Les fauteurs de guerre au Moyen-Orient
ce sont les forces impérialistes

Le 22 juillet 2015, 33 militants communistes et révolutionnaires ont été tués dans un attentat perpétré par Daesh[1] à Suruç, en Turquie. Le même jour un accord a été conclu entre les États‑Unis et l’État turc pour l’utilisation de la base militaire d’Incirlik[2]. Dans la même période certaines forces se disant en opposition avec le régime syrien ont abandonné leur base en Syrie proche de la frontière turque aux forces turques ou à des milices proches de l’armée Turque. Contrairement à la propagande mensongère propagée par les médias occidentaux, tous les groupes dits « islamistes » en Syrie sont soutenus par les pays impérialistes et les forces réactionnaires régionales, en particulier par les USA, la France, la Turquie, le Qatar et l’Arabie Saoudite.

Dans les circonstances présentes on nous dit maintenant que la lutte contre Daesh a été renforcée par le rapprochement avec la Turquie. Mais en réalité depuis cet évènement, à part la publication de quelques photos de militants de Daesh, l’État turc n’a rien entrepris contre Daesh. Bien au contraire il a déclaré la guerre au peuple kurde qui lutte en première ligne contre Daesh et qui ne réclame même pas l’autodétermination[3].

Sur le terrain l’impérialisme et les forces réactionnaires locales manipulent l’opinion en montant les minorités les unes contre les autres, notamment en opposant le peuple yézidi aux Kurdes en diffusant la rumeur selon laquelle « les musulmans exterminent le peuple yézidi ». Mais beaucoup de Yézidis sont Kurdes et ont été sauvés des griffes de Daesh par les Kurdes (dont la majorité est musulmane).

Le plus gros danger au Moyen Orient n’est pas Daesh mais l’impérialisme. L’Irak, la Syrie, la Libye et le Yémen ont été plongés dans le chaos et la guerre. Par qui et pour quels intérêts?

Nous avons déjà dans notre journal[4] montré le lien qui unit l’impérialisme et Daesh. Il n’y a aucun doute pour nous : Daesh est une force réactionnaire et fasciste. Le conflit qui oppose Daesh et les impérialistes n’est pas un conflit entre l’obscurantisme et les forces de progrès mais un conflit entre forces réactionnaires.

Les médias français parlent d’un échec face à Daesh. S’il ne s’agissait que d’une question militaire le problème aurait été réglé depuis longtemps. Mais Daesh sert les intérêts géopolitiques des impérialistes occidentaux.

Le problème fondamental n’est pas Daesh, le problème fondamental est : qui contrôle et comment contrôler le Moyen-Orient?

De ce point de vue l’utilisation de bases militaires en Turquie par les USA participe au processus d’éradication de la présence russe au Moyen-Orient. Il s’agit soit de renverser le régime syrien soit tout au moins de l’affaiblir et le laisser « mort entre deux eaux » : c’est une vieille tactique éprouvée. L’accord avec l’Iran, les menaces de guerre entre la Russie et d’autres forces impérialistes dénotent un conflit essentiellement de caractère interimpérialiste. Que ce soit au Yémen, en Irak, en Syrie, en Libye, aucune organisation n’est indépendante des forces impérialistes.

Daesh profite d’une certaine manière des conflits interimpérialistes. Il vend du pétrole, achète des armes et de la nourriture sans problème. Il n’y a qu’à voir le flot de camions qui circulent entre le territoire tenu par Daesh et la Turquie ou l’Irak.

Les Kurdes de Turquie et de Rojava :
une épine dans le pied de l’impérialisme

À Kobané (Rojava), les Kurdes ont fait reculer Daesh par leurs propres forces. Les bombardements américains ont même atteint par « erreur » des positions kurdes ou des zones en partie contrôlées par le régime syrien.

Et ce n’est pas tout, quand la Turquie bombarde les bases kurdes (PKK), et des populations et villages en Turquie même, y a‑t‑il eu un seul pays qui ait condamné la Turquie? La Turquie de longue date ne s’est jamais engagée militairement contre Daesh. Les USA ont obtenu la base militaire en Turquie en contrepartie de la possibilité pour l’État turc de mener en toute impunité des actions militaires contre les Kurdes tout en déclarant avec hypocrisie qu’elle cherche la paix avec le peuple kurde. Elle a même obtenu le soutien de Barzani, dirigeant kurde d’Irak, dans son intervention armée contre les Kurdes de Turquie (notamment contre le PKK).

