La Voix des Communistes
No 33 – 2e Semestre 2025
Sommaire
(Le Journal complet en format PDF : ICI)
Les articles :
La Voix des Communistes
No 33 – 2e Semestre 2025
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Les articles :
Le mouvement ouvrier et son contexte
Quelques constats,
quelques réflexions
LA VOIX DES COMMUNISTES, no 33, 2e semestre 2025 – p. 4‑10
Actuellement nous traversons une période difficile pour le prolétariat et les peuples du monde entier. Des guerres sévissent dans diverses régions. Les conflits naissent pour des raisons variées, mais d’une façon ou d’une autre ils sont liés à des rivalités interimpérialistes, bien que la situation n’atteigne pas la dimension d’une troisième guerre mondiale. Le conflit entre l’Iran et Israël, marqué à la fois par son degré et son caractère, met en évidence la gravité de la situation. Les prolétariats mondiaux ne sont organisés suffisamment ‑ ni politiquement, ni syndicalement ‑ pour pouvoir faire face à l’ennemi. Surtout, il leur manque la référence à la théorie marxiste-léniniste pour atteindre la conscience d’être une classe pour soi. Partout on voit des mouvements contestataires, mais il n’y a pas un mouvement qui, en prenant pour base la théorie marxiste-léniniste, se lie avec (s’organise au sein de) la classe ouvrière.
Après la fin de l’époque ascendante de la révolution mondiale, à la suite de la dégénérescence révisionniste de l’URSS, parmi les militants d’avant-garde et les secteurs les plus avancés ‑ y compris les militants dits marxistes-léninistes ‑ la conscience au sujet du rôle de la théorie s’est érodée. Nous abordons ici le lien entre la théorie et la pratique. Nous, marxistes-léninistes, n’avons jamais adopté l’approche qui serait : d’abord élaborer une théorie "complète" et ensuite passer à la pratique. Mais les groupes ou individus qui nous critiquent selon des argumentations telles que : "le ROCML est dogmatique", "ils ne comprennent pas la situation"…, ne nous ont jamais adressé une critique sérieuse concernant nos analyses de classe et nos propositions, que ce soit pour l’unité des marxistes-léninistes, ou le travail au sein de la classe ouvrière. (Il faut souligner qu’un certain nombre des groupes se réclamant du marxisme n’ont pas procédé à la rupture idéologique avec l’histoire du PCF révisionniste.)
Dès notre congrès de fondation nous avons insisté sur le rôle de la classe ouvrière à l’égard de la fondation du parti communiste et de la révolution socialiste, et par la suite nous avons toujours cherché à respecter le principe de l’unité entre théorie marxiste-léniniste (socialisme scientifique) et le mouvement ouvrier. Malheureusement, l’avant-garde de la classe ouvrière est très loin de la compréhension à ce sujet.
La tâche de construire le parti communiste au sein de la classe ouvrière ne pourra pas être réalisée à coup de décrets. Les conditions objectives à un moment donné se caractérisent par l’état de la lutte de la classe ouvrière au quotidien, ainsi que par la portée du travail des militants communistes : les traditions de la lutte dans chaque pays, le niveau de conscience de classe parmi les ouvriers, toutes les richesses des expériences historiques qui appartiennent aux mouvements révolutionnaires. Pour fusionner ces facteurs, il n’y aura pas un schéma préétabli à suivre. En revanche il faut avoir une perspective claire, selon les principes du marxisme-léninisme.
Durant une première période les mouvements communistes d’une part et les mouvements ouvriers de l’autre évoluent et se développent selon des trajectoires différentes. Le rôle des communistes vise à faire confluer ces deux forces. À celui qui veut participer au mouvement communiste, le rejoindre, on ne demande pas de quelles origines sociales ‑ jeune, intellectuel… ‑ il vient. On demande : est-ce que vous êtes prêts à vous placer au sein de la classe ouvrière en tant que communistes tout en oeuvrant à assimiler la théorie et la pratique marxistes-léninistes. Toutefois il faut dès le début respecter une discipline, engager un travail à l’échelle nationale (centrale) afin de former les futurs militants. Ce travail ne pourra pas être réalisé dans une perspective spontanéiste. La préface de la brochure "Que faire?" de Lénine fait allusion à son texte antérieur "Par où commencer?" en résumant les éléments multiples qui interviennent à l’égard de la construction du parti communiste[1] :
[…] les trois questions posées dans l’article "Par où commencer?" À savoir : le caractère et le contenu essentiel de notre agitation politique; nos tâches d’organisation; le plan de construction menée par plusieurs bouts à la fois, d’une organisation de combat pour toute la Russie.
La construction d’une organisation communiste de la classe ouvrière demande une grande énergie et une clarté théorique qui doit être assimilée par les marxistes-léninistes. Il faudra affronter la société existante dans toute sa complexité. Comme l’écrivait Marx[2] :
Les hommes font leur propre histoire, mais ils ne la font pas arbitrairement, dans les conditions choisies par eux, mais dans des conditions directement données et héritées du passé. La tradition de toutes les générations mortes pèse d’un poids très lourd sur le cerveau des vivants.
Le contexte du mouvement ouvrier
à son stade actuel
Il est indispensable d’examiner en permanence l’évolution du mouvement communiste et plus généralement du mouvement ouvrier, et de réévaluer en conséquence les tâches à accomplir.
La classe ouvrière, quoiqu’il lui manque une organisation communiste marxiste-léniniste, résiste en s’appuyant sur les moyens dont elle dispose ou qu’elle arrive à constituer de façon fragmentaire. Au-delà de la lutte économique, elle donne certains exemples de pratiques internationalistes, telles que vis-à-vis de la Palestine (blocage de l’expédition d’armes), se confronte au gouvernement au sujet de certains problèmes de dimension politique nationale (comme la lutte pour la retraite à 60 ans). Elle est obligée de se mêler de la lutte contre le racisme, contre l’extrême droite. Ces aspects restent encore de maigre ampleur. Toutefois déjà cela suscite des débats politiques au sein des organisations de classe parmi les ouvriers. Or, ne serait-ce qu’en matière de syndicalisme, sans comprendre le capitalisme on ne peut pas agir comme il le faut – et effectivement des interrogations se manifestent au sujet du rôle de l’État.
(Voir dans le présent numéro, p. 12, l’article "Les travail-leurs face à l’État et face à la société".)
Il est urgent aujourd’hui d’approfondir la théorie marxiste-léniniste. L’insistance sur la nécessité de l’approfondissement va de pair avec deux aspects étroitement liés. D’une part il faut en premier lieu assimiler les bases de cette théorie telle qu’elle a été fondée par Marx, Engels, Lénine, Staline. D’autre part, il faut constamment l’opposer aux déformations et falsifications, afin de réaliser la rupture avec toutes formes de courants nocifs : révisionniste, anarchiste, trotskiste, et autres courants petits bourgeois.
En ce sens, Lénine invoquait concrètement ‑ dans le contexte de l’époque ‑ "les paroles du socialisme authentique" face aux "chauvins"[3] :
Des éléments social-démocrates révolutionnaires existent, en dépit de tout, dans maints pays. […] Cimenter ces éléments marxistes, si peu nombreux qu’ils soient au début, rappeler en leur nom les paroles aujourd’hui oubliées du socialisme authentique, convier les ouvriers de tous les pays à rompre avec les chauvins et à se ranger sous le vieux drapeau du marxisme : telle est la tâche de l’heure.
