Concurrence interimpérialiste en Syrie :

Nouvelles épreuves
pour la lutte de libération nationale du peuple kurde
et celle des populations de Syrie pour leurs droits démocratiques

LA VOIX DES COMMUNISTES, octobre 2019, no spécial

(Texte disponible sous forme de fichier PDF)

Le 9 octobre, Recep Tayyip Erdoğan a lancé une opération militaire dont l’objectif est le démantèlement de la Fédération démocratique de la Syrie du Nord (FDSN) et, essentiellement, du statut d’autonomie que la population kurde a conquis dans le périmètre du Kurdistan Ouest/Rojava.

Les visées de domination impérialiste avaient conduit les USA et les pays impérialistes alliés, dont la France, à partir de 2011, à déployer des efforts afin de renverser le régime de Bachar al-Assad, lequel était soutenu par la Russie, la principale autre puissance impérialiste intervenant dans la région. Puis s’est imposé en Iraq et en Syrie l’emprise de Daech. Les impérialistes n’étaient pas étrangers à la dissémination de ces forces réactionnaires, notamment les USA : en Irak, du fait de leur soutien au gouvernement de Nouri Al-Maliki, en place de 2006 à 2014, et en Syrie à travers leur soutien à des groupes armés visant à renverser Assad. Les impérialistes ont alors été contraints de mettre au premier plan l’objectif de repousser Daech. De son côté la Russie a développé son intervention autour de l’objectif de maintenir le régime syrien. Finalement les USA, parmi les différentes options tactiques qu’ils pouvaient envisager, n’ont trouvé d’autre moyen praticable que celui de se reposer militairement sur les Forces démocratiques syriennes (FDS) structurées autour des combattantes et combattants kurdes des YPG/YPJ.

La Turquie est en principe intégrée dans le camp impérialiste occidental, mais dans le cadre géopolitique caractérisant le Moyen-Orient, elle mène une politique influencée par le problème spécifique que représente pour elle la volonté de la population kurde de réaliser sa libération nationale.

La précipitation actuelle vers une opération militaire massive parait motivée entre autre par les problèmes qui affectent le régime d’Erdoğan depuis quelques temps. On peut citer les rivalités politiques qui se sont manifestées à travers la tentative de coup d’État de juillet 2016 imputée à Fethullah Gülen, ainsi que les échecs électoraux, notamment lors des élections municipales à Istanbul. L’état de l’économie est également marqué par une période de crise.

Depuis longtemps, l’impérialisme US est en difficulté pour maintenir globalement sa domination à la hauteur de ses aspirations, notamment sur le plan militaire. C’est le cas entre autre en Afghanistan, et aussi en Irak et en Syrie. Le président Donald Trump justifie en ce sens sa volonté de retirer les forces armées US de la Syrie, décision exprimée à diverses reprises sans être mise en pratique sur le champ. Il déclare : "Dès le premier jour de mon entrée dans l’arène politique, j’ai clairement indiqué que je ne voulais pas mener ces guerres sans fin et sans objectifs, en particulier celles qui ne profitent pas aux États-Unis." Fidèle à sa façon approximative de présenter la réalité, il parle de "guerres de tribus". Or le PKK – à la différence du PDK en Irak -n’est absolument pas intégré dans ces structures tribales traditionnelles.

Face à la situation actuelle, on peut penser que de la part des USA le renoncement à l’objectif d’une victoire jusqu’au bout au Moyen-Orient correspondrait à une vision réaliste. Déjà en 2018 était apparue au sein de l’administration autour de Trump l’idée d’abandonner le terrain à des partenaires sous la forme d’une partition de la Syrie, qui aurait accordé à la Turquie la prédominance dans la partie nord-ouest de ce pays. Mais les prospections en vue de trouver le consentement des différentes forces éventuellement impliquées n’ont pas abouti. De son côté la Turquie exerce depuis quelque temps une pression sur ses alliés en exhibant un penchant vers un développement de ses relations avec la Russie, et aussi en formulant des menaces en rapport avec la présence des réfugiés syriens sur son territoire, question épineuse pour l’Union européenne. La Russie justement tire avantage de la situation actuelle qui permet au régime d’Assad de stabiliser son emprise sur le pays, ce dont témoigne entre l’autre la tournure que connait la bataille autour d’Idlib. Le souci d’éviter une accentuation des divergences au sein de l’OTAN est un des facteurs qui ont pu jouer un rôle dans le choix, de la part des USA, de donner main libre à la Turquie. Quant à la coopération avec les FDS, à un certain stade les USA ont tenté d’obtenir une séparation entre les YPG/YPJ, forces kurdes, et les éléments non-kurdes associées au sein des FDS. L’abandon des FDS est aussi motivé par l’échec de cette manœuvre.

