52e Congrès de la CGT
À propos de l’évolution récente de la CGT
LA VOIX DES COMMUNISTES, no 26, septembre 2019 – p. 4-17
Le 52e Congrès de la CGT tenu en mai dernier à mis en lumière quelques enjeux de la lutte de la classe ouvrière en France. Ni les orientations assumées par la direction confédérale ni les critiques formulées à divers titres par bon nombre de militants, ne sont aptes à faire accomplir aux travailleurs des avancées décisives vers l’amélioration du rapport de forces face au Capital et à la bourgeoise.
En ce qui concerne le Congrès, sa préparation a d’emblée été marquée par le fait que la direction s’acharne à mettre en avant des sujets dont l’examen ne mène nulle part : « La réalité du travail et son avenir avec les évolutions technologiques comme le numérique » et « Le statut de celles et ceux qui travaillent, avec au cœur notre proposition du nouveau statut du travail salarié et sa sécurité sociale professionnelle ». Ce "NSTS" avait été mis en chantier en 1997, présenté au 47e Congrès en 2003, adopté par le 48e Congrès en 2006, et était devenu la revendication phare de la direction, le centre de sa doctrine sociale[1]. Les années passent, mais les directions successives de la Confédération font preuve de suite dans les idées : sur le fond, cette persistance reflète une forte présence de l’influence de la petite bourgeoisie par le biais du réformisme. Cependant on constate que, à l’occasion du 52e Congrès comme dans le passé, ce thème revendicatif voulant donner au "travail" un "statut" n’a pas attiré l’attention des militants et des travailleurs. Cela n’est pas surprenant, car il ne fournit aucun levier ni pour des mobilisations dans l’immédiat ni pour des objectifs de lutte réalistes à plus long terme. Et il n’y a aucun regret à avoir au sujet de ce désintérêt, au contraire, c’est un signe que les travailleurs gardent malgré tout une certaine capacité de bon sens. Ne serait-ce que par réaction instinctive, ils ne se laissent pas abuser sans limites par la propagande visant à les orienter vers l’illusion qu’il soit possible sous le capitalisme que chaque travailleur, individuellement, pourrait se soustraire à la soumission de sa force de travail aux rapports marchandes propres au capitalisme, et aux conséquences qu’implique cette détermination objective.
La question de "la réalité du travail" n’a pas non plus trouvé d’écho durant le congrès. À ce sujet, l’absence de la part de la direction confédérale, d’une critique de fond de la société capitaliste est évidente.
Dans le projet de document d’orientation[2], on lit[3] :
Notre volonté de transformation sociale et notre ambition revendicative s’attaquent aux sources du mal, au cœur du conflit entre capital et travail fondé sur le partage inégal et injuste des richesses créées par le travail, au détriment des travailleurs eux-mêmes.
Et aussi[4] :
Il nous faut aussi considérer dans son ensemble le monde du travail, le statut de l’entreprise, ses modes de gestion et les fonctions des directions qui en découlent, le poids et le rôle de la finance, la place que le syndicalisme doit (re)-conquérir pour aider les salaries à re-prendre la main. Nous devons prendre toute notre place pour engager un processus de renouveau démocratique en dehors duquel il n’est pas de progrès social possible.
Les préoccupations concernant le "partage inégal" ainsi que "le statut de l’entreprise, ses modes de gestion et les fonctions des directions qui en découlent, le poids et le rôle de la finance" sont l’expression d’une vision réformiste, erronée. Dans la société capitaliste toutes les reformes qu’on pourrait imaginer en la matière relèvent du domaine des rêves irréalisables – depuis deux siècles la pratique du capitalisme a montré cela amplement. La caractérisation de la "réalité" du travail n’est liée qu’accessoirement au développement des technologies et de l’informatique. Cette question est fondamentalement déterminée par les rapports de production, dont la nature n’a nullement été transformée par l’évolution des moyens de production et de l’organisation technique et pratique des forces productives. La réalité du travail aujourd’hui, c’est la réalité formée par la domination du capitalisme impérialiste sur le plan mondial. Ce n’est qu’en envisageant la question de cette manière qu’elle peut être analysée de façon pertinente. Et c’est effectivement un devoir pour les marxistes-léninistes, pour comprendre la situation de la classe ouvrière, en France et dans le monde.
Cela dit, la question des nouvelles technologies met une fois de plus en évidence le fait que les rapports de production capitalistes ne visent pas à assurer que les progrès techniques soient mise au service de l’amélioration des conditions de travail et de vie des travailleurs, bien au contraire. Souligner ce fait constitue un élément important pour développer la conscience anticapitaliste. Or le discours adopté par la direction de la CGT est orienté dans le sens opposé, par exemple quand le texte d’orientation avance la formule « Ne pas laisser la "révolution numérique" aux mains du capital »[5].
La question de l’adhésion à la FSM
Une des questions mises en avant durant la préparation du congrès et durant le congrès lui-même, était celle des relations de la Confédération au niveau international. Ce débat avait été lancé autrefois en concomitance avec la démarche de la CGT visant à adhérer à la Confédération européenne des syndicats (CES), ce qui impliquait de quitter la Fédération syndicale mondiale (FSM). La critique de fond qui est faite face aux directions confédérales successives consiste à dénoncer les orientations de collaboration de classe adoptées par la CES, ainsi que par la Confédération syndicale internationale (CSI) à laquelle la CES est associée. Cette critique est entièrement justifiée et doit être exprimée publiquement sans compromis. Par ailleurs, il est évident que la CGT devrait développer autant que possible des relations internationales avec des syndicats partout dans le monde, sans privilégier le cercle des pays impérialistes dominants. On trouve à ce sujet des commentaires tout à fait sensés alliant les deux aspects[6]. Cependant, telle que l’argumentation est développée par certaines organisations et militants, l’enjeu des relations internationales est érigé en clivage de principe de façon foncièrement erronée. Ceux qui mènent la charge en faveur de l’adhésion à la FSM, font parfois preuve d’un manque profond de discernement, induit par le fait qu’ils sont loin d’avoir une vision marxiste-léniniste.
