Un point sur la situation au Chili
LA VOIX DES COMMUNISTES, no 28, 1er semestre 2021 – p. 37-38
Dans le n° 27 de notre journal La Voix des communistes paru au 1er semestre 2020 nous avions abordé dans un article intitulé "Mobilisation populaire au Chili" une analyse du mouvement en cours dans ce pays, lequel certes ne remettait pas en cause le capitalisme en tant que système économique, mais tout du moins le caractère "ultralibéral" de l’économie du pays et les inégalités immenses qu’elle génère. La force exceptionnelle du mouvement et sa continuité dans le temps lui ont permis, malgré la pandémie de Covid-19 et les mesures de confinement qu’elle a engendrées, d’obtenir certaines concessions historiques de la part du gouvernement bourgeois chilien.
Parmi ces concessions on trouve en premier lieu l’organisation d’un référendum portant sur la question de la constitution réactionnaire héritée de la dictature militaire d’Augusto Pinochet. Ce référendum devait initialement se tenir en avril 2020, mais pour des raisons sanitaires inhérentes à la pandémie que traverse le Chili tout comme le reste du monde, il avait été repoussé au 25 octobre 2020. Le pouvoir a essayé de profiter de la situation pour avoir le temps d’élaborer une sortie de cette crise qui soit favorable à la bourgeoisie, en misant aussi sur l’essoufflement du mouvement. C’était sans compter sur la détermination des travailleurs chiliens qui le 19 octobre 2020 ont commémoré dans la rue le premier anniversaire du début de leur mobilisation. Une occasion pour eux de réaffirmer leur opposition au gouvernement ainsi que leur soutien à la tenue du référendum. Celui-ci a finalement eu lieu et s’est transformé en un plébiscite avec un score de 80 % en faveur de la remise en cause de la constitution.
En avril sera formée une Convention constituante. Elle sera chargée non pas d’apporter des modifications à la constitution en vigueur, mais d’élaborer un projet de constitution entièrement nouvelle. Celui-ci doit respecter certains aspects prédéterminés: le caractère de République démocratique, les jugements prononcés, les traités internationaux ratifiés. La convention sera composée de 155 membres élus selon les mécanismes électoraux habituels. Le projet élaboré sera soumis à une procédure de plébiscite pour laquelle s’appliquera l’obligation de participation au vote. Si le remplacement de la constitution actuelle est rejeté, celle-ci restera en vigueur.
Un progrès important a été obtenu en faveur des populations dites originaires, dans la mesure où parmi les 155 sièges de la Convention, 17 leur seront attribués. Au vu des revendications fondamentales que ces populations font valoir depuis longtemps, il s’agit néanmoins d’un compromis insuffisant. Notamment, leur proportion dans l’ensemble de la population étant de 12,8 % (plus de 2 millions), ils devraient donc disposer de 25 sièges. Et surtout, les questions fondamentales restent posées, concernant la reconnaissance du caractère plurinational de l’État, des droits des peuples originaires à leur libre détermination et à la disposition des ressources naturelles dans leurs territoires.
Un autre point essentiel sur lequel le mouvement populaire chilien a obtenu une remise en cause de la situation actuelle, c’est la question des retraites. Comme nous l’avions abordé dans notre précédent article, le système de pension chilien, lui aussi un héritage de la dictature de Pinochet, est basé sur un modèle libéral où les travailleurs cotisent auprès de fonds de pension (AFP) privés. Ce système, tout en pesant lourdement sur les ressources financières des travailleurs ne parvient pas, pour une grande majorité, à leur garantir une pension décente.
L’épidémie de Covid-19 a accentué la précarité des conditions de vie que subissent les travailleurs. Pour tenir compte de ces circonstances, le gouvernement, à titre de mesure exceptionnelle, a autorisé que les cotisants puissent effectuer un retrait à hauteur de 10 % des fonds individuels épargnés. Pour le gouvernement c’est un moyen de redonner du pouvoir d’achat aux travailleurs les plus pauvres et aux chômeurs dont la situation s’est grandement dégradée depuis le début de la crise sanitaire. Pour les travailleurs concernés, c’est un remède à double tranchant, puisque cela aggrave encore l’insuffisance de ces fonds en principe destinés à leur assurer une pension de retraite.
Dans le contexte de l’aggravation de la situation économique du pays et des masses populaires en particulier, et face au maintien d’une certaine pression de la part des travailleurs, le gouvernement conservateur au pouvoir s’est senti obligé d’envisager une réforme de ce système de retraite. La bourgeoisie cherche désormais par tous les moyens à ce que les modifications à apporter impliquent suffisamment d’éléments pour qu’il s’agisse d’une sortie par "la droite" à la crise sociale que traverse le pays. Il est clair que les mesures envisagées par le gouvernement ne changent pas fondamentalement la structure globale du système. Face à cela, est exprimée la revendication d’instaurer un système basé sur le principe de la répartition. Au demeurant, l’affaire n’est nullement réglée, les tractations se poursuivent sur le terrain parlementaire.
On le voit, les avancées indéniables obtenues par le mouvement populaire chilien depuis plus d’un an sont le fruit de sa forte mobilisation et de sa détermination face à la répression exercée par le pouvoir bourgeois. Mais rien n’est encore gagné car la bourgeoisie s’obstine et fera tout pour sortir de cette crise avec le minimum de concessions à faire.