La signification politique de l’écologie
LA VOIX DES COMMUNISTES, no 29, 2e semestre 2021 – p. 15-18
Voilà maintenant plusieurs décennies que l’écologie en tant qu’idée politique s’est invitée dans le jeu politique bourgeois. Si aux origines l’écologie politique se trouvait cantonnée au second plan, l’ampleur de l’impact de plus en plus tangible des pollutions issues de l’activité humaine et l’accentuation du phénomène de réchauffement climatique ont dopé son développement. Le plus souvent, du moins à l’origine, l’"écologie" restait une idée et une force politique marginale qui était l’apanage de quelques partis se revendiquant "progressistes" et situés à "gauche" à la remorque de la social-démocratie. Elle a aujourd’hui largement dépassé ce clivage pour devenir un argument politique auprès de toutes les forces politiques quelles que soient leur tendances.
Motivé en premier lieu par "l’urgence d’agir" face au réchauffement climatique en cours, l’écologie en tant que politique a pris une place énorme dans le jeu politique bourgeois dans les grands pays capitalistes dominants – dont la Chine -, mais aussi parmi les pays subissant cette domination. Son influence est devenue très forte ces dernières années non seulement dans les milieux réformistes dont elle est issue mais aussi auprès de la jeunesse étudiante et jusque dans le mouvement ouvrier. La bourgeoisie libérale elle-même en a fait son cheval de bataille depuis quelques années, en accord avec le grand capital qui s’est semble-t-il lui aussi convertie de destructeur en sauveur de la planète et de l’humanité (!).
Dans cette course à qui sera le plus vert s’introduit un argument se référant à "l’intérêt général" et qui prétend ainsi dépasser les clivages politiques et surtout les antagonismes de classes. L’embrouillamini actuel est si dur à démêler qu’un certain nombre de militants communistes et syndicaux parmi les plus conscients se laissent berner par le mirage vert qui devrait nous conduire vers une société juste et respectueuse de l’environnement, travailleurs et exploiteurs main dans la main, qui sommes après tout "dans le même bateau". Quand bien même certains reconnaissent (c’est même la majorité) qu’il faudra forcer la main aux capitalistes pour y arriver il n’en reste pas moins qu’ils foncent droit dans nouveau piège idéologique de la bourgeoisie et du réformisme.
Le terme "écologie" vient du grec "oikos" qui signifie maison, habitat. Il fut proposé dès 1869 par le biologiste Ernst Haeckel pour désigner la science étudiant les rapports entre les organismes et le milieu environnant. Ainsi l’écologie en tant que tel est une science et pas une idée politique, néanmoins nous procédons ici à une analyse politique de ce que représente le terme "écologie" aujourd’hui. C’est pour cela que nous parlerons d’écologie politique plutôt que d’écologie tout court, ce dernier terme prêtant à confusion tel qu’il est utilisé dans le débat actuel. En tant que marxistes-léninistes, nous nous intéresserons au positionnement de classe de l’écologie politique, aux intérêts de quelle classe sociale elle correspond.
Tout d’abord rappelons que l’écologie politique n’est pas une idée neuve puisque cela fait plus de cinquante ans qu’elle existe et se développe. Les années 1970 sont pour l’écologie politique au niveau mondial celles qui la verront s’organiser elle-même en tant que force politique indépendante. Au même moment l’écologie commence à être prise au sérieux dans les pays industrialisés comme en témoigne l’organisation de la première conférence de l’environnement à Stockholm en 1972, préoccupation renforcée par le choc pétrolier de 1973. L’émergence de l’écologie politique a donc pour origine des raisons objectives qui se sont fait jour de manière évidente à cette époque : dans une société capitaliste moderne avec une croissance de la production et de la consommation qui sont gouvernés par l’anarchie des lois du marché et du profit maximum, l’homme ne peut manquer d’influer de manière de plus en plus significative et néfaste sur son environnement.
Si l’apparition de l’écologie politique est assez ancienne, son influence actuelle n’a tout au plus que 10 ans. L’importance de l’écologie dans le débat politique contemporain vient en vérité plus du travail médiatique des puissants médias de masses que du travail politique des partis qui veulent la représenter. Les écologistes politiques se sont trouvés des porte-paroles et des représentants aux niveaux national et international comme Nicolas Hulot, Greta Thunberg etc., mais il n’en reste pas moins que loin de déranger les capitalistes qu’ils désignent pourtant souvent comme étant la cause du mal, ils sont promus par ceux-là mêmes qu’ils dénoncent. Ils font la couverture des magazines, sont invités aux congrès internationaux pour exprimer une idée forte : il est temps d’agir face à l’urgence climatique. Les plus gros pollueurs de la planète réunis ensemble applaudissent à quatre mains des gens qui semblent pourtant être leurs pires opposants. La vérité c’est que derrière le "verdissement" du capitalisme qui s’amorce ne sont pas à la manœuvre ceux que l’on croit.
