Nous sommes opposés à l’émigration forcée,
nous ne sommes pas hostiles aux travailleurs immigrés
LA VOIX DES COMMUNISTES, no 30, 2e semestre 2022 – p. 9-15
Nous avons déjà publié des articles sur la question de l’immigration dans notre journal La Voix des Communistes. Les questions des migrations en général, des immigrés sans papiers en France etc., apparaissent régulièrement sur la scène politique, et figurent parmi les préoccupations de certaines organisations syndicales.
La question des migrations au sens large concerne individuellement les personnes qui, pour des raisons diverses, quittent leur lieu de naissance où ils vivent habituellement au départ. L’émigration à plus grande échelle numérique comprend des exodes déclenchés par des conflits armées, des guerres, des menaces politiques qui poussent à l’exil, et autres. Avec le présent texte nous traitons plus précisément l’émigration forcée comme conséquence du développement du capitalisme. Il faut distinguer à l’égard des mouvements d’émigration deux moments distincts : l’émigration avant la formation de la société capitaliste d’une part, et celle située dans ce nouveau cadre. Karl Marx a déjà souligné ce phénomène[1] :
Dans les États antiques, à Grèce et à Rome, l’émigration forcée, qui revêtait la forme d’instauration périodique de colonies, constituait un membre normal de la structure sociale. Tout le système de ces États était édifié sur une limitation déterminée du nombre de la population qui ne devait pas être dépassée sous peine de mettre en péril la base même de la civilisation antique. Mais pourquoi en était-il ainsi? Parce que l’application des sciences naturelles y était entièrement ignorée dans la production matérielle. Pour rester civilisés, ils ne devaient rester qu’à un petit nombre. Sinon, ils eussent dû se soumettre à ce dur tourment corporel qui transformait le libre citoyen en esclave. Le défaut de forces productives rendait la citoyenneté dépendante d’un rapport numérique déterminé auquel il ne fallait pas toucher. Le seul remède en était donc l’émigration forcée.
En passant à la société capitaliste, la nature de l’émigration a changé. Voici encore Marx :
Mais il en va tout autrement de la grande émigration forcée à laquelle nous assistons aujourd’hui. Ce n’est pas le manque de forces productives qui crée désormais l’excédent de population, c’est l’accroissement des forces productives qui exige une réduction de la population et élimine l’excédent par la mort par inanition ou par émigration. Ce n’est pas la population qui pèse sur la force productive, mais la force productive sur la population.
Par la suite, Lénine apporte des précisions (c’est nous qui soulignons)[2] :
Des centaines de milliers d’ouvriers sont ainsi transplantés à des centaines et des milliers de verstes. Le capitalisme avancé les fait entrer de force dans son tourbillon, les arrache à leurs contrées retardataires, les fait participer à un mouvement historique mondial et les met face à face avec la classe internationale puissante et unie des industriels.
Nul doute que seule une extrême misère force les gens à quitter leur patrie, que les capitalistes exploitent de la façon la plus éhontée les ouvriers émigrés. Mais seuls les réactionnaires peuvent se boucher les yeux devant la signification progressive de cette moderne migration des peuples. Il n’y a pas et il ne peut y avoir de délivrance du joug du capital sans développement continu du capitalisme, sans lutte des classes sur son terrain. Or, c’est précisément à cette lutte que le capitalisme amène les masses laborieuses du monde entier, en brisant la routine rancie de l’existence locale, en détruisant les barrières et les préjugés nationaux, en rassemblant des ouvriers de tous les pays dans les plus grandes fabriques et mines d’Amérique, d’Allemagne, etc.
À la suite de ces citations de Marx et Lénine, voici comment nous pouvons résumer notre position : Nous sommes opposés à l’émigration forcée, nous ne sommes pas hostiles aux travailleurs immigrés.
