C’est la lutte politique au sein de la classe ouvrière
qui peut créer les conditions de l’émergence
d’un véritable parti communiste marxiste-léniniste

LA VOIX DES COMMUNISTES, no 28, 1er semestre 2021 – p. 4-9

Depuis l’apparition du système capitaliste, les travailleurs ont sans cesse été amenés à lutter pour défendre leurs intérêts contre l’exploitation qu’ils subissent dans cette société. Mais pour atteindre leur libération complète ils doivent déployer leurs forces en tenant compte de certains aspects incontournables.

Les capitalistes dominent économiquement en tant que classe exploiteuse, et politiquement par le fait que l’État assure le pouvoir de la bourgeoisie au détriment de la classe ouvrière. La lutte à mener est donc une lutte politique qui doit prendre un caractère radical, enraciné dans la classe ouvrière elle-même, indépendant de toutes les forces politiques liées aux autres classes et couches de la société, de la bourgeoisie au pouvoir évidemment, mais aussi de la petite bourgeoisie.

Seule l’affrontement politique direct et déterminé de la classe ouvrière contre la classe capitaliste, dans une perspective de destruction des rapports de production capitalistes, pourra conduire à la fin de l’exploitation de l’homme par l’homme, et éliminer tous les maux qui apparaissent comme des « injustices », que la bourgeoisie maintient grâce à son pouvoir (politique, économique et social). C’est l’État bourgeois qu’il faut abattre, qui englobe la bureaucratie, l’Assemblée nationale, la police, la justice, l’armée, la prison, l’école telle qu’elle est façonnée, et on peut ajouter les « media » en tant qu’instrument de propagande. Cet État est le principal pilier de la domination de la bourgeoisie.

L’État est le produit et la manifestation de ce fait que les contradictions de classes sont inconciliables. L’État surgit là, au moment et dans la mesure où, objectivement, les contradictions de classes ne peuvent être conciliées [1].

La contradiction entre travail et capital se manifeste quotidiennement de façon évidente dans la vie politique et économique. Les intérêts généraux de la bourgeoisie dans son ensemble sont à l’opposé des intérêts du prolétariat, il s’agit d’une contradiction inconciliable entre les deux classes fondamentales de la société. Il s’en suit que la lutte est inévitable entre ces deux classes. Mais l’action de la classe ouvrière n’est pas d’office révolutionnaire. La classe ouvrière ne sera révolutionnaire que dans la mesure où elle agit directement et jusqu’à la victoire pour la conquête du pouvoir. Tant que la classe ouvrière n’a pas instauré son propre pouvoir d’État, les résultats de sa lutte seront sans cesse remis en question par le capital.

Cette réalité n’empêche pas que des contradictions parfois violentes peuvent éclater aussi entre les diverses fractions de la bourgeoisie, et que des couches particulières comme la petite bourgeoisie peuvent se montrer mécontentes. Autre caractéristique qui a son importance, dans la société capitaliste aucune classe sociale n’est homogène et stable. Ainsi les vagues de prolétarisation changent la composition de la classe ouvrière, de même que celle des couches intermédiaires entre le prolétariat et la bourgeoisie.

Les conflits alimentés par ces facteurs tendent à leurrer les travailleurs et à les empêcher de compter sur leurs propres forces. Certains attendent des solutions chez des candidats « alternatifs » au gouvernement, d’autres se retournent vers des « opposants » aux slogans « antisystème » flous qui s’appuient sur des cliques parmi la bourgeoisie ou la petite bourgeoisie. Sous un autre aspect la confusion régnante se manifeste par le fait qu’un grand éventail de luttes de toutes sortes se produisent sans que la classe ouvrière, par l’intermédiaire d’organisations et associations politiques, soit capable de se fixer un axe clair pour se concentrer sur ses objectifs propres prioritaires. De multiples appels invitent le « peuple » à manifester en faveur de divers mots d’ordre, et « tout le monde » est censé participer. Pourtant, la réflexion n’est pas toujours abordée comme il le faudrait, pour savoir dans quelle mesure l’intérêt du prolétariat est en jeux, et non pas celui d’une quelconque composante mécontente de ce « peuple », laquelle tente de tirer la couverture vers soi.

