Le Nouveau Statut du Travail Salarié
Un projet illusoire de capitalisme à visage humain

LA VOIX DES COMMUNISTES, no 2, décembre 2009 – p. 8-11

Mis en chantier en 1997, présenté au 47e Congrès en 2003, adopté par le 48e Congrès en 2006, le NSTS est devenu la revendication phare de la direction actuelle de la CGT, le centre de sa doctrine sociale.

Qu’est‑ce que le NSTS?

Maryse Dumas, l’une des porteuses de cette orientation expose comme suit ses principaux objectifs [1]:

Alors que la plupart des projets portent sur le moment de la rupture [du contrat de travail, ndlr], l’ambition de la CGT est de construire de la continuité, de la progressivité. C’est pourquoi notre ambition première est de conquérir un ensemble de droits qui reconnaissent la place centrale du travail humain, son caractère non marchand [les passages en "gras" sont soulignés par nous, ndlr], qui permettent à chacune et à chacun de trouver sa place dans une société solidaire, d’y construire un projet de vie. Cela ne diminue en rien notre volonté d’intervenir sur les questions économiques et de gestion visant au co-développement. Mais nous voulons compléter cette intervention économique par des conquêtes sociales pour les salariés leur permettant de faire reculer l’exploitation, l’aliénation. Il s’agit d’une vision aussi importante que celle qui a conduit aux conventions collectives ou de la sécurité sociale. […]

Pourquoi cette nouvelle "ambition"? Maryse Dumas l’explique ensuite:

Les conventions collectives […] ne permettent plus aujourd’hui de protéger véritablement les salariés des risques que les politiques managériales visent à transférer du capital sur le travail. Elles peinent à assurer une progression de carrière, de salaires, de protection sociale et de prévoyance à tous les salariés et en particulier aux plus fragiles et aux plus mobiles. De plus, dans le droit social actuel, c’est la nature de l’employeur qui détermine le volume des droits des salariés. La politique des groupes visant à externaliser, filialiser, sous‑traiter leurs activités conduit à ce que la majorité des salariés travaillent aujourd’hui dans des entreprises de moins de 50 salariés avec des droits très inférieurs à ceux des grandes entreprises. Les inégalités se creusent, les mises en concurrence s’exacerbent. La proposition de la CGT vise à construire de la solidarité à la place de la mise en concurrence, à fédérer des attentes revendicatives alors que tout pousse à l’éclatement, à l’atomisation. C’est pourquoi notre proposition ne se limite pas à créer un statut pour les sans statuts. Nous voulons faire reconnaître la place spécifique du travail pour tous les salariés et garantir à chacune et à chacun des droits progressifs, cumulables et transférables et à mesure des mobilités, des évolutions de carrière et de salaires, tout au long de la vie professionnelle. […]

Maryse Dumas précise ensuite ces droits:

Quels sont ces droits? Le droit à l’emploi, le contrat à temps plein à durée indéterminée ou l’emploi statutaire doit être la règle d’embauche. Le droit à une carrière: Tout salarié devrait au moins avoir doublé, à l’âge de la retraite, son salaire d’entrée dans la vie professionnelle. Il devrait être assuré de la progression d’au moins un niveau de qualification en faisant jouer soit la formation continue soit la VAE. Le droit à la formation continue: au moins 10 % du temps (160 heures par an ou 4 ans sur une carrière) pour une formation au choix du salarié rémunérée et considérée comme du temps de travail. Elle sera d’autant plus efficace qu’elle sera mise en œuvre tout au long de la vie et pas seulement au moment de la rupture qui provoque une fragilisation psychologique des salariés. Le droit à une sécurité sociale professionnelle: prolongation du contrat de travail même en cas de fermeture d’entreprise ou de suppression d’emploi. Le droit à la vie privée: maîtrise de leurs horaires de travail par les salariés. Le droit à la santé, à la retraite, à la démocratie sociale. Le but de cette proposition est de permettre la construction de droits sociaux et salariaux qui ne soient plus conditionnés à l’entreprise ou à la branche professionnelle. Elle implique donc une évolution du lien de subordination. Elle offre un cadre pour une mobilité choisie, à l’avantage du salarié, de sa progression professionnelle, de sa liberté d’action.

Bernard Friot, un sociologue de l’IES admirateur du NSTS, complète la perspective [2]:

Les droits à détacher de l’emploi tenu pour en faire des droits attachés à la personne sont donc considérables […] Tout se passe comme si chacun était titulaire d’un contrat de travail général qu’il conservera jusqu’à sa mort. Ce contrat de travail général sera la matrice de ses emplois successifs et des périodes d’études avant le premier emploi, de retraite après le dernier emploi, de formation entre les emplois. La qualification évoluera selon les épreuves passées par le salarié, avec un effet de cliquet: attaché à la personne, le niveau de qualification acquis ne peut pas être réduit par la suite, ni le salaire qui lui est lié. Avec le salaire lié à la qualification à vie, c’est bien le "caractère non marchand" du travail, et donc l’existence d’un "marché du travail" et d’une marchandise "force de travail" qui sont en jeu.

