Rivalités interimpérialistes au Moyen-Orient
et leurs conséquences sur la vie des peuples
LA VOIX DES COMMUNISTES, no 33, 2e semestre 2024 – p. 30‑37
Le Moyen-Orient, carrefour entre l’Europe, l’Afrique et l’Asie, est un lieu de passage essentiel pour le commerce mondial. La découverte du pétrole en 1908 en Iran puis dans les années 1930 en Arabie Saoudite, à Bahreïn et au Koweït fera du Moyen-Orient une zone d’affrontement entre les puissances impérialistes avec notamment la colonisation de la Palestine pour y installer un gendarme (Israël) au service de l’impérialisme anglais puis US, gendarme ayant pour rôle d’assurer le contrôle des routes du pétrole et d’empêcher la formation d’une nation arabe unie.
Actuellement, derrière le chaos moyen-oriental apparent, trois niveaux de contradictions sont intriqués : un niveau local où chaque communauté défend ses propres intérêts (les peuples palestinien, kurde, druze, alaouite…), un niveau régional et un niveau international ou chaque puissance expansionniste et chaque impérialisme y défendent leurs intérêts capitalistes.
La guerre interimperialiste s’y fait principalement par procuration, par des proxys ‑ par exemple, des États régionaux (Turquie, Israël, Iran, etc.) et/ou des organisations politiques locales et leurs branches armées (Hay’at Tahrir al‑Sham/HTS, Hezbollah…). Mais, si les circonstances l’exigent, les grandes puissances n’hésitent pas à intervenir directement : guerre Russie/Ukraine, bombardements des sites nucléaires iraniens par les USA en juin 2025…
D’autre part, au gré de l’évolution des évènements et selon les intérêts des pays capitalistes et impérialistes, les alliances et les rivalités se modifient, les ennemis d’hier pouvant devenir les amis d’aujourd’hui ou inversement.
De par sa situation géostratégique et ses ressources énergétiques gazières et pétrolières, le Moyen-Orient a depuis plus d’un siècle attisé les convoitises et provoqué les interventions politiques et militaires des pays impérialistes et des forces réactionnaires régionales.
S’ajoutent à cette instabilité économique, politique et sociale, les différends ethniques et religieux, persistant, eux, depuis plusieurs siècles et facilitant les manoeuvres de ces forces. En effet, un régime peut se présenter comme le "sauveur d’un peuple" et en même temps massacrer un autre peuple, dans son propre pays ou chez ses voisins : tels Israël massacrant les Palestiniens et "protégeant" les Druzes en Syrie, l’État turc massacrant le peuple kurde ou l’Iran opprimant les peuples kurde et azeri…
La chute de Bachar al‑Assad en Syrie, en décembre 2024, n’a été ni le renversement d’un régime antiimpérialiste, ni une révolution, mais un changement de pouvoir, après 13 années d’une guerre interimpérialiste que nous, marxistes-léninistes, avons qualifiée de guerre réactionnaire injuste.
Plusieurs facteurs ont favorisé ce changement. D’abord, la diminution des forces militaires russes en Syrie depuis l’attaque de l’Ukraine par la Russie en février 2022. Alors, faisant preuve de pragmatisme, celle-ci a géré les rivalités entre Turquie, Syrie et Israël, afin d’éviter une confrontation entre la Turquie et Israël. Il faut rappeler ici que le silence de la Russie devant le génocide du peuple palestinien et son feu vert accordé, en janvier 2018, à l’armée turque et aux rebelles syriens de l’Armée Syrienne Libre (ASL) pour attaquer les forces kurdes à Afrine, témoignent, entre autres forfaits, de sa politique impérialiste.
Les intégristes islamistes de HTS ont aussi profité de l’affaiblissement du Hezbollah au Liban et de l’Iran et ont été soutenus par les impérialistes US et européens. Il aura suffi au terroriste Abou Mohammed Al-Joulani, dirigeant HTS, de porter une cravate et de reprendre son nom (Ahmed al‑Charaa), pour devenir fréquentable aux yeux de ces derniers.
Dès sa prise du pouvoir, un de ses lieutenants déclarait a Times of Israel : "Nous souhaitons vivre en bonne entente avec les pays voisins, y compris Israël. Nous n’avons pas d’autres ennemis que le régime d’Assad, le Hezbollah et l’Iran." Ces propos sont en parfait accord avec la politique régionale des USA. Mais cela n’a pas empêché Israël de bombarder et de détruire les bases militaires de Syrie. Israël ne veut pas d’opposant dans la région. Mais, la destruction des défenses anti-aériennes avaient aussi un autre but : se créer un couloir aérien en Syrie pour attaquer l’Iran et ses capacités nucléaires. Ce qui sera réalisé six mois plus tard, à partir du 13 juin 2025.
