Le Venezuela "bolivarien" – un exemple instructif
en rapport avec la question de l’anticapitalisme
et de l’antiimpérialisme
[Ce texte est accompagné d’annexes]
Depuis que Hugo Chávez a été élu président du Venezuela en décembre 1998, l’évolution politique de ce pays attire épisodiquement l’intérêt des observateurs au niveau international, notamment parmi les communistes. En particulier, dans le champ occupé par les partis communistes social-démocratisés tels que le PCF, évoluent ‑ à l’intérieur ou à l’extérieur ‑ un certain nombre de courants qui cherchent à se définir comme étant à gauche des directions de ces partis, et pour qui le régime en place au Venezuela possède un certain attrait.
Bien qu’étant de diffusion limitée, cette mise en avant de la "révolution" vénézuélienne est une expression de la confusion générale qui touche une partie considérable des mouvements de gauche. Le présent texte vise à fournir quelques éléments de connaissance de la réalité afin de faire ressortir la fausseté des discours propagandistes.
Pour commencer, voici quelques citations des présentations favorables qui circulent.
Au sein du PCF, par exemple[1] :
Cuba résiste encore et toujours à l’agression US, réinvente son socialisme et inspire Venezuela, Bolivie, Équateur qui construisent un socialisme à leur manière.
Outre le qualificatif de "socialisme", l’optique adoptée quant à la résistance à l’impérialisme, est significatif[2] :
Car il y a effectivement d’autres possibles que se rallier à un impérialisme local. Il y a le choix opéré par les peuples du sud. Face à la guerre totale et "rationnelle" à la Clausewitz, les peuples du sud et ce singulièrement à travers l’expérience cubaine, l’apport aujourd’hui du Venezuela, se dessine une stratégie à la Tzu Zu[3], gagner la guerre sans avoir à combattre. […] Elle consiste non à tabler sur le surarmement mais sur l’élévation de la conscience d’un peuple, une conscience concrète de ce qu’il faut corriger dans le quotidien autant que des périls qui menacent l’humanité.
On peut noter aussi un éclairage révélant les motivations pour cet attachement[4] :
Quand nous étions au désespoir dans les années 2000 face à nos partis de gauche gouvernementaux européens […] nous nous disions qu’un nouvel espoir pour la gauche égalitariste, marxiste et populaire se levait en Amérique Latine. […] Hugo Chávez, c’était l’homme qui redonnait de l’actualité à l’idéal révolutionnaire, à une gauche qui n’avait pas renoncé à changer le quotidien des gens ordinaires en redistribuant profondément les richesses et en affrontant frontalement les puissances capitalistes et leur principal protecteur, l’empire américain.
Certaines explications mettent en lumière l’ambivalence des interprétations développées[5] :
Le deuxième immense mérite de Chávez et de ses compagnons est d’avoir résisté en impliquant de plus en plus massivement la population pauvre et laborieuse dans le combat politique, en recherchant les voies d’une rupture révolutionnaire, dans les conditions du Venezuela et de l’époque : le socialisme "bolivarien". […] La bourgeoisie reste forte. Le capitalisme reste le mode de production prédominant. L’impérialisme américain demeure en mesure d’exercer des pressions considérables sur son voisin et fournisseur de pétrole. […] Chávez et son gouvernement ont fait reculer l’emprise du capitalisme et de l’impérialisme sur le pays.
Tout en admettant donc qu’au Venezuela "le capitalisme reste le mode de production prédominant", ce texte se termine par l’exclamation "Vive le socialisme bolivarien, vive le socialisme !"
Par ailleurs, en dehors du PCF en tant que tel, on trouve des formulations similaires. En avril 2007 George Hage, du PCF, lance un appel soutenu par le PRCF, en vue d’une coordination de l’action commune ("Groupons-nous dès demain !"). On y lit[6] :
[…] en Amérique latine, autour de Cuba et du Venezuela, un processus révolutionnaire s’oriente vers le socialisme.
Autre exemple, un tract distribué au nom de la 4e Internationale à l’occasion du Forum social mondial de janvier 2006 tenu à Caracas[7] :
En combinant le développement du mouvement social, son auto-organisation, la traduction de la dynamique politique en processus électoraux et la construction d’éléments d’une direction démocratique et anti-impérialiste, le processus vénézuélien constitue un apport à la pensée révolutionnaire. […] La révolution bolivarienne est internationaliste dans son essence, elle coïncide avec la pensée universelle des révolutionnaires : il n’y a pas de solution nationale et il n’y a pas de socialisme dans un seul pays.
Enfin, voici une observation formulée par l’URCF[8] :
Curieusement, le succès de la révolution démocratique anti-impérialiste au Venezuela a renforcé l’étapisme dans toute une série d’organisations communistes d’États impérialistes comme ici en France, sans doute parce que cela correspond à ce qu’a été la pratique de focalisation du PCF sur des objectifs intermédiaires.
Outre le fait qu’à juste titre n’est pas utilisé le qualificatif "socialiste", l’évocation de l’étapisme pointe vers un aspect effectivement significatif de la situation au Venezuela ‑ mais le lien n’est pas aussi curieux qu’il puisse paraitre. Cette question sera traitée plus loin.
A. Résume succinct de quelques faits significatifs
Les antécédents de l’instauration du régime actuel
Le 23 janvier 1958 est renversé le régime de dictature militaire qui avait été instauré sur la base d’un coup d’État effectué en novembre 1948. Est constituée alors la 4e République. Durant les décennies qui suivent se maintient une succession de gouvernements marqués par l’alternance entre deux partis : le COPEI (Comité de Organización Política Electoral Independiente – Comité d’Organisation politique électorale indépendante) chrétien-démocrate et AD (Acción Demócrata – Action démocrate) catalogué comme "social-démocrate".
Le 16 février 1989 le président récemment élu Carlos Andrés Pérez présente un ensemble de mesures économiques concernant les domaines du régime de change, de la dette et du commerce extérieurs, du système financier, de la politique fiscal, des services publiques, de la politique sociale. Ce faisant, le gouvernement s’adresse au Fonds monétaire internationale en vue d’un accord sur le financement de la dette extérieure; il annonce la libéralisation des prix à l’exception de quelques produits de première nécessité ainsi que l’augmentation des tarifs de service publique (téléphone, eau, électricité, gaz etc.). Un relèvement du salaire minimal est également prévu, mais qui ne compense nullement la hausse du cout de la vie qu’impliquent les autres mesures. Le 27 février éclatent des actions violentes de protestation à Caracas, le 28 le président déclare l’état d’urgence, les forces armées interviennent pour réprimer le mouvement. Selon les chiffres officiels, on compte 300 personnes tuées.
Le pouvoir vient à bout de la rébellion, néanmoins la résistance populaire, les grèves, les luttes revendicatives, ne faiblissent pas. Les gouvernements qui suivent se placent, eux, dans la continuité des orientations économiques mentionnées. La nuit du 3 au 4 février 1992, survient une tentative manquée de soulèvement militaire initiée entre autres par Hugo Chávez, à l’époque commandant d’un bataillon de parachutistes. Les militaires impliqués sont destitués et emprisonnés; sous l’effet d’une forte pression populaire ils sont finalement graciés à condition de quitter l’armée. Ils fondent en 1997 le MVR (Movimiento V República – Mouvement Ve République) qui ensemble avec d’autres forces politiques, dont le PCV (Partido comunista de Venezuela – Parti communiste de Venezuela), forme le "Pôle patriotique" ("Polo Patriótico"). Aux élections présidentielles du 6 décembre 1998, Polo Patriótico présente Chávez, lequel est élu avec 56 % des voix.
Le régime de la 5e République formé suite à l’élection de Chávez
Le 2 février 1999, est convoqué par décret la réunion d’une Assemblée constituante. Face à l’obstruction déployée par les forces politiques opposées au gouvernement en place, celui-ci organise un référendum qui, le 25 avril, entérine la convocation de l’Assemblée constituante. Le 25 juillet se déroulent les élections correspondantes, les candidats de Polo Patriótico obtiennent plus de 80 % des sièges. Cette Assemblée constituante siège durant les mois d’aout à décembre. Elle élabore une nouvelle constitution qui par voie de référendum, le 15 décembre 1999, est approuvée par 71 % des votants.
Parmi les caractéristiques de la constitution : propriété étatique des ressources pétrolières, droit à la désobéissance civile, obligation pour l’État de garantir des droits fondamentaux comme la santé, l’éducation. Les pouvoirs de l’État se classent en : législatif, exécutif, judiciaire, citoyen, électoral. Ainsi est instaurée une nouvelle catégorie de pouvoir, le "pouvoir citoyen" ("poder ciudadano"), chargé de veiller au respect des droits et d’éliminer la corruption. La fonction de chef de l’État est incarnée dans le poste de Président de la république, élu par suffrage populaire direct, pour une période de 6 ans pouvant être renouvelée une fois (en 2009, Chávez fera approuver la levée de cette restriction). Le pouvoir législatif revient à l’Assemblée nationale (et non à un système à deux chambres comme antérieurement); dans les états composant la fédération c’est le Conseil législatif qui représente ce pouvoir. Le pouvoir exécutif est exercé par le Président accompagné d’un Vice-président et des Ministres. Le pouvoir judiciaire revient au Tribunal suprême de justice et aux autres tribunaux, au Ministère public ainsi qu’aux organes d’investigation pénale et au système pénitencier. Le pouvoir citoyen est exercé par le Procureur général, le "Défenseur du peuple" et le Contrôleur général qui ensemble constituent le "Conseil moral républicain". Le pouvoir électoral est exercé par le Conseil national électoral.
Une fois établie la 5e république, le 30 juillet 2000 sont mises en oeuvre des élections pour renouveler l’ensemble des fonctions à tous les niveaux, y compris le président de la république. Polo Patriótico confirme sa position majoritaire, Chávez obtient plus de 59 % des voix.
Premières mesures économiques
Le 13 novembre 2001, l’assemblée nationale accorde au gouvernement le pouvoir d’émettre un décret-loi concernant un certain nombre de domaines économiques, notamment :
– Loi sur les terres. Est accordé à l’État le droit d’exproprier des terres privées et de les redistribuer, si les prétendus propriétaires ne peuvent prouver leur qualité par des titres légaux, ou s’il s’agit de surfaces de plus de 5000 ha non cultivées. Est accordé à l’État le droit de décider de l’utilisation de terres en fonction des besoins alimentaires de la population.
– Loi sur les hydrocarbures. Elle relève le montant des prélèvements fiscaux sur les investissements étrangers de 16 % à 30 %, et réserve à l’État au moins 51 % des actions des sociétés mixtes.
Les USA, en liaison avec certains secteurs de la bourgeoisie du Venezuela s’efforcent de miner le régime. Les points culminants dans ce sens sont la tentative de coup d’État en avril 2002 et la grève-sabotage mise en oeuvre par une partie du personnel de direction et cadre de la société pétrolière publique PdVSA en décembre 2002-janvier 2003.
Le régime est ainsi exposé à des risques de perte d’autorité, tandis qu’il reste en place grâce au soutien largement majoritaire de la part des masses populaires. Celles-ci restent mobilisées en faveur de leurs revendications matérielles et manifestent amplement leurs attentes en ce sens vis-à-vis du régime. Par ce contexte, Chávez est poussé à intensifier la mise en oeuvre de mesures destinées à améliorer la situation de la population. En 2003, il lance une campagne d’alphabétisation, désignée comme "Mission Robinson" (en référence au pseudonyme utilisé par l’écrivain Simon Rodriguez). Une multitude d’autres "missions" dans différents domaines seront par la suite organisées progressivement. Ces actions sont caractérisées par des procédures combinant financement publique (venant des ressources pétrolières) et implication active de la population de façon à surmonter les lourdeurs des circuits administratifs formels.