À n’en pas douter, le NSTS constitue un produit miracle présenté aux travailleurs comme la solution à toutes leurs difficultés. On croit rêver! Plus de chômage, une qualification et un salaire lié à cette qualification assurés et en progression durant toute la vie… disparition des rapports capital/travail liés à la nature même du capitalisme…

Ainsi, sans le dire, l’application du NSTS ferait disparaître les fléaux sociaux du capitalisme, ce système se trouvant lui-même métamorphosé voire dépassé sans rupture.

Le NSTS n’est en fait qu’une reprise actualisée de l’utopie ou du mensonge réformiste qui ne résiste pas à l’analyse concrète. Prenons par exemple l’objectif d’un salariat assuré sur toute la vie de l’individu:

Le NSTS est une revendication dans le cadre du maintien du mode production capitaliste (nulle part il n’est dit qu’il fallait en sortir). Or, dans ce système, le capital se valorise par la plus-value qui représente la différence entre la valeur des marchandises produites par l’ouvrier et le salaire qui lui est versé comme prix de sa force de travail. Jamais un capitaliste ne paiera en continu une force de travail (même baptisée "qualification") si celle‑ci ne se matérialise pas dans la production de marchandises dont la vente réalisera la plus-value!

Quel capitaliste acceptera d’intégrer dans son personnel un jeune sorti de l’école avec une qualification et de lui verser un salaire correspondant à cette qualification, s’il n’a pas de poste de travail à lui donner? À moins que ce salaire improductif ne soit fourni par les travailleurs productifs (sur leurs salaires et l’intensification du travail)?!

On objectera que l’État a les moyens de collecter sous forme d’impôts sur les profits des entreprises les fonds nécessaires pour les redistribuer à chaque "qualifié" sans emploi, en formation ou en attente d’une embauche.

Il faut être sérieux et répondre à la question: Comment la CGT compte‑t‑elle contraindre les capitalistes et l’État bourgeois à accepter cela alors qu’elle a échoué sur tous les plans dans les luttes contre les licenciements, les fermetures d’entreprise, les délocalisations et pour les droits des chômeurs?

Mais peut‑être y a‑t‑il des points du NSTS négociables entre la Confédération et le MEDEF?

La formation, par exemple. Le patronat en effet a besoin de flexibilité et de qualifications prêtes à l’emploi. Thibaut et son équipe auraient grand besoin d’une "victoire" à faire valoir à ses adhérents. Bien que la CGT n’ait pas signé l’accord de janvier 2008 sur la "modernisation du marché du travail", et quoi qu’en pense Bernard Friot, il n’y a pas de fossé infranchissable entre la sécurisation des parcours professionnels, la flexicurité à la française, et la sécurité sociale professionnelle prônée par la CGT. Il est toujours possible de relancer des négociations et de trouver un compromis présenté comme un pas en avant sans que rien ni personne n’empêchera de toute façon les patrons d’utiliser la formation réclamée par la CGT pour dynamiser le marché du travail et satisfaire ses besoins.

Devant son bilan calamiteux, la direction confédérale n’a maintenant plus d’autre recours que de vendre du rêve et des "victoires" en trompe‑l’œil à ses adhérents.

La réalité des rapports sociaux capitalistes continuera, elle, à s’appliquer dans la réalité: la force de travail sera toujours une marchandise, quelle que soit la nature de l’entreprise, et même si les salariés des entreprises et des services publics ont (jusque quand encore?) des statuts protecteurs que n’ont pas ceux du privé. Le salaire restera le prix de la force de travail, le marché du travail et la concurrence sur ce marché demeureront dans les faits.

Si bien que l’orientation du NSTS devient proprement une utopie: elle suppose la fin du capitalisme sans en exiger l’abolition. Elle suppose que sans changer le rapport capital/travail on puisse extraire comme par enchantement le travailleur de sa situation de soumission au capital. Elle entretient donc une grave confusion entre ce qu’il est possible d’arracher au sein même du système et ce qu’il est souhaitable d’obtenir en brisant le système sans d’ailleurs jamais exiger qu’il soit brisé.

C’est pourquoi elle aboutit au mieux à être complètement extérieure aux luttes et aux revendications, et au pire à accompagner les politiques publiques visant à fluidifier le marché du travail, marché qui est bel et bien là, et qui sera toujours là tant qu’existera le capital.

Citons Marx, tout de même! "Cette transaction qui se situe dans la sphère de la circulation ‑ la vente et l’achat de la force de travail ‑ n’inaugure pas seulement le procès de production, mais en détermine implicitement le caractère." (Le Capital, livre deuxième, troisième section, les conditions réelles du processus de circulation et de reproduction.)

 



[1]. Audition de la Cgt au Conseil d’Orientation pour l’Emploi (COE) à propos de la sécurisation des parcours professionnels, 5 janvier 2007, Maryse Dumas.
Cf.:
http://www.aruc.rlt.ulaval.ca/sites/aruc.rlt.ulaval.ca/files/ct-2011-04_s-morel_stp_cahier_de_transfert_juin2011.pdf
http://www.ies-salariat.org/IMG/pdf/FriotCGT.pdf

[2]http://www.ies-salariat.org/IMG/pdf/FriotCGT.pdf