Depuis des années les USA et l’Union Européenne (UE) justifient leur présence au Moyen-Orient sous prétexte du "risque de résurgence de l’État Islamique (EI)". L’argument est mensonger : les USA se trouvent dans cette région depuis la 2e guerre mondiale en tant que superpuissance impérialiste. Selon nous, les USA ne quitteront jamais le Moyen-Orient, y compris militairement; ils ne démantèleront pas leurs dizaines de bases, avec 40.000 soldats présents. Seule la forme de leur présence change. La perspective reste celle des Accords d’Abraham[1], c’est-à-dire des alliances permettant de mieux contrôler la région, sans devoir y augmenter leurs forces armées; celles-ci sont engagées dans d’autres régions du monde. Ils veulent rester les maitres de la région et même si Israël semble avoir une certaine liberté de manoeuvre, c’est Washington qui donne les ordres et non l’inverse.
Bien qu’ayant obtenu le soutien de plusieurs pays ‑ USA, UE, Arabie Saoudite, Qatar, Turquie…‑, le nouveau gouvernement syrien n’a pas encore consolidé son pouvoir. Loin de là! Et n’oublions pas que le soutien de Trump est toujours conditionné par la sécurité d’Israël, élément essentiel pour les USA.
Les minorités en Syrie
Depuis que HTS a pris le pouvoir en Syrie, l’avenir des minorités (Kurdes, Druzes, Alaouites, Chrétiens-Syriaques…) est un problème majeur. Quelle solution envisager pour certaines d’entre elles : intégration, autonomie, fédération, indépendance?
Le terroriste Al‑Charaa, djihadiste autoritaire et répresseur, notamment à Idlib, est devenu en quelques jours respectable pour les gouvernants de l’UE. Mais les crimes commis envers les Alaouites en mars 2025 et contre les Druzes en juin 2025 confirment que HTS n’a pas changé et qu’il ne peut être considéré comme une force de progrès. Le "deux poids deux mesures" observé par l’UE impérialiste vis-à-vis de HTS d’une part et vis-à-vis du Hamas et du Hezbollah d’autre part, montre bien toute l’hypocrisie de l’UE, qui prétend défendre partout les droits de l’Homme ‑ en réalité, les droits de l’homme bourgeois.
Ces crimes, cités plus haut, augurent mal du nouveau régime réactionnaire syrien et de l’avenir des autres minorités. C’est pourquoi, les Kurdes et les Druzes ont raison de ne pas rendre leurs armes. À la différence des peuples épris de paix, les forces impérialistes et réactionnaires ne peuvent amener cette paix. Dans la région, on ne peut espérer de ces forces (Israël, Turquie, Iran, Arabie Saoudite, etc.) aucun progrès, aucune réelle démocratie. À lire le programme de HTS, il n’y aura de liberté ni pour les travailleurs ni pour les minorités. L’impérialisme ne peut établir au Moyen-Orient que des pouvoirs politiques réactionnaires, y compris sous la forme de la "démocratie bourgeoisie", en réalité la dictature de la bourgeoisie monopoliste. Lénine l’indiquait déjà en 1916 [2] : "Mais existe-t-il, ailleurs que dans l’imagination des suaves réformistes, des trusts capables de se préoccuper de la situation des masses, au lieu de penser à conquérir des colonies?"
Malheureusement, la faiblesse du mouvement communiste et prolétarien laisse le champ libre aux "rêves" et aux faux espoirs vantés par les impérialistes. Pour ce qui nous concerne, notre méthode d’analyse, fondée sur le marxisme-léninisme, n’a pas changé : un projet de société pour l’avenir des populations opprimées sera toujours estimé en fonction de sa forme et de sa nature de classe. La question de la paix en Syrie ne saurait être résolue sous une forme démocratique bourgeoise, issue de compromis entre les forces bourgeoises en présence.
Après la conférence nationale du peuple kurde sur "l’Unité et la Position Commune des Kurdes du Rojava", tenue en avril 2025, l’État turc a demandé de retirer la déclaration finale (appelant à une Syrie fédérale et démocratique) et d’obéir sans condition sous le drapeau de la Syrie dirigée par HTS, qui demande aussi la même chose. Si les pays impérialistes se rapprochent des peuples kurdes, c’est pour garantir leurs propres intérêts. Pour les USA et l’UE, l’autonomie des Kurdes est subordonnée à la question de la sécurité d’Israël. Si la Turquie peut garantir celle-ci, ils lâcheront les Kurdes du Rojava. Garantir la sécurité d’Israël et sauver les Accords d’Abraham est primordial pour les intérêts US ; l’autonomie des Kurdes, assurément pas.