En effet si les premiers touchés sévèrement par les problèmes liés à l’utilisation d’énergies fossiles et par les dégâts du réchauffement climatique sont les masses laborieuses qui à l’échelle mondiale en payent déjà le prix fort, le capital n’en est pas moins concerné de près. Les grands groupes monopolistiques transnationaux ont depuis longtemps pris acte de la raréfaction de certaines matières premières, comme les sources d’énergie fossiles (pétrole, charbon, gaz), dont ils sont les principaux exploiteurs. Il s’en suit la concurrence continue entre puissances impérialistes pour s’approprier ces ressources indispensables, et la situation des secteurs économiques concernés devient de plus en plus précaire. Le capital a aussi tout intérêt à limiter les effets du réchauffement climatique afin d’assurer la stabilité de l’ordre établi. La domination des principales puissances impérialistes mondiales (USA, Chine, France, GB, Russie etc.) se verrait remise en question par un bouleversement climatique trop important et trop soudain, entrainant des catastrophes en chaine et des flux de migrants complètement ingérables au-delà d’un certain stade. Les dommages que cause la pollution sur la santé publique sont eux aussi cause de préoccupations de même type. Aussi pour se prémunir au maximum de ces périls le capital international a-t-il lui-même entamé sa propre restructuration que certains osent appeler "verte". Une restructuration qui patine, qui semble parfois incohérente car elle ne peut dépasser les contradictions internes du capitalisme en tant que mode de production. Si des secteurs économiques comme l’automobile ou encore l’énergie électrique se jettent volontiers dans cette restructuration qui leur permet de renouer avec le profit, d’autres comme l’aéronautique, les producteurs de pétrole et de gaz etc. voient les choses différemment parce que pour eux les perspectives de reconversion sont problématiques. De la même manière, si les États ou groupes d’États comme l’UE, la Grande-Bretagne ou les USA se lancent volontiers dans cette "transition énergétique", c’est bien comme importateurs de ressources énergétiques fossiles; au contraire, les pays comme la Russie ou l’Arabie Saoudite qui basent leur économie sur la consommation et l’exportation de pétrole et de gaz, ne voient pas de raison de procéder à une transition dite "écologique" qui leur couterait à l’heure actuel plus qu’elle ne leur rapporterait. L’ensemble des points énoncés ici mériteraient d’être développés de manière plus approfondie, étant donné que la compréhension de cet état de fait économique est indispensable pour analyser cette restructuration de l’économie capitaliste mondiale. Néanmoins ici nous nous concentrons sur l’aspect politique de la question.
Écologie politique libérale
On voit donc que le grand capital a résolu de réajuster certains aspects de sa structuration sectorielle à plus ou moins long terme, sans qu’évidemment cela remette en cause les fondements des rapports de production capitalistes. Mais une telle transformation représente un cout financier énorme que le capital entend bien réduire au minimum pour lui-même en le faisant peser sur les travailleurs. Ce coût est cependant trop lourd pour le faire peser d’un coup sur les épaules des masses exploitées sans préparer le terrain idéologique qui leur fera accepter les sacrifices à venir comme paraissant inéluctables. C’est là qu’entre en scène le tapage médiatique incessant autour de "l’écologie" comme intérêt commun de l’humanité toute entière (exploiteurs et exploités), mettant en avant la prise de conscience individuelle de chacun qui par ses actes (de consommation) devrait préserver l’humanité d’une apocalypse annoncée. En tant que consommateur, le travailleur constitue de toute façon un maillon essentiel dans le circuit de la création de valeur – surtout de plus-value – et de sa transformation en profit pour le capitaliste. Mais ce rouleau compresseur de la propagande écologique vise à soumettre le travailleur à un ultimatum de la part de la société capitaliste toute entière : soit il coopère main dans la main avec la bourgeoisie, consomme les produits issus des nouvelles productions (par exemple voiture électrique à la place de thermique etc.), se reconvertit afin de trouver un emploi moins "polluant" dans la restructuration économique qui s’annonce; soit il devient un dangereux destructeur de l’environnement. On culpabilise l’individu pour masquer la responsabilité du mode production capitaliste lui-même. Les mesures législatives prises par les États capitalistes concernés ont pour but de faciliter au maximum cette restructuration forcée, voire à la diriger dans le sens voulu par l’Etat lui-même. Les forces politiques libérales ont fait leur ce programme de base du capitalisme en la matière et se sont par là-même attribué à leur tour le titre usurpé "d’écologistes". Cette politique sert directement les intérêts économiques de la grande bourgeoisie capitaliste au détriment du prolétariat et cela malgré ses airs progressistes. Elle ne fait que consacrer l’hégémonie du mode de production capitaliste, elle doit être combattue de manière résolue par les communistes marxistes-léninistes.
