Le capitalisme souffre du coronavirus
Mais le fléau ultime, c’est le capitalisme lui-même
LA VOIX DES COMMUNISTES, no 27, 1er semestre 2020 – p. 4-7
Il n’y a pas de certitude sur la façon dont s’est déroulée la propagation du coronavirus dans sa phase initiale. Des accusations variées peuvent être portées contre tel ou tel coupable. Quoi qu’il en soit, il n’est pas nécessaire d’avoir une réponse à la question de l’origine de l’épidémie pour analyser le fond du problème tel qu’il est posé actuellement.
Le processus de propagation, une fois déclenché, s’est situé à deux niveaux : national dans les différents pays, et international, étant donné que les sociétés nationales sont étroitement interconnectées au niveau mondial. Et quelles que soient les différences culturelles et aussi politiques, l’élément commun essentiel, c’est la prédominance universelle du système économique capitaliste. Pour analyser ce qui nous arrive, ce qui arrive en premier lieu aux travailleurs, il faut prendre en considération essentiellement l’impact qu’a l’épidémie du point de vue du capital, des capitalistes.
On peut penser que le gouvernement chinois aurait dû dès le départ fermer les frontières du pays pour empêcher le virus de passer au-delà du territoire national. On peut penser aussi que le gouvernement français aurait dû prendre une telle mesure pour la France. Qu’il aurait dû prendre d’avance les mesures de précaution pour être prêt à agir en fonction de la progression de l’épidémie. Qu’il aurait dû… etc.
Mais les gouvernements n’ont pas agi "comme il aurait fallu", parce que partout le système économique capitaliste règne et parce que les gouvernements représentent le pouvoir de la bourgeoisie.
Les capitalistes et leurs représentants sont depuis des années préoccupés par l’état de stagnation dans lequel se trouvent à divers degrés les économies nationales. Une des questions cruciales, de leur point de vue, concerne les taux d’intérêts fixés par les banques centrales, taux qui indirectement influent sur l’ensemble du système d’épargne et de crédit. La détermination du niveau de ces taux tente de contribuer à la régulation de l’économie dans un sens voulu, en l’occurrence il s’agirait de baisser les taux pour stimuler la croissance économique. Or, rien n’est mécanique, et les responsables et experts en la matière ont du mal à apprécier les conséquences multiples de leurs décisions éventuelles.
Dernièrement, Donald Trump traitait les responsables de la Banque centrale US (la "Fed") dʼ"abrutis" parce qu’ils maintenaient un taux directeur relativement élevé, tandis que lui demandait un taux zéro ou même négatif. Pourtant, antérieurement, à l’époque de la présidence d’Obama il taxait de "casse-gueule" la pratique de taux bas suivie par la Fed. Quant à l’Europe, avant l’éclatement de l’épidémie déjà, le taux fixé par la Banque centrale européenne se trouvait à zéro, et le taux de dépôt appliqué aux banques devenait même négatif.
Face à l’aggravation de la situation, le gouvernement français a mis en œuvre des mesures relativement amples, parmi lesquelles se trouvent des dispositions concernant les banques, non pas pour "sauver" celles-ci mais pour assurer leur capacité comme source de financement de l’économie.
Cependant il serait évidemment contraire à la réalité de considérer qu’ainsi le gouvernement "a enfin fait ce qu’il fallait faire". Son action comporte deux aspects. D’une part, il cherche à accentuer encore les mécanismes d’exploitation des travailleurs. D’autre part, il intervient financièrement pour éviter la faillite de l’appareil productif. Derrière les apparences qui peuvent faire croire qu’il s’agit de combattre l’épidémie, se cachent les préoccupations de toujours : le sauvetage du capitalisme.
S’il arrive ainsi à la bourgeoisie de prendre des mesures à court terme qui semblent sortir du principe de base de la recherche du profit, c’est uniquement parce qu’elle a en vue l’avenir plus lointain et qu’elle voudrait justement éviter sa propre faillite définitive.
À chaque grande crise elle est confrontée à ce dilemme, et elle s’empêtre dans la recherche des remèdes. Ce faisant les gouvernements et les responsables économiques prétendent agir pour le bien de la population, ils assurent qu’ils tireront les leçons des évènements et qu’ils nous mèneront vers un avenir meilleur. Pourtant, la réalité concrète telle que nous la subissons directement ne trompe pas. Le gouvernement reste ce qu’il est : l’incarnation du pouvoir de la bourgeoisie. Face à la pandémie, il fait passer les nécessités vitales à l’arrière-plan, et veut tant bien que mal organiser les activités économiques en fonction du critère habituel de la rentabilité.
C’est en agissant ainsi que, depuis longtemps dans le passé, les gouvernements successifs ont mis les hôpitaux et plus généralement tout le secteur de santé dans l’impossibilité de remplir son rôle, et ont engendré comme conséquence le manque de moyens pour maitriser la situation actuelle. De même ils dénaturent et bloquent systématiquement les dispositifs et instances censés défendre les intérêts des travailleurs, comme en témoignent des cas d’obstruction de la part de l’administration à l’égard des inspecteurs du travail qui, eux aussi, sont "invités" à respecter les besoins de "rentabilité" des entreprises. Toutes les mesures d’adaptation du droit du travail annoncées sont conçues selon le fil conducteur de minimiser le "cout du travail" et de maintenir les activités autant que possible, au prix d’imposer directement ou indirectement une aggravation des conditions de travail.