La stratégie des USA pour la Syrie ressemble à celle développée en Irak : établir une région autonome ou semi-autonome kurde. Beaucoup parlent de fédération, en réalité les Kurdes sont prêts à accepter une région autonome. La dernière conférence nationale kurde au Rojava, citée plus haut, l’a déclaré.
L’accord, signe le 10 mars 2025, entre les Forces Démocratiques Syriennes (FDS) et Al‑Charaa reflète l’engagement des FDS en faveur d’une Syrie unifiée, accord qui a été imposé par les USA, avant que l’État turc n’impose sa politique à HTS. Notons que la conférence des Kurdes, en avril, a aussi été impulsée par les forces impérialistes, notamment la France. Toutes ces démarches ont pour but de renforcer l’influence des FDS et limiter le pouvoir d’Al‑Charaa pour obtenir une certaine stabilité régionale, ce qui est dans l’intérêt des impérialistes US et européens, sans oublier la sécurité d’Israël. En tous cas, pour le moment, sur la question kurde, la politique d’Israël est alignée sur celle des USA.
Si les USA abandonnent les Kurdes du Rojava, les Turcs pourraient-ils alors avoir les mains libres contre ceux-ci? Il est difficile de le dire tant que la négociation entre les forces réactionnaires n’est pas terminée. Malheureusement, force est de constater que les peuples de la région sont divisés, sous l’influence de la bourgeoisie ou de la petite bourgeoisie. Les groupes les mieux organisés en Syrie, les FDS (majoritairement des Kurdes), peuvent compter sur leurs propres forces. Mais les grands pays impérialistes (USA, UE et Russie) disposent de leur côté de connexions influentes. Une partie de la bourgeoisie kurde (encore minoritaire toutefois) a également des relations avec Israël.
Pour la Turquie, avec la politique chauvine de sa bourgeoisie et dont la société est divisée sur ce sujet, ce ne sera pas facile d’accepter le projet des pays impérialistes. Mais la fraction de la bourgeoisie turque au pouvoir en ce moment est assez affaiblie et la "division de la Turquie et la création d’un Kurdistan" sont une véritable phobie pour la grande bourgeoisie turque. Mais tous les mouvements kurdes ne revendiquent pas l’indépendance ou une fédération (sauf Barzani pour l’Irak).
Un des dirigeants principaux du PKK, Mustafa Karasu (membre du Conseil exécutif de l’Union des communautés du Kurdistan ‑ KCK) a précisé la position de son parti : la lutte kurde a changé; la priorité n’est plus la prise du pouvoir d’État mais l’organisation démocratique autonome de la société, une confédération démocratique. Les revendications kurdes sont claires : instruction en langue maternelle, autonomie locale, reconnaissance de l’identité kurde ‑ ce sont des droits fondamentaux, non négociables, selon les responsables du mouvement kurde.
Le Rojava et le Kurdistan irakien sont les cibles régulières de la Turquie et de l’Armée nationale Syrienne (ANS : agrégats de groupuscules mercenaires au service des intérêts turcs, formé en 2017 par la réunion de certains groupes de l’ASL). Les factions de l’ANS sont théoriquement dissoutes depuis janvier 2025 et relèvent du nouveau ministère syrien de la Défense; Al‑Charaa et le gouvernement syrien intérimaire sont donc officiellement responsables de leurs activités. Mais ils continuent à jouer leur rôle dans les régions frontalières envahies par la Turquie[3]. Des membres de l’ANS ont participé aux massacres perpétrés en mars 2025 parmi la population alaouite de la plaine côtière de Syrie.
La Situation de la Turquie et la position du PKK (Parti des Travailleurs du Kurdistan)
Dans son désir d’accroitre son influence dans la région et de réaliser ses ambitions expansionnistes néo-ottomanes, la Turquie a joué le rôle principal dans le renversement d’Al-Assad.
Alliée des USA, ayant des relations complexes et multiformes et de longue date avec la Russie, elle a soutenu l’État Islamique et tous les principaux groupes opposés au régime d’Assad.
