Les communistes et les luttes
d’émancipation et de résistance nationales
LA VOIX DES COMMUNISTES, no 12, avril 2015 – p. 29-31
(Texte disponible sous forme de fichier PDF)
1) Principes généraux
Les communistes affirment le droit des nations, des minorités nationales et des peuples à disposer d’eux-mêmes.
Ce principe vaut quand un pays impérialiste opprime ou agresse un État nation, et aussi à l’intérieur d’un État, quand une minorité nationale est opprimée par une nation dominante. Il entraine le droit d’une minorité à se séparer de l’État oppresseur, même si les frontières de cet État sont affectées par cette séparation. Les références aux frontières héritées de rapports de forces anciens ne sont pas un principe pour les communistes.
« En tant que démocrates, nous sommes hostiles sans restriction à toute oppression, si minime soit-elle, exercée contre une nationalité quelconque, à tout privilège accordé à une nationalité ou à une autre. En tant que démocrates, nous proclamons le droit à la libre disposition des nations, au sens politique du terme (cf. le programme du P.O.S.D.R.), c’est-à-dire la liberté de séparation[1]. »
En conséquence, les communistes soutiennent les luttes d’émancipation, de libération ou de résistance nationale, même quand le prolétariat n’en a pas la direction.
« Parfois, la bourgeoisie réussit à entraîner dans le mouvement national le prolétariat, et alors, la lutte nationale prend, en apparence, un caractère "populaire général", mais rien qu’en apparence. Dans son essence, elle reste toujours bourgeoise, avantageuse et souhaitable principalement pour la bourgeoisie. Mais il ne s’en suit nullement que le prolétariat ne doit pas lutter contre la politique d’oppression des nationalités. Les restrictions à la liberté de déplacement, la privation des droits électoraux, les entraves à l’usage de la langue, la réduction du nombre des écoles et autres mesures répressives atteignent les ouvriers autant que la bourgeoisie, sinon davantage. Une telle situation ne peut que freiner le libre développement des forces spirituelles du prolétariat des nations assujetties[2]. »
Suivant le principe du droit des nations et des peuples à disposer d’eux-mêmes, les communistes condamnent et combattent, quel qu’en soit le prétexte, toute ingérence d’un État dans les affaires intérieures d’un autre État souverain, en particulier contre toute intervention armée d’un État impérialiste pour soumettre un pays ou pour le maintenir sous sa domination.
2) Cadre concret dans lequel s’inscrivent les luttes d’émancipation, de libération et de résistance nationale
Au cours de la seconde moitié du XXe siècle, les rapports internationaux entre l’impérialisme occidental (et nippon) et les luttes de libération nationale se sont considérablement modifiés.
La dégénérescence, la division, puis la disparition du camp socialiste ont affaibli les mouvements de libération nationale et les a éloignés de la perspective d’une révolution sociale prolétarienne après la décolonisation.
Dans une partie des pays ayant accédé à l’indépendance, le pouvoir a été confisqué par des couches de la moyenne et petite bourgeoisie qui se sont mises sous la dépendance d’une puissance impérialiste ou d’une autre. Certains de ces pays décolonisés sont restés liés à l’ancienne métropole et d’autres, qui se sont libérés de l’impérialisme occidental, se sont liés à une autre grande puissance en apparence socialiste mais en réalité expansionniste, social-impérialiste, comme l’URSS après la contrerévolution khrouchtchévienne, ou la Chine. Dans ces pays, malgré la destruction des rapports coloniaux antérieurs et des progrès politiques et sociaux, la perspective du socialisme s’est aussi estompée avant de disparaitre pour le moment.
Aujourd’hui, la réalité est que les pays nés de la décolonisation sont des pays dirigés par une classe bourgeoisie, et que cette bourgeoisie autochtone est pieds et mains liés à un impérialisme ou à un autre, quand ce n’est à plusieurs à la fois.
La question nationale s’inscrit aujourd’hui dans les nouvelles contradictions interimpérialistes nées de la crise systémique mondiale qui s’impose à tous les pays impérialistes et aux pays dominés par l’impérialisme. Toute revendication nationale (à l’intérieur d’un pays ou entre un pays impérialiste et un pays dominé) tombe dans le cadre des rivalités interimpérialistes exacerbées par la crise et de leur guerre multiforme (militaire ou non) pour le repartage du monde. L’Irak, la Libye, la Syrie, l’Ukraine… illustrent cette réalité.
Dans chaque conflit, on trouve les agissements des puissances impérialistes rivales. Les discours de soutien aux peuples tenus par les unes et les autres ne sont que des mensonges destinés à masquer leurs visées prédatrices. La Russie et la Chine partagent avec les impérialismes occidentaux les mêmes objectifs : maintenir ou pousser leur mainmise économique sur les pays qu’ils dominent déjà et sur ceux qu’ils convoitent. Pas plus que les USA et les vieux impérialismes européens et nippons, la Russie et la Chine ne sont des amis des peuples.
