Hors d’Afrique l’impérialisme français
LA VOIX DES COMMUNISTES, no 11, octobre 2014 – p. 13-16
(Texte disponible sous forme de fichier PDF)
En l’espace d’à peine quatre ans l’armée française a envahi la bagatelle de quatre pays africains (Côte d’ivoire, Libye, Mali et Centrafrique). Preuve, s’il en fallait, qu’une large partie du continent africain est restée sous la domination de la France, et ce, en dépit des "indépendances" des années 1960. Ces interventions militaires n’ont pas été motivées pour des raisons "humanitaires" ou pour lutter contre le terrorisme, comme le répètent à longueur de journées les médias. Elles tirent leurs raisons des intérêts nombreux que compte la France en Afrique et dans les luttes d’influence que se livrent les différents impérialismes pour le contrôle du gâteau africain.
Pourtant si à l’époque de Lénine la domination de la France était facilement identifiable (il suffisait pour cela d’une carte et de visualiser les différentes possessions coloniales), comment aujourd’hui l’impérialisme français parvient-il encore à enchainer les peuples africains?
"Nous protègerons aussi nos intérêts", a affirmé le président François Hollande après les attentats du 23 mai 2013 au Niger, attentats qui visaient notamment la mine d’uranium d’Arlit du groupe français Areva. Qu’appelle‑t‑on les intérêts français en Afrique?
Par intérêts il faut d’abord entendre intérêts économiques. L’Afrique recèle de nombreuses ressources indispensables aux économies des pays capitalistes. On estime que le continent africain représente 8 % des réserves mondiales de pétrole connues, 40 % du potentiel hydroélectrique mondial, la plus grosse partie des ressources mondiales de diamant et de chrome, 50 % de tout l’or du monde, 90 % du cobalt, 50 % des phosphates, 40 % du platine, de l’uranium, du coltan, etc. Bien entendu, du fait de son passé colonial, la France occupe une position de choix dans l’économie africaine.
Le Conseil français des investisseurs en Afrique (CIAN – Comité International pour l’Afrique Noire) estime la présence française à "1.000 établissements et 80.000 collaborateurs sur place" pour un chiffre d’affaires de "40 milliards d’euros". Ces intérêts représentent 17 % des exportations de la France (28 milliards d’euros en 2011 et 26 milliards pour les importations). En 2011, la France a investi plus de 4 milliards d’euros en Afrique, soit 7 % des investissements français à l’étranger. Pour bon nombre de pays africains, souvent des anciennes colonies, la France est sur le podium en matière d’importation, d’exportation ou d’investissements, parfois les trois et souvent en première place, notamment là où sévissent des régimes autoritaires et archicorrompus. Si sur l’ensemble de la zone franc, 20 % des investissements étrangers sont français, cette proportion avoisine les trois quarts au Gabon, au Cameroun, en Côte d’Ivoire et au Congo-Brazzaville… Côté exportations, sur l’ensemble de la zone franc, 25 % sont à destination de la France.
Parmi les grandes sociétés françaises installées en Afrique, la société Areva. Elle est présente au Niger pour l’exploitation de minerai d’uranium (70 % des exportations du pays). Autre exemple : Total tire 31 % de sa production du continent africain. Le groupe pétrolier exploite des gisements en Algérie, Angola, Gabon, Nigeria. Total mène des recherches dans d’autres pays du continent. "Total a économiquement besoin de l’Afrique. Nous sommes non seulement la première entreprise de France, mais aussi, et surtout, le premier investisseur français en Afrique. Et Total a beaucoup plus d’intérêts en Afrique qu’en France", résumait son PDG, Christophe de Margerie, dans Jeune Afrique. Autre société française particulièrement liée à l’Afrique, le groupe Bolloré. Sa filiale, Bolloré Africa Logistics, est le leader du transport et de la logistique en Afrique. Il est opérateur des terminaux conteneurs d’Abidjan, en Côte d’Ivoire, de Douala, au Cameroun, de Tema, au Ghana, de Lagos-Tincan au Nigeria, de Libreville-Owendo, au Gabon, de Pointe-Noire au Congo, et de Cotonou au Bénin.
Cette présence massive des grands monopoles français peut prendre l’aspect d’une véritable mainmise sur tous les secteurs de l’économie d’un pays. L’exemple de la Côte d’ivoire est édifiant. Les sociétés françaises ont investi d’abord dans le secteur des télécommunications, de l’énergie, des transports et de l’agro-industrie. Bouygues est actionnaire de la Compagnie ivoirienne d’électricité et de la Société des eaux de Côte d’ivoire. Les banques françaises (Société générale, Crédit lyonnais, BNP Paribas) sont dominantes sur le marché avec leurs filiales. Total possède 25 % de la Société ivoirienne de raffinage. France Télécom est devenue l’opérateur majeur en télécommunications de la république de Côte d’ivoire.