Tout cela est l’expression du fait qu’en l’état actuel des choses la classe ouvrière n’a pas son propre programme politique et est politiquement à la remorque des couches petites-bourgeoises, parfois même derrière la grande bourgeoisie.

Nous sommes donc loin de ce que Lénine souligne comme tâche fondamentale du prolétariat :

[…] la crise révolutionnaire reste inévitable. […] Cette situation dicte au prolétariat des tâches tout à fait précises et rigoureusement déterminées. Étant la seule classe révolutionnaire jusqu’au bout dans la société moderne, il doit diriger, il doit s’assurer l’hégémonie dans la lutte […] de tous les travailleurs et exploités contre les oppresseurs et exploiteurs. Le prolétariat n’est révolutionnaire que dans la mesure où il a conscience de cette idée d’hégémonie et qu’il la traduit dans les faits [2].

Le développement de la lutte de la classe ouvrière ne peut aller de l’avant de façon décisive tant que subsistent des illusions sur le caractère de l’État et des forces politiques. Durant les dernières décennies ces illusions ont pesé à plusieurs occasions importantes sur le mouvement ouvrier et aussi en rapport avec des mobilisations interclassistes.

Le réformisme, une manifestation tenace
des incompréhensions au sujet de la nature de l’ État

Dans tous ces mouvements on trouve un point commun : les visions erronées au sujet du caractère de l’État et des forces politiques. Étant donné que la classe ouvrière n’a pas édifié son propre parti, il est inévitable qu’elle soit sous l’influence des différents partis politiques bourgeois. Du côté de ce qu’on classifie comme « à gauche », il s’agit principalement d’orientations réformistes. Le PS, affaibli, joue encore un rôle important (notamment à travers la CFDT, l’UNSA). L’influence du Rassemblement National (ex-FN) s’exerce principalement parmi les couches petites-bourgeoises, mais très peu au sein de la classe ouvrière; elle peut être structurée dans certains secteurs, en province elle passe plutôt par le biais des idées que propage le RN.

Lénine explique (italiques dans l’original) :

Plus le capitalisme d’un pays donné sera développé, plus pure y sera la domination de la bourgeoisie, plus large la liberté politique, plus vaste sera le champ d’application du « dernier-né » des mots d’ordre bourgeois : les reformes contre la révolution, le rafistolage d’un régime condamné afin d’affaiblir et de diviser la classe ouvrière, de maintenir le pouvoir de la bourgeoisie contre le renversement révolutionnaire de ce pouvoir [3].

Il souligne ainsi que la prédominance du réformisme comme arme appliquée par la bourgeoisie est directement associée au degré avancé atteint par le capitalisme ainsi qu’à l’ampleur des libertés politiques. En France actuellement le capitalisme est assurément développé au plus haut point; quant aux libertés politiques, elles le restent encore, relativement. Aujourd’hui, cette réflexion de Lénine est tout à fait d’actualité. Elle éclaire les désaccords des communistes marxistes-léninistes d’avec les réformistes et les courants petit-bourgeois au sujet du pouvoir de la bourgeoisie et de la prise du pouvoir par le prolétariat. De nos jours la grande bourgeoisie utilise de moins en moins la voie réformiste, mais entre la bourgeoise et le prolétariat s’est créée une vaste couche intermédiaire qui adhère aux conceptions réformistes et utopiques.

La lutte politique de la classe ouvrière ne renie pas la lutte contre toutes les injustices y compris au-delà des travailleurs. Mais le réformisme occulte toute notion de classe, d’esprit d’avant-garde de la classe ouvrière, il fait oublier le rôle du parti communiste – en tout cas, sur le fond, même si en paroles les apparences sont parfois préservées.

