« Compétitivité » et « cout du travail » :
Vision bourgeoise du rapport capital-travail
LA VOIX DES COMMUNISTES, no 9, aout 2013 – p. 17-19
Le 27 septembre 2012, le premier ministre, Jean-Marc Ayrault a affirmé qu’en France, « le coût du travail n’est pas un sujet tabou »[1] et qu’alors il est envisageable de mener des réformes qui réduiraient le salaire, direct ou indirect, des travailleurs. Dans le même temps, le rapport Gallois préconise un « choc de compétitivité » pour l’économie française en réduisant « le poids de la fiscalité lié au niveau élevé des dépenses publiques »[2]. Compétitivité et diminution du cout du travail sont les maitres mots du gouvernement et des patrons pour s’adapter à la nouvelle économie internationale qui voit l’essor de nouveaux concurrents (Chine, Inde, Russie…) et qui est frappée par la crise de surproduction qui nécessite des restructurations profondes des grands monopoles capitalistes. En clair, la bourgeoisie derrière ces vocables tente de convaincre les prolétaires d’accepter de moins bonnes conditions de vie et de mettre à la trappe les acquis gagnés de haute lutte.
Parler de compétitivité ou de cout du travail, c’est se placer dans l’optique des capitalistes contre les prolétaires. La compétitivité est la capacité d’une entreprise à faire face à la concurrence d’autres entreprises en vendant des produits identiques (ou quasi-identiques) le moins cher possible. Être compétitif dans le système capitaliste permet d’abord de ne pas faire faillite mais surtout d’accumuler le maximum de profit. Pour permettre aux capitalistes d’être compétitifs au sein de l’économie mondiale, il faut jouer sur les frais de production dont le cout du travail. Le salaire du point de vue patronal est donc un « cout », une « charge » car le capital utilise la force de travail des prolétaires pour produire des marchandises qu’il compte vendre le moins cher possible : c’est dans les intérêts des bourgeois d’optimiser la production, d’être concurrentiel et de vendre moins cher.
Plusieurs options existent pour les grandes multinationales françaises (parce qu’il faut bien dire que ce sont elles qui drainent l’économie du pays) afin de diminuer le prix de production d’une marchandise : attaquer les salaires et les charges sociales (dont le financement de la Sécurité sociale et autre salaire indirect). C’est le sens de l’offensive actuelle avec les réformes des retraites, l’ANI, ou encore le "Pacte national pour la croissance, la compétitivité et l’emploi" qui allège de 20 milliards d’euros le « cout du travail » en faveur du patronat. Les économies d’échelle (produire en masse) permettent aussi de réduire le cout de production pour le capital. Enfin il est possible pour les multinationales de jouer sur les sous-traitants et les fournisseurs, eux aussi soumis aux lois de la concurrence capitaliste, en utilisant des matières premières et pièces moins chères ou encore des sous-traitants à la main d’œuvre moins couteuse, plus flexible : c’est à ça que servent les PME tant vantées dans les médias ‑ permettre aux grands monopoles internationaux de rester compétitifs en ne s’occupant que d’une partie (même infime) du processus de production. Cela permet en même temps de diviser artificiellement les prolétaires au sein du processus de production : leur organisation du point de vue syndical est bien plus difficile du coup. Pour le capital le salaire, les charges, sont des couts comme le sont les machines, car dans leurs formules managériales, plus ces dépenses sont élevées, moins le profit est conséquent. Comme le remarque le rapport Gallois, « la compétitivité de l’industrie française régresse depuis 10 ans » et « le mouvement semble s’accélérer »[3], et les plans capitalistes visent à réduire le cout du travail afin de se réadapter. Pour faire accepter ses plans funestes au prolétariat, la bourgeoisie met en branle tout son appareil de propagande afin de convaincre du « bien-fondé » de ses réformes. Plusieurs thématiques sont utilisées pour influencer le prolétariat. Les militants communistes, les syndicalistes, militants de classe doivent les combattre.
Il y a tout d’abord le slogan sur l’unité nationale, repris très souvent par le PS et particulièrement par le Premier ministre : « Chacun doit avoir le sentiment que l’effort est justement partagé, comme en seront justement partagés les bénéfices lorsqu’ils apparaitront »[4]. Le dirigeant du PS fait croire que le prolétariat pourra être associé aux profits de la bourgeoisie une fois qu’elle aura rétabli la compétitivité. Pourtant aujourd’hui, les prolétaires doivent se sacrifier (accepter des licenciements, diminution de salaires) pour sauver voire augmenter les profits de la bourgeoisie. Dans cette société où il existe un antagonisme de classe irréductible, l’augmentation du taux de profit entraine forcément une intensification de l’exploitation des prolétaires par l’extorsion plus importante de plus-value : c’est ce que cherchent à faire Renault ou PSA en restructurant leurs entreprises, en jouant sur la masse des salaires à la baisse pour Renault qui met en place l’ANI, ou en rationalisant la production en menant des plans antisociaux chez PSA. Il ne peut donc exister d’unité nationale lorsque le système se nomme capitalisme-impérialisme et qu’il a pour mot d’ordre compétitivité et diminution du cout du travail. Marx et Engels remarquaient à ce titre que « l’augmentation sensible du salaire suppose un accroissement rapide du capital productif »[5]. Cette condition nécessaire à toute amélioration du salaire pouvait exister avant que le capitalisme n’entre dans sa phase de décadence où la crise devient permanente[6]. De toute évidence il n’existe pas d’intérêts convergents entre prolétaires et bourgeois, Marx a bien démontré que profits et salaires « sont en rapport inverse. La part du capital, le profit, monte dans la mesure où la part du travail, le salaire, baisse, et inversement »[7].
