Interview de Cemil Bayık
sur la situation en Syrie
en rapport avec la lutte de libération des Kurdes

Cemil Bayık est membre fondateur du PKK et coprésident du conseil exécutif du Koma Civakên Kurdistan (KCK). Nous présentons ci-après une interview effectuée en février 2019. Cette interview a été initialement publiée en allemand sur le site "Lower Class Magazine", puis une version en turc a été publiée sur le site de l’agence de presse Ajansa Nûçeyan a Firatê[1]. Nous nous sommes basés principalement sur la version allemande, que nous avons traduite en français, et à titre subsidiaire nous avons consulté la version turque.

Nos propres appréciations politiques ne coïncident pas en tous points avec celles présentées par C. Bayık. Mais l’interview apporte des éléments importants, d’une part en tant qu’exposé de l’analyse propre au PKK, d’autre part parce qu’elle réfute certaines critiques erronées, voire malveillantes, qu’on rencontre au sujet des rapports établis par les forces kurdes en Syrie avec les USA[2].

Pour aider à la bonne compréhension des analyses développées par C. Bayık, nous avons ajouté des annotations explicatives.

Rassemblement Organisé des
Communistes Marxistes Léninistes

Roc.ml@laposte.net          https://rocml.org

Juin 2019

 

(Texte disponible sous forme de fichier PDF)

En premier lieu, la question se pose de savoir ce que le retrait des troupes US de la Syrie signifie pour la situation dans la région. Comment jugez-vous ce retrait? Est-ce que, comme l’analysent beaucoup de médias occidentaux, la stratégie US au Moyen Orient se modifie?

En effet, depuis la crise du Golfe de 1990-1991 et la guerre qui a suivi, des changements considérables ont eu lieu dans le monde ainsi qu’au Moyen et au Proche-Orient. La dislocation de l’ex-Union soviétique et le nouvel ordre mondial marqué par une stratégie nouvelle des USA, en constituent le cadre. Les USA ont agi politiquement au niveau global, mais ils se sont toujours focalisés sur le Moyen-Orient.

Par la première guerre du Golfe les USA ont tenté de contrôler le Moyen-Orient. Simultanément, la guerre devait porter un coup d’arrêt au mouvement de libération kurde dans le Kurdistan Sud[3]. Après les attentats du 11 septembre 2001 par Al‑Qaïda, les guerres contre l’Afghanistan et l’Irak ont déclenché une nouvelle attaque contre le Moyen-Orient. Il s’agissait là d’une intervention directe. L’objectif était de placer sous le contrôle direct des USA les régions les plus marquées par des contradictions et des conflits, comme l’Afghanistan et l’Iraq. La politique US dans les années 1990 visait à maintenir la lutte de libération kurde à l’écart du Kurdistan Sud et à la circonscrire au Kurdistan Nord. Cela a conduit au complot international contre le président Abdullah Öcalan dans l’intention d’anéantir le PKK ainsi que le mouvement de libération kurde, et de parachever le génocide perpétré contre les Kurdes.

Dans ce contexte, nous avons été confrontés à des attaques intenses. Étant donné que les succès que celles-ci produisaient restaient modérés, et que des développements nouveaux sont advenus au Moyen-Orient, la stratégie US a stagné à cet égard. Ce n’est qu’avec les soulèvements populaires dans le monde arabe à partir de 2010, qu’un nouveau processus s’est fait jour. Du Soudan à l’Égypte, les révoltes se sont propagées comme une trainée de poudre dans tous les pays arabes, et se sont finalement concentrées sur la Syrie. Ici, s’est produit un conflit d’envergure. Les interventions des USA, de la Turquie et de quelques autres pays en Syrie depuis 2011 sont, à vrai dire, restées sans succès. Plus précisément, l’intervention des Frères musulmans, qui se sont alliés aux forces de l’Armée syrienne libre (ASL), n’a donné aucun résultat. L’alliance s’est même disloquée en ses composantes individuelles.

Juste à ce moment, un nouveau groupe d’attaque qui s’appelait État islamique (EI) a émergé. Il a été dit que ses opérations avaient pour objectif de diviser l’Irak et la Syrie en trois parties. Les attaques ont commencé en direction de Mossoul et ont rapidement menacé Bagdad. En Syrie, ces forces ont attaqué Raqqa et sont devenues une menace pour Damas. En fin de compte, l’EI a été empêché d’envahir Bagdad et Damas et son regard s’est tourné vers le Kurdistan. Au Kurdistan Sud, étaient visées les localités de Shengal, Makhmour, Erbil et Kirkouk. Plus tard, à partir du 15 septembre 2014, l’EI a dirigé ses forces sur Rojava, spécifiquement vers la ville de Kobanê. Avec l’EI le génocide contre les Kurdes devait être mené à son terme.

Face à cela, le mouvement de guérilla dirigé par le PKK a opposé une résistance significative à Shengal et à Makhmour. Cette résistance s’est transformée après le 15 septembre 2014 en une campagne de défense contre les attaques visant Kobanê, et par la suite s’est développée dans tout le Kurdistan une défense des Kurdes et de la révolution à Rojava[4].

Après que le PKK eut battu l’EI à Shengal et à Makhmour et put repousser les attaques de l’EI, bien qu’avec quelques difficultés, aussi à Kobanê, les USA et d’autres grandes puissances décidèrent face à la nouvelle situation d’organiser une alliance commune contre l’EI, afin de soutenir cette résistance. Du point de vue de notre action, nous avons considéré cela comme important et précieux. Nous avons évalué cette coalition étendue, qui est née dans un tel cadre, comme une attitude commune contre le fascisme.

Les forces de libération de Rojava ont réussi à transformer cela en une alliance, en suivant une politique prudente. Ainsi la coalition anti-EI est née. Cette alliance a contribué au sauvetage du centre-ville de Kobanê en janvier 2015. En mai, les zones rurales de la ville ont également été libérées. Le fascisme de l’EI a subi ici sa première défaite majeure. Cela ne s’est pas limité à Kobanê, dans d’autres régions du Kurdistan et de l’est de la Syrie aussi, les forces de la coalition ont frappé afin d’aller vers une victoire complète sur l’EI. Le 18 octobre 2017, la capitale autoproclamée de l’EI, Raqqa, a été libérée. Cela donna le coup de grâce à l’EI, car avec la défaite dans son fief, il perdit sa force politique et militaire. Cette victoire historique a été rendue possible par la coalition anti-EI, et les Kurdes ont véritablement attaché une grande importance à cette alliance.

En outre, ils portaient la charge la plus lourde dans ce combat. Ils ont mobilisé leurs propres combattantes et combattants bien au‑delà du Kurdistan pour libérer les territoires arabes du fascisme de l’État islamique. Ils n’ont pas hésité à voir leurs filles et leurs fils tomber en martyrs dans ce combat. Certes les USA ont participé à la coalition anti-EI à partir de fin 2014, cependant ils ont joué un double jeu. Le 22 juillet 2015 se mit en place un accord entre les USA et la Turquie, qui prétendument faisait de la Turquie un membre de la coalition anti-EI[5]. Mais la Turquie n’a jamais pris part à des combats contre l’EI, ni à Rojava ni dans le reste de la Syrie. Il ne s’agissait que d’un accord bilatéral entre les USA et la Turquie. Ce n’était pas une alliance contre l’EI mais un accord visant à dégager, en faveur de la Turquie, le chemin pour des attaques contre le PKK. Le 24 juillet, des avions de combat turcs ont bombardé des positions du PKK. Des frappes aériennes ont été effectuées sur le Kurdistan et sur des forces armées déployées contre l’État islamique. À partir de là, le caractère mensonger des allégations devenait tout à fait évident.

Cette prétendue coalition contre l’EI était une imposture. Aucun autre État ne l’a rejointe. Elle était née comme une alliance entre les USA et la Turquie. Puis, lorsque Raqqa a été libéré en octobre 2017 et l’État islamique y a été vaincu, s’est produit progressivement un affaiblissement de la coalition formée dans la lutte contre l’EI. Au lieu de se tourner vers la coalition qui se bat contre l’EI et de la renforcer, les USA ont favorisé la coalition anti-PKK.

Tous les actes de violence contre le PKK, et les massacres perpétrés au Kurdistan par le gouvernement turc au cours de cette période, ont eu lieu avec l’accord et le soutien des USA. Par ailleurs, la Turquie a utilisé ses relations avec l’Iran et la Russie pour faire davantage pression sur les USA. Le retrait des forces US de la Syrie et du Rojava est donc en réalité le résultat d’un processus engagé déjà en 2015.

Les USA n’ont jamais agi selon une voie unique. Ils ont toujours gardé cette alternative ouverte. Le retrait des troupes américaines de la Syrie n’est donc pas une affaire extraordinaire. Les USA sont effectivement venus en Syrie à cause de la résistance à l’EI. C’est la résistance kurde qui a entrainé les activités US en Syrie.

Les USA n’ont participé à la guerre qu’avec leurs forces aériennes, ils n’y avaient aucune présence militaire significative, ni de forces terrestres effectives. Ce sont les Forces démocratiques de Syrie qui, avec leurs troupes terrestres, ont assuré la défense du pays. Celles‑ci ont été incarnées par les YPG/YPJ, par les combattantes et combattants kurdes qui ont acquis la suprématie dans la région. En ce sens, ce n’est pas comme si le retrait des soldats US créerait un vide qu’il faudrait combler. Le véritable problème est de savoir dans quelle coalition, entre les deux, les USA continueront d’être présents. Il semble qu’ils se tournent vers l’alliance pseudo-anti-EI avec la Turquie.

Les USA sont au Moyen-Orient une puissance significative qui ne peut pas simplement se retirer. Le Pentagone craint notamment que, avec ce retrait, il deviendrait impossible de poursuivre des activités militaires au Moyen-Orient. Or, le président US a d’autres priorités, de politique intérieure. Aux élections de mi‑mandat de novembre 2018, le Parti républicain auquel appartient le président a subi une défaite à la Chambre des représentants. Les perspectives pour l’élection présidentielle à venir dans deux ans étant plutôt médiocres, la politique est en cours de refonte. La déclaration du président Trump selon laquelle il retirera des troupes est adressée au peuple US. C’est de la propagande électorale et vise à faire bonne impression.

En outre, avec le retrait se renforce l’alliance avec la Turquie. La Russie a alimenté le conflit entre la Turquie et les USA. Les USA essaient de neutraliser cette tactique de la Russie en stabilisant leurs relations avec la Turquie.

Voyez-vous des liens entre cette stratégie et la prime que les USA ont mise sur vous, Murat Karayılan et Duran Kalkan[6]?

Avec la prime et l’embargo renforcé contre l’Iran, qui résultent tous deux d’une conversation du secrétaire d’État américain avec le gouvernement turc, les USA tentent de consolider leurs liens avec la Turquie, d’attirer l’Irak et la Turquie de leur côté, ainsi que d’y ajouter les Kurdes et par là augmenter la pression sur l’Iran. C’est pourquoi ils soutiennent également le régime AKP-MHP[7], hostile aux Kurdes et fasciste. C’est l’occasion pour la République turque et l’alliance Erdoğan-Bahçeli[8] actuellement au gouvernement, de mettre en pratique plus efficacement leur stratégie historiquement antikurde et génocidaire.

D’une part, le régime turc intensifie ses actions de violence contre le peuple kurde et les combattants de libération dans les zones de défense dites Medya (Kurdistan Sud)[9]. D’autre part, il tente de présenter les Forces démocratiques syriennes (FDS) comme terroristes et de les éliminer afin de mettre fin à la révolution à Rojava. Comme pour la guerre d’occupation contre Afrin le 20 janvier 2018, les plans d’occupation de Manbij, Kobanê, Tall Abyad et Rojava devraient maintenant être mis en pratique. Donc, on ne peut pas dire que les USA se retirent de la Syrie ou du Moyen-Orient. C’est plutôt qu’ils changent de tactique et s’éloignent de la coalition victorieuse anti-EI. Maintenant, ils soutiennent le régime AKP-MHP, qui attaque les Kurdes, qui étaient les fers de lance dans la lutte contre le groupe EI.