La propagande/agitation politique est quasiment inexistante dans la classe ouvrière depuis longtemps, mises à part les campagnes électorales en faveur de tel ou tel parti. Les difficultés de la vie, les souffrances n’ont pas été éclairées comme conséquences du mode de production capitaliste. Les multiples problèmes que nous subissons, tels que la gestion des crises économiques, la question des travailleurs sans papiers, le racisme, etc., sont perçus comme résultats de l’incompétence de gestionnaires, de la méchanceté, l’avidité, la soif de pouvoir. Le lien entre politique et économie, le caractère délibéré, planifié, des mesures appliquées dans l’intérêt de la classe capitaliste, ne sont pas expliquées aux travailleurs avec des analyses de fond. Quand la bourgeoisie mène des attaques contre la classe ouvrière, les forces politiques réformistes propagent leur vision trompeuse qui prétend que le salut pour les travailleurs réside dans la défense de la « République ». Selon eux, le problème essentiel serait le maintien de la « démocratie », dont l’exercice permettrait aux travailleurs de faire prévaloir leurs aspirations.

Quand les capitalistes décident de délocaliser ou supprimer des activités, les revendications possibles du point de vue des luttes syndicales sont forcément limitées : une « sauvegarde » d’une partie des postes visées, une « amélioration » des conditions de licenciement (le mot d’ordre « interdiction des licenciements » n’est que verbiage pseudo-radical). Pour aller dans un sens révolutionnaire l’action doit se situer sur le terrain politique proprement dit, ce qui au stade actuel de la lutte de classe signifie d’expliquer les facteurs fondamentaux qui motivent les actes appliqués par les capitalistes.

Les « privatisations », les régimes de retraite et de sécurité sociale, le code du travail, les lois « sécurité globale », l’interdiction des actions des étudiants au sein de l’université, les mesures contre la crise sanitaire : pour faire avancer la volonté et la capacité de lutte des travailleurs, il faut expliquer tous ces faits à la lumière du fonctionnement (dysfonctionnement) du capitalisme, des orientations des partis politiques de la bourgeoisie, des conflits en leur sein, et des rivalités entre eux.

Prenons la question de la lutte contre chômage : c’est une utopie de laisser croire aux travailleurs qu’il est possible de résoudre le problème en revendiquant une réduction du temps de travail à 32 heures par semaine. On a déjà une expérience concrète, le passage aux 35 heures. Le capital a adapté les cadences de production, le nombre de chômeurs n’a pas changé pour l’essentiel, en revanche la bourgeoisie a élargi le travail précaire.

On peut donner encore un autre exemple : la lutte contre la modification du code du travail. Elle a montré une chose très clairement : un mouvement défensif obtient peu de chose, loin d’une victoire réelle. La lutte économique revendicative ne remet nullement en cause la société capitaliste en tant que telle. Et quand cette lutte est menée sans être liée au renforcement, par les communistes, de l’organisation de la classe ouvrière, le mouvement garde le caractère de réactions spontanées sans perspective.

Les communistes marxistes-léninistes ne sont ni sectaires, ni utopistes. Ils partent du constat que les capitalistes n’investissent que là où des profits – de préférence élevés – sont en vue. Face à cela sont légitimes et nécessaires les luttes qui visent à améliorer les conditions de vie et de travail des travailleurs. Mais nous savons aussi, et l’histoire le montre, que toutes les grandes conquêtes sont le fruit de la lutte ouvertement politique, et aussi que dans la société capitaliste aucun droit ou « acquis » n’est durable.

