Leçons d’une grève chez Vinci
LA VOIX DES COMMUNISTES, no 12, avril 2015 – p. 20-23
Le 13 février une grève sur les chantiers de Vinci se terminait victorieusement une semaine après avoir été déclenchée. Elle fut précédée d’un travail de préparation et d’information effectué par des militants syndicaux dévoués à leur classe. Pour nous communistes, sa portée dépasse la simple question des augmentations de salaires obtenus, car la mobilisation des travailleurs de plusieurs entreprises impliquées sur les chantiers de Vinci, la solidarité qui s’est exprimée entre eux dans la lutte, ont fait naitre ou renaitre chez les travailleurs la conscience qu’ils appartiennent à une classe aux intérêts diamétralement opposés à ceux du capital. Prise de conscience nécessaire (voir l’article précédent[1]) pour qu’ils s’érigent en classe politiquement indépendante de la classe bourgeoise, donc en Parti et conduisent la société vers une société nouvelle, socialiste sans exploitation de l’homme par l’homme.
Nous publions ci-dessous l’analyse qu’en fait un camarade ayant participé à la grève. Qu’elle soit source d’inspiration et d’encouragement pour les communistes dans leur activité militante.
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Après la grève de l’an passé chez Vinci qui avait démontré la capacité de mobilisation des travailleurs pour leurs revendications, le collectif CGT Vinci a décidé, avant que la NAO (Négociation Annuelle Obligatoire) commence, d’organiser un rassemblement devant le siège de Vinci à Rueil-Malmaison le 6 novembre 2014. Le collectif CGT Vinci IdF s’est particulièrement impliqué dans cette initiative. Plus de 500 salariés ont répondu à l’appel. Cette forte mobilisation a conduit plusieurs délégués de divers syndicats, notamment de la CGT et de la CFDT, à envisager un prolongement à cette action.
Le 7 janvier des délégués de 15 entreprises se réunissent à Rungis, en intersyndicale. Tirant les leçons de la grève de l’an dernier il fut décidé qu’aucune NAO ne serait signée séparément dans chaque entreprise avant d’avoir obtenu une négociation avec Vinci. Un premier tract d’information fut largement distribué aux travailleurs avec comme date butoir de réaction de Vinci le 28 Janvier. Une deuxième réunion de l’intersyndicale fut fixée au 4 février 2015. Ce jour‑là constat fut fait que Vinci ignorait l’intersyndicale et manœuvrait pour diviser et régner. Mais Vinci n’a pas réussi à diviser l’intersyndicale. Dans aucune entreprise un accord NAO n’a été signé. Jamais auparavant, autant d’entreprises n’avaient mené une telle action collective concertée.
Pour enrayer le mouvement collectif naissant, Vinci dans certaines entreprises a proposé des augmentations pour empêcher la grève. Un exemple, chez SOGEA (un des points forts syndicalement) la direction a proposé 1,5 % d’augmentation générale pour les ouvriers qui touchent moins de 2500 euros/brut, avec l’argument « pour 0,5 % de plus que vous demandez cela ne vaut pas le coup de faire grève ». La réponse a été claire et nette. Le 4 février, l’intersyndicale lance un mot d’ordre de grève reconductible à partir du lundi 9 février 2015. Les salariés ont massivement répondu à l’appel sur les chantiers et se sont mis en grève pour des augmentations de salaires et d’autres revendications annexes sur la base d’une revendication de 2 % d’augmentation générale des salaires pour tous au minimum. La CFDT proposait 1,5 % mais la CGT ne l’a pas accepté. Aujourd’hui la pratique a montré que c’était une erreur de vouloir baisser la barre des revendications.
Les propositions des directions des entreprises Vinci (entre 0,3 et 0,5 % en moyenne d’augmentation de la masse salariale) ont été majoritairement refusées par les délégués syndicaux.
Alors que le Groupe Vinci annonce 2,5 milliards d’euros de résultats en 2014, et bénéficie de toutes les mesures gouvernementales (CICE, pacte de responsabilité,…) : c’est l’austérité salariale pour les salariés!
Le premier jour de grève, seul le blocage de la circulation des marchandises et des camions de béton fut organisé. Le deuxième jour le blocage fut total. À l’exception de tout ce qui concernait la sécurité et la santé. Citons parmi les chantiers touchés par la grève :
– La station de traitement des eaux d’Achères.
– La Canopée à Chatelet-Les Halles.
– Le stade ARENA à Nanterre.
– Le chantier SMAROV à St-Cyr l’école.
– Le chantier Veolia à Aubervilliers.
Cette grève a été massive, du jamais vu depuis plus de 30 ans en Ile-de-France et dans le bâtiment : plusieurs centaines de travailleurs en grève (près de 700), 5 grands chantiers bloqués ainsi que plusieurs autres chantiers des entreprises BATEG, Dumez, GTM, SICRA, SOGEA IDF, TPI, CBC… Sur l’ensemble de l’Ile-de-France, sur les grands chantiers ce sont près de 2000 ouvriers qui n’ont pas travaillé. Ce mouvement a même suscité une autre grève pour une prime de chantier chez le NGE-Gantoli.