Ainsi, sous couvert de la fiction d’un pouvoir politique autonome et indépendant, ce pays est en réalité mis sous tutelle et ses ressources sont entièrement mises à la disposition des intérêts de l’impérialisme français. Ce type de dépendance néocolonial était déjà dénoncé par Lénine dans "L’Impérialisme, Stade Suprême du Capitalisme" :
Cette époque n’est pas seulement caractérisée par les deux groupes principaux de pays : possesseurs de colonies et pays coloniaux, mais encore par des formes variées de pays dépendants qui, nominalement, jouissent de l’indépendance politique, mais qui, en réalité, sont pris dans les filets d’une dépendance financière et diplomatique.
Pour protéger ses intérêts l’impérialisme français maintient dans de nombreux pays africains de son ancien empire colonial des bases militaires permanentes qui ont la double fonction d’assurer la sécurité des intérêts français mais aussi de permettre à l’armée française de se déployer rapidement sur tout le continent africain. Ces trente dernières années ce n’est pas moins de 50 opérations militaires qui ont été réalisées sur le sol africain. Le surnom dont est affublé la France, celui "gendarme de l’Afrique", n’est donc pas usurpé.
La présence militaire française est effective en :
– Côte d’ivoire ‑ Opération Licorne, 450 militaires
– Tchad ‑ Opération Épervier, 950 militaires
– Djibouti ‑ La plus importante base militaire française en Afrique, avec environ 1.900 militaires
– Gabon ‑ Une des quatre bases permanentes en Afrique (avec Dakar, Djibouti et La Réunion), environ 900 militaires.
– Sénégal (et Cap Vert) ‑ Force permanente dite "prépositionnée" de 350 militaires.
Si on ajoute les forces mobilisées dans le cadre des opérations extérieures (comme les récentes interventions au Mali et en Centrafrique), les forces navales dans le golfe de Guinée (pour surveiller les champs pétrolifères) et dans le golfe d’Aden (soi‑disant pour lutter contre la piraterie), les forces spéciales ne sont pas moins de 10.000 militaires présents en Afrique.
Ainsi d’après ce tableau sommaire des intérêts français en Afrique on pourrait dire que peu de choses ont changé depuis la période coloniale. Les anciennes colonies sont toujours enchainées par une série de dépendances économiques, diplomatiques et militaires. Les ressources de ces pays servent en priorité à alimenter les profits des grands monopoles français tandis que leurs marchés locaux servent de débouchés naturels à l’industrie française. Le maintien de cette domination est assuré par la présence de nombreuses troupes françaises qui s’assurent de la "loyauté" des régimes locaux (souvent autoritaires) à l’égard la France tout en protégeant les intérêts des grands monopoles.
Pourtant, cette situation, indépendance politique nominale mais dépendance économique de fait des pays africains, est fragile et peut être remise en cause du fait de l’évolution des rapports de force entre les différents impérialismes. La prise de possession directe des territoires, des débouchés et des matières premières, par le biais de la domination coloniale offrait l’avantage de l’exclusivité et la garantie que les concurrents étaient exclus de la compétition. Or, depuis plusieurs décennies désormais, la domination des vieilles puissances impérialistes, du fait du développement inégal du capitalisme et du fait de la crise mondiale, est remise en cause sur le continent africain mais aussi à l’échelle mondiale.
Alors que d’un côté les vieilles métropoles impérialistes sont frappées par des crises économiques à répétition, de l’autre de nouveaux venus (les "BRICS", de "Brésil-Russie-Inde-Chine-Afrique-d-Sud") remettent en cause la hiérarchie des grandes puissances et ne cessent de conquérir de nouveaux marchés. Sur le continent africain c’est la Chine qui est la plus active et qui est devenue le principal partenaire économique de l’Afrique. Jamais les échanges commerciaux entre la Chine et l’Afrique n’ont atteint de tels records. Pékin inonde de ses produits les marchés du continent noir tout en s’y approvisionnant en minerais. En quête de ressources énergétiques, l’empire du Milieu multiplie les investissements. En effet la croissance chinoise est dévoreuse de matières premières et les dirigeants chinois ont besoin de pérenniser leur approvisionnement (surtout en matières premières et en pétrole) en nouant des alliances ou des traités avec différents pays. En échange de l’accès aux matières premières les Chinois promettent souvent aux différents régimes africains des aides, des subventions voire des soutiens militaires (comme avec le Soudan).