Exemple, un texte à propos du congrès, cosigné par le PRCF et le RC[7] :
L’opposition entre syndicalisme réformiste et syndicalisme révolutionnaire s’est exprimée surtout sur la question du syndicalisme international. […] cette volonté des congressistes – exprimée par 300 amendements sur le sujet de la FSM – de travailler avec cette internationale syndicale clairement anti-impérialiste et anticapitaliste […].
Or, d’une, l’affirmation que la FSM incarne des positions antiimpérialistes et anticapitalistes n’est pas conforme à la réalité; et de deux, la promotion d’une adhésion à la FSM ne constitue ainsi nullement une "opposition entre syndicalisme réformiste et syndicalisme révolutionnaire". Certes, les documents, déclarations, discours, publiés par la FSM incluent régulièrement des dénonciations truffées des mots classe, impérialisme, monopoles, antiimpérialisme etc., mais pour autant que les formulations vont au‑delà de la rhétorique formelle, elles relèvent de la fiction réformiste, à la seule particularité près que le réformisme dans les pays dominés par l’impérialisme implique quelques variations dans son expression, comparé au réformisme dans les pays impérialistes dominants.
D’un point de vue général, en témoignent les paragraphes suivants, figurant dans une résolution adoptée par la Conférence européenne de l’Union Internationale de Syndicats de l’exploitation minière, la métallurgie y le métal (UIS-MMM) de la FSM qui s’est tenue à Athènes (Grèce) le 16 avril 2010[8] :
Pour sortir de cette situation intenable, nous en tant que travailleurs européens sommes confrontés au défi permanent et historique de progresser vers une société basée sur les droits de la classe ouvrière et des peuples, avec les différents processus de transformation sociale qui doivent être menés à bien, en nous opposant énergiquement à ceux qui tentent de faire obstacle à cela.
Les participants à cette conférence revendiquent le droit du mouvement syndical en Europe à participer et à influencer la conformation d’un nouvel ordre économique et social fondé sur le partage du travail et de la richesse, la justice sociale, libre de toute sorte de discrimination, dans lequel les travailleuses et travailleurs sont créateurs de prospérité et maitres de leur propre destin, et nous fixons aussi la défense des droits des syndicats et du travail comme priorité permanente.
Et un cas spécifique, celui du Moyen-Orient, peut illustrer le caractère défectueux du prétendu "anti-impérialisme"[9] :
Parallèlement à notre lutte contre les interventions impérialistes, contre les politiques de l’OTAN, des États-Unis, de l’UE et de leurs alliés, la FSM exprime fermement sa solidarité avec les forces progressistes et anti-impérialistes en Turquie, au Liban, en Iran, en Iraq, au Yémen et en Jordanie dans leur lutte pour des droits populaires, du travail, syndicaux et démocratiques.
Une position ferme et des principes de la FSM a toujours été et sera que ce sont les peuples eux-mêmes – et pas les impérialistes – ceux qui ont le droit de décider de manière libre et démocratique sur leur présent et leur avenir.
La référence aux "forces progressistes et anti-impérialistes" est quelque peu floue, mais d’autres textes font ressortir clairement de quoi il s’agit. Voici un extrait d’un "Appel de la Fédération générale des syndicats de Syrie à tous les travailleurs et peuples du monde"[10] :
La Syrie a toujours été l’avant-garde du mouvement de libération nationale dans la région arabe […] Nous saluons l’attitude des gouvernements et peuples du monde, respectueux des principes éthiques et humanitaires, qui se tiennent à nos côtés, en particulier des peuples et des gouvernements de Russie, de Chine […]. Ils ont confirmé leur rejet catégorique de toute forme d’intervention réactionnaire impérialiste dans les affaires intérieures des peuples, en particulier du peuple arabe syrien. […] Les travailleurs et syndicalistes de Syrie appellent les organisations de travailleurs et les organisations syndicales, nationales, régionales et mondiales, à confirmer leur solidarité au nom des travailleurs avec la juste lutte pour les droits légitimes des populations de Syrie concernant leur souveraineté et une vie décente, ainsi que la défense des acquis et des grandes réalisations qui ont été accomplies en Syrie grâce à la lutte pour la libération nationale.
Le président actuel de la Fédération générale des syndicats (FGS) est Jamal Al-Kadri (par ailleurs vice-président de la FSM). Son prédécesseur à la FGS était Muhammad Shaa-ban Azzouz (par ailleurs prédécesseur du président actuel de la FSM, Mzwandile Michael Makwayiba), qui dirige le bureau du Travail du Parti Baath en Syrie.
Qu’est-ce que le "syndicalisme de transformation sociale"
Comme indiqué, la question de la FSM constitue un point de divergence au sein de la CGT entre la direction confédérale et certains militants, mais les critiques exprimées sur divers autres points ne représentent pas toujours des positions plus valables que celles appliquées officiellement. Les mobilisations des "gilets jaunes" ont fait surgir des attitudes et des actions variées, nourries aussi bien par des syndicalistes de la CGT que des militants de groupes politiques[11]. Certains, reprochant à la CGT de mésestimer les enjeux liés aux "gilets jaunes", font valoir la notion de "syndicalisme de transformation sociale". Par exemple[12] : « La bonne voie, qui doit être la ligne que doit suivre la confédération, est celle de la convergence pour que la CGT puisse jouer son rôle de syndicat de transformation sociale […]. » Autour de ce "syndicalisme de transformation sociale" règne une confusion considérable, dans la mesure où cette notion tend à être assimilée à une approche se considérant comme "révolutionnaire". En effet, les auteurs de la phrase citée font partie aussi de ceux qui cherchent à justifier leurs interprétations par une référence à Lénine, lequel souligne que « la révolution […] ne peut pas être autre chose que l’explosion de la lutte de masse des opprimés et mécontents de toute espèce »[13].