Les médias français ne font aussi que ressasser que le cout du travail serait particulièrement élevé en France comparé à l’Allemagne. Ceci n’est pas vrai car le « coût » horaire est quasiment équivalent entre les deux pays et même légèrement plus élevé chez nos voisins dans l’industrie (33,37 euros pour l’Allemagne contre 33,16 euros pour la France[8]). De plus ces chiffres ne prennent pas en compte la productivité horaire très forte en France. Cela fait une trentaine d’années que le patronat diminue le salaire des prolétaires à son profit, trente années durant lesquelles par ailleurs le mouvement ouvrier et ses dirigeants ont abandonné le terrain de la lutte classe contre classe, nécessaire afin de défendre les intérêts du prolétariat. En Allemagne, la bourgeoisie mène les mêmes réformes que celles qui sont réalisées en France : retraites à 67 ans pour 2017, mini-boulots à 400 euros par mois, obligation de prendre un salaire inférieur à une indemnité chômage, etc. Il en a résulté en Allemagne une paupérisation rapide du prolétariat, et en aucun cas une amélioration de leurs vies. Et si l’Allemagne parvient à s’en sortir pour le moment mieux que la bourgeoisie française dans la course aux profits, c’est dû à la production haut de gamme d’une partie des industries allemandes (Mercedes, BMW, Audi) qui utilisent l’Europe de l’Est comme sous-traitants des différentes pièces. La réunification entre Allemagne de l’Ouest et de l’Est a permis une nouvelle dynamique en créant un grand marché et de mettre en concurrence les travailleurs des deux côtés. Mais France ou Allemagne, les deux États, exploiteurs des prolétaires, bourreaux des peuples, sont emportés par la bourrasque de la crise de ce système capitaliste pourrissant et ne peuvent en juguler ses effets.
Les médias cherchent aussi à prouver que la diminution du cout du travail faciliterait les embauches. Ce ne sont là, bien entendu, que des balivernes. Les capitalistes baissent les salaires pour traverser une mauvaise passe, restructurer la production face aux besoins de l’économie capitaliste internationale. Déjà en 2006, un rapport de la cour des comptes a montré que « les exonérations de charges sur les salaires n’ont pas impacté significativement la politique du recrutement »[9]. Aujourd’hui, la situation est bien plus grave, car dans une crise de surproduction des masses d’ouvriers sont jetées sur le pavé du fait de la destruction des forces productives. Aussi, le capital en introduisant des techniques nouvelles peut se « passer » d’une partie de la main d’œuvre qui pour lui devient superflue. Tout progrès technique dans le cadre du système capitaliste, au lieu d’améliorer la vie des travailleurs, est un nouveau fardeau qui accroit l’exploitation, la misère et le chômage. Ce chômage est chronique depuis une trentaine d’années et il s’amplifie sous le poids de la crise économique. Cette armée de travailleurs inoccupés permet aux patrons de renforcer l’exploitation sur l’ensemble du prolétariat. Depuis trente ans par contre, les salaires, les « charges sociales » sont attaquées et le chômage n’a pas baissé pour autant, il a même largement augmenté! Mais la bourgeoisie ne cherche pas à réduire le chômage ou à améliorer la vie des prolétaires, seul le profit compte pour eux.