Les ressources minières dans le cadre du secteur d’économie publique
Dans une phase historique initiale l’exploitation des ressources pétrolières était dominée par les groupes monopolistiques étrangers, par l’intermédiaire de concessions. Le 1er janvier 1976 entre en vigueur une loi de nationalisation du secteur pétrolier. Les concessions sont annulées, les installations deviennent propriété d’État, et sont rassemblées dans le cadre d’une société publique, Petróleos de Venezuela SA (PdVSA). Avec les sociétés expropriées sont signés des contrats de commercialisation ainsi que divers accords, notamment dans le domaine de l’appui technique. Cependant, à partir de 1986 les grandes sociétés étrangères regagnent progressivement du poids dans l’exploitation pétrolière, à travers d’accords d’exploitation et d’associations stratégiques.
Durant la grève-sabotage qui ébranle PdVSA en décembre 2002-janvier 2003, seule une mobilisation populaire intensive, notamment de la part des travailleurs pétroliers, a permis au gouvernement de garder le contrôle de la production. Néanmoins le régime ne remet nullement en cause le principe d’une association stratégique avec des sociétés étrangères pour le développement de l’exploitation pétrolière. Seuls les mécanismes appliqués sont modifiés, dans le sens que les accords d’exploitation sont remplacées par la constitution d’entreprises mixtes dans lesquelles PdVSA tient au moins 50,1 % du capital. De telles associations continuent d’exister par exemple avec Chevron (USA), BP (Grande Bretagne), Repsol (Espagne), ENI (Italie), Total. Il ne s’agit nullement de coopérations marginales, mais de l’officialisation sous forme de mécanismes propres au capitalisme, d’une forte dépendance vis-à-vis de l’étranger découlant de contraintes technologiques et financières. Par ailleurs, sous l’angle géographique, on peut noter une évolution des connexions internationales. La Chine notamment acquiert une importance croissante; cet aspect sera abordé plus loin.
Le développement de l’exploitation des ressources minières, comparé au cas du pétrole, est plus récent. L’extraction à grande échelle commence dans les années 1950, d’abord par l’implantation d’une filiale d’U.S. Steel, puis, parallèlement, par l’intermédiaire d’un groupe national, la Corporación Venezolana de Guayana (CVG)[9]. En 1976-1977 est mise en oeuvre la nationalisation des ressources de minerais de fer, ceci en ayant recours entre autre à des entreprises mixtes à participation étrangère. Globalement cette structure persiste toujours. Cependant plus loin sera évoqué un cas particulier, celui de Sidor, filiale de CVG.
L’agriculture
La situation héritée de l’époque coloniale est caractérisée par la prépondérance de la grande propriété terrienne, tandis que par ailleurs l’état des titres de propriété est entaché largement, à tous les niveaux, de lacunes et d’incertitudes de toutes sortes. Quand on parle de grande propriété terrienne (le terme consacré en espagnol est "latifundio"), ceci désigne à la fois l’étendue globale des terrains, et le mode de mise en valeur au moyen d’une force de travail extérieure tout en laissant en friche une partie plus ou moins considérable des terres. En 1998, 0,4 % des propriétaires terriens totalisaient plus de 7 millions ha de terres. La superficie globale utilisée pour l’agriculture est estimée à environ 30 millions ha.
Du point de vue juridique, les actions appliquées par le régime en place depuis l’élection de Chávez comprennent d’une part la déclaration comme propriété publique de terres fertiles considérées comme relevant du "latifundio", d’autre part la confirmation de titres d’occupation en faveur de petits cultivateurs. On peut noter l’explication suivante d’un ministre de l’agriculture, concernant le critère qui met les grandes propriétés à l’abri d’une éventuelle expropriation[10] : "Elles doivent satisfaire un élément : que ce ne soient pas des latifundios. Qu’elles soient en pleine production, et en conformité avec les programmes et politiques du gouvernement." Autrement dit, il n’y a pas de politique de démantèlement général des grandes propriétés terriennes.
Selon des indications datant de 2013[11], environ 3,5 millions ha ont été "récupérés"; en principe ce type d’action concerne la confiscation de terres en friche, mais en pratique peuvent aussi être touchées des terres qui selon le propriétaire font l’objet de cultures ou élevages. 7,5 millions ha (ce qui inclut une partie des surfaces "récupérées") ont fait l’objet d’une régularisation des titres, notamment en faveur des familles d’agriculteurs concernées. Par ailleurs, dans ce cadre, plus de 4 millions ha sont administrés directement par l’État. En termes de dimension, en 2011, 1 % des unités de production de taille supérieure à 1000 ha totalisent 40 % de la superficie agricole globale.
D’un point de vue qualitatif, il est intéressant de citer une étude publiée en 2011 portant sur le cas d’un terrain de 1600 ha qui avait été exproprié et reparti entre 45 coopératives bénéficiant par ailleurs d’aides financières de l’État[12]. L’étude constate que pour plus des deux tiers des coopératives, les bénéficiaires résident en ville, et que moins d’un tiers des coopératives ont l’agriculture comme activité principale. Les auteurs résument la situation de la façon suivante : "Se reproduit le modèle du latifundio, dans lequel les propriétaires de la terre vivent en ville et se rendent ponctuellement sur la propriété pour s’assurer que tout fonctionne bien et leur procure des gains économiques, de sorte qu’ils se convertissent en entrepreneurs agricoles."
L’industrie agroalimentaire
En 2001 est créé la Corporation agraire vénézuélienne (Instituto Autónomo Corporación Venezolana Agraria, CVA), dont la fonction est de rassembler les sociétés publiques relevant de l’industrie agroalimentaire, en y incluant aussi celles résultant d’expropriations. En particulier le CVA a servi de cadre pour la création d’entreprises mixtes en coopération avec Cuba. En 2010 la CVA est remplacée par un autre organisme de fonctions similaires, la Corporation vénézuélienne d’aliments (Corporación Venezolana de Alimentos, CVAL). Les entreprises concernées emploient environ 10 000 travailleurs. Voici quelques indications approximatives au sujet de leur poids dans l’économie, en termes de pourcentage de la production nationale : pour la farine de maïs 42 %, pour le sucre 63 %, pour le riz 45 %, pour le café 80 %, pour les produits laitiers 25 %.
Mesures pour renforcer le secteur d’économie publique
On peut évoquer un certain nombre d’exemples significatifs concernant la façon dont le régime tente faire reculer progressivement la prédominance du secteur d’économie privée.
Sidor
Sidor (Siderúrgica del Orinoco) est un complexe sidérurgique installé en 1961, rattachée à partir de 1964 à la CVG. En 1997, c’est-à-dire avant l’arrivée de Chávez à la présidence, l’État cède 70 % du capital à un consortium (Consorcio Amazonia) réunissant des entreprises mexicaines, argentines, brésiliennes et vénézuéliennes[13]. Mises à part quelques modifications de moindre importance dans la structure du capital de Sidor, la situation évolue à partir de 2005, lorsque le groupe argentin Techint arrive à détenir 86 % de Consorcio Amazonia[14]. À la même époque des différents se manifestent entre le gouvernement et la direction de Sidor, en rapport avec le prix payé par Sidor pour les fournitures de fer provenant d’entreprises étatiques; un accord est conclu en octobre 2005. En mai 2007 le gouvernement exerce de nouveau des pressions sur Sidor pour l’obliger à vendre sa production en priorité au marché interne, et agite la possibilité d’une renationalisation; en aout de la même année est conclu un accord de coopération de trois ans.
Cependant, dans ce contexte de possible nationalisation se déroulent également des négociations conflictuelles entre les syndicats et la direction de Sidor en rapport avec des revendications concernant les salaires, les pensions de retraite, l’intégration du personnel prestataire de services (près de 10 000 sur un total d’environ 15 000). Déjà en 2001 une grève avait eu lieu en relation avec un plan de réduction d’effectifs, et avait conduit à la signature d’un accord. D’autres conflits avaient été engagés par le personnel, notamment en avril-mai 2004, pour des enjeux liés en partie aux séquelles de la cession d’actions par l’État et qui impliquaient donc surtout la CVG et le gouvernement. En janvier, février et mars 2008 ont lieu des arrêts de travail dans le cadre des négociations collectives en cours. Le ministère du travail tente en vain d’imposer aux travailleurs un arbitrage obligatoire. Le 14 mars, au cours d’une grève de 80 heures, le gouverneur de l’État de Bolivar ‑ où se situe Sidor ‑ envoie des unités de la Garde nationale; plusieurs travailleurs sont arrêtés, dont l’un des principaux dirigeants syndicaux, il y a un certain nombre de blessés au cours des affrontements. Ensuite le ministère du travail manifeste son intention d’appeler à un référendum dans l’espoir que le personnel accepte les propositions de la direction; le 3 avril, les travailleurs organisent eux-mêmes une consultation qui a pour résultat 3338 voix négatives, contre seulement 65 favorables. Le lendemain, les travailleurs se déclarent en grève et organisent une manifestation pour rencontrer Chávez, qui se trouve être présent dans la localité à l’occasion d’une cérémonie. Le 6 avril, celui-ci donne instruction à son vice-président, Ramón Carrizales, pour se réunir avec les dirigeants syndicaux, puis intervenir auprès de la direction. Le 8 avril à l’issue de négociations infructueuses, Carrizales annonce, en accord avec Chávez, la renationalisation de Sidor.
Pourtant le gouvernement continue de louvoyer dans l’espoir de trouver un arrangement avec le groupe Techint. Le 15 avril le ministre du travail José Ramón Rivero déclare que "nous n’avons rien de particulier contre les capitaux argentins", et qu’ils peuvent rester dans Sidor "mais en condition de minorité [d’actions] avec un contrôle par l’État". Vis-à-vis des travailleurs il continue à les exhorter à conclure les négociations, en laissant transparaitre clairement son embarras à l’idée que l’État puisse hériter du conflit au moment de la nationalisation qui se profile.
Au bout du compte Techint cède la totalité de sa participation, en mai 2009 un accord sur les questions financières sera conclu, et en octobre 2012 Techint, ayant reçu les sommes convenues, déclarera l’affaire comme close.
Cantv
En 2006 le groupe US de télécommunications Verizon décide de vendre ses actifs en Amérique latine. Au Venezuela il s’agit de CANTV (Compañía anónima nacional Teléfonos de Venezuela). Le gouvernement lance une OPA au bout duquel l’État acquiert 86 % des actions, 6 % sont détenus par les employés, 8 % restent cotés en bourse. CANTV comprend notamment une filiale dans le domaine de la téléphonie mobile, Movilnet.
Electricidad de Caracas (EDC)
En 2000, AES Corporation, groupe US, acquiert plus de 80 % de la société vénézuélienne EDC (Electricidad de Caracas). En 2007 l’État achète la totalité des actions appartenant à AES. Les actionnaires minoritaires gardent leur participation, et la société continue à être cotée en bourse.
Cemex, Lafarge, Holcim
En 2008, le gouvernement procède à la nationalisation moyennant indemnisation de l’ensemble des usines de ciment présentes dans le pays. Dans le cas des sites appartenant au groupe mexicain Cemex, couvrant 50 % du marché, il s’agit de l’acquisition de la totalité du capital. À cela s’ajoutent les sites du groupe français Lafarge et du groupe suisse Holcim, qui comptent pour les 50 % restants. Lafarge garde une participation de 5 % des actions et 6 % restent cotées en bourse. Holcim garde une participation de 15 %.
Banco de Venezuela
En 1996, la banque espagnole Banco Santander a acquis 80 % des actions de Banco de Venezuela, participation par la suite amenée à 93 %. En 2008 le gouvernement procède à la nationalisation forcée moyennant indemnisation. Banco de Venezuela compte parmi les banques les plus importantes du pays, aux côtés de l’espagnole BBVA et des vénézuéliennes Mercantil et Banesco. À cela s’ajoute une autre banque vénézuélienne, Banco Occidental de Descuento (BOD), créée en 2002 par la fusion de plusieurs petites institutions financières. BOD a pour actionnaire majoritaire Victor Vargas, père de María Margarita Vargas, laquelle a été mariée un certain temps avec Luis Alfonso de Borbón, un descendant de la famille des Bourbons. Victor Vargas adopte une attitude favorable au régime en place.