Farouchement hostile à toute autonomie kurde en Syrie, ce qui serait un exemple pour les Kurdes de Turquie, elle a régulièrement bombardé le Rojava (Administration démocratique autonome du Nord et de l’Est de la Syrie ‑ ADANES). En 2018-2019, les zones d’Afrine et de Sere Kaniye ont été vidées par l’armée turque et l’ANS. La Turquie a été un lieu de développement de forces réactionnaires et un lieu de passage pour les forces réactionnaires intégristes venues du monde entier (Tchétchènes, Ouighours, Afghans, cellules de l’État Islamique installées en Turquie…)
La Turquie joue un rôle économique important dans la région (malgré une forte inflation), au travers de ses relations commerciales avec Israël, ses échanges économiques et touristiques avec la Russie. Tous les pays impérialistes ne peuvent pas se passer de liens, plus ou moins bons, avec elle. Mais la politique néo-ottomane de la Turquie a suscité des réticences en Turquie même, auprès des kémalistes notamment, et auprès des populations arabes.
Dans ce contexte, le changement soudain de pouvoir en Syrie, les ambitions régionales des USA et d’Israël, le rôle des Kurdes de Syrie (Forces Démocratiques Syriennes ‑ FDS) ont amené l’État turc à contacter Abdullah Öcalan, le dirigeant du PKK, en prison depuis 1999.
Devlet Bahçeli, chef du parti fasciste de l’action nationaliste (MHP), a proposé d’autoriser Öcalan a intervenir au Parlement afin d’appeler à l’abandon de la lutte armée et à la dissolution du PKK. Ce qui fut fait le 27 février par une lettre rendue publique. À la suite du congrès du PKK réuni le 7‑8 mai 2025, ses membres ont brulé symboliquement des armes, le 11 juillet, indiquant par là qu’il n’y aura pas de retour en arrière. Maintenant, le PKK attend que l’État turc crée les conditions constitutionnelles pour que les militants du PKK puissent rentrer en Turquie et être autorisés à faire de la politique légalement. Mais, cette procédure est bloquée, car la négociation sur le statut de Rojava en Syrie n’est pas terminée. Et cette négociation se passant dans la plus totale discrétion, personne ne sait réellement ce qui se trame. Mais, en tous cas, on sait que les dirigeants kurdes de Rojava ne veulent pas perdre leur statut d’"autonomie".
On ne discutera pas, ici, le choix du PKK d’abandonner la lutte armée. Cependant, on doit préciser qu’au 21e siècle, un peuple de près de 50 millions, le peuple kurde, n’a, malheureusement, toujours pas droit à l’autodétermination. Nous, marxistes-léninistes, soutenons la lutte du peuple kurde pour avoir la liberté totale de son choix. Mais, sans l’intervention active d’un prolétariat kurde, nous ne croyons pas à une solution conduite par la bourgeoisie kurde divisée et qui la cherche, de par sa position se classe, auprès des pays impérialistes.
Le conflit entre Israël et l’Iran (12‑24 juin 2025)
Après l’attaque de la résistance palestinienne le 7 octobre 2023 contre l’occupant sioniste et la guerre génocidaire menée par Israël, l’Iran a perdu des alliés importants pour faire pression sur l’entité sioniste : le Hezbollah défait militairement, le Hamas affaibli et Assad en décembre 2024. La chute d’Assad est aussi une question de sécurité nationale pour Téhéran. D’où son désir de rechercher un appui auprès de la Chine et de la Russie et développer l’arme nucléaire.
Profitant de l’affaiblissement de l’Iran, et face à une défaite politique et morale a l’échelle mondiale y compris chez une partie du colonialisme collectif occidental (France, Allemagne…), Israël a attaqué l’Iran. Cette tactique de diversion avait pour but d’allumer un contrefeu qui satisfera les impérialistes et qui détournera les yeux de l’opinion internationale d’une guerre coloniale génocidaire à Gaza.
Cependant Israël ne décide ni n’agit seul. Cette guerre n’aurait pu avoir lieu sans l’impulsion et le soutien des USA et des pays européens. Mais, les forces régionales n’étaient pas en reste : avant les premières attaques, la Turquie et Israël s’étaient rencontrés en Azerbaïdjan.
En avril 2025, Trump avait envisagé une action militaire contre l’Iran : "S’il faut recourir à la force, nous recourrons à la force", "Israël sera bien évidemment très impliqué dans cette action, il en sera le chef de file". Notons, au passage, qu’on ne pouvait rêver plus bel aveu : Israël est bien l’arme de l’impérialisme occidental au Moyen-Orient. Aveu répété par le chancelier allemand Merz, le 17 juin dernier lors du sommet du G7 au Canada, en parlant des frappes aériennes israéliennes contre l’Iran : "C’est le sale boulot qu’Israël fait pour nous tous".
