La Voix des Communistes
No 33 – 2e Semestre 2025
Sommaire
(Le Journal complet en format PDF : ICI)
Les articles :
La Voix des Communistes
No 33 – 2e Semestre 2025
Sommaire
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Les articles :
Le mouvement ouvrier et son contexte
Quelques constats,
quelques réflexions
LA VOIX DES COMMUNISTES, no 33, 2e semestre 2025 – p. 4‑10
Actuellement nous traversons une période difficile pour le prolétariat et les peuples du monde entier. Des guerres sévissent dans diverses régions. Les conflits naissent pour des raisons variées, mais d’une façon ou d’une autre ils sont liés à des rivalités interimpérialistes, bien que la situation n’atteigne pas la dimension d’une troisième guerre mondiale. Le conflit entre l’Iran et Israël, marqué à la fois par son degré et son caractère, met en évidence la gravité de la situation. Les prolétariats mondiaux ne sont organisés suffisamment ‑ ni politiquement, ni syndicalement ‑ pour pouvoir faire face à l’ennemi. Surtout, il leur manque la référence à la théorie marxiste-léniniste pour atteindre la conscience d’être une classe pour soi. Partout on voit des mouvements contestataires, mais il n’y a pas un mouvement qui, en prenant pour base la théorie marxiste-léniniste, se lie avec (s’organise au sein de) la classe ouvrière.
Après la fin de l’époque ascendante de la révolution mondiale, à la suite de la dégénérescence révisionniste de l’URSS, parmi les militants d’avant-garde et les secteurs les plus avancés ‑ y compris les militants dits marxistes-léninistes ‑ la conscience au sujet du rôle de la théorie s’est érodée. Nous abordons ici le lien entre la théorie et la pratique. Nous, marxistes-léninistes, n’avons jamais adopté l’approche qui serait : d’abord élaborer une théorie "complète" et ensuite passer à la pratique. Mais les groupes ou individus qui nous critiquent selon des argumentations telles que : "le ROCML est dogmatique", "ils ne comprennent pas la situation"…, ne nous ont jamais adressé une critique sérieuse concernant nos analyses de classe et nos propositions, que ce soit pour l’unité des marxistes-léninistes, ou le travail au sein de la classe ouvrière. (Il faut souligner qu’un certain nombre des groupes se réclamant du marxisme n’ont pas procédé à la rupture idéologique avec l’histoire du PCF révisionniste.)
Dès notre congrès de fondation nous avons insisté sur le rôle de la classe ouvrière à l’égard de la fondation du parti communiste et de la révolution socialiste, et par la suite nous avons toujours cherché à respecter le principe de l’unité entre théorie marxiste-léniniste (socialisme scientifique) et le mouvement ouvrier. Malheureusement, l’avant-garde de la classe ouvrière est très loin de la compréhension à ce sujet.
La tâche de construire le parti communiste au sein de la classe ouvrière ne pourra pas être réalisée à coup de décrets. Les conditions objectives à un moment donné se caractérisent par l’état de la lutte de la classe ouvrière au quotidien, ainsi que par la portée du travail des militants communistes : les traditions de la lutte dans chaque pays, le niveau de conscience de classe parmi les ouvriers, toutes les richesses des expériences historiques qui appartiennent aux mouvements révolutionnaires. Pour fusionner ces facteurs, il n’y aura pas un schéma préétabli à suivre. En revanche il faut avoir une perspective claire, selon les principes du marxisme-léninisme.
Durant une première période les mouvements communistes d’une part et les mouvements ouvriers de l’autre évoluent et se développent selon des trajectoires différentes. Le rôle des communistes vise à faire confluer ces deux forces. À celui qui veut participer au mouvement communiste, le rejoindre, on ne demande pas de quelles origines sociales ‑ jeune, intellectuel… ‑ il vient. On demande : est-ce que vous êtes prêts à vous placer au sein de la classe ouvrière en tant que communistes tout en oeuvrant à assimiler la théorie et la pratique marxistes-léninistes. Toutefois il faut dès le début respecter une discipline, engager un travail à l’échelle nationale (centrale) afin de former les futurs militants. Ce travail ne pourra pas être réalisé dans une perspective spontanéiste. La préface de la brochure "Que faire?" de Lénine fait allusion à son texte antérieur "Par où commencer?" en résumant les éléments multiples qui interviennent à l’égard de la construction du parti communiste[1] :
[…] les trois questions posées dans l’article "Par où commencer?" À savoir : le caractère et le contenu essentiel de notre agitation politique; nos tâches d’organisation; le plan de construction menée par plusieurs bouts à la fois, d’une organisation de combat pour toute la Russie.
La construction d’une organisation communiste de la classe ouvrière demande une grande énergie et une clarté théorique qui doit être assimilée par les marxistes-léninistes. Il faudra affronter la société existante dans toute sa complexité. Comme l’écrivait Marx[2] :
Les hommes font leur propre histoire, mais ils ne la font pas arbitrairement, dans les conditions choisies par eux, mais dans des conditions directement données et héritées du passé. La tradition de toutes les générations mortes pèse d’un poids très lourd sur le cerveau des vivants.
Le contexte du mouvement ouvrier
à son stade actuel
Il est indispensable d’examiner en permanence l’évolution du mouvement communiste et plus généralement du mouvement ouvrier, et de réévaluer en conséquence les tâches à accomplir.
La classe ouvrière, quoiqu’il lui manque une organisation communiste marxiste-léniniste, résiste en s’appuyant sur les moyens dont elle dispose ou qu’elle arrive à constituer de façon fragmentaire. Au-delà de la lutte économique, elle donne certains exemples de pratiques internationalistes, telles que vis-à-vis de la Palestine (blocage de l’expédition d’armes), se confronte au gouvernement au sujet de certains problèmes de dimension politique nationale (comme la lutte pour la retraite à 60 ans). Elle est obligée de se mêler de la lutte contre le racisme, contre l’extrême droite. Ces aspects restent encore de maigre ampleur. Toutefois déjà cela suscite des débats politiques au sein des organisations de classe parmi les ouvriers. Or, ne serait-ce qu’en matière de syndicalisme, sans comprendre le capitalisme on ne peut pas agir comme il le faut – et effectivement des interrogations se manifestent au sujet du rôle de l’État.
(Voir dans le présent numéro, p. 12, l’article "Les travail-leurs face à l’État et face à la société".)
Il est urgent aujourd’hui d’approfondir la théorie marxiste-léniniste. L’insistance sur la nécessité de l’approfondissement va de pair avec deux aspects étroitement liés. D’une part il faut en premier lieu assimiler les bases de cette théorie telle qu’elle a été fondée par Marx, Engels, Lénine, Staline. D’autre part, il faut constamment l’opposer aux déformations et falsifications, afin de réaliser la rupture avec toutes formes de courants nocifs : révisionniste, anarchiste, trotskiste, et autres courants petits bourgeois.
En ce sens, Lénine invoquait concrètement ‑ dans le contexte de l’époque ‑ "les paroles du socialisme authentique" face aux "chauvins"[3] :
Des éléments social-démocrates révolutionnaires existent, en dépit de tout, dans maints pays. […] Cimenter ces éléments marxistes, si peu nombreux qu’ils soient au début, rappeler en leur nom les paroles aujourd’hui oubliées du socialisme authentique, convier les ouvriers de tous les pays à rompre avec les chauvins et à se ranger sous le vieux drapeau du marxisme : telle est la tâche de l’heure.
Sans théorie révolutionnaire, il n’y aura pas de pratique révolutionnaire. Une théorie qui ne répond pas aux nécessités du déploiement de la lutte de classe à l’échelle nationale et internationale n’est pas complète, voire fausse. Comprendre le rôle de la théorie marxiste-léniniste est crucial, surtout compte tenu de l’état actuel du mouvement communiste marxiste-léniniste. On ne pourrait pas garder la continuité d’une organisation marxiste-léniniste indépendante de la bourgeoisie sans théorie marxiste-léniniste. L’indépendance de l’organisation du prolétariat est d’abord idéologique. Évidemment elle doit être politique et organisationnelle. C’est pourquoi on ne peut pas séparer les trois aspects ‑ travail idéologique, politique et organisationnel. Dans cette démarche il faut avoir en vue la constitution et le développement du parti communiste.