Sans théorie révolutionnaire, il n’y aura pas de pratique révolutionnaire. Une théorie qui ne répond pas aux nécessités du déploiement de la lutte de classe à l’échelle nationale et internationale n’est pas complète, voire fausse. Comprendre le rôle de la théorie marxiste-léniniste est crucial, surtout compte tenu de l’état actuel du mouvement communiste marxiste-léniniste. On ne pourrait pas garder la continuité d’une organisation marxiste-léniniste indépendante de la bourgeoisie sans théorie marxiste-léniniste. L’indépendance de l’organisation du prolétariat est d’abord idéologique. Évidemment elle doit être politique et organisationnelle. C’est pourquoi on ne peut pas séparer les trois aspects ‑ travail idéologique, politique et organisationnel. Dans cette démarche il faut avoir en vue la constitution et le développement du parti communiste.
Sans former et construire une organisation communiste, tout travail au sein de la classe ouvrière serait en échec. Avec cette approche, le principe léniniste, la conscience scientifique seraient importés de l’extérieur, puisqu’ils ne peuvent pas être le fruit d’une pratique quotidienne spontanéiste de la lutte de la classe des ouvriers. Le mouvement marxiste-léniniste ne nie pas le rôle des mouvements spontanés, mais si les communistes ne développent pas la capacité d’analyser eux-mêmes les mouvements, ils ne peuvent pas mettre en évidence et maitriser les dynamismes du mouvement ouvrier.
Or la tâche de fonder et enrichir la théorie révolutionnaire ne peut pas être poursuivie au moyen d’une activité de formation dans le cadre de cellules dispersées considérées en elles-mêmes comme unités de base. Des camarades promeuvent ce procédé par la publication intitulée "L’Émancipation ouvrière", dont le numéro 2 est paru en juillet 2024. Ils ne comprennent pas la nature du travail théorique. Ce n’est pas simplement de lire des livres où d’écrire des articles. Élaborer une position, une orientation, doit être basé sur une analyse théorique susceptible de nous amener jusqu’à un programme.
Il est proposé d’initier un processus basé sur la formation de cercles ouvriers et de cellules en tant que cadre pour le militantisme :
Nous disons aujourd’hui, étant donné l’état de faiblesse du mouvement communiste en France, qu’il faut commencer par regrouper tous les prolétaires d’une localité donnée (ville, région…) dans des cercles ouvriers. Que les divergences théoriques soient discutées et résolues dans le cadre des cercles ouvriers. Établissement des cercles ouvriers et des cellules d’usines comme moyens de reconstituer le mouvement communiste sur de bonnes bases dans un pays où l’influence du communisme s’est effondrée à la suite de la trahison du PCF d’après-guerre. Nous commençons par la formation des cercles ouvriers et des cellules, où chaque militant a une place déterminée, où nous savons d’emblée qui est qui, milite où, a de l’influence parmi quels groupes d’ouvriers etc.
Vouloir fonder le parti communiste marxiste-léniniste à travers une activité déroulée comme "un débat libre" au sein de "cellules" formées de façon dispersée dans les usines par des ouvriers, c’est une grande illusion. Une telle entreprise (qui dans la pratique va avorter avant sa naissance) se met en contradiction avec toute la pratique historique du mouvement marxiste-léniniste international.
Les idées présentées ainsi sont des phrases lancées en l’air. Aujourd’hui même le niveau général de connaissance, de savoir, est largement insuffisant, il y a un manque de lecture poursuivie dans le temps, pas simplement occasionnelle. Avec la façon de procéder qui est proposée, le résultat en matière de théorie sera forcément confus et flou. Ce n’est pas à partir de sa propre expérience de lutte que la classe ouvrière pourrait intégrer la nécessité de la théorie ‑ apportée de l’extérieur ‑ dans la lutte quotidienne. Sans parti (organisation communiste), sans un mouvement communiste, les travailleurs ne seront pas les acteurs du développement de la théorie. Il ne faut pas mélanger la formation des travailleurs avec le développement de la théorie.
En particulier, l’approche proposée par "L’Émancipation" est marquée par une distinction dogmatique entre les "ouvriers" et les "intellectuels". D’une part elle prétend exclure les "intellectuels" des structures organisationnelles, d’autre part elle néglige l’importance de l’élaboration et du développement de la théorie marxiste-léniniste. Au cours de la période initiale du POSDR, les cercles ouvriers incluaient de nombreux militants non ouvriers. Quant à la question de la théorie, elle serait évidemment mal posée si on considère qu’elle est l’affaire des "intellectuels" et non des ouvriers. Mais inversement il est erroné de rejeter toute participation d’"intellectuels" à l’activité militante. En réalité la théorie relève du "travail intellectuel", "travail" qui peut être réalisé par un militant révolutionnaire indépendamment de son statut social. L’exemple de Joseph Dietzgen montre cette distinction : étant ouvrier et militant communiste, il a écrit un texte paru en Russie en 1869 ‑ "Das Wesen der menschlichen Kopfarbeit. Von einem Handarbeiter" (L’essence du travail cérébral humain. Écrit par un travailleur manuel); Lénine a consacré plusieurs commentaires aux écrits de Dietzgen en caractérisant les positions de celui-ci comme matérialistes.
Aujourd’hui concrètement il manque une méthode, une structure de débat entre militants marxistes-léninistes ‑ ce qui nécessite en pratique des lieux de rencontre. La divergence entre les groupes dits marxistes-léninistes ou communistes est fondamentalement théorique et idéologique. Affirmer au contraire que c’est la domination de "chefs de chapelles" qui empêche d’avancer, c’est une fausse piste. C’est une fuite devant ses responsabilités. Le lien entre théorie et pratique est très important. Le mouvement communiste s’est construit dès le départ sur cette base.
Certains problèmes de syndicalisme en France, qu’il faut analyser
Le lien entre le mouvement ouvrier et la société dans son ensemble
Avec quels moyens l’activité politique au sein de la classe ouvrière peut-elle être mise en oeuvre?
Sur cet aspect, certains syndicalistes disent "on doit faire de la politique, mais pas de politique politicienne". Cette phrase montre la timidité d’engagement des syndicalistes qui n’adoptent pas la position de classe, en face de la politique du gouvernement ou des patrons. Un syndicat peut être souple concernant les critères d’adhésion (doit l’être), mais politiquement on ne doit pas être souple. Est-ce que le gouvernement et les patrons sont souples dans l’application de leur politique et l’élaboration de leurs lois? ‑ non… Partant d’une vision apolitique on ne pourrait pas faire comprendre le fond des problèmes concernant la loi de la retraite, la suppression de la carence-maladie, des jours fériés, etc. Sans avoir une compréhension du capitalisme, de la politique de la bourgeoisie et du rôle de leur pouvoir, on ne peut pas militer comme il le faut. À cet égard il n’y a pas de "politique politicienne", il y a des politiques qui appartiennent à des classes sociales différentes. Il y a des politiques correspondant à la grande bourgeoisie, à la petite bourgeoisie, et il y a des politiques propres au prolétariat.
La bourgeoisie, en complicité avec le gouvernement et les institutions politiques, maintient l’apparence de séparation entre les deux sphères. Dans les entreprises, les directions parlent économie : budget, contexte des marchés, impôts… Les syndicats sont censés intervenir sur ces questions économiques par des revendications économiques. Pour la politique, il y a les partis avec leurs programmes. Les travailleurs, comme l’ensemble de la population, sont censés intervenir en matière de politique par l’intermédiaire des élections, parlementaires et autres. En réalité, évidemment, le gouvernement met en oeuvre les désidératas du capital, et les résultats des élections n’y changent rien.