Au sein de la CGT, l’invocation de la "transformation sociale" circule amplement. C’est le cas notamment pour Info’Com, organisme qui affectionne particulièrement une des interprétations les plus poussées des "gilets jaunes", à savoir le principe du "pouvoir au peuple, par le peuple, pour le peuple". Concernant le 52e Congrès, Info’Com a participé à une des démarches contestataires de préparation[14] : « Info’Com-CGT et des dizaines de syndicats CGT ont décidé d’élaborer un texte d’orientation alternatif sur la base des principes de la charte d’Amiens et d’un engagement massif en faveur de la lutte des classes. » Ces syndicats se sont réunis dans une coordination nommée "Notre CGT". Sur le site correspondant, on peut lire[15] :
Le mouvement populaire vient de réhabiliter le rapport de forces comme unique voie de transformation sociale. […] C’est pourquoi, plus que jamais, la CGT doit se mettre à agir! À côté des Gilets jaunes, nos syndicats doivent engager la mobilisation dans les entreprises au soutien des revendications de hausse des salaires et de nouvelles répartitions des richesses. Dans la révolte sociale qui s’exprime, nous avons notre propre rôle de syndicat révolutionnaire à jouer. Car aucune transformation sociale, économique et politique durable n’aura lieu sans l’action de la CGT dans les entreprises. Aucune augmentation réelle des salaires n’aura lieu sans rapport de forces avec le patronat!
Et pour préciser en quoi consisterait le processus de "transformation sociale", le texte d’orientation alternatif présenté par ces syndicats indique notamment[16] :
La CGT doit faire des propositions concrètes et immédiates d’appropriation collective des moyens de production.
D’autres groupes critiquant les orientations de la CGT mettent en avant également la "transformation sociale", et pour faire plus "radical" y ajoutent un qualificatif – ce qui n’engage à rien quant à la signification réelle du verbe. Voici le titre d’un commentaire du Front syndical de classe[17] :
52e congrès de la Cgt: Approfondissement de la collaboration de classe ou rupture en faveur d’une stratégie de lutte et de transformation sociale anticapitaliste?
Indépendamment de l’interprétation subjective de la part des "révolutionnaires" de différents bords, la référence à la "transformation sociale" constitue un procédé passepartout qui, à la fois, est dépourvu de sens précis et sert fréquemment à camoufler des orientations réformistes par un terme qui ne soit pas marqué négativement.
Le projet de document d’orientation l’emploie[18] :
La CGT œuvre à la transformation sociale, pour une société juste et un monde de paix, pour un modèle social construit avec les femmes et les hommes, conquis par les luttes et la satisfaction des revendications, tant celles du quotidien que celles portant sur la nature même de notre société. […]
La liberté de l’action syndicale dans ses différentes expressions est aujourd’hui comme hier importante pour toutes et tous afin de gagner des droits et des conquêtes sociales. Elle doit pouvoir s’ancrer dans des pratiques syndicales libres de toutes contraintes via un syndicalisme de contrepouvoir, de transformation sociale véhiculant des valeurs de justice, de démocratie, d’égalité, de solidarité et de progrès social.
Dans le journal de la Filpac-CGT on trouve un exemple frappant des aberrations que le terme de "transformation sociale" peut recouvrir. Le journal introduit le sujet en restant dans les généralités[19] :
Le syndicalisme de transformation sociale se doit d’être à nouveau cet aimant qui attire à lui l’ensemble du monde du travail par la perspective audacieuse qu’il lui propose, faite de justice sociale, de paix entre les peuples, de préservation de la biodiversité. Il a tous les atouts pour attirer à lui une jeunesse qui veut changer de monde.
Mais il n’est nullement gêné de relayer dans le même numéro les inepties répandues par Bernard Friot, sociologue en vogue, qui a sa propre interprétation de la "transformation sociale":
Le syndicalisme de transformation sociale est sur la défensive, ce qui lui a fait perdre une partie de sa légitimité auprès des travailleurs. Les causes sont multiples, […] la sous-estimation du déjà-là communiste au bénéfice d’objectifs de justice sociale. […] La mobilisation syndicale est menée sur le partage de la valeur […]. Dans un capitalisme mondialisé […] une telle stratégie sociale-démocrate est vouée à l’échec. […] Il n’y a pas d’autre chemin que celui de soustraire le travail au capital et de l’organiser sur un mode communiste, comme cela a été commencé avec le statut de la Fonction publique, le régime général de Sécurité sociale, les entreprises publiques nationalisées avec réel droit des travailleurs, toutes institutions alternatives du travail qui sont mises en péril si elles ne sont pas généralisées à toute la production. […]
D’autres confédérations, telles que SUD, suivent la même tendance de compter sur un processus de "transformation sociale" entamé dans le cadre de la société capitaliste (sans parler de la CFDT dont il sera question plus loin)[20] :
La persévérance à se battre sur le terrain et l’encouragement d’un mouvement populaire et massif [les "gilets jaunes"] conduit les équipes de SUD-Industrie à décider localement de leur participation éventuellement "badgée" et affichée, car le syndicalisme de transformation sociale à vocation à construire ici et maintenant les bases d’une autre société, loin des cadres institutionnalisés qui défendent les classes dominantes et les oppresseurs.
L’argumentation suivante développée au nom d’Ensemble-Front de Gauche est particulièrement instructive, en ce qu’elle expose le concept de "revendications de rupture"[21] :
Il est d’usage de distinguer deux pôles dans le paysage syndical français. Un premier pôle composé de la CFDT, de la CFTC, de la CFE-CGC et de l’UNSA pour qui le capitalisme est indépassable. Pour ces syndicats, seules les revendications compatibles avec le maintien du capitalisme sont envisageables, ne remettant ainsi jamais en cause le pouvoir patronal. […] Le second pôle, dans lequel nous retrouvons la CGT, la FSU et l’Union syndicale Solidaires, se réclame de la "transformation sociale", du "changement de société", d’un dépassement possible du capitalisme. Ayant cet horizon, les revendications portées par ces organisations syndicales correspondent aux besoins de la classe salariée et refusent les limites imposées par le capitalisme. […]
Nous allons prendre quelques exemples de revendications portées ou qui pourraient être portées par le pôle de "transformation sociale" pour en mesurer leur portée. […] la Réduction du Temps de Travail (RTT) et la création d’emplois […]. […] le terme de sécurité sociale professionnelle […] comme étant l’exigence adressée au patronat de garantir collectivement les salaires de tout travailleur licencié jusqu’à ce qu’il retrouve un emploi à salaire et qualification équivalents. […] une couverture à 100 % des frais médicaux par la Sécurité sociale.