Sans former et construire une organisation communiste, tout travail au sein de la classe ouvrière serait en échec. Avec cette approche, le principe léniniste, la conscience scientifique seraient importés de l’extérieur, puisqu’ils ne peuvent pas être le fruit d’une pratique quotidienne spontanéiste de la lutte de la classe des ouvriers. Le mouvement marxiste-léniniste ne nie pas le rôle des mouvements spontanés, mais si les communistes ne développent pas la capacité d’analyser eux-mêmes les mouvements, ils ne peuvent pas mettre en évidence et maitriser les dynamismes du mouvement ouvrier.
Or la tâche de fonder et enrichir la théorie révolutionnaire ne peut pas être poursuivie au moyen d’une activité de formation dans le cadre de cellules dispersées considérées en elles-mêmes comme unités de base. Des camarades promeuvent ce procédé par la publication intitulée "L’Émancipation ouvrière", dont le numéro 2 est paru en juillet 2024. Ils ne comprennent pas la nature du travail théorique. Ce n’est pas simplement de lire des livres où d’écrire des articles. Élaborer une position, une orientation, doit être basé sur une analyse théorique susceptible de nous amener jusqu’à un programme.
Il est proposé d’initier un processus basé sur la formation de cercles ouvriers et de cellules en tant que cadre pour le militantisme :
Nous disons aujourd’hui, étant donné l’état de faiblesse du mouvement communiste en France, qu’il faut commencer par regrouper tous les prolétaires d’une localité donnée (ville, région…) dans des cercles ouvriers. Que les divergences théoriques soient discutées et résolues dans le cadre des cercles ouvriers. Établissement des cercles ouvriers et des cellules d’usines comme moyens de reconstituer le mouvement communiste sur de bonnes bases dans un pays où l’influence du communisme s’est effondrée à la suite de la trahison du PCF d’après-guerre. Nous commençons par la formation des cercles ouvriers et des cellules, où chaque militant a une place déterminée, où nous savons d’emblée qui est qui, milite où, a de l’influence parmi quels groupes d’ouvriers etc.
Vouloir fonder le parti communiste marxiste-léniniste à travers une activité déroulée comme "un débat libre" au sein de "cellules" formées de façon dispersée dans les usines par des ouvriers, c’est une grande illusion. Une telle entreprise (qui dans la pratique va avorter avant sa naissance) se met en contradiction avec toute la pratique historique du mouvement marxiste-léniniste international.
Les idées présentées ainsi sont des phrases lancées en l’air. Aujourd’hui même le niveau général de connaissance, de savoir, est largement insuffisant, il y a un manque de lecture poursuivie dans le temps, pas simplement occasionnelle. Avec la façon de procéder qui est proposée, le résultat en matière de théorie sera forcément confus et flou. Ce n’est pas à partir de sa propre expérience de lutte que la classe ouvrière pourrait intégrer la nécessité de la théorie ‑ apportée de l’extérieur ‑ dans la lutte quotidienne. Sans parti (organisation communiste), sans un mouvement communiste, les travailleurs ne seront pas les acteurs du développement de la théorie. Il ne faut pas mélanger la formation des travailleurs avec le développement de la théorie.
En particulier, l’approche proposée par "L’Émancipation" est marquée par une distinction dogmatique entre les "ouvriers" et les "intellectuels". D’une part elle prétend exclure les "intellectuels" des structures organisationnelles, d’autre part elle néglige l’importance de l’élaboration et du développement de la théorie marxiste-léniniste. Au cours de la période initiale du POSDR, les cercles ouvriers incluaient de nombreux militants non ouvriers. Quant à la question de la théorie, elle serait évidemment mal posée si on considère qu’elle est l’affaire des "intellectuels" et non des ouvriers. Mais inversement il est erroné de rejeter toute participation d’"intellectuels" à l’activité militante. En réalité la théorie relève du "travail intellectuel", "travail" qui peut être réalisé par un militant révolutionnaire indépendamment de son statut social. L’exemple de Joseph Dietzgen montre cette distinction : étant ouvrier et militant communiste, il a écrit un texte paru en Russie en 1869 ‑ "Das Wesen der menschlichen Kopfarbeit. Von einem Handarbeiter" (L’essence du travail cérébral humain. Écrit par un travailleur manuel); Lénine a consacré plusieurs commentaires aux écrits de Dietzgen en caractérisant les positions de celui-ci comme matérialistes.
Aujourd’hui concrètement il manque une méthode, une structure de débat entre militants marxistes-léninistes ‑ ce qui nécessite en pratique des lieux de rencontre. La divergence entre les groupes dits marxistes-léninistes ou communistes est fondamentalement théorique et idéologique. Affirmer au contraire que c’est la domination de "chefs de chapelles" qui empêche d’avancer, c’est une fausse piste. C’est une fuite devant ses responsabilités. Le lien entre théorie et pratique est très important. Le mouvement communiste s’est construit dès le départ sur cette base.
Certains problèmes de syndicalisme en France, qu’il faut analyser
Le lien entre le mouvement ouvrier et la société dans son ensemble
Avec quels moyens l’activité politique au sein de la classe ouvrière peut-elle être mise en oeuvre?
Sur cet aspect, certains syndicalistes disent "on doit faire de la politique, mais pas de politique politicienne". Cette phrase montre la timidité d’engagement des syndicalistes qui n’adoptent pas la position de classe, en face de la politique du gouvernement ou des patrons. Un syndicat peut être souple concernant les critères d’adhésion (doit l’être), mais politiquement on ne doit pas être souple. Est-ce que le gouvernement et les patrons sont souples dans l’application de leur politique et l’élaboration de leurs lois? ‑ non… Partant d’une vision apolitique on ne pourrait pas faire comprendre le fond des problèmes concernant la loi de la retraite, la suppression de la carence-maladie, des jours fériés, etc. Sans avoir une compréhension du capitalisme, de la politique de la bourgeoisie et du rôle de leur pouvoir, on ne peut pas militer comme il le faut. À cet égard il n’y a pas de "politique politicienne", il y a des politiques qui appartiennent à des classes sociales différentes. Il y a des politiques correspondant à la grande bourgeoisie, à la petite bourgeoisie, et il y a des politiques propres au prolétariat.
La bourgeoisie, en complicité avec le gouvernement et les institutions politiques, maintient l’apparence de séparation entre les deux sphères. Dans les entreprises, les directions parlent économie : budget, contexte des marchés, impôts… Les syndicats sont censés intervenir sur ces questions économiques par des revendications économiques. Pour la politique, il y a les partis avec leurs programmes. Les travailleurs, comme l’ensemble de la population, sont censés intervenir en matière de politique par l’intermédiaire des élections, parlementaires et autres. En réalité, évidemment, le gouvernement met en oeuvre les désidératas du capital, et les résultats des élections n’y changent rien.
Ainsi lutter contre les visions apolitiques est très important. Car elles constituent une barrière pour empêcher que les mouvements ouvriers prennent ‑ comme il est indispensable ‑ un caractère politique. Les militants communistes doivent montrer le lien entre chaque loi, ‑ qu’elle porte sur des questions économiques ou des mesures politiques proprement dites ‑ et la situation de la classe ouvrière. Les travailleurs doivent défendre leurs intérêts ‑ économiques et politiques ‑, y compris par l’agitation et les instances dans les entreprises. À cet égard le problème de l’abstentionnisme lors des élections politiques (parlement, etc.) se pose de manière similaire en ce qui concerne l’abstentionnisme à l’égard des élections professionnelles. Le motivations peuvent être variées, en un sens positif, ou négatif.
Ces considérations conduisent au constat que la classe ouvrière doit intervenir sur tous les sujets de la société. La classe ouvrière ne doit pas seulement lutter contre le capitalisme sous l’angle des problèmes économiques, elle doit se préparer pour prendre le pouvoir. La véritable conscience de classe implique qu’elle ne doit pas seulement s’occuper de ses propres problèmes directs, elle doit s’occuper de tous les problèmes posés dans la société en général. Autrement la classe ouvrière ne pourrait pas se présenter comme porteuse d’une alternative au pouvoir existant, celui de la classe capitaliste. (Sur ce sujet le texte "Que faire?" de Lénine constitue toujours la référence principale.)