Toutefois, pour Donald Trump et les entreprises US, l’Iran pourrait devenir, avec ses richesses en hydrocarbures et ses 90 millions d’habitants avec un niveau d’instruction élevé, un terrain économique favorable et un moyen de contrer les ambitions chinoises. Il ne veut pas de changement de régime ni de conflit armé prolongé avec l’Iran. C’est ce qui explique son intervention en juin contre les sites nucléaires iraniens afin de stopper Israël qui criait au changement de pouvoir en Iran et risquait un embrasement général, surtout après la riposte iranienne qui a montré la vulnérabilité du "dôme de fer" israélien. La base électorale de Trump au sein du mouvement MAGA (Make America Great Again) et de la population US est opposée a une guerre longue. D’où le scénario envisagé par l’équipe de Trump : frappe des installations iraniennes – riposte de Téhéran – cessez-le-feu.
En ce qui concerne ce conflit, entre Israël et l’Iran, le Parti communiste d’Israël et le Parti Toudeh d’Iran ont publié un appel : "Arrêtez les massacres, arrêtez la guerre maintenant!". Formulée ainsi, l’exigence est juste. Mais pour influer sur la réalité dans le sens voulu, on ne peut pas compter sur les "négociations" entre les instances "compétentes", puisque celles-ci ‑ y compris l’ONU ‑ se trouvent essentiellement sous la mainmise des représentants du système capitaliste impérialiste mondial. Par contre, des actions comme celles des dockers qui bloquent l’envoi d’armes à Israël sont beaucoup plus réalistes et en rapport avec une juste position de classe.
Quant à la lutte de libération nationale du peuple palestinien, qui est évidemment un élément essentiel de la situation, nous avons traité la question notamment dans un article récent publié sur notre site Internet : "La mystification de la “solution” des “deux États” en Palestine"[4].
Stratégies des grandes puissances impérialistes
Anticipant la fin programmée de l’ère des hydrocarbures, les USA se réorientent stratégiquement vers l’Indopacifique, dans sa compétition avec la Chine, et aimeraient transférer leur rôle au Moyen-Orient à leur agent israélien. C’est l’idée derrière les Accords d’Abraham, à l’initiative de l’administration Trump en 2020, signés entre Israël et les pays arabes (Émirats arabes unis, Bahreïn, Maroc, Soudan). En plus de diviser les pays arabes quant à leur position sur la question nationale palestinienne et de renforcer ainsi la sécurité d’Israël, ces accords visent à faire de l’entité sioniste une puissance dominante et protectrice pour les monarchies arabes. Les accords de paix avec l’Égypte en 1979 et la Jordanie en 1994 en avaient été les précurseurs. Les peuples arabes, soutenant la lutte de libération nationale en Palestine, doivent s’opposer à cette stratégie.
Toute l’activité des USA a également pour but de contrecarrer le développement des "Nouvelles routes de la soie" chinoises qui passent par le Moyen-Orient.
En ce qui concerne la Chine, ses intérêts impérialistes et ses actions au Moyen-Orient sont liés à sa rivalité avec les USA. Sa stratégie vise à maintenir une stabilité régionale, vitale pour elle, qui lui permette de maintenir son accès aux ressources énergétiques, de développer ses intérêts commerciaux et de renforcer son projet de "Nouvelles Routes de la Soie" (Belt and Road Iniative ‑ BRI). Ce projet, débuté en 2013, ambitionne de relier économiquement la Chine à l’Europe au moyen d’un vaste réseau de corridors routiers et ferroviaires, passant par l’Iran, le Pakistan, l’Asie Centrale. Mais aussi par voie maritime, via la Mer Rouge et le Canal de Suez. La Chine dispose depuis 2017 d’une base militaire à Djibouti, ouvrant sur le golfe d’Aden, au débouché de la Mer rouge.
La Chine, premier importateur mondial de pétrole brut depuis 2017, dépend fortement du Moyen-Orient qui lui fournit près de la moitié de ses importations pétrolières. C’est pourquoi elle avait intérêt à l’arrêt de la guerre entre Israël et l’Iran, celui-ci ayant menacé de fermer le détroit d’Ormuz.
Les pays du Golfe reçoivent six fois plus d’investissements chinois que l’Iran. Les investissements chinois sont présents aussi en Israël, notamment pour les infrastructures et les secteurs de technologie (cependant il arrive au gouvernement israélien de freiner cette tendance).
Ainsi, tout conflit dans la région touche aussi la rentabilité des investissements chinois. Compte tenu de ces éléments, la Chine cherche à faire preuve de neutralité auprès de tous les pays de la région. Il n’est donc pas étonnant que, en ce qui concerne la lutte de libération nationale palestinienne, la Chine défende l’illusoire "Solution à deux États". Cette position de neutralité en face de l’occupation coloniale israélienne ne peut être qu’un soutien à la puissance occupante et est à l’opposé de la position de principe que devrait avoir un authentique pays socialiste. Mais qui peut encore croire que la Chine est un pays socialiste?