Des pays européens comme l’Allemagne, la France et la Grande-Bretagne ont critiqué cette décision. Également aux USA, le Pentagone, le département d’État et le Sénat ont laissé entendre des critiques. Cela a mis la pression sur le gouvernement US et, au bout de quelques jours, il s’est montré rassurant en promettant de protéger les Kurdes et de ralentir la retraite. Ces déclarations sont incohérentes et vacillantes. Elles témoignent d’une attitude manipulatrice, pragmatique et contradictoire. Les responsables ne s’en tiennent pas aux alliances et aux partenariats et prennent des décisions personnelles et non concertées.

L’accord avec le gouvernement AKP-MHP s’apparente à une alliance avec l’EI ou Al‑Qaïda. Car l’EI a été soutenu par la Turquie, quant à l’Al‑Qaïda en Syrie il s’agit d’une organisation de l’AKP-MHP. À Idlib, le Front Al‑Nusra a pris le contrôle. C’est le bras syrien d’Al‑Qaïda. Il est protégé et alimenté par l’AKP-MHP. Ils l’ont amené au pouvoir à Idlib. Ce sont les partenaires alliés des USA. Prétendument les USA ont auparavant combattu ce type de groupes en alliance avec les Kurdes. Ils entrent maintenant dans une alliance avec la Turquie. Cela équivaut à un soutien à l’Al‑Qaïda ou l’EI. Cela équivaut à une déclaration de guerre contre les Kurdes qui ont combattu l’EI. On dit que les USA se comporteraient de cette manière afin d’utiliser la Turquie contre l’Iran. En retour, l’État turc veut utiliser les USA dans son génocide contre les Kurdes. Ce sont des relations d’intérêt basées sur une mise à profit mutuelle. Les USA semblent avoir décidé de procéder ainsi. Bien sûr, du point de vue de l’évolution de la situation au Moyen-Orient, cela serait erroné et dangereux. Se basant sur une telle attitude, la guerre au Moyen-Orient ne peut prendre fin et le fascisme ne peut être vaincu. Au contraire, les génocides, les guerres, les confrontations et conflits continueront sans relâche. En fin de compte, on en vient inévitablement à la conclusion que les USA ne veulent pas mettre fin à la guerre et ne veulent pas de stabilité. Au contraire : les conflits devraient continuer et s’intensifier, confrontation, guerre et chaos devraient persister, afin qu’ils puissent poursuivre leur domination.

On remarque que les USA, tout en déclarant se retirer de la Syrie, se montrent en même temps encore plus agressifs envers l’Iran. Comment évaluez-vous cette escalade? Les USA se préparent-ils à une guerre contre l’Iran?

Les USA ont déclaré que l’Iran et la Syrie étaient l’axe du mal[10]. Pour lutter contre l’axe du mal, ils voulaient, depuis 2006, s’allier à l’Irak et à la Turquie et avoir les Kurdes de leur côté. Cette stratégie a été développée après les élections aux USA de 2006 par une commission républicaine et démocratique[11]. Ensuite, ont commencé les efforts à détruire toute force faisant obstacle à cette stratégie. L’une de ces forces était l’état-major de la Turquie, selon l’orientation de Yaşar Büyükanıt et İlker Başbuğ[12]. Leur orientation a été tenue en échec, en les conduisant à s’engouffrer dans le combat contre le PKK. En revanche, les USA craignaient le PKK. Ils ont vu que le PKK empêcherait les Kurdes de participer, selon leur stratégie, à cette alliance. C’est pourquoi ils voulaient affaiblir le PKK, mais ils n’ont pas réussi. Au contraire, le PKK est sorti renforcé de la guerre de 2008. Ensuite, le conflit syrien a commencé et a dominé les évènements. Initialement, les USA et la Turquie préféraient les Frères musulmans et chacun essayait de les organiser en tant qu’ASL. Cependant, lorsque le bras égyptien de la Fraternité s’opposa activement à la politique américaine et voulut utiliser l’Égypte comme champ politique, les USA changèrent de stratégie. Le coup d’État militaire contre le gouvernement en Égypte était le résultat. La politique syrienne a également changé. Il s’est avéré que la politique basée sur les Frères musulmans, dirigée contre le gouvernement Baath, ne donnerait pas de résultats. L’idéologie de Tayyip Erdoğan est la même que celle des Frères musulmans, autant comme politique que comme mentalité. Erdoğan considère Morsi[13] et les Frères musulmans en Syrie comme ses frères. Son gouvernement a soutenu les Frères musulmans. Il s’en est donc suivi le conflit entre les USA et la Turquie.

Cette contradiction a conduit à la fin de l’ASL, qui a été littéralement écrasée. Alors que les Frères musulmans s’affaiblissaient, Al‑Qaïda a fait surface, et en tant que contreprojet a débuté l’ascension de l’EI. Après que le front de résistance kurde s’est rebellé contre l’EI et Al‑Qaïda et a pu empêcher l’avancée de ces groupes, la résistance kurde et les USA se sont orientés vers une alliance, une coalition contre le fascisme de l’EI, à la fin de 2014. Si les USA en avaient eu l’occasion, ils auraient poursuivi leurs intérêts, en l’occurrence la victoire sur l’EI, avec d’autres alliés. Mais seule la résistance kurde pouvait ralentir l’EI et Al‑Qaïda, et aux USA ne restait d’autre possibilité que de conclure une alliance avec les forces kurdes.

Puis la situation de la Syrie est devenue encore plus compliquée à cause de la Russie et de l’Iran. Actuellement sur le plan militaire la Syrie est divisée en trois parties. Il y a les territoires contrôlés par les forces de Bachar al‑Assad, le Rojava contrôlé par des forces démocratiques et le territoire syrien sous le contrôle de l’armée turque. Ce dernier comprend Cerablus, al‑Bab, Afrin et Idlib, c’est là que se trouve l’armée EI-AKP-MHP. Ce sont des alliés. Bien qu’il y ait des contradictions entre eux, ils agissent extérieurement comme un front commun, l’AKP et le MHP formant le centre[14]. Maintenant que la Syrie se trouve dans cette situation, la Turquie ne voit plus aucune issue. Elle voulait intensifier la guerre en vue d’un dénouement en sa faveur en Syrie. Tous les pourparlers et négociations, à Astana, à Sotchi, à Genève, ont abouti à chaque fois à une impasse. En conséquence, les USA se sont retournés contre l’Iran pour ouvrir une perspective. De fait, l’Iran est un acteur majeur en Syrie, notamment en raison de ses relations avec la Russie. En vue d’une solution en Syrie dans le sens recherché par les USA, il faut donc repousser l’Iran. Cependant, l’Iran n’est pas le seul frein à la paix en Syrie. Le véritable obstacle est la Turquie. Les USA ne voient pas cela. Les USA veulent affaiblir l’Iran en s’appuyant sur la Turquie. Comme si la seule force empêchant une solution au conflit syrien était l’Iran, ils insistent sur une intervention contre l’Iran.

Le renforcement des embargos contre l’Iran, annoncé le 5 novembre 2018, représente une escalade de cette stratégie. Les USA vont augmenter la pression sur l’Iran. Mais les choses ne prendront pas le même cours comme c’était le cas en Syrie, en Égypte ou dans d’autres pays. Les conditions en Iran sont différentes. Pour le moment, les USA interviennent avant tout économiquement. En tout état de cause, les activités de renseignement US sont en augmentation et il se pourrait aussi qu’en en Iran se dessinent des signes d’un coup d’État. Nous ne savons pas quelles méthodes se profileront, mais les USA veulent intensifier la lutte contre l’Iran et veulent que tout le monde soit à leurs côtés.

Quelle est la position du mouvement de libération kurde dans le cas d’une guerre US contre l’Iran?

Une telle guerre n’est pas dans l’intérêt des Kurdes. Dans un tel cas, les USA parieront sur la Turquie et feront de nouvelles concessions. Le gouvernement AKP-MHP, s’appuyant là‑dessus, veut toujours commettre des massacres, accomplir le génocide contre les Kurdes. Par conséquent, la priorité des Kurdes aujourd’hui est de détruire la dictature fasciste de l’AKP-MHP. Car cette dictature maintient l’EI et Al‑Qaïda en vie. Elle est un ennemi de la démocratie, un ennemi des Kurdes et menace l’Europe, les USA et le monde entier. Le despotisme AKP-MHP est la force la plus réactionnaire et la plus dangereuse de notre époque. C’est vrai pour les Kurdes, mais aussi pour toute l’humanité. Les politiciens européens ne le savent que trop bien. Ils ont vu ce danger du fait des attaques de l’EI et d’Al‑Qaïda. La stratégie du gouvernement des USA d’ignorer ce fait et de mettre l’Iran au pilori n’est pas dans l’intérêt des peuples du Moyen-Orient, des Kurdes, des communautés européennes et de l’humanité. Car une telle politique renforce la dictature fasciste du régime AKP-MHP et, partant, des organisations telles que l’EI et Al‑Qaïda. À cet égard, la résistance kurde déclare : la menace est constituée par l’EI et Al‑Qaïda, et leur mentor et leur commandant c’est la dictature de l’AKP-MHP. Par conséquent, la coalition anti-EI devrait être une coalition anti-AKP. La lutte contre l’EI et Al‑Qaïda devrait se poursuivre comme une lutte contre AKP-MHP. Les USA, cependant, dépendent d’Erdoğan et de la dictature de l’AKP-MHP pour leur lutte contre l’Iran.

Nous connaissons l’attitude de l’Iran, sa mentalité ainsi que sa stratégie, en particulier vis‑à‑vis de la question politique kurde et des Kurdes. Nous savons comment la résistance des Kurdes a été brisée par l’alliance ottomane-iranienne et comment au 20e siècle, l’alliance irano-turque a brisé le soulèvement kurde. À présent, les gouvernements turcs et iraniens s’unissent dans une politique antikurde, bien qu’ils ne puissent se mettre d’accord sur aucun autre sujet. L’Iran est une menace pour les Kurdes et le Moyen-Orient. Mais la menace la plus urgente à l’heure actuelle émane de l’EI et d’Al‑Qaïda, ainsi que du pouvoir fasciste de l’AKP-MHP qu’ils soutiennent. Par conséquent, le premier objectif devrait être la destruction du pouvoir AKP-MHP. Il y a des forces kurdes qui n’ont aucune vision idéologique ou stratégique. Elles se trouvent quelque part au milieu et s’orientent selon des intérêts quotidiens. Elles se placent sous l’influence tantôt des USA, tantôt de l’Iran. Ces forces sont dangereuses. Jetons un coup d’oeil à la politique du PDK et de l’UPK[15]. Ils n’ont aucune position stratégique. Ni en ce qui concerne l’existence des Kurdes, ni leur liberté, ni la démocratie au Moyen-Orient. Le PKK, de son côté, a une position stratégique en ce qui concerne l’existence et la liberté du peuple kurde. Il est convaincu que cela est possible avec un Moyen-Orient démocratique. Il adhère aux nécessités de cette théorie et de cette stratégie. Actuellement, la dictature de l’AKP et du MHP représente la plus grande menace pour cette stratégie.

Ils ont fait souffrir à l’extrême la société du Kurdistan Nord sous des massacres. Ils n’ont respecté aucun droit. Ils détiennent des députés et des maires. Ils ont éliminé toutes les administrations élues kurdes. Des dizaines de milliers de représentants politiques kurdes sont en prison. Chaque jour, il y a des dizaines de meurtres. Contre cela, des députés organisent actuellement la résistance par des grèves de la faim dans les cachots. Chaque jour, des avions de combat turcs avec des armes de l’OTAN bombardent des régions du Kurdistan Sud. Afrin a été occupé suite à l’invasion déclenchée par la Turquie le 20 janvier 2018 et il ne reste plus de Kurdes à Afrin, dont la population était kurde dans sa totalité. Erdoğan a perpétré un massacre à la vue du monde et a éliminé la présence kurde et détruit l’héritage kurde en Afrin. C’est ce qu’il veut faire aussi avec les autres villes de Rojava. Chaque jour, de façon menaçante, il déploie toute son armée à la frontière. Il bombarde, fait intervenir les chars et l’artillerie lourde et agite la menace d’une invasion. Comment les Kurdes dans cette situation pourraient-ils donner la priorité à la lutte contre l’Iran et, qui plus est, aux côtés de la Turquie? Maintes fois nous avons déclaré une trêve et essayé d’élaborer une solution démocratique avec la Turquie. L’actuel administration AKP-MHP s’est fixé l’objectif d’anéantir les Kurdes. Si les USA s’associent à ce gouvernement, ils se retrouveront alignés sur la position hostile aux Kurdes et c’est une ligne de conduite que les Kurdes ne rejoindront jamais.