Sur le plan politique, la Charte d’Amiens et sa déformation par la direction confédérale de la CGT est un exemple significatif de dépolitisation de la classe ouvrière. Dans le contexte actuel, la teneur de la Charte est utilisée par la direction confédérale de la CGT pour rassurer les employeurs au sujet de son rapport avec la politique. Abstraction faite de la signification et des motivations concernant l’adoption de la Charte à l’origine, il faut dire qu’aujourd’hui dans chaque instance de la CGT, jusqu’au sommet, il y a des représentants de partis politiques, et que leur influence ne reste pas "neutre" en matière de politique.
Il faut montrer ‑ en général et dans tous les détails ‑ en quoi les travailleurs, et l’humanité entière, sont victimes du système capitaliste. Toutefois il y a une seule classe sociale qui représente l’avenir ‑ le prolétariat. Or sans avoir réalisé l’unité idéologique et politique, on ne peut pas lutter en tant que classe ouvrière et mobiliser d’autres couches opprimées. Dans ce sens, les communistes doivent diffuser au sein du mouvement syndical les connaissances concernant le fonctionnement du capitalisme. Sans cette pratique il n’est pas possible d’organiser le syndicalisme dans la perspective "classe contre classe".
La spontanéité et le degré insuffisant de conscience politique : voilà le vrai obstacle. Certes, malgré les difficultés, la classe ouvrière résiste en face de l’agression politique de la part de la bourgeoisie. Depuis 2010 : la lutte contre la modification du régime de retraite; ces dernières années, de multiples luttes contre les suppressions d’emplois, la détérioration des salaires et des conditions de travail… Mais ce qui manque, c’est la capacité de fédérer la lutte à plusieurs niveaux.
"Fédérer" n’a pas la même signification que "faire converger". On peut faire converger des luttes qui ont éclaté de façon éparpillée indépendamment les unes des autres : des militants des différentes entreprises prendront contact entre eux, discuteront des situations et des méthodes de lutte respectives ‑ les travailleurs en lutte des entreprises concernées se sentiront moins seuls, mais cela n’avancera pas fondamentalement la situation. "Fédérer" des luttes signifie planifier de façon méthodique et coordonnée un ensemble d’actions cohérentes, et obtenir une cohésion qui favorise le succès.
La structure concrète de l’économie
Parallèlement au manque d’unité idéologique et politique, d’autres facteurs génèrent des difficultés pour le mouvement prolétarien. La réorganisation de l’économie capitaliste qui développe de plus en plus la précarité et tend à atomiser les centres de production fragmente la classe ouvrière. Mais pour la conduite du mouvement cela ne doit pas être fatal. On doit adapter nos organisations selon les formes d’organisation de l’économie et les structures régionales.
Les aspects liés à la division du travail (grands groupes, sous-traitants, prestataires de service…) sont complexes et se répercutent sur la composition des équipes sur le lieu de travail. En particulier, le syndicalisme dans les grands groupes subit des transformations plus ou moins complexes. Des glissements dans la composition du personnel se produisent. Les embauches concernent plutôt la catégorie des ETAM-Cadres [ETAM : Employés, Techniciens, Agents de Maitrise] que les compagnons (ouvriers), tandis qu’une bonne partie de la force de travail provient de sous-traitants et d’intérimaires, ou, parfois, se conçoit comme un prêt de personnel. Ce problème ne concerne pas uniquement le secteur privé. Les restructurions dans le service public suivent la même tendance. Toutes les grandes entreprises ont été coupées en plusieurs divisions ou entreprises séparées : SNCF, RATP, EDF-GDF, etc.
La prise en compte de ces questions s’impose. Effectivement dans la CGT il y a un débat sur la façon de renforcer les organisations syndicales dans l’entreprise. Étant donné que numériquement le collège des ETAM-Cadres dépasse le collège ouvrier dans les grands entreprises, il faut se préoccuper de syndiquer ces catégories. Toutefois la majorité de travailleurs/salariés se trouve dans les petites/moyennes entreprises. Pour ces dernières, selon le DARES en 2023, 54% des établissements ne sont pas couverts par une IRP [IRP : Institution représentative du personnel] élue, et dans seulement 32% des établissements il y a un délégué syndical. Ces chiffres nous donnent un aperçu de la réalité sur le terrain. Si on prend en compte le manque de formation syndicale, le fait que certains élus fréquentent rarement ou jamais leurs syndicats, ainsi que la position et les orientations de certains syndicats (surtout sous l’angle politique), on peut mieux comprendre les difficultés de la lutte syndicale.
La division du travail, les restructurations incessantes organisées par les employeurs (pas seulement dans le secteur privé), créent une instabilité permanente pour les syndicats. Certes, à juste titre on constate globalement une insuffisance des moyens dont disposent les syndicats. Néanmoins il ne faut pas se laisser aller à une attitude pessimiste. Nous pouvons et devons aller à la rencontre des salariés sous-traitants et des intérimaires. D’ailleurs, il faut prendre en compte d’autres aspects que celui des moyens matériels. Notamment l’esprit corporatiste constitue un obstacle sérieux.
Fondamentalement la division entre les travailleurs provient de la division du travail sur le plan économique. Mais aussi, pour toutes sortes d’autres raisons, la classe ouvrière n’a jamais été homogène. Les divisions ethniques, de religion, de conscience, ne dérivent pas directement de la situation économique des individus et ne peuvent donc pas être dépassées dans le cadre de la lutte économique. Cette tâche fait partie de la lutte idéologique, de l’activité visant à l’organisation politique de la classe ouvrière. La bourgeoisie, préoccupée à maintenir son pouvoir, n’est pas dérangée par la persistance des idées rétrogrades héritées du passé. (Voir la lettre de K. Marx à Abraham Lincoln[4].) Il faut lutter contre toutes les influences qui divisent la classe ouvrière. Actuellement le premier danger provient du racisme, dont la persistance est manipulée par les milieux de l’extrême droite. Vu qu’il n’y a pas une organisation forte de la classe ouvrière, certaines catégories de travailleurs cherchent la défense de leurs intérêts auprès de courants hors des positions de classe. Ou s’organisent selon l’esprit communautaire ou religieux. Pour s’opposer efficacement à toutes ces formes de division, il faut développer la lutte de classe à tous les niveaux, idéologique, politique et organisationnel.
En ce qui concerne la question des cadres, si l’on prend comme critère simplement le nombre des élus, il semble logique de chercher le salut de ce côté-là. Mais ainsi on peut sauver "la boutique", pas le syndicalisme sérieux. La réorganisation du travail et la restructuration de la division du travail impliquent notamment dans les entreprises donneuses d’ordre (nombreuses parmi les grands groupes), une forte présence de cadres. Ces catégories aussi ne sont pas homogènes. Il y a des ETAM-Cadres de type technicien, administratif et bureau d’étude… et aussi les cadres qui constituent les équipes de gestion, y compris des cadres qui assument de fait un rôle de patron. On n’est pas opposé à la syndicalisation de cadres, mais ce n’est pas cela qui va sauver le syndicalisme des travailleurs (rappelons en ce sens le constat du DARES, que la majorité des ouvriers se trouvent dans les petites et moyennes entreprises, où la question des cadres n’a pas le même poids).
Le travail de syndicalisme doit se faire sur les lieux de travail, et cela aussi avec les travailleurs sous-traitants, intérimaires et vacataires. Il faut donner les moyens aux instances au plus près du lieu de travail. Il faut donc être attentif au rôle des Unions locales et clarifier le fonctionnement des syndicats d’entreprise. (Voir dans le numéro 31 de la Voix des Communistes, p. 11, une note à ce sujet.) En effet les découpages successifs des grands groupes allant dans les sens de la division en sous-entités multiplient fortement le nombre d’entreprises et les lieux de travail où se trouvent les travailleurs ‑ et aussi la différentiation des statuts. Ce morcèlement accentue les phénomènes de corporatisme et favorisent la conception personnalisée du rôle de élus au détriment du travail syndical comme activité collective.
Le rôle des Unions locales est essentiel à cet égard, ne serait-ce que pour établir et maintenir le contact avec les salariés au niveau local. Or elles n’ont pas les moyens d’assumer cette activité.
Un véritable travail syndical ne s’occupe pas que des affaires sociales par l’intermédiaire du Comité social et économique (CSE). Son rôle fondamental consiste à organiser les travailleurs avec une perspective à long terme, à guider le mouvement sur le lieu de travail afin d’aider les travailleurs à réaliser leur unité de classe.
En résumé, la question toujours d’actualité : Que faire?
