Avec Rojava
Pour une Syrie libre, confédérale et démocratique !
LA VOIX DES COMMUNISTES, no 23, avril 2018 – p. 18-20
Depuis près d’un demi-siècle, le monde traverse une crise économique de surproduction qui engendre des contradictions nouvelles de plus en plus aigües entre les puissances prépondérantes, ainsi que celles qui sont de moindre envergure mais néanmoins actives.
Les causes de cette surproduction ne sont pas l’objet de cet article, mais toutes reposent sur un développement général anarchique et inégal des forces productives des pays les plus développés dont le but est le profit le plus massif possible pour leurs monopoles nationaux. Ce but engendre naturellement la politique expansionniste de ces pays. Les formes de cette politique expansionniste, qu’elles soient agressives, armées, ou pacifiques ne changent rien à leur contenu.
Tous les conflits politiques et militaires en cours et ceux à venir sont déterminés par cette nécessité de repartage du monde qui anime chaque État capitaliste impérialiste dans ses propres intérêts, c’est-à-dire dans les intérêts des classes et de couches sociales qui profitent directement ou indirectement des performances de leur politique nationale et internationale.
La stratégie et la tactique des principales puissances impérialistes (vieux États impérialistes comme les USA et les pays européens), mais aussi maintenant des nouveaux qui furent des États socialistes comme l’URSS, (et d’autres qui, comme la Chine se drapent encore dans le drapeau rouge), n’ont pas d’autre but que de dominer les parties les plus larges possibles de la planète afin de réaliser la plus grande masse de profits possible et de s’opposer aux intérêts de leurs rivaux. Aux appétits de ces grandes puissances impérialistes s’ajoutent ceux des puissances régionales qui visent à développer leurs propres intérêts.
Les références idéologiques agitées par les protagonistes du repartage actuel de la planète (démocratie, liberté, droits de l’homme, souveraineté des États, légalité internationale) n’ont aucune valeur politique ou morale réelle.
Ces références relèvent de la propagande. Qui ne comprend pas cette réalité ne peut pas comprendre les évènements qui surgissent et se développent aujourd’hui dans le monde.
Dans le mouvement qui se réclame du communisme et de l’anti-impérialisme, des organisations ou des militants ne reconnaissent pas cette analyse et se cramponnent à des schémas hérités de l’époque où le monde était partagé en deux : d’un côté l’impérialisme (les USA, les pays capitalistes-impérialistes du vieux continent dont le nôtre, la France, et le Japon en Asie), et de l’autre, le camp socialiste avec l’URSS à sa tête, rejointe par la Chine Populaire, allié aux mouvements de libération nationale et aux pays issus des victoires des luttes anticoloniales ayant conquis leur indépendance politique en tant qu’États. Ces organisations et ces militants ne regardent qu’avec un seul oeil, tourné vers le passé. Mais ils se cachent l’autre, pour regarder le présent.
Qu’ils le veuillent ou pas, le monde actuel – qu’il soit unipolaire ou multipolaire – est dominé par l’impérialisme, c’est-à-dire par les États dont la politique est fixée par les intérêts de leurs monopoles et de leur capital financier. Aucun de ces États ne peut, sans arrière-pensée dominatrice, apporter un soutien aux luttes des nations opprimées, aux peuples et au prolétariat mondial. Seuls les nations opprimées, les peuples et leurs prolétariats détiennent les clés de leur émancipation nationale et sociale. Dans leur combat émancipateur, ils ne peuvent qu’utiliser tactiquement les rivalités de leurs « amis » et de leurs adversaires circonstanciels.
La Syrie
La guerre en Syrie est l’illustration claire de cette analyse des contradictions du monde impérialiste actuel. La Syrie était devenue le point de cristallisation, dans cette partie du monde, d’un système de contradictions complexes, internationales, régionales et intérieures créant les conditions d’une guerre d’un type « moderne », ou chaque acteur, extérieur ou interne, essaie de faire avancer ses pions.