Monaca
L’entreprise Molinos Nacionales (Monaca) a été fondée en 1958. En 1999 le groupe mexicain Gruma a acquis une participation majoritaire du capital, à travers une société espagnole Valores Mundiales. Le capital de cette dernière est partagé entre Gruma (72,86 %) et un banquier et entrepreneur vénézuélien, Ricardo Fernández Barrueco (24,14 %). En novembre 2009 ce dernier est arrêté et poursuivi pour délits de malversation et fraude en matière de crédits. Le gouvernement, à titre préventif, prend temporairement le contrôle de Monaca. En mai 2010 est déclarée la nationalisation, mais des négociations sont entamées en vue de la constitution éventuelle d’une société mixte. Un accord en ce sens est conclu en décembre 2011, mais il ne se concrétise pas. Depuis, une certaine confusion règne quant à savoir qui dirige l’entreprise, et à partir de fin 2012 viennent s’y ajouter des conflits revendicatifs initiés par les travailleurs.
En 2009, l’État, à travers la Corporation d’approvisionnement et de services agricoles (Corporación de Abastecimiento y Servicios Agrícolas, CASA) couvrait 25 % du marché de la farine de maïs précuite. Avec Monaca, et en tenant compte de Pronutricos, une société propriété de Fernández Barrueco, nationalisée en décembre 2009, ce pourcentage atteint 37 %.
Il faut noter que Gruma contrôle une autre société vénézuélienne de traitement de maïs, Derivados de Maíz Seleccionados C.A. (Demaseca). En effet Gruma détient 57 % du capital de Consorcio Andino S.L., 40 % étant détenus par Fernández Barrueco; Consorcio Andino détient 100 % de Demaseca. Ainsi Demaseca est également concernée par l’intervention gouvernementale.
Cargill
En 1986, le groupe US d’agroalimentaire Cargill s’est associe au Venezuela avec une entreprise locale pour établir Agroindustrial Mimesa, dont l’activité concerne la fabrication de farines et de pâtes alimentaires, de riz et de sel. En 2009 le gouvernement adopte une mesure obligeant toutes les entreprises intervenant dans la transformation de riz, de produire à 80 % du riz blanc, considéré comme aliment de base à prix de vente règlementé. Se référant à cette prescription, le gouvernement déclare la nationalisation d’une usine du groupe Cargill produisant du riz précuit. Néanmoins, bien que le site soit devenu entreprise publique, la réorientation de la production s’est avérée difficile, étant donné que techniquement les installations ne sont adaptées qu’à la production de riz précuit.
Au moment de la nationalisation du site concerné, Cargill, largement présent avec de multiples autres installations qui ne sont pas touchés, couvre 50 % du marché respectivement pour les huiles, les pâtes, les farines de blé pour pain, ainsi que 8 % du marché pour le riz. Le circuit de commercialisation publique couvre 46 % du marché du riz, dont environ la moitié est produit par des entreprises publiques.
Diana
L’entreprise Industrias Diana C.A. est issue d’une entreprise créée en 1898, établie depuis 1962 à Valencia; la dénomination actuelle date de 1998. L’activité principale comprend la production et commercialisation d’huile, beurre, margarine, savon, glycérine. En 2008 les propriétaires s’orientent vers une cessation des activités, et sous l’impulsion des travailleurs, l’État acquiert l’entreprise laissée à l’abandon, à travers PDVAL (Productora y Distribuidora de Alimentos S.A.), filiale de la société pétrolière d’État PdVSA. À ce moment, l’entreprise emploie environ 450 travailleurs permanents et en moyenne autour de 1800 travailleurs prestataires de service. Ces derniers sont par la suite intégrés au personnel permanent. En 2011, PdVSA et PDVAL cèdent leurs actions qui sont directement prises en charge par le ministère de l’alimentation. Par la suite diverses autres entités sont intégrées dans Diana. En septembre 2013, Diana ainsi que quelques autres entreprises associées sont réunies sous forme de Corporation vénézuélienne de huiles et graisses (Corporación Venezolana de Aceites y Grasas S.A.) dont la totalité du capital est détenue par le ministère de l’alimentation. Cette société emploie plus de 2000 personnes.
Los Andes
L’entreprise Lácteos Los Andes a été créée en 1984. L’activité principale comprend la production de lait et de dérivés. En mars 2008 l’État à travers PdVSA acquiert la totalité du capital, par voie d’expropriation moyennant indemnisation; la dénomination devient Empresa Nacional Lácteos Los Andes (Enlandes). En 2011, de même que pour Diana, PdVSA cède ses actions qui sont directement prises en charge par le ministère de l’alimentation. Par la suite diverses autres entités sont intégrées dans Los Andes. Cette société emploie plus de 6000 personnes.
À titre d’exemple, parmi les entités intégrées dans Los Andes, figure Complejo Agroindustrial Socialista Altagracia (Caisa). Caisa est issu d’une entreprise privée, qui fit faillite et fut réactivée par les travailleurs en tant qu’entreprise publique en 2011. Elle fabrique de la purée et de la sauce de tomates, elle emploie 143 personnes.
Los Andes est actuellement en situation difficile par manque de matières premières. À cet égard il faut noter qu’est défini un prix maximum règlementaire pour un certain nombre de produits alimentaires, intermédiaires ou finals. Ainsi Los Andes achète ses matières premières selon ces tarifs, ce qui fait que les fournisseurs ont tendance à se tourner vers des filières plus rentables comme celle des fromages.
B. L’idéologie de Chávez
L’invention du "socialisme du 21e siècle"
En 1994, après avoir été libéré de prison, Chávez déclare au périodique du PCV Tribuna Popular : "Je ne suis pas communiste, mais je ne suis pas non plus anticommuniste." Élu président, il s’en tient pendant une première phase à une orientation combinant la critique du capitalisme sous l’aspect économique, avec des positions conciliatrices dans la pratique[15] :
Je pense que vu en tant que capitalisme, en tant que système économique isolé ou pris en dehors du contexte d’autres composants tels que le social, l’idéologique et le politique, le capitalisme pur, donc, n’est pas humanisable. […] Mais dans le cas vénézuélien, avec un gouvernement comme celui-ci, avec une constitution comme celle-ci, avec un peuple qui s’est réveillé comme le nôtre, avec un rapport de forces comme celui que nous avons, alors oui, il est humanisable.
À partir de 2005, il change de registre. En janvier 2005 il tient un discours au Forum social mondial qui se déroule à Porto Alegre, au Brésil. Il déclare entre autre[16] :
Il est nécessaire […] de dépasser le capitalisme, mais […] le capitalisme, on ne va pas le dépasser de l’intérieur même du capitalisme, non. Le capitalisme, il faut le dépasser par la voie du socialisme, […].
En février de la même année il développe sa pensée au 4e Sommet de la dette social et de la Charte social des Amériques, qui se tient à Caracas[17] :
Dans le cadre du modèle capitaliste il est impossible de trouver une solution au drame de la pauvreté, impossible de trouver une solution au drame de la misère, de l’inégalité. […] Donc, si ce n’est pas le capitalisme, alors quoi? Je n’ai aucun doute, c’est le socialisme. Alors, quel socialisme parmi un si grand nombre? Nous pourrions penser y compris que ce sera aucun de ceux qui ont existé, même s’il y a des expériences, des succès et avancées dans beaucoup de cas de socialisme, il nous faudra l’inventer […]; il faut inventer le socialisme du 21e siècle […].
Et il donne des preuves de son inventivité, par exemple à l’occasion du discours prononcé le 1er mai 2005 à Caracas[18] :
[…] l’un des apports le plus forts que nous devons fournir au socialisme du 21e siècle est l’apport du christianisme authentique. […] Le règne des cieux ici sur terre. C’est-à-dire le règne de la liberté, le règne de la paix et du bonheur, […] par la quête duquel nous sommes en train de transiter depuis 2000 ans et plus.
Et en octobre 2005, à l’occasion d’une visite à Paris[19] :
[…] pour moi, le premier socialiste de notre ère était le Christ, et le premier capitaliste de notre ère était Judas Iscariote qui le vendit pour quelques pièces de monnaie, qui le livra pour quelques pièces de monnaie.
En cette année 2005 ont lieu des élections législatives. En guise de boycott, les partis de l’opposition ne présentent pas de candidats, et l’ensemble des 165 sièges de l’Assemblée nationale sont occupés par des représentants du MVR dirigé par Chávez (114 sièges), ainsi que des partis alliés. Il faut noter que le taux d’abstention est de 75 %. Puis en 2006 Chávez est réélu président avec 62 % des voix. Le MVR, pour des raisons diverses, ne pouvait servir d’instrument intermédiaire pour développer une base sociale en rapport avec les projets politiques promus par Chávez. Ainsi celui-ci lance en 2006‑2007 un processus pour établir un cadre de masse plus approprié, sous le nom de Parti socialiste uni de Venezuela (Partido Socialista Unido de Venezuela, PSUV). Son intention était de disposer d’un parti unique face aux partis de l’opposition, mais il doit renoncer à cette velléité, notamment du fait que le PCV refuse de s’intégrer au PSUV. Néanmoins le PSUV réussit à détenir une large majorité à l’Assemblée nationale (en 2009, 139 sièges sur 167).
Voici un extrait de la Déclaration de principes, approuvée le 24 avril 2010 par le 1er Congrès extraordinaire du PSUV[20] :
Le parti socialiste doit être le véritable guide et unificateur de la classe et des secteurs exploités, dans la bataille pour libérer définitivement la patrie de la pauvreté extrême, du retard et de la dépendance; il doit impulser la conscience sociale et les changements historiques, promouvoir la justice sociale, morale et économique. S’il y a une éducation pour la conscience idéologique socialiste de toute la population, la pauvreté pourra être mise en échec. […]
Une fois reconnues les avancées et les succès de la révolution bolivarienne en matière d’inclusion social, il devient nécessaire de passer à une nouvelle étape du processus : à la construction du socialisme bolivarien. Cela nécessite d’approfondir les changements structurels et stratégiques. Il nous faut construire un modèle alternatif par rapport au modèle d’accumulation de capital, générateur de pauvreté et d’exclusion sociale, un modèle viable et durable. Notre commandant Hugo Chávez l’a défini comme le socialisme bolivarien, assumant les grandes lignes et les principes du socialisme appliqués à la réalité historique et culturelle concrète du Venezuela d’aujourd’hui, qui doit être construit, en outre, parmi tous, avec la participation et le rôle actif du peuple.
Malgré les réactions négatives suscitées par l’idée d’un parti unique de gouvernement, Chávez persiste à faire pression en vue du ralliement de tous ses alliés derrière lui-même. Ainsi lors des élections de gouverneurs en 2008, il profère des menaces contre ceux qui présentent des candidats propres[21] :
Ne soyez pas menteurs, PCV et PPT ["Patria para todos", autre organisation restée en dehors du PSUV], vous avez vos propres plans contrerévolutionnaires. Vous êtes en train de faire le jeu de la division du mouvement populaire et je vous accuse d’être des contrerévolutionnaires, et ceux-là, il faut les barrer de la carte politique vénézuélienne. Je vais me charger de ça, on va les faire disparaitre de la carte politique parce que ce sont des contrerévolutionnaires, des déloyaux, des menteurs et manipulateurs. […] Celui qui est avec moi doit être avec Hugo Cabezas [candidat du PSUV], il ne peut y avoir d’autre option, celui qui n’est pas avec Hugo Cabezas n’est pas avec Chávez, il est contre Chávez, ainsi l’a dit un jour Jésus, père et rédempteur crucifié, celui qui n’est pas avec moi est contre moi.