Pour la situation des Kurdes de Syrie, les évènements sont lourds de conséquences. L’affrontement militaire est à la fois directe avec l’armée turque et indirect avec les forces de la dite "Armée syrienne libre"(ASL), transformée récemment en "Armée nationale syrienne"(ANS). Erdoğan prétend combattre les terroristes, mais l’œuvre de la Turquie en la matière a toujours consisté non pas à éliminer les combattants de Daech, mais à les intégrer sous son contrôle. Les seuls "terroristes" visés effectivement, ce sont les combattants kurdes. Et la réinstallation de réfugies syriens consisterait à imposer un changement démographique touchant à la répartition des populations, comme il s’est déjà opéré antérieurement, en particulier à Afrin.

Dans le camp même de l’ennemi impérialiste, de fortes doutes se manifestent quant à l’opportunité des décisions prises, autant en ce qui concerne Trump qu’Erdoğan. Il faut cependant les interpréter avec circonspection, sur la base de notre position, antiimpérialiste. Les critiques adressées à Trump par des personnalités de l’administration et des partis politiques (dont le général Joseph Votel, commandant de l’USCENTCOM[1] de mars 2016 à mars 2019) mettent en avant des considérations sur le danger persistant incarné par Daech, qu’il faudrait donc continuer à combattre. Sous cet angle, les arguments sont de l’ordre de la technique militaire. Il y a cependant un autre argument, qui touche de plus près les véritables enjeux : le fait de laisser aux populations sur place, et notamment aux FDS – mais en même temps de façon totalement incohérente, à Erdoğan -, la charge de poursuivre ce combat. Selon Trump, cette responsabilité reviendrait à la Russie, la Turquie, l’Iran, l’Irak, la Syrie… "et tous les autres dans le voisinage". Occasionnellement, cette énumération inclut l’Europe ainsi que les Kurdes. Il dit : "Mais ces pays sont riches, dans la plupart des cas. Ils sont puissants. Ils ont des armes. Ils peuvent faire le travail."

Cette façon d’aborder la situation signifie la rupture d’une alliance – celle avec les FDS -, qui était auparavant considérée par l’administration US comme indispensable à la victoire contre Daech. De là, les critiques soulignent les conséquences que cette instabilité de la politique US aura par rapport aux alliés en général. Et ce qui les préoccupe sous cet angle n’est pas la rupture avec les FDS, mais le fait qu’il s’agit d’un élément négatif de plus à l’égard du maintien de la cohésion, pourtant souhaitée, entre les pays impérialistes occidentaux. En effet les signes en ce sens se multiplient depuis l’orientation protectionniste et plus généralement de "faire bande à part" choisie par Trump.

Enjeu régional

Quant à la Turquie, les partis AKP, MHP, CHP et İYİ ont certes approuvé l’opération militaire, HDP seul votant contre l’opération militaire. Mais des critiques soulignent le risque que celle-ci renferme au-delà de la première étape, celle de l’élimination des "terroristes" et de la mise en œuvre de la réinstallation de réfugiés. Même en supposant qu’Erdoğan réussisse à cet égard, il reste incertain dans quelle mesure et comment pourrait se réaliser ce qu’il affirme, à savoir que la Turquie ne se maintiendra pas en tant qu’occupant. Aux critiques adressées à Trump en rapport avec sa façon d’accentuer les divergences entre son gouvernement et les gouvernements des pays traditionnellement alliés, correspond symétriquement la critique qui reproche à Erdoğan d’avoir lancé l’opération militaire sans chercher à en préparer le terrain par des contacts et des négociations en particulier vis-à-vis de la Syrie, l’acteur dominant du problème. Ainsi le colonel à la retraite V. Murat Tulga : "Les déclarations successives à propos de l’opération sont pleines de signes de manque de coordination et de solitude diplomatique. Il ne fait aucun doute que l’opération se terminera avec succès. Le doute porte sur ce qui va se passer à l’issue de l’opération[2]."