Arrivé à ce stade de notre propos il nous faut éclairer ce qu’on entend par « politisation ». Certaines forces politiques parlent eux-mêmes de politisation, mais se gardent d’attribuer un rôle politique propre à la classe ouvrière. Or la politique au-dessus des intérêts de classe déterminés n’existe pas. Nous luttons pour que la classe ouvrière s’organise en tant qu’une classe politiquement indépendante de toutes les forces bourgeoises et petites bourgeoises. Pour que cela se réalise, la lutte pour construire un véritable parti communiste est incontournable. Elle passe par un travail au sein de la classe ouvrière. Tant que celle-ci se cantonne dans une lutte économique ou syndicale (professionnelle), sa politisation sera impossible. Et la lutte politique de la classe ouvrière ne peut pas se limiter à la simple critique de la société capitaliste, mais a pour objectif de renverser le capitalisme.

Pour s’organiser, la classe ouvrière doit se défaire de toutes les illusions qui l’influencent. Mais elle ne peut le faire sans prendre en compte son expérience qui grandit et se développe dans la lutte. On ne peut pas éduquer la classe ouvrière dans une école. La classe ouvrière s’éduque à travers sa propre expérience.

Les hommes ont toujours été et seront toujours en politique les dupes naïves des autres et d’euxmêmes, tant qu’ils n’auront pas appris, derrière les phrases, les déclarations et les promesses morales, religieuses, politiques et sociales, à discerner les intérêts de telles ou telles classes. Les partisans des réformes et améliorations seront dupés par les défenseurs du vieil ordre de choses, aussi longtemps qu’ils n’auront pas compris que toute vieille institution, si barbare et pourrie qu’elle paraisse, est soutenue par les forces de telles ou telles classes dominantes. Et pour briser la résistance de ces classes, il n’y a qu’un moyen : trouver dans la société même qui nous entoure, puis éduquer et organiser pour la lutte, les forces qui peuvent – et doivent de par leur situation sociale – devenir la force capable de balayer le vieux et de créer le nouveau [4].

Quel avenir pour la lutte de classe

Nous avons brossé un aperçu de l’état de la classe ouvrière, et des difficultés de la lutte ainsi que de leurs racines.

Plus personne ne nie que la société est en proie d’une crise globale. La crise sanitaire est une conséquence du fonctionnement de la société capitaliste qui ne répond pas aux besoins de l’humanité, et elle accélère et aggrave la crise économique dont les symptômes étaient déjà en route. Cette situation de crise implique fatalement un aiguisement de la lutte de classe. Des luttes à caractère de plus en plus massif ne manqueront pas d’éclater. Contre ces luttes, la bourgeoisie sera contrainte d’utiliser de plus en plus la violence, en suivant la tendance déjà entamée depuis quelques temps.

Depuis plusieurs décennies, les travailleurs commencent à ressentir eux-mêmes le décalage grandissant entre le caractère relativement timide – sauf quelques soubresauts momentanés – de leur façon de s’organiser et d’agir, et la sévérité des attaques menées par la bourgeoisie. Le mouvement ouvrier en France a une longue histoire, une expérience basée à la fois sur des époques éloignées et les périodes récentes. Peu à peu, les travailleurs s’efforcent à mieux s’adapter en tâtonnant, à déterminer des objectifs, des cibles, des méthodes pour que leurs luttes puissent être porteuses de résultats. Une des principales sources d’hésitation réside dans la distinction entre action revendicative syndicale et lutte politique. Selon une vision répandue, entretenue par les employeurs, les syndicats ne devraient pas « faire de la politique ». Or les travailleurs doivent justement s’affranchir de cette règle, non fondée, dont le respect les tient à l’écart du terrain de lutte fondamental : celui d’affrontement non pas simplement avec les directions d’entreprise – qui, hypocritement, peuvent s’abriter derrière leur statut formel de salarié – mais avec les détenteurs des capitaux qui, eux, se placent bel et bien sur le terrain politique en association étroite avec l’État.

La classe ouvrière est divisée, idéologiquement, politiquement et syndicalement. Plusieurs courants politiques ou groupes agissent dans le domaine syndical. Il y a ceux qui coopèrent ouvertement avec le gouvernement. D’autres se placent avec plus ou moins de détermination du côté de la défense des intérêts des travailleurs. Néanmoins les dirigeants des centrales syndicales sont exposés à des critiques, parfois à juste titre. Cependant, au-delà du rôle négatif que peuvent jouer des responsables syndicaux, les difficultés du mouvement ouvrier sont plus profondes.