Ainsi lutter contre les visions apolitiques est très important. Car elles constituent une barrière pour empêcher que les mouvements ouvriers prennent ‑ comme il est indispensable ‑ un caractère politique. Les militants communistes doivent montrer le lien entre chaque loi, ‑ qu’elle porte sur des questions économiques ou des mesures politiques proprement dites ‑ et la situation de la classe ouvrière. Les travailleurs doivent défendre leurs intérêts ‑ économiques et politiques ‑, y compris par l’agitation et les instances dans les entreprises. À cet égard le problème de l’abstentionnisme lors des élections politiques (parlement, etc.) se pose de manière similaire en ce qui concerne l’abstentionnisme à l’égard des élections professionnelles. Le motivations peuvent être variées, en un sens positif, ou négatif.
Ces considérations conduisent au constat que la classe ouvrière doit intervenir sur tous les sujets de la société. La classe ouvrière ne doit pas seulement lutter contre le capitalisme sous l’angle des problèmes économiques, elle doit se préparer pour prendre le pouvoir. La véritable conscience de classe implique qu’elle ne doit pas seulement s’occuper de ses propres problèmes directs, elle doit s’occuper de tous les problèmes posés dans la société en général. Autrement la classe ouvrière ne pourrait pas se présenter comme porteuse d’une alternative au pouvoir existant, celui de la classe capitaliste. (Sur ce sujet le texte "Que faire?" de Lénine constitue toujours la référence principale.)
Sur le plan politique, la Charte d’Amiens et sa déformation par la direction confédérale de la CGT est un exemple significatif de dépolitisation de la classe ouvrière. Dans le contexte actuel, la teneur de la Charte est utilisée par la direction confédérale de la CGT pour rassurer les employeurs au sujet de son rapport avec la politique. Abstraction faite de la signification et des motivations concernant l’adoption de la Charte à l’origine, il faut dire qu’aujourd’hui dans chaque instance de la CGT, jusqu’au sommet, il y a des représentants de partis politiques, et que leur influence ne reste pas "neutre" en matière de politique.
Il faut montrer ‑ en général et dans tous les détails ‑ en quoi les travailleurs, et l’humanité entière, sont victimes du système capitaliste. Toutefois il y a une seule classe sociale qui représente l’avenir ‑ le prolétariat. Or sans avoir réalisé l’unité idéologique et politique, on ne peut pas lutter en tant que classe ouvrière et mobiliser d’autres couches opprimées. Dans ce sens, les communistes doivent diffuser au sein du mouvement syndical les connaissances concernant le fonctionnement du capitalisme. Sans cette pratique il n’est pas possible d’organiser le syndicalisme dans la perspective "classe contre classe".
La spontanéité et le degré insuffisant de conscience politique : voilà le vrai obstacle. Certes, malgré les difficultés, la classe ouvrière résiste en face de l’agression politique de la part de la bourgeoisie. Depuis 2010 : la lutte contre la modification du régime de retraite; ces dernières années, de multiples luttes contre les suppressions d’emplois, la détérioration des salaires et des conditions de travail… Mais ce qui manque, c’est la capacité de fédérer la lutte à plusieurs niveaux.
"Fédérer" n’a pas la même signification que "faire converger". On peut faire converger des luttes qui ont éclaté de façon éparpillée indépendamment les unes des autres : des militants des différentes entreprises prendront contact entre eux, discuteront des situations et des méthodes de lutte respectives ‑ les travailleurs en lutte des entreprises concernées se sentiront moins seuls, mais cela n’avancera pas fondamentalement la situation. "Fédérer" des luttes signifie planifier de façon méthodique et coordonnée un ensemble d’actions cohérentes, et obtenir une cohésion qui favorise le succès.
La structure concrète de l’économie
Parallèlement au manque d’unité idéologique et politique, d’autres facteurs génèrent des difficultés pour le mouvement prolétarien. La réorganisation de l’économie capitaliste qui développe de plus en plus la précarité et tend à atomiser les centres de production fragmente la classe ouvrière. Mais pour la conduite du mouvement cela ne doit pas être fatal. On doit adapter nos organisations selon les formes d’organisation de l’économie et les structures régionales.
Les aspects liés à la division du travail (grands groupes, sous-traitants, prestataires de service…) sont complexes et se répercutent sur la composition des équipes sur le lieu de travail. En particulier, le syndicalisme dans les grands groupes subit des transformations plus ou moins complexes. Des glissements dans la composition du personnel se produisent. Les embauches concernent plutôt la catégorie des ETAM-Cadres [ETAM : Employés, Techniciens, Agents de Maitrise] que les compagnons (ouvriers), tandis qu’une bonne partie de la force de travail provient de sous-traitants et d’intérimaires, ou, parfois, se conçoit comme un prêt de personnel. Ce problème ne concerne pas uniquement le secteur privé. Les restructurions dans le service public suivent la même tendance. Toutes les grandes entreprises ont été coupées en plusieurs divisions ou entreprises séparées : SNCF, RATP, EDF-GDF, etc.
La prise en compte de ces questions s’impose. Effectivement dans la CGT il y a un débat sur la façon de renforcer les organisations syndicales dans l’entreprise. Étant donné que numériquement le collège des ETAM-Cadres dépasse le collège ouvrier dans les grands entreprises, il faut se préoccuper de syndiquer ces catégories. Toutefois la majorité de travailleurs/salariés se trouve dans les petites/moyennes entreprises. Pour ces dernières, selon le DARES en 2023, 54% des établissements ne sont pas couverts par une IRP [IRP : Institution représentative du personnel] élue, et dans seulement 32% des établissements il y a un délégué syndical. Ces chiffres nous donnent un aperçu de la réalité sur le terrain. Si on prend en compte le manque de formation syndicale, le fait que certains élus fréquentent rarement ou jamais leurs syndicats, ainsi que la position et les orientations de certains syndicats (surtout sous l’angle politique), on peut mieux comprendre les difficultés de la lutte syndicale.
La division du travail, les restructurations incessantes organisées par les employeurs (pas seulement dans le secteur privé), créent une instabilité permanente pour les syndicats. Certes, à juste titre on constate globalement une insuffisance des moyens dont disposent les syndicats. Néanmoins il ne faut pas se laisser aller à une attitude pessimiste. Nous pouvons et devons aller à la rencontre des salariés sous-traitants et des intérimaires. D’ailleurs, il faut prendre en compte d’autres aspects que celui des moyens matériels. Notamment l’esprit corporatiste constitue un obstacle sérieux.
Fondamentalement la division entre les travailleurs provient de la division du travail sur le plan économique. Mais aussi, pour toutes sortes d’autres raisons, la classe ouvrière n’a jamais été homogène. Les divisions ethniques, de religion, de conscience, ne dérivent pas directement de la situation économique des individus et ne peuvent donc pas être dépassées dans le cadre de la lutte économique. Cette tâche fait partie de la lutte idéologique, de l’activité visant à l’organisation politique de la classe ouvrière. La bourgeoisie, préoccupée à maintenir son pouvoir, n’est pas dérangée par la persistance des idées rétrogrades héritées du passé. (Voir la lettre de K. Marx à Abraham Lincoln[4].) Il faut lutter contre toutes les influences qui divisent la classe ouvrière. Actuellement le premier danger provient du racisme, dont la persistance est manipulée par les milieux de l’extrême droite. Vu qu’il n’y a pas une organisation forte de la classe ouvrière, certaines catégories de travailleurs cherchent la défense de leurs intérêts auprès de courants hors des positions de classe. Ou s’organisent selon l’esprit communautaire ou religieux. Pour s’opposer efficacement à toutes ces formes de division, il faut développer la lutte de classe à tous les niveaux, idéologique, politique et organisationnel.