En 2007, Chávez lance une tentative de réforme de la Constitution (qui avait été adoptée en 2000, suite à son élection comme président), dans l’intention d’y inscrire des dispositions matérialisant sa vision du "socialisme du 21e siècle". Après un processus d’élaboration, le projet est soumis à un référendum. Il est rejeté par une majorité dépassant légèrement le 50 %; quant au taux d’abstention, il s’élève à 44 %.
Voici quelques passages significatifs du projet (pour des extraits plus amples, voir les annexes) :
Sont des moyens pour la participation du peuple et pour qu’il joue un rôle active de premier plan, dans l’exercice directe de sa souveraineté et pour la construction du socialisme : […] conseils de travailleurs et travailleuses, […] conseils de sportifs, conseils de la jeunesse, conseils d’adultes et adultes majeurs, conseils de femmes, conseils de personnes handicapés, entre autres; la gestion démocratique des travailleurs et travailleuses d’une entreprise quelconque de propriété sociale directe ou indirecte, […] d’autres formes associatives constituées pour développer les valeurs de la coopération mutuelle et de la solidarité socialistes. […]
Sont reconnues et garanties les différentes formes de propriété. […] la propriété privée est celle qui appartient aux personnes physiques ou juridiques et qui se reconnait sur des biens d’usage, de consommation et des moyens de production acquis de façon légitime, avec les attributs d’usage, jouissance et disposition ainsi que les limitations et restrictions qu’établit la loi. […]
Le régime socioéconomique de la république bolivarienne de Venezuela se base sur les principes socialistes, antiimpérialistes, humanistes, de coopération, d’efficacité, de protection de l’environnement et de la solidarité, aux fins d’assurer le développement humain intégral et une existence digne et bénéficiant à la collectivité. L’État, ensemble avec l’initiative communautaire, sociale et personnelle, garantira le développement harmonieux de l’économie nationale aux fins de générer des sources d’emploi, une haute valeur ajoutée nationale, d’élever la qualité de vie de la population, d’obtenir le bonheur social suprême et de renforcer la souveraineté économique du pays, en garantissant la solidité, le dynamisme, la viabilité, le caractère durable et l’équité de la croissance de l’économie, pour obtenir une distribution sociale juste de la richesse au moyen d’une planification stratégique, démocratique, participative, politique, économique et de consultation ouverte.
En 2010 ont lieu des élections à l’Assemblée nationale. Le PSUV et les partis alliés obtiennent 98 sièges sur 165. C’est au-dessous des deux tiers exigés pour l’approbation de lois organiques, mais suffisant pour appliquer la procédure de loi d’habilitation.
La question des "conseils d’ouvriers"
Quoi qu’il en soit, Chávez persévère à suivre la route qu’il se trace. La question des conseils d’ouvriers, évoqués dans le projet de modification de la constitution, est d’ailleurs mise en avant par diverses forces politiques, notamment le PCV. En juin 2007 le PCV introduit devant l’Assemblée nationale un projet de loi sur les Conseils socialistes des travailleurs et travailleuses; voici des extraits de l’exposé des motifs[22] :
Le moment que vit notre patrie, d’approfondissement du processus révolutionnaire sur la voie vers le socialisme, exige que les travailleurs et travailleuses comptent avec un instrument juridique qui leur permette d’exercer un rôle d’acteur de premier plan dans le démantèlement de l’appareil qui sert à un État basé sur l’exploitation de l’être humain en vue de l’obtention du profit maximum pour une classe sociale, la bourgeoisie. Il faut un instrument qui rende possible de parcourir la voie vers l’exercice du travail basé sur des valeurs différentes, non pas de subordination mais sur un plan d’égalité, de responsabilité, de coopération, de solidarité, de coresponsabilité, où les êtres humains oeuvrent avec la finalité de doter toute la population des biens et services nécessaires pour son existence, et pour le développement social. […]
Par conséquent, nous sommes en train de proposer la création des Conseils Socialistes de Travailleurs et de Travailleuses, en tant qu’expression politique unitaire de ceux-ci, au-delà de leur condition corporative ou syndicale, afin que leurs intérêts se trouvent représentés de façon légitime et qu’ils puissent agir de manière révolutionnaire dans le contrôle des centres de travail, dans l’élaboration, l’exécution et le suivi de leurs politiques et des procès de travail, de production et distribution de leurs bénéfices, et en tant qu’expression du pouvoir populaire lequel y compris dépasse le cadre des lieux de travail pour qu’ils influent sur la politique nationale, la planification de l’État, sur les lieux de vie et les territoires des conseils communaux pour imprimer à ceux-ci le sceau de la conduite prolétarienne et les changements de conscience nécessaires pour la construction du socialisme.
Ce n’est qu’en aout 2013 que se met en place finalement à l’Assemblée nationale une procédure en vue de l’adoption éventuelle d’une loi relative aux conseils de travailleurs. Dans la pratique, dès 2005, était apparue la prétention de mettre en oeuvre des mécanismes de participation des travailleurs à la conduite des entreprises, sous diverses variantes selon l’inclinaison des initiateurs (cogestion, autogestion, contrôle ouvrier). C’était le cas entre autre à Aluminio del Caroní S.A. (Alcasa) et d’autres entités du groupe CVG. Cette orientation se concrétise notamment dans un certain nombre de cas où, face à une perspective de fermeture d’entreprise, les travailleurs remplacent l’entrepreneur propriétaire et maintiennent en fonctionnement la production par leur propre initiative. Par contre, on peut faire remarquer un fait symptomatique qui met en lumière les mobiles opportunistes, purement pratiques, qui animent le régime en rapport avec ces questions : alors qu’en 2002-2003 les travailleurs pétroliers avaient pendant plusieurs mois assuré concrètement eux-mêmes la marche de leur entreprise, PdVSA, c’est précisément dès que la grève-sabotage patronale était mise en échec que Chávez s’est empressé à faire reprendre aux choses leur cours normal, plutôt que de prolonger plus en avant ce qui pourtant semblait être conforme à ses préceptes.
Au-delà des notions de conseils de travailleurs, et de contrôle ouvrier, le régime met en avant le concept d´"entreprise de production sociale"; voici une définition à ce sujet[23] :
Le modèle socialiste de production sera formé fondamentalement par les entreprises de production sociale, qui constituent le germe et le chemin vers le socialisme du 21e siècle, bien que continueront d’exister les entreprises d’État et les entreprises capitalistes privées.
Sont entreprises de production sociale les unités économiques dédiées à la production de biens ou services dans lesquelles le travail a un sens propre, non aliéné et authentique, où n’existe pas de discrimination sociale dans le travail ni de discrimination selon le type de travail, n’existent pas dans le travail, de privilèges associés à la position hiérarchique, ceci avec une égalité fondamentale entre les participants, et basé sur une planification participative où les acteurs assument un rôle de premier plan.
Dans les entreprises de production sociale les travailleurs s’approprient l’excédent économique qui en résulte, qui sera réparti en proportion de la quantité de travail apportée; la gestion sera démocratique et participative et le poids relatif de la participation sera basé sur la personne et non pas sur le capital apporté.
Chávez, en visite à l’entreprise Diana, en 2010, expose sa conception[24] :
Élever la productivité, baisser les couts, le développement […] La seule forme de baisser les prix est de prendre le contrôle ouvrier des fabriques. Les entrepreneurs qui veulent travailler avec nous, bienvenus. Ceux qui nous déclarent la guerre, je le répète, auront la guerre. […] Les entreprises ne sont pas là pour gagner de l’argent, mais doivent être viables. Et dans la mesure où nous allons élever l’échelle de production, leurs dividendes seront plus grands et ces dividendes doivent aller à un fonds. […] une partie reste dans l’entreprise même, un pourcentage pour l’activité sociale, sports, culture. Vous, par exemple, si par ici à côté vous voyez quelques cabanes misérables […] vous pouvez faire le travail volontaire, chercher les matériaux, arranger les maisons pour autant que vous pourrez, aider les plus pauvres. Aider avec une cantine d’alimentation pour les plus pauvres. […]
Voilà le plus important. C’est le contrôle ouvrier, c’est la liberté. […] Le gouvernement n’est que le cadre juridique, la garantie de l’appui au peuple et aux travailleurs, et de l’administration ensemble avec les travailleurs, les fournitures, les produits et tout le fonctionnement, les investissements, la technologie, les alliances avec d’autres pays. […] Quand Chávez, quand le gouvernement décide d’exproprier une entreprise ou de la nationaliser, c’est pour la remettre aux travailleurs et travailleuses, pour le contrôle ouvrier des fabriques.
Toujours dans le but d’implémenter des dispositions allant dans le sens de la réforme de constitution rejetée en 2007, est adoptée en 2012 une "loi organique du travail, des travailleurs et des travailleuses" qui remplace la loi organique du travail correspondante adoptée en 1997.
Voici quelques passages significatifs (pour des extraits plus amples, voir les annexes) :
Les augmentations de la productivité dans une entité de travail et l’amélioration de la production seront cause d’une rémunération plus élevée pour les travailleurs et les travailleuses. […]
Si pour des raisons techniques ou économiques existe un danger de disparition de la source d’emploi, de réduction du personnel ou si soient nécessaires des modifications dans les conditions de travail, le Ministère du Pouvoir Populaire ayant compétence en matière de travail, pourra, pour des raisons d’intérêt public ou social, intervenir d’office ou sur demande d’une partie, avec l’objectif de protéger le procès social de travail, en garantissant l’activité productive de biens ou services, et le droit au travail. […]
Dans les cas de fermeture illégale, frauduleuse d’une entité de travail, ou dû à une action de grève patronale, si l’employeur refuse à se conformer à la prescription administrative qui ordonne la reprise des activités productives, le ou la Ministre du Pouvoir populaire étant compétent en matière de travail et sécurité sociale pourra, sur demande des travailleurs et des travailleuses, et à travers une résolution motivée, ordonner l’occupation de l’entité de travail fermée et la reprise des activités productives, afin de protéger le procès social du travail, des travailleurs et des travailleuses et de leurs familles.
Il ressort de ces explications que le modèle dont le régime fait la promotion, consiste en une copie de l’autogestion mise en oeuvre autrefois en Yougoslavie à l’époque de Tito, et ayant servie à introduire les mécanismes de restauration du capitalisme en URSS.
Le débat sur la "transition vers le socialisme"
Il convient de présenter en détail certaines positions exprimées par le Parti communiste (PCV). En effet, sa place dans le champ politique est différent de celle qu’occupe Chávez, et il en découle des possibilités et des contraintes spécifiques. Chávez était en position favorable pour se lancer librement, sans scrupules ni hésitations, dans sa besogne de faire la promotion de son action politique au moyen de discours et d’affirmations aussi confus qu’enflammés. Le PCV qui se veut être un parti guidé par le marxisme-léninisme, se doit d’avoir un programme et des analyses rigoureuses en ce sens. Il s’efforce d’écarter les mystifications, sans pour autant exprimer une opposition au régime. La réalité étant ce qu’elle est, il est donc amené à des explications tortueuses pour maintenir un faux-semblant de cohérence entre ses références à Marx et Lénine d’une part, et son interprétation de la situation de l’autre.
En premier lieu il affirme que les rapports sociaux prépondérants dans le pays sont caractérisés par le fait que le pouvoir continue à être détenu par les classes bourgeoises, et qu’il est absurde, dans ces conditions, de prétendre que soit initiée une étape de transition vers le socialisme.
Voici ce qu’écrit Edgar Meléndez, membre du Comité central du PCV[25] :
[…] comme il est bien connu, il n’existe aucun facteur objectif ni subjectif qui puisse nous amener à affirmer qu’actuellement dans notre pays nous sommes en transition vers le mode de production qui constitue l’intermédiaire entre le capitalisme et le communisme.