Nous devons chercher à mettre en œuvre l’unité dans l’action revendicative au sein de la CGT, ensemble avec des militants ayant des positions politiques diverses. Mais le cadre syndical impose d’emblée des limites à la portée de cette unité, aussi large qu’elle soit. Il ne peut s’agir que de défendre les conditions de travail et de vie des travailleurs, de reconquérir ou, mieux, élargir des droits en faveur de la classe ouvrière (retraite, représentativité au sein d’entreprise : CE, DP et CHSCT). Certes, ce sont des tâches importantes qui jouent un rôle de levier pour la lutte en dehors des syndicats. Mais il n’y a rien de révolutionnaire dans tout cela.

Et malgré la richesse de l’histoire du mouvement syndical, celui-ci n’est pas en mesure d’accumuler l’expérience résultant de chaque lutte, d’en tirer les leçons du point de vue politique. La classe ouvrière n’a jamais été homogène, et le cadre syndical n’est pas adapté pour surmonter cet état de fait. Bien au contraire, il s’adapte à la diversité des situations en perpétuant l’hétérogénéité de l’ensemble. La persistance des approches corporatistes en est une manifestation.

La déchéance du PCF, qui exerçait autrefois une influence politique forte sur la CGT, a jeté dans le désarroi nombre de militants de cette confédération. Le vide laissé a fait apparaitre une attitude consistant à faire comme si les syndicats pouvaient reprendre directement le relai. C’est une position à la fois anarchosyndicaliste et également réformiste. On attend du syndicat qu’il aille au-delà de ses possibilités. Certes, selon le principe qu’il faut mettre en œuvre, les syndicats, en tant qu’organisations de la classe ouvrière, ne doivent pas être « apolitiques » mais doivent défendre les objectifs politiques de la classe. Mais on ne peut pas leur demander de prendre la place vacante du parti de classe.

Les luttes revendicatives, la plupart du temps, ont un périmètre circonscrit, dans le cadre d’une entreprise, d’un grand groupe, d’une branche. Certaines luttes peuvent prendre un caractère d’affrontement plus général : concernant le régime de retraite, le code du travail ou la loi de représentativités, etc. Le fait est que ces enjeux concernent l’ensemble des travailleurs, et que l’action revendicative est en l’occurrence dirigée contre le gouvernement qui représente – en principe – les capitalistes dans leur ensemble. Et des luttes comme celles du secteur des transports publics (SNCF, RATP) ont un impact indirect qui leur donne un caractère prolétarien relativement large. Ces luttes font éclore en germe, du moins implicitement, l’opposition directe entre la classe ouvrière et la classe capitaliste en tant que telles. Même ainsi, le faible développement de la conscience de classe parmi les travailleurs fait que ces actions restent confinées dans une vision politique qui est de fait l’émanation de la bourgeoisie et des couches petites-bourgeoises. Elles sont pour l’instant incapables de se poser l’objectif de renverser le pouvoir politique de la bourgeoisie.

La bourgeoisie pour préserver ses intérêts a à sa disposition tous les rouages de l’État, et utilise sans aucun état d’âme ses forces de répression (police, gendarmes, vigiles, etc.). Dans la dernière décennie elle en a fait un usage intensif, ce qui n’est pas nouveau si on prend en compte le passé à long terme. (Voir dans ce numéro notre article sur la violence d’État.)

Pour y faire face, il manque une organisation qui aurait la capacité d’organiser et de mobiliser la classe ouvrière, à incarner une position politique de classe contre classe à l’échelle nationale. Tant que la classe ouvrière n’arrive pas à développer sa conscience de classe au-delà de l’état actuel, elle ne peut pas dépasser les obstacles qui la divisent pour devenir un acteur politique avec sa propre organisation politique. Construire une véritable force politique au sein de la classe, le parti d’avant-garde de la classe ouvrière, voilà le but des communistes.