Certes, les menaces proférées par le gouvernement turc à l’encontre du mouvement de libération kurde et plus particulièrement du Rojava ne sont pas nouvelles, mais elles deviennent plus agressives. Dans quelle mesure envisagez-vous la possibilité d’une invasion à grande échelle de la Turquie à Rojava?

Les menaces de la Turquie contre le Rojava ont différentes motivations. Commençons par dire que les Kurdes jouissent d’un statut d’autonomie dans le Kurdistan Sud et résistent depuis 40 ans contre l’occupation dans le Kurdistan Nord. Cette résistance exigeait un prix élevé, mais elle n’a jamais pu être brisée. Quoi qu’ait entrepris l’État turc pour massacrer et opprimer les Kurdes, il ne pouvait pas faire taire les Kurdes au Kurdistan Nord. De surcroit, les évènements survenus au Kurdistan Ouest ont conduit à ce que la mentalité et la politique antikurdes et de génocide que représente la Turquie, sont en train de s’effondrer. La Turquie se rend compte que, si le Rojava kurde acquiert un certain statut politique, elle ne sera plus en mesure de persister dans la mentalité et politique fascistes, colonialistes-génocidaires de négation voire destruction des Kurdes sur le territoire de la Turquie. En fait, cette mentalité et politique ne visent pas seulement le Rojava, mais également le Kurdistan Sud. Tayyip Erdogan a exprimé à maintes reprises qu’il considérait le statut des Kurdes dans le Kurdistan Sud comme une erreur qu’il souhaitait inverser. Voilà la base de son attaque contre Rojava. Si les Kurdes du Rojava obtiennent un statut tandis qu’au nord la résistance persiste, cette mentalité et politique n’auraient plus de base d’existence. Il voit qu’il ne pourrait plus les maintenir, et considère qu’il doit d’abord effacer les développements réalisés à Rojava.

Un autre sujet est que l’aide américaine à ces politiques constitue un soutien précieux pour la Turquie. Chaque fois que cette mentalité et cette politique fascistes, colonialistes-génocidaires commencent à chanceler et qu’elles sont sur le point de s’effondrer, elles sont rattrapées et soutenues par les USA. Elles sont ranimées et maintenues en vie et leur déconfiture est ainsi empêchée. Y compris la dernière manoeuvre concernant les alliances des USA l’a montré. Nous observons des comportements similaires parfois aussi en Allemagne, en France et en Grande-Bretagne. L’Allemagne a soulagé la Turquie sur le plan économique. L’administration Merkel a pensé que si la Turquie tombait, elle tomberait avec, et s’est tournée vers une politique profasciste. Mais il n’y a pas d’effondrement de la Turquie. Et au cas où cela arriverait, c’est le fascisme qui s’effondrera, et personne ne devrait craindre cela. Si le fascisme tombe, la Turquie continuera d’exister. Personne ne devrait s’allier à la Turquie fasciste. En outre, la politique de soutien des USA et la main serviable de l’Europe donnent au régime de l’AKP-MHP l’occasion et le motif d’attaquer les Kurdes à tel point. Il sait que peu importe le nombre de massacres ou de génocides commis, les USA et l’Europe seront derrière lui. Ce qui est arrivé à Saddam ne lui arrive pas. L’une des principales raisons pour lesquelles le régime de l’AKP-MHP est si agressif, c’est donc la politique de soutien de la part des USA, de l’Allemagne, de la France et de la Grande-Bretagne. Leur attitude ambigüe vis‑à‑vis de l’existence et de la liberté des Kurdes, ainsi que l’absence de défense de leur revendication de leurs droits démocratiques en tant que peuple, incitent l’État turc à des attaques. C’est pourquoi il menace également Rojava. La Turquie n’a pas d’elle‑même le pouvoir d’aller si loin. Seule l’assistance des USA et de l’Europe font de la Turquie un agresseur.

Il y a aussi un soutien venant de la Russie et de l’Iran. Tous deux sont des pragmatiques et saisissent toutes les occasions possibles pour prendre une longueur d’avance au Moyen-Orient dans le cadre de leurs contradictions avec les USA et l’Europe. L’Iran en particulier, fondé sur son opposition aux Kurdes, peut coopérer avec la Turquie dans presque tous les domaines. La Russie, par contre, est très pragmatique et fonde sa politique sur des évènements d’actualité. La position de la Russie au Moyen-Orient, contrairement à de nombreuses hypothèses, n’est pas forte mais faible. Pour cette raison, la Turquie peut toujours négocier des compromis avec la Russie par le biais de concessions.

La guerre contre le mouvement de libération kurde et son escalade constituent un élément clé de la politique de pouvoir du président turc. Jusqu’où pensez-vous que Recep Tayyip Erdoğan est prêt à aller ‑ et jusqu’où la population turc le soutiendra‑t‑il?

La population de la Turquie était antifasciste, pendant longtemps il n’y avait pas d’hostilité entre peuples. Si on étudie le temps d’il y a 50 à 100 ans, cela devient extrêmement visible. Même si nous regardons dans les années 1970, on voit bien que la Turquie a une attitude ouverte et sociale envers la démocratie dans de nombreux domaines de la vie. Après le coup d’État militaire du 12 mars 1971, une politique spéciale a été poursuivie en Turquie[16]. On voulait changer la mentalité de la société et développer le chauvinisme et le racisme afin de promouvoir l’hostilité envers les peuples[17].

Le nationalisme turc est basé là‑dessus et le MHP le représente encore aujourd’hui. Depuis le coup militaire, il a connu une escalade et a ainsi été introduit à la société. Sur les marchés et les bazars, dans l’éducation, dans la vie quotidienne. Ainsi, sous la forme d’une méthode spéciale de guerre, la mentalité, la pensée et le sentiment de la société ont été modifiés. Par exemple, la région de la mer Noire était la zone la plus ouverte pour la démocratie, maintenant c’est l’espace le plus raciste et nationaliste. De même, la région de l’Égée et de l’Anatolie centrale. Dans la société turque, un sérieux changement de mentalité a prévalu. C’est pourquoi la rhétorique raciste et nationaliste du pouvoir fasciste de l’AKP-MHP trouve le soutien d’une partie de la société en Turquie, qui a subi un lavage de cerveau. En effet, les gens en Turquie ont été endoctrinés avec des sentiments et des pensées fascistes, chauvinistes et racistes.

En outre, l’AKP achète les faveurs de la population[18]. Il donne de l’argent aux gens pour gagner leurs faveurs. D’abord, il a rendu les gens affamés et appauvris. Ensuite, il a distribué de l’argent pour ne pas les laisser périr, et s’est présenté comme sauveur. Les gens ressentaient de la gratitude. Ainsi, la société était soumise à des liens avec le pouvoir et l’État. Il se formait une nouvelle couche sociale. Les voix des femmes pour l’AKP sont également achetées, sinon sans doute aucune femme ne voterait pour un parti qui milite pour l’esclavage des femmes. Il donne des allocations familiales directement aux femmes. La femme, qui n’a jamais eu de telles aides matérielles dans le passé, ressent un lien avec ce pouvoir. L’AKP n’a pas atteint une telle position en défendant la liberté des femmes ou en leur offrant une éducation. Il a simplement acheté leurs votes. Aujourd’hui, le fascisme AKP-MHP a une base de masse, Tayyip Erdogan parle dix heures chaque jour, utilisant sa rhétorique raciste-chauvine, antikurde, pour maintenir cette mentalité et ce soutien de masse. Malgré tout, il n’obtient toujours pas plus de 50 % des suffrages. Une grande partie de la société turque reste encore antifasciste et intervient en faveur de la paix entre les peuples. Cela est vrai principalement pour les femmes, les jeunes et les travailleurs. Au sujet des dernières élections du 24 juin 2017, il n’est pas exact de dire qu’Erdoğan a remporté la présidence ‑ mais plutôt, qu’il se l’est attribuée.

Quand on se réfère au coup d’État du 12 septembre 1980 [19] et affirme que depuis 1980 sévit sans interruption une guerre civile de 40 ans, c’est une réalité. Si on remonte plus loin, dans les années 1970, on peut parler d’une guerre civile de 50 ans. La société ne veut certainement pas la guerre, elle est contre la mentalité fasciste. Mais le fascisme s’appuie sur sa base, il s’édifie sur elle et sur le pouvoir de l’État et continue ainsi son influence et sa suprématie. La société est structurée de manière à empêcher le développement d’un contrepouvoir et la constitution d’une opposition organisée. C’est pour cela que l’opposition sociale ne se reflète pas dans la politique et ne peut pas se manifester de manière intégrée, puissante. En particulier, le CHP[20], sous la direction de Kemal Kılıçdaroğlu, soutient ainsi le gouvernement de l’AKP-MHP. Il casse et divise le front antifasciste. C’est comme un jeu. Le CHP est prétendument opposé au fascisme, mais en fait il soutient le fascisme dans les moments difficiles. De cette manière, le front antifasciste de la démocratie se trouve entravé et affaibli, sa plénitude est entamée.

Pendant ce temps, la situation a atteint un point plus que critique. Cela est vrai pour les groupes ethniques autant turcs que kurdes. La guerre de 40 à 50 ans était un fardeau très lourd pour tous. Tous les secteurs de la société sont touchés par la guerre et l’oppression. Nous pensons que le régime de l’AKP-MHP ne peut plus endurer cette situation pour longtemps. Ce qu’il faut, c’est un parti dirigeant qui crée une conscience démocratique, une cohésion politique et sociale contre le fascisme. Si cela est réalisé, la société turque ne continuera pas à supporter les fardeaux de cette guerre. Si les USA, l’Europe et la Russie ne soutenaient pas l’AKP-MHP, cette guerre ne pourrait pas être menée un jour de plus. Chacun devrait savoir que la plus grande part du soutien économique provient de l’Allemagne, et le soutien politico-militaire des USA. La France et l’Angleterre offrent leur soutien chaque fois que le régime est en crise et la Russie mène une politique similaire.

Revenons en Syrie. L’annonce du retrait des USA a eu pour autre effet d’intensifier les négociations entre la Confédération démocratique de la Syrie du Nord et de l’Est, le gouvernement syrien et la Russie. Quel est leur but? S’agit‑il d’une alliance tactique à court terme contre un ennemi commun ou a‑t‑elle une perspective à plus long terme? Quel est votre avis sur les perspectives d’avenir des peuples de Syrie et du Moyen-Orient?

Le mouvement de libération kurde indique une solution claire basée sur le confédéralisme démocratique et l’autonomie démocratique, élaborée par le président Abdullah Öcalan. Si nous voulons formuler un plan général, nous l’appelons Démocratie Proche-Orient – Kurdistan libre. Un exemple serait : Turquie démocratique – Kurdistan libre, Syrie démocratique – Kurdistan libre. Nous définissons cette liberté comme autonomie démocratique, c’est‑à‑dire non séparée de l’intégrité des États existants tels que la Turquie ou la Syrie. En effet, nous définissons le Kurdistan comme une société et non comme un État. C’est pourquoi nous comptons sur la solution par l’autonomie démocratique. C’est le système dans lequel la société s’organise et se gère librement tout en s’associant démocratiquement avec d’autres communautés. Les Kurdes, par exemple, devraient mettre en place leurs propres administrations démocratiques en Syrie, mais aussi faire partie de l’unité démocratique syrienne. La même chose s’applique à la Turquie, à l’Irak et à l’Iran. Telle est la solution proposée par le mouvement de libération kurde. Les unités démocratiques de la Syrie, ou mieux, l’autoadministration autonome de la Syrie du Nord et de l’Est s’inscrivent dans cette approche pour une solution.

