Déclarations de Yasmin Porat,
qui était captive le 7 octobre 2023, au Kibboutz Be’eri

L’entretien a été réalisé par Kan 11, la principale chaine de la Société de Radiodiffusion Publique Israélienne (IPBC selon les initiales en anglais). Initialement l’enregistrement n’a pas été publié dans le cadre de l’émission à laquelle il était destiné, mais le site Internet "The electronic Intifada" en a pris connaissance et l’a commenté. Finalement Kan 11 a publié l’entretien et il s’est avéré que la première diffusion constituait une version quelque peu abrégée. Ci-dessous est reproduite la transcription de la version intégrale[1].

Yasmin Porat avait participé le 7 octobre à la rave party[2] organisée au Kibboutz Kfar Azza. Elle avait fui de l’attaque et s’était réfugiée dans le Kibboutz Be’eri voisin. (Voir au sujet de ces localités quelques informations en annexe .)

L’entretien présenté ici a été suivi par un autre, que nous avons reproduit également ().

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Aryeh Golan [animateur à Kan 11] : Nous avons maintenant avec nous Yasmin du Kibboutz Kabri [où vit Yasmin Porat]. Shalom Yasmin.

Yasmin Porat : Shalom, bonjour.

Aryeh Golan : Vous étiez à cette rave party qui s’est transformée en fête-boucherie.

Yasmin Porat : Vrai.

Aryeh Golan : Vous avez même été tenu en otage pendant deux heures et demie par des terroristes du Hamas.

Yasmin Porat : Vrai. Après la fête, mon partenaire et moi avons fui vers – nous nous sommes retrouvés à – nous sommes restés coincés au Kibboutz Be’eri, cherchant un abri alors que nous ne réalisions pas que des terroristes avaient pénétré. En gros, nous cherchions à nous protéger des [roquettes] Qassams.

Aryeh Golan : Oui.

Yasmin Porat : Nous avons frappé à la porte d’un couple vraiment adorable, les Dagans, Hadas et Adi, et ils nous ont accueillis dans leur pièce de sécurité renforcée. Nous sommes restés avec eux dans la pièce de sécurité renforcée pendant six à huit heures. Dans une grande peur, car nous savions qu’il y avait une pénétration d’une centaine de terroristes dans le kibboutz. Et les coups de feu pouvaient être entendus de toutes les directions. Jusqu’à ce que nous arrivions à la phase où ce couple nous informe que les terroristes sont juste dans la maison d’à côté. Et il semble qu’ils vont venir à nous. Et en fait, à peine cinq minutes plus tard, toute la maison est fracassée. Et pendant une heure nous parvenons à les empêcher de pénétrer dans notre pièce de sécurité renforcée. Et pendant une heure, une dizaine de terroristes cognent contre la pièce de sécurité renforcée. Des cris en arabe. C’était une heure très tendue. Et nous avons ressenti une grande peur indescriptible. Au bout d’une heure, ils ont réussi à entrer par effraction et nous ont emmenés tous les quatre dans une maison voisine où se trouvaient déjà huit autres otages supplémentaires. Nous avons rejoint ces huit personnes et nous étions environ 12 otages avec 40 terroristes qui nous gardaient. J’abrège l’histoire.

Aryeh Golan : Vous ont-ils maltraité?

Yasmin Porat : Ils ne nous ont pas maltraités. Ils nous ont traités très humainement, c’est-à-dire…

Aryeh Golan : Humainement ? Vraiment?

Yasmin Porat : Oui, je veux dire par là qu’ils nous gardent. Ils nous donnent à boire ici et là. Quand ils voient que nous sommes nerveux, ils nous calment. C’était très effrayant mais personne ne nous a traités violemment. Heureusement, rien ne m’est arrivé comme ce que j’ai entendu dans les médias.

Aryeh Golan : Des choses horribles, horrifiques se sont produites.

Yasmin Porat : Vrai. Mais au bout de deux heures, bref, au départ il n’y avait aucune force de sécurité [israélienne] avec nous. C’est nous qui avons appelé la police ensemble avec les ravisseurs parce que les ravisseurs voulaient que la police arrive. Parce que leur objectif était de nous kidnapper vers Gaza. Pas pour nous assassiner.

Aryeh Golan : Mm hm.

Yasmin Porat : Et après avoir passé deux heures avec les ravisseurs, la police arrive. Une fusillade a lieu, déclenchée par notre police. Une fusillade très très difficile, au regard de la quantité de munitions qui y volaient. Et à la fin… non, pendant [la bataille], un des terroristes décide de se rendre, le terroriste avec qui j’ai établi un lien. Au cours de ces deux heures, j’ai établi un lien avec certains des ravisseurs, ceux qui gardaient les otages.