Opposition à l’émigration forcée, cela signifie combat par tous les moyens contre les causes de ce phénomène, c’est-à-dire contre le capitalisme impérialiste qui impose sa domination aux pays d’origine des émigrés. Comme l’a précisé Marx (cf. citation plus haut), c’est "la force productive qui pèse sur la population". Rejet de l’hostilité envers les travailleurs immigrés, cela signifie soutien à la lutte que ceux-ci doivent fatalement mener pour se soustraire à la situation que leur impose ce même capitalisme impérialiste dans le pays où ils immigrent.
Nous avons analysé notre expérience à ce sujet dans un article de La Voix des Communistes de décembre 2010, intitule "Leçons politiques de la lutte des travailleurs sans papiers"[3].
Dans la grande majorité des cas, du moins pour les travailleurs et les couches populaires, les déplacements de migration sont la conséquence d’évènements extérieurs. Personne ne décide de plein gré de quitter son lieu de résidence naturel tout en sachant qu’au bout du voyage l’attendent toutes sortes de galères.
En gros il existe trois types de migration : a) l’immigration économique; b) l’immigration pour échapper à la guerre; c) sous la pression de régimes dictatoriaux, réactionnaires, l’immigration pour fuir la répression politique. La catégorie a) est largement prépondérante. Dans les trois cas, c’est la conséquence du développement du capitalisme, des rapports de concurrence entre pays, de la politique appliquée par le pouvoir d’État dans l’intérêt de la bourgeoisie. (En étant plus exhaustif dans l’analyse, on pourrait examiner des aspects de migrations qui incluent d’autres causes et motivations, dont certaines liées à des situations individuelles.) Mais il ne s’agit pas simplement d’incriminer tel ou tel État qui parait particulièrement réactionnaire en comparaison à d’autres, lesquels affichent une image plus démocratique. Dans le monde d’aujourd’hui, tous les régimes ‑ aussi réactionnaires et violents qu’ils soient, et quelles que soient les relations amicales ou hostiles que les uns et les autres entretiennent entre eux ‑ sont intégrés dans le système capitaliste impérialiste mondial. C’est fondamentalement ce système en tant que tel qui est responsable des phénomènes d’émigration forcée et qui doit donc être la cible des luttes en faveur des personnes frappées par ce fléau.
S’il est vrai que les migrations sont en général liées à des facteurs de contraintes matérielles, elles peuvent s’inscrire dans des contextes variés. Historiquement, certains flux de migration correspondaient à la formation de territoires coloniaux.
Marx (c’est nous qui soulignons)[4] :
Une soif d’émigration étonnamment vive se manifeste subitement parmi les petits métayers anglais, notamment parmi ceux qui possèdent un lourd terrain argileux. Les sombres perspectives de récolte, le manque de capitaux en vue d’entreprendre de vastes amendements sur leurs terres afin de pouvoir payer leur métayage ne leur laissent pas d’autre choix que de se chercher une nouvelle patrie et une nouvelle terre. Je ne parle pas ici de l’émigration suscitée par la soif de l’or, mais seulement des émigrations forcées en raison du système de métayage, de la concentration des domaines, de l’application des machines au travail de la terre et l’introduction de la grande production moderne dans l’agriculture.
Et Lénine[5] :
Il est intéressant de noter que la structure de l’immigration en Amérique a changé. Jusqu’en
1880 c’est ce qu’on appelle la vieille immigration, venue des vieux pays civilisés, Angleterre,
Allemagne, en partie Suède, qui a prédominé. Jusqu’en 1890 même, l’Angleterre et l’Allemagne
ont fourni ensemble plus de la moitié du total des immigrants.