Sur la base de cette approche elles développent les relations avec la Syrie. Le problème n’était donc pas de savoir quel régime est en place à Damas. C’était une recherche de solution dans l’unité syrienne. Dans les négociations avec Damas, les Kurdes visaient à résoudre le problème kurde sur la base de la démocratisation de la Syrie au sein de l’unité syrienne. Ils seraient entrés en contact avec quiconque. Ils ont également essayé de nouer des relations avec l’opposition, des contacts ont eu lieu de temps à autre, mais l’opposition a rejeté les relations avec les Kurdes de Rojava. À part cela, les Kurdes n’ont évité le contact avec aucune puissance syrienne. Il ne s’agit donc pas d’une approche tactique, mais stratégique. Quel sera le gouvernement au bout du processus, c’est une autre question, mais trouver une solution avec une Syrie démocratique est une manière de procéder bien réfléchie. Bien entendu, une solution devrait également reposer sur le fait que le peuple kurde a le droit de disposer de lui‑même sur la base de l’autonomie démocratique.

Sur cette base, le gouvernement autonome de la Syrie du Nord et de l’Est tente de nouer des liens avec tous, il essaie de conclure des alliances, se réunit et est prêt à vivre ensemble. Néanmoins, il reste que ni le gouvernement Assad, ni aucune autre force avec laquelle un contact a été établi, ne s’inscrivent dans la mentalité démocratique et l’approche politique qui garantiront l’existence et les libertés des Kurdes. Par conséquent, pour le moment, ces étapes restent tactiques et ne se transforment pas en une alliance stratégique. Mais les Kurdes recherchent en cela un plan orienté à plus long terme. Le fait que la solution ne soit pas atteinte, n’est pas dû aux Kurdes, mais à la politique d’autres puissances.

Même si on dit aux Kurdes, allez et séparez-vous de nous, ils ne le voudraient pas. La volonté de coexister avec une Syrie démocratique est stratégique. Tout le monde devrait le savoir. Bien entendu, une telle coexistence n’est possible qu’avec ceux qui ont une mentalité et une politique démocratiques, c’est-à-dire la Syrie démocratique. Une telle alliance ne peut être conclue avec qui que ce soit d’autre.

Naturellement, dans l’actualité ces pourparlers viennent à l’avant-plan à cause du message de retrait des USA. Mais ils étaient à l’ordre du jour même en période de combats intenses. Au vu des circonstances actuelles, une accélération des négociations est compréhensible. Autant les forces syriennes que le gouvernement autonome de la Syrie du Nord et de l’Est ont été contraints de développer de nouvelles approches, d’élaborer des concepts effectifs et d’accélérer les négociations diplomatiques. Il va sans dire que nous recherchons des solutions basées sur notre propre stratégie actuelle. Il y avait également des discussions pendant la guerre d’Afrin. Les Kurdes voulaient amener cette relation à un niveau stratégique, avec toutes les forces syriennes qui approuvent une approche coopérative. Mais elles ne sont pas venues. Une telle volonté démocratique n’existe pas parmi les autres pouvoirs. Ni chez le régime d’Assad ni chez les autres forces syriennes.

La Russie est également un acteur majeur en Syrie et dans l’est de la Méditerranée. La Russie participe activement à la guerre en Syrie, est en désaccord avec les USA et entretient néanmoins des relations avec eux. Par conséquent, la Russie sera la puissance mondiale la plus active dans la région lorsque les troupes américaines se retireront. C’est aussi sur cette base que se placent les relations avec la Russie. Elles non plus, n’existent pas seulement depuis que les USA ont annoncé leur retrait. Depuis le début, il y a toujours eu des relations répétées, des alliances, des contradictions et des conflits à différents niveaux. Lorsque les USA ont annoncé qu’ils se retireraient, les relations et les tentatives d’alliances avec les forces syriennes se sont accélérées pour créer l’Union syrienne démocratique. D’autre part, les relations avec la Russie, qui représente une puissance effective à l’échelle mondiale, sont venues à l’avant-plan.

Jusqu’à présent, nous n’avons pas vu d’approches très positives ni de résultats avancés de la part de la Russie. Nous trouvons la stratégie de la Russie trop à court terme, tactique, et manipulatrice. Nous souhaitons qu’elle puisse être un peu plus tournée vers l’avenir. En ce qui concerne la lutte du peuple kurde pour son existence, et toutes les forces impliquées, il serait préférable d’être plus correct et consciencieux. Dans la situation actuelle, les Kurdes subissent un grave massacre. C’est un combat pour la vie et la mort. Des dizaines de martyrs tombent chaque jour. De nombreuses puissances voient comme enjeu leurs propres intérêts économiques, elles marchandent. C’est inhumain, et orienté dans le mauvais sens. Lorsqu’une partie est confrontée à un génocide, l’attitude de rechercher de simples gains économiques pêche par l’absence de l’aspect juridique, moral, humain. Je lance un appel à tous pour qu’en agissant ils respectent plus l’aspect moral et humain.

À cette occasion, nous pouvons exprimer le fait suivant. De la part de la Russie, la manière de procéder consiste à appliquer une politique focalisée autour des relations et des conflits avec les USA, ainsi qu’une réflexion simplement en termes de profit. Nous supposons que la Russie, lors de l’annonce des USA, a pensé exactement comme le gouvernement AKP-MHP et a vu une opportunité de contrôler les Kurdes. Si c’est le cas, c’est une immense erreur. Premièrement, les Kurdes de Rojava ne sont pas seuls, Rojava-Kurdistan n’est pas seul; toutes les parties du Kurdistan, le peuple kurde et les forces de libération kurdes se tiennent derrière eux. Toute l’humanité et les forces démocratiques se tiennent derrière eux. La coalition anti-EI se poursuit malgré l’avis de retrait des USA. L’Allemagne, la France et la Grande-Bretagne ont déclaré qu’ils continueraient dans la coalition anti-EI comme auparavant. En tant que mouvement de libération du Kurdistan, nous avons trouvé cette attitude très significative. Les pays arabes ont aussi fait des déclarations similaires, qui sont également très précieuses. Nous avons vu une cohérence et espérons qu’elle soit de nature continue plutôt que temporaire. Ensuite, nous ne savons pas ce qui viendra plus tard, mais cette attitude était très importante pour nous. Le comportement de la Russie était erroné, il consiste à tirer parti de cette opportunité de façon pragmatique. La Syrie du Nord et de l’Est n’est pas seule et a déjà autrefois gagné une guerre. Elle représente une volonté, un pouvoir au Kurdistan et dans la région. Cela n’est pas le résultat de la volonté ou de l’attitude des USA. Les gens qui pensent de cette façon se trompent. Par conséquent, une puissance qui a mené tant de guerres appliquera également sa volonté à la politique. Nous espérons que la Russie montre plus de respect, voie la volonté de l’autre et montre un comportement démocratique. Cela signifie de reconnaitre la stratégie de l’autoadministration démocratique et autonome dans le nord et l’est de la Syrie, de créer une Syrie démocratique et de les soutenir. Alors, en principe, les relations avec le nord‑est de la Syrie peuvent également trouver une concrétisation. Ce n’est qu’alors que nous pourrions soutenir et trouver sensé le développement de relations. Si ce n’est pas le cas, il s’agirait d’une approche étroite qui ne donnera aucun résultat. La Russie ne peut pas simplement amener sous son contrôle les Kurdes à Rojava et l’autoadministration autonome. Le mouvement de libération du Kurdistan n’apprécie pas positivement de telles méthodes et a aussi le pouvoir de les combattre.

Enfin, je voudrais poser la question du discours du Nouvel An du PKK, en particulier sur la reconstitution des unités de la guérilla en "guérilla de la victoire". Qu’est‑ce que cela veut dire exactement? Quelles différences devrait-il y avoir avec la guérilla existante? Quel type de restructuration est recherché avec cette explication?

Ces questions sont liées aux méthodes de la lutte et de l’organisation associée. C’est‑à‑dire le terrain physique, l’état de conscience et de l’organisation des dynamiques en jeu dans le combat, le niveau technique. Le PKK a une expérience de près de 40 ans dans la guerre de guérilla. Il a profité de l’expérience d’autres peuples, du fondement militaire créé par la guerre Iran-Irak, et a profité des opportunités et possibilités qui en découlaient. Il s’est appuyé sur les caractéristiques du Kurdistan et de la société kurde dans le domaine de la géographie et des combats. La guérilla a développé ses tactiques en tenant compte des liens traditionnels de la Turquie avec l’OTAN.

Elle a entretenu des relations avec des mouvements de guérilla dans d’autres parties du monde, il y avait des similitudes, mais aussi des différences. Par exemple, le PKK avait suivi des entrainements de guérilla en Palestine et au Liban. Il a appris de la guérilla palestinienne. Cependant, quand il est arrivé au Kurdistan le 15 aout 1984 [21] et a commencé son combat, alors sa vie, son style, son organisation et son travail quotidien se distinguaient fortement de ceux de la guérilla palestinienne. Selon les conditions du Kurdistan, une nouvelle formation en résulta.

Sur cette base, il a mené une guerre importante dans les années 1980 et 1990. En fait, il a battu l’armée turque à maintes reprises et celle‑ci a perdu son efficacité. Si aujourd’hui le gouvernement et la politique turcs sont libérés de la tutelle militaire, c’est le résultat de la victoire de la guérilla sur l’armée turque. Qui aurait pu écarter l’armée des affaires d’État si elle n’avait pas été vaincue par les guérillas? Les militaires ont dit qu’ils étaient les fondateurs de l’État. Maintenant, l’armée est largement écartée de l’appareil d’État. L’AKP affirme que c’est son mérite, ce qui est faux. Un tel combat de l’AKP contre l’armée n’a pas eu lieu. C’est la guérilla kurde qui a vaincu ce pouvoir.

Mais les conditions d’il y a 40 ans, lorsque les préparatifs ont commencé, ou il y a 30 à 35 ans lorsqu’a commencé la mise en pratique, se distinguent fondamentalement des conditions actuelles. Le monde a changé, la politique turque a changé. Et il y a aussi les développements considérables au Kurdistan. Au cours de cette phase, le Kurdistan Sud a obtenu un statut d’autonomie et la révolution a commencé au Kurdistan de Rojava. Au nord, des gouvernements locaux démocratiques se sont développés, que l’État turc tente de détruire par des attaques fascistes. Il y a eu une révolution de résurrection nationale. Les gens sont plus conscients, plus organisés. C’était un long chemin. Pendant ce temps, les combattants se sont formés et développés. De même, les puissances coloniales fascistes ont évolué et se sont développées. Par exemple, avec la déclaration de l’état d’urgence en 1987 [22], le pouvoir de l’État a subi un changement fondamental en Turquie. Dans les années 1991-1992, il a subi un deuxième changement suite à l’intervention de Doğan Güreş[23]. En 1997-1998 [24], l’armée a de nouveau effectué un putsch. En 2007-2008, l’Alliance US-AKP a tenté à plusieurs reprises de saper en politique l’armée, vaincue de Zap[25]. L’État a changé. Le système de l’armée a été modifié. Il y a eu un saut technologique mondial, dont l’armée turque se sert également. Elle s’est adaptée aux changements.