En ce qui concerne la question des cadres, si l’on prend comme critère simplement le nombre des élus, il semble logique de chercher le salut de ce côté-là. Mais ainsi on peut sauver "la boutique", pas le syndicalisme sérieux. La réorganisation du travail et la restructuration de la division du travail impliquent notamment dans les entreprises donneuses d’ordre (nombreuses parmi les grands groupes), une forte présence de cadres. Ces catégories aussi ne sont pas homogènes. Il y a des ETAM-Cadres de type technicien, administratif et bureau d’étude… et aussi les cadres qui constituent les équipes de gestion, y compris des cadres qui assument de fait un rôle de patron. On n’est pas opposé à la syndicalisation de cadres, mais ce n’est pas cela qui va sauver le syndicalisme des travailleurs (rappelons en ce sens le constat du DARES, que la majorité des ouvriers se trouvent dans les petites et moyennes entreprises, où la question des cadres n’a pas le même poids).
Le travail de syndicalisme doit se faire sur les lieux de travail, et cela aussi avec les travailleurs sous-traitants, intérimaires et vacataires. Il faut donner les moyens aux instances au plus près du lieu de travail. Il faut donc être attentif au rôle des Unions locales et clarifier le fonctionnement des syndicats d’entreprise. (Voir dans le numéro 31 de la Voix des Communistes, p. 11, une note à ce sujet.) En effet les découpages successifs des grands groupes allant dans les sens de la division en sous-entités multiplient fortement le nombre d’entreprises et les lieux de travail où se trouvent les travailleurs ‑ et aussi la différentiation des statuts. Ce morcèlement accentue les phénomènes de corporatisme et favorisent la conception personnalisée du rôle de élus au détriment du travail syndical comme activité collective.
Le rôle des Unions locales est essentiel à cet égard, ne serait-ce que pour établir et maintenir le contact avec les salariés au niveau local. Or elles n’ont pas les moyens d’assumer cette activité.
Un véritable travail syndical ne s’occupe pas que des affaires sociales par l’intermédiaire du Comité social et économique (CSE). Son rôle fondamental consiste à organiser les travailleurs avec une perspective à long terme, à guider le mouvement sur le lieu de travail afin d’aider les travailleurs à réaliser leur unité de classe.
En résumé, la question toujours d’actualité : Que faire?
Pour réaliser ces objectifs il faut construire une organisation politique, laquelle, à la fois, donne des perspectives claires et forme les militants en vue de leur tâche sur le terrain. La mise en oeuvre de la formation des militants communistes se distingue de la formation des élus syndicaux. La formation politique incombe à une organisation politique. Sans disposer de cadres politiques d’avant-garde bien formés, on n’avancerait pas. Inversement, l’activité tout au long du processus de création du parti contribue à la formation des cadres. Ce n’est pas un hasard si la bourgeoisie et aussi tous les révisionnistes rejettent le modèle de parti bolchévique. Le parti communiste doit se constituer et se développer selon son idéologie, sa politique et ses structures organisationnelles propres, indépendamment de toutes formes d’organisation et d’action de la bourgeoisie. Sans avoir une avant-garde organisée de cette façon, le prolétariat ne pourra pas diriger toutes les organisations des travailleurs (les syndicats, associations, comités de quartier…).
Pour conclure nos argumentations, référons-nous à la publication citée plus haut, "L’Émancipation ouvrière", numéro 2 :
Les membres reconnaissent le Parti communiste comme l’organisation politique supérieure des ouvriers. Le mouvement ouvrier organisé sera la base fondamentale du Parti Communiste, c’est pour cela que nous considérons la création des cercles ouvriers et des cellules d’usines comme la tâche prioritaire.
Dans cette phrase, il y a la juste caractérisation du "parti communiste comme organisation politique supérieure des ouvriers". Sans rentrer dans des polémiques, disons qu’un parti communiste peut aussi accepter des paysans pauvres (semi-prolétaires) en tant que communistes. Toutefois, sur le fond, ces camarades oublient l’histoire du mouvement communiste international. Le raisonnement qui mène à commencer la construction du parti communiste par la création de cellules est erroné. Les cellules s’organisent du haut vers le bas, pas de bas vers le haut. Évidemment par principe la cellule est la structure organisationnelle principale du parti communiste. Dans l’usine, les syndicats, le quartier, l’armée… Mais le problème d’urgence immédiate et concrète pour la classe ouvrière n’est pas de se fixer des préceptes et un plan de travail et d’entamer dès maintenant le processus de construction du parti. Dans le contexte actuel, le problème auquel il faut s’affronter, c’est le fait que l’idéologie de la bourgeoisie domine ‑ sous différentes formes ‑ au sein du mouvement ouvrier. Cela passe par un travail théorique et idéologique. La priorité pour la classe ouvrière, c’est de rejeter idéologiquement toutes les attaques contre les conceptions du socialisme, du communisme, opposées au système capitaliste.
Il est intéressant de consulter, dans le texte "Que faire?" de Lénine, la section "Engels et l’importance de la lutte théorique"[5] :
Ainsi donc, l’on voit que les grandes phrases contre l’ossification de la pensée, etc., dissimulent l’insouciance et l’impuissance à faire progresser la pensée théorique. L’exemple des social-démocrates russes illustre d’une façon particulièrement frappante ce phénomène commun à l’Europe (et signalé depuis longtemps par les marxistes allemands) que la fameuse liberté de critique ne signifie pas le remplacement d’une théorie par une autre, mais la liberté à l’égard de tout système cohérent et réfléchi; elle signifie éclectisme et absence de principes. Quiconque connaît tant soit peu la situation de fait de notre mouvement ne peut pas ne pas voir que la large diffusion du marxisme a été accompagnée d’un certain abaissement du niveau théorique. Bien des gens, dont la préparation théorique était infime ou nulle ont adhéré au mouvement pour ses succès pratiques et sa portée effective. […]
Sans théorie révolutionnaire, pas de mouvement révolutionnaire. On ne saurait trop insister sur cette idée à une époque où l’engouement pour les formes les plus étroites de l’action pratique va de pair avec la propagande à la mode de l’opportunisme. Pour la social-démocratie russe en particulier, la théorie acquiert une importance encore plus grande pour trois raisons trop souvent oubliées, savoir : tout d’abord, notre parti ne fait encore que se constituer, qu’élaborer sa physionomie et il est loin d’en avoir fini avec les autres tendances de la pensée révolutionnaire, qui menacent de détourner le mouvement du droit chemin. […]
Pour nous, la conclusion est claire. L’objectif est de créer un parti d’avant-garde de la classe ouvrière. Mais le processus suivra par nature plusieurs étapes; à l’étape actuelle, dans le contexte présent, la tâche à réaliser consiste à organiser ‑ du haut vers le bas ‑ l’avant-garde en vue de la construction ultérieure du parti. C’est ce qui différencie la construction du parti prolétarien de la formation d’un mouvement de masse spontané.
[1]. V. I. Lénine, "Que faire?" (février 1902); Oeuvres, tome 5, Paris, Éditions sociales, 1973; p. 355.
[2]. Karl Marx, Le 18 Brumaire de L. Bonaparte (1851).
[3]. V. I. Lénine, "Le socialisme et la guerre" (automne 1915); Oeuvres, tome 21, Paris, Éditions sociales, 1973; p. 340.
[4]. Association Internationale des Travailleurs : À Abraham Lincoln, président des États-Unis d’Amérique (Der Social-Demokrat, 30 décembre 1864).
"Tant que les travailleurs, le véritable pouvoir politique du Nord permirent à l’esclavage de souiller leur propre République; tant qu’ils se glorifièrent de jouir ‑ par rapport aux Noirs qui, avaient un maître et étaient vendus sans être consultés ‑ du privilège d’être libres de se vendre eux-mêmes et de choisir leur patron, ils furent incapables de combattre pour la véritable émancipation du travail ou d’appuyer la lutte émancipatrice de leurs frères européens."
[5]. V. I. Lénine, op. cit.; p. 375-376.