Pour réaliser ces objectifs il faut construire une organisation politique, laquelle, à la fois, donne des perspectives claires et forme les militants en vue de leur tâche sur le terrain. La mise en oeuvre de la formation des militants communistes se distingue de la formation des élus syndicaux. La formation politique incombe à une organisation politique. Sans disposer de cadres politiques d’avant-garde bien formés, on n’avancerait pas. Inversement, l’activité tout au long du processus de création du parti contribue à la formation des cadres. Ce n’est pas un hasard si la bourgeoisie et aussi tous les révisionnistes rejettent le modèle de parti bolchévique. Le parti communiste doit se constituer et se développer selon son idéologie, sa politique et ses structures organisationnelles propres, indépendamment de toutes formes d’organisation et d’action de la bourgeoisie. Sans avoir une avant-garde organisée de cette façon, le prolétariat ne pourra pas diriger toutes les organisations des travailleurs (les syndicats, associations, comités de quartier…).
Pour conclure nos argumentations, référons-nous à la publication citée plus haut, "L’Émancipation ouvrière", numéro 2 :
Les membres reconnaissent le Parti communiste comme l’organisation politique supérieure des ouvriers. Le mouvement ouvrier organisé sera la base fondamentale du Parti Communiste, c’est pour cela que nous considérons la création des cercles ouvriers et des cellules d’usines comme la tâche prioritaire.
Dans cette phrase, il y a la juste caractérisation du "parti communiste comme organisation politique supérieure des ouvriers". Sans rentrer dans des polémiques, disons qu’un parti communiste peut aussi accepter des paysans pauvres (semi-prolétaires) en tant que communistes. Toutefois, sur le fond, ces camarades oublient l’histoire du mouvement communiste international. Le raisonnement qui mène à commencer la construction du parti communiste par la création de cellules est erroné. Les cellules s’organisent du haut vers le bas, pas de bas vers le haut. Évidemment par principe la cellule est la structure organisationnelle principale du parti communiste. Dans l’usine, les syndicats, le quartier, l’armée… Mais le problème d’urgence immédiate et concrète pour la classe ouvrière n’est pas de se fixer des préceptes et un plan de travail et d’entamer dès maintenant le processus de construction du parti. Dans le contexte actuel, le problème auquel il faut s’affronter, c’est le fait que l’idéologie de la bourgeoisie domine ‑ sous différentes formes ‑ au sein du mouvement ouvrier. Cela passe par un travail théorique et idéologique. La priorité pour la classe ouvrière, c’est de rejeter idéologiquement toutes les attaques contre les conceptions du socialisme, du communisme, opposées au système capitaliste.
Il est intéressant de consulter, dans le texte "Que faire?" de Lénine, la section "Engels et l’importance de la lutte théorique"[5] :
Ainsi donc, l’on voit que les grandes phrases contre l’ossification de la pensée, etc., dissimulent l’insouciance et l’impuissance à faire progresser la pensée théorique. L’exemple des social-démocrates russes illustre d’une façon particulièrement frappante ce phénomène commun à l’Europe (et signalé depuis longtemps par les marxistes allemands) que la fameuse liberté de critique ne signifie pas le remplacement d’une théorie par une autre, mais la liberté à l’égard de tout système cohérent et réfléchi; elle signifie éclectisme et absence de principes. Quiconque connaît tant soit peu la situation de fait de notre mouvement ne peut pas ne pas voir que la large diffusion du marxisme a été accompagnée d’un certain abaissement du niveau théorique. Bien des gens, dont la préparation théorique était infime ou nulle ont adhéré au mouvement pour ses succès pratiques et sa portée effective. […]
Sans théorie révolutionnaire, pas de mouvement révolutionnaire. On ne saurait trop insister sur cette idée à une époque où l’engouement pour les formes les plus étroites de l’action pratique va de pair avec la propagande à la mode de l’opportunisme. Pour la social-démocratie russe en particulier, la théorie acquiert une importance encore plus grande pour trois raisons trop souvent oubliées, savoir : tout d’abord, notre parti ne fait encore que se constituer, qu’élaborer sa physionomie et il est loin d’en avoir fini avec les autres tendances de la pensée révolutionnaire, qui menacent de détourner le mouvement du droit chemin. […]
Pour nous, la conclusion est claire. L’objectif est de créer un parti d’avant-garde de la classe ouvrière. Mais le processus suivra par nature plusieurs étapes; à l’étape actuelle, dans le contexte présent, la tâche à réaliser consiste à organiser ‑ du haut vers le bas ‑ l’avant-garde en vue de la construction ultérieure du parti. C’est ce qui différencie la construction du parti prolétarien de la formation d’un mouvement de masse spontané.
[1]. V. I. Lénine, "Que faire?" (février 1902); Oeuvres, tome 5, Paris, Éditions sociales, 1973; p. 355.
[2]. Karl Marx, Le 18 Brumaire de L. Bonaparte (1851).
[3]. V. I. Lénine, "Le socialisme et la guerre" (automne 1915); Oeuvres, tome 21, Paris, Éditions sociales, 1973; p. 340.
[4]. Association Internationale des Travailleurs : À Abraham Lincoln, président des États-Unis d’Amérique (Der Social-Demokrat, 30 décembre 1864).
"Tant que les travailleurs, le véritable pouvoir politique du Nord permirent à l’esclavage de souiller leur propre République; tant qu’ils se glorifièrent de jouir ‑ par rapport aux Noirs qui, avaient un maître et étaient vendus sans être consultés ‑ du privilège d’être libres de se vendre eux-mêmes et de choisir leur patron, ils furent incapables de combattre pour la véritable émancipation du travail ou d’appuyer la lutte émancipatrice de leurs frères européens."
[5]. V. I. Lénine, op. cit.; p. 375-376.
Rivalités interimpérialistes au Moyen-Orient
et leurs conséquences sur la vie des peuples
LA VOIX DES COMMUNISTES, no 33, 2e semestre 2024 – p. 30‑37
Le Moyen-Orient, carrefour entre l’Europe, l’Afrique et l’Asie, est un lieu de passage essentiel pour le commerce mondial. La découverte du pétrole en 1908 en Iran puis dans les années 1930 en Arabie Saoudite, à Bahreïn et au Koweït fera du Moyen-Orient une zone d’affrontement entre les puissances impérialistes avec notamment la colonisation de la Palestine pour y installer un gendarme (Israël) au service de l’impérialisme anglais puis US, gendarme ayant pour rôle d’assurer le contrôle des routes du pétrole et d’empêcher la formation d’une nation arabe unie.
Actuellement, derrière le chaos moyen-oriental apparent, trois niveaux de contradictions sont intriqués : un niveau local où chaque communauté défend ses propres intérêts (les peuples palestinien, kurde, druze, alaouite…), un niveau régional et un niveau international ou chaque puissance expansionniste et chaque impérialisme y défendent leurs intérêts capitalistes.
La guerre interimperialiste s’y fait principalement par procuration, par des proxys ‑ par exemple, des États régionaux (Turquie, Israël, Iran, etc.) et/ou des organisations politiques locales et leurs branches armées (Hay’at Tahrir al‑Sham/HTS, Hezbollah…). Mais, si les circonstances l’exigent, les grandes puissances n’hésitent pas à intervenir directement : guerre Russie/Ukraine, bombardements des sites nucléaires iraniens par les USA en juin 2025…
D’autre part, au gré de l’évolution des évènements et selon les intérêts des pays capitalistes et impérialistes, les alliances et les rivalités se modifient, les ennemis d’hier pouvant devenir les amis d’aujourd’hui ou inversement.
De par sa situation géostratégique et ses ressources énergétiques gazières et pétrolières, le Moyen-Orient a depuis plus d’un siècle attisé les convoitises et provoqué les interventions politiques et militaires des pays impérialistes et des forces réactionnaires régionales.
S’ajoutent à cette instabilité économique, politique et sociale, les différends ethniques et religieux, persistant, eux, depuis plusieurs siècles et facilitant les manoeuvres de ces forces. En effet, un régime peut se présenter comme le "sauveur d’un peuple" et en même temps massacrer un autre peuple, dans son propre pays ou chez ses voisins : tels Israël massacrant les Palestiniens et "protégeant" les Druzes en Syrie, l’État turc massacrant le peuple kurde ou l’Iran opprimant les peuples kurde et azeri…
La chute de Bachar al‑Assad en Syrie, en décembre 2024, n’a été ni le renversement d’un régime antiimpérialiste, ni une révolution, mais un changement de pouvoir, après 13 années d’une guerre interimpérialiste que nous, marxistes-léninistes, avons qualifiée de guerre réactionnaire injuste.
