Le Front National et la question
du fascisme ou de la fascisation
LA VOIX DES COMMUNISTES, no 15, 1er trimestre 2016 – p. 13-14
À chaque élection, les progrès du FN jettent la panique dans les rangs de la gauche réformiste et dans ceux des mouvances « révolutionnaires » y compris certaines qui se réclament du marxisme-léninisme. La fascisation et le fascisme qui en serait l’aboutissement deviennent leur cible principale qui les amène à se ranger derrière le PS ou la droite pour y faire barrage.
Qu’en est-il de ce « danger » ?
Le FN est une pièce nécessaire au bon fonctionnement du mécanisme (du jeu) électoral bourgeois dans les conditions d’un rejet des partis de droite et de gauche démasqués et usés par des dizaines d’années de rotation dans la gestion du pouvoir politique, et de l’inexistence d’un mouvement ouvrier révolutionnaire.
Fonctions du FN dans ce contexte
1) Servir de repoussoir pour ramener les « démocrates » vers les partis « républicains » classiques de droite ou de gauche. Ce rôle est assumé avec efficacité depuis des dizaines d’années.
2) Servir de déversoir en canalisant le mécontentement populaire pour l’écarter de la reconstruction d’un mouvement populaire et ouvrier anticapitaliste. Pour diviser la classe ouvrière, le FN utilise la démagogie populiste du racisme, de la xénophobie, du nationalisme et du chauvinisme comme réponse à la misère et au chômage.
3) Précéder, inspirer et encourager par la surenchère sécuritaire les dérives droitières et autoritaires d’atteinte aux libertés pratiquées par les partis de la gauche et de la droite classiques qui alternent à la gestion du pouvoir politique.
À propos du concept de fascisation
Ce concept est principalement porté par la petite bourgeoisie intellectuelle réformiste ou révolutionnariste. Associé aux mots d’ordre de lutte pour la défense des libertés (démocratiques républicaines bourgeoises), il exprime pour les premiers (les réformistes) la peur d’une limitation de leurs libertés individualistes égoïstes (bobos anarchisants) et pour les seconds (« les révolutionnaires »), leur mépris ou leur incapacité à s’intégrer aux luttes et aux tâches politiques du prolétariat.
Pour ces couches de la petite bourgeoisie intellectuelle de gauche ou d’extrême gauche, toute mesure de renforcement de l’appareil d’État est un pas vers le fascisme. Se faire peur en agitant l’épouvantail du fascisme leur tient lieu de ligne et de pratique politique occasionnelle ou permanente. C’est leur manière, depuis des dizaines d’années, de se donner l’illusion d’être à l’avant-garde de la lutte politique. Pourtant, de fascisation en fascisation, la démocratie bourgeoise n’a toujours pas accouché du monstre. Grâce à leur vigilance républicaine et à leurs « luttes »? Ou parce que la bourgeoisie n’en a pas jugé la nécessité?
Qu’est-ce que le fascisme
Mais d’abord, qu’est-ce que la démocratie et la république bourgeoises?
La république démocratique bourgeoise est pour les marxistes, une forme politique de la dictature de la bourgeoisie capitaliste sur le prolétariat et d’autres couches populaires. L’apparence est démocratique, mais l’essence est la dictature de la classe capitaliste. Cette forme se caractérise par un certain nombre de droits et de mécanismes qu’on peut regrouper dans le concept de libertés démocratiques. L’exercice de ces droits permet aux travailleurs de développer des activités sociales et politiques dans un contexte légal, donc sans être soumis en principe à la violence physique arbitraire de leurs ennemis de classe. Cette forme donne des possibilités au mouvement ouvrier pour développer ses activités. Il est juste de profiter de ces possibilités et de lutter pour les conserver.
QUOIQUE… La loi protège, certes, mais elle limite, également. Elle interdit en particulier le renversement du système économique capitaliste. Elle limite par la Constitution et par les lois les actes qui remettraient en cause ce système, son fonctionnement, et encore plus, son existence. Tout dépassement de cette ligne rouge entraine la mise en branle de l’appareil d’État : police, tribunaux, armée. Pour autant, le système politique démocratique bourgeois n’est pas remis en cause. L’histoire de la 4e et de la Ve République fournit de nombreux exemples de ce mécanisme politique de la république démocratique bourgeoise, sans que les mesures répressives de l’État ne conduisent au fascisme, à l’issue d’un processus de « fascisation ».