C’est justement dans cette dynamique conquérante de la Chine sur le continent africain qu’il faut trouver la raison principale des interventions extérieures de la France. En effet de nombreux gouvernements africains, acquis depuis des décennies aux vieilles puissances impérialistes, se laissent désormais séduire par la politique du carnet de chèque pratiquée par la Chine. Les bourgeoisies locales, qui ne vivent que des miettes que leur laissent les impérialistes et leurs monopoles, sont donc tentées de se vendre au plus offrant. C’est ce qui est arrivé en 2008 quand la Chine a accordé à la Centrafrique des aides et un prêt pour un montant global de 3,25 milliards de francs CFA soit 4,4 millions d’euros. Dans le même temps une compagnie chinoise pétrolière était chargée de prospecter le sous-sol du pays pour évaluer les réserves en hydrocarbures. Un tel affront ne pouvait être toléré et en bon "civilisateur" la France s’est chargé de ramener, par la bonne vieille politique de la canonnière, les "indigènes" dans le droit chemin, c’est‑à‑dire dans le giron des multinationales françaises.
De l’aveu même de l’ex-président Bozizé, cette question du pétrole et de la Chine fut centrale dans les raisons inavouables de l’opération Sangaris. Il a en effet affirmé sur les ondes de Radio France International (RFI) que "j’ai été renversé à cause du pétrole".
C’est pour avoir cédé aux sirènes des impérialismes émergents que de nombreux gouvernements africains ont été ces dernières années renversés dans la violence par les impérialismes occidentaux. Étant affaiblis économiquement, les vieux pays capitalistes ne sont pas en mesure de s’aligner sur les propositions de la Chine. Cependant, ils gardent un net avantage sur le plan militaire et une expérience plus que centenaire des guerres coloniales en Afrique. Ils sont donc en mesure, par la force, de reconquérir les parts de marché perdus. La France est depuis plusieurs années dans une phase de reconquête, de recolonisation de l’Afrique, et il y a fort à parier que ce n’est qu’un début. L’Afrique est d’une importance vitale pour l’impérialisme français, tant par les matières premières qu’il en retire que par les profits qu’il peut y réaliser. La crainte de la perte de ses marchés obsède les politiques français : "Sans l’Afrique, la France serait reléguée au rang d’un pays du tiers-monde" (Jacques Chirac) ou encore "L’Afrique est l’avenir de la France" disait Jean-Marie Bockel dans un rapport commandité par le Sénat.
Pour garder son rang et accroitre les profits de ses monopoles, l’État français sous la responsabilité de son "chef de guerre" va continuer à déployer ses troupes en Afrique francophone et imposer aux peuples africains son règne par le fer et par le feu.
Dans cette situation, quels sont les intérêts du prolétariat français et donc la ligne à suivre pour les communistes?
Certains accréditent l’idée sans le dire toujours ouvertement que le pillage de l’Afrique et ailleurs par les monopoles français "profite" à toute la société française y compris aux prolétaires. Tous les courants politiques nationalistes chauvins ou patriotes, de droite comme de gauche, s’appuient sur cette idée pour soutenir la politique de domination de l’État impérialiste français en Afrique et ailleurs. Même certains courants qui se revendiquent communistes, estiment que sous d’autres formes, l’influence de la France en Afrique doit être préservée et défendue. Car d’autres pourraient profiter du recul de la France.
Mais posons concrètement la question : les prolétaires de France paient-ils moins cher l’énergie tirée de l’exploitation des ressources africaines et d’ailleurs par Total ou Areva? Les prix de la construction (et donc des loyers) et des transports sont-ils moins chers parce que Bouygues et Vinci investissent en Afrique et ailleurs dans le monde? Les conditions de travail et les salaires en France dans ces groupes monopolistes sont-elles meilleures?
Nullement. L’exploitation des ressources et du travail des ouvriers africains ne profite qu’à ces monopoles au service desquels est l’État français qui puise dans les finances publiques pour financer ses interventions militaires et pour soudoyer les bourgeoisies des États dominés.
En vérité, ni le prolétariat français ni les prolétaires des pays dominés d’Afrique et d’ailleurs n’ont d’intérêt à soutenir l’impérialisme français (ni aucun autre d’ailleurs). Leur intérêt commun est de combattre ensemble l’impérialisme, et pour les prolétaires français, d’abord l’impérialisme français, qu’il soit violent (agressions militaires) ou pacifique (corruption des bourgeoisies locales).
Le ROCML appelle les travailleurs de France à combattre l’impérialisme français et à soutenir les peuples qui luttent pour s’en affranchir.
Hors d’Afrique et d’ailleurs
les troupes militaires et les monopoles français