Après la chute du régime d’Al‑Assad en décembre 2024, la Russie fait tout pour conserver ses bases militaires à Tartous (base navale) et Lattaquié (base aérienne) assurant sa présence en Méditerranée et au Moyen-Orient, mais aussi visant plus loin, spécialement l’Afrique. Ä ce propos, des forces russes venant de Syrie ont obtenu, de la part du maréchal Haftar, l’homme fort de la Cyrénaïque, la possibilité d’utiliser des bases militaires en Libye; ce qui facilitera l’envoi de troupes de l’Africa Corps en Afrique.
La Russie souhaite également garder son influence dans les secteurs du pétrole et du gaz en Syrie.
Dans la guerre entre Israël et l’Iran, en juin dernier, la Russie n’a pas soutenu militairement l’Iran dans l’espoir de préserver ses relations avec Israël et les USA, et d’éviter d’être entrainée dans une autre guerre. Ce positionnement est susceptible d’amener les partenaires moyen-orientaux et africains de la Russie à considérer que celle-ci ne soit plus un partenaire stratégique fiable. D’autre part, il faut noter que le régime israélien envisage un scénario visant la mobilisation, en Iran, des minorités à la recherche d’une plus grande autonomie, comme les Kurdes et les Baloutches, et cherchant ainsi à susciter des sécessions[5]. Cela aurait des conséquences vraisemblables en Asie centrale et dans le Caucase; ce que la Russie ne souhaite pas : ce sont deux zones éminemment stratégiques pour Moscou.
Les impérialistes européens, principalement la Grande-Bretagne et la France, ont vu leur influence décliner au Moyen-Orient face a l’hégémonie de l’impérialisme US depuis la fin de la 2e guerre mondiale et face a l’influence grandissante de la Russie et de la Chine depuis plus de 20 ans. Bien qu’ils interviennent dans cette région souvent à la remorque des USA, les pays de l’Union Européenne (UE), comme tous les pays impérialistes, jouent aussi leurs cartes personnelles. À cet égard, il est notable qu’Israël réalise 40% de son commerce international avec l’UE.
Après l’invasion de l’Ukraine par la Russie, le 24 février 2022, les sanctions économiques prises contre celle-ci, notamment dans les secteurs de l’énergie, ont obligé les pays européens, très dépendants du gaz russe, à s’approvisionner ailleurs et surtout auprès de nombreux pays du Moyen-Orient, tels que l’Arabie saoudite, le Qatar et l’Irak. C’est entre autres raisons ce qui explique, dès la chute d’Al-Assad, le voyage des chefs de gouvernement européens en Syrie, présentée comme une source potentielle de gaz et de minéraux.
Les pays européens, après avoir participé aux guerres destructrices dans la région, espèrent aussi participer aux projets de reconstruction dans des pays dévastés, ce, pour le plus grand profit de leurs entreprises capitalistes.
Position marxiste-léniniste sur les rivalités interimpérialistes et la guerre
La théorie marxiste-léniniste, qui éclaire les communistes dans leurs luttes économique, politique et idéologique, nous apprend que le système capitaliste, arrivé à son stade impérialiste ‑ marqué par la domination des monopoles, du capital financier et la prépondérance de l’exportation des capitaux ‑, se caractérise par un développement économique et politique inégal des pays capitalistes. Il se trouve alors que des pays rattrapent et dépassent d’autres pays qui les devançaient. Le rapport des forces se modifie, les rivalités interimpérialistes s’exacerbent pour le repartage du monde (monde déjà partagé entre pays capitalistes) et aboutissent finalement à des guerres impérialistes dont l’objectif est la domination mondiale par un seul État ou un groupe d’États capitalistes.
Quand les moyens économiques et diplomatiques ont été épuisés, la guerre est donc la continuation de la politique par des moyens violents. Mais quelle politique?
À l’époque de l’impérialisme, c’est celle de la classe qui est au pouvoir, c’est-à-dire la bourgeoisie capitaliste monopoliste, qui défend ses intérêts économiques et qui déclenche les guerres dans le but d’augmenter ses profits au maximum en exploitant les classes soumises, en opprimant des peuples entiers et en pillant leurs pays.
Ces guerres impérialistes ont des buts de classe, ceux de la bourgeoisie, ce sont des guerres injustes. Par opposition, les guerres de libération nationale, qui affaiblissent l’impérialisme mondial, les guerres civiles du prolétariat contre la bourgeoisie sont des guerres révolutionnaires justes.