La social-démocratie
face au national-socialisme allemand et à l’austrofascisme
LA VOIX DES COMMUNISTES, no 33, 2e semestre 2024 – p. 40‑46
Au stade actuel, un problème auquel nous sommes confrontés en permanence et à tous les égards est le faible niveau de conscience de classe parmi les travailleurs. Une tâche essentielle consiste donc à oeuvrer à améliorer la situation sous cet aspect. Mais l’objectif à atteindre ‑ la révolution prolétarienne ‑ nécessite que la classe ouvrière soit à la fois consciente et organisée en un parti, son parti. En cherchant à avancer vers la réalisation de ces deux facteurs il faut, en fait, les traiter comme indissolublement liés.
La bourgeoisie a toujours su, et sait encore, se servir de la diffusion d’idées erronées au sujet de la société capitaliste et son propre rôle. Ce qu’on appelle le réformisme en est l’une des principales manifestations.
L’épisode "Nouveau Front populaire" qui s’est déroulé autour des élections législatives de juin 2024 s’est placé très concrètement dans la perspective formulée par Otto Bauer, dirigeant du SDAPDÖ (Parti ouvrier social-démocrate d’Autriche allemande) à l’époque entre les deux Guerres mondiales : "gagner l’âme de la majorité du peuple" pour "conquérir le pouvoir d’État par la décision du suffrage universel". (Voir dans le présent numéro, p. 19, la section "La République démocratique parlementaire" de l’article "Les travailleurs face à l’État et face à la société".) Les espoirs de ce genre se sont fait jour à maintes reprises depuis la formation des États de "république démocratique", et n’ont jamais dépassé le stade de l’imagination optimiste.
La sempiternelle invocation du programme du Conseil national de la résistance ne peut nullement confirmer l’interprétation de la réalité présentée par les réformistes. L’existence d’un système d’assurance maladie et chômage est certes essentielle pour les travailleurs, et ses caractéristiques définies par le CNR doivent être défendues par l’action du mouvement ouvrier. Mais ni les élections au Parlement ni les combats autour de la "sécurité sociale" ne peuvent éradiquer fondamentalement les maux engendrés par le système capitaliste. En effet, incontestablement, le fonctionnement du système de sécurité sociale est en permanence déstabilisé, dégradé, sous l’effet de mesures gouvernementales. Et dès le départ il était évident que ‑ malgré les conditions favorables à l’époque du CNR ‑ rien n’était écrit dans le marbre.
Au-delà des enjeux ponctuels, concernant les élections parlementaires le passé montre que même si le "meilleur" ‑ du point de vue réputé "progressiste" ‑ gagne, le Capital continue à exercer le pouvoir : même quand dans un tel cas de figure une première étape de faux-semblants peut donner l’impression d’affrontement entre d’un côté les forces politiques portées ainsi au gouvernement et de l’autre les forces bourgeoises, cela finit toujours par "s’arranger" ‑ le Capital impose sa loi.
Dans la période actuelle de la lutte de classe, les forces réformistes ‑ tel que le PCF ‑ constituent un obstacle à l’avancée vers le renversement du pouvoir de la bourgeoisie. Cependant les péripéties passées de la lutte de classe ont montré que, lorsque l’affrontement atteint un degré élevé, les réformistes ne constituent pas simplement un obstacle, mais se retournent ouvertement contre les travailleurs en lutte.
Exemple : Allemagne, années 1930
En Allemagne Adolf Hitler et son parti, le NSDAP (Nationalsozialistische deutsche Arbeiterpartei), installent un pouvoir dictatorial en mars 1933. C’est l’aboutissement d’un processus. Les 8 et 9 novembre 1923 Hitler avait organisé une tentative de coup de force, mise en scène dans une brasserie de Munich, le Bürgerbräukeller. Il a échoué. Le 14 septembre 1930, le Parlement allemand a été dissous à la suite de dissensions sur l’assurance-chômage. Aux législatives qui suivent, le NSDAP avait atteint 18,3 % des voix.
Le 11 octobre 1931 l’"opposition nationale" s’est réunie à Bad Harzburg à l’initiative d’Alfred Hugenberg, président du parti conservateur de droite DNVP (Deutschnationale Volkspartei) depuis 1928. Outre le NSDAP, participaient également à ce mouvement de rassemblement de droite le "Stahlhelm" ("Casque d’acier", une organisation d’anciens combattants), l’Alldeutscher Verband (Union pan-allemande), le Reichslandbund (Ligue rurale nationale) et des personnalités de la droite conservatrice. L’ancien président de la Reichsbank (Banque nationale) Hjalmar Schacht et le général Hans von Seeckt en faisaient partie. Les dirigeants de l’extrême droite soulignaient leur volonté commune de renverser le cabinet présidentiel du chancelier Heinrich Brüning.
Depuis le début des années 1930 le SPD impulsait une propagande utilisant un symbolisme de trois flèches, dont l’une vise le KPD (pour une explication plus détaillée, voir dans le présent numéro, page 14). Elle ne se contentait pas d’affiches, mais entreprenait aussi des cortèges exhibant des flèches en trois dimensions.
Le 26 février 1932 une motion de censure contre la politique économique du gouvernement Brüning, déposée par le NSDAP, le DNVP et le DVP, échoue.
Ce même jour, le SPD publie un appel en vue des élections présidentielles qui auront lieu les 13 mars/10 avril 1932 [1] :
Battez Hitler!
Au Parti! Camarades!
La tentative de la droite de conquérir le pouvoir gouvernemental au Reichstag, a échoué. Repousser leur assaut sur la présidence du Reich est la tâche suivante.
Le 13 mars, le choix porte sur quatre candidats: Hitler, Duesterberg, Hindenburg et Thälmann (Ernst Thälmann, secrétaire général du KPD – Parti communiste d’Allemagne). Parmi ces candidatures, seules deux sont sérieuses : Hitler et Hindenburg.
Le 13 mars le peuple Allemand est placé devant la question si Hindenburg doit rester ou s’il doit être remplacé par Hitler. […]
Contre Hitler! Voilà la consigne du 13 mars. Il n’y a pas de faux-fuyant!
Le Parti social-démocrate ne veut pas obscurcir la clarté de cette décision. C’est pourquoi il a renoncé à présenter une candidature pour le premier tour, qui aurait eu pour but de compter les voix. […]
Chaque voix qui est donnée contre Hindenburg, est une voix pour Hitler.
Chaque voix qui est arrachée à Thälmann et dirigée vers Hindenburg, est un coup contre Hitler!
Les communistes, qui font la propagande pour Thälmann, […] luttent pour la partie la plus réactionnaire de la bourgeoisie, contre les parties plus progressistes de la bourgeoisie et contre la classe ouvrière. [Souligné par nous – ROCML.] […]
Lors de l’élection présidentielle, Hindenburg obtient 53 % des voix au second tour et est ainsi réélu président du Reich. Hitler obtient 36,8 %, Thälmann 10,2 %.
Le 31 juillet 1932 ont lieu des élections législatives. Le NSDAP obtient 37,3 % des voix, loin devant le SPD (21,6 %).
Le 30 janvier 1933 le président Hindenburg nomme Hitler chancelier.
Ce même jour, le SPD publie un appel du comité directeur et du groupe à l’assemblée nationale[2] :
Peuple travailleur! Républicains!
Avec le cabinet Hitler-Papen-Hugenberg, c’est la résurrection du Harzburger Front.
[…]
L’heure exige l’unité du peuple travailleur tout entier pour la lutte contre les ennemis réunis. Elle exige d’être prêts à l’engagement des forces ultimes et extrêmes.