Aryeh Golan : Oui

Yasmin Porat : Et il décide de m’utiliser comme bouclier humain. Il décide de se rendre. Je n’en ai pas conscience à ces moments-là, c’est rétrospectivement. Il commence à se déshabiller, il prend – il m’appelle et il commence à quitter la maison avec moi, sous le feu. À ce moment-là, j’ai crié aux YAMAM[3] [commandos israéliens] alors que nous étions déjà – quand ils peuvent m’entendre, d’arrêter de tirer.

Aryeh Golan : Oui

Yasmin Porat : Et puis ils m’entendent et arrêtent de tirer. Je vois sur la pelouse, dans le jardin, celui des gens du kibboutz. Il y a cinq ou six otages étendus par terre à l’extérieur, comme des moutons à l’abattoir, entre les tirs de nos [combattants] et ceux des terroristes.

Aryeh Golan : Les terroristes les ont abattus?

Yasmin Porat : Non, ils ont été tués par des tirs croisés. Comprenez qu’il y a eu des tirs croisés très, très intenses.

Aryeh Golan : Nos forces pourraient donc les avoir abattus?

Yasmin Porat : Sans aucun doute.

Aryeh Golan : Quand ils ont essayé d’éliminer les ravisseurs, le Hamas ?

Yasmin Porat : Ils ont éliminé tout le monde, y compris les otages. Parce qu’il y a eu des tirs croisés très, très intenses. J’ai été libéré vers 17h30. Les combats apparemment ont pris fin à 20h30. Après des tirs croisés insensés, deux obus de char ont été tirés sur la maison. C’est une petite maison de kibboutz, rien de grand. Vous l’avez vu aux informations.

Aryeh Golan : Oui

Yasmin Porat : Pas une grande place. Et à ce moment-là, tout le monde a été tué. Tout était calme, à l’exception d’un survivant qui sortit du jardin, Hadas.

Aryeh Golan : Comment ont-ils tous été tués ?

Yasmin Porat : Par les tirs croisés.

Aryeh Golan : Des tirs croisés, donc cela pouvait aussi venir de nos forces?

Yasmin Porat : Sans aucun doute.

Aryeh Golan : Vraiment ?

Yasmin Porat : C’est ce que je crois.

Aryeh Golan : Oy, ça a l’air si mauvais..

Yasmin Porat : Oui. Et tout le monde est mort.

Aryeh Golan : Et vous, grâce à ce terroriste qui a décidé de se rendre…

Yasmin Porat : Exactement.

Aryeh Golan : Et vous avez survécu et tous les autres ont été tués là-bas.

Yasmin Porat : À l’exception d’une autre femme qui a survécu, ils l’ont retrouvée plus tard [la voix se perd]. La personne qui s’est occupée de l’évènement l’a vérifiée ou quelque chose du genre. Ils l’ont trouvée quand elle a levé sa tête, parmi tous les corps. Et puis, simplement…

Aryeh Golan : Et votre partenaire, qui était avec vous?

Yasmin Porat : Tuée.

Aryeh Golan : Il a été tué aussi?

Yasmin Porat : Oui. Tout le monde y a été tué. Tout simplement horrible.

Aryeh Golan : Êtes-vous retourné à Kabri?

Yasmin Porat : Je suis retournée à Kabri et c’est là que le chaos a commencé.

Aryeh Golan : Dans le Nord ?

Yasmin Porat : Oui. Alors maintenant, je suis un invité. Je suis hébergé de manière charmante au Kibboutz Ein Harod. Et je suis là pour l’instant.

Aryeh Golan : Vous êtes maintenant dans la vallée [de Jezreel]. Donc, voilà, Yasmin, vous avez vécu une expérience horrifique.

Yasmin Porat : Vrai.

Aryeh Golan : Vous avez perdu votre partenaire, vous avez vu des gens tués à vos côtés.

Yasmin Porat : Et moi…

Aryeh Golan : [interrompt] Qu’est-il arrivé à ce terroriste qui s’est rendu?

Yasmin Porat : Il est toujours arrêté, et il vient d’être convoqué pour un interrogatoire pour aider… Vous savez, il sera interrogé sur les accusés. Et malheureusement, des dizaines d’autres de mes amis ont été tués parce que…

Aryeh Golan : [interrompt] Des dizaines d’amis ?

Yasmin Porat : Oui parce que c’est une communauté, la scène trance, on va aux mêmes fêtes. Cela veut dire qu’outre mon partenaire, je connaissais des dizaines et des centaines d’amis, et chaque jour j’apprends qu’au moins 10 de mes amis sont décédés. Donc je ne sais même pas comment digérer cette situation.

Aryeh Golan : C’est très difficile à digérer car cela n’est jamais arrivé auparavant.

Yasmin Porat : Vrai, exactement ça.

Aryeh Golan : Bonne chance à vous Yasmin.

Yasmin Porat : Merci beaucoup.

Aryeh Golan : Tenez bon.

Yasmin Porat : Merci, merci.