Les empires coloniaux (Espagne, Portugal, Grande-Bretagne, France) étaient certes basés fondamentalement sur l’embrigadement des populations autochtones, mais impliquaient aussi à des degrés variés l’importation de populations des puissances venant occuper les contrées colonisées; parfois il s’agissait de peupler des territoires relativement peu habités. Inversement, une proportion importante des travailleurs immigrés en France, actuellement, vient des ex-colonies françaises. Mais ce cas de figure ne correspond nullement à une caractéristique générale. Au début du 20e siècle, les Polonais, les Belges, les Italiens ont formé une forte composante de l’immigration en France et il n’y avait aucun lien de colonisation. Les ressortissants de Turquie (les Kurdes, Turcs, et autres) qui comptent pour des millions en Allemagne constituent un autre exemple dans le même sens. C’est à ce sujet que nous avions critiqué dans un article de notre journal ("Les travailleurs immigrés doivent s’organiser en tant que prolétaires", dans le numéro de La Voix des Communistes cité plus haut[6]) certaines positions qui considèrent la lutte des travailleurs immigrés faussement comme une opposition entre les Blancs et les autres (Arabes, Noirs…), c’est‑à‑dire limitent implicitement le champ des immigrés concernés à ceux qui s’affrontent à l’ancienne métropole colonisatrice.
Une des raisons qui suscitent l’immigration dans la société capitaliste vient du fait que le capitaliste cherche systématiquement la main-d’oeuvre la moins "chère" possible. Paul Lafargue, dans un texte sur la durée journalière du travail, écrit (c’est nous qui soulignons)[7] :
Les philanthropes, ces jésuites laïques vantent les bienfaits de l’industrie moderne : "l’atelier mécanique, disent-ils avec attendrissement, a donné du travail à la femme, aux enfants; tous ont pu concourir à augmenter le bien-être de la famille ouvrière." Le travail de la femme et des enfants n’a concouru qu’à diminuer le salaire des hommes et à engendrer la misère de la famille ouvrière.
Avant le développement de l’industrie mécanique, la femme demeurait avec ses filles auprès du foyer familial, les garçons ne commençaient à travailler qu’à 13 ou 14 ans, quand ils entraient en apprentissage; le salaire de l’homme devait à lui seul subvenir aux besoins de la famille. Mais dès que, grâce aux machines et à la division du travail, les patrons purent attirer dans l’atelier la femme et les enfants soustraits jusque-là à l’exploitation capitaliste, ils diminuèrent les salaires de l’homme de toute la valeur des salaires que reçoivent la femme et les enfants. Ce fut là un des premiers bienfaits de la philanthropie capitaliste. Non seulement le travail social de la femme et des enfants permit aux patrons de réduire le salaire de l’homme de toute la part qui correspondait à leur entretien, mais il introduisit dans la famille ouvrière une coutume barbare qui n’avait existé dans aucune société précédente : la concurrence entre le père, la mère et les enfants, à qui s’arracherait le pain de la bouche; la femme et les enfants ont été employés par les patrons pour abaisser à son minimum le salaire des hommes; parfois même les hommes ont été chassés de l’atelier, et pour vivre ont dû se reposer sur le salaire de la femme et des enfants. Voilà un des couronnements de la belle philanthropie capitaliste. […]
Par conséquent, le grand intérêt de la classe ouvrière, tant que la société capitaliste sera debout, est de réduire autant que possible cette armée de réserve du capital et pour cela il n’y a que deux moyens : l’émigration et la limitation légale de la journée de travail. L’émigration, qui est un moyen si puissant en Angleterre, doit être mise de côté, les Français n’émigrant que forcés. Reste donc la limitation légale.
Le cas de figure traité par Lafargue est frappant. Car la logique de faire travailler les femmes et les enfants, c’est la même que celle de l’appel à la main-d’oeuvre d’autres régions ou pays. Aux débuts de développement du capitalisme dans le cadre national, les migrations se produisaient des villages vers les grandes villes industrielles. Tout en constituant une réponse à la pénurie de main-d’oeuvre, ce phénomène, par la concurrence entre les travailleurs, entraine la baisse des salaires.