Nous menons notre lutte sur le terrain de la constitution. Nous défendrons les droits politiques et sociaux du peuple, qui sont ancrés dans la constitution et la loi, contre toute attaque, par tous les moyens. Toute tentative du gouvernement, d’utiliser ou de maintenir son pouvoir en allant contre la constitution, se heurtera à la résistance extrême de la classe ouvrière et de tous les cercles de tendance libérale. [Souligné par nous – ROCML.] Toutes les forces doivent être tenues prêtes pour cette lutte décisive.
[…]
Et dans l’organe du SPD Vorwärts parait un article le même jour, 30 janvier 1933 (extraits)[3] :
Face à ce gouvernement de menace de coup d’État la social-démocratie et tout le Eiserne Front (Front de fer)[4] se tiennent les deux pieds sur le terrain de la constitution et de la légalité. Elle ne fera pas le premier pas pour s’éloigner de ce terrain. La lutte la plus sévère contre ce gouvernement, elle la mènera plutôt en mettant à profit tous les moyens constitutionnels et légaux. [Souligné par nous – ROCML.] Elle laisse exclusivement à ses adversaires la responsabilité pour l’éclatement d’une lutte qui des deux côtés ne serait plus menée avec les armes normales de la lutte politique. […]
Le jour suivant, le 31 janvier, se tient une session commune entre le bureau et des membres du groupe à l’assemblée nationale, du SPD, ainsi que des représentants du Eiserne Front (extraits) :
Rudolf Breitscheid, du SPD[5] :
[…]
Tout en reconnaissant pleinement l’inéluctabilité des évènements, nous ne devons pas passer à côté de la responsabilité de ceux qui ont contribué à accélérer ce développement. D’une part, les national-socialistes l’ont fait en combattant la démocratie et en proclamant la dictature. […] Cependant il était criminel que les communistes fassent pareil. Au même titre que les national-socialistes, ils ont fait front envers la démocratie et ses supports, notamment contre la social-démocratie qu’ils dénigraient constamment comme le pire des ennemis [Souligné par nous – ROCML] […].
[…]
Si Hitler dans un premier temps se tient sur le terrain de la constitution, même si cela puisse être cent fois de l’hypocrisie, il serait erroné si nous lui fournissions l’occasion de violer la constitution, si nous l’éloignions du terrain du droit […]. Si Hitler emprunte la voie de la constitution, il se trouve à la tête d’un gouvernement de droit, que nous pouvons et devons combattre, plus encore que les précédents, mais le fait est que c’est alors un gouvernement constitutionnel, de droit. [Souligné par nous – ROCML.]
[…]
Le KPD obtient 12,3 % des voix lors des élections au Reichstag (Parlement) du 5 mars 1933, le SPD 18,3 %, le Zentrumspartei (Parti du Centre) et le BVP (Parti populaire bavarois), deux formations modérément conservatrices, 13,9 %, tandis que le NSDAP et le DNVP sont respectivement crédités de 43,9 % et de 8 % des suffrages et forment donc un gouvernement de droite.
Le 6 mars 1933, le service de presse social-démocrate publie un article de Friedrich Stampfer, du SPD[6] :
Un jour de gloire dans l’histoire de la social-démocratie allemande ‑ voilà ce qui est et restera pour tous les temps le 5 mars 1933. […]
Les vainqueurs officiels du jour, les messieurs du Harzburger Front, ne peuvent, eux aussi, être indifférents à l’attitude adoptée par la social-démocratie, parti d’opposition le plus fort. […]
Les messieurs ont maintenant la majorité dans le Reich et en Prusse. Ils sont nommés par le président du Reich et confirmés par le peuple. Ils n’ont qu’à être un gouvernement légal, alors il va tout à fait de soi que nous sommes une opposition légale. Qu’ils fassent adopter par leur majorité quoi que ce soit qui peut être adopté dans le cadre de la constitution, nous nous confinerons au rôle de critique objective jusqu’à ce qu’un jour le peuple fasse appel à nous pour un autre rôle. [Souligné par nous – ROCML.]
Par la victoire des partis du gouvernement la possibilité a été établie de gouverner en s’en tenant strictement à la constitution. Des écarts par rapport à elle ne pourraient maintenant plus être motivés par l’incapacité de travailler du parlement ou la situation critique de l’État. Une application étendue de l’article 48 [7] ne peut pas être justifiée, alors que la machine de la législation normale obéit au gouvernail du gouvernement.
[…] L’élection a montré que le peuple allemand, aujourd’hui, est partagé en deux parties approximativement égales, dont l’une veut maintenant gouverner, tandis que l’autre doit tolérer d’être gouvernée. […]
Le mouvement ouvrier restera toujours en Allemagne un facteur politique. Nous ne songeons pas à dissimuler nos objectifs. Nous voulons arriver à la socialisation[8] en passant par la démocratie. Notre opposition contre les maitres d’aujourd’hui, nous voulons ni l’affaiblir ni la camoufler, nous déclarons la guerre la plus catégorique à toute politique hostile aux travailleurs. Nous disons seulement que notre manière, depuis des décennies, est de lutter par des moyens légaux et avec objectivité. [Souligné par nous – ROCML] […]
Le même jour, 6 mars, dans la publication du SPD Freies Wort parait un article[9] :
[…] et qui, contre le gouvernement Hitler-Papen, conseillerait le recours à des moyens non conformes à la constitution, se mettrait dans son tort moralement. [Souligné par nous – ROCML] […]
Le 23 mars, après l’arrestation de 4.000 opposants, le nouveau parlement vote la loi des pleins pouvoirs pour Hitler.
Albert Grzesinski (SPD) écrit dans ses Mémoires, rédigés en 1933/1934 [10] :
De par son attitude outrancière dans tous les domaines, de par l’incapacité de ses dirigeants qui avec le temps se manifeste toujours plus ouvertement, le fascisme en Allemagne s’enlisera fatalement dans un temps prévisible. Viendra-t-il alors, comme relève la dictature militaire ayant pour objectif la monarchie? Ou le bolchévisme? Voilà la question. Je pense que chaque jour qui passe avec Hitler continuant à gouverner, prépare le bolchévisme en Allemagne. Plus tôt Hitler et son régime tomberont, plus faible sera le danger bolchévique pour l’Allemagne et pour le monde. [Souligné par nous – ROCML.]
Exemple : Autriche, années 1930
Les faits
En avril 1923 a été fondé le "Republikanischer Schutzbund" ("Ligue républicaine de protection") autrichien, une organisation militaire prolétarienne issue des groupements d’ordre du conseil ouvrier, et des défenses d’ouvriers et d’usines, des années 1918 et 1919. Par les circonstances de sa création et par la composition de ses membres il était lié au SDAPDÖ (Sozialdemokratische Arbeiterpartei Deutsch-Österreichs); à son apogée, en 1928, il comptait 80.000 membres. Les membres étaient formés à l’utilisation des armes et un grand nombre d’armes étaient disponibles dans des dépôts secrets.
En mars 1933, les cheminots autrichiens se mettaient en grève. Le 4 mars, le Parlement devait voter sur les mesures à prendre contre les grévistes. Le chancelier Engelbert Dollfuß utilisait des prétextes liés au règlement intérieur et déclarait l’"autodissolution" du Parlement. Le gouvernement chrétien-social s’appuya alors sur le droit d’ordonnance d’urgence, établi par la loi d’habilitation de l’économie de guerre de 1917 et jamais formellement aboli, donc sans législation parlementaire. Il faisait supprimer la Cour constitutionnelle, restreindre la liberté de la presse et d’opinion et décrétait l’interdiction de la grève. Le Schutzbund a été interdit.
Le 21 janvier 1934, la vente du journal social-démocrate Arbeiter-Zeitung a été interdite, trois jours plus tard, les social-démocrates ont été définitivement dépossédés de leur pouvoir, et l’ordre a été donné de perquisitionner les locaux du parti et les appartements à la recherche d’armes du Schutzbund. Les membres du Schutzbund résistèrent par la force des armes.