Maintenant, elle est devenue une force militaire dotée de moyens d’information et de reconnaissance intelligents et techniques. La guerre continuera à ce niveau, c’est‑à‑dire complètement technologique. Tout cela nécessite que les guérillas soient renouvelées sur cette base également. Les méthodes et le système d’organisation des guérillas, édifiés dans les années 1980 et 1990, doivent être adaptés à nos jours. Selon ces conditions, la guérilla doit se renouveler. C’est ce que ça veut dire. La guérilla peut changer, se renouveler et s’adapter aux nouvelles conditions. Même dans ces circonstances, la guérilla peut exister, se battre et mener sa lutte de libération pour assurer son existence. La guérilla peut être la force d’avant-garde d’une telle lutte pour l’existence et la libération et jouer un rôle important. Si elle se renouvèle ainsi et s’améliore techniquement, il peut vaincre avec succès toute armée et tout État qui s’appuie sur sa puissance militaire, allant de pair avec sa mentalité et sa politique d’exploitation, de génocide. C’est ce que signifie le mot "guérilla de la victoire". Ce résultat est souhaitable et réalisable.

Il est important de procéder à des changements importants. Ceci est discuté en interne. Il s’agit de définir le but, de déterminer la manière de concevoir et de mener la guerre. Quels sont les changements nécessaires dans l’organisation, dans le mouvement et dans le mode de vie de la guérilla? De quelle force motrice avons-nous besoin pour lutter contre la mentalité et la politique génocidaires fascistes qui caractérisent les conditions actuelles? Que faire? Comment doit‑on s’organiser, quelles méthodes de combat employer et avec quels instruments devons-nous être équipés pour cela? C’est de cela qu’il est question. Nous recherchons, discutons et échangeons des idées. Nous savons qu’il est nécessaire d’apporter des changements radicaux en ces domaines. Des progrès ont été accomplis à cet égard depuis un certain temps, qui ont également entrainé des changements. Mais ils sont restés assez faibles. Maintenant, il s’avère que les changements doivent être durables. La guérilla est consciente de cela et a la volonté de procéder à un tel changement radical. Elle est créative et dispose d’une conscience qui est également capable de surmonter les attitudes conservatrices et étroites. Elle maitrisera ce changement avec succès et continuera à jouer son rôle significatif aussi à l’avenir, dans la lutte de libération et pour l’existence des Kurdes.

 



[1]. L’interview a été publiée d’abord en allemand, en deux parties :

http://lowerclassmag.com/2019/02/cemil-bayik-das-kommt-einer-kriegserklaerung-gegen-die-kurden-gleich-interview-iran-syrien-usa-tuerkei-pkk-kck/

http://lowerclassmag.com/2019/02/cemil-bayik-wir-definieren-kurdistan-als-gesellschaft-und-nicht-als-staat-pkk-kck-rojava-tuerkei/

Puis en turc, également en deux parties :

https://anfturkce.com/guncel/bayik-abd-tuerkiye-nin-kuert-soykirimini-destekliyor-120203

https://anfturkce.com/guncel/bayik-suriye-ye-yaklasimimiz-stratejiktir-120294

La version en turc inclut des passages n’apparaissant pas dans la version allemande.

Les annotations ont été établies par nous (ROCML).

[2]. Dans la Voix des Communistes, journal central du ROCML, nous avons publié récemment :

"Le peuple kurde cible de toutes les forces réactionnaires"

https://rocml.org/vdc-2018-09-no-24-p-22-30/]

"Avec Rojava, pour une Syrie libre, confédérale et démocratique!"

https://rocml.org/vdc-2018-04-no-23-p-18-20/

[3]. En kurde, les dénominations des quatre parties du Kurdistan sont les suivantes. Bakûr: Kurdistan Nord, situé en Turquie; Başur: Kurdistan Sud, situé en Irak; Rojava: Kurdistan Ouest, situé en Syrie; Rojhilat: Kurdistan Est, situé en Iran.

[4]. À partir de 2002 le PKK traverse un processus de restructuration qui se traduit par une succession de dénominations nouvelles (mais le nom de PKK est maintenu au bout du compte): KADEK (Kongreya Azadî û Demokrasiya Kurdistanê, Congrès pour la liberté et la démocratie au Kurdistan), puis Kongra-Gel (Kongreya Gelê Kurdistanê, Congrès du peuple de Kurdistan), puis KKK (Koma Komalên Kurdistan, Confédération des communautés du Kurdistan), finalement KCK (Koma Civakên Kurdistan, Union des communautés du Kurdistan). Le 9e congrès du PKK tenu en 2005 définit les principes de base qui fondent la nouvelle structure. Ces redéfinitions impliquent notamment la transformation de l’ARGK (Artêşa Rizgarîya Gelê Kurdistan, Armée de libération du peuple du Kurdistan) en HPG (Hêzên Parastina Gelê, Forces de protection du peuple), avec parallèlement des forces de protection de femmes, les YJA Star (Unions de femmes libres, Yekîtiya Jinên Azad; "Star" fait allusion à la fois à l’étoile et à la déesse Ishtar).

Des partis sont établis dans les régions de Kurdistan: en Kurdistan Sud (Irak), le PÇDK (Partiya Çareserîya Demokratîka Kurdistan, Parti de la solution démocratique du Kurdistan); en Kurdistan Est (Iran), le PJAK (Partiya Jiyana Azadîya Kurdistan, Parti de la vie libre de Kurdistan); en Kurdistan Ouest (Syrie), le PYD (Partiya Yekîtiya Demokrat, Parti de l’union démocratique). En outre en Syrie, à partir de 2008, sont établies les YPG (Yekîneyên Parastina Gelê, Unités de protection du peuple) et les YPJ (Yekîneyên Parastina Jinê, Unités de protection de la femme), qui apparaissent ouvertement en 2011. Toujours en Syrie, en 2012 est constitué le TEV-DEM (Tevgera Civaka Demokratîk, Mouvement pour une société démocratique) en tant que regroupement de partis politiques, d’associations et de mouvements de femmes et de la jeunesse; il est en charge de la gestion et de la gouvernance des territoires kurdes en Syrie. Au sein du TEV-DEM, le PYD représente le parti politique principal, aux côtés de mouvements kurdes, arabes, assyriens.

Désormais tous les aspects de la lutte armée sont intrinsèquement liés à la conception politique définie par le projet de confédéralisme démocratique. Voici une explication que donne à ce sujet Abdullah Öcalan *:

Confédéralisme démocratique et autodéfense

L’État-nation est une entité à structure principalement militaire. Les États-nations sont toujours plus ou moins les produits de guerres intérieures et extérieures. Aucun des États-nations existants n’est apparu de lui-même. Ils ont invariablement un historique de guerres à leur actif. Ce processus n’est pas limité à l’étape de leur fondation, mais s’appuie bel et bien sur la militarisation de l’ensemble de la société. Le gouvernement civil de l’État n’est qu’un accessoire de l’appareil militaire. Les démocraties libérales vont encore plus loin en camouflant leurs structures militaristes sous des couleurs libérales et démocratiques. Cela ne les empêche cependant pas de rechercher des solutions autoritaires au summum d’une crise provoquée par le système lui-même. L’exercice fasciste du pouvoir est dans la nature de l’État-nation; le fascisme est la forme d’État-nation la plus pure.

Seule l’autodéfense peut permettre de repousser cette militarisation. Les sociétés qui ne possèdent pas de mécanisme d’autodéfense perdent leur identité, leur capacité à la prise de décision démocratique et leur nature politique. Par conséquent, l’autodéfense de la société ne se limite pas qu’à l’aspect militaire des choses. Elle présume également la préservation de l’identité, l’existence d’une conscience politique propre et un processus de démocratisation. Alors seulement peut-on parler d’autodéfense.

Dans ce contexte, on peut qualifier le confédéralisme démocratique de système d’autodéfense de la société. Seuls les réseaux confédérés peuvent fournir une base permettant de s’opposer à la domination globale des monopoles et du militarisme de l’État-nation. Face au réseau des monopoles, il nous faut construire un réseau de confédérations sociales tout aussi puissant.

En particulier, cela signifie que le paradigme social du confédéralisme n’implique pas que les forces armées aient le monopole de la chose militaire, celles-ci n’ayant la tâche que d’assurer la sécurité intérieure et extérieure. Elles sont placées sous le contrôle direct des institutions démocratiques. La société elle‑même doit être capable de déterminer leurs devoirs, et une de leurs tâches principales sera donc de défendre le libre arbitre de la société contre les interventions intérieures et extérieures. La composition du commandement militaire doit être déterminée à parts égales par les institutions politiques et les groupements confédérés.

La conceptualisation développée par Öcalan est contestable, mais dans les faits elle sous-tend la liaison étroite entre les différents niveaux d’organisation militaire et civile qui ont pu assurer l’efficacité de l’action des Kurdes en Syrie. L’évolution dramatique de la situation consécutive à l’invasion du territoire par les forces de l’EI a fait ressortir la portée de l’orientation mise en oeuvre sous l’impulsion des militants kurdes liés au PKK.

Lorsque les forces de l’EI, après avoir en juin 2014 occupé Mossoul, ont attaqué en aout la région du Mont Sinjar (Şengalê en kurde) habitée par des Kurdes Yézidis, les forces armées appelées Peshmergas, dépendant du gouvernement régional du Kurdistan irakien, ont abandonné le terrain, tandis que les forces yézidi locales de résistance n’étaient pas en mesure de repousser l’assaut. La population était alors exposée à un massacre massif, environ 200.000 s’enfuyaient, des milliers furent séquestrés par l’EI. C’est grâce à l’intervention des forces du PKK et des YPG et YPJ que l’EI a pu être repoussé. Dans ce contexte ont été constituées les YBŞ (Unités de résistance de Sinjar, Yekîneyên Berxwedana Şingal) qui ont dès lors agi "en coordination avec les HPG du point de vue opérationnel, organisationnel et philosophique" **, et un conseil administratif a été créé pour la région.

Peu après Sinjar, Kobanê était exposé aux attaques destructrices de l’EI, et ultérieurement Afrin subit l’occupation imposée par le régime turc. Pourtant, les Kurdes, ensemble avec d’autres composantes de la société en Syrie, ont pu poursuivre sur la voie de la libération, en basant leur action sur une compréhension ample des enjeux.

*  Source: Abdullah Öcalan: Confédéralisme démocratique; Londres, Duisbourg, Transmedia Publishing, 2011; p. 30‑31.
http://ocalan-books.com/downloads/confederalisme-democratique.pdf

**  Source: https://rojavareport.wordpress.com/2015/01/05/fke-co-president-sengal-needs-autonomy-to-avoid-future-genocide/

[5]. En Irak, des groupes liés à Al-Qaïda apparurent à partir de 2003. L’évolution ultérieure conduisit les USA à intervenir pour contrer ces groupes, en s’appuyant selon différentes options sur les forces kurdes et la Turquie. Voici un résumé des évènements liés à la question de la coalition anti-EI.

Après l’invasion de l’Irak déclenché en mars 2003 par les USA, Abou Moussab al-Zarqaoui, qui avait été libéré de prison en Jordanie en 1999, formait un groupe de combattants en Irak. Dans un premier temps le groupe agissait sous le nom de Jamaat al-Tawhid wal Jihad (Groupe de l’Unicité et du Jihad). En octobre 2004 al-Zarqaoui fit allégeance à Oussama Ben Laden et changea le nom du groupe en Tanzim Qa’idat al-Jihad fi Bilad al-Rafidayn (Organisation de base du Jihad dans le pays de deux rivières, communément Al-Qaïda en Irak, AQI). En janvier 2006 fut annoncé la constitution du Conseil consultatif des Moudjahidines en Irak (Majlis Shura al-Mujahideen fi al-Iraq), rassemblant six groupes de Jihad en Irak avec comme principale composante AQI. En juin, al-Zarqaoui fut tué, il fut remplacé par Abou Hamza al- Mohajer (dit Abou Ayyoub al-Masri). En octobre al-Masri annonça la fusion d’AQI avec un réseau plus large de groupes de combattants sunnites. Le Conseil des Moudjahidines déclara la création de l’État Islamique d’Irak (EII).

En 2010 al-Masri et d’autres dirigeants de l’organisation sont tués. Ibrahim Awad Ibrahim Ali al-Badri (dit Abou Bakr al-Baghdadi) assume la succession. La quasiliquidation de la structure de direction favorise le désengagement d’al-Baghdadi vis-à-vis de Ben Laden. Durant les années 2012 et 2013 l’EII accentue les attaques contre le gouvernement irakien, et fait parvenir aussi des combattants en Syrie.