Le point crucial dans l’argumentation, c’est la désignation de la cible véritable que doit viser la dénonciation et la recherche du remède. Les coupables ne sont pas "le père, la mère" ‑ qui sont au contraire eux‑mêmes les victimes parce qu’"employés par les patrons pour abaisser à son minimum le salaire des hommes". Or de façon similaire, une vision répandue accuse les immigrés. Certes, jugé d’un point de vue borné, c’est la présence des immigrés qui a pour effet l’abaissement du niveau de salaire. Mais à son tour cette présence est causée par les capitalistes, par le capitalisme comme système. La main-d’oeuvre rémunérée par un salaire de misère a toujours été le rêve idéal du capitaliste, puisque le travail salarié mis au service des moyens de production capitalistes ‑ l’exploitation de l’homme par l’homme ‑ constitue la source de la plus-value. C’est parce que les travailleurs français et les travailleurs immigrés subissent cette même exploitation, qu’ils ont les intérêts en commun. (Voir à ce sujet des réflexions de Maurice Thorez[8]). Et c’est parce que le développement du capitalisme est un processus anarchique, qu’il n’y aura jamais sur la base de ce système une stabilité durable qui pourrait "arranger" les choses en faveur des travailleurs.
Pour masquer son propre but fondamental, la bourgeoisie essaie toujours de présenter ses intérêts comme l’intérêt de tout le monde. Elle lance des slogans en ce sens : l’intérêt national, le patriotisme… Mais si on se limite à dénoncer le racisme, le fascisme, on va à côté de l’essentiel. Pour analyser correctement les idées et orientations réactionnaires, il faut en premier lieu comprendre qu’elles sont rattachées à une classe sociale : la bourgeoisie.
La bourgeoisie est une classe ‑ classe exploiteuse ‑ opposée à la classe ouvrière ‑ classe exploitée. Mais la bourgeoisie n’est pas un ensemble homogène, en son sein des intérêts différenciés existent. C’est surtout depuis l’avènement du stade monopoliste, impérialiste, du capitalisme que les conflits peuvent prendre de l’ampleur. Une partie de la bourgeoisie, pour défendre les intérêts particuliers d’une fraction, d’un groupe, mais de toute façon globalement à long terme pour maintenir le capitalisme, peut accaparer le pouvoir, quitte à en écarter d’autres fractions. Cela peut signifier la voie du racisme, de la xénophobie, du nationalisme, jusqu’à l’instauration d’un régime de type fasciste. Du point de vue de la bourgeoisie, du capital, il s’agit d’alternatives circonstancielles, applicables selon des critères pragmatiques. Quand la bourgeoisie a recours à la propagande raciste et utilise les immigrés comme bouc émissaire, elle sait néanmoins que la crise du capitalisme ne vient pas des immigres. Mais elle emploie toutes sortes d’arguments, si tordus qu’ils soient, du moment qu’ils servent à manipuler l’opinion "publique". Et elle n’a pas peur de tenir des propos incongrus. D’un côté elle peut accuser les immigrés de "manger le pain des Français", de l’autre côté elle justifie les "délocalisations" par le niveau de salaire "trop élevé" en France. Même en supposant que les travailleurs français acceptent consciemment une baisse de leurs salaires, ils ne "sauveront" pas pour autant leur emploi. Le pouvoir est détenu par la bourgeoisie, ce sont les dirigeants des groupes multinationaux qui sont en position de prendre à tout moment des décisions concernant les investissements. Et même eux ne peuvent pas modeler la réalité objective à leur guise. L’économie ne fonctionne pas comme un jeu virtuel sur ordinateur. Les rapports de production capitalistes sont régis par des mécanismes intrinsèques, le développement du capitalisme à l’échelle mondiale est traversé par des inégalités, la concentration de capitaux, la concurrence sauvage. Cela ne laisse pas une liberté de choix sans entrave, y compris pour le capitaliste.
Par nature, aucune fraction de la bourgeoisie ‑ même celles qui ne jurent que par la "démocratie", l’action "humanitaire", etc. ‑ n’abandonne l’exploitation de l’homme par l’homme, ni la propriété privée des moyens de production, ni la concentration de capitaux dans les mains d’une petite minorité.
Au-delà de la diffusion d’idées trompeuses en direction des travailleurs, la bourgeoisie, par sa propagande, se rattache aussi une base sociale ancrée dans la société par des statuts particuliers : la petite bourgeoisie, une grande partie des fonctionnaires, parmi lesquels la police, l’armée et les cadres de niveau élevé occupent une place importante, et aussi ‑ il faut bien le dire ‑ certaines couches parmi les travailleurs.