Ce qui dérange les pays impérialistes et les forces réactionnaires locales chez les Kurdes de Turquie et de Rojava, c’est qu’ils ne font pas confiance à l’impérialisme et aux forces réactionnaires. Par leur propre organisation politique et militaire ils ont pris le chemin de l’autodéfense. Cela a conduit à une mobilisation massive dans tout le Kurdistan, et au niveau international au soutien des révolutionnaires et communistes de divers pays, dont certains ont versé leur sang en se battant aux côtés du peuple kurde. L’expérience de Rojava montre que, en profitant des conflits interimpérialistes, les peuples peuvent prendre leur destin en main et se battre pour leurs intérêts propres. Évidemment il faut créer un rapport de force, avoir un soutien large parmi les peuples, la sympathie d’autres forces progressistes dans le monde. C’est ce que les USA et d’autres forces impérialistes n’ont pas apprécié.

À Rojava un peuple opprimé montre que la lutte pour l’indépendance ou l’autodétermination peut être menée en s’appuyant sur ses propres forces[5]. Malgré tout, certaines organisations kurdes n’ont pas perdu leurs illusions d’obtenir des concessions grâce à la pression des pays impérialistes sur la Turquie et sur les autres pays qui divisent le Kurdistan. Pourtant toute histoire de la lutte du peuple kurde montre le contraire.

C’est ce qu’illustre aujourd’hui Rojava. Les forces réactionnaires et les pays impérialistes ont parié sur le règlement du « problème kurde » par Daesh. Mais la résistance kurde a bousculé leurs plans. C’est cela qui a décidé l’État turc de s’en prendre militairement au peuple kurde en effectuant des bombardements et des massacres de civils et autres actes qui relèvent de crimes contre l’humanité.

Mais cette situation a entrainé la formation d’une alliance en Turquie entre le peuple kurde et d’autres minorités et notamment avec le mouvement révolutionnaire. Aux élections du 7 juin 2015 cette alliance a recueilli 6 millions de voix et obtenu 81 députés. Jamais dans l’histoire de la Turquie des communistes, des progressistes et des représentants du peuple kurde n’ont été élu par le peuple avec une telle ampleur. Ce fut un coup très dur pour le gouvernement islamiste qui dirige sans partage la Turquie depuis une décennie.

En Turquie une nouvelle dynamique révolutionnaire depuis le mouvement de Gezi en 2013 bouleverse et traverse toutes les forces politiques. La bourgeoisie n’a pas pu créer un gouvernement après l’élection du 7 juin. Un pilier important pour l’impérialisme comme la Turquie qui s’enfoncerait dans une crise politique serait déstabilisatrice pour sa domination. N’oublions pas qu’après Israël, au Moyen Orient, les deux pays les plus importants pour le camp impérialiste occidental sont la Turquie et l’Égypte.

Tant que les peuples n’auront pas abattu l’impérialisme
il n’y aura ni paix, ni stabilité au Moyen Orient

Depuis début du 20e siècle l’impérialisme a toujours cherché à dominer le Moyen-Orient. Depuis les accords de Sykes-Picot[6], l’intervention des impérialistes n’a pas cessé jusqu’à aujourd’hui. Citons : la création d’Israël et l’occupation des territoires des pays arabes par Israël, la création du Cento[7] pour contrer l’influence de URSS, la ceinture verte contre le communisme, la lutte contre la bourgeoisie nationale indépendantiste (comme le Baas[8]), la guerre Iran-Irak, les première, deuxième et troisième guerres du Golfe, la liste est longue…

Ce n’est pas une question de manque d’information ou la complexité de la situation au Moyen-Orient qui empêche de comprendre ce qui se passe au Moyen-Orient. Pour se positionner et agir de manière juste et efficace, il faut avoir une analyse anticapitaliste et antiimpérialiste claire.