En Syrie, en mars 2013, des groupes de combattants islamistes conquièrent Raqqa. Parmi eux se trouve le Front de soutien (Jabhat al-Nusra), affilié à Al-Qaïda. Dès l’époque, de nombreux membres de Nusra étaient en lien avec l’EII, progressivement des éléments proches d’al-Baghdadi rejoignent Raqqa, et Nusra se retourne contre l’Armée syrienne libre syrienne (ASL). En avril al-Baghdadi 2013 publie une déclaration qui annonce la fusion entre l’EII et Nusra pour former l’État islamique en Irak et au Levant (ad Dawla al Islamiya fi al Iraq wa ash Sham). Cette orientation est en conflit avec celle d’Al-Qaïda au niveau international, et conduit à ce qu’en janvier 2014 l’EII assume le contrôle complet de Raqqa. Au même moment l’EII conquiert Falloujah, puis Mossoul et Tikrit; en juin l’EII se transforme en État islamique (EI), et proclame la création d’un califat avec Raqqa comme capitale.

Dans un premier temps les USA s’étaient limités à une coopération avec les forces armées appelées Peshmergas, liées au gouvernement régional du Kurdistan irakien (GRK). En octobre 2014, après plusieurs semaines d’opérations aériennes effectuées dans la région de Kobanê en Kurdistan syrien par la coalition formée autour des USA, les avions US larguent pour la première fois des armes et munitions à destination des forces kurdes de Rojava. Ces armes ont été mises à disposition par le GRK.

Le 20 juillet 2015 est perpétré un attentat à la bombe contre un groupe d’étudiants pro-Kurdes dans la ville de Suruç en Turquie. Une attaque similaire avait frappé un rassemblement kurde à Diyarbakir, en Turquie, le 6 juin. Ces évènements suscitent la crainte d’opérations de l’EI contre les Kurdes à l’intérieur de la Turquie.

Le 24 juillet, la Turquie donne son accord pour que les USA lancent des opérations contre l’EI à partir de la base aérienne turque d’Incirlik près de la ville d’Adana, située à proximité de la frontière avec la Syrie. Le plan adopté par les USA et la Turquie consiste à pourvoir à la couverture aérienne pour des opérations effectuées par des groupes d’opposition syriens entrainés par les USA, de sorte à repousser les combattants de l’EI au-delà d’une zone frontalière large d’environ 80 km. Simultanément, les forces aériennes turques attaquent des bases de combattants kurdes dans le nord de l’Irak, ceci pour la première fois depuis l’annonce faite conjointement par le PKK et le gouvernement turc en mars 2013, d’un plan de paix.

Parallèlement aux interventions en Syrie, les forces de sécurité turques déclenchent une vague d’arrestations visant des membres aussi bien de l’EI que du PKK, et du DHKP-C (Devrimci Halk Kurtuluş Partisi/Cephesi, Parti révolutionnaire de libération du peuple). Le gouvernement émet une déclaration par laquelle il s’engage à combattre tous les groupes "terroristes" transnationaux sans distinction. Une "réunion spéciale de sécurité" tenue le 23 juillet avait adopté une politique de "mesures préventives" duales afin de "passer, d’une défense passive, à une défense active" *.

Source: http://www.understandingwar.org/backgrounder/turkey-expands-campaign-against-isis-and-pkk

[6]. En novembre 2018, le Département d’État US annonce qu’il offre une récompense pouvant aller jusqu’à 5 millions de dollars US pour des informations conduisant à l’identification ou à la localisation de trois dirigeants du PKK, Cemil Bayık, Duran Kalkan et Murat Karayılan,. Cette décision est basée sur une loi adoptée en 1999, dite "Kingpin Act", laquelle vise des personnes ou groupes impliqués dans le trafic de drogue.

Bayık, Kalkan et Karayılan sont membres de la direction du PKK. Bayık et Karayılan font partie de la direction des Forces de protection du peuple (Hêzên Parastina Gelê, HPG), la branche militaire du PKK. En outre Bayık ainsi que Kalkan font partie de la direction de l’Union des communautés du Kurdistan (Koma Civakên Kurdistan, KCK), une organisation à vocation régionale à laquelle appartient notamment, en Syrie, le Parti de l’Union Démocratique (Partiya Yekîtiya Demokrat, PYD), dont les Unités de Protection du Peuple (Yekîneyên Parastina Gelê, YPG) et les Unités de Protection de la Femme (Yekîneyên Parastina Jinê, YPJ) constituent la branche militaire.

[7]. Parti de la justice et du développement (Adalet ve Kalkınma Partisi, AKP).

En aout 2001, un groupe dirigé par Abdullah Gül et Recep Tayyip Erdoğan (maire d’Istanbul de 1994 à 1998) constitue l’AKP. Aux élections législatives de novembre 2002 l’AKP obtient la majorité absolue des 550 sièges du Parlement, il remporte aussi une élection partielle en mars 2003. Erdoğan est appelé à former un nouveau gouvernement et le mois suivant, il assume les fonctions de Premier ministre.

Il quitte ce poste en aout 2014, étant donné que les règles de l’AKP l’empêchent de briguer un autre mandat. Il est remplacé par Ahmet Davutoğlu, un partisan de l’AKP qui avait précédemment occupé le poste de ministre des Affaires étrangères. Erdoğan se présente avec succès pour un mandat de président. En avril 2017, sont adoptés par voie de référendum des modifications constitutionnelles visant à élargir le rôle du président et à supprimer le poste de Premier ministre. Les changements devaient avoir lieu après les prochaines élections, initialement prévues pour novembre 2019. Des élections anticipées se tiennent en juin 2018. L’AKP conclut une alliance avec le MHP (cf. ci-dessous) et, bien que l’AKP ait reçu moins de la moitié des voix, l’alliance remporte la majorité. Puis Erdoğan remporte à nouveau l’élection présidentielle avec plus de 52 % des voix. Les modifications apportées à la constitution ont été mises en oeuvre lors de l’investiture du nouveau gouvernement en juillet.

Parti d’Action Nationaliste (Milliyetci Hareket Partisi, MHP).

En 1946 est établi en Turquie le système multiparti. En 1948 est constitué le Parti de la Nation (Millet Partisi). Il est dissout en 1953, reconstitué en 1954 comme Parti républicain de la Nation (Cumhuriyetci Millet Partisi). En 1958 il fusionne avec le Parti Paysan de Turquie (Türkiye Köylü Partisi) pour former le Parti national républicain et paysan (Cumhuriyetçi Köylü Millet Partisi, CKMP).

En mai 1960, un groupe d’officiers renverse le gouvernement dirigé par Adnan Menderes, du Parti démocratique (Demokrat Parti, DP, constitué en 1946). Les facteurs conduisant à ce coup d’État avaient muri au sein de l’armée depuis la première moitié des années 1950, tandis que le conflit entre le PD et le Parti populaire républicain (Cumhuriyet Halk Partisi, CHP, cf. note 18) s’accentuait sous l’effet de mouvements contestataires. Un comité d’unité nationale (milli birlik komitesi, MBK) composé de militaires assume le pouvoir. Cemal Gürsel, commandant de l’Armée de terre, est placé à la tête du MBK, et il est nommé à la fois président, premier ministre, ministre de la défense. Cependant, au sein du MBK surgissent des divergences sur la suite du processus, au sujet du choix entre trois options: soit remettre le pouvoir à un gouvernement dirigé par Ismet Inönü, président du CHP, soit organiser rapidement des élections, ou maintenir le MBK de façon prolongée. La faction préconisant cette dernière perspective est exclue du MBK, les 14 officiers concernés sont affectés à des postes à l’étranger. Parmi eux se trouve Alparslan Türkeş, qui revient en Turquie en 1963 et adhère au CKMP, dont il est élu secrétaire en 1965.

Élargissant sa popularité d’abord par les "Associations de lutte contre le communisme" (Komünizmle mücadele dernekleri), ensuite et surtout par les "Foyers de l’idéal" (Ülkü ocaklari), le mouvement nationaliste organisé au sein du CKMP change le nom du parti, qui devient MHP en 1969. Durant les années 1970, des militants d’extrême-droite se constituent en une milice en s’appelant eux-mêmes les idéalistes (ülkücüler), mais le groupe est plus connu sous le nom de "Loup Gris". En effet, l’organe de l’organisation se nomme Bozkurt (Loup Gris) en référence symbolique à cet animal qui apparait dans la mythologie turcophone; de bozkurt (au pluriel bozkurtlar) est dérivé bozkurtçu (au pluriel bozkurtçular, membre du "Loup gris").

Du 31 mars 1975 au 5 janvier 1978, le MHP participe à deux gouvernements de coalition.

Le MHP est dissout après le coup d’État militaire de 1980. En 1983 ses sympathisants se regroupent comme Parti conservateur (Muhafazakar Parti, MP), qui ensuite est renommé en Parti du Travail Nationaliste (Milliyetçi Çali ma Partisi, MCP) en 1985. Le nom redevient MHP en 1992. À l’issue des élections de juin 2018 le MHP se joint à l’AKP pour former une majorité au parlement.

[8]. Devlet Bahçeli, dirigeant du MHP.

[9]. Il s’agit du massif du Qandil, montagnes qui se situent à cheval sur les frontières de la Turquie, de l’Irak et de l’Iran, où le PKK maintient des bases opérationnelles.

[10]. Suite à la chute du régime du Shah Reza Pahlavi et l’instauration d’une république islamique en Iran en 1979, les USA ont rompu les relations diplomatiques avec ce pays. Dans son "Message sur l’état de l’union" au Congrès, le 29 janvier 2002, le président Bush utilise l’expression de "l’axe du mal" pour désigner l’Irak, l’Iran et la Corée du Nord. En septembre 2003, le soussecrétaire US pour le contrôle des armes, John Bolton, énumère la Syrie, aux côtés de l’Iran, la Corée du Nord et la Libye, comme "État voyou" qui pose des "menaces pour notre sécurité nationale". Un document de l’administration au sujet de la "Stratégie nationale de sécurité", daté du 16 mars 2006, affirme que les USA "ne peuvent être confrontés à aucun défi plus grand de la part d’un quelconque pays, autre que l’Iran".

[11]. En mars 2006 fut formé le Groupe d’étude sur l’Irak (Iraq Study Group) sur la base d’un commun accord entre des membres du Congrès US, appartenant aussi bien au Parti démocrate qu’au Parti républicain. Le groupe remit son rapport final en décembre 2006. Voici deux extraits du document qui résument la teneur du document *:

Sous l’égide de la Nouvelle Offensive Diplomatique et du Groupe de Soutien, les USA devraient entrer directement en contact avec l’Iran et la Syrie afin de tenter d’obtenir leur engagement en faveur de politiques constructives à l’égard de l’Irak et d’autres problèmes régionaux. En s’adressant à la Syrie et l’Iran, les USA devraient envisager des incitations, ainsi que des mesures dissuasives, dans la recherche de résultats constructifs. […]

En tant que pays musulman sunnite important aux frontières de l’Iraq, la Turquie peut être un partenaire pour appuyer le processus de réconciliation nationale en Iraq. De tels efforts peuvent être particulièrement utiles étant donné que la Turquie est intéressée à ce que le Kurdistan reste partie intégrante d’un Irak unifié, et est intéressée à empêcher les terroristes kurdes (le PKK) de trouver un refuge sûr.

* Source: https://www.iraqsolidaridad.org/2006/docs/gei-1.pdf

[12]L’élection d’Abdullah Gül comme président, en aout 2007, attisait les conflits entre le gouvernement AKP et l’armée. Notamment, les responsables militaires s’opposaient fortement à la reconnaissance d’une entité distincte kurde en Irak, et donc à l’établissement de relations directes avec le gouvernement régional du Kurdistan irakien (GRK).