La lutte syndicale spontanée face au danger de fermeture d’un lieu du travail, de licenciements, délocalisations, etc., peut inclure des alliances ponctuelles. Mais la voie vers l’unité idéologique et politique – pas n’importe laquelle, mais celle qui doit être la base de ce parti d’avant-garde – est celle d’un travail scientifique qui se développera hors de l’activité syndicale et de la spontanéité du mouvement. Aucune des mobilisations depuis 1995 n’a conduit à atteindre cette unité.

La conscience d’ensemble qui fait défaut à la classe ouvrière ne viendra pas dans la lutte spontanée. On a besoin d’une organisation qui porte la théorie marxiste-léniniste au sein de la classe ouvrière. Sans avoir une théorie scientifique, sans disposer des organisations (parti, syndicat…) de classe indépendantes, le mouvement ouvrier ne peut tirer des leçons de ses luttes. Au bout du compte, seul le parti peut assurer la mémoire de ces luttes.

Cette conscience sera développée dans une lutte à plusieurs dimensions. Une composante importante est la lutte idéologique, qui nous oblige à un travail théorique-politique, pour connaitre la nature de la société capitaliste, et montrer l’alternative dans la pratique. Ce n’est pas suffisant de dire que le capitalisme ne répond pas aux besoins de l’humanité. Il faut aussi montrer dans chaque situation concrète comment la société capitaliste, dans l’intérêt d’une poignée de capitalistes, nous condamne à un avenir sombre. Quelles que soient les merveilles du progrès des sciences, des technologies, des capacités de production matérielles, leur emploi – ou non-emploi – est entièrement déterminé par les capitalistes et leurs représentants politiques, avec comme unique critère l’extorsion de plus-value aux ouvriers et sa transformation en profits. Les catastrophes naturelles, les famines, les épidémies – tout cela ne constitue pour la bourgeoisie que des éléments subordonnés dans leurs calculs autour de l’accumulation du capital.

Le parti d’avant-garde de la classe ouvrière en tant que tel n’existe pas actuellement. Mais au sein de la classe, les militants sont nombreux qui pour le moins ont une vision avancée au-delà de la défense élémentaire des conditions de travail et de vie. Il faut construire le lien de ces militants avec le mouvement communiste marxiste-léniniste. Il faut œuvrer à ce que dans la lutte quotidienne ils acquièrent progressivement la capacité de comprendre la voie réelle et pas imaginaire vers une société qui mette fin à l’exploitation de l’homme par l’homme. Il faut intervenir à tous les niveaux, chercher les moyens pour s’organiser politiquement à l’échelle nationale; une organisation purement locale ou formée d’un assemblage de quelques points locaux éparpillés ne peut pas réussir à créer une organisation politique d’ensemble de la classe ouvrière. Cette activité en faveur de la constitution du parti doit aller de pair, en parallèle, avec l’impulsion au sein de la classe ouvrière, des luttes menées par les travailleurs.

Du point de vue théorique, il faut s’appuyer sur une analyse profonde de notre époque impérialiste et du rôle de l’économie impérialiste, de la concurrence entre pays impérialistes et son impact ou influence dans la classe, de la façon dont est structurée la division de travail à travers le système capitaliste impérialiste mondial.