Plusieurs facteurs ont favorisé ce changement. D’abord, la diminution des forces militaires russes en Syrie depuis l’attaque de l’Ukraine par la Russie en février 2022. Alors, faisant preuve de pragmatisme, celle-ci a géré les rivalités entre Turquie, Syrie et Israël, afin d’éviter une confrontation entre la Turquie et Israël. Il faut rappeler ici que le silence de la Russie devant le génocide du peuple palestinien et son feu vert accordé, en janvier 2018, à l’armée turque et aux rebelles syriens de l’Armée Syrienne Libre (ASL) pour attaquer les forces kurdes à Afrine, témoignent, entre autres forfaits, de sa politique impérialiste.
Les intégristes islamistes de HTS ont aussi profité de l’affaiblissement du Hezbollah au Liban et de l’Iran et ont été soutenus par les impérialistes US et européens. Il aura suffi au terroriste Abou Mohammed Al-Joulani, dirigeant HTS, de porter une cravate et de reprendre son nom (Ahmed al‑Charaa), pour devenir fréquentable aux yeux de ces derniers.
Dès sa prise du pouvoir, un de ses lieutenants déclarait a Times of Israel : "Nous souhaitons vivre en bonne entente avec les pays voisins, y compris Israël. Nous n’avons pas d’autres ennemis que le régime d’Assad, le Hezbollah et l’Iran." Ces propos sont en parfait accord avec la politique régionale des USA. Mais cela n’a pas empêché Israël de bombarder et de détruire les bases militaires de Syrie. Israël ne veut pas d’opposant dans la région. Mais, la destruction des défenses anti-aériennes avaient aussi un autre but : se créer un couloir aérien en Syrie pour attaquer l’Iran et ses capacités nucléaires. Ce qui sera réalisé six mois plus tard, à partir du 13 juin 2025.
Depuis des années les USA et l’Union Européenne (UE) justifient leur présence au Moyen-Orient sous prétexte du "risque de résurgence de l’État Islamique (EI)". L’argument est mensonger : les USA se trouvent dans cette région depuis la 2e guerre mondiale en tant que superpuissance impérialiste. Selon nous, les USA ne quitteront jamais le Moyen-Orient, y compris militairement; ils ne démantèleront pas leurs dizaines de bases, avec 40.000 soldats présents. Seule la forme de leur présence change. La perspective reste celle des Accords d’Abraham[1], c’est-à-dire des alliances permettant de mieux contrôler la région, sans devoir y augmenter leurs forces armées; celles-ci sont engagées dans d’autres régions du monde. Ils veulent rester les maitres de la région et même si Israël semble avoir une certaine liberté de manoeuvre, c’est Washington qui donne les ordres et non l’inverse.
Bien qu’ayant obtenu le soutien de plusieurs pays ‑ USA, UE, Arabie Saoudite, Qatar, Turquie…‑, le nouveau gouvernement syrien n’a pas encore consolidé son pouvoir. Loin de là! Et n’oublions pas que le soutien de Trump est toujours conditionné par la sécurité d’Israël, élément essentiel pour les USA.
Les minorités en Syrie
Depuis que HTS a pris le pouvoir en Syrie, l’avenir des minorités (Kurdes, Druzes, Alaouites, Chrétiens-Syriaques…) est un problème majeur. Quelle solution envisager pour certaines d’entre elles : intégration, autonomie, fédération, indépendance?
Le terroriste Al‑Charaa, djihadiste autoritaire et répresseur, notamment à Idlib, est devenu en quelques jours respectable pour les gouvernants de l’UE. Mais les crimes commis envers les Alaouites en mars 2025 et contre les Druzes en juin 2025 confirment que HTS n’a pas changé et qu’il ne peut être considéré comme une force de progrès. Le "deux poids deux mesures" observé par l’UE impérialiste vis-à-vis de HTS d’une part et vis-à-vis du Hamas et du Hezbollah d’autre part, montre bien toute l’hypocrisie de l’UE, qui prétend défendre partout les droits de l’Homme ‑ en réalité, les droits de l’homme bourgeois.
Ces crimes, cités plus haut, augurent mal du nouveau régime réactionnaire syrien et de l’avenir des autres minorités. C’est pourquoi, les Kurdes et les Druzes ont raison de ne pas rendre leurs armes. À la différence des peuples épris de paix, les forces impérialistes et réactionnaires ne peuvent amener cette paix. Dans la région, on ne peut espérer de ces forces (Israël, Turquie, Iran, Arabie Saoudite, etc.) aucun progrès, aucune réelle démocratie. À lire le programme de HTS, il n’y aura de liberté ni pour les travailleurs ni pour les minorités. L’impérialisme ne peut établir au Moyen-Orient que des pouvoirs politiques réactionnaires, y compris sous la forme de la "démocratie bourgeoisie", en réalité la dictature de la bourgeoisie monopoliste. Lénine l’indiquait déjà en 1916 [2] : "Mais existe-t-il, ailleurs que dans l’imagination des suaves réformistes, des trusts capables de se préoccuper de la situation des masses, au lieu de penser à conquérir des colonies?"
Malheureusement, la faiblesse du mouvement communiste et prolétarien laisse le champ libre aux "rêves" et aux faux espoirs vantés par les impérialistes. Pour ce qui nous concerne, notre méthode d’analyse, fondée sur le marxisme-léninisme, n’a pas changé : un projet de société pour l’avenir des populations opprimées sera toujours estimé en fonction de sa forme et de sa nature de classe. La question de la paix en Syrie ne saurait être résolue sous une forme démocratique bourgeoise, issue de compromis entre les forces bourgeoises en présence.
Après la conférence nationale du peuple kurde sur "l’Unité et la Position Commune des Kurdes du Rojava", tenue en avril 2025, l’État turc a demandé de retirer la déclaration finale (appelant à une Syrie fédérale et démocratique) et d’obéir sans condition sous le drapeau de la Syrie dirigée par HTS, qui demande aussi la même chose. Si les pays impérialistes se rapprochent des peuples kurdes, c’est pour garantir leurs propres intérêts. Pour les USA et l’UE, l’autonomie des Kurdes est subordonnée à la question de la sécurité d’Israël. Si la Turquie peut garantir celle-ci, ils lâcheront les Kurdes du Rojava. Garantir la sécurité d’Israël et sauver les Accords d’Abraham est primordial pour les intérêts US ; l’autonomie des Kurdes, assurément pas.
La stratégie des USA pour la Syrie ressemble à celle développée en Irak : établir une région autonome ou semi-autonome kurde. Beaucoup parlent de fédération, en réalité les Kurdes sont prêts à accepter une région autonome. La dernière conférence nationale kurde au Rojava, citée plus haut, l’a déclaré.
L’accord, signe le 10 mars 2025, entre les Forces Démocratiques Syriennes (FDS) et Al‑Charaa reflète l’engagement des FDS en faveur d’une Syrie unifiée, accord qui a été imposé par les USA, avant que l’État turc n’impose sa politique à HTS. Notons que la conférence des Kurdes, en avril, a aussi été impulsée par les forces impérialistes, notamment la France. Toutes ces démarches ont pour but de renforcer l’influence des FDS et limiter le pouvoir d’Al‑Charaa pour obtenir une certaine stabilité régionale, ce qui est dans l’intérêt des impérialistes US et européens, sans oublier la sécurité d’Israël. En tous cas, pour le moment, sur la question kurde, la politique d’Israël est alignée sur celle des USA.
Si les USA abandonnent les Kurdes du Rojava, les Turcs pourraient-ils alors avoir les mains libres contre ceux-ci? Il est difficile de le dire tant que la négociation entre les forces réactionnaires n’est pas terminée. Malheureusement, force est de constater que les peuples de la région sont divisés, sous l’influence de la bourgeoisie ou de la petite bourgeoisie. Les groupes les mieux organisés en Syrie, les FDS (majoritairement des Kurdes), peuvent compter sur leurs propres forces. Mais les grands pays impérialistes (USA, UE et Russie) disposent de leur côté de connexions influentes. Une partie de la bourgeoisie kurde (encore minoritaire toutefois) a également des relations avec Israël.