Après 4 jours, la grève s’achève victorieusement le vendredi suivant. Le mouvement démarré collectivement sur la plupart des grands chantiers se termine aussi en même temps, sans qu’il s’essouffle. C’est déjà une grande réussite d’une mobilisation collective. Le silence des médias a été assourdissant sur cette grève massive d’une semaine. L’esprit de solidarité et la ténacité, dans l’organisation de la grève (malgré le manque de préparation sur certains chantiers) furent incroyablement élevé. Soulignons le courage des camarades combattifs qui se sont mobilisés dès 4‑5 heures du matin durant toute la grève. Il faut aussi remercier les ouvriers non-grévistes de certaines entreprises qui n’ont pu travailler du fait des blocages des chantiers et qui ont manifesté leur solidarité avec nous. Malgré les tentatives de leur direction de les monter contre les grévistes au nom du "droit du travail" et qui ne voulait pas les payer. Aussi, l’esprit « un pour tous, tous pour un » ‑ conscience élémentaire d’appartenir à une même classe exploitée ‑ s’est manifesté avec force.
Pour faire face aux patrons, il n’y avait pas que des délégués, il y avait la classe ouvrière. Les délègues ont été portés et poussés par les travailleurs, ainsi les négociations NAO chez DODIN se sont déroulées sur le lieu de grève sous le contrôle des travailleurs en grève.
La solidarité de la CGT-FNSCBA s’est manifestée par le déplacement du secrétaire de la FNSCBA et de plusieurs secrétaires fédéraux, qui ont apporté leur soutien aux grévistes. Certains patrons de Vinci ont osé envoyer le SMS suivant aux élus : « n’écoutez pas les personnes extérieures à l’entreprise ». Génial! Aucune entreprise de Vinci ne peut seule prendre des décisions sans l’aval du « pouvoir central » extérieur, mais on nous demande de ne pas écouter nos camarades de l’extérieur! La bourgeoisie veut éviter à tout prix que les travailleurs agissent comme une classe, une force collective, pas comme des individus serviles. Mais là aussi Vinci a échoué.
Certains pensent que nous n’avons pas atteint complètement nos objectifs. Mais pour juger d’un succès ou d’un échec il faut envisager l’ensemble du mouvement et sa préparation. Sans le succès du 6 novembre, la préparation de la lutte, la formation d’une intersyndicale, aurions-nous obtenu ce que nous avons obtenu?
Ce fut une grande victoire régionale qui n’a pas de précédent et qui permet d’espérer d’autres mobilisations plus importantes, seules garantes de succès plus importants. Penser que l’on peut s’en sortir seul est une illusion. Le patron nous accuse de refuser des augmentations individualisées. Mais pourquoi se fait‑il tirer l’oreille pour augmenter l’ensemble des salariés? C’est qu’il sait lui, qu’il y a une contradiction totale entre son intérêt de patron (gagner le plus possible sur le dos des ouvriers) et augmenter les salaires. Ce que les ouvriers gagnent en plus c’est ce qu’il gagne en moins! C’est la bataille éternelle entre la bourgeoisie et la classe ouvrière tant qu’existera le système capitaliste d’exploitation de l’homme par l’homme.
Notre grève et sa réussite a servi d’exemple à d’autres grèves comme sur le chantier Achères, chez NGE où les travailleurs ont obtenu 150 euros/mois de prime de chantier, que leurs patrons leur refusaient depuis le début de chantier (juillet 2014).
Encore une fois, cette grève nous a montré que la question de l’organisation et la conscience d’appartenir à un collectif, à une classe aux intérêts en opposition totale avec ceux du patronat, sont fondamentales. Là où une lutte donne des résultats, c’est qu’une force organisée collective existe, et là où se construit une force organisée, des luttes fructueuses peuvent se mener. Là où il y a eu une résistance sans faille, des organisations syndicales d’entreprises solides, formées de militants convaincus, les patrons se mordent les doigts.
Pour mener la lutte correctement, pour avoir une perspective de classe et organiser la lutte dans un esprit collectif, le militant ouvrier doit se battre avec et dans sa classe.
Cette lutte et les luttes des dernières années nous ont instruits sur le fait suivant : Nombre de négociations n’en sont pas vraiment car elles ne s’appuient sur aucun travail sur le terrain. Nombre de délégués ne font pas confiance aux travailleurs. Ils se placent sur le terrain défavorable de la soumission au patronat, dans la recherche systématique d’un compromis sans rapport de force et qui se termine souvent mal pour les travailleurs.