Écologie réformiste ou "de gauche"
Il s’agit là en vérité du point qui nous intéresse le plus en tant que militants communistes en rapport avec le niveau actuel de la conscience politique des masses et des militants politiques et syndicaux "de gauche" que nous touchons ou du moins essayons de toucher par notre travail. Car si les libéraux de "droite" ont récupéré avec succès le thème de l’écologie et savent en user de manière efficace pour arriver à leurs fins, l’écologie politique reste historiquement une idéologie de "gauche", autrement dit réformiste. Le tronc commun est le même que celui emprunté par les "écologistes de droite", à savoir une individualisation à outrance d’un problème qui relève avant tout de la structure économique de la société capitaliste elle-même, la transformation du travailleur exploité en consommateur responsable etc. etc. Jusque-là ces deux tendances de l’écologie politique se ressemblent trait pour trait. Mais ce qui fait, pour le mouvement ouvrier, de l’écologie politique réformiste un danger plus grand que l’imposture de l’écologie libérale, c’est qu’au contraire de cette dernière elle entend se poser comme l’unique alternative progressiste de l’humanité en liant l’écologie libérale aux vieux programmes sociaux de la gauche réformiste. Les "écologistes de gauche" qui entretiennent des discours radicaux par la forme allant parfois jusqu’à l’anticapitalisme affiché, se voulant les champions du progrès de l’humanité, n’en restent pas moins des réformistes à la remorque des libéraux. L’imposture réformiste des écologistes de gauche resterait sans grand danger si l’écologie n’était pas devenue par l’effet des médias tout puissants un thème politique central de notre époque. L’orientation actuelle du débat donne aux écologistes réformistes une influence politique et idéologique sans précédent pour ce mouvement. Cette influence de plus en plus forte pénètre la jeunesse étudiante qui s’est illustrée lors des marches pour le climat en France organisées ces dernières années, mais aussi jusque dans le mouvement ouvrier. Un exemple parmi d’autres de cette influence grandissante des idées "écologistes" dans le mouvement ouvrier et syndical : les pourparlers entre la CGT, Greenpeace et ATTAC qui ont débutés en janvier 2020 et qui s’employaient à créer un programme "vert et rouge" afin de faire face aux enjeux climatiques et sociaux à venir. Ces tentatives de la part de la CGT de chercher à renforcer son influence en se donnant une étiquette verte par une association avec les promoteurs de l’écologie politique tant à la mode sont dommageables. Elles éloignent les syndicats de leur tâche, celle d’assumer la défense des travailleurs dans un rapport de classe contre classe, et ne peuvent que les faire glisser un peu plus dans la voie du réformisme. La CGT n’est pas la seule organisation à opérer cette évolution. L’ensemble des forces politiques de "gauche" font désormais campagne sur le thème de l’écologie, en plaçant cette dernière en première lieu avant les préoccupations sociales touchant les travailleurs (en témoignent les affiches des récentes élections régionales de juin 2020). Les discours se radicalisent contre le capitalisme plus comme une réponse à "l’urgence climatique" que comme une véritable analyse politique. L’ensemble des organisations politiques, syndicales, associatives et les intellectuels influencés par l’écologie politique colportent en réalité le même genre d’illusions réformistes traditionnelles drapées d’un nouvel habit "vert".
Tous considèrent que l’origine des maux de notre société ne réside pas dans les rapports sociaux de production capitalistes en tant que tels, comme un tout, mais incriminent certains aspects, le capitalisme "moderne", "mondialisé", la domination des "banques", de la "finance". Face à ses ennemis déclarés chacun d’entre eux y va de sa solution miracle afin de sauver la planète de la catastrophe : taxe sur les transactions financières, "prendre dans les poches des entreprises", taxes carbones diverses pour financer la fameuse transition écologique, circuits court, agriculture raisonnée etc. Dans le but de réaliser leur programme les écologistes en bons réformistes s’en remettent à l’État bourgeois et à la prise de conscience de la "société civile". Leurs solutions se cantonnent à des mesures législatives qui pour eux doivent s’imposer naturellement, par la raison et par la compréhension de l’urgence face à une catastrophe écologique imminente. Tout le reste doit être laissé de côté, si besoin est, pour répondre aux enjeux écologiques.
