, et, d’autre part, le partage du monde est la transition de la politique coloniale (..) à la politique coloniale de la possession monopolisée de territoires d’un globe entièrement partagé[4]. »
Et la France est l’une des grandes nations « civilisées » à avoir atteint ce stade. Stade qui le seul mode d’existence possible du capitalisme, aucun retour en arrière n’est possible.
Le capital financier et sa domination
Une caractéristique de cette évolution est la domination du capital financier. Il est selon l’expression de Lénine « la fusion du capital bancaire et du capital industriel, et la création, sur cette base de ce "capital financier", d’une oligarchie financière »[5]. « L’impérialisme est le capitalisme arrivé à un stade de développement où s’est affirmé la domination des monopoles et du capital financier[6]. »
On comprend mieux l’affolement des États devant la « faillite des banques » et leur célérité à les empêcher de sombrer lors de la dernière crise financière[7].
Bref le capitalisme ne serait pas le capitalisme sans le capital financier à la base de son existence et de sa survie. La politique visant à désigner le capital financier comme responsable des malheurs du capitalisme alors qu’il en est au contraire une des conditions de sa survie et à prôner sa limitation est une politique utopique, irréalisable sous le capitalisme impérialisme et ne fait que détourner les travailleurs de la véritable cible qu’ils doivent abattre : le système capitaliste.
États capitalistes et monopoles
L’internationalisation et l’énorme puissance des trusts et monopoles internationaux – certains ont un chiffre d’affaire supérieur à certains budgets d’État dans le monde – ont conduit certains à prédire l’affaiblissement du rôle de l’État. Remarquons simplement que la persistance des affrontements politiques, économiques et géostratégiques entre les grandes puissances impérialistes[8], leurs interventions directes dans les problèmes économiques contredisent cette position et montre tout au contraire leur rôle essentiel pour la survie de l’économie capitaliste. Tout monopole s’affronte sur le marché international à ses concurrents, il reçoit de la part de l’État du ou des pays dont il est originaire (cf. Airbus pour la France et l’Allemagne face aux USA pour Boeing) l’appui politique, militaire, diplomatique et subventions publiques nécessaires.
Dans cette affaire : « Au fur et à mesure que s’aggrave les contradictions de l’impérialisme, les monopoles renforcent leur mainmise directe sur l’appareil d’état. Les grands magnats du capital jouent de plus en plus le rôle de dirigeants de l’appareil d’état[9]. » C’est ainsi que l’on voit des grands patrons passer des cabinets ministériels à la tête d’entreprises publiques ou privées et vice versa.
L’intervention de l’État en faveur des monopoles, s’exerce sous les formes les plus variées : propriété d’État, entreprise d’État, activités d’entreprises mixtes, programmes économiques finalisés, régulation des investissements, stimulation de la demande, financement de la recherche scientifique, l’éducation…. L’État reste le plus grand « patron » de France, il contrôle notamment toute l’industrie de l’armement.
Cette reconnaissance du rôle de l’État en faveur des monopoles n’implique pas pour les communistes de devenir les défenseurs du petit capital opprimé par les monopoles et de préconiser comme solution un « repli nationaliste ». Au contraire les communistes à l’instar de Lénine considèrent le capitalisme impérialiste comme la préparation matérielle la plus achevée pour le passage au socialisme phase inférieure de la société communiste.
Dans les prochains articles nous aborderons d’autres caractéristiques du capitalisme aujourd’hui et ses conséquences pour la lutte anti capitaliste. Citons sans ordre prédéfini : l’impérialisme et la guerre; impérialisme et crise systémique; impérialisme et développement inégal du capitalisme et possibilité du socialisme dans un seul pays; les luttes nationales contre l’impérialisme; les blocs impérialistes et les contradictions interimpérialistes aujourd’hui; la domination des monopoles sur l’ensemble de l’économie mondiale; le rôle économique et politique des organisations internationales (FMI, Banque Mondiale, OMC, ONU…) et régionales (EU, BRICS, Traité de Shanghai…); le lien entre l’impérialisme, le réformisme et le chauvinisme; la division internationale du travail et son organisation; conséquences sur les prolétaires, leur luttes et organisation face au capital….
Retenons principalement de cette première partie que l’impérialisme est le stade ultime et inévitable du capitalisme, que les monopoles et le capital financier sont la base économique de sa domination, qu’il est la préparation matérielle la plus aboutie pour passer rapidement au socialisme, que l’État capitaliste n’a pas changé de nature et est toujours plus au service du capital et le garant de sa domination sur la société. Il est illusoire de vouloir l’humaniser en en gommant ses conséquences les plus criardes. Autant vouloir un capitalisme sans capitalisme!
Conclusion provisoire :
Aujourd’hui on ne peut être antiimpérialiste sans être anticapitaliste et vice versa. Les communistes des pays impérialistes ont pour tâche de combattre l’impérialiste, pour l’abattre et abolir l’exploitation de l’homme par l’homme en instaurant le socialisme.
[1]. Dans le paragraphe « Bourgeois et prolétaires ». Nous encourageons le lecteur de lire ou de relire la totalité de ce passage qui montre entre autre la capacité de prévision et d’anticipation de l’analyse marxiste.
[2]. Souligné par nous.
[3]. Étude fondamentale sur l’impérialisme que tout militant antiimpérialiste, communiste, se doit d’avoir lu.
[4]. « L’Impérialisme stade suprême… », chap. 7 – § 2.
[5]. Ibidem, chap. 6 – § 5.
[6]. Ibidem.
[7]. Un article plus approfondi sur cette question du capital financier serait nécessaire, ce que nous ferons dans nos prochaines éditions.
[8]. Voir l’article sur la présence française en Afrique dans ce journal.
[9]. Manuel d’Économie Politique (édité par l’Académie des sciences de l’U.R.S.S.), partie « La place historique du capitalisme », p. 284.