Et le même Meléndez, dans un autre texte[26] :
Si au Venezuela, au-delà des avancées antiimpérialistes et en matière de libération nationale obtenues au cours des 14 années de cette phase du processus révolutionnaire, quasiment tout le pouvoir économique est entre les mains de la vieille oligarchie parasitaire et spéculatrice et quasiment la totalité du pouvoir politique se trouve répartie entre la bourgeoisie émergente et la vielle oligarchie, alors : comment quelqu’un peut-il affirmer que dans notre pais on soit en pleine étape de transition vers le socialisme? Est-ce que cette affirmation, de la part de ceux qui la formulent, signifierait implicitement que le "socialisme vénézuélien" est sui generis à tel point qu’il soit impulsé et construit par des classes et couches qui de par leur nature et leurs intérêts concrets devraient plutôt en être l’adversaire?; en définitif : le "socialisme vénézuélien" est-il en train d’être construit par la bureaucratie d’un État encore capitaliste et par une bourgeoisie attardée et improductive? […] Poser que les tâches spécifiques de la classe ouvrière dans la construction du socialisme se trouvent mises en avant par notre bourgeoisie est une théorie politique dangereuse qui dans l’actualité élève à l’état de révolutionnaire la bourgeoisie et d’autres couches réactionnaires du mode de production capitaliste.
Meléndez souligne à juste titre qu’une quelconque transition vers le socialisme aura comme point de départ indispensable la prise du pouvoir par la classe ouvrière[27] :
Le marxisme-léninisme, en tant que science pour l’action, enseigne et démontre que l’unique classe objectivement et subjectivement intéressée et disposée à détruire le capitalisme et construire une nouvelle société, est la classe ouvrière, qui devra construire des alliances avec d’autres couches d’opprimées et exploitées pour rassembler des forces et arriver au pouvoir politique (avoir un président ouvrier et un processus antiimpérialiste n’est pas la même chose que la classe ouvrière au pouvoir). […] Pour éviter cette confusion dommageable il sert de s’orienter selon la conception de classe suivante sur cette période : la transition vers le socialisme ne s’initie pas avant que la classe ouvrière ne prenne le pouvoir politique, ce qui implique une révolution prolétarienne et l’instauration de la dictature du prolétariat.
Ces réflexions visent la rhétorique de Chávez qui, lui, se croyait effectivement en pleine construction du socialisme. De fait, son raisonnement est essentiellement centré sur la question de la démocratie. Il se réfère notamment à un livre d’István Mészáros[28], Beyond Capital ‑ Towards a Theory of Transition (paru en 1995)[29] :
Voici que j’ai István Mészáros […] : "La jauge de mesure ‑ dit Mészáros ‑ pour les réussites socialistes est : jusqu’à quel degré les mesures et politiques adoptées contribuent activement à la constitution et la consolidation bien enracinée d’un mode qui dans sa substance soit démocratique, de contrôle social et d’autogestion général." […] C’est ce que dit aussi notre cher ministre, ami et maitre [Jorge] Giordani dans son livre La transition vénézuélienne vers le socialisme. Là il parle de quelques facteurs qui sont déterminants dans la transition. L’un d’eux est la transformation de la base économique du pays pour la rendre démocratique dans son essence et sa substance, parce que la base économique d’un pays capitaliste n’est pas démocratique, elle est antidémocratique, est excluante et de là la génération de richesses, et de grandes richesses, pour une minorité, une élite : la grande bourgeoisie, les grandes monopoles; et de là aussi la génération de la pauvreté et de la misère pour la grande majorité.
Quant au PCV, malgré une certaine lucidité, il patauge dans le confusionnisme inhérent à l’orientation exprimée à travers la revendication de contrôle ouvrier. En contradiction avec les critiques au sujet de la prétendue transition, le PCV lui-même, en proposant en 2007 son projet de loi sur les Conseils socialistes des travailleurs et travailleuses (cf. plus haut), explique[30] :
La proposition législative pose le concept de "contrôle ouvrier" comme processus de transition du mode de production capitaliste vers la propriété socialiste et cherche à ce que les travailleurs exercent "des processus de contrôle sur la production, la planification et l’utilisation efficace des ressources".
Il est vrai qu’ultérieurement, en rapport avec l’ouverture effective des débats à ce sujet à l’Assemblée nationale, l’analyse formulée par le PCV se fait plus discrète[31] :
Dans cet ordre d’idées nous proposons pour le débat les points de base suivants pour le programme de lutte :
[…]
2. Assumer, revendiquer et défendre le contrôle ouvrier comme principale revendication politique des travailleurs et travailleuses, consacré comme principe fondamental et indispensable de la démocratie participative exercée par des acteurs jouant un rôle de premier plan, dans la Constitution de la République bolivarienne de Venezuela.
3. Assumer, revendiquer et défendre comme principe fondamentale indispensable le caractère autonome et indépendant des Conseils socialiste de travailleurs et travailleuses.
4. Assumer, revendiquer et défendre que la démocratie révolutionnaire, participative, exercée par des acteurs jouant un rôle de premier plan, en tant qu’expression souveraine de la classe ouvrière, repose sur l’Assemblée générale des travailleurs, dont les décisions revêtent un caractère contraignant et d’accomplissement obligatoire de la part des Porte-paroles Conseillers/ères de gestion.
Mais Edgar Meléndez, dans son texte cité plus haut, peine à concilier sa critique concernant la "transition au socialisme" avec l’importance attribuée aux conseils d’ouvriers[32] :
Qu’aujourd’hui dans notre pays est posée la nécessité de l’apparition d’un mécanisme tellement important comme l’est le contrôle ouvrier, indique un potentiel énorme pour la transformation révolutionnaire de notre modèle économico-productif actuel, et y compris du mode de production capitaliste sur lequel il se base. […]
Le contrôle ouvrier est un nouveau modelé de gestion ‑ de la production, de l’administration et de la distribution, des biens et services ‑, avec le rôle actif de premier plan, et dirigeant, de la classe ouvrière; et mise en oeuvre en commun avec le peuple organisé, ce sera progressivement la pratique concrète et quotidienne d’une société en transition vers le socialisme. […] nous avons affirmé que les Conseils de travailleurs et travailleuses, par leur forme et contenu, seront des instances qui se développeront pleinement dans l’étape de la transition du capitalisme au socialisme, quand la classe ouvrière sera au pouvoir. Son implémentation au moment actuel correspond donc à des niveaux spécifiques de la participation et l’exercice d’un rôle de premier plan dans la gestion, ressortissant des lois actuelles qui ne peuvent être autre chose que le reflet de notre structure économique capitaliste et des contradictions politiques qui ont été engendrées dans la superstructure à cause des caractéristiques du processus bolivarien.
On peut ici revenir sur la remarque citée dans l’introduction, qui note que "le succès de la révolution démocratique anti-impérialiste au Venezuela a renforcé l’étapisme dans toute une série d’organisations communistes d’États impérialistes comme ici en France". Il se trouve que ce phénomène s’explique tout naturellement par la présence au Venezuela des orientations exposées ci-dessus, intégrant d’une façon ou d’une autre, implicitement ou explicitement, cette notion d’une étape.
Cela dit, du texte d’Edgar Meléndez, on peut retenir une observation tout à fait pertinente[33] :
Si nous acceptons d’office que la transition est un simple "transit", cela nous renverra à l’idée qu’un quelconque changement peut être une transition socialiste, c’est-à-dire la transition se convertit en un principe directeur sans caractéristiques objectives définies et donc nous pourrions confondre ‑ comme il arrive de fait avec de nombreuses personnes ‑ le moment actuel de notre processus de libération nationale avec la transition vers le socialisme.
C. Le capitalisme derrière le socialisme de façade
Il faut ici souligner d’abord qu’en rapport avec la question de savoir si le régime, au moins dans le principe, instaure une économie socialiste, il ne serait pas approprié de faire référence au degré de réussite en termes matériels : volumes de production, progrès technique, bienêtre de la population. Il est clair qu’une révolution socialiste authentique aura à affronter des difficultés considérables sur ce terrain, et traversera une période marquée par une combinaison de succès et d’échecs, d’avancées et de limitations. Certes, à long terme, un système socialiste doit assurer un progrès matériel effectif et durable. Mais les indicateurs quantitatifs, affectés par les difficultés rencontrées durant la période initiale des bouleversements politiques, ne peuvent servir de base à une caractérisation de la nature des changements.
Des différentes citations qui précèdent, il ressort que, selon la conception "bolivarienne", la construction du socialisme se ferait essentiellement par la réalisation de la démocratie. Sur la base du présupposé que fondamentalement il s’agit de démocratie, fusse-t-elle économique, le socialisme du 21e siècle peut aisément perpétuer une approche théorique et pratique en termes de concepts intrinsèquement liés au mode de production capitaliste.
Ci-après quelques illustrations de cette approche.
Chávez[34] :
Le socialisme bolivarien, nous devons le construire dans le cadre de la Constitution bolivarienne, nous n’envisageons pas l’élimination de la propriété privée, ni de la grande ni de la petite. […] ceux qui ont abandonné les usines et qui ne respectent pas les lois, ça, c’est autre chose.
Chávez, s’adressant aux entrepreneurs du secteur privé[35] :
C’est totalement faux, que j’aie un plan pour exproprier tout le monde, […] Ne vous laissez pas berner avec ça. […] Mensonge, je vous appelle à ce que vous veniez à travailler. […]
Faisons un effort, nous sommes disposés à le faire y compris pour vous aider à ce que l’investissement privé au Venezuela augmente.
Nicolás Maduro, successeur de Chávez comme président de la république, en novembre 2013, au cours d’un Séminaire international réunissant des représentants de 18 groupes internationaux qui, à travers des entreprises mixtes, participent à des projets d’exploitation dans la zone pétrolière de l’Orinoco[36] :
18 entreprises, le monde entier donc; un pays indépendant qui a recouvré sa souveraineté et sa dignité tel que l’est le Venezuela, se met à travailler et convoque au travail le capital international en termes de respect productif, pour ainsi dire. […] Entrepreneurs vénézuéliens liés aux domaines de l’énergie […] je vous invite à ce que nous investissons au Venezuela. Si vous tenez des capitaux épargnés à l’extérieur, ramenez-les au Venezuela et je vous garantis votre investissement dans la zone pétrolière de l’Orinoco et dans tous les domaines de développement liés à l’énergie au Venezuela. Celui qui veut travailler, entrepreneur vénézuélien, qu’il vienne travailler, qu’il vienne à le faire de manière honnête.
Maduro, à l’occasion de l’inauguration d’une nouvelle usine du groupe Nestlé, en octobre 2013, s’adresse aux dirigeants de Nestlé[37] : "Je vous suis reconnaissant du fait que vous créez et investissez au Venezuela." Et plus généralement, il sollicite "tout un chacun qui désire investir dans le développement, qu’il compte sur nous". "Celui qui désire travailler et investir au Venezuela, donc, qu’il soit le bienvenu."
Les dirigeants syndicaux s’inscrivent dans cette même optique. Ainsi par exemple, en novembre 2013, au cours de discussions entre le Syndicat des Travailleurs d’Alcasa (Sintralcasa) et la direction de l’entreprise ainsi que du groupe CVG dont Alcasa dépend, Henry Arias, secrétaire général de Sintralcasa, déclare au sujet d’éventuels projets de développement[38] :
Il est évident que nous devons inviter des investisseurs privés. […] Le gouvernement devra chercher des investisseurs étrangers qui amènent des dollars dans leurs poches. […] La seule manière de résoudre cela est d’être productifs."
Toujours dans le même sens, Juan Carlos Loyo, ministre de l’agriculture et des terres, en aout 2010[39] : "Le commandant président l’a dit : l’investissement privé est nécessaire. Mais celui de type productif, pas de type rentier."