La concurrence parmi les travailleurs pour vendre leur force du travail, et l’immigration
Nous sommes opposés à l’émigration forcée, mais cela n’est pas en contradiction avec l’action de défense des travailleurs immigrés. Défendre l’unité de classe parmi les ouvriers ainsi que l’égalité entre les travailleurs salariés, c’est un élément essentiel dans la lutte contre le capitalisme. Sans cette unité de classe, aucune victoire n’est possible. Objectivement la situation des immigrés, dépourvus de droits, les oblige à accepter n’importe quelles conditions de travail. Une personne sans papiers ou qui n’a pas obtenu la carte de séjour, se trouve dans l’incertitude totale sur ce qui peut lui arriver. C’est un moyen en premier lieu pour casser toute velléité de résistance, deuxièmement pour faire accepter un salaire bas et des mauvaises conditions de travail, et troisièmement pour tromper une partie de la classe ouvrière sur la cause des problèmes subis.
Cependant on doit préciser que la "libre circulation" est une revendication de la bourgeoisie. La logique des choses fait que les déplacements des forces de travail ne résultent pas d’un choix personnel. C’est un choix forcé par les conditions économiques (ce qui est le facteur essentiel), sociales et politiques. Dernièrement le statut des salariés détachés a été introduit au niveau de l’Europe, notamment en France. Ces lois sont faites pour se conformer aux intérêts collectifs de la grande bourgeoisie européenne. Le recrutement par voie de sous-traitance permet de tirer les salaires et les conditions de travail vers le bas, et de casser les dispositions favorables pour la classe ouvrière qui ont été obtenues auparavant, par la lutte. Le résultat, c’est que la bourgeoisie augmente ses profits, et peut utiliser en même temps la concurrence entre les travailleurs pour diviser la classe.
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Dans notre journal La Voix des Communistes, on trouve dans deux numéros des articles sur la question de la libre circulation. Un article de 2018 [9], l’autre de 2009 [10]. Le premier nous engage directement en tant que ROCML, le deuxième est un tract d’une association d’immigrés. Vu que les deux articles ont été publiés par notre journal, nous sommes responsables de ce qui a été écrit. En 2018 :
Pour régler le "problème de l’immigration", il faut mettre fin au capitalisme. Dans la société capitaliste, les marxistes-léninistes défendent la libre circulation. Tout immigré doit pouvoir se déplacer librement et avoir les mêmes droits que les populations des pays d’accueil. Ils défendent le principe du travail égal salaire égal aussi dans le cas de l’immigration. Les intérêts de la classe ouvrière sont les mêmes quelle que soit la nationalité. Les travailleurs immigrés doivent s’organiser au sein des organisations de classe du pays : association, syndicat et parti politique. Pour cette raison, nous luttons contre toute sorte de racisme, de chauvinisme et de communautarisme. Libre circulation pour tous les travailleurs!
Dans ce paragraphe, la première phrase est juste : "Pour régler le “problème de l’immigration”, il faut mettre fin au capitalisme", mais la suite contient des éléments contradictoires. Défendre les droits des immigrés sur le sol du pays, défendre l’égalité entre les travailleurs salaries, cela n’a rien à voir avec la libre circulation sur le plan international. Notre texte crée une confusion sur cet aspect. Les capitalistes organisent le cheminement de la main-d’oeuvre selon leurs intérêts. Nous sommes pour les droits de travailleurs immigrés, mais nous ne sommes pas favorables aux déplacements forcés massifs des immigrés tels qu’ils résultent des crises économiques du capitalisme, des guerres, des régimes dictatoriaux.