Ainsi les écologistes actuels se sont bel et bien lancés dans un recyclage à grande échelle, celui des idées réformistes.
À l’égal du réformisme, ils nient l’existence de la lutte des classes, ils considèrent l’État comme étant une structure au-dessus des classes, de médiation et de compromis (d’intérêt général !). Dans l’ensemble des thèses et des programmes exposés par les représentants de l’écologie politique, et par les solutions qu’ils proposent, ils se révèlent être pour l’essentiel les représentants de la petite bourgeoisie. On ne peut que conclure comme Lénine qui écrit en parlant des populistes russes une appréciation qui s’applique bien dans notre cas : "La compréhension superficielle des faits et l’empressement à accepter des compromis, ces traits caractéristiques du petit bourgeois ressortent ici de toute évidence." (V. I. Lénine, Oeuvres, tome 1; Paris, Éditions sociales, 1958; p. 424.)
L’écologie politique est nocive, par les illusions qu’elle véhicule dans les masses, la petite bourgeoisie et plus particulièrement au sein du prolétariat. Elle entrave la prise de conscience chez les travailleurs, de la nécessité de leur émancipation du capitalisme. De manière objective, les écologistes comme les autres réformistes avant eux font le jeu de la bourgeoisie au pouvoir, que cela soit de manière consciente ou dans le cas de certains militants honnêtes, malgré eux. Ce n’est pas parce que le changement climatique et la destruction des ressources de notre planète sont une réalité dangereuse pour l’humanité qu’il faut abandonner le raisonnement scientifique à la lumière du marxisme-léninisme. Certains militants se revendiquant du marxisme-léninisme eux aussi ont tendance à oublier cela et se jettent inconsidérément dans la cohue de "l’écologisme", de "l’écosocialisme". Ce faisant ils mettent la charrue avant les bœuf en considérant qu’il faut engager ses forces pour la préservation de la planète d’abord et que sur la base de ce combat qui servirait de tremplin à la lutte ouverte contre le capitalisme nous pourrions édifier la société socialiste. En prônant ce genre d’idées ils entendent "compléter" le socialisme, dont la conception ne prend pas suffisamment en compte, selon eux, les questions d’écologie. Ils s’alignent ainsi sur les critiques fausses selon lesquelles le marxisme serait une doctrine productiviste. Ils prennent le problème à l’envers. C’est la société capitaliste qui – par les antagonismes de classe et la contradiction fondamentale entre d’une part le caractère social du travail issue de tous les travailleurs et d’autre part la propriété privée des moyens de production – engendre l’exploitation insoutenable des prolétaires du monde entier de même que la tendance vers la destruction de notre planète. Seul le socialisme, première phase du communisme, mettra fin à ces rapports sociaux et pourra ainsi constituer un terreau fertile pour une véritable "écologie". C’est cela qu’en tant que communistes nous devons dire et non l’inverse. Se laisser bercer par l’illusion que la prise de conscience écologiste et la popularité montante des idées écologistes (au sens bourgeois du terme) dans l’opinion soit l’occasion pour les communistes de faire un pas en avant vers l’émancipation du prolétariat en se mettant à la remorque de ces mouvements, c’est sombrer dans le réformisme, c’est trahir la cause de la classe ouvrière.
Notre rôle est au contraire de s’emparer de ces sujet importants afin de les lier le plus étroitement possible à la lutte de classe contre le capitalisme, qui est à l’origine de tous cela et nous enferme dans une impasse mortelle à l’échelle de l’humanité. Ce qu’il nous faut faire en définitive sur ce sujet comme beaucoup d’autres, c’est bâtir notre indépendance idéologique et politique vis-à-vis des partis et organisations de la bourgeoisie afin de pouvoir aborder les problèmes écologiques de notre époque de la seule manière qui puisse les résoudre de manière effective, de manière prolétarienne. Sans lier la lutte écologiste à la lutte du prolétariat contre la bourgeoisie et pour le socialisme on ne peut que rester à la remorque des réformistes, on laisse la main à la bourgeoisie et aux capitalistes.