Pas d’issue sociale et pacifique à la crise
dans le cadre du capitalisme décadent
LA VOIX DES COMMUNISTES, no 9, aout 2013 – p. 12-16
Possibilité et nécessité des crises
Les crises du capital sont inscrites dans l’ADN du capitalisme et en sont les conséquences inévitables de son monde de production.
Le but de la production n’est pas de satisfaire les besoins de la société mais de produire avec profit. Le capital réalise ce profit par l’extorsion du travail non payé (surtravail générateur de la plus-value, du profit) au-delà du travail payé à l’ouvrier pour entretenir et reproduire sa force de travail. Mais ce procès de valorisation du capital n’est achevé qu’au terme de son cycle de circulation quand la marchandise est vendue et donc la plus-value réalisée. La séparation de la phase de production de celle de sa réalisation par la vente des marchandises, ouvre déjà la possibilité de produire plus que le marché solvable n’est capable d’absorber. Et de fait, la tendance à la surproduction est le « mode d’existence » du capital. Chaque capital dans le secteur où il est investi entre en concurrence avec d’autres capitaux. Pour prospérer ou survivre, il n’a d’autre choix que de produire moins cher que ses concurrents, même si l’avantage ne dure qu’un temps, jusqu’à ce que le concurrent fasse de même. Pour ce faire il doit accroitre la productivité des travailleurs productifs et la part de surtravail qu’il leur extorque. Il réalise cela principalement en remplaçant du travail vivant par des machines et des procédés techniques permettant de produire plus dans le même temps de travail. Mais cela a pour conséquence de faire baisser la « rentabilité du capital » qui s’exprime dans la baisse tendancielle du taux de profit. À taux d’exploitation identique[1] la part du travail mort (la valeur des machines et de la mécanisation, ‑ le capital constant Cc) dans la composition du capital, augmente au détriment du capital vivant (Cv) seul producteur de plus-value et génèrera un profit moindre que dans le précédent cycle de valorisation. D’autre part avec l’augmentation de la productivité, il jette sur le marché une quantité encore plus grande de marchandises qui doivent être vendues avec profit. Ces deux phénomènes sont dialectiquement liés et générateurs de crise. Les capitaux auront tendance à aller s’investir là où un taux de profit est plus élevé, à spéculer sur les marchés financiers, provoquant un déséquilibre dans les divers secteurs de la production et la plus grande masse de marchandises saturant le marché existant. La contradiction fondamentale du capitalisme entre le caractère privé de la possession des moyens de production et d’échange et le caractère sociale de la production se manifeste violemment lors des crises.
Les crises dans la période de croissance du capitalisme
Les crises du capitalisme à l’époque d’expansion et de croissance ont été étudiées par Marx et Engels dans le Manifeste du Parti Communiste, par Marx dans ses écrits préparatoires au Capital, dans Le Capital et dans ses études sur les théories de la plus-value. Périodiquement le capitalisme était secoué par la crise.
« Chaque crise détruit régulièrement non seulement une masse de produits déjà créés, mais encore une grande partie des forces productives déjà existantes elles-mêmes. Une épidémie qui, à toute autre époque, eût semblé une absurdité, s’abat sur la société, l’épidémie de la surproduction. La société se trouve subitement ramenée à un état de barbarie momentanée ; on dirait qu’une famine, une guerre d’extermination lui ont coupé tous ses moyens de subsistance; l’industrie et le commerce semblent anéantis[2].»
Mais ces crises sont surmontées pour une certaine période (Marx constate une périodicité de 10 ans). Comment la bourgeoisie surmonte-t-elle les crises :
« D’une part en imposant la destruction d’une masse de forces productives, d’autre part en s’emparant de marchés nouveaux et en exploitant mieux les anciens[3]. »
Le capital sort à chaque fois renforcé et reprend son cycle de croissance, le marché mondial est encore en constitution, il y a encore des marchés nouveaux à conquérir, le capitalisme n’a pas encore conquis toute la planète.
Mais : « Elle [la bourgeoisie] prépare des crises plus générales et plus profondes, tout en réduisant les moyens de les prévenir[4]. »
Ainsi, le nombre de pays capitalistes grandit ainsi que les affrontements entre eux pour la conquête des marchés.
Au début du 20e siècle, à l’apogée de sa puissance historique, le capitalisme bascule dans sa période de décadence. Il a atteint son stade suprême l’impérialisme. « Pour la première fois, le monde se trouve entièrement partagé, si bien qu’à l’avenir il pourra uniquement être question de nouveaux partages, c’est-à-dire du passage d’un "possesseur" à un autre, et non de la "prise de possession" d’un territoire sans maitre[5]. »
La crise de la période impérialiste du capitalisme
À l’époque de l’impérialisme, c’est-à-dire à son stade où dominent les monopoles, les crises cycliques ne permettent plus au capitalisme de surmonter, même provisoirement, ses difficultés de valorisation du capital. Le capitalisme s’est étendu sur toute la planète, les marchés qui lui permettait d’écouler sa production ont été conquis et assimilé par son mode de production, transformant d’immenses populations en prolétaires dont une grande partie est contrainte par le capital à rejoindre l’armée industrielle de réserve et mise dans l’impossibilité (car non solvables)[6] de consommer la masse de produits dont le capital inonde la planète. La contradiction qui parait absurde pour les travailleurs (le formidable essor de la capacité productive de l’humanité qui permettrait de satisfaire les besoins de toute la population mondiale) conduit à la pauvreté et la misère.