En ce qui concerne les USA, les divergences qui traversent les institutions et les milieux politiques sont parfois présentées, selon un schéma superficiel, comme une affaire qui oppose un président fantaisiste et des gens plus sérieux. Or, abstraction faite de sa manière extravagante d’exprimer ses pensées, Trump comme les autres poursuit l’objectif de rendre à l’Amérique sa grandeur – étant entendu que "l’Amérique" signifie les USA en tant que puissance impérialiste. Il a déclenché un scénario consistant à lâcher la bête ottomane pour mettre les Kurdes sous pression, pensant pouvoir ensuite lui remettre la laisse. Cela paraissait trop téméraire à une bonne partie de ses coéquipiers, mais il n’aura pas été le premier à envisager à suivre la devise "semer le chaos pour régner". Néanmoins le cours des choses a dérivé quelque peu, dans la mesure où la Russie s’est infiltrée dans la "zone de sécurité", en complicité avec Assad. Pour ce qui est des Kurdes, Poutine adopte exactement la même attitude que Trump : il les place devant l’alternative, soit de satisfaire les exigences d’Erdoğan concernant leur retrait hors de la zone frontalière, soit de se voir délaissés à nouveau sous l’effet du retrait des forces russes interposées entre eux et les forces d’invasion.

Les tractations entre gouvernants et diplomates de tous bords génèrent des déclarations, discours, communiqués. Pendant ce temps, les combattantes et combattants kurdes subissent les violences que font déferler l’État turc et ses gangs sur leur territoire. Citons deux des actes barbares commis. Le 12 octobre, la voiture de Hevrin Khalaf, la secrétaire générale du Parti du Futur de la Syrie[3], est interceptée sur l’autoroute entre Qamishlo et Manbij par des mercenaires liés à l’envahisseur turc. Ils la trainent hors du véhicule, la tuent, puis la criblent encore de balles et la mutilent avec acharnement, tout en filmant, et pendant ce temps téléphonent à sa mère. Le 21 octobre, dans un village aux alentours de Kobanê, un groupe de combattantes kurdes succombe à une attaque de mercenaires turcs. Les djihadistes diffusent une vidéo montrant les cadavres, dont Amara Rênas, qu’ils sont en train de piétiner en proférant des injures à l’encontre des "putes" du PKK et du PYD. Voici un extrait d’une déclaration émise par le commandement général des YPJ[4] : "Le traitement barbare de ces gangs du corps de notre camarade Amara sont les méthodes mêmes de l’État islamique. Dans un esprit de sacrifice, nos combattantes se sont levées dans la Résistance pour la Dignité contre les gangs des occupants de l’État turc, à Serê Kaniyê, Gire Spî (Tel Abyad) et au-delà. La rage et la haine de ces gangs sont le résultat de la résistance de nos combattantes. […] Cette barbarie n’entravera jamais la volonté et la détermination de notre engagement envers notre droit à l’autodéfense. […] Une fois de plus, nous réitérons notre promesse de protéger toutes les femmes dans l’esprit de la défense également de toutes les valeurs sociétales qui ont été exprimées dans la révolution de la Syrie du Nord et de l’Est."

La défense de Rojava est primordiale

Rojava est au centre de l’affrontement actuel, mais l’ampleur de l’attaque entraine des répercussions sur l’ensemble des territoires à population kurde. De fortes mobilisations se développent partout, en Irak, en Iran. En Turquie même, la résistance à la répression ne faiblit pas.