Pour autant qu’il s’agit du déracinement des personnes qui quittent leur environnement d’origine, le discours sur la libre circulation masque aussi bien la nature de l’immigration en tant que résultat objectif du contexte économique, que la responsabilité active du capitalisme. Mais à partir du moment où les immigrés arrivent sur un nouveau sol (comme les paysans ont quitté leur "pays" pour migrer vers une autre région sans sortir des frontières), ils sont membres du prolétariat dans le pays où ils se trouvent. Ils sont donc intégrés de fait dans la lutte de classe impliquant comme objectif la défense de l’unité des travailleurs, de leur égalité dans le travail.
En distinguant clairement ce double aspect des migrations, on voit qu’il est tout à fait cohérent de rejeter l’idée de la libre circulation et d’assumer la nécessaire action en faveur des intérêts de la classe ouvrière dans le pays d’immigration.
La nécessité d’organisation pour les travailleurs, et la place des immigrés à cet égard
Lénine[11] :
La bourgeoisie cherche à diviser en excitant les ouvriers d’une nation contre ceux d’une autre. Les ouvriers conscients, comprenant qu’il est inévitable et progressif que le capitalisme brise toutes les cloisons nationales, s’efforcent d’aider à éclairer et à organiser leurs camarades des pays arriérés.
Les travailleurs constituent objectivement une classe, mais pour jouer le rôle qui leur correspond, ils doivent prendre conscience de ce fait, et devenir une classe pour soi. Cela nécessite la mise en oeuvre d’une unité d’action sur des bases idéologiques et politiques portées par une organisation capable d’assurer la continuité du processus. Sans l’unité de la classe ouvrière, aucune victoire ne peut être obtenue durablement. C’est une des raisons pourquoi la bourgeoisie à tout prix cherche à appliquer la politique du "diviser pour mieux régner". Cependant, dans la pratique elle peut interpréter ce précepte de diverses manières, selon l’aspect concerné : appartenance ethnique, opinion politique-syndicale, etc. Certes, le constat général que le capitalisme "brise toutes les cloisons nationales" est exact, mais l’approche concrète varie en fonction de la position de telle ou telle fraction de la bourgeoisie. La "libre circulation" des travailleurs n’intéresse pas forcement tous les capitalistes, à tout moment. Si certains sont exposés à un besoin fort de main-d’oeuvre et n’en trouvent pas suffisamment à l’intérieur des frontières, ils choisissent éventuellement une politique admettant l’immigration comme remède, et s’appuient à cette fin sur des médiateurs auxiliaires qu’ils trouvent chez les réformistes, les syndicalistes "maison", et autres. D’un autre point de vue, le souci des capitalistes de masquer leur responsabilité en rapport avec les crises économiques dans société capitaliste, les amène à montrer du doigt les immigrés et à les traiter de manière ouvertement hostile.
Nous, marxistes-léninistes, défendons l’unité de classe des travailleurs, face aux facteurs de division quels qu’ils soient. Ainsi parmi les cibles évidentes figurent le chauvinisme, le racisme, propagés par la classe dominante, ce en quoi elle cherche à bénéficier d’une politique de l’État allant dans ce sens. Et nous avons aussi pour objectif d’éliminer l’esprit et la pratique communautaires (rattachés à des affinités liées à l’origine géographique ou ethnique, à la religion), qui brisent l’unité de la classe ouvrière par d’autres biais. Motivés par les raisonnements exposés, nous exhortons tous les travailleurs immigrés : "Unissez-vous en tant que travailleurs, avec l’ensemble des travailleurs présents dans le pays de séjour!", c’est-à-dire concrètement pour notre cas, les travailleurs français et immigrés.
Les intérêts de la classe ouvrière se situent à la fois sur le plan politique et celui syndical, les deux étant indissociables. La situation des travailleurs immigrés peut impliquer des revendications partielles spécifiques, mais pour autant qu’elles sont des revendications justes, elles doivent être assumées en tant que revendications de la classe toute entière. C’est un prérequis pour surmonter la division de la classe ouvrière, indispensable pour la défense de l’intérêt général de la classe.