Comme on pouvait s’y attendre, la consigne de "l’union nationale" circule abondamment. Le gouvernement évite de prononcer ces mots, tout au plus préconisait-il un "consensus républicain" au sujet du report du deuxième tour des élections municipales. Il sait qu’il pouvait compter sur d’autres pour tenir le discours approprié. En effet, Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT, proclame dès le 20 mars: "L’heure aujourd’hui est à une forme d’union nationale". La CGT, au contraire, à l’issue de la réunion téléphonique organisée par Macron le 27 mars, affirme clairement dans son compte-rendu: "La CGT a refusé l’idée d’unité nationale face à un gouvernement qui refuse d’entendre depuis plus de 10 jours, les demandes qui lui sont formulées en matière économique et sociale."
Il faut souligner qu’une interrelation de ce type entre la sphère de "l’intérêt général" et celle de l’intérêt du capital est présente aussi dans d’autres domaines, en rapport par exemple avec les problèmes d’environnement, en particulier le réchauffement climatique. La bourgeoisie n’ignore pas qu’il s’agit de phénomènes nuisibles qu’il faut juguler. Mais tout ce qui est entrepris effectivement ou envisagé pour l’avenir, est conçu, là aussi, dans l’objectif de sauver le capitalisme. La "transition énergétique", la promotion des voitures électriques, etc. sont des projets élaborés dans l’espoir de faire sortir l’appareil productif de l’impasse dans laquelle il se trouve, de rétablir un circuit investissement-production-consommation qui fonctionne. Et ce qui intéresse le capital à cet égard n’est pas le "bon fonctionnement" en lui-même, mais ce à quoi il est indispensable: l’extorsion de plus-value à la force de travail des prolétaires.
Pour nous, pour les travailleurs, cette vision est vaine. Au lieu d’un renouveau de fonctionnement "harmonieux" du capitalisme, nous sommes en présence d’une accentuation des affrontements entre les grandes puissances impérialistes, entre les groupes monopolistiques dont les structures sont omniprésentes sur l’ensemble du globe, entre les forces politiques de "couleurs" diverses et variées mais toutes intimement liées au capital. Ces affrontements peuvent se manifester dans les détails les plus banals. Par exemple, un des responsables en France impliqué dans l’approvisionnement de masques indique que, depuis que les USA sont eux aussi acheteurs, "il faut vraiment se battre", puisqu’ils payent un prix trois ou quatre fois plus élevé. Et l’administration US tient à harceler ses interlocuteurs pour adopter le terme "virus de Wuhan" ou "virus chinois". Dès mi-mars, Trump a entrepris des démarches directes auprès d’un laboratoire pharmaceutique allemand avec la volonté de mettre la main – moyennant finances – sur le développement en cours d’un vaccin. Il serait naïf de considérer qu’il s’agit de faits divers sans signification réelle. Ce sont bel et bien des symptômes non pas uniquement de la situation actuelle, mais du contexte plus général tel qu’il est sous-jacent à celui de l’épidémie : la domination mondiale du capital.
À cet égard, la gravité de ce que nous subissons ne s’atténuera pas avec le recul – espéré – de l’épidémie, bien au contraire. Les grandes puissances impérialistes tireront à nouveau les leçons, à leur manière, c’est-à-dire dans le sens qu’elles mettront en œuvre les mesures qu’elles jugeront nécessaires pour maintenir l’exploitation des travailleurs et l’oppression des pays dominés par le capitalisme impérialiste, avec encore plus de vigueur chacune de son côté, et dans des relations encore plus ouvertement conflictuelles, entre elles.
La situation actuelle étant ce qu’elle est, la tâche immédiate pour les travailleurs, la classe ouvrière, consiste à se défendre face aux attaques que la bourgeoisie mène sous couvert de mesures contre l’épidémie.
Cependant, que ce soit maintenant en rapport avec l’épidémie du coronavirus, ou dans le passé comme à l’avenir, le capitalisme tue au travail, détruit les moyens – en ce qui concerne la grande masse de la population – destinés à sauver des vies et soigner des malades.
Les forces politiques réformistes, tout en formulant un certain nombre de revendications justes, en faveur desquelles il faut agir, lient ces objectifs à une perspective globale de conciliation avec le capitalisme.
Le 27 mars a été publiée une tribune signée par des responsables d’organisations syndicales, associatives et environnementales, intitulée "Plus jamais ça! Préparons le “jour d’après”". Le texte affirme :
En mettant le pilotage de nos sociétés dans les mains des forces économiques, le néolibéralisme a réduit à peau de chagrin la capacité de nos États à répondre à des crises comme celle du Covid. […] Nos organisations [attendent] de profonds changements de politiques, pour […] une remise à plat du système, en France et dans le monde.
Ce n’est pas le "néolibéralisme" qui a "mis le pilotage de nos sociétés dans les mains des forces économiques" : la fusion entre d’une part, les forces économiques capitalistes et d’autre part, l’appareil d’État qui met en œuvre la politique correspondant à la domination de la bourgeoisie, est un fait, et les deux sphères sont indissociables. Parler de "remise à plat du système" est une formule creuse, vide de sens.
Il est indispensable de poser clairement le seul objectif qui puisse véritablement permettre de résoudre les problèmes existentiels que nous subissons : le renversement du pouvoir de la bourgeoisie, l’expropriation du capital dans son ensemble, l’instauration du pouvoir du prolétariat – ceci comme premier pas vers l’édification d’une société socialiste, communiste.
Face aux employeurs, au capital, à l’appareil d’État bourgeois :
– lutte en faveur de nos conditions de travail et de vie, et des libertés démocratiques
Pour assurer l’avenir tel que nous le voulons :
– construction du parti communiste authentique, avant-garde de la classe ouvrière
– instauration du pouvoir du prolétariat