Aryeh Golan : Après tout ce que vous avez vécu.

Yasmin Porat : Merci beaucoup. Bye Bye.

Aryeh Golan : Bye.

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Un témoignage publié par le journal israélien Haaretz ajoute des éléments à celui de Yasmin Porat[4]. Il provient d’un homme du nom de Tuval qui vivait au Kibboutz Be’eri, mais était absent le 7 octobre. Haaretz rapporte :

Selon lui [Tuval], ce n’est que lundi soir [9 octobre] et seulement après que les commandants sur le terrain ont pris des décisions difficiles ‑ y compris le bombardement de maisons avec tous leurs occupants à l’intérieur afin d’éliminer les terroristes ainsi que les otages ‑ que Tsahal[5] [l’armée israélienne] a commencé à achever la prise du kibboutz. Le prix à payer fut terrible : au moins 112 gens de Be’eri furent tués. D’autres ont été kidnappés. Hier, 11 jours après le massacre, les corps d’une mère et de son fils ont été découverts dans l’une des maisons détruites. On pense que d’autres corps gisent encore dans les décombres.

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Annexe

Historiquement la zone à l’est/sud-est de la bande de Gaza était occupée par des populations tribales. À partir de 1948 ces populations ont subi et subissent dans l’actualité, elles aussi, la politique appliquée par le régime sioniste à ce qui est devenu la Cisjordanie. Elles sont systématiquement exposées à des mesures les privant de leurs espaces de vie et les évinçant progressivement.

 

 

 

Deux types d’implantations sionistes ont été développés : d’une part des "villes nouvelles" destinées à accueillir les Juifs nouvellement immigrés (Sderot, Netivot, Ofakim), d’autre part des colonies formées par des Israéliens. Pour ces dernières la présentation par les médias met en avant le fait qu’ils ont le caractère de kibboutz. Cependant ‑ sans aller dans les détails des kibboutz de l’époque initiale ‑, il faut signaler que les localités apparaissant sur la carte ci-dessus à droite (kibboutz et mochavs, ce dernier terme désignant des coopératives agricoles) ont été fondées à partir de 1946 et dans le contexte des expulsions consécutives à la guerre de 1948 : Be’eri en 1946, Mageb en 1949, Kfar Aza et Nahal Oz en 1951. En particulier le kibboutz Re’im a été fondé à l’issue de la guerre de 1947-1949. Il était constitué au départ de trois groupes de jeunes "pionniers" : des Israéliens, des Marocains et des Belges. Les membres du premier groupe étaient des autochtones issus du Palmach (contraction de Plugot Mahatz, bataillons de choc), le corps d’élite de la Haganah (l’armée clandestine sous le mandat britannique).

 



[1]. Source : The electronic Intifada, 23/10/2023 (l’entretien est en hébreux, la transcription présentée par The electronic Intifada est en anglais, nous l’avons traduite en français).

https://electronicintifada.net/content/israeli-forces-shot-their-own-civilians-kibbutz-survivor-says/38861

[2]. Ce type d’évènements avait été importé en Israël des plages de Goa, en Inde, dans les années 1990. En hébreu, iils sont surnommés "fêtes nature".

[3]. L’Unité centrale spéciale pour la guerre antiterroriste (initiales YMM, acronyme YAMAM) a été créée en 1974. Elle fait partie de la Police israélienne et est subordonnée au Commandement général de la Police des frontières.

Le 16 mars 2023, quatre agents infiltrés du YAMAM, soutenus par les renseignements du Shin Bet, l’agence de renseignement israélienne, ont mené une attaque en plein jour au milieu d’une rue résidentielle de Jénine, ciblant et tuant deux hommes palestiniens, Nidal Khazem, 28 ans, et Yousef Shreim, 29 ans, qui auraient été impliqués dans des attaques contre des soldats israéliens. En plus des deux cibles, des agents israéliens ont tué Omar Awadin, 14 ans, et un autre civil, Luay Al-Zughair, qui ont tous deux été abattus lorsque les agents israéliens ont tiré en direction des cibles dans la rue bondée. Des séquences vidéo montrent que Khazem a été touché par la première grêle de balles, tandis que Shreim a réussi à s’enfuir avant que les agents du YAMAM ne lui tirent dessus et ne le tuent. Des séquences vidéo montrent ensuite un agent israélien tirant à bout portant sur Khazem dans la tête alors qu’il était déjà allongé face contre terre, un cas évident d’exécution extrajudiciaire.

[4]Haaretz, 20/10/2023 (édition en hébreu). Reproduit selon le site Internet Mondoweiss.

https://mondoweiss.net/2023/10/a-growing-number-of-reports-indicate-israeli-forces-responsible-for-israeli-civilian-and-military-deaths-following-october-7-attack/

[5]. Tsahal : initiales de Tsva ha-Haganah le-Israël (Force de défense d’Israël).