Le premier facteur, extérieur, c’est la lutte économique et géopolitique des grandes puissances impérialistes pour conquérir ou conserver leur mainmise sur la région et en particulier sur la Syrie. Pourquoi la Syrie? Parce qu’elle a des réserves importantes de gaz et de pétrole, mais aussi et surtout parce qu’elle s’ouvre à l’ouest sur le bassin méditerranéen, sur l’Afrique du Nord et l’Europe, et à l’est sur le Moyen-Orient et au-delà, l’Asie. Qui contrôle politiquement la Syrie contrôle en même temps l’une des routes les plus courtes qui vont de la Chine en Europe. D’un point de vue militaire géostratégique, la façade méditerranéenne de la Syrie, aujourd’hui utilisée par la Russie avec l’accord du gouvernement de Bachar el Assad est l’enjeu des convoitises des USA, de l’État sioniste d’Israël et de la Turquie.
Le second facteur, lui aussi extérieur, concerne les moyennes puissances régionales qui jouent leur intérêt en se plaçant pour ou contre l’une des puissances impérialistes rivales (Russie ou USA), et pour ou contre le pouvoir politique de Damas, en intervenant directement en faveur de Bachar el Assad comme l’Iran (par l’intermédiaire du Hezbollah), ou contre, comme la Turquie d’Erdogan, en soutenant militairement et financièrement tels ou tels groupes terroristes islamistes qu’ils contrôlent sur le terrain. L’entrecroisement des objectifs stratégiques des puissances impérialistes étatsunienne et russe et ceux des moyennes puissances régionales donne au conflit syrien un cours contradictoire, aléatoire, qu’on ne peut réduire au schéma de l’agression des impérialismes US et européens contre l’État syrien soutenu par une Russie et un Iran « antiimpérialistes ».
Le troisième facteur est interne à l’État syrien : il est double. Il s’agit de la lutte des Kurdes pour leurs droits nationaux et de la lutte de tous les peuples de Syrie pour les libertés démocratiques, contre la pauvreté et toutes les formes de l’oppression.
Hors du panier de crabes où se mêlent les différents intervenants qui se déchirent, s’accordent ponctuellement avant de se déchirer de nouveau, le peuple kurde de Syrie, qui est une partie de la nation kurde, a réussi à mettre en avant la seule perspective permettant de conduire à une solution historique ayant pour but la paix, la démocratie, la concorde entre les peuples, et la mise en oeuvre de rapports sociaux et politiques progressistes correspondant à la réalité de la société locale et régionale. Comme tous les peuples de Syrie, le peuple kurde subit la pauvreté économique créée par la crise de l’impérialisme mondial que la bourgeoisie compradore syrienne subit aussi, mais qu’elle traite en paupérisant la majorité du peuple. Cette paupérisation est partagée par tous les peuples de Syrie. Mais le peuple kurde de Syrie subit une autre oppression : l’oppression nationale. C’est pourquoi le peuple kurde est la force motrice de tous les peuples opprimés de Syrie.
Rojava, cible commune de toutes les forces réactionnaires en Syrie
Pour déstabiliser la Syrie dans le but d’intervenir militairement pour avancer leurs pions, les USA, les impérialismes européens et leurs alliés turcs ont exploité des mouvements sociaux de mécontentement en y introduisant des gangs armés islamistes issus d’Al-Qaida dont le plus puissant, l’Armée Islamique du Levant, qui deviendra Daech, réussit à s’emparer de larges territoires de la Syrie et de l’Irak et à créer l’État Islamique.
L’armée syrienne battue sur le terrain, la Russie a dû voler au secours de Bachar el Assad, le garant de ses intérêts en Syrie, en l’aidant à reconquérir les plus grandes villes, en commençant par Damas, et en remontant progressivement vers le nord et l’est du pays.
C’est dans cette partie de la Syrie du Nord soumise à l’occupation fasciste de Daech que le peuple kurde puissamment politisé et organisé mais faiblement armé, va lancer la lutte armée contre Daech. Cette lutte, à laquelle se joindront d’autres ethnies et composantes religieuses aboutira à la libération héroïque de Kobanê.