Pour la Turquie, avec la politique chauvine de sa bourgeoisie et dont la société est divisée sur ce sujet, ce ne sera pas facile d’accepter le projet des pays impérialistes. Mais la fraction de la bourgeoisie turque au pouvoir en ce moment est assez affaiblie et la "division de la Turquie et la création d’un Kurdistan" sont une véritable phobie pour la grande bourgeoisie turque. Mais tous les mouvements kurdes ne revendiquent pas l’indépendance ou une fédération (sauf Barzani pour l’Irak).
Un des dirigeants principaux du PKK, Mustafa Karasu (membre du Conseil exécutif de l’Union des communautés du Kurdistan ‑ KCK) a précisé la position de son parti : la lutte kurde a changé; la priorité n’est plus la prise du pouvoir d’État mais l’organisation démocratique autonome de la société, une confédération démocratique. Les revendications kurdes sont claires : instruction en langue maternelle, autonomie locale, reconnaissance de l’identité kurde ‑ ce sont des droits fondamentaux, non négociables, selon les responsables du mouvement kurde.
Le Rojava et le Kurdistan irakien sont les cibles régulières de la Turquie et de l’Armée nationale Syrienne (ANS : agrégats de groupuscules mercenaires au service des intérêts turcs, formé en 2017 par la réunion de certains groupes de l’ASL). Les factions de l’ANS sont théoriquement dissoutes depuis janvier 2025 et relèvent du nouveau ministère syrien de la Défense; Al‑Charaa et le gouvernement syrien intérimaire sont donc officiellement responsables de leurs activités. Mais ils continuent à jouer leur rôle dans les régions frontalières envahies par la Turquie[3]. Des membres de l’ANS ont participé aux massacres perpétrés en mars 2025 parmi la population alaouite de la plaine côtière de Syrie.
La Situation de la Turquie et la position du PKK (Parti des Travailleurs du Kurdistan)
Dans son désir d’accroitre son influence dans la région et de réaliser ses ambitions expansionnistes néo-ottomanes, la Turquie a joué le rôle principal dans le renversement d’Al-Assad.
Alliée des USA, ayant des relations complexes et multiformes et de longue date avec la Russie, elle a soutenu l’État Islamique et tous les principaux groupes opposés au régime d’Assad.
Farouchement hostile à toute autonomie kurde en Syrie, ce qui serait un exemple pour les Kurdes de Turquie, elle a régulièrement bombardé le Rojava (Administration démocratique autonome du Nord et de l’Est de la Syrie ‑ ADANES). En 2018-2019, les zones d’Afrine et de Sere Kaniye ont été vidées par l’armée turque et l’ANS. La Turquie a été un lieu de développement de forces réactionnaires et un lieu de passage pour les forces réactionnaires intégristes venues du monde entier (Tchétchènes, Ouighours, Afghans, cellules de l’État Islamique installées en Turquie…)
La Turquie joue un rôle économique important dans la région (malgré une forte inflation), au travers de ses relations commerciales avec Israël, ses échanges économiques et touristiques avec la Russie. Tous les pays impérialistes ne peuvent pas se passer de liens, plus ou moins bons, avec elle. Mais la politique néo-ottomane de la Turquie a suscité des réticences en Turquie même, auprès des kémalistes notamment, et auprès des populations arabes.
Dans ce contexte, le changement soudain de pouvoir en Syrie, les ambitions régionales des USA et d’Israël, le rôle des Kurdes de Syrie (Forces Démocratiques Syriennes ‑ FDS) ont amené l’État turc à contacter Abdullah Öcalan, le dirigeant du PKK, en prison depuis 1999.
Devlet Bahçeli, chef du parti fasciste de l’action nationaliste (MHP), a proposé d’autoriser Öcalan a intervenir au Parlement afin d’appeler à l’abandon de la lutte armée et à la dissolution du PKK. Ce qui fut fait le 27 février par une lettre rendue publique. À la suite du congrès du PKK réuni le 7‑8 mai 2025, ses membres ont brulé symboliquement des armes, le 11 juillet, indiquant par là qu’il n’y aura pas de retour en arrière. Maintenant, le PKK attend que l’État turc crée les conditions constitutionnelles pour que les militants du PKK puissent rentrer en Turquie et être autorisés à faire de la politique légalement. Mais, cette procédure est bloquée, car la négociation sur le statut de Rojava en Syrie n’est pas terminée. Et cette négociation se passant dans la plus totale discrétion, personne ne sait réellement ce qui se trame. Mais, en tous cas, on sait que les dirigeants kurdes de Rojava ne veulent pas perdre leur statut d’"autonomie".
On ne discutera pas, ici, le choix du PKK d’abandonner la lutte armée. Cependant, on doit préciser qu’au 21e siècle, un peuple de près de 50 millions, le peuple kurde, n’a, malheureusement, toujours pas droit à l’autodétermination. Nous, marxistes-léninistes, soutenons la lutte du peuple kurde pour avoir la liberté totale de son choix. Mais, sans l’intervention active d’un prolétariat kurde, nous ne croyons pas à une solution conduite par la bourgeoisie kurde divisée et qui la cherche, de par sa position se classe, auprès des pays impérialistes.
Le conflit entre Israël et l’Iran (12‑24 juin 2025)
Après l’attaque de la résistance palestinienne le 7 octobre 2023 contre l’occupant sioniste et la guerre génocidaire menée par Israël, l’Iran a perdu des alliés importants pour faire pression sur l’entité sioniste : le Hezbollah défait militairement, le Hamas affaibli et Assad en décembre 2024. La chute d’Assad est aussi une question de sécurité nationale pour Téhéran. D’où son désir de rechercher un appui auprès de la Chine et de la Russie et développer l’arme nucléaire.
Profitant de l’affaiblissement de l’Iran, et face à une défaite politique et morale a l’échelle mondiale y compris chez une partie du colonialisme collectif occidental (France, Allemagne…), Israël a attaqué l’Iran. Cette tactique de diversion avait pour but d’allumer un contrefeu qui satisfera les impérialistes et qui détournera les yeux de l’opinion internationale d’une guerre coloniale génocidaire à Gaza.
Cependant Israël ne décide ni n’agit seul. Cette guerre n’aurait pu avoir lieu sans l’impulsion et le soutien des USA et des pays européens. Mais, les forces régionales n’étaient pas en reste : avant les premières attaques, la Turquie et Israël s’étaient rencontrés en Azerbaïdjan.
En avril 2025, Trump avait envisagé une action militaire contre l’Iran : "S’il faut recourir à la force, nous recourrons à la force", "Israël sera bien évidemment très impliqué dans cette action, il en sera le chef de file". Notons, au passage, qu’on ne pouvait rêver plus bel aveu : Israël est bien l’arme de l’impérialisme occidental au Moyen-Orient. Aveu répété par le chancelier allemand Merz, le 17 juin dernier lors du sommet du G7 au Canada, en parlant des frappes aériennes israéliennes contre l’Iran : "C’est le sale boulot qu’Israël fait pour nous tous".
Toutefois, pour Donald Trump et les entreprises US, l’Iran pourrait devenir, avec ses richesses en hydrocarbures et ses 90 millions d’habitants avec un niveau d’instruction élevé, un terrain économique favorable et un moyen de contrer les ambitions chinoises. Il ne veut pas de changement de régime ni de conflit armé prolongé avec l’Iran. C’est ce qui explique son intervention en juin contre les sites nucléaires iraniens afin de stopper Israël qui criait au changement de pouvoir en Iran et risquait un embrasement général, surtout après la riposte iranienne qui a montré la vulnérabilité du "dôme de fer" israélien. La base électorale de Trump au sein du mouvement MAGA (Make America Great Again) et de la population US est opposée a une guerre longue. D’où le scénario envisagé par l’équipe de Trump : frappe des installations iraniennes – riposte de Téhéran – cessez-le-feu.
En ce qui concerne ce conflit, entre Israël et l’Iran, le Parti communiste d’Israël et le Parti Toudeh d’Iran ont publié un appel : "Arrêtez les massacres, arrêtez la guerre maintenant!". Formulée ainsi, l’exigence est juste. Mais pour influer sur la réalité dans le sens voulu, on ne peut pas compter sur les "négociations" entre les instances "compétentes", puisque celles-ci ‑ y compris l’ONU ‑ se trouvent essentiellement sous la mainmise des représentants du système capitaliste impérialiste mondial. Par contre, des actions comme celles des dockers qui bloquent l’envoi d’armes à Israël sont beaucoup plus réalistes et en rapport avec une juste position de classe.