En l’état actuel des choses et compte tenu du niveau de mobilisation sociale, le patronat ne veut pas entendre parler de ces revendications et celles-ci ne font nullement partie d’un quelconque agenda de négociation. C’est ce qui fait d’elles des revendications de rupture au sens où elles constituent un casus belli pour le patronat. […] Elles sont aussi de rupture dans la mesure où elles préfigurent un au-delà du capitalisme. […] mais elles contiennent en elles-mêmes une contradiction majeure : elles s’en prennent aux profits des entreprises et ne peuvent vivre que tant qu’il y a des profits à prendre, tant qu’existent des sociétés de capitaux. […]
C’est ici que se situe le troisième niveau de la rupture. Elles contestent le profit des entreprises tout en ne pouvant fonctionner que si les entreprises continuent de faire des profits. Il va donc de soi que ce petit jeu est forcément limité dans le temps. Ces revendications portent donc en elles-mêmes le ferment de leur propre anéantissement et ouvrent la voie à un après-capitalisme.
Il n’est dès lors plus possible de s’en tenir à ces seules revendications de rupture. Elles doivent être accompagnées de revendications donnant de nouveaux pouvoirs aux salariés dans les entreprises leur permettant, dès que cela est possible et s’avère nécessaire, de se débarrasser des actionnaires.
Cette argumentation ressemble fortement à celle qui constitue un apanage traditionnel pour les trotskistes, lesquels font valoir des "revendications de transition". L’élément crucial dans la citation, c’est l’évocation des "nouveaux pouvoirs" dont devraient disposer "les salariés dans les entreprises". Cela coïncide avec tout ce que peut colporter le PCF dans le sillage des théories promues par Paul Boccara et Philippe Herzog sur les "nouveaux critères de gestion". Mais cela met aussi en lumière l’ambigüité fatale inhérente à la conception du "programme de transition" imaginé par Trotsky et qui guide toujours les trotskistes. En effet, ceux-ci se targuent de pousser les travailleurs vers la révolution en formulant des revendications impossibles à satisfaire dans le cadre du capitalisme. Or, de fait, ils se font ainsi complices des réformistes, qui sans scrupules vont jusqu’au bout du raisonnement en réclamant la collaboration de classe au profit de la bourgeoisie.
"Syndicalisme de transformation sociale", versions CFDT / CGT
Pour la CFDT, le "syndicalisme de transformation sociale" revêt un statut de principe fondateur.
En novembre 1964 se constitue la CFDT, par une scission de la CFTC. Elle se rapproche du socialisme et notamment du Parti socialiste unifié (PSU), mené de 1967 à 1974 par Michel Rocard. Vers le milieu des années 1960 avait été entamé un processus de rapprochement entre formations de gauche, en particulier par le PCF et la Fédération de la gauche démocrate et socialiste (FGDS) de François Mitterrand. En 1966 est organisé à Grenoble une "rencontre socialiste" à laquelle participent des représentants du PSU et de la CFDT. De ces derniers débats il ressort que l’union de la gauche ne saurait être « réelle et durable que si elle s’appuie sur un programme cohérent de transformation sociale ». Au 35e Congrès de la CFDT en 1970, Edmond Maire présente un rapport intitulé "Démocratisation de l’entreprise dans une perspective de transformation sociale et d’autogestion". En 1971, il devient secrétaire général de la confédération, en 1974 il adhère au Parti socialiste. En 1976 la CFDT met en avant le principe que «les luttes sont le moteur de la transformation sociale», ce qui signifie la prééminence des luttes par opposition à la perspective électorale du programme commun de gouvernement de la gauche conclu en 1970 entre PC, PS et Radicaux de gauche. De son côté le PSU adopte à son 8e Congrès en 1972 un manifeste[22] :
C’est […] la volonté collective des travailleurs qui assurera la défaite définitive de la bourgeoisie et la transformation sociale, cette volonté étant constamment alimentée et revigorée par l’expérience des nouvelles responsabilités qu’ils auront arrachées puis exercées.
En février 1994 se déroulent des "Assises de la transformation sociale", avec la participation entre autre de Michel Rocard, premier secrétaire du PS, Charles Fiterman et André Lajoinie, membres du secrétariat du comité national du PCF, ainsi que Philippe Herzog, membre du bureau national du PCF.
Laurent Berger, secrétaire actuel de la CFDT, souligne[23] :
Dans une période chahutée, nous tenons notre cap en revendiquant un syndicalisme de transformation sociale.
Et les Statuts de la CFDT stipulent[24] :
La confédération fait le choix d’un syndicalisme de transformation sociale dont l’action aboutit à l’acquisition de nouveaux droits individuels et collectifs.
À la différence de la CFDT, pour la CGT la coutume de parler couramment de "transformation sociale" s’est introduite progressivement.