Et le régime s’efforce à mettre en place les mécanismes appropriés. Victor Flores Rojas, président de la Bourse de Valeurs de Caracas, explique, en octobre 2008[40] :
Le monde est en train de changer, de présenter des formes nouvelles d’organisation économique et financière. La Bourse des valeurs de Caracas et le marché national de valeurs sont appelés vers ces changements à travers leur participation aux temps nouveaux que vit le pays. […] Impulser et animer l’épargne dans tous les secteurs de la société vénézuélienne peut trouver un appui important dans la bourse de Caracas. […]
Venezuela depuis un certain temps travaille au sein de la Fédération latino-américaine de Valeurs (Federación Iberoamericana de Valores, Fiab) à un projet qui permette la négociation des valeurs cotisées de façon locale dans chacune des bourses. De fait, en 2005 la Bourse de valeurs mexicaine et la Bourse de valeurs de Sao Paolo ont signé un premier accord pour permettre que à travers les maisons de bourse des deux nations, les investisseurs mexicains puissent acheter des titres cotés au Brésil et ce dernier faire de même avec des valeurs cotisées au Mexique.
Maduro annonce[41] : "Je suis en train de travailler à l’élaboration de la Loi sur les couts, prix, bénéfices et autres phénomènes économiques par lesquels se règlent les marges des produits, et celles-ci oscilleront entre 15 % et 30 %." Pour justifier sa démarche, il note qu’ailleurs, les bénéfices du capital d’une quelconque activité économique sont règlementés, et cite les chiffres qui lui servent de base, concernant l’oscillation de la marge de bénéfices : entre 10 % et 15 % aux USA, entre 10 % et 20 % en UE et au Japon, entre 15 % et 23 % en Chine. On voit qu’il se montre généreux en fixant la barre à 30 % pour le Venezuela.
À la mise en lumière de la vision officielle du régime, on peut ajouter quelques indications factuelles sur la réalité, qui sont d’ailleurs en harmonie avec les discours.
Selon le classement des sociétés les plus importantes du pais, élaboré par la Chambre de Commerce et d’Industrie Venezolano-Américaine (Venamcham), sur 269 entreprises interrogées en 2012, 32 % sont de capital étranger et 9 % de capitaux mixtes[42].
La population totale du Venezuela s’élève à environ 29 millions d’habitants. En termes de type d’activité, elle se compose de la manière suivante[43]. La population active compte environ 13,5 millions de personnes, dont 1 million inoccupées (8 %) et 12,5 millions occupées (92 %). La population occupée se divise en le secteur informel[44] qui compte 5,2 millions (42 %) et le secteur formel qui compte 7,2 millions (58 %). Le secteur formel à son tour comprend les employés du secteur public, à savoir 2,5 millions (20 % de la population occupée), et les travailleurs du secteur privé, à savoir 4,7 millions (38 % de la population occupée).
À partir des éléments descriptifs fournis dans la première partie ainsi que ci-dessus, on peut formuler quelques observations. Précisons que l’analyse des orientations adoptées et des mesures pratiques appliquées par le régime, se fait sous deux angles distincts. Dans un premier temps, la question à poser est celle de savoir dans quelle mesure il s’agit d’une économie socialiste au sens exacte du terme, donc d’une économie fondamentalement incompatible avec le capitalisme, bien qu’il puisse être inévitable dans la période de construction du socialisme, de tolérer de façon limitée et maitrisée des éléments d’économie capitaliste. Plus loin sera abordé un autre aspect, celui qui concerne les rapports entre le pays et le système impérialiste mondial.
En ce qui concerne les mesures de renforcement progressif du secteur d’économie publique, par voie de nationalisation d’entreprises, on constate qu’en aucun cas elles ne remettent en cause le principe des sociétés par actions comme forme d’organisation. Le cas le plus évident est celui de CANTV, où la nationalisation s’est faite moyennant une OPA. Certes, par la suite le régime s’est décidé à déployer plus d’énergie dans la poursuite de ses objectifs, en prononçant des acquisitions forcées. Mais ces décisions coercitives ont toujours été accompagnées de négociations aboutissant à des accords entre les deux parties, fixant la somme à verser par l’État à titre d’indemnisation. La totalité des paiements contractés dans ce cadre se chiffre en plusieurs dizaines de milliards de dollars. Et les entités concernées, au bout de leur nationalisation, gardent le statut de sociétés par actions, ne serait-ce que parce que dans un certain nombre de cas les groupes étrangers propriétaires d’origine maintiennent une participation dans le capital (par exemple les producteurs de ciment Lafarge et Holcim).
En partie ces engagements financiers sont motivés par des raisons juridiques. Le Venezuela a souscrit en 1993 à la Convention internationale pour le règlement des différends relatifs aux investissements. C’est dans ce cadre que de multiples réclamations ont été portées devant le CIRDI (Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements, initiales en anglais : ICSID) qui est une institution de la Banque mondiale. En 2012 le gouvernement mit fin à l’adhésion du Venezuela à cette convention internationale, mais d’autres obligations restent en vigueur, que ce soit par l’intermédiaire d’accords bilatéraux ou par des dispositions intégrées dans la législation nationale.
Ainsi, en quittant le CIADI, le gouvernement précise[45] :
Le gouvernement continuera à implémenter des politiques de défense de la souveraineté nationale, en particulier en ce qui concerne la propriété d’actifs stratégiques, tout en offrant toujours une compensation juste aux personnes physiques et juridiques éventuellement affectées, conformément aux lois vénézuéliennes.
Au-delà des considérations relatives au droit international, s’imposent surtout les implications pratiques du fait que le régime, vis-à-vis de l’étranger, cherche lui-même non pas simplement d’éventuelles coopérations techniques, mais l’apport d’investissements au plein sens du terme. Dès lors, même s’il manie la carotte et le bâton, il ne peut passer outre totalement aux règles de bonne conduite considérées comme usuelles par les partenaires sollicités.
Cette autolimitation quant à la forme va de pair avec l’absence d’un programme global qui formulerait de façon explicite et détaillée l’objectif de construire un système cohérent d’économie publique planifiée. Les décisions successives sont prises au cas par cas, pour des motifs circonstanciels, souvent sous la pression de difficultés momentanées. Ainsi par exemple un certain nombre d’entreprises "socialistes" sont nées de l’action des travailleurs confrontés à l’abandon de l’entreprise par l’employeur. Dans d’autres cas, le gouvernement était amené à prendre le contrôle de l’entreprise suite à des conflits entre les travailleurs et la direction.
D. La portée des efforts visant à soustraire le pays à la dépendance vis-à-vis du système impérialiste mondial
Les mêmes éléments descriptifs évoqués en affirmant qu’il n’y a pas au Venezuela construction du socialisme, sont aussi à prendre en considération dans l’analyse de l’orientation du régime face à la domination que tend à imposer le système impérialiste mondial. Les mesures de nationalisations touchent une partie considérable de la sphère de production, en particulier dans le domaine du secteur alimentaire. À la différence du caractère illusoire de la rhétorique qui se veut socialiste, l’objectif d’étendre le contrôle sur les ressources intérieures de façon à réduire la dépendance vis-à-vis de l’extérieur, trouve une concrétisation réelle. Néanmoins, il serait inexact de caractériser l’orientation adoptée par le régime au Venezuela comme "antiimpérialiste".
La remarque préalable à faire ici est similaire à celle formulée pour la question de la construction du socialisme. Il faut faire une distinction entre deux aspects. La décision d’un pays de se détacher du système impérialiste mondial impliquera forcement, durant une certaine période, toute sorte de difficultés imposant de fait des limites à la réalisation de l’objectif. Ce n’est donc pas à la simple vue de ces limitations qu’on pourrait juger de l’authenticité de la politique mise en oeuvre. Cependant, en ce qui concerne le Venezuela, divers éléments caractérisant l’orientation adoptée indiquent qu’il ne s’agit pas d’une volonté de couper jusqu’au bout les liens avec le système impérialiste mondial.
En 2007 fut publié le "Projet national Simón Bolívar – Premier Plan socialiste"[46]. Ce document émane de la Présidence de la République et définit le "Développement économique et social de la Nation 2007‑2013". Il vise notamment à identifier la façon de "construire une production consciemment contrôlée par les producteurs associés au service de leurs objectifs". Voici une phrase figurant dans ce texte :
Le développement et renforcement de la manufacture et des services aura lieu principalement sur la base des chaines productives avec des avantages comparatifs, y compris celles basées sur les ressources naturelles disponibles.
Les termes "avantages comparatifs" renvoient aux analyses formulées par David Ricardo, économiste britannique qui publia notamment, en 1817, l’ouvrage Des principes de l’économie politique et de l’impôt. Il s’agit de l’affirmation qu’un système de commerce international basé sur le libre-échange est bénéfique pour tous les participants, chaque pays ayant intérêt à se spécialiser dans la production de biens où il détient un avantage comparatif en termes de couts de production. Rien ne permet d’affirmer que les auteurs du "plan socialiste" cité ci-dessus assument consciemment ces références théoriques. Mais de toute façon, une lecture naïve faisant abstraction des sources académiques ramène à la même interprétation : en effet, la mention des "ressources naturelles disponibles" reflète l’approche synthétisée par la notion rabâchée de "rente pétrolière", c’est-à-dire les revenus provenant de l’exportation massive du pétrole servant à financer des activités économiques dans d’autres domaines, quitte à ce qu’elles incluent des importations, massives elles aussi.
Ce "plan socialiste" insiste aussi sur l’importance de la compétitivité, autant du secteur public vis-à-vis du secteur privée, qu’en ce qui concerne les entreprises privées en elles-mêmes[47] :
La nouvelle forme de génération et d’appropriation des excédents économiques sera efficace productivement et résultera dans la production de biens et services de qualité, de sorte que ceux-ci concurrencent avec succès les entreprises privées capitalistes du pays et des autres pays avec lesquels sont échangés des biens et services. […] L’investigation et la demande du secteur productif doivent s’ajuster, avec l’objectif de réduire les couts, s’adapter aux nouveaux marchés, augmenter la qualité des produits et services et obtenir une production nationale efficace. Il est nécessaire qu’existent des investigations scientifiques et technologiques privées, pour générer une innovation permanente et rendre efficace le secteur privé national.
Comme il a déjà été noté plus haut, les mécanismes selon lesquels est organisée l’exploitation des ressources pétrolières, ne sont pas dans leurs principes différents de ce qui avait été défini par la loi de nationalisation de 1975; la principale modification apportée consiste en la prescription d’une participation de l’État au capital dépassant les 50 %. Cette disposition assure à l’État, du moins formellement, un pouvoir de décision, mais ne change rien au fait que les entreprises associées ‑ c’est-à-dire les grands groupes transnationaux dominants ‑ incluent ainsi le Venezuela dans leur chaine d’exportation de capitaux, caractéristique propre à l’impérialisme.
C’est le cas aussi pour les autres ressources minières. En particulier, il est instructif d’examiner de plus près l’exploitation des gisements aurifères dans la région de Las Cristinas, au sud-est du pays. Initialement une concession fut accordée à la société canadienne Placer Dome en 1991, en coopération avec la CVG, la participation au capital étant respectivement de 70 % pour Placer Dome et 30 % pour CVG. En 2001 Placer Dome abandonne cette activité, et pour la remplacer, se développe une dispute entre deux autres sociétés canadiennes se prévalant des droits d’exploitation, Crystallex et Vannessa Ventures. En 2011, le régime déclare la nationalisation de l’exploitation aurifère. En 2012 un accord est conclu avec le groupe chinois Citic pour l’exploitation des gisements d’or de Las Cristinas.