L’armée turque mène depuis les années 1980 des raids contre les bases du PKK dans la région des monts Quandil. Quant au gouvernement régional kurde, il est lié à une bourgeoisie qui a pu se développer durant la période suivant l’invasion par les USA et la Grande-Bretagne en 2003, et qui est tributaire de ses rapports avec la Turquie. Depuis la fin des années 2000 s’est établi un rapprochement entre la Turquie et la Région autonome du Kurdistan d’Irak, dirigée par Massoud Barzani. En janvier 2009, à l’occasion d’une visite du ministre des Affaires étrangères irakien en Turquie est annoncée la création à Erbil, dans le cadre d’un mécanisme tripartite entre Ankara, Bagdad et Washington, d’un centre de commandement, chargé de coordonner le renseignement et la lutte contre les "terroristes" du PKK. En novembre 2013 Barzani se rend en Turquie pour rencontrer Erdoğan, lequel prend soin de prononcer, pour la première fois, le terme de "Kurdistan irakien". En aout 2014 les forces armées kurdes de Syrie ont seules assumé la charge de porter secours à la population Yezidi de Sinjar, victime de massacres perpétrées par des troupes de l’EI qui avaient mis en déroute les forces des Peshmergas kurdes irakiens. Depuis, le soutien de la part de la base sociale de Barzani s’affaiblit et sous la pression, le Gouvernement régional kurde (GRK) modifie son attitude. Il concède aux réfugiés fuyant vers l’Irak un appui à titre "humanitaire". Dernièrement, Erdoğan réagit en affirmant que la situation en Irak est bordélique, que le GRK tient un double langage, et il déplore que celui-ci "défend les terroristes"[5]. Par ailleurs, en Turquie, lorsque Sezgin Tanrıkulu, député à Istanbul du CHP, critique l’opération militaire, il fait aussitôt l’objet d’une enquête judiciaire.

Les évènements actuels impliquent la menace de la dislocation des structures sociales édifiées depuis 2014 par les populations arabe, assyrien et kurde dans le cadre de la FDSN. Quoi qu’il en soit, le processus de constitution d’une administration autonome propre pour Rojava en 2014, puis de la FDSN en 2016 ont créé une base solide pour la défense contre l’attaque turque. La décision de Trump met en évidence plus clairement la nature de la place occupée par Rojava au Moyen-Orient : celle d’une force progressiste en opposition à l’ensemble des forces impérialistes intervenant dans la région. Parmi les militants antiimpérialistes, des doutes s’étaient fait jour au sujet de l’attitude des Kurdes à l’égard des USA, allant jusqu’à l’accusation qu’ils soient devenus des auxiliaires de l’impérialisme US. Or, la réalité est que les Kurdes ont mis à profit au mieux la constellation des forces résultant de la concurrence interimpérialiste existante pour protéger et fortifier leurs spécificités comme entité autonome. C’est précisément un des principaux facteurs qui ont amené l’impérialisme US à modifier sa position, voyant qu’il n’avait pas réussi à neutraliser les Kurdes en tant que force antiimpérialiste. Il faut noter d’ailleurs à ce propos que les Kurdes se sont toujours déclarés ouverts à la perspective d’un accord avec le régime d’Assad à condition qu’il s’agisse de l’intégration de Rojava et de la FDSN dans le cadre d’un régime démocratique préservant les bases de leur organisation sociale. Le régime syrien ne s’est montré nullement favorable à une telle perspective. Le changement d’attitude de la part des USA, opéré par Trump, a déclenché un ensemble de répercussions qui font ressortir plus clairement les rôles et les responsabilités des uns et des autres. Au sujet du rôle assumé par la Russie en Syrie circule une vision particulière qui sème la confusion, et qu’il importe de rejeter. Ce n’est pas le lieu ici d’entrer dans l’exposé des réalités qui montrent que la Russie est une puissance impérialiste et qu’elle intervient au Moyen-Orient en concurrence avec les puissances impérialistes occidentales. Mais il faut au moins faire remarquer que ceux qui considèrent l’intervention de la Russie en Syrie comme légitime parce qu’elle est accompagnée d’une invitation de la part du gouvernement de Syrie, raisonnent avec une légèreté certaine. Le concept de la "souveraineté" qui est appelé au secours amplement, est censé justifier le fait qu’on se dispense de l’analyse du régime syrien et du degré de légitimité de ce gouvernement lui-même. De surcroit ce point de vue va de pair avec la négation de fait – plus ou moins avouée explicitement – des réalités historiques qui justifient la lutte de libération nationale du peuple kurde. La solidarité "internationaliste" aurait pour objet "la République Arabe Syrienne et ses autorités légitimes" ainsi que "le peuple syrien dans sa diversité, en particulier sa composante kurde". Une telle orientation est à l’opposé de ce que nous expliquons au sujet de la capacité consciente des Kurdes, de ne compter que sur leurs propres forces tout en s’appuyant au mieux sur d’autres éléments pouvant contribuer à la réalisation de leurs objectifs.