Quant à la lutte de libération nationale du peuple palestinien, qui est évidemment un élément essentiel de la situation, nous avons traité la question notamment dans un article récent publié sur notre site Internet : "La mystification de la “solution” des “deux États” en Palestine"[4].
Stratégies des grandes puissances impérialistes
Anticipant la fin programmée de l’ère des hydrocarbures, les USA se réorientent stratégiquement vers l’Indopacifique, dans sa compétition avec la Chine, et aimeraient transférer leur rôle au Moyen-Orient à leur agent israélien. C’est l’idée derrière les Accords d’Abraham, à l’initiative de l’administration Trump en 2020, signés entre Israël et les pays arabes (Émirats arabes unis, Bahreïn, Maroc, Soudan). En plus de diviser les pays arabes quant à leur position sur la question nationale palestinienne et de renforcer ainsi la sécurité d’Israël, ces accords visent à faire de l’entité sioniste une puissance dominante et protectrice pour les monarchies arabes. Les accords de paix avec l’Égypte en 1979 et la Jordanie en 1994 en avaient été les précurseurs. Les peuples arabes, soutenant la lutte de libération nationale en Palestine, doivent s’opposer à cette stratégie.
Toute l’activité des USA a également pour but de contrecarrer le développement des "Nouvelles routes de la soie" chinoises qui passent par le Moyen-Orient.
En ce qui concerne la Chine, ses intérêts impérialistes et ses actions au Moyen-Orient sont liés à sa rivalité avec les USA. Sa stratégie vise à maintenir une stabilité régionale, vitale pour elle, qui lui permette de maintenir son accès aux ressources énergétiques, de développer ses intérêts commerciaux et de renforcer son projet de "Nouvelles Routes de la Soie" (Belt and Road Iniative ‑ BRI). Ce projet, débuté en 2013, ambitionne de relier économiquement la Chine à l’Europe au moyen d’un vaste réseau de corridors routiers et ferroviaires, passant par l’Iran, le Pakistan, l’Asie Centrale. Mais aussi par voie maritime, via la Mer Rouge et le Canal de Suez. La Chine dispose depuis 2017 d’une base militaire à Djibouti, ouvrant sur le golfe d’Aden, au débouché de la Mer rouge.
La Chine, premier importateur mondial de pétrole brut depuis 2017, dépend fortement du Moyen-Orient qui lui fournit près de la moitié de ses importations pétrolières. C’est pourquoi elle avait intérêt à l’arrêt de la guerre entre Israël et l’Iran, celui-ci ayant menacé de fermer le détroit d’Ormuz.
Les pays du Golfe reçoivent six fois plus d’investissements chinois que l’Iran. Les investissements chinois sont présents aussi en Israël, notamment pour les infrastructures et les secteurs de technologie (cependant il arrive au gouvernement israélien de freiner cette tendance).
Ainsi, tout conflit dans la région touche aussi la rentabilité des investissements chinois. Compte tenu de ces éléments, la Chine cherche à faire preuve de neutralité auprès de tous les pays de la région. Il n’est donc pas étonnant que, en ce qui concerne la lutte de libération nationale palestinienne, la Chine défende l’illusoire "Solution à deux États". Cette position de neutralité en face de l’occupation coloniale israélienne ne peut être qu’un soutien à la puissance occupante et est à l’opposé de la position de principe que devrait avoir un authentique pays socialiste. Mais qui peut encore croire que la Chine est un pays socialiste?
Après la chute du régime d’Al‑Assad en décembre 2024, la Russie fait tout pour conserver ses bases militaires à Tartous (base navale) et Lattaquié (base aérienne) assurant sa présence en Méditerranée et au Moyen-Orient, mais aussi visant plus loin, spécialement l’Afrique. Ä ce propos, des forces russes venant de Syrie ont obtenu, de la part du maréchal Haftar, l’homme fort de la Cyrénaïque, la possibilité d’utiliser des bases militaires en Libye; ce qui facilitera l’envoi de troupes de l’Africa Corps en Afrique.
La Russie souhaite également garder son influence dans les secteurs du pétrole et du gaz en Syrie.
Dans la guerre entre Israël et l’Iran, en juin dernier, la Russie n’a pas soutenu militairement l’Iran dans l’espoir de préserver ses relations avec Israël et les USA, et d’éviter d’être entrainée dans une autre guerre. Ce positionnement est susceptible d’amener les partenaires moyen-orientaux et africains de la Russie à considérer que celle-ci ne soit plus un partenaire stratégique fiable. D’autre part, il faut noter que le régime israélien envisage un scénario visant la mobilisation, en Iran, des minorités à la recherche d’une plus grande autonomie, comme les Kurdes et les Baloutches, et cherchant ainsi à susciter des sécessions[5]. Cela aurait des conséquences vraisemblables en Asie centrale et dans le Caucase; ce que la Russie ne souhaite pas : ce sont deux zones éminemment stratégiques pour Moscou.
Les impérialistes européens, principalement la Grande-Bretagne et la France, ont vu leur influence décliner au Moyen-Orient face a l’hégémonie de l’impérialisme US depuis la fin de la 2e guerre mondiale et face a l’influence grandissante de la Russie et de la Chine depuis plus de 20 ans. Bien qu’ils interviennent dans cette région souvent à la remorque des USA, les pays de l’Union Européenne (UE), comme tous les pays impérialistes, jouent aussi leurs cartes personnelles. À cet égard, il est notable qu’Israël réalise 40% de son commerce international avec l’UE.
Après l’invasion de l’Ukraine par la Russie, le 24 février 2022, les sanctions économiques prises contre celle-ci, notamment dans les secteurs de l’énergie, ont obligé les pays européens, très dépendants du gaz russe, à s’approvisionner ailleurs et surtout auprès de nombreux pays du Moyen-Orient, tels que l’Arabie saoudite, le Qatar et l’Irak. C’est entre autres raisons ce qui explique, dès la chute d’Al-Assad, le voyage des chefs de gouvernement européens en Syrie, présentée comme une source potentielle de gaz et de minéraux.
Les pays européens, après avoir participé aux guerres destructrices dans la région, espèrent aussi participer aux projets de reconstruction dans des pays dévastés, ce, pour le plus grand profit de leurs entreprises capitalistes.
Position marxiste-léniniste sur les rivalités interimpérialistes et la guerre
La théorie marxiste-léniniste, qui éclaire les communistes dans leurs luttes économique, politique et idéologique, nous apprend que le système capitaliste, arrivé à son stade impérialiste ‑ marqué par la domination des monopoles, du capital financier et la prépondérance de l’exportation des capitaux ‑, se caractérise par un développement économique et politique inégal des pays capitalistes. Il se trouve alors que des pays rattrapent et dépassent d’autres pays qui les devançaient. Le rapport des forces se modifie, les rivalités interimpérialistes s’exacerbent pour le repartage du monde (monde déjà partagé entre pays capitalistes) et aboutissent finalement à des guerres impérialistes dont l’objectif est la domination mondiale par un seul État ou un groupe d’États capitalistes.
Quand les moyens économiques et diplomatiques ont été épuisés, la guerre est donc la continuation de la politique par des moyens violents. Mais quelle politique?
À l’époque de l’impérialisme, c’est celle de la classe qui est au pouvoir, c’est-à-dire la bourgeoisie capitaliste monopoliste, qui défend ses intérêts économiques et qui déclenche les guerres dans le but d’augmenter ses profits au maximum en exploitant les classes soumises, en opprimant des peuples entiers et en pillant leurs pays.
Ces guerres impérialistes ont des buts de classe, ceux de la bourgeoisie, ce sont des guerres injustes. Par opposition, les guerres de libération nationale, qui affaiblissent l’impérialisme mondial, les guerres civiles du prolétariat contre la bourgeoisie sont des guerres révolutionnaires justes.
La guerre, inhérente au système capitaliste, ne disparaitra qu’avec la disparition de sa cause ‑ le capitalisme ‑, par la révolution prolétarienne et l’instauration du socialisme puis du communisme à l’échelle mondiale.
On l’a vu, le Moyen-Orient est une zone de première importance ou les rivalités interimpérialistes conduisent à des confrontations militaires ouvertes.