Avant d’entrer plus en détail au sujet de Citic, quelques remarques générales concernant la coopération entre le Venezuela et la Chine. Elle se renforce à partir de 2001, entre autre dans le domaine du pétrole, ainsi que par des accords mettant à disposition du Venezuela des volumes de crédit considérables. Le régime présente ces relations bilatérales comme l’expression de l’orientation antiimpérialiste qu’il affirme suivre, et assigne à la Chine un rôle d’avant-garde. Par exemple Chávez, en avril 2009, en intervenant à l’école du Parti communiste de Chine[48] :
La Chine a su construire le socialisme scientifique selon ses propres spécificités, avec une grande flexibilité et capacité d’adaptation à celles-ci, et nous en devons apprendre beaucoup.
Chávez récuse les critiques dont fait l’objet cette relation privilégiée avec la Chine (ici en novembre 2011)[49] :
Je ne sais pas d’où cela vient, mais quelques Vénézuéliens critiquent cette relation avec la Chine : les apatrides. Je pense qu’ils suivent des instructions de la part du Pentagone et de la Maison Blanche. Ce sont les laquais de l’impérialisme qui, au sujet de cette relation entre la Chine et le Venezuela, s’emploient à nous jeter la pierre et à nous couvrir de boue.
Pour en revenir au groupe Citic, il est non seulement chargé de l’exploitation de l’or, mais joue un rôle de premier plan en ce qui concerne la coopération industrielle bilatérale, entre autre dans la construction d’immeubles d’habitation. C’est un groupe qui, au sommet, est contrôlé par l’État et qui occupe une place importante dans l’économie nationale, de la Chine. Mais à travers de multiples filiales, il pratique l’exportation de capitaux à grande échelle, et ceci sur la base d’une structure fortement imbriquée avec d’autres groupes impérialistes. On peut citer ‑ au hasard et de façon limitée, puisque ce n’est pas le lieu ici d’une analyse détaillée à ce sujet ‑ quelques exemples significatifs.
Citic International Assets Management (CIAM) est une filiale du groupe ayant pour objectif de canaliser des investissements internationaux vers la Chine[50]. Citic Group en contrôle indirectement 40 % du capital, aux côtés d’Itochu Corporation (25 %) (Japon), Ithmaar Bank B.S.C. (25 %) (Bahrein), Ichigo Holdings Group Co. (15 %) (Japon).
Citic Pacific est une société couvrant trois domaines principaux : aciers spéciaux, mines de fer, promotion immobilière en Chine[51]. Citic Pacific a été fondé en 1990 par Yung Chi-kin, dit Larry Yung. Celui-ci était classé en 2005 comme homme le plus fortuné de Chine. En 2003 Yung détenait 18,30 % du capital de Citic Pacific, Citic Group 28,88 %. La société connut des déboires qui conduisaient à l’éviction de Yung. Actuellement Citic Group détient 58 % du capital. Parmi les autres actionnaires, on peut mentionner Power Corporation, une société canadienne de gestion de portefeuille.
Citic Pacific Mining exploite une mine de fer en Australie, mise en service en 2013[52]. La même année, Citic Group acquiert une participation de 13,08 % dans le capital d’Alumina, raffineur d’aluminium australien[53]. Citic Ressources Holding (établi à Bermuda) est actionnaire à 22,5 % de Portland Aluminium, fondeur d’aluminium australien, dont les autres actionnaires sont Alcoa (55 %) et Marubeni (22,5 %)[54]. Citic Australia est l’actionnaire principal d’Investigator Resources, société australienne de prospection minière[55].
En 2013 également, Citic Telecom acquiert une participation de 79 % du capital de Companhia de Telecomunicações de Macau, unique opérateur de téléphone de Macao[56].
En 2011 Citic Heavy Industries acquiert l’entreprise de chaudronnerie lourde de Gándara Censa, en Espagne[57]. Cette usine fabrique des fours et des moulins de grandes dimensions pour le secteur minier et l’industrie du ciment. Citic couvre 30 % du marché mondial pour ce type d’équipement.
Concernant la nature des relations bilatérales entre le Venezuela et la Chine, on peut signaler qu’elles incluent des investissements mixtes aussi en Chine. Ainsi, en 2012 a été démarrée la construction d’une raffinerie à Jie Yang, province Guandong, première de trois raffineries qui seront opérées en commun par Pdvsa et China National Petroleum Corporation (CNPC)[58].
E. L’actualité de la question du réformisme
L’évolution de la situation du Venezuela fournit des éléments significatifs concernant l’analyse du système impérialiste mondial dans sa configuration actuelle, et met en lumière certains problèmes posés en rapport avec les mouvements s’opposant à la domination impérialiste. Vue sous un autre angle, elle incarne une prétention réformiste dans un contexte différent de celui envisagé couramment.
Une vision rependue, qui se place dans une perspective partant des pays impérialistes dominants dans le cadre actuel désigné comme "néolibéral", met en avant l’appréciation que le réformisme a perdu en grande partie son potentiel de nuisance. D’une part, le besoin ressenti par la bourgeoisie de contrecarrer l’influence exercée par l’URSS dans la période suivant la 2e guerre mondiale appartient au passé; d’autre part, la situation de crise économique profonde a fortement réduit la marge de manoeuvre disponible pour faire des concessions aux revendications matérielles exprimées par les travailleurs. Cependant, si on sort de cette approche partielle, on constate que l’illusion d’une possible "transformation" du système capitaliste sans changer sa nature fondamentale, fait toujours partie de l’arsenal de procédés auxquels la bourgeoisie a recours. Certes, par exemple le PS en France n’est pas un parti réformiste, mais un parti purement bourgeois; certes le régime de sécurité sociale instauré selon les préceptes du programme du "Conseil national de la résistance" de 1944 a volé en éclats. Mais quant au fond, le réformisme ne se réduit pas à ce genre de concrétisation momentanée.
Dans ses origines, la conception réformiste a été formulée par Ferdinand Lassalle, contemporain de Karl Marx et Friedrich Engels. Le programme de l’Association générale des travailleurs, fondé en 1863 en Allemagne, reflète ces orientations[59]. Il affirme que "seul, le suffrage universel égal et direct peut assurer une représentation convenable des intérêts sociaux de la classe laborieuse allemande ainsi que l’élimination des antagonismes de classes" et définit comme but "d’agir, par la voie pacifique et légale et particulièrement en gagnant à lui l’opinion publique, pour l’établissement du suffrage universel égal et direct". En vue de changer la situation des classes travailleuses, F. Lassalle met en avant l’abolition des privilèges, la promotion de la solidarité[60] : "L’idée morale de l’ordre des travailleurs par contre est celle, que l’exercice sans entrave et libre, des forces individuelles par l’individu ne suffit pas encore, mais qu’à cela, dans une communauté structurée moralement, doit encore se joindre : la solidarité des intérêts, la communauté et la réciprocité du développement." F. Lassalle n’envisage pas l’abolition de la propriété bourgeoise, mais plutôt sa généralisation[61] : "Lorsque l’ordre travailleur est son propre entrepreneur, alors la séparation entre salaire et profit d’entrepreneur tombe, et avec elle le simple salaire en général, et le résultat du travail prend sa place en tant que rémunération du travail!"
Force est de constater que les discours de Chávez s’apparentent étroitement à ces caractéristiques centrales du réformisme social-démocrate.
Il faut aussi souligner que pour la bourgeoisie le recours au réformisme n’est pas, par rapport à la méthode de domination réactionnaire ouverte, une alternative, dans le sens qu’elle appliquerait soit l’un, soit l’autre, selon les périodes. En Allemagne, suite à la tentative de révolution qui s’est déroulée en 1917‑1919, le rôle du parti social-démocrate, le SPD, réunissait les deux aspects. Il agissait comme bras armé de la bourgeoisie pour réprimer les forces révolutionnaires en lutte, tout en appliquant une orientation réformiste pour éloigner du mouvement communiste la masse des travailleurs. Le 12 novembre 1918, le gouvernement (le "Conseil des mandatés du peuple") s’adresse "Au peuple allemand"[62] : "Le gouvernement issu de la révolution, dont la direction politique est purement socialiste, se fixe la tâche de réaliser le programme socialiste."
Dès octobre 1918, des négociations avaient débutées entre des représentants, des employeurs d’une part, des syndicats de l’autre. Le 15 novembre est approuvée la création de la “Communauté centrale de travail des employeurs et employés industriels et commerciaux d’Allemagne”, dont les statuts affirment notamment[63] :
Imprégnées de la reconnaissance du fait que le relèvement de notre économie nationale exige le rassemblement de toutes les forces économiques et spirituelles et une collaboration harmonieuse de toutes les parties, et imprégnées de la responsabilité qui en découle, les organisations des employeurs de l’industrie et des petites et moyennes entreprises et celles des salariés s’associent en une communauté de travail.
La communauté de travail a pour but la solution, en commun, de toutes les questions économiques et sociales touchant à l’industrie et aux petites et moyennes entreprises ainsi que de toutes les affaires législatives et administratives les concernant.
Cette période de mouvements insurrectionnels initiée en novembre 1918 est profondément marquée par la Révolution d’octobre 1917 en Russie, plus précisément par les soviets comme forme d’organisation. Or, face aux conseils créés un peu partout en Allemagne, l’Assemblée nationale instaurée sous l’hégémonie des social-démocrates s’attache surtout à les amputer de tout ce qu’ils pourraient comporter comme aspect révolutionnaire. Elle y procède dans le cadre des débats autour des revendications de "socialisation" de l’industrie, elles aussi interprétées d’une manière réformiste. La "loi de socialisation" est édictée le 23 mars 1919; elle sera complétée le 4 février 1920 par la loi sur les Conseils d’Entreprise. La "loi de socialisation" stipule[64] :
Le Reich a autorité pour procéder aux actes suivants par voie de législation et contre indemnisation appropriée :
1) transférer vers l’économie collective des entreprises économiques se prêtant à la socialisation, en particulier celles visant à l’extraction de richesses minières et l’exploitation de forces naturelles,
2) en cas de besoin urgent, règlementer sous l’angle de l’économie collective la production et la distribution de biens économiques.
Les dispositions détaillées sur l’indemnisation seront du domaine des lois particulières au niveau du Reich, à venir.
Cette démarche est accompagnée d’une propagande visant à faire passer l’idée qu’ainsi serait instauré le socialisme. Le 2 mars 1919, le gouvernement avait annoncé : "Et ça, c’est du socialisme!"[65].
Certes, d’une part Hugo Chávez n’a nullement été anticommuniste; d’autre part, autant sa venue au pouvoir que l’exercice de ce pouvoir par la suite, n’avait rien à voir avec un quelconque processus révolutionnaire. Mais les interrelations entre fiction socialiste et réalité capitaliste ont des points en commun avec l’expérience de l’Allemagne des années 1920 comme avec d’autres du même type. Et le régime actuel du Venezuela n’est pas un cas unique, isolé, dans la perspective du présent et de l’avenir du mouvement ouvrier dans le monde.
(Écrit : décembre 2013)
[1]. http://pcf.venissieux.org/Le-socialisme-est-ce-le-service,1283.html (27 janvier 2013)
[2]. http://www.rougemidi.org/spip.php?article388 (30 janvier 2006)
[3]. Il semble qu’il est fait référence à un texte chinois sur l’art de la guerre, connu en France à travers une traduction parue au 18e siècle. Ce texte est attribué à un auteur supposé, Sun Tzu, qui selon la légende aurait vécu entre le 6e et le 5e siècle avant notre ère.
[4]. http://le-chiffon-rouge-pcf-morlaix.over-blog.com/article-merci-hugo-Chávez-115934216.html (6 mars 2013)
[5]. http://vivelepcf.fr/1441/a-hugo-Chávez-le-peuple-venezuelien-et-le-mouvement-antiimperialiste-international-peuvent-etre-reconnaissants/ (6 mars 2013)
[6]. http://pcf-prcf.over-blog.com/article-7289358.html (1er septembre 2007)
L’appel circulait dès avril 2007, dans une version qui comporte quelques différences de formulation par rapport à celle citée ici. Cf. http://pcf.venissieux.org/Appel-aux-communistes-lance-par
[7]. http://www.jcr-red.org/spip.php?article612
[8]. http://www.urcf.fr/IMG/pdf/MCF_VDEF25052013.pdf (avril 2013)
[9]. Guyana est la région couvrant le sud-est de Venezuela, délimitée au nord-ouest par le fleuve Orinoco; elle compte pour 50 % de la surface totale du pays.