La guerre, inhérente au système capitaliste, ne disparaitra qu’avec la disparition de sa cause ‑ le capitalisme ‑, par la révolution prolétarienne et l’instauration du socialisme puis du communisme à l’échelle mondiale.
On l’a vu, le Moyen-Orient est une zone de première importance ou les rivalités interimpérialistes conduisent à des confrontations militaires ouvertes.
Actuellement, les organisations politiques qui prétendent s’opposer aux forces réactionnaires et guerrières ont tendance à opposer mécaniquement à la nature violente et guerrière de l’impérialisme, les mots d’ordre de paix (opposée à la guerre) et de négociation (opposée aux faits accomplis). Mais, pour réaliser la révolution qui pour nous est le but, il faudra abandonner les attitudes qui maintiennent la conciliation des classes, il faudra passer par des affrontements violents. En effet, comme le rappelait Lénine[6] :
Il n’y a encore jamais eu une seule question relevant de la lutte des classes que l’histoire ait résolue autrement que par la violence.
Il avait déjà, auparavant, précisé comment, à l’époque des guerres impérialistes, les marxistes conçoivent la paix[7] :
Le marxisme n’est pas le pacifisme. Lutter pour la cessation la plus rapide de la guerre est chose indispensable. Mais c’est seulement lorsqu’on appelle à la lutte révolutionnaire que la revendication de la "paix" prend un sens prolétarien. Sans une série de révolutions, la paix dite démocratique est une utopie petite-bourgeoise.
Parmi les autres illusions présentes chez certains groupes politiques se réclamant du communisme, il y a la propension à considérer la bourgeoisie d’un pays comme un bloc homogène qui aurait la maitrise et le contrôle sur tous les évènements, selon sa volonté. Or, aux USA, depuis que Trump est président, les conflits entre les fractions de la bourgeoisie US sont visibles. Et depuis la première guerre du Golfe en 1991, plusieurs évènements ne se sont pas déroulés selon la volonté des pays impérialistes. En Irak, qu’a gagné la bourgeoisie? Et en Afghanistan? Les impérialistes ont dû quitter un pays affame et en ruine. Au Moyen-Orient, les USA aimeraient diminuer leur présence militaire, particulièrement en Syrie, mais la guerre contre l’Iran, entre autres, est loin d’être terminée. Et tout ne dépend pas que des forces impérialistes. Pour cette raison on ne peut dire qui va prévaloir, à long terme, dans les multiples conflits, que ce soit en Asie ‑ Israël/Iran, Inde/Pakistan, Azerbaïdjan/Iran, Chine/USA ‑, ou en Europe ‑ Russie/Ukraine, Europe/Russie, etc.
Devant cette Situation internationale d’une grande complexité, la faiblesse actuelle de l’ensemble du mouvement communiste révolutionnaire doit rendre ce dernier particulièrement vigilant afin d’éviter le risque d’opportunisme et de se fourvoyer en se soumettant aux tactiques de la bourgeoisie impérialiste.
Bien que le marxisme-léninisme ait montré que la guerre est intrinsèque au capitalisme, il considère qu’il n’est pas impossible de prévenir telle ou telle guerre, si les masses laborieuses et les peuples du monde, unis, luttent contre les préparatifs d’une nouvelle guerre impérialiste. Mais si la guerre est déclenchée, le mot d’ordre des communistes est "la transformation de la guerre impérialiste en guerre civile". Lénine l’indiquait en 1915 [8] :
Le Manifeste de Bâle reprend les termes de la résolution de Stuttgart disant qu’au cas où la guerre éclaterait, les socialistes devraient exploiter "la crise économique et politique" créée par la guerre pour "précipiter la chute du capitalisme", c’est-à-dire mettre à profit les difficultés suscitées aux gouvernements par la guerre, ainsi que la colère des masses, en vue de la révolution socialiste.