Dans cette période la crise devient chronique, quasi permanente, elle n’est plus cyclique, il n’y a plus de période relativement longue de reprise des affaires, de prospérité. Le capitalisme a atteint ses limites, il est devenu décadent, pourrissant.
Dans cette période le crédit a pris le relais des marchés extérieurs et a permis aux cycles de la reproduction élargie du capital de s’enchainer par la vente des marchandises à crédit. Pour éviter le blocage de l’économie, le capital a recours à l’endettement systématique et généralisé des États, des entreprises et des particuliers. Cet endettement est à la base de l’hypertrophie du capital financier permettant aux capitaux qui ne pouvaient plus s’investir avec profit dans la production de spéculer sur les marchés financiers. Le capitalisme à son stade impérialiste, c’est la fusion du capital financier et du capital productif. Sans capital financier pas de capitalisme! L’inflation extraordinaire du capital financier, et donc de la dette publique ou privée, a retardé l’éclatement d’une crise encore plus violente. Mais aujourd’hui cette dette ne peut plus être augmentée sans fin sans risquer d’entrainer la faillite des États et des pays les plus vulnérables. La mondialisation a elle aussi joué un rôle modérateur de la crise en ouvrant des débouchés aux capitaux pour s’investir avec profits dans certaines régions du monde en associant haut degré de technique de production et faible valeur de la force de travail et ce contrairement aux idées répandues qui rendent cette mondialisation responsable des difficultés rencontrées dans les pays impérialistes dominants comme la France. Mais, revers de la médaille, elle a provoqué l’émergence pour les anciens pays impérialistes de nouveaux rivaux (Chine, Inde, Brésil..) qui exacerbent la concurrence sur le marché mondial.
Il n’y a pas de bonnes réformes possibles
pour résoudre la crise du capital
Les tentatives de la bourgeoisie pour surmonter sa crise
Lors des crises de surproduction de la phase juvénile d’expansion du capitalisme, la bourgeoisie résorbait la crise, comme l’expliquait Marx, par la destruction de capital et de forces productives, en développant la productivité du travail en introduisant de nouvelles machines et en conquérant de nouveaux marchés pour écouler la masse accrue de marchandises produites.
Lors de la crise actuelle, il y a aussi destruction massive de capital et de forces productives mais cela ne suffit plus. Le marché est partagé entre grands groupes impérialistes et son extension a pris fin et la lutte pour la conquête des marchés au détriment des concurrents est acharnée. Les augmentations de productivités nécessitent des investissements énormes pour un résultat de plus en plus réduit sur l’augmentation de la part de travail non payé dans la valeur des marchandises[7].
La seule réponse possible du capital est de faire supporter les effets de la crise par les travailleurs. C’est-à-dire en réduisant le prix de la force de travail (ce que les capitalistes nomment cout du travail[8]). En réduisant les dépenses « improductives » aux yeux des capitalistes que sont les « charges » afférentes à sa reproduction (tous les services destinés au maintien et à la reproduction de cette force, sécurité sociale, prestations sociale, frais médicaux, transports ‑ ce qui est regroupé dans ce que l’on appelle services publics), en augmentant les impôts, baissant les retraites etc… Avec pour objectif de tenter d’augmenter le taux de profit, la rentabilité du capital. Ce qui se traduit depuis des années au niveau social global par la diminution de la part du produit social distribué en salaires.
Le principal outil que le capital utilise pour essayer d’éviter les effets les plus catastrophiques de crise c’est l’État. Ces dernières années dans les grandes métropoles impérialistes il a été utilisé systématiquement par les gouvernements de droite et de gauche pour soumettre les travailleurs à une politique systématique de remise en cause graduelle de leurs conditions de vie, des salaires, de l’emploi. Et dans le reste du monde il est le principal bras armé et organisateur de guerres des capitalistes pour la conquête des marchés et zones stratégiques.
Et pourtant, dans ces tentatives de redresser la « profitabilité » du capital, ces mesures ne font qu’amplifier les difficultés, ne serait-ce qu’en réduisant à l’insolvabilité une masse grandissante de travailleurs et donc exclus de la consommation des marchandises produites.
Les solutions de la social-démocratie radicale
C’est justement sur cette dernière conséquence, la sous-consommation des travailleurs que la social-démocratie radicale représentée en France par le Front de Gauche, le PCF et les divers groupes gauchistes et opportunistes associés[9] argumente pour présenter ses solutions. Ces solutions s’articulent sur deux volets principaux.
1) Relancer la consommation des travailleurs en redistribuant plus équitablement le produit social entre le capital et le travail, en particulier en augmentant les salaires.