Au 37e Congrès de la CGT en 1969 est adoptée une modification du premier article des statuts. Dans la version en vigueur jusque-là, la première phrase était formulée comme suit: « La CGT régie par les présents statuts a pour but de grouper, sans distinction d’opinions politiques, philosophiques et religieuses, toutes les organisations composées de salariés conscients de la lutte à mener pour la disparition du salariat et du patronat, et désireux de défendre leurs intérêts moraux et matériels, économiques et professionnels. » À partir de "composées de…", elle fut modifiée comme suit : «… conscients de la lutte à mener pour défendre leurs intérêts moraux et matériels, économiques et professionnels. S’inspirant dans son orientation et son action des principes du syndicalisme de masse et de classe qui dominent l’histoire du mouvement syndical français, la CGT s’assigne pour but la suppression de l’exploitation capitaliste, notamment par la socialisation des moyens de production et d’échange. » Au 45e Congrès en 1995, la formulation devint: « La Confédération Générale du Travail est ouverte à tous les salariés, femmes et hommes, actifs, privés d’emploi et retraités, quels que soient leur statut social et professionnel, leur nationalité, leurs opinions politiques, philosophiques et religieuses. Son but est de défendre avec eux leurs droits et intérêts professionnels, moraux et matériels, sociaux et économiques, individuels et collectifs. Prenant en compte l’antagonisme fondamental et les conflits d’intérêt entre salariés et patronat, entre besoins et profits, elle combat l’exploitation capitaliste et toutes les formes d’exploitation du salariat. C’est ce qui fonde son caractère de masse et de classe. »
Pour nous, marxistes-léninistes, il est évident que la suppression de la référence à "la lutte à mener pour la disparition du salariat et du patronat" signifie l’abandon ouvert de l’objectif de renverser le pouvoir de la bourgeoisie. Cependant, c’est à dessin que le courant réformiste tel que le représentent la CGT et le PCF maintient des phraséologies tortueuses pour embrouiller les esprits et s’efforce ainsi de maintenir l’illusion que l’action réformiste pourrait aboutir progressivement à un changement de société. C’est en cela qu’il se différencie du réformisme social-démocrate ordinaire appliqué par la CFDT, qui prétend simplement d’apporter des améliorations à la vie de des salariés.
Concernant la teneur du projet de document d’orientation présenté au 52e Congrès de la CGT, on constate qu’il y a un rapport étroit avec le 38e Congrès du PCF tenu l’année dernière. Depuis longtemps, c’est le PCF qui fournit les réflexions pseudo-théoriques qui sous-tendent aussi l’orientation de la CGT. D’une part, le document d’orientation adopté laborieusement par le PCF expose tout un galimatias qui prétend avoir pour sujet la réalisation du communisme [25]:
Le communisme est le processus par lequel les hommes et les femmes dépassent le capitalisme […]. Il vise une transformation radicale de notre société pour une société de partage des richesses, mais aussi des pouvoirs, des savoirs et des rôles: une société sans classes, sans guerres, dépassant les nations; une société où exploitation et aliénations sont abolies. En cela le communisme s’oppose radicalement au capitalisme, et à son idéologie, le libéralisme. […].
Le terme de "dépassement" est un des éléments centraux des manipulations de langage, qui veulent faire croire que l’abandon du terme "abolition" n’élimine pas l’objectif de renverser le pouvoir de la bourgeois.
D’autre part, au-delà de la question des statuts, la tradition "théorique" apportée par le PCF explique aussi la présence des thèmes que sont le "numérique", le "nouveau statut du travail salarié" et la "sécurité sociale universelle". Extraits du document d’orientation adopté par le 38e Congrès[26] :
Avec les débuts de la révolution technologique informationnelle et ses exigences de partage, la perspective d’aller "au-delà" du marché capitaliste prend un caractère plus concret. […] Il s’agit de dépasser l’enfermement de chacune et chacun dans les aliénations d’un travail, d’une consommation et d’une vie sociale dominées par une production au service de la marchandisation et de l’accumulation, qui détruit les êtres humains et la nature; et, en dépassant la soumission des activités à l’accumulation capitaliste, de faire avancer une efficacité sociale pour le droit au bonheur de chacune et chacun. […]
Notre proposition doit alimenter un grand débat au regard des propositions de salaire à vie, revenu universel ou Sécurité sociale professionnelle, suscité par la crise du marché du travail; […] Nous voulons avancer vers une sécurité d’emploi et de formation permettant à chacune et chacun de conjuguer mobilité choisie et sécurité accrue de ses revenus et de ses droits. […]
Nous avons l’ambition d’un haut niveau de sécurité sociale dans la continuité et la modernité du programme du Conseil national de la Résistance (CNR). […] Ce combat pour l’émancipation humaine passe par un nouvel élan nécessaire pour une Sécurité sociale du XXIe siècle.
Dans les débats au sein de la CGT, il faut donc être attentif à éclaircir les idées en rapport avec la fausse radicalité du "syndicalisme de transformation", d’autant plus qu’intervient à ce sujet l’épineuse question du rapport entre action syndicale revendicative et action politique.
La persistance du "syndicalisme révolutionnaire"
Si donc la référence à la "transformation sociale" couvre ainsi un large éventail d’attitudes péchant par un manque de clarté, elle a un sens historique identifiable que lui confère la motion adoptée le 13 octobre 1906 par le 9e Congrès national de la Confédération générale du travail, réuni à Amiens (qu’on appelle selon une coutume établie ultérieurement la "Charte d’Amiens"). À l’époque coexistaient au sein de la CGT trois orientations. L’une était la tradition blanquiste/anarchiste, incarné par les tenants de l’indépendance syndicale qui en faisaient une véritable idéologie syndicaliste : celle de l’action directe conduite par les organisations des prolétaires sur les lieux même du travail, devant déboucher un jour ou l’autre sur une grève générale révolutionnaire et expropriatrice de la bourgeoisie. À l’opposé se trouvaient ceux qui se rattachaient au Parti socialiste SFIO, parti représenté principalement par Jules Guesde. Entre les deux, se situaient les partisans d’une conquête de réformes immédiates. La charte d’Amiens résulte d’un compromis entre "révolutionnaires" et "réformistes" contre les syndicalistes qui concevaient l’action de la CGT en lien avec le Parti socialiste. Elle attribue au syndicat un rôle à la fois fondamental et spécifique: « la CGT groupe, en dehors de toute école politique, tous les travailleurs conscients de la lutte à mener pour la disparition du salariat et du patronat », et « afin que le syndicat atteigne son maximum d’effet, l’action économique doit s’exercer directement contre le patronat, les organisations confédérées n’ayant pas, en tant que groupements syndicaux, à se préoccuper des partis et des sectes qui, en dehors et à côté, peuvent poursuivre en toute liberté la transformation sociale ». D’une part, "la disparition du salariat et du patronat" est l’objectif propre du syndicat, c’est à dire des syndicalistes; d’autre part les "écoles politiques" sont écartées du champ syndical, et les travailleurs agissant sur ce terrain syndical "n’ont pas à se préoccuper" de ceux qui par ailleurs poursuivent une quelconque "transformation sociale". L’allusion aux "partis et sectes" vise la SFIO mais aussi les groupements anarchistes.