Le 12 février la police appuyée par l’armée effectue une opération de recherche d’armes au siège régional du parti et du Schutzbund dans la province de Haute-Autriche. Ainsi éclate un soulèvement qui s’étend sur une large partie du pays, notamment la capitale Vienne. Il sera vaincu au bout de quatre jours de combats sanglants.
Jusqu’aux derniers jours précédant les évènements de février, Karl Renner, Otto Bauer et d’autres responsables du SPÖ avaient fait des offres d’apaisement au gouvernement Dollfuß. La lutte s’est déroulée dans des conditions extrêmement défavorables dès le début, par la faute et les négligences des dirigeants social-démocrates : la plupart des commandants supérieurs du Schutzbund avaient déjà été arrêtés auparavant, ce qui a rendu inaccessibles de nombreux dépôts d’armes secrets; la grève générale absolument nécessaire de la masse des travailleurs n’a pas eu lieu ou seulement de manière incomplète; les membres du Schutzbund ont rejoint les points de rassemblement préétablis pour s’armer, mais la consigne des dirigeants était de rester sur la défensive et d’agir uniquement au cas où ils seraient attaqués directement.
Le KPÖ (Parti communiste d’Autriche) n’a pu prendre qu’une part limitée aux combats, les communistes n’ont pas eu accès aux stocks d’armes du Schutzbund.
Le soulèvement a été suivi de l’interdiction du SPÖ, des syndicats, de toutes les organisations ouvrières social-démocrates ainsi que des représentations communales et régionales dirigées par les sociaux-démocrates.
Avec une nouvelle constitution du 1er mai 1934, l’Autriche est devenue un État gouverné de manière autoritaire : il n’y avait plus qu’une seule organisation politique, le "Vaterländische Front" (Front patriotique), tous les autres partis étant interdits. Le chef national du Vaterländische Front était Dollfuß. Il n’y avait pas d’élections, le gouvernement devait être conseillé par des représentants des corporations ("Stände"), mais cela n’a pas été mis en oeuvre. De fait, Dollfuß a continué à gouverner de manière dictatoriale à l’aide de décrets.
Les errements du SDAPDÖ, exposés par Otto Bauer
"Révolution et contrerévolution en Autriche", 1934
(Extraits) [11]
Depuis le 7 mars 1933, date du coup d’État du gouvernement Dollfuß-Fey, la social-démocratie autrichienne a fait les plus grands efforts pour permettre une solution constitutionnelle pacifique à la crise politique.
Pendant onze mois, la social-démocratie a fait preuve de la plus grande retenue. Elle n’a pas répondu par une résistance violente à l’élimination du Parlement et à l’établissement d’un régime absolutiste d’ordonnances d’urgence, à la dissolution du Republikanischer Schutzbund, à toute une série d’ordonnances d’urgence qui, de manière anticonstitutionnelle, supprimaient le droit de réunion des ouvriers, la liberté de la presse, réduisaient les acquis sociopolitiques des ouvriers, privaient l’administration communale social-démocrate de Vienne de ses revenus et la rendaient ainsi inefficace. Au contraire, elle a toujours fait tous les efforts, jusqu’à ces derniers temps, pour parvenir à des négociations avec le gouvernement Dollfuß et avec l’aile non fasciste du parti chrétien-social en vue d’une entente pacifique pour la formation d’un front uni contre les nationaux-socialistes.
[…]
L’exaspération des ouvriers se retournait de plus en plus contre la politique attentiste et compréhensive de la direction du parti. Des parties vigilantes des membres du parti réclamaient de plus en plus violemment le coup d’envoi. Malgré cela, le comité directeur du parti s’en tenait à la ligne déjà définie en automne par le congrès : le parti ne devrait donner le mot d’ordre de grève générale qu’en cas d’extrême urgence, si le gouvernement imposait une constitution fasciste, s’il destituait le gouvernement régional et l’administration communale de Vienne, s’il dissolvait le parti ou mettait les syndicats au pas. Tant que l’un de ces quatre cas ne se présenterait pas, les tentatives de solution pacifique devraient être poursuivies patiemment. Mais depuis des mois, le comité directeur du parti a eu de plus en plus de mal à faire comprendre aux ouvriers acharnés la nécessité de cette politique d’attente.
Durant l’ultime semaine, les signes indiquant que le gouvernement s’apprêtait à porter un coup décisif à la démocratie et aux travailleurs se sont multipliés. […] Un coup d’État fasciste semblait imminent.
Les jours mêmes où les Heimwehren formulaient ces exigences ultimes, le ministre de l’Intérieur Fey faisait arrêter à Vienne et dans les Länder les dirigeants du Republikanischer Schutzbund des différentes localités et districts et faisait démanteler, tant à Vienne que dans les environs immédiats de Vienne, les dépôts d’armes du Republikanischer Schutzbund qui avaient été portés à la connaissance de la police. Cela devait naturellement donner l’impression aux ouvriers que les Heimwehren, au moment même où ils se lançaient dans leur putsch contre la démocratie, cherchaient à rendre les ouvriers sans défense et à désorganiser le Schutzbund en arrêtant les dirigeants locaux. […] Ces évènements ont suscité dans le monde ouvrier l’opinion suivante : l’adversaire veut, dans les prochains jours, sous la pression de la Heimwehr, "mettre au pas" les gouvernements régionaux et les administrations communales. Il prépare un coup contre le parti. Il prépare une constitution fasciste qui veut abolir le droit de vote universel et égal et supprimer le droit d’organisation libre et le droit de grève des travailleurs. Dans cette situation, nous ne pouvons plus nous laisser désorganiser par l’arrestation des dirigeants du Schutzbund et désarmer par la confiscation de dépôts d’armes, si nous ne voulons pas nous retrouver en quelques jours sans défense, incapables de lutter, face à un coup d’État fasciste.
Malgré cela, le comité directeur du parti s’en tenait encore à sa ligne. Il estimait nécessaire que les ouvriers attendent les résultats des négociations annoncées pour le lundi 12 février 1934 entre le chancelier fédéral et les gouverneurs des Länder au sujet des revendications de la Heimwehr, et qu’ils ne se mettent pas en mouvement tant que l’un des quatre cas dans lesquels, selon la décision du congrès, une lutte défensive est inévitable pour protéger l’ordre constitutionnel, ne se présente pas. Dimanche encore, des fonctionnaires de la direction du parti ont donné des instructions en ce sens à des camarades qui rendaient compte de l’état d’esprit agité des ouvriers et les ont vivement mis en garde contre toute attaque déclenchée de leur propre initiative. Mais l’excitation des masses avait atteint un tel degré que ces mises en garde de la direction du parti ne pouvaient plus être suivies d’effet. Lundi matin, lorsque la police de Linz voulut à nouveau saisir des armes et arrêter des dirigeants du Schutzbund, deux jours après que les Heimwehren de Linz eurent remis au gouverneur du Land, en le menaçant de leurs armes, la revendication ultime de la mise au pas du gouvernement du Land et de la dissolution des administrations communales sociales-démocrates, les ouvriers de Linz se mirent en action.
Mais à Vienne aussi, dès le lundi matin, l’agitation était grande parmi les ouvriers.