[10]. Juan Carlos Loyo Hernández, ministre de l’Agriculture et des Terres.
http://www.guia.com.ve/noti/65572/en-venezuela-todavia-quedan-muchisimos-latifundios (17/8/2010)
[11]. Les données figurant ici sont sujettes à caution, dans la mesure où les indications consultées sont fragmentaires et parfois ambigües dans leurs formulations.
[12]. http://www.aporrea.org/desalambrar/a125103.html
[13]. La société mexicaine Hylsa (de Grupo Alfa), la société argentine Siderar et la société méxicaine Tamsa ainsi que Techint International Engineering (les trois du groupe argentin Techint), Sivensa de Venezuela, Usiminas du Brésil.
[14]. Techint est un groupe établi en Argentine, fondé par Agostino Rocca, d’origine italienne; le groupe est contrôlé principalement par la famille Rocca.
En 2006 la structure des capitaux contrôlant Sidor est la suivante : Techint contrôle 59 % de Ternium, aux côtés d’Usiminas (14 %), Tenaris (11 %) Sivensa (2 %), les 14 % restantes étant tenus par le public. À son tour, Ternium possède 86 % de Consorcio Amazona directement, ainsi que 14 % à travers Siderar dont Ternium détient 56 %. Enfin, Consorcio Amazonia détient 60 % de Sidor.
[15]. Marta Harnecker : Hugo Chávez Frías – Un hombre – Un pueblo (Entretiens avec H. Chávez), Venezuela, Editorial Asociación Civil Universitaria por la Equidad, 2002.
[16]. http://www.formacion.psuv.org.ve/wp-content/uploads/2013/09/Año-del-Salto-Adelante-Hacia-la-Construcción-del-Socialismo-del-Siglo-XXI.pdf, p. 90
[17]. http://www.formacion.psuv.org.ve/wp-content/uploads/2013/09/Año-del-Salto-Adelante-Hacia-la-Construcción-del-Socialismo-del-Siglo-XXI.pdf, p. 161
[18]. http://www.formacion.psuv.org.ve/wp-content/uploads/2013/09/Año-del-Salto-Adelante-Hacia-la-Construcción-del-Socialismo-del-Siglo-XXI.pdf, p. 317
[19]. http://www.formacion.psuv.org.ve/wp-content/uploads/2013/09/Año-del-Salto-Adelante-Hacia-la-Construcción-del-Socialismo-del-Siglo-XXI.pdf, p. 564
[20]. http://www.psuv.org.ve/psuv/declaracion-principios/
[21]. El Universal, 11 octobre, 2008.
http://www.eluniversal.com/2008/10/11/pol_ava_Chávez:-vamos-a-desa_11A2064049
[22]. http://www.venamcham.org/demo/eventos/jornadas_val/ley_Consejos_Trabajadores.pdf
[23]. "Projet national Simón Bolívar – Premier Plan socialiste", 2007.
http://www.psuv.org.ve/wp-content/uploads/2011/03/Proyecto-Nacional-Simón-Bolívar.pdf
[24]. 2 juin 2010. http://fr.scribd.com/doc/54609219/aceites-diana
[25]. Tribuna popular, 12/7‑1/8/2013 et 2‑29/8/2013.
http://prensapcv.wordpress.com/2013/08/03/control-obrero/
[26]. Tribuna popular, 31/10-20/11/2013 et 21/11-11/12/2013.
http://prensapcv.wordpress.com/2013/11/05/transicion-al-socialismo-i/
http://prensapcv.wordpress.com/2013/12/01/transicion-al-socialismo-ii/
[27]. Tribuna popular, 31/10-20/11/2013 et 21/11-11/12/2013.
http://prensapcv.wordpress.com/2013/11/05/transicion-al-socialismo-i/
http://prensapcv.wordpress.com/2013/12/01/transicion-al-socialismo-ii/
[28]. István Mészáros, né à Budapest en 1930, y étudia la philosophie. Il était disciple de György Lukács avec lequel il travaillait par la suite au sein de l’Institut de l’Esthétique de l’Université de Budapest. Il émigra en 1956 et réside actuellement en Grande Bretagne. En 1970 il reçut le prix du "Mémorial Isaac Deutscher". Il véhicule la position anticommuniste bien connue selon laquelle l’État soviétique s’opposait à la classe ouvrière.
[29]. Chávez au cours d’une réunion du Conseil de ministres, 20 octobre 2012.
http://www.americaxxi.com.ve/revista/articulo/94/golpe-de-tim-oacute-n
[30]. La phrase citée est tirée de l’exposé des motifs, qui à son tour cite le libellé du projet; de là les guillemets autour de certains mots.
http://www.venamcham.org/demo/eventos/jornadas_val/ley_Consejos_Trabajadores.pdf
[31]. Tribuna popular, 21/6-11/7/2013.
http://prensapcv.wordpress.com/2013/06/20/por-el-control-obrero-y-los-consejos-de-trabajadoresras/
[32]. Tribuna popular, 12/7-1/8/2013 et 2-29/8/2013.
http://prensapcv.wordpress.com/2013/08/03/control-obrero/
[33]. Tribuna popular, 31/10-20/11/2013 et 21/11-11/12/2013.
http://prensapcv.wordpress.com/2013/11/05/transicion-al-socialismo-i/
http://prensapcv.wordpress.com/2013/12/01/transicion-al-socialismo-ii/
[34]. http://www.noticias24.com/venezuela/noticia/129527/Chávez-no-vamos-a-eliminar-la-propiedad-privada-ni-la-grande-ni-la-pequena/ (4 octobre 2012)
[35]. http://www.noticias24.com/venezuela/noticia/134341/es-totalmente-falso-que-yo-tenga-un-plan-para-expropiar-a-todo-el-mundo-no-se-dejen-enganar/ (5/11/2012)
http://www.minci.gob.ve/2012/11/Chávez-reitera-invitacion-al-sector-privado-para-trabajar-conjuntamente/ (8/11/2012)
[36]. 12 novembre 2013.
http://noticias.lainformacion.com/economia-negocios-y-finanzas/politica-economica/maduro-llama-a-los-empresarios-venezolanos-a-invertir-en-venezuela_fLDHxoGN7kbLq6qIFX5gF6/
http://www.correodelorinoco.gob.ve/politica/mandatario-nacional-invita-a-empresarios-a-invertir-venezuela/
[37]. http://m.eluniversal.com/nacional-y-politica/131031/maduro-lamenta-no-haber-asistido-a-la-inauguracion-de-planta-de-nestle (31/10/2013)
[38]. http://www.correodelcaroni.com/index.php/laboral/item/5706-proyectos-ambientales-en-alcasa-generarian-mas-de-3-mil-empleos (18/11/2013)
[39]. http://www.guia.com.ve/noti/65572/en-venezuela-todavia-quedan-muchisimos-latifundios (17/08/2010).
[40]. http://www.empresariosporvenezuela.com.ve/?id=260&ids=9&accion=deta (1/10/2008)
[41]. http://www.avn.info.ve/contenido/presidente-maduro-prevé-crear-ley-orgánica-para-regularizar-costos-y-ganancias (16/11/2013)
[42]. http://labalsadepiedra.org/devaluacion-en-venezuela-y-economia-rentistica/
[43]. http://www.venescopio.org.ve/noticias/mas-de-517-millones-estan-en-la-economia-informal
[44]. Dans les études élaborées spécifiquement par des institutions vénézuéliennes, la notion d’économie informelle désigne l’ensemble des activités économiques réalisées en dehors des paramètres de légalité. Ceci inclut notamment le secteur des services à domicile, les travailleurs non professionnels à leur compte (vendeurs, artisans, conducteurs, peintres, menuisiers, vendeurs ambulants, etc.), ainsi que les employeurs, employés, travailleurs, ouvriers, dans des entreprises familiales de moins de cinq personnes. Selon une conception formulée à partir de 2005, est tenu compte parallèlement, du critère que les acteurs concernés ne paient pas d’impôt, pas de cotisations sociales et manquent d’un certain degré de permanence. Des mesures quantitatives à ce sujet sont forcément empreintes d’imprécisions et d’incertitudes.
[45]. Communiqué daté du 26 janvier 2012.
http://www.embajadadevenezuela.es/sala-de-prensa/comunicados-oficiales/728-comunicado
[46]. http://www.psuv.org.ve/wp-content/uploads/2011/03/Proyecto-Nacional-Simón-Bolívar.pdf
[47]. http://www.psuv.org.ve/wp-content/uploads/2011/03/Proyecto-Nacional-Simón-Bolívar.pdf
[48]. 9 avril 2009.
http://spanish.china.org.cn/international/txt/2009-04/10/content_17582937.htm
[49]. http://www.avn.info.ve/contenido/chávez-venezuela-y-china-son-nuevo-ejemplo-cooperación-basado-solidaridad (24/11/2011)
[50]. http://www.citiciam.com/eng/company/shareholders.php
[51]. http://webb-site.com/articles/nowyoutellus.asp
http://www.citicpacific.com/en/our-company/corporate-profile.html
http://www.forbes.com/2009/04/09/citic-pacific-yung-markets-equity-resign.html
http://www.powercorporation.com/en/companies-group/investments/
[52]. http://www.miningaustralia.com.au/news/citic-s-sino-iron-project-ships-first-concentrate
[53]. http://www.bloomberg.com/news/2013-02-13/citic-resources-to-buy-stake-in-alumina-for-a-452-million-1-.html
[54]. http://www.citicresources.com/eng/business/aluminium.htm
[55]. http://www.investres.com.au/cms/page.asp?ID=1007
[56]. http://www.bloomberg.com/news/2013-01-13/citic-telecom-buys-79-of-macau-phone-operator-to-expand.html
[57]. http://www.farodevigo.es/economia/2011/02/27/largos-tentaculos-citic-group/522340.html
[58]. http://www.soberania.org/Articulos/articulo_7261.htm
[59]. Dieter Dowe, Kurt Klotzbach (Ed.) : Programmatische Dokumente der deutschen Sozialdemokratie, Bonn, J. H. W. Dietz Nachf., 1973, p. 137‑139.
[60]. Ferdinand Lassalle : Das Arbeiterprogramm. Reproduit dans : Ferdinand Lassalle, Gesammelte Reden und Schriften, Tome 2, Berlin, Paul Cassirer, 1919, p. 144‑202.
[61]. Ferdinand Lassalle : Offenes Antwortschreiben. Reproduit dans : Ferdinand Lassalle : Gesammelte Reden und Schriften, Tome 3, Berlin, Paul Cassirer, 1919, p. 39‑92.
[62]. G. A. Ritter, S. Miller (Ed.) : Die Deutsche Revolution 1918‑1919, Frankfurt am Main, Fischer, 1983, p. 103‑104.
[63]. G. A. Ritter, S. Miller (Ed.) : Die Deutsche Revolution 1918‑1919, Frankfurt am Main, Fischer, 1983, p. 239‑241.
[64]. Herbert Michaelis, Ernst Schraepler (Ed.) : Ursachen und Folgen : Vom deutschen Zusammenbruch 1918 und 1945 bis zur staatlichen Neuordnung Deutschlands in der Gegenwart, Band 3, Berlin, Dokumenten‑Verlag Dr. Herbert Wendler, 1959, p. 267‑268.
[65]. IML beim ZK der SED (Ed.) : Dokumente und Materialien zur Geschichte der deutschen Arbeiterbewegung – Série 2 – Tome 3, Berlin, Dietz, 1957, p. 294.