À l’époque cette conception du syndicat comme acteur autonome par rapport aux partis politiques était élaborée et assumée consciemment par ses partisans. Depuis, le mouvement ouvrier, durant certaines phases de son développement, a réalisé au contraire de grandes victoires sur la base d’une combinaison organique entre la formation de partis communistes d’avant-garde de la classe ouvrière, et le déploiement de l’action syndicale impulsée et guidée par ces partis. Puis, les menées contrerévolutionnaires des révisionnistes rejoignant l’oeuvre de sabotage des réformistes, ont conduit à la situation que nous connaissons actuellement en France, comme ailleurs. Le désarroi que nous observons chez de nombreux militants est un symptôme de cette situation: le "syndicalisme révolutionnaire" s’insinue sans être assumé consciemment, du fait de la dégénérescence flagrante des forces politiques – en premier lieu le PCF – qui autrefois pouvaient encore se réclamer tant bien que mal de la filiation remontant à l’Internationale communiste.
On remarque toutefois que la direction confédérale de la CGT, elle, n’incline pas vers le syndicalisme révolutionnaire. Clémentine Autain, membre de La France Insoumise, a entamé dernièrement une tentative de remédier aux faiblesses des forces politiques de gauche. Elle a clairement fait connaitre le sens de sa démarche[27] :
Moi, je veux rassembler dans les luttes et dans les urnes […] Beaucoup de gens luttent au quotidien et ne se retrouvent pas dans nos espaces politiques. […] La colère est là: il y a bien des gens qui ne veulent ni des néolibéraux ni des néofachos mais, pour l’instant, ils sont à distance de la politique institutionnelle. C’est ce fossé-là qu’il faut combler.
Philippe Martinez semble accorder de l’intérêt à cette initiative. Il a participé au rassemblement organisé fin juin dans ce cadre, et s’est exprimé à cette occasion comme en d’autres, en déplorant à la fois un manque de soutien de la part de la gauche parlementaire, et le fort taux d’abstentionnisme aux élections. Ainsi il rejoint l’affirmation qu’il faut "combler le fossé" entre "les gens qui luttent" et "la politique institutionnelle".
La perspective d’édifier le parti d’avant-garde implique la tâche d’inclure dans le champ de propagande et d’action l’ensemble des problèmes générés par la société capitaliste, et de s’adresser à l’ensemble de ceux qui d’une manière ou d’une autre s’opposent aux conséquences négatives que leur fait subir le pouvoir de la bourgeoisie. Mais la réalisation des tâches qui découlent de l’objectif fondamental – la révolution prolétarienne – se fera selon un échelonnement dans le temps. En l’état actuel des organisations marxistes-léninistes en France, nous ne sommes pas en mesure d’exercer ne serait-ce partiellement un rôle de direction à l’égard de la classe ouvrière. Il serait donc tout à fait prématuré de vouloir étendre notre champ d’action de façon inconsidérée. Cela reviendrait à abandonner la conception matérialiste en ce qui concerne le rôle central de la classe ouvrière – de la classe ouvrière existant non pas seulement en soi mais qui, pour jouer ce rôle, doit atteindre la conscience de classe pour soi. Des groupes de militants communistes, même plus nombreux que les cercles restreints existants mais guidés uniquement par leur volonté propre, ne peuvent pas se substituer à la classe ouvrière dans ce rôle en faisant abstraction des conditions subjectives limitées qui prévalent actuellement en ce qui concerne les travailleurs.
Agir en tant que classe contre classe
en suivant une politique indépendante de la bourgeoisie
Parler de lutte de classe et en même temps prétendre que la solution peut se trouver dans le cadre de la société capitaliste, revient à maintenir la classe ouvrière prisonnière d’une illusion, donc à la condamner à l’impuissance. La vision proposée par le document d’orientation de la CGT signifie que la classe ouvrière n’aurait pas d’autre choix que d’accepter cette société. Toutefois, tandis que la CFDT pratique le réformisme sans ambigüité et sans hésitation, au sein de la CGT les discours et les pratiques sont multiformes. L’influence d’une variété d’organisations d’extrême gauche est présente, et même la vision marxiste-léniniste peut s’y exprimer. Il n’empêche que Philippe Martinez, lui aussi, peut déclarer que « le syndicalisme est par essence réformiste » [28].
Quoi qu’il en soit, la lutte des travailleurs, de la classe ouvrière globalement au niveau national n’est pas guidée aujourd’hui convenablement par une ligne politique-syndicale cohérente. La quasi-inexistence d’organisations communistes authentiques au sein de la classe ouvrière va de pair avec la tendance à l’inhibition dont souffre la prise de conscience de classe parmi les travailleurs. Cette réalité ne change rien au fait que le travail au sein des syndicats doit être mené inlassablement par les militants marxistes-léninistes.