Les communistes condamnent et combattent toutes les ambitions dominatrices et tous les actes agressifs d’un impérialisme contre un pays souverain et ils ont pour premier devoir de s’opposer aux menées de leur propre impérialisme national.
Ils ne soutiennent pas un impérialisme pour en combattre un autre, même si l’un est plus faible que l’autre ou qu’il parait moins agressif. Ils dénoncent les véritables visées des nouveaux impérialismes comme la Russie et la Chine qui avancent masqués au nom de la liberté des peuples.
Voici comment Lénine traitait cette question[3] :
« Admettons (…) qu’à la place du capital de la période de libération nationale intervienne le capital impérialiste international, le capital réactionnaire, financier. L’un des pays possède, disons, les trois quarts de l’Afrique et l’autre, le quart. Le contenu objectif de leur guerre est un nouveau partage de l’Afrique. Quel est le pays dont il faut souhaiter le succès? (…) Ce n’est pas l’affaire de la démocratie moderne que d’aider le premier pays à affermir son "droit" sur les trois quarts de l’Afrique, ni d’aider le second à s’approprier ces trois quarts (même si son évolution économique est plus rapide que celle du premier). La démocratie moderne ne sera fidèle à elle-même que si elle ne s’allie à aucune bourgeoisie impérialiste, si elle déclare que "l’une et l’autre sont les pires", si elle souhaite dans chaque pays la défaite de la bourgeoisie impérialiste. Toute autre solution sera, dans la pratique, national-libérale, et n’aura rien de commun avec l’internationalisme authentique. »
Cela étant clair, les communistes considèrent que les contradictions interimpérialistes peuvent être utilisées dans une lutte de résistance nationale à condition que cette lutte ne devienne pas inféodée, maintienne ses buts et conserve son indépendance. « Le fait que la lutte contre une puissance impérialiste pour la liberté nationale peut, dans certaines conditions, être exploitée par une autre "grande" puissance dans ses propres buts également impérialistes, ne peut pas plus obliger la social-démocratie à renoncer au droit des nations à disposer d’elles-mêmes, que les nombreux exemples d’utilisation par la bourgeoisie des mots d’ordre républicains dans un but de duperie politique et de pillage financier, par exemple dans les pays latins, ne peuvent obliger les social-démocrates à renier leur républicanisme[4]. »
Dans les questionnements que suscitent les politiques concrètes, sur le terrain, des mouvements d’émancipation et de résistance nationale face aux menées contradictoires des facteurs extérieurs et intérieurs, les communistes défendent le principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et se positionnent en accord avec les intérêts immédiats, mais aussi à moyen et long terme du prolétariat des nations concernées.
3) Conclusion
– Les communistes affirment et soutiennent le droit des nations, des minorités nationales et des peuples à disposer d’eux-mêmes, le droit de se libérer de la domination d’un impérialisme et, pour les minorités nationales, celui de se séparer de l’État oppresseur.
– Conséquemment, dans l’esprit de l’internationalisme prolétarien, les communistes condamnent et luttent contre toutes les formes d’interventions impérialistes, armées ou « pacifiques », visant à établir ou à maintenir leur domination sur un pays de même qu’ils soutiennent les revendications nationales des minorités nationales opprimées. Ils combattent en priorité leur propre impérialisme.
– Dans la complexité des rapports de rivalité inter-impérialistes provoquée par la disparition du camp socialiste et l’apparition d’impérialismes nouveaux, les communistes doivent, dans chaque conflit, analyser les enjeux multiples et contradictoires des parties en cause. En particulier, ils ne diffusent aucune illusion sur la nature du « soutien » que les nouvelles puissances impérialistes ex‑« socialistes » apportent aux victimes de leurs rivaux. Ils ne soutiennent pas un impérialisme pour en combattre un autre. Mais, parce qu’on ne peut pas combattre tous ses ennemis à la fois, ils n’excluent pas, dans une lutte de libération ou de résistance nationale, la possibilité d’utiliser tactiquement les contradictions inter-impérialistes pour combattre l’ennemi immédiatement le plus dangereux.
[1]. Lénine, "Projet de plate-forme pour le IVe Congrès de la social-démocratie du territoire de Lettonie" (1913); Oeuvres, tome 19; Paris, Éditions sociales, 1967; p. 107-116, ici p. 113.
[2]. Staline, Le marxisme et la question nationale (1913); Paris, Éditions Sociales, 1953; p. 42.
[3]. Lénine, "Sous un pavillon étranger" (1915); Oeuvres, tome 21; Paris, Éditions sociales, 1960; p. 133-156, ici p. 142-143.
[4]. Lénine, "La révolution socialiste et le droit des nations à disposer d’elles-mêmes" (1916); Oeuvres, tome 22; Paris, Éditions sociales, 1960; p. 155-166, ici p. 161.