Actuellement, les organisations politiques qui prétendent s’opposer aux forces réactionnaires et guerrières ont tendance à opposer mécaniquement à la nature violente et guerrière de l’impérialisme, les mots d’ordre de paix (opposée à la guerre) et de négociation (opposée aux faits accomplis). Mais, pour réaliser la révolution qui pour nous est le but, il faudra abandonner les attitudes qui maintiennent la conciliation des classes, il faudra passer par des affrontements violents. En effet, comme le rappelait Lénine[6] :
Il n’y a encore jamais eu une seule question relevant de la lutte des classes que l’histoire ait résolue autrement que par la violence.
Il avait déjà, auparavant, précisé comment, à l’époque des guerres impérialistes, les marxistes conçoivent la paix[7] :
Le marxisme n’est pas le pacifisme. Lutter pour la cessation la plus rapide de la guerre est chose indispensable. Mais c’est seulement lorsqu’on appelle à la lutte révolutionnaire que la revendication de la "paix" prend un sens prolétarien. Sans une série de révolutions, la paix dite démocratique est une utopie petite-bourgeoise.
Parmi les autres illusions présentes chez certains groupes politiques se réclamant du communisme, il y a la propension à considérer la bourgeoisie d’un pays comme un bloc homogène qui aurait la maitrise et le contrôle sur tous les évènements, selon sa volonté. Or, aux USA, depuis que Trump est président, les conflits entre les fractions de la bourgeoisie US sont visibles. Et depuis la première guerre du Golfe en 1991, plusieurs évènements ne se sont pas déroulés selon la volonté des pays impérialistes. En Irak, qu’a gagné la bourgeoisie? Et en Afghanistan? Les impérialistes ont dû quitter un pays affame et en ruine. Au Moyen-Orient, les USA aimeraient diminuer leur présence militaire, particulièrement en Syrie, mais la guerre contre l’Iran, entre autres, est loin d’être terminée. Et tout ne dépend pas que des forces impérialistes. Pour cette raison on ne peut dire qui va prévaloir, à long terme, dans les multiples conflits, que ce soit en Asie ‑ Israël/Iran, Inde/Pakistan, Azerbaïdjan/Iran, Chine/USA ‑, ou en Europe ‑ Russie/Ukraine, Europe/Russie, etc.
Devant cette Situation internationale d’une grande complexité, la faiblesse actuelle de l’ensemble du mouvement communiste révolutionnaire doit rendre ce dernier particulièrement vigilant afin d’éviter le risque d’opportunisme et de se fourvoyer en se soumettant aux tactiques de la bourgeoisie impérialiste.
Bien que le marxisme-léninisme ait montré que la guerre est intrinsèque au capitalisme, il considère qu’il n’est pas impossible de prévenir telle ou telle guerre, si les masses laborieuses et les peuples du monde, unis, luttent contre les préparatifs d’une nouvelle guerre impérialiste. Mais si la guerre est déclenchée, le mot d’ordre des communistes est "la transformation de la guerre impérialiste en guerre civile". Lénine l’indiquait en 1915 [8] :
Le Manifeste de Bâle reprend les termes de la résolution de Stuttgart disant qu’au cas où la guerre éclaterait, les socialistes devraient exploiter "la crise économique et politique" créée par la guerre pour "précipiter la chute du capitalisme", c’est-à-dire mettre à profit les difficultés suscitées aux gouvernements par la guerre, ainsi que la colère des masses, en vue de la révolution socialiste.
Si à l’avenir la violence des contradictions entre les grandes puissances impérialistes amène à une confrontation directe entre deux coalitions hostiles (qui semblent se dégager avec d’un côté les USA et les autres puissances "occidentales" ‑ UE, Canada, Japon… ‑ et d’un autre côté la Chine, la Russie, la Corée du Nord, certains pays des BRICS+…), les communistes devront tout d’abord dévoiler, aux yeux des travailleurs, les véritables buts de guerre. La bourgeoisie avancera les mensonges bien connus : la lutte pour la patrie, la liberté, la civilisation des Droits de l’Homme, la culture… L’écrivain Anatole France, en 1922, dans une lettre à Marcel Cachin, synthétisait en une formule lapidaire les buts de la guerre : "On croit mourir pour la patrie; on meurt pour des industriels." Ensuite, les communistes ne soutiendront pas un groupement impérialiste contre un autre, l’"agressé" contre l’"agresseur", ou le groupe belligérant supposé plus faible luttant contre le groupe belligérant hégémonique… Les termes de l’alternative ne sont pas nouveaux, Lénine les exposait aussi[9] :
Ce n’est pas l’affaire des socialistes d’aider un brigand plus jeune et plus vigoureux […] à piller des brigands plus vieux et plus repus. Les socialistes doivent profiter de la guerre que se font les brigands pour les renverser tous.
Par contre, sachant que la guerre tend à créer une situation révolutionnaire, les social-chauvins ne souhaiteront pas la défaite de leur gouvernement.
Le Moyen-Orient, depuis plus d’un siècle, est le théâtre de deux luttes de libération nationale : celles des peuples palestinien et kurde.
Malheureusement, les mouvements marxistes-léninistes ne sont pas à la tête de ces luttes. Pour nous, communistes, il n’y aura pas de solution si l’on ne considère pas la question nationale comme une partie de la question de la révolution prolétarienne, si l’on ne voit pas le lien constitutif entre la question nationale, le pouvoir du Capital et son renversement. Staline, dans Comment poser la question nationale (Pravda n° 98, 8 mai 1921) a parfaitement résume la question[10] :
1° Les questions nationale et coloniale sont inséparables de la question de la libération du pouvoir du Capital;
2° L’impérialisme (forme suprême du capitalisme) ne peut exister sans asservir politiquement et économiquement les nations qu’il tient en état d’infériorité et les colonies;
3° Les nations tenues en état d’infériorité et les colonies ne peuvent être libérées sans le renversement du pouvoir du Capital;
4° La victoire du Prolétariat ne peut être durable si les nations tenues en état d’infériorité et les colonies ne sont pas affranchies du joug de l’impérialisme.
À bas la guerre impérialiste,
Vive la révolution prolétarienne !
[1]. Les accords d’Abraham ont permis de normaliser les relations diplomatiques entre Israël et plusieurs États arabes. Ils ont été annoncés en aout et septembre 2020, puis signés à Washington le 15 septembre 2020. Le nom même des accords fait référence à l’héritage commun du judaïsme et de l’islam, deux des trois religions dites abrahamiques, avec le christianisme. Les Émirats arabes unis et Bahreïn ont été les premiers à signer, en septembre 2020 à Washington. Le Soudan et le Maroc ont suivi quelques mois plus tard.
[2]. V. I. Lénine, L’impérialisme, stade suprême du capitalisme; Paris, Éditions sociales, 1960; tome 22, p. 282.
[3]. En juillet 2016 lors de l’opération "Bouclier de l’Euphrate" la Turquie est entrée militairement en territoire syrien en "soutien" de l’ASL. En 2018, une deuxième opération baptisée "Rameau d’Olivier" a permis aux Turkmènes et à l’armée turque de chasser les dernières populations kurdes et yézidies de la région d’Afrine. En octobre 2019, l’Armée Nationale Syrienne (ANS) a été constituée en unissant des groupes de l’ASL à d’autres, originaires de la région d’Idlib; et l’opération "source de paix" s’en est pris aux FDS à l’est de l’Euphrate, la Turquie contrôlant désormais la quasi-totalité de la frontière en coopération avec les forces russes. Depuis 2019, la Russie utilise l’aéroport de Qamichli (Kamechliyé), présence qui récemment est renforcée.
[4]. https://rocml.org/palestine-la-mystification-de-la-solution-des-deux-etats/
Un dossier est consacré à la Palestine :
https://rocml.org/home-ancien/dossiers/dossier-palestine/
[5]. https://legrandcontinent.eu/fr/2025/06/19/changer-de-regime-ou-de-geographie-comment-des-faucons-israeliens-projettent-le-grand-partage-de-liran/
[6]. V. I. Lénine, Troisième congrès des Soviets des députes ouvriers, soldats et paysans de Russie, 23-31 janvier 1918 – Rapport sur l’activité du Conseil des commissaires du peuple; Paris, Éditions sociales, 1967; tome 26, p 483.
[7]. V. I. Lénine, Le socialisme et la guerre; Paris, Éditions sociales, 1973; tome 21, p. 340
[8]. idem, p. 318.
[9]. idem, p. 314.
[10]. V. Staline, Comment poser la question nationale; Paris, Nouveau Bureau d’Éditions, 1980; tome 5, p. 56