Mais pour cela, et ce serait l’objet d’une autre débat : sans une organisation qui soit indépendante de la bourgeoisie, aucune lutte antiimpérialiste ne peut s’achever correctement dans l’intérêt des peuples opprimés et du prolétariat. La construction d’une telle organisation c’est la tâche qui s’impose aujourd’hui à tous les communistes.

Rassemblement Organisé des Communistes Marxistes-Léninistes
6 septembre 2015



[1]. Daesh : acronyme en arabe pour al-Dawlah al-Islāmiyyah fī al-Irāq wa al-Shām (État islamique en Irak et au Levant). Abréviation en français : EIIL ou plus communément EI.

[2]. Incirlik : petite ville située près d’Adana.

[3]. Le mouvement kurde, actuellement, ne demande pas l’autodétermination, mais plutôt l’autonomie.

[5]. Rojava n’est pas un État des soviets, ni ne représente une forme nouvelle d’organisation anticapitaliste. C’est un bel exemple que le peuple peut prendre son destin en main et construire son avenir, mais aujourd’hui la composition de classe et la conjoncture au Moyen-Orient ne permettent pas de dire que Rojava peut évoluer vers le socialisme. Nous soutenons l’organisation démocratique à Rojava, le rôle important de la femme dans l’armée kurde, dans l’organisation civile et la lutte, c’est une étape de révolution bourgeoise. Mais le contenu de leur programme est très loin de la démocratie prolétarienne.

[6]. Le 16 mai 1916, faisant suite à un travail préparatoire entre Paul Cambon, ambassadeur de France à Londres, et Edward Grey, secrétaire d’État au Foreign Office britannique, un accord secret est conclu entre la France et la Grande-Bretagne, représentés respectivement par François Georges-Picot et Mark Sykes. Il prévoit à terme un découpage du Proche-Orient, c’est-à-dire l’espace compris entre la mer Noire, la mer Méditerranée, la mer Rouge, l’océan Indien et la mer Caspienne, alors partie intégrante de l’Empire ottoman. La Russie tsariste participe aux délibérations et donne son accord, comme l’Italie, aux termes de l’accord.

En Russie, en novembre 1917, immédiatement après la prise du pouvoir par les soviets, est ratifié un Décret de paix qui stipule notamment : « Le gouvernement abolit la diplomatie secrète et exprime de son côté la ferme intention de mener les pourparlers en pleine franchise, devant le peuple entier; il procède immédiatement à la publication complète des traités secrets. » Ce sera fait le 23 novembre 1917 en ce qui concerne l’accord Sykes-Picot, dont la copie a été trouvée à Petrograd.

(Cf. Sami Moubayed : Syria and the USA – Washington’s Relations with Damascus from Wilson to Eisenhower; Londres, Bloomsbury Publishing, 2012.

[7]. Cento : acronyme pour Central Treaty Organisation (Organisation du traité central).

Le Traité d’organisation du Moyen-Orient , connu sous le nom de « Pacte de Bagdad » a été conclu le 24 février 1955 entre l’Irak, la Turquie, le Pakistan, l’Iran et la Grande-Bretagne, rejoints par les États-Unis en 1958. Il sera rebaptisé CenTO, après le retrait irakien le 24 mars 1959. L’organisation, dissoute en 1979, fait partie des alliances internationales du camp occidental dans le contexte de la Guerre froide. Son but était de « contenir » (politique américaine du containment) le communisme et l’Union soviétique en ayant une ligne d’États alliés à sa frontière sud et sud-ouest.

[8] Le parti Baas (ou Baath) nait au lendemain de la Seconde Guerre mondiale (1947) à Damas (Syrie); l’objectif est de fonder une grande nation arabe “laïque”, regroupant tous les peuples arabes. Le Baassisme s’est implanté ensuite dans l’ensemble du monde arabe, au Liban, en Jordanie, au Yémen, au Soudan, et à Bahreïn. Mais les seuls pays dans lesquels le parti Baas a réussi à accéder au pouvoir restent la Syrie et l’Irak, avec la venue au pouvoir respectivement de Hafez el-Assad (père de Bachar el-Assad) en 1963 et de Saddam Hussein en 1968.