L’intervention de l’armée pour mater la grève des mineurs du Nord pas de Calais en 1948, l’emprisonnement et le licenciement des chefs syndicaux en est l’illustration. La répression et l’atteinte aux libertés sont une pratique courante de la république démocratique bourgeoise. Sans qu’il y ait forcément un « processus de fascisation ». (ex : l’état d’urgence : fascisation ou test politique sur l’état d’esprit des masses?)
Tant que l’ordre bourgeois n’est pas menacé dans son existence, la démocratie bourgeoise est la meilleure forme de domination du capital. Le fascisme constitue une autre forme de la dictature du capital, dictée par les circonstances, quand la démocratie n’est plus capable d’assurer l’ordre bourgeois.
Ses caractéristiques ont été définies par l’Internationale Communiste comme la dictature terroriste de l’État monopoliste, la liquidation de tous les ornements de la démocratie bourgeoise. Pratiquement : Un chef (Duce, Führer, Caudillo…), un parti unique fasciste, interdiction des autres partis, interdiction des syndicats de classe, arrestation, internement et liquidation physique des dirigeants ouvriers et autres démocrates. Le fascisme a été établi selon des scénarios divers : victoire électorale associée à la violence de masse du parti fasciste (Italie, Allemagne), putsch (Chili, guerre civile (Espagne)…
Des courants démocrates et révolutionnaristes petits bourgeois, y compris des groupes qui se réclament du marxisme-léninisme ou du maoïsme pensent que le fascisme est préparé en France par une succession d’atteintes aux droits démocratiques bourgeois réalisés par des gouvernements de droite et pour certains, de gauche (Hollande, Valls). Il s’établirait légalement par une victoire électorale du FN. Certains parlent d’un fascisme moderne déjà à l’oeuvre. Qu’en est-il?
1) Les conditions qui rendent nécessaire le recours à la dictature terroriste de la bourgeoisie monopoliste existent-elles? Elles ne le sont ni aujourd’hui, ni à portée de vue. La grande majorité de la population, y compris les masses populaires est soumise à l’idéologie bourgeoise sous de multiples formes, et seule une minorité militante communiste combat effectivement le capital. Nul besoin de la terreur pour que la bourgeoisie continue à dominer!
2) Alors certains parlent d’un fascisme moderne. Ce serait la violence idéologique pratiquée par le pouvoir politique et les médias bourgeois. C’est confondre à des fins propagandistiques et agitatoires la violence idéologique, active dans toute démocratie bourgeoise et la violence terroriste caractéristique du fascisme.
Le FN parti fasciste à la porte du pouvoir? Tel n’est pas notre avis.
Le FN est-il un parti fasciste?
Il en possède sans aucun doute quelques attributs. À ses origines, il s’est créé avec de véritables fascistes, tortionnaires et génocidaires coloniaux, membres de l’OAS et autres services occultes de l’État. Son nationalisme réactionnaire, sa xénophobie, sa haine du mouvement ouvrier anticapitaliste, son anticommunisme, il les partage avec d’autres partis d’extrême droite, fascisants ou ouvertement fascistes actuels ou passés en France et dans le monde.
Cependant, son organisation et ses méthodes ne sont pas celles d’un parti fasciste. Le FN est un parti d’extrême droite, ultraréactionnaire. Ce parti a pour but d’accéder pacifiquement, électoralement, à la gouvernance de la société capitaliste française.
Son problème, c’est que dans les conditions de la faiblesse du mouvement ouvrier anticapitaliste, la bourgeoisie n’a pas besoin de lui. Hollande, Sarkozy et leurs partis font très bien l’affaire! Pire (pour lui), ses propositions économiques sont contraires aux intérêts des monopoles français (voir la campagne de Gattaz et du MEDEF pour l’écarter des conseils régionaux). De plus, le système électoral de la Ve République ne lui laisse qu’une chance minime d’accéder au pouvoir gouvernemental. La peur panique du FN qui entraine à soutenir d’autres partis bourgeois n’est pas justifiée.
Pour autant, le FN est un parti dangereux et nocif au prolétariat. Il répand son venin dans le peuple. En jouant ce rôle dans l’arène politique de la démocratie bourgeoise il est la troisième corde de l’arc de la dictature du capital. C’est comme tel qu’il faut le combattre.
Camile Deroubaix