Dimanche, à Floridsdorf, le quartier le plus industriel de Vienne, le camarade Stockhammer, un président de comité d’entreprise particulièrement respecté par les ouvriers de Floridsdorf, a été arrêté. Lundi matin, les ouvriers des entreprises de Floridsdorf ont exigé une grève de protestation contre cette arrestation. Alors qu’on en discutait encore dans les entreprises, on a appris que des combats de rue avaient déjà lieu à Linz. Il n’y avait plus rien à faire. Les ouvriers viennois avaient le sentiment qu’ils ne pouvaient pas abandonner les habitants de Linz et de Haute-Autriche, qu’ils ne pouvaient pas les laisser seuls dans la lutte, si l’ensemble des ouvriers ne devait pas être mis sans défense d’un endroit à l’autre et être ensuite incapable de se battre face au coup d’État qui devait avoir lieu le lendemain. C’est ainsi que les évènements ont suivi leur cours.
Si le comité directeur du parti avait réussi à imposer sa ligne jusqu’à la dernière heure, la lutte n’aurait probablement pas été évitée. Car l’adversaire s’acharnait à poser des actes qui auraient de toute façon obligé les ouvriers à se battre, s’ils ne voulaient pas se soumettre sans combat à une dictature fasciste. Mais la lutte aurait probablement été mieux comprise par de larges masses populaires.
"Le soulèvement des travailleurs autrichiens", 1934
(Extraits) [12]
[…]
Les ouvriers demandaient à leur Parti aide et protection. Ils ne pouvaient pas comprendre que le Parti, hier encore si puissant, fût devenu d’un seul coup hors d’état de se défendre. Ils réclamaient la lutte contre la dictature.
Mais par quels moyens, de quelle manière cette lutte devait-elle être menée, puisqu’il n’y avait plus de moyens de défense légaux ?
Les ouvriers autrichiens, de même que les ouvriers du monde entier, avaient appris avec un sentiment d’humiliation le fait qu’en Allemagne la puissante social-démocratie et le Parti communiste avaient succombé sans combat devant le fascisme. Ils avaient appris par leur propre expérience combien cette défaite sans combat de la classe ouvrière allemande avait encouragé la réaction dans les autres pays.
Ils se jurèrent de ne pas se laisser abattre comme en Allemagne. Ils eurent le sentiment que la liberté était perdue s’il n’y avait pas d’hommes prêts à la défendre en mettant leur vie en jeu. Ils se dirent : "Une bande de factieux, qui n’a derrière elle qu’une faible minorité du peuple, mène la lutte à la fois contre la social-démocratie et contre les nationaux-socialistes, c’est-à-dire : contre les 70 % au moins de l’ensemble de la population. Parjure à son serment, elle a aboli la Constitution, elle foule quotidiennement aux pieds les droits que la Constitution garantit au peuple et à chacun des citoyens. En notre qualité de citoyens, nous avons le droit de chasser cette bande de transgresseurs du droit et d’obtenir par la lutte le rétablissement de la Constitution démocratique." Des couches toujours plus profondes de la classe ouvrière réclamaient la révolution contre la dictature.
Le Parti était pleinement conscient des dangers d’un soulèvement révolutionnaire. Nous savions combien il est difficile d’assurer le succès d’une grève à une époque où plus d’un tiers de toute la classe ouvrière est sans travail, où un grand nombre de chômeurs, sans travail depuis trois, quatre, cinq années, ont été démoralisés et brisés à la suite de la formidable détresse dont ils souffrent, où tout ouvrier qui a encore du travail tremble de perdre son emploi. Nous savions que la dictature tenterait de briser par la violence toute grève, et que, par conséquent, toute grève générale devrait se transformer en peu d’heures en une lutte armée. Nous savions que dans une telle lutte armée, l’adversaire disposerait de la supériorité formidable de la technique moderne de la guerre. Nous avons, pour ces raisons, fait tout ce qui était en notre pouvoir pour éviter une solution violente.
[…]
Nous avons constamment saisi toute occasion qui se présentait pour mettre en garde les hommes politiques bourgeois, et, par leur intermédiaire, le Gouvernement, contre la poussée de l’état d’esprit révolutionnaire dans la classe ouvrière, contre le danger croissant de voir survenir un incident qui pourrait, même contre la volonté du Parti, conduire à une explosion violente de la colère qui s’amassait contre la dictature. […]
Nous offrîmes des concessions toujours plus étendues afin de rendre possible une solution pacifique. Nous fîmes savoir à Dollfuss que nous étions prêts à accorder au Gouvernement par la voie constitutionnelle des pouvoirs extraordinaires pour la durée de deux ans, à la condition que ces pouvoirs ne fussent exercés qu’avec la collaboration d’une commission restreinte du Parlement et sous le contrôle de la Cour constitutionnelle, et nous ne réclamions en compensation pour notre Parti que la liberté d’action, que le rétablissement du droit légal de réunion et de la liberté de la presse dans les limites de la loi. Nous nous déclarâmes prêts à faire même des concessions à l’idée de l’organisation « professionnelle » de la société et de l’État, à seule fin de rendre possible une entente. Ce fut en vain; Dollfuss repoussa toute négociation.
[…]
Nous avons poursuivi jusqu’à la toute dernière heure nos efforts en vue d’obtenir un dénouement pacifique. Le lundi 12 février au matin, des socialistes de la Basse- Autriche s’entretinrent encore avec des hommes politiques chrétiens-sociaux de la possibilité d’éviter, à la dernière minute, la catastrophe. Quelques heures plus tard, ces socialistes étaient arrêtés.
[…]
[1]. https://www.rocml.org/References-ML/allemagne-1932-01-04/#_edn20
[2]. https://www.rocml.org/References-ML/allemagne-1933-01-02/#_edn16
[3]. https://www.rocml.org/References-ML/allemagne-1933-01-02/#_edn18
[4]. Le Eiserne Front a été fondé en décembre 1931 en tant que regroupement d’organisations antifascistes. Le SPD, les syndicats libres, les associations sportives et gymniques ouvrières et le Reichsbanner Schwarz-Rot-Gold (Bannière impérial noir-rouge-or) se sont réunis sous cette bannière afin de mener une lutte commune contre la montée en puissance du national-socialisme.
Le Reichsbanner Schwarz-Rot-Gold, association non partisane de vétérans et de militaires, a été fondé le 22 février 1924 à Magdeburg. L’initiative est venue d’un groupe de social-démocrates locaux autour d’Otto Hörsing l et Karl Höltermann, qui ont rapidement réussi à convaincre d’autres représentants du SPD, du DDP et du Parti du centre de collaborer.
[5]. https://www.rocml.org/References-ML/allemagne-1933-01-02/#_edn25
[6]. https://www.rocml.org/References-ML/allemagne-1933-03-04/#_edn3
[7]. Constitution du Reich allemand :
Article 48. Si un Land ne remplit pas les obligations qui lui incombent en vertu de la Constitution ou des lois du Reich, le président du Reich peut l’y contraindre avec l’aide des forces armées.
Si la sécurité et l’ordre publics sont gravement perturbés ou menacés dans l’Empire allemand, le président du Reich peut prendre les mesures nécessaires pour rétablir la sécurité et l’ordre publics, en recourant si nécessaire à la force armée. À cette fin, il peut suspendre temporairement tout ou partie des droits fondamentaux énoncés aux articles 114, 115, 117, 118, 123, 124 et 153. […]
[9]. https://www.rocml.org/References-ML/allemagne-1933-03-04/#_edn4
[10]. https://www.rocml.org/References-ML/allemagne-1932-01-04/#_edn15
[11]. Script, avec la mention manuscrite "Écrit à Bratislava O. B. pour service de presse". Le sous-titre est : "D’un dirigeant de la social-démocratie autrichienne".
Source : Internationale Information 5/1934, Zürich, 18 février 1934.
[12]. Otto Bauer, Der Aufstand der österreichischen Arbeiter – Seine Ursachen und seine Wirkungen; Prag, Verlag der Deutschen sozialdemokratischen Arbeiterpartei in der Tschechoslowakischen Republik, 19 février 1934.