C’est oublier que la tendance « naturelle », nécessaire à la survie du capital, c’est tout le contraire.
C’est oublier comme le fait remarquer Marx que c’est justement à la suite d’une période où les salaires sont au plus haut (en l’occurrence pour nous à la fin de ce que l’on a appelé les trente glorieuses) que la crise éclate.
2) Moraliser le capital financier par diverses mesures politiques et économiques. Autant demander au capital de n’être plus le capital. On l’a vu, le capital financier c’est le capital du capitalisme arrivé à son stade impérialiste et c’est grâce à lui que le capitalisme a pu perdurer jusqu’à nos jours et le moraliser ou l’encadrer ne changerait rien au rôle prépondérant qu’il joue aujourd’hui dans l’exploitation du travail salarié et la reproduction, la valorisation du capital.
Nous reviendrons dans un prochain article sur une critique plus détaillée de ces positions qui reprennent des conceptions déjà anciennes de la social-démocratie[10] adaptées à la situation actuelle, entretenant ainsi l’illusion parmi de nombreux militants politiques et syndicalistes de « gauche » qu’il est possible de « moraliser », de rendre plus social le capitalisme.
Barbarie ou socialisme
Décadence du capitalisme…
La bourgeoisie ne peut éviter la faillite de son système. Le capitalisme aujourd’hui n’a plus les moyens de surmonter même momentanément les effets de ses contradictions. Les crises cycliques de sa période ascendante qui permettaient un retour pour une certaine période à sa croissance, ne sont plus possibles. Il est entré dans sa période de décadence, marquée des convulsions de plus en plus violentes, par la prolifération des guerres impérialistes, la destruction de forces productives et de vies humaines, la dégradation des conditions de vie de l’immense majorité de la population mondiale réduite à la condition de prolétaires, aux crises alimentaires, à la destruction de l’environnement et l’épuisement des ressources de la planète condamnant l’humanité à sa destruction si l’on ne met pas fin à ce système pourrissant.
…ou socialisme-communisme
L’Internationale communiste en 1919 caractérise la période impérialiste de la manière suivante : « La période actuelle est celle de la décomposition et de l’effondrement de tout le système capitaliste mondial et sera celle de l’effondrement de la civilisation européenne en général, si on ne détruit pas le capitalisme avec ses contradictions indissolubles[11]. » Et dans sa plateforme, l’Internationale précise : « Une nouvelle époque est née. Époque de désagrégation du capitalisme, de son effondrement intérieur. Époque de la révolution communiste du prolétariat[12]. »
Aujourd’hui comme hier, le capital n’a d’autre alternative, une fois de plus, que de faire supporter les effets de sa crise au prolétariat. Mais dans les conditions historiques actuelles, aucune politique ne peut tirer le capital de sa crise systémique historique. La lutte des classes entre le prolétariat et la bourgeoisie ne peut que se développer. Il s’agit non seulement pour les prolétaires de résister aux attaques du capital, mais surtout de se donner pour but d’abattre ce système. Depuis plus d’un siècle, le capitalisme a achevé son rôle progressiste et a créé en son sein les forces et les conditions objectives nécessaires au passage à un mode de production supérieur, le socialisme-communisme. Seul dans la société communiste, en effet, les crises n’existeront plus parce que la société ne produira plus pour le profit d’une classe mais pour satisfaire les besoins de tous ses membres.
[1]. À taux de plus-value Pl/Cv identique, c’est-à-dire où le rapport entre le travail payé (Cv) et travail non payé (Pl) reste le même.
[2]. K. Marx et F. Engels : Le Manifeste du Parti Communiste (1847).
Karl Marx, Œuvres, Tome I, Économie; Paris, Gallimard, 1963; Bibliothèque de la Pléiade, n° 164, p. 167.
[3]. Idem.
[4]. Idem.
[5]. V. I. Lénine : L’impérialisme, stade suprême du capitalisme.
[6]. Selon l’Observatoire des inégalités, il y a un milliard de personnes sous-alimentées dans le monde et il en meurt 25.000 chaque jour.
[7]. En effet la part de ce qui est payé en salaires dans la valeur de la marchandise produite, tend avec la productivité à diminuer constamment et ne représente aujourd’hui pas plus de 20 % de la valeur de la marchandise.
[8]. Voir notre article "“Compétitivité” et “cout du travail”" dans ce présent numéro, p. 17-19.
[9]. Parmi ceux-ci citons le PCOF et la Coordination Communiste du Nord Pas de Calais.
[10]. Voir à ce sujet les annexes de notre brochure sur les nationalisations.
https://rocml.org/a-propos-du-mot-dordre-de-nationalisation/
[11]. Lettre d’invitation au Parti Communiste allemand (Spartakusbund) au Congrès de fondation de l’IC
http://www.marxists.org/francais/inter_com/1919/ic1_19190300a.htm
[12]. Plate-forme de l’internationale Communiste, adoptée au I° Congrès de l’I.C., 6 mars 1919.
http://www.marxists.org/francais/inter_com/1919/ic1_19190300d.htm