Le déploiement de la lutte économique est dans la nature du conflit entre capital et travail, elle est son expression la plus immédiate, qu’elle soit spontanée ou organisée. Nous les communistes n’inventons pas le conflit, nous intervenons à partir de la réalité pour tenter d’orienter l’action selon notre point de vue politique. Mais cette réalité est surtout caractérisée par la domination de la bourgeoisie, et les conflits économiques, quand ils débordent implicitement ou explicitement sur le terrain politique, ne débouchent pas en elles-mêmes sur des luttes conformes aux enjeux posés du point de vue de la classe ouvrière comme classe pour soi. D’une façon ou d’une autre le cours des évènements est toujours influencé par le contexte caractérisant à un moment donné le champ de bataille dans son ensemble. On dit qu’actuellement le recours au réformisme ne constitue plus une méthode valable pour la bourgeoisie, dans la mesure où la situation de crise économique fait qu’elle n’a plus les moyens de mettre en œuvre une politique réformiste sans renoncer à son objectif de réaliser des profits. C’est effectivement un élément qui compte, mais d’un autre côté on se tromperait en considérant que la bourgeoisie se soit dans le passé laissée entrainer à un "partage des richesses" simplement parce qu’elle avait "les moyens". Après la 2e guerre mondiale, elle a accepté de manœuvrer temporairement en rapport avec la création du Conseil national de la résistance et le programme adopté par celui-ci, mais ses motivations étaient liées au contexte politique général et au rapport de forces entre classe capitaliste et classe ouvrière en France ainsi que, surtout, à l’existence du pouvoir du prolétariat édifiant le socialisme en URSS. Aujourd’hui comme dans le passé, les travailleurs doivent lutter pour obtenir des améliorations de leurs conditions de travail et de vie. Mais du point de vue de la lutte de la classe ouvrière, l’évolution historique a conduit à une détérioration des facteurs objectifs et subjectifs. Les communistes doivent évaluer correctement cette situation et déterminer leur action en correspondance, sur la base du marxisme-léninisme.
Le document d’orientation de la CGT se préoccupe de « la place que le syndicalisme doit (re)conquérir pour aider les salaries à reprendre la main »[29]. Il affirme que « nous devons prendre toute notre place pour engager un processus de renouveau démocratique en dehors duquel il n’est pas de progrès social possible ». De telles phrases sont creuses face à la réalité du capitalisme, qui s’enfonce dans un marasme ponctué par une succession de crises quasi permanentes. Le syndicalisme ne peut pas conquérir la "garantie" d’un "ensemble de droits fondamentaux" sous le règne du capitalisme. Certes, il faut de toute façon engager des luttes politiques prenant une dimension nationale. Mais les résultats positifs éventuellement réalisés resteraient sous la menace d’être annihilés sous peu. Le fond du problème est la question du pouvoir, c’est-à-dire le nécessaire remplacement du pouvoir de la classe capitaliste, la bourgeoisie – par le pouvoir de la classe ouvrière, le prolétariat.
La conscience de classe peut se développer sous la direction d’une organisation politique (le parti communiste), laquelle à partir des luttes existantes cherche à stimuler le dynamisme dans la classe ouvrière, en s’orientant vers les secteurs les plus avancés tout en s’efforçant à développer l’organisation et l’unité dans l’action de la classe dans son ensemble. Il ne s’agit pas de viser à atteindre l’unité idéologique dans l’absolue, mais de propager l’influence du communisme, de former les avant-gardes de la classe au sujet de la nature du capitalisme, notamment la question de la plus-value comme corolaire de la création de valeur, c’est-à-dire l’exploitation de l’homme par l’homme dans un rapport entre une classe exploiteuse et une classe exploitée. La critique du réformisme constitue un élément indispensable du travail des communistes sur les plans idéologique, politique et organisationnel, ayant pour objectif la prise du pouvoir par le prolétariat. Pour une organisation marxiste-léniniste, la critique du réformisme du point de vue théorique est nécessaire dans le cadre de l’élaboration de son orientation. Partant, elle sert à convaincre des militants à s’engager dans l’activité de l’organisation. Toutefois, la lutte contre l’influence du réformisme dans la classe ouvrière ne peut pas se contenter d’exposer cette critique théorique devant les travailleurs. En dehors d’une perspective de travail au sein de la classe ouvrière cette critique ne peut aboutir à des résultats concrets, pratiques. Il incombe aux militants organisés de définir à partir des réflexions théoriques la propagande et l’action revendicative de façon appropriée, sous l’angle de deux aspects liés : l’objectif est d’aider les travailleurs à obtenir des victoires partielles mais effectives dans la lutte contre les effets concrets de l’exploitation capitaliste; mais il faut constamment se démarquer des procédés utilisés par les réformistes pour tromper les travailleurs.
Une comparaison entre la CFDT et la CGT fait ressortir deux méthodes différentes. La tactique de la CFDT consiste à faire en sorte d’obtenir un minimum de résultats positifs, en louvoyant constamment vis-à-vis des employeurs, et aussi des gouvernements, de façon à apparaitre comme constructive aux yeux des capitalistes et de leur pouvoir, tout en marchandant des concessions minimes qu’elle puisse faire valoir devant les travailleurs. On sait que régulièrement cela conduit à ce que la CFDT soit obligée à faire des appels de pied à peine dissimulés aux employeurs, quand ceux-ci se montrent trop rigides et risquent de faire coincer le mécanisme de collusion. Les antécédents historiques de la CGT font qu’elle garde une approche tant bien que mal tournée vers la lutte de classe. Comparé à la CFDT elle représente un réformisme grandiloquent. La méthode consiste à jouer sur plusieurs tableaux en même temps. Elle promeut des revendications concrètes authentiques, qu’elle peut appuyer de façon plus ou moins combattive. Mais pour entrainer les travailleurs à l’action, elle développe des arguments du type "les moyens existent", et elle y accole des propositions réformistes de portée sociale globale.
Pour contrer ces influences réformistes, une attitude diversifiée est nécessaire. Vis-à-vis de la CFDT, il faut autant que possible dépasser les limites qu’elle tente d’imposer à la portée des revendications sans pour autant se laisser entrainer à la surenchère, et il faut démasquer ses accointances avec les employeurs. Vis-à-vis de la CGT, il faut en premier lieu censurer les envolées réformistes (nationalisations, réindustrialisation, etc.), ce qui implique en particulier de préserver l’autonomie dans la fabrication des moyens de propagande (tracts, etc.)[30]. L’écueil plus difficile à contourner est celui des argumentations trompeuses quant à la possibilité de gagner.