Les évènements actuels s’inscrivent dans la même logique qui caractérisait précédemment le résultat éphémère du référendum sur l’indépendance du Kurdistan irakien, puis l’occupation d’Afrin par la Turquie. Ces expériences consécutives tendent à confirmer constamment les Kurdes dans leur conviction qu’ils ne peuvent compter que sur leurs propres forces. Mais soyons clair : le principe de ne compter que sur ses propres forces ne peut pas signifier l’isolement délibéré qui découlerait du refus de toute coordination avec d’autres forces, surtout dans le domaine militaire. Que ce soit dans leur coopération avec les USA ou celle qui se dessine actuellement avec la Russie, les responsables kurdes ont toujours distingué le domaine militaire de celle politique. Ils ont fait savoir qu’ils acceptait de respecter le cessez-le-feu selon la formule que leur communiquaient les USA, mais qu’ils ne souscrivaient pas à l’accord bilatéral conclu entre les USA et la Turquie, dont ils n’étaient pas partie prenante. Ils affirment la même approche à l’égard des démarches entreprises par la Russie concrétisées par un accord également bilatéral Russie-Turquie. Des coopérations même avec des puissances impérialistes peuvent être légitimes, à condition d’être soumises à une orientation politique de principe claire de la part des Kurdes. Toutefois, il est facile d’énoncer des critiques, voire des dénonciations en se posant en donneur de leçons, alors que la complexité de la situation concrète sur le terrain pose un défi difficile à maitriser sans flottements.

Toute l’opération manigancée entre les USA et Erdoğan a été conçue pour semer la confusion dans les rangs autant de "l’opinion internationale" que des parties prenantes directes en Syrie. Quoi qu’il en soit les combattantes et combattants kurdes n’ignorent pas la nécessité de rester clairvoyants. Voici ce que dit une déclaration émanant du conseil exécutif de l’Union des communautés du Kurdistan (Koma Civakên Kurdistan, KCK) datée du 19 octobre[6] : "Le cessez-le-feu ne devra pas avoir pour résultat de légitimer l’occupation, mais le retrait des forces d’occupation. À cet égard il n’est pas possible pour la résistance du FDS et le public démocratique, d’accepter une quelconque option autre que le retrait des envahisseurs."

Enjeu mondial

Le fond du problème aux yeux des forces impérialistes, c’est que la tournure actuelle prise par les évènements approfondit encore plus les facteurs qui peuvent aboutir à une déstabilisation de la région à partir de la question du Kurdistan dans son ensemble, tel qu’il inclut des régions de quatre pays, et que les efforts pour trouver l’unité inter-kurde puissent se trouver amplifiée. Cela d’autant plus que les activités déployées jusqu’ici en faveur de la lutte de libération nationale du peuple kurde ont suscité, notamment autour de Rojava, des initiatives nombreuses de soutien internationaliste, impliquant notamment la formation de militants révolutionnaires sur une échelle internationale.

Il est clair que dans cette perspective à long terme, le peuple kurde s’affronte non pas simplement à des individus ou des cliques réactionnaires, que ce soit Erdoğan, Assad ou d’autres, ni à des régimes qu’il s’agirait de transformer, de dictatoriaux, antidémocratiques en démocraties. Comme partout dans le monde, les peuples de la région doivent vaincre un ennemi de classe : les bourgeoisies qui, malgré les rapports de concurrence qui les opposent entre elles, sont liées entre elles par le fait d’être insérées dans le système impérialiste international.

Les raisons de notre solidarité internationaliste

Le peuple kurde a manifesté sa volonté de conquérir l’indépendance nationale dès l’époque où les grandes puissances se partageaient les empires de la région, à la fin du 19e siècle et le début du 20e. La lutte à son stade actuel dure depuis quarante ans. Les populations kurdes, découpées par les frontières de quatre pays, sont déterminées à réaliser l’objectif de vivre en toute indépendance sur ce qu’elles considèrent comme leurs terres. Face à l’attaque menée par la Turquie, elles se mobilisent partout, en Kurdistan, en Europe et ailleurs, malgré les pressions et la répression qui s’exercent.