Patronat et salariés, nous ne sommes pas des « partenaires sociaux » comme on veut nous en persuader. Il ne faut pas oublier que nous ne sommes pas sur un pied d’égalité avec nos patrons. Alors que le mouvement de grève était au plus haut et nous mettait en position de force, certains délégués syndicaux, à l’encontre de la décision de l’intersyndicale ont tenté de négocier seuls ou n’ont pas su résister face aux pressions de leurs patrons. Ce comportement a dès le début affaibli le rôle de l’intersyndicale qui n’a pu jouer pleinement son rôle d’interlocuteur central pour les négociations et pour coordonner la lutte. Mais les délégués CGT ont été fermes et ont défendu le principe « on a commencé ensemble on finira la grève ensemble ». Il faut bien comprendre que cette situation qui a affaibli la force du mouvement n’est pas le résultat d’un comportement d’un ou deux délégués « achetés par le patronat ». Le caractère et le comportement individuel est secondaire et n’est que l’illustration de l’état de conscience de classe et de l’organisation syndicale. Souvent en fait il n’existe pas de véritable syndicat d’entreprise qui fonctionne vraiment, mais des individus syndiqués. Même quand la CGT est la seule représentante sur une entreprise, il n y a pas fonctionnement collectif. Par contre le patron, avec sa force et son pouvoir économique, sa discipline, son service du personnel (DRH), la mobilisation des cadres (certaines cadres avouent « je suis obligé de suivre »), ses règles disciplinaires, ses mesures discriminatoires vers les meneurs de la lutte… est très bien organisé. Nous ne pouvons en dire de même sur beaucoup d’entreprises pour les syndicats.
Certains syndicats ou délègues au lieu défendre l’intérêt général défendent leur situation, et leur faiblesse ou leurs intérêts sont au cœur de leur activité. Ce comportement conduit les travailleurs à perdre confiance en leur force, et il n’est pas possible pour eux de faire l’expérience que leur lutte unie les conduits à faire plier le patronat.
On sait que la CFDT ou la CFTC au niveau national sont des « partenaires » du gouvernement qui promulgue des lois contre l’intérêt des travailleurs. Nous avons néanmoins œuvré pour qu’existe une intersyndicale car l’unité des salariés et l’unité syndicale à la base est favorable à la lutte et nous nous y serions opposés dans le cas contraire ou si au cours de la lutte elle était devenue un obstacle.
S’est posé au cours de la lutte le problème d’une possible unité ouvriers, etams et cadres. L’unité absolue entre ces trois catégories est un rêve tout éveillé. Plusieurs raisons à cela. Si formellement ces trois catégories ont en commun d’être des salariés, ils ne jouent pas le même rôle dans la production. Les ouvriers sont directement au cœur de la production, ils ont un lien étroit, direct avec la production. Les etams et cadres sont dans les bureaux, ils ont des tâches qui mettent en avant leur individualité. La notion de « mérite individuel » est bien acceptée par les etams et cadres, au contraire des ouvriers. Le patron utilise très bien cette différence d’état d’esprit pour manipuler et diviser les salariés.
Néanmoins il faut savoir identifier ce qui peut amener les etams et une fraction des cadres à la lutte ou du moins se montrer solidaire de celle‑ci. En excluant les cadres supérieurs qui ne seront jamais solidaires des travailleurs car ce sont en fait des patrons. Pour mener un mouvement commun, il faut bien distinguer les revendications de chacun et les limites objectives de la lutte engagée.
C’est dans la lutte que se révèlent les positions de chaque organisation et leur tactique. Grâce à la lutte on peut également savoir à qui on a à faire. La lutte est à la fois sélective et unificatrice. Elle permet de savoir qui a vraiment envie de se battre. Une anecdote : Un ouvrier de chez Eiffage a été solidaire de la grève sur le chantier d’Achères. Son patron a aussitôt décidé de le muter ailleurs. Lors du dernier jour de grève, les grévistes ont rendre hommage à cet acte de solidarité et demandé la réintégration de ce camarade sur le chantier en menaçant de poursuivre la grève. Finalement ce travailleur est revenu sur le chantier. C’est la solidarité entre les travailleurs qui l’a permis. Belle illustration d’une prise de conscience d’appartenir à une même classe. C’est dans la lutte que les travailleurs font l’expérience concrète de la lutte de classe, que leur conscience s’éveille et se consolide. Les militants combattifs ont là un terrain favorable pour leur faire comprendre que tout acquis est une victoire, mais une victoire temporaire, sans cesse remise en question par le patronat ou le pouvoir. Il ne faut pas oublier que les lois votées au niveau national par le parlement sans y être forcées par la lutte des travailleurs ne sont jamais en notre faveur. Voir les lois ANI ou actuellement la loi Macron : toutes en faveur du patronat.
Voilà pourquoi les travailleurs doivent élever leur niveau de lutte, ne pas se cantonner à des revendications locales ou régionales, mais les élever au niveau national en une lutte de toute la classe contre le pouvoir politique de la bourgeoisie vers le but vers lequel l’histoire les entraine, l’abolition de leur état d’esclaves du capital.
Un militant syndicaliste gréviste
[1]. "Importante tâche des communistes – Élever le niveau de conscience de la classe", La Voix des Communistes, no 12, avril 2015 – p. 16-19.