La diminution du cout du travail reste au final un mécanisme central pour améliorer l’exploitation des prolétaires, afin de répondre aux transformations structurelles du capitalisme. Les bourgeois adaptent leur production pour rivaliser entre eux sur la scène internationale. Mais le salaire n’est pas un cout pour les prolétaires, c’est la vision économique bourgeoise qui véhicule ce mensonge. Marx et Engels ont analysé scientifiquement le contenu des rapports de production capitalistes et il en ressort que le cout du travail n’existe pas car ce sont les prolétaires, les forces productives qui mettent en mouvement les moyens de production et qui créent ainsi des valeurs nouvelles. À demi-mot, le Premier ministre reconnait ce fait dans le rapport Gallois en donnant à l’industrie « un rôle majeur d’entrainement de l’économie pour la croissance, l’emploi et l’innovation »[10]. Mais en bon larbin du capital, il n’explique pas qu’au sein de la production, le prolétariat est source de richesse et le capital ne tire ses profits que de son pouvoir de confiscation de la propriété des moyens de production. La force de travail, le prolétaire,
« est dans notre société capitaliste actuelle, une marchandise comme toutes les autres, mais néanmoins une marchandise tout à fait spéciale. En effet, elle a la propriété particulière d’être une force qui créé de la valeur, une source de valeur et, notamment, par un traitement approprié, une source de plus de valeur qu’elle n’en possède elle-même, à chaque nouvelle découverte scientifique, à chaque nouvelle invention technique, cet excédent de sa production quotidienne, s’accroit au-delà de ses frais journaliers et par conséquent, la partie de la journée dans laquelle l’ouvrier tire de son travail l’équivalent de son salaire quotidien diminue alors que la partie de la journée de travail pendant laquelle il est obligé d’offrir son travail au capitaliste sans être payé pour cela augmente d’autre part[11]. »
Le prix de la marchandise force de travail ne suit pas la valeur de la marchandise qu’il crée mais équivaut aux frais de production de la force de travail, c’est‑à‑dire que ces frais « se composent donc des frais d’existence et de reproduction de l’ouvrier. Le prix de ces frais d’existence et de reproduction constitue le salaire »[12]. Ces frais varient selon les pays, le rapport de force du prolétariat avec la bourgeoisie, le niveau de formation professionnelle des prolétaires. Dans la société capitaliste, la majorité du peuple doit se salarier pour vivre et seule une minorité a les moyens de posséder les machines, les instruments de travail; cette minorité ne crée pas les richesses de la société mais se les approprie par le droit à la propriété. Le capital n’existe donc que grâce au travail salarié des grandes masses du peuple. Cela ne peut plus durer, l’édifice capitaliste est en train de craquer sous le poids de ses contradictions. Les bourgeois font passer les prolétaires pour responsables de la crise, et leur en font porter le poids. Or ces derniers sont les seuls à être exploités et n’ont aucune responsabilité dans la conduite de l’économie capitaliste. Et ils n’ont aucun intérêt à participer au sauvetage de ce système qui les enchaine.
Marx a bien montré la voie que les prolétaires devaient suivre pour se débarrasser du capital exploiteur :
« D’un côté, des richesses incommensurables et un excédent de produits que les preneurs ne peuvent absorber. De l’autre, la grande masse de la société prolétarisée, transformée en salariés et mise par ce fait même dans l’incapacité de s’approprier cet excédent de produits. La scission de la société en une petite classe immensément riche et en une grande classe de salariés non possédants fait que cette société étouffe sous son propre superflu alors que la grande majorité de ses membres n’est presque pas, ou même pas du tout, protégée contre l’extrême misère. Cet état de chose devient chaque jour plus absurde et plus inutile. Il faut qu’il cède sa place, et il peut céder la place. Un nouvel ordre social est possible dans lequel auront disparu les différences actuelles entre les classes et où ‑ peut être après une période de transition courte, un peu maigre, mais en tout cas moralement très utile ‑ grâce à une utilisation rationnelle et au développement ultérieur des énormes forces productives déjà existantes de tous les membres de la société, par le travail obligatoire et égal pour tous, les moyens de vivre, de jouir de la vie, de se développer et de mettre en œuvre toutes les capacités du corps et de l’esprit seront également à la disposition de tous et dans une abondance toujours croissante[13]. »
[1]. http://www.lepoint.fr/economie/des-paroles-et-des-actes-jean-marc-ayrault-laisse-la-porte-ouverte-a-la-csg-ou-la-tva-sociale-27-09-2012-1511041_28.php
[2] Louis Gallois, Pacte pour la compétitivité de l’industrie française, rapport au Premier ministre, 5 novembre. 2012. p. 11.
Le 11 juillet 2012 le Premier ministre Jean-Marc Ayrault adresse au Commissaire général à l’investissement, Louis Gallois, une lettre de mission lui demandant de lui remettre un rapport faisant part de « propositions sur différentes mesures structurelles susceptibles de porter à nouveau notre industrie aux meilleurs niveaux mondiaux », afin que puisse être mis en œuvre « un véritable pacte productif pour la compétitivité, la croissance et l’emploi ».
[3]. Idem, Introduction, p. 5.
[4]. Ibidem.
[5]. K. Marx, Travail salarié et capital, Éditions sociales, p. 41.
[6]. Voir notre article "Pas d’issue à la crise dans le cadre du capitalisme décadent" dans ce présent numéro, p. 12‑16.
[7]. K. Marx, op. cit., p. 44.
[8]. ATTAC, Pour en finir avec la compétitivité, p. 13.
[9]. ATTAC, Pour en finir avec la compétitivité.
[10]. Rapport Gallois, p. 5.
[11]. K. Marx, op. cit., p. 17‑18.
[12]. Idem, p. 33‑34.
[13]. Idem, p. 19.