Si à l’avenir la violence des contradictions entre les grandes puissances impérialistes amène à une confrontation directe entre deux coalitions hostiles (qui semblent se dégager avec d’un côté les USA et les autres puissances "occidentales" ‑ UE, Canada, Japon… ‑ et d’un autre côté la Chine, la Russie, la Corée du Nord, certains pays des BRICS+…), les communistes devront tout d’abord dévoiler, aux yeux des travailleurs, les véritables buts de guerre. La bourgeoisie avancera les mensonges bien connus : la lutte pour la patrie, la liberté, la civilisation des Droits de l’Homme, la culture… L’écrivain Anatole France, en 1922, dans une lettre à Marcel Cachin, synthétisait en une formule lapidaire les buts de la guerre : "On croit mourir pour la patrie; on meurt pour des industriels." Ensuite, les communistes ne soutiendront pas un groupement impérialiste contre un autre, l’"agressé" contre l’"agresseur", ou le groupe belligérant supposé plus faible luttant contre le groupe belligérant hégémonique… Les termes de l’alternative ne sont pas nouveaux, Lénine les exposait aussi[9] :
Ce n’est pas l’affaire des socialistes d’aider un brigand plus jeune et plus vigoureux […] à piller des brigands plus vieux et plus repus. Les socialistes doivent profiter de la guerre que se font les brigands pour les renverser tous.
Par contre, sachant que la guerre tend à créer une situation révolutionnaire, les social-chauvins ne souhaiteront pas la défaite de leur gouvernement.
Le Moyen-Orient, depuis plus d’un siècle, est le théâtre de deux luttes de libération nationale : celles des peuples palestinien et kurde.
Malheureusement, les mouvements marxistes-léninistes ne sont pas à la tête de ces luttes. Pour nous, communistes, il n’y aura pas de solution si l’on ne considère pas la question nationale comme une partie de la question de la révolution prolétarienne, si l’on ne voit pas le lien constitutif entre la question nationale, le pouvoir du Capital et son renversement. Staline, dans Comment poser la question nationale (Pravda n° 98, 8 mai 1921) a parfaitement résume la question[10] :
1° Les questions nationale et coloniale sont inséparables de la question de la libération du pouvoir du Capital;
2° L’impérialisme (forme suprême du capitalisme) ne peut exister sans asservir politiquement et économiquement les nations qu’il tient en état d’infériorité et les colonies;
3° Les nations tenues en état d’infériorité et les colonies ne peuvent être libérées sans le renversement du pouvoir du Capital;
4° La victoire du Prolétariat ne peut être durable si les nations tenues en état d’infériorité et les colonies ne sont pas affranchies du joug de l’impérialisme.
À bas la guerre impérialiste,
Vive la révolution prolétarienne !
[1]. Les accords d’Abraham ont permis de normaliser les relations diplomatiques entre Israël et plusieurs États arabes. Ils ont été annoncés en aout et septembre 2020, puis signés à Washington le 15 septembre 2020. Le nom même des accords fait référence à l’héritage commun du judaïsme et de l’islam, deux des trois religions dites abrahamiques, avec le christianisme. Les Émirats arabes unis et Bahreïn ont été les premiers à signer, en septembre 2020 à Washington. Le Soudan et le Maroc ont suivi quelques mois plus tard.
[2]. V. I. Lénine, L’impérialisme, stade suprême du capitalisme; Paris, Éditions sociales, 1960; tome 22, p. 282.
[3]. En juillet 2016 lors de l’opération "Bouclier de l’Euphrate" la Turquie est entrée militairement en territoire syrien en "soutien" de l’ASL. En 2018, une deuxième opération baptisée "Rameau d’Olivier" a permis aux Turkmènes et à l’armée turque de chasser les dernières populations kurdes et yézidies de la région d’Afrine. En octobre 2019, l’Armée Nationale Syrienne (ANS) a été constituée en unissant des groupes de l’ASL à d’autres, originaires de la région d’Idlib; et l’opération "source de paix" s’en est pris aux FDS à l’est de l’Euphrate, la Turquie contrôlant désormais la quasi-totalité de la frontière en coopération avec les forces russes. Depuis 2019, la Russie utilise l’aéroport de Qamichli (Kamechliyé), présence qui récemment est renforcée.
[4]. https://rocml.org/palestine-la-mystification-de-la-solution-des-deux-etats/
Un dossier est consacré à la Palestine :
https://rocml.org/home-ancien/dossiers/dossier-palestine/
[5]. https://legrandcontinent.eu/fr/2025/06/19/changer-de-regime-ou-de-geographie-comment-des-faucons-israeliens-projettent-le-grand-partage-de-liran/
[6]. V. I. Lénine, Troisième congrès des Soviets des députes ouvriers, soldats et paysans de Russie, 23-31 janvier 1918 – Rapport sur l’activité du Conseil des commissaires du peuple; Paris, Éditions sociales, 1967; tome 26, p 483.
[7]. V. I. Lénine, Le socialisme et la guerre; Paris, Éditions sociales, 1973; tome 21, p. 340
[8]. idem, p. 318.
[9]. idem, p. 314.
[10]. V. Staline, Comment poser la question nationale; Paris, Nouveau Bureau d’Éditions, 1980; tome 5, p. 56