Avant l’invasion de l’Irak de 2003, la Turquie cherchait à contenir le PKK dans le nord de l’Irak par des opérations au-delà de la frontière. En ce qui concerne les USA, une décision du Parlement adoptée en mars 2003 interdisait le transit par la Turquie de troupes US. Craignant qu’une action unilatérale de la Turquie contre le PKK perturbe la relative stabilité de la situation dans le Kurdistan irakien, les USA acceptaient la formation d’un mécanisme contreterroriste trilatéral USA/Irak/Turquie. L’objectif principal de la Turquie était d’amener les USA à exercer une pression sur le gouvernement irakien et le GRK pour qu’ils entreprennent des actions contre le PKK. Les USA n’adoptaient pas cette approche et le dispositif trilatéral resta inopérant.

Face à une accentuation des opérations du PKK en octobre 2007, Tayyip Erdoğan, qui est premier ministre, demande au Parlement l’autorisation de procéder à une incursion militaire en Irak; elle est adoptée avec l’approbation par l’opposition le 17 octobre, pour des opérations contre les bases du PKK le long de la frontière ainsi que dans la région du Mont Qandil. En novembre le président US George Bush invite Erdoğan à Washington, et ils conviennent d’entreprendre une action conjointe contre le PKK. Quatre domaines sont inclus à la coopération: partage des renseignements opérationnels, assistance pour la capture de dirigeants du PKK afin de les ramener en Turquie (sont mentionnés Cemil Bayık, Murat Karayılan, et Süleyman Hüseyin), élimination des bases du PKK, coordination au sujet des opérations militaires de la Turquie dans le nord de l’Irak. Cependant, en échange les USA demandent la normalisation des relations de la Turquie avec le GRK.

Ainsi le gouvernement AKP renvoie la balle aux responsables militaires pour ce qui est du problème posé par la présence du PKK dans le nord de l’Irak. Il escompte que l’opération à venir attirera les critiques du public sur l’approche en termes militaires, et contraindra l’armée à s’écarter de son insistance sur sa propre manière de traiter la question de l’entité kurde autonome.

Du 16 au 23 décembre 2007, puis le 16 janvier 2008, la Turquie effectue une série de bombardements ciblés sur des bases du PKK dans le nord de l’Irak. Le 21 février suivent des incursions d’envergure par terre et par air visant la région de Zap. Cependant l’opération terrestre trouve une fin abrupte le 29, après que le secrétaire de la défense US, Robert Gates, a visité Ankara pour presser la Turquie à quitter l’Irak rapidement. Yaşar Büyükanit, chef d’état-major des forces armées, arrive à la conclusion que la lutte contre le PKK ne peut pas être gagnée "par des mesures militaires uniquement" *. À partir de là, ce n’est qu’en octobre 2017 que les militaires ont pour la première fois à nouveau lancé une opération transfrontalière terrestre. Le gouvernement AKP reprend le contrôle sur la politique de la Turquie en rapport avec le nord de l’Irak. Le 7 mars 2008 le président irakien Jalal Talabani effectue une visite à Ankara. Durant une réunion du Conseil de sécurité nationale turque (Milli Güvenlik Kurulu, MGK) tenue le 24 avril, est adoptée une déclaration constatant l’accord des Forces armées turques au sujet de l’idée qu’il serait dans l’intérêt de la Turquie de poursuivre les consultations avec tous les groupes et acteurs irakiens *. Le 30 avril, Ahmet Davutoğlu, à l’époque conseiller d’Erdoğan, se rend à Erbil pour rencontrer Nechirvan Barzani, premier ministre du GRK.

Source: http://dergipark.gov.tr/download/article-file/159016

[13]. Mohamed Morsi, dirigeant des Frères musulmans, président de l’Égypte entre 2011 et 2013.

[14]. La version turque précise ici: "Le MHP constitue la composante essentielle."

[15] Voici un bref historique concernant le PDK et l’UPK.

En 1943 le parti du Komala prit le contrôle de la ville de Mahabad, dans la région kurde en Iran. Emmenés par Qazi Mohammed, les Kurdes proclamaient l’indépendance de la "République du Kurdistan" le 22 janvier 1946, en accord avec les forces soviétiques. À l’époque les Kurdes d’Irak dirigés par Mustafa Barzani s’étaient réfugiés ici, et Barzani avait fondé le Parti démocratique du Kurdistan irakien (PDK). Cependant en novembre de la même année, les troupes iraniennes occupèrent le territoire. Barzani se réfugia en Azerbaïdjan soviétique, où il restait jusqu’à ce qu’il soit autorisé à retourner en Irak après la révolution de 1958.

Barzani rejette la proposition d’autonomie présentée ultérieurement par le gouvernement irakien pour la région kurde du nord de l’Irak. En 1960, il lance une guerre de guérilla contre les forces irakiennes. Après dix années de combats intermittents, un accord de cessez-le-feu est conclu, suivi d’une amnistie générale pour les Kurdes insurgés.

En 1970 un accord est signé entre le gouvernement irakien et les dirigeants kurdes, prévoyant un gouvernement autonome, la reconnaissance du caractère binational de l’Irak, une représentation politique des Kurdes au niveau du gouvernement central, des droits officiels en matière de langue, la liberté d’association et d’organisation. Il devait entrer en vigueur dans un délai de quatre ans, mais finalement en 1974 une loi d’autonomie est adoptée avec des dispositions affaiblies. En outre la loi n’incluait pas Kirkouk.

Barzani juge ce compromis inacceptable. Avec les forces kurdes, les Peshmerga, il reprend le combat, cette fois avec un soutien considérable de l’Iran. Lorsque ce soutien prend fin en 1975, Barzani s’installe à Téhéran, puis demande l’asile aux USA.

En 1976 Jalal Talabani constitue l’Union patriotique du Kurdistan (UPK). Les rapports entre l’UPK et le PDK sont conflictuels, allant jusqu’à une situation de guerre civile qui a débuté en 1994 et s’est achevée en 1998, lorsque Massoud Barzani (fils de Mustafa) et Talabani ont signé un accord, à Washington.

[16]. Coup d’État militaire du 12 mars 1971.

Dès la fin de 1970, le gouvernement présidé par Süleyman Demirel, dirigeant du Parti de la Justice (Adalet Partisi, AP; il avait été créé en 1961 pour prendre la relève du Demokrat Parti, DP, dissout après le coup d’État de 1960) était paralysé sous l’effet des rivalités de personnes affectant l’AP. Il devait faire face aux mobilisations dans les milieux universitaires et ouvriers et à l’hostilité du corps des officiers. Au sein de l’armée, se concrétisaient les préparations pour un coup d’État, en particulier le chef d’état-major de l’air, Muhsin Batur, poussait vers une action contre le gouvernement. Finalement dans la nuit du 9 au 10 mars le dispositif est abandonné, mais pour éviter d’être débordé par ses subordonnés, le haut commandement renonce à soutenir le gouvernement Demirel et se résout à émettre, le 12 mars, un mémorandum qui désigne le gouvernement et le Parlement comme responsables des troubles civils. Tout en menaçant les parlementaires d’une prise en charge directe de l’administration par l’armée, il préconise des réformes économiques et sociales et la formation d’un gouvernement fort, étranger aux querelles partisanes. Le soir même Demirel démissionne. Peu après, un gouvernement comportant aussi bien des parlementaires issus des principales tendances que des techniciens est investi par le Parlement.

[17]. Ici la version turque de l’interview fait référence aux antécédents historiques en ce qui concerne le chauvinisme, le racisme et l’hostilité envers les peuples: "Bien sûr, il y en avait avant. Au cours de la période Ittihat Terakki a été promu le racisme-nationalisme, qui était façonné par l’hostilité envers les peuples, les Arméniens, les Grecs, les Assyriens-Suryani et envers les Kurdes."

En 1889 est fondé au sein de l’École de médecine militaire de Constantinople un Comité ottoman d’Union (İttihad-i Osmani cemiyeti). En 1902, des turcs en exil, opposants au pouvoir impérial, organisent un congrès à Paris. À Salonique (en Macédoine) se constitue en 1906 la Société ottomane de la Liberté (Osmanlı Hürriyet Cemiyeti) qui en 1907 fusionne avec le comité de Paris. De ce processus nait en 1895 le Comité ottoman Union et Progrès (Osmanli ittihat ve terakki cemiyeti). On appelle communément "Jeunes-Turcs" les membres de ce courant, désignation qui reprend celle adoptée en 1865 par les fondateurs d’une société secrète ottomane à Istanbul, qui se réfugièrent à Paris et à Londres de 1867 à 1871.

Le Comité Union et Progrès, bien que composé principalement d’étudiants et d’intellectuels en 1895, devient par la suite une organisation d’officiers de l’armée et la majorité de ses membres sont des Turcs macédoniens. En 1908, le sultan Abdülhamid II est victime d’un coup d’État militaire qui porte au pouvoir un petit groupe d’officiers et de fonctionnaires subalternes, pour la plupart membres du Comité. Dans un premier temps, Abdülhamid II est seulement écarté du pouvoir, mais en 1909, à l’issue d’un contre-coup d’État qui tourne court, il est déposé, emprisonné et remplacé sur le trône par son frère cadet Mehmed V, qui fait figure de marionnette du nouveau pouvoir.

Le Comité se transforme ensuite en un véritable parti, sa victoire électorale en 1912 lui assure la majorité au Parlement. En janvier 1913, ses chefs s’emparent du pouvoir par un coup d’État, puis, éliminant toute opposition, établissent un régime de parti unique au sein duquel sont choisis les membres du gouvernement. Le régime poursuit une politique visant à la turquification de l’ensemble du mécanisme étatique, à l’islamisation et à la turquification de la démographie et à la turquification de l’économie. Il s’engage en octobre 1914 aux côtés de l’Allemagne dans la Première Guerre mondiale. Au début de novembre 1918, la défaite de l’Empire ottoman amène le parti à se dissoudre, puis, sous le nom de parti du Renouveau, à survivre encore quelque temps sans jouer un rôle notable.

[18]. Voici une appréciation qui éclaire ce constat *:

Il convient, ici, de revenir sur une dimension centrale de la politique de l’AKP depuis son arrivée au pouvoir: sa politique sociale. Loin de se retirer de la sphère sociale comme on pourrait l’attendre d’un néolibéralisme "sauvage", l’AKP a mis en place et systématisé certaines aides, dans une optique non pas de droits, mais de charité et de bienfaisance. Pour ce faire, il s’est appuyé sur des entreprises (pour les dons) et des ONG (pour le ciblage), introduisant des formes de distribution, souvent circonscrites, de biens divisibles, en particulier dans les municipalités. Bien comprendre ces mécanismes est important, tant les dispositifs économiques les plus banals et le fonctionnement économique quotidien participent simultanément des mécanismes de la domination.

* Source: https://www.sciencespo.fr/ceri/sites/sciencespo.fr.ceri/files/Etude_205.pdf

[19]. Le 12 septembre 1980 survient un coup d’État dirigé par le chef d’état-major Kenan Evren. Un conseil national de sécurité (Ulusal Güvenlik Konseyi) est instauré comme organe exécutif. Un régime militaire s’exerce de façon directe durant trois ans, puis se prolonge dans les faits encore six années après sa fin officielle en 1983. Une cinquantaine de militants, pour l’essentiel de la gauche radicale, sont exécutés, plusieurs centaines d’autres sont assassinés ou trouvent la mort sous la torture.

Gouvernant par décret, Evren et son Premier ministre Bülent Ulusu, ancien chef d’état-major de la marine, suspendent les grèves, gèlent les salaires et se font les défenseurs de la bourgeoise d’Istanbul, en ouvrant également la voie à celle des provinces anatoliennes. Ils prétendent combattre autant la droite que la gauche radicales ainsi que le nationalisme kurde, mais ils adoptent l’essentiel du programme de la droite radicale sous le label de "synthèse turco-islamique". L’un des dirigeants du Parti d’Action Nationaliste (Milliyetci Hareket Partisi, MHP, cf. note 7), Agâh Oktay Güner, se plaint d’ailleurs "que nos idées sont au pouvoir alors que nous-mêmes sommes en prison" *. Désormais tous les organes de l’État comprennent un ou plusieurs militaires. La Constitution de 1982, dictée par plébiscite alors que toute campagne en faveur du "non" est criminalisée, ne porte pas seulement la marque du militarisme; il vise ouvertement la création d’une société militaire.