Cette lutte est traversée par des contradictions de classe, fondamentalement celle entre la classe ouvrière et la bourgeoisie. Il n’en peut être autrement. Il ne s’agit pas d’une révolution socialiste. Néanmoins l’orientation politique doit être basée sur le point vue de la classe ouvrière, et en premier lieu il faut rejeter l’idée que la victoire serait impossible sans la participation de telle ou telle puissance impérialiste, ou des institutions telles que l’ONU dont l’oeuvre consiste à tenter de régler "en famille" les conflits qui peuvent se produire au sein de l’impérialisme mondial.

Les multiples interprétations exprimées au sujet du caractère de Rojava comme structure sociale sont souvent marquées par un subjectivisme qui leur enlève toute pertinence. Il y a ceux qui, avec sympathie, croient trouver en Rojava l’incarnation de leurs idéaux autogestionnaires, écologistes, ou autres. Il y a d’autres qui, de façon hostile, l’attaquent comme instrument de forces réactionnaires, ou comme une dictature imposée par le PKK. Or, nous analysons la situation du point de vue marxiste-léniniste, matérialiste. Comparé à l’époque du début du 20e siècle le contexte concret dans lequel se déroulent les luttes de libération nationale s’est modifié, mais sur le fond les enjeux sont toujours les mêmes. Nous considérons qu’un élément essentiel qui permet de juger du caractère révolutionnaire d’une lutte de libération nationale est celui de l’approfondissement de la démocratie. C’est cela précisément qui permet de faire valoir au mieux le point de vue révolutionnaire du prolétariat, et aussi la solidarité nécessaire entre les peuples opprimés eux-mêmes.

En cela réside un facteur central sur lequel est bâtie la force du combat pour la libération du Kurdistan. Au-delà des enjeux particuliers variés, ce caractère démocratique est vu par la bourgeoisie, turque aussi bien qu’internationale, comme menace de premier plan. Ainsi, la répression exercée par Erdoğan dans le Kurdistan turc vise tous ce qui relève de l’exercice de la démocratie dans un cadre proprement kurde. Et si le Rojava est considéré comme source de terrorisme, ce n’est pas tant par l’assimilation avec le PKK, mais pour son caractère démocratique dont l’impérialisme mondial craint qu’il pourrait déborder ailleurs. Quelques observateurs croient assister au "crépuscule de Rojava". Nous considérons que le destin des révolutions comme celle de Rojava n’est pas scellé par des revers subis à un moment donné, qu’ils soient dus à des rapports de forces objectivement défavorables, à des erreurs d’appréciation subjectifs, ou des errements théoriques de la part de certains personnalités. Les facteurs sous-jacents qui provoquent la résistance et alimentent la volonté de lutte persistent, mais la lutte devra être de longue haleine.

*

Nous saluons le courage des combattantes et combattants kurdes qui restent inflexibles face au rapport de forces qui est défavorable compte tenu en particulier des moyens aériens dont dispose la Turquie.

Vive la lutte de libération nationale du peuple kurde!

Vive la lutte des populations arabe, assyrien et kurde de Syrie pour la liberté!

À bas la politique guerrière de la Turquie et de l’impérialisme international au Moyen-Orient!

À bas le régime réactionnaire d’Erdoğan en Turquie!

Fin octobre 2019

ROCML

 



[1]. U.S. Central Command – CENTCOM : Ce commandement couvre la zone "centrale" du globe située entre les commandements, respectivement, de l’Europe, l’Afrique et l’Inde-Pacifique.

[2]http://www.cumhuriyet.com.tr/haber/turkiye/1626135/Yalniz_adam_durumuna_dusuldu.html

[3]. En mars 2018 s’est tenu à Raqqa, avec la participation de représentants kurdes et arabes, le congrès de fondation du Parti du Futur de la Syrie. Ibrahim al Qaftana été élu président, et Hevrin Khalaf secrétaire général.

[4]https://anfenglish.com/women/ypj-we-are-ready-to-do-whatever-work-or-sacrifice-is-necessary-38695

[5]https://ozgurmanset.net/erdogandan-barzani-tepkisi-irakta-da-durum-berbat/

[6]https://anfenglish.com/kurdistan/withdrawal-of-the-invaders-is-the-only-option-38570