Depuis quelque temps la bourgeoisie impérialiste multiplie les recours à des mesures protectionnistes. Les réformistes ont un penchant naturel qui va dans le même sens, ce qui fait qu’ils peuvent facilement verser dans ce nous qualifions de chauvinisme. Mais dans notre propagande nous ne devons pas nous contenter de lancer des accusations, bien qu’elles soient justifiées. Nous devons trouver les arguments susceptibles de convaincre les militants égarés par des influences adverses. Et nous devons aussi exposer notre analyse critique de certaines visions erronées qui remontent à l’histoire antérieure du PCF, notamment à la période qui a suivi la Deuxième Guerre mondiale. En effet, l’œuvre du Conseil national de la résistance et les « Trente glorieuses » (la période de croissance économique, d’expansion capitaliste dirigée, jusqu’au milieu des années 1970) font l’objet d’interprétations mythiques non conformes aux réalités. Bien qu’il s’agisse d’histoire déjà lointaine, la mémoire de ces évènements exerce encore une influence idéologique et pratique considérable, et cela dans un sens préjudiciable.

Quant à l’organisation des processus de travail, ne serait-ce qu’au niveau d’un pays, elle est complexe : CDI, CDD, contrat de chantier, intérimaire, sous-traitants et cotraitants, la division du marché… Sur un chantier ou dans une usine, parfois même pas la moitié des salariés fait partie directe de l’entreprise principale. C’est cela aussi qui rend le cadre syndical inapte à construire l’unité organisationnelle des travailleurs dans la durée.

Un point ici sur les mouvements sociaux interclassistes, comme le mouvement des « bonnets rouges », des « gilets jaunes », des « indignez-vous ». Ces mouvements ne laissent derrière eux aucune structure qui s’installerait dans le temps, ni aucun espace pour continuer à s’organiser, ni même un lieu (non virtuel) pour garder le contact entre les militants. (Voir notre article dans le numéro 25 de la Voix des Communistes [5].)

Souvent on confond la forme de la lutte avec le fond de la lutte. Une lutte quelconque, si « radicale » qu’elle soit et quelle que soit la participation de travailleurs, n’est pas pour autant forcement une lutte contre le capitalisme. Les communistes marxistes-léninistes doivent avant tout agir au sein de la classe ouvrière, regrouper dans la lutte les militants les plus avancés, pour construire un parti communiste marxiste-léniniste, fondé sur les principes du marxisme-léninisme.

Il arrive que cette position soit qualifiée comme sectarisme. Si certains considèrent que défendre les principes du marxisme-léninisme serait du sectarisme, alors en ce sens nous sommes « sectaires »; mais ceux qui expriment cette critique sont fort éloignés du marxisme. L’unité politique de la classe est une obligation qui doit être construite sur des bases scientifiques marxistes-léninistes.

Aujourd’hui le ROCML ne prétend pas être un parti. Nous sommes un groupe avec l’ambition de défendre et propager les positions communistes marxistes-léninistes dans la classe ouvrière et vers les militants communistes. C’est notre conception depuis la création. (Voir notre document du congrès de fondation du ROCML, 2010 [6].) Malheureusement on est très loin d’une confrontation idéologique, théorique et politique ouverte entre les groupes se réclamant du marxisme-léninisme (à l’exception d’une courte période durant l’existence du Comité National pour l’Unification du Mouvement Communiste en France – CNU).

Sans que les forces communistes progressent dans l’unification idéologique et théorique, il est vain de croire pouvoir réaliser une unité quelconque. Pour s’approcher de cet objectif, les conditions préalables doivent se concrétiser sur le terrain de la lutte de la classe ouvrière prenant conscience de sa force et du rôle historique qu’elle est destinée à jouer.

 

 

 


[1]Lénine, l’État et révolution (1917); Œuvres, tome 25; Paris, Éditions sociales.

[2]Lénine, Le réformisme dans la social-démocratie russe (1911); Œuvres, tome 17; Paris, Éditions sociales. (Le terme social-démocratie était encore d’usage à l’époque pour désigner le mouvement communiste.)

[3]Lénine, Le réformisme dans la social-démocratie russe.

[4]Lénine, Les trois sources et les trois parties constitutives du marxisme (1913); Œuvres, tome 17; Paris, Éditions sociales.

[5]https://rocml.org/wp-content/uploads/2019/04/VDC25.pdf

[6]https://rocml.org/rocml-1/