C’est dans le cours des combats acharnés dans Kobanê que les Américains vont trouver le prétexte d’intervenir militairement sur le terrain en apportant un soutien matériel aux combattants kurdes, à seule fin de s’introduire comme une force active dans le déroulement de la guerre et, si possible, dans son règlement politique.
Les dirigeants politiques kurdes ne sont pas des supplétifs de l’armée US. Ils n’ont jamais été dupes des intentions de l’administration américaine. Ils ont toujours su que l’aide militaire des USA est circonstancielle, qu’elle est dictée par leurs intérêts géostratégiques impérialistes propres et n’a rien à voir avec les buts politiques du peuple kurde et des autres peuples de la région. Ils savent que cette aide s’arrêtera quand les USA jugeront qu’elle est contraire à leurs intérêts.
De même, ils n’ont aucune illusion sur les promesses des Russes de les associer au règlement politique général du conflit. Ils savent que Moscou ne s’opposera pas à Bachar et à Erdogan dans leur objectif de nier leurs droits nationaux et démocratiques.
Le tournant
Sur le terrain, même s’il reste encore actif et utilisable tactiquement par les forces réactionnaires, Daech est battu et ne dispose plus que de poches résiduelles. Le nord-est de la Syrie depuis l’Euphrate jusqu’aux frontières de l’Irak et de la Turquie a été libéré par les FDS (Forces armées Démocratiques Syriennes) et des nouvelles structures politiques multiethniques et multiconfessionnelles ont démocratiquement été mises en place. Au nord-ouest de la Syrie, sur l’autre berge de l’Euphrate, deux régions ont été également libérées (Efrin et Manbij) et sont auto-administrées dans le cadre général de la Fédération Démocratique du Nord de la Syrie appelée aussi Rojava). Ces deux régions ont été séparées géographiquement suite à une première invasion de la Turquie sur le territoire syrien pour empêcher une continuité des régions à majorité kurde au nord de la Syrie le long de la frontière turque. Erdogan n’a jamais caché sa volonté de s’emparer de tout le nord de la Syrie, le Kurdistan syrien. De son côté, Bachar el Assad a proclamé son intention de reconquérir ces régions.
Au sud et à l’ouest de l’Euphrate, l’État syrien a pratiquement rétabli son contrôle. Il s’efforce maintenant de reconquérir la région d’Idlib, au nord-ouest encore occupée par les groupes islamistes soutenus par la Turquie. La progression de l’armée syrienne n’est pas facile et prend du temps.
C’est ce moment qu’a choisi Erdogan pour mettre en action son plan d’invasion des régions d’Efrin et de Manbij. Depuis le samedi 20 janvier 2018, les groupes islamistes et l’armée turque ont lancé une offensive terrestre et aérienne, après avoir reçu l’assurance que ni Moscou ni Washington ne s’y opposerait (aucun des deux n’ayant intérêt à se mettre à dos le régime turc). Malgré une menace verbale, Bachar el Assad ne lèvera pas le petit doigt, car il n’a ni amour particulier pour les Kurdes, ni les capacités militaires d’intervenir sans les Russes.
Voilà la situation actuelle (le 23 janvier 2018). Des combattant(e)s de la liberté, des civils femmes, enfants et vieillards sont sous les balles, les obus et les bombes des chars et des avions de l’armée fasciste turque et de ses mercenaires d’Al-Qaida remaquillés en « Tahrir-Al-Sham », Al Nosra, ou « FSA ».
Pour mettre en échec cette agression, Rojava ne peut compter que sur le sacrifice de ses peuples, sur la solidarité des autres parties de la nation kurde, et sur le soutien de ses amis dans le monde.
Chaque organisation communiste, chaque communiste, toute femme et tout homme épris de progrès, de liberté et de paix, est mis devant ses responsabilités. Les « oui mais… » sont dépassés. C’est maintenant qu’il faut agir!