* Barry Rubin, Metin Heper (Ed.): Political parties in Turkey; London, Frank Cass, 2002; p. 28.

[20]. Parti populaire républicain (Cumhuriyet Halk Partisi, CHP).

Le CHP est un parti fondé en 1923 par Kemal Atatürk. Il a été dissout en 1981 et réactivé en 1992 par des députés qui ont démissionné du Parti populaire social-démocrate (Sosyal Demokrat Halkçı Parti, SHP) afin de récupérer l’héritage historique du groupe.

Membre de l’Internationale Socialiste, le SHP a été formé en novembre 1985 par la fusion du Parti populiste (Halkçı Parti, HP) et du Parti social-démocrate (Sosyal Demokrat Parti, SODEP), groupe qui a recueilli l’essentiel de son soutien d’anciens membres du CHP. Finalement, le SHP et le CHP fusionnent en 1995 sous l’étiquette CHP.

[21]. Le PKK a été constitué en 1977. En 1978 une force de guérilla entreprend l’entrainement militaire au Liban. Vers 1982 un groupe de combattants est établi au Kurdistan Sud. Les opérations de guérilla sont officiellement lancées par des attaques le 15 aout 1984 contre des unités de l’armée et de la police (Jandarma) dans les régions d’Eruh et Şemdinli (Şemzînan) de la province de Colemêrg (Hakkâri).

[22]. En Turquie, selon les estimations, les populations kurdes constituent la majorité dans les provinces suivantes, situées dans le sud-est de la Turquie: Ağrı, Batman, Bingöl, Bitlis, Diyarbakır, Hakkari, Iğdır, Kars, Mardin, Muş, Şanlıurfa, Şırnak, Siirt, Tunceli, Van. On peut inclure en outre, à l’ouest, Adıyaman, Gaziantep, Kahramanmaraş, Malatya.

Cette région était soumise à la loi martiale et aux règles d’urgence depuis 1927. Jusqu’en 1952, la majeure partie de la région (Bitlis, Diyarbakır, Elazığ, Hakkari, Mardin, Siirt, Urfa, Van) était administrée par un inspecteur général, bureau créé en 1927 pour assurer "l’ordre et la discipline". En 1935, deux autres inspecteurs généraux furent nommés pour administrer les zones peuplées de Kurdes: l’un pour la région de Murat et Munzur, couvrant le Tunceli (Dersim), et l’autre pour la région couvrant Ağri, Çoruh, Erzincan, Erzurum, Gümüshane, Kars, Trabzon. La région a été fermée aux étrangers jusqu’en 1965 et placée par la suite sous une législation de loi martiale ou de l’état d’urgence à partir de 1980. La zone d’état d’urgence (Olağanüstü Hal Bölgesi, OHAL) a été créée en 1983, et le bureau du gouverneur régional a été établi en 1987, maintenant le contrôle militaire dans le sud-est alors qu’ailleurs le pouvoir exécutif a été transféré aux autorités civiles suite au coup d’État de 1980. En 1987, une zone d’état d’urgence était encore installée dans dix provinces kurdes: Batman; Bingol; Diyarbakir; Elazig; Hakkari; Mardin; Siirt; Sirnak; Tunceli; et Van. Cet état d’urgence a été reconduit systématiquement tous les quatre mois entre 1987 et 1997. La loi civile a ensuite été rétablie dans la région, lentement et au coup par coup, jusqu’à la levée définitive de la loi OHAL dans les quatre provinces restantes auxquelles elle s’appliquait encore en 2002.

[23]. Doğan Güreş a occupé le poste de chef de l’état-major des armées entre décembre 1990 et aout 1994. Entre novembre 1991 et décembre 1995, les gouvernements étaient dirigés par un premier ministre appartenant au Parti de la juste voie (Doğru Yol Partisi, DYP), constitué en 1983 par Süleyman Demirel comme successeur du Parti de la Justice (Adalet Partisi, AP), interdit suite au coup d’État de 1980. (L’AP avait été créé en 1961 pour prendre la relève du Demokrat Parti, DP, dissout après le coup d’État de 1960.) Demirel est premier ministre de novembre 1991 à juin 1993, puis président jusqu’en 2000. Güreş est élu député pour le DYP en 1995. En 2007 le DYP reprend le nom de Parti démocrate (Demokrat Parti, DP).

Ci-après quelques citations qui reflètent les caractéristiques de la situation à l’époque en question.

Yilmaz Özcan: La question kurde en Turquie – retour aux années 1990 ?, Confluences Méditerranée, 2013/1 (N° 84), p. 159-171.

https://www.cairn.info/revue-confluences-mediterranee-2013-1-page-159.htm

Le conflit au Kurdistan a été défini par l’armée turque comme une "guerre de basse intensité" (düşük yoğunluklu savaş) nécessitant un contrôle du territoire. Elle a mis en oeuvre la doctrine de la "domination du terrain" (alan hâkimiyeti) consistant à priver le PKK de sa base populaire. Cette répression a alors abouti à la destruction de milliers de villages et au déplacement forcé d’environ un million de Kurdes; 17.000 journalistes, intellectuels, ouvriers et paysans kurdes ont disparu dans des "meurtres non élucidés".

İsmet Akça, Barış Alp Özden (Ed.): Who’s Who in Politics in Turkey, Istanbul, Tarih Vakfı Yayınları, 2019.

https://tr.boell.org/sites/default/files/ays-tarihvakfi-18×24-boll-r7-eng.pdf

Güreş était une figure éminente à une époque où la politique civile était sapée, la question kurde était traitée comme une question de sécurité et le gouvernement (sous la Première ministre Tansu Çiller) était en grande partie contrôlé par les forces de sécurité de l’État. Dans une interview réalisée des années plus tard avec le journaliste Fikret Bila, Güreş a déclaré que même sans proclamer la loi martiale dans la région (sud-est) du pays, les officiers militaires avaient les moyens de faire tout ce qu’ils voulaient et appliquaient la loi martiale de facto. Il a poursuivi en affirmant que les circonstances justifiaient une telle action et que les gouverneurs de l’époque répondaient à toutes les demandes.

"La situation au Kurdistan de Turquie", Institut kurde de Paris, Bulletin de liaison et d’information, Numéro spécial novembre 1992.

https://www.institutkurde.org/publications/bulletins/pdf/speciaux/nsp_turquie.pdf

Le gouvernement de coalition formé après les élections d’octobre 1991 n’a pas tenu non plus sa promesse de "reconnaissance de la réalité kurde en Turquie". Aucun pas concret n’a été effectué dans ce sens. Aucune des réformes de démocratisation annoncées à grand renfort de publicité dans les médias n’a été mise en oeuvre. On assiste même à un très net durcissement de la politique turque. Le pouvoir civil a donné carte blanche à l’armée et à la police pour mener à leur guise une guerre totale au Kurdistan.

Assurées d’impunité totale, les unités spéciales turques font régner la terreur dans les villes kurdes réputées "fiefs du nationalisme kurde". En un an, plus de 350 civils kurdes, dont 9 journalistes, des médecins, des ingénieurs, des professeurs, etc. ont été assassinés par les escadrons de la mort mis en place par les unités spéciales de la "kontrgerilla" turque. Aucun des auteurs de ce crime n’a jamais été poursuivi, ceux arrêtés par la population et remis à la police ont été rapidement libérés pour "insuffisance de preuves". De ce fait, les familles des victimes qui ont perdu toute confiance dans la justice et l’État turcs, ne portent plus plainte. Le pouvoir turc au Kurdistan s’encombre de moins en moins d’arrestation et de procès; il privilégie de plus en plus les exécutions sommaires des militants kurdes "suspects".

Martin van Bruinessen: "Escadrons de la mort en Turquie", Middle East Report, No. 199, p. 20-23.

L’émergence de partis légaux kurdes et l’occurrence fréquente d’assassinats politiques de style escadron de la mort étaient deux développements dans la vie politique de la Turquie durant les années 1990. Pour la première fois dans l’histoire de Turquie, il y avait un groupe au parlement qui représentait – ne serait-ce qu’implicitement – l’opinion nationaliste kurde et qui émettait systématiquement des protestations contre les violations des droits de l’homme contre les Kurdes. En même temps, un certain nombre de personnalités politiques et communautaires kurdes influentes ont été tuées, beaucoup de leurs morts étant qualifiés de "meurtres par des acteurs inconnus" parce que la police généralement ne trouvait pas les assassins.

La nouvelle expérience de représentation politique légale kurde – d’abord par le Parti populaire du travail (Halkın Emek Partisi, HEP), et suite à son interdiction, par ses successeurs, le Parti de la démocratie (Demokrasi Partisi, DEP) et le Parti de la démocratie du peuple (Halkın Demokrasi Partisi, HADEP) – se termina en 1994. En mars de cette année, l’immunité de six députés kurdes a été levée. Ils ont été enlevés du parlement à la prison et se sont trouvés accusés de subversion séparatiste, exposés à une possible peine de mort. Trois mois plus tard, le DEP a également été interdit; un certain nombre de ses députés restants ont fui en Europe, tandis que les autres ont également été emprisonnés. Au bout du compte, tous ont été condamnés à de longues peines de prison.

Pendant les quatre années d’existence du HEP et du DEP (1990-94), pas moins de 64 de leurs dirigeants et membres de premier plan ont été assassinés. Les autorités de police n’ont jamais trouvé leurs meurtriers qui, au moins dans certains cas, apparaissent avoir agi avec la connivence de la police ou des services de renseignement, ou dans des circonstances pires. Alors que les Kurdes constituaient un nombre important des victimes de ces "meurtres par des acteurs inconnus", d’autres victimes d’assassinats incluent des activistes pour les droits de l’homme et des journalistes. En 1991, 31 personnes au total ont été tués par des "acteurs inconnus"; en 1992 pas moins de 360. Le chiffre a été maximal en 1993, année où, selon l’Association des Droits de l’Homme (İnsan Hakları Derneği, İHD) de Turquie, 510 personnes ont été victimes de tels assassinats.

[24]. Le Parti de la protection sociale (Refah Partisi, RP) est apparu sur la scène politique turque en 1970 sous le nom de Parti de l’ordre national (MNP), avec comme principal dirigeant Necmettin Erbakan. Le MNP a été interdit un an plus tard. En 1972, avec les mêmes dirigeants et le même programme, il se réorganisa sous le nom de Parti du salut national (Milli Selamet Partisi, MSP). Avec le coup d’État militaire de 1980 le MSP est interdit à son tour. Lorsque de nouveaux partis politiques ont été autorisés en 1983, Erbakan fonde le RP sur une plate-forme mettant en avant des thèmes similaires à ceux qu’avait adoptés le MSP.

À l’occasion des élections municipales de mars 1994, Tayyip Erdogan est candidat du MSP pour le poste de maire d’Istanbul, il est élu.

Le 28 février 1997, le Conseil de sécurité nationale (Milli Güvenlik Kurulu, MGK) dominé par les forces armées, adresse au gouvernement de coalition dirigé par le RP une série de recommandations ou d’ultimatums sur les mesures à prendre pour protéger la laïcité. Cette intervention militaire n’implique pas le remplacement d’un gouvernement civil par un gouvernement militaire. Le Premier ministre, Necmettin Erbakan, approuve un programme d’éducation obligatoire de huit ans (pour empêcher les élèves de s’inscrire dans des écoles religieuses), une interdiction du foulard dans les universités et d’autres mesures. La pression indirecte et l’avertissement d’un possible coup d’État contribuent à l’effondrement du gouvernement, Erbakan est contraint de démissionner en juin. La Cour constitutionnelle interdit une fois de plus le RP en janvier 1998. Les députés qui restent sans parti rejoignent le Parti de la vertu (Fazilet Partisi, FP) créé à la fin de 1997, qui devient en 2001 le Parti de la félicité (Saadet Partisi, SP).

[25]. Région du nord de l’Irak, où se trouvent des bases du PKK (cf. note 11 ).