La situation actuelle des immigrés en France fait qu’ils ne disposent pas du droit de vote, que dans la pratique ils ne peuvent pas participer à la vie politique. Il faut agir afin de leur faciliter l’accès à tous les droits de citoyens, y compris l’obtention de la nationalité. En effet, notre demande vise le traitement égal pour tous les travailleurs à tous les égards. L’action en faveur de cet objectif contribuera à donner confiance à l’ensemble de la classe ouvrière et à éliminer les préjugés qui constituent des barrières entre travailleurs.
Au sujet de certaines revendications spécifiques des travailleurs immigrés, l’action et l’organisation peut être mise en oeuvre au moyen d’associations ou de commissions syndicales (qui s’occupent des questions de langue, de droit et démarches politiques, etc.) Toutefois ces formes d’organisation doivent être gérées par l’organisation politique de la classe ouvrière (le parti communiste). Autrement, ces organisations deviennent des structures de rassemblement à périmètre restreint, dissociées les unes des autres, ce qui ‑ à l’encontre du but recherché ‑ ne ferait qu’accentuer l’éparpillement, la division de fait.
Lectures complémentaires
● M. Z. : La crise économique en France et le travail des émigrés (L’Internationale syndicale rouge, no 1-2, aout 1934)
https://rocml.org/wp-content/uploads/2022/03/M_Z_La_crise_economique_en_France_et_le_travail_des_emigres.pdf
● L’armée industrielle de réserve (Extrait du Manuel d’économie politique d’URSS )
https://rocml.org/wp-content/uploads/2021/05/URSS_Academie_des_sciences_Manuel-d-economie-politique_extrait.pdf
Notes
[1]. K. Marx : "Forced Emigration", New York Daily Tribune, 4 mars 1853.
Source : Marx Engels On Britain; Progress Publishers, 1953.
https://www.marxists.org/archive/marx/works/1853/03/04.htm
[2]. V. I. Lénine : Le capitalisme et l’immigration des ouvriers; Oeuvres, Tome 19.
https://rocml.org/wp-content/uploads/2021/05/Lenine_Le-capitalisme-et-l-immigration-des-ouvriers.pdf
[3]. La Voix des Communistes, no 4, janvier 2011, p. 7‑9.
https://rocml.org/wp-content/uploads/2021/09/VdC_2011-01_04.pdf
[4]. K. Marx : "Forced Emigration", op. cit.
[5]. Lénine : Le capitalisme et l’immigration des ouvriers, op. cit.
[6]. La Voix des Communistes, op. cit., p. 10‑14.
[7]. Paul Lafargue : La journée légale de travail réduite à huit heures (1882).
https://www.marxists.org/francais/lafargue/works/1882/02/lafargue_18820226.htm
[8]. Maurice Thorez, Rapport à la 11e Assemblée plénière du Comité exécutif de l’Internationale communiste (mai 1931).
Source : Oeuvres, Livre 2e, Tome 1er (1930‑Juin 1931); Paris, Éditions sociales, 1950.
Je ferai maintenant un court examen du travail de notre Parti. On se rappelle notre brève analyse du début de l’impérialisme français, sa triple source de surprofits (colonies, peuple allemand et main-d’oeuvre étrangère en France). […] Sur le prolétariat français on peut dire que c’est le profit ordinaire. Mais la main-d’oeuvre étrangère, c’est un surprofit pour le capitalisme français et il y a ici possibilité complémentaire de corruption d’une couche de la classe ouvrière, il y a ici la base pour le développement des illusions réformistes, la base d’une organisation réformiste.
[9]. "Si on ne veut pas accueillir toute la misère du monde, cessons d’en piller les richesses!"
La Voix des Communistes, no 24, septembre 2018, p. 31‑32.
https://rocml.org/wp-content/uploads/2021/09/VdC_2018-09_24.pdf
[10]. Communiqué de l’ACTIT : "La lutte des travailleurs sans papiers doit devenir la lutte du prolétariat de France".
La Voix des Communistes, no 1, septembre 2009, p. 14‑15.
https://rocml.org/wp-content/uploads/2021/09/VdC_2009-09_01.pdf
[11]. V. I. Lénine : Le capitalisme et l’immigration des ouvriers, op. cit.