Au bout du compte, la seule façon de progresser vers l’objectif de la révolution, est de mettre les travailleurs en situation de regarder la dure réalité en face dans tous ses aspects, au-delà des difficultés immédiates au quotidien. Un des éléments de la nocivité du réformisme consiste dans son effort à masquer à quel point la bourgeoisie, détentrice de tous les leviers de l’appareil d’état, est en mesure de garder la maitrise de la situation. Toutes les soi-disant "réformes" des trente dernières années ont été adoptées et mises en pratique moyennant les organes politiques (la dite "démocratie parlementaire"), les instances bureaucratiques de l’administration, en brisant les résistances par l’intervention des "forces de l’ordre" (police, armée, tribunaux). Néanmoins, la volonté spontanément ressentie de bon nombre de travailleurs et de "gilets jaunes" d’en découdre avec les représentants du "système", du président de la République jusqu’aux policiers, ne peut modifier substantiellement le rapport de forces dans la lutte de classe. Il faut pour cela remettre à nouveau la classe ouvrière en capacité de jouer son rôle révolutionnaire, basé sur sa place dans les rapports de production capitalistes. Il faut reconstruire le parti communiste, marxiste-léniniste, avant-garde de la classe ouvrière.
Les difficultés à affronter lors du moment décisif, de l’instauration du pouvoir révolutionnaire, seront immenses. Mais on ne peut s’acheminer vers la victoire si l’on craint d’assumer toutes les implications de cet objectif.
[1]. Nous avons déjà traité ce sujet dans la Voix des Communistes. "Le Nouveau Statut du Travail salarié -Un projet illusoire de capitalisme à visage humain", n° 2, décembre 2009. "Le Nouveau Statut du Travail salarié (2) -Négation de la classe ouvrière et de la lutte de classe", n° 3, juillet 2010.
[2]. https://fr.calameo.com/read/004629183d2e80d5533c6
[3]. Point 21.
[4]. Point 66.
[5]. Point 62:
[6]. Par exemple : Charles Hoareau (ANC) : "Le 52ème congrès, la CSI, la FSM et nous", 21 mai 2019.
http://ancommunistes.fr/spip.php?article1328
[7]. "Regard d’organisations communistes sur le 52e Congrès de la CGT", juillet 2019.
https://www.initiative-communiste.fr/wp-content/uploads/2019/07/2019_08_07_congrescgt.pdf
[8]. http://www.wftucentral.org/decision-of-the-european-conference-of-tui-metal-held-in-athens-on-april-16th-2010/
[9]. "Communiqué de la FSM sur la Syrie et le “nouveau Moyen-Orient”", Athènes, 5 juillet 2018.
http://www.wftucentral.org/communique-de-la-fsm-sur-la-syrie-et-le-nouveau-moyen-orient/
[10]. "Syria : Call of the GFTU to all the workers and people of the world", 12 septembre 2013.
http://www.wftucentral.org/syria-call-of-the-gftu-to-all-the-workers-and-people-of-the-world/
[11]. "Les “gilets jaunes” et les tâches des communistes marxistes-léninistes", La Voix des Communistes, n° 25, mars 2019.
[12]. Chantiers Actu, Journal du Rassemblement communiste, n° 10, décembre 2018.
http://cercles.communistes.free.fr/rcc/publi/tracts/2018_12_25_chantiersactu10.pdf
[13]. "Des communistes dans et hors du PCF prennent la parole", février 2019.
http://www.collectif-communiste-polex.org/mouvement_communiste/declaration_comm.php
Au sujet des positions de Lénine, nous avons présenté notre analyse dans l’article "Au sujet de certains aspects des révolutions russes de 1905 et 1917", La Voix des Communistes, n° 25, mars 2019
[14]. https://www.infocomcgt.fr/preparons-le-52e-congres-de-la-cgt/
[15]. https://www.notrecgt.fr/
[16]. https://www.infocomcgt.fr/wp-content/uploads/2019/03/DOC-ORIENTATION-CGT-LW.pdf
[17]. http://www.frontsyndical-classe.org/2019/05/52e-congres-de-la-cgt-approfondissement-de-la-collaboration-de-classe-ou-rupture-en-faveur-d-une-strategie-de-lutte-et-de-transforma
[18]. Points 1 et 214.
[19]. Impac, Journal des travailleurs des industries du livre, du papier et de la communication CGT, n° 178, mars-avril 2019.
https://www.filpac-cgt.fr/wp-content/uploads/2019/04/impac178.pdf
cf. https://www.filpac-cgt.fr/wp-content/uploads/2019/03/impac177.pdf
[20]. https://www.syllepse.net/syllepse_images/gilets-jaunes–des-cles-pour-comprendre.pdf
[21]. https://www.ensemble-fdg.org/content/syndicalisme-de-rupture-ou-de-transformation-sociale
[22]. "Manifeste du Parti Socialiste Unifié. Contrôler aujourd’hui pour décider demain"; Paris, Tema-Éditions, 1972.
[23]. "Entretien. Laurent Berger (CFDT) : « Ça ne sert à rien de rompre le dialogue »"; Ouest-France, 4 juin 2018.
https://www.ouest-france.fr/economie/syndicats/cfdt/cfdt-laurent-berger-demande-plus-de-justice-sociale-au-gouvernement-5803362
[24]. https://www.cfdt.fr/upload/docs/application/pdf/2018-07/statuts_de_la_cfdt.pdf
(Statuts de la CFDT modifiés au 49e congrès confédéral de juin 2018.)
[25]. https://enavantlemanifeste.fr/2020/03/18/pour-un-manifeste-du-parti-communiste-du-xxie-siecle-2/
[26]. Idem.
[27]. Regards, 5 juin 2019.
http://www.regards.fr/la-midinale/article/clementine-autain-je-ne-veux-pas-d-un-cartel-electoral-je-veux-federer-dans-la
[28]. https://www.lemonde.fr/politique/article/2015/09/21/philippe-martinez-le-syndicalisme-est-par-essence-reformiste_4765507_823448.html
[29]. Point 66.
[30]. Exemple : Tract CGT, "Pour un Smic à 1800€, il est urgent d’agir" (7 janvier 2019). Parmi les demandes, celle de "répartir justement les gains de productivité pour favoriser la croissance et l’emploi".
https://www.cgt.fr/sites/default/files/2019-01/20190108_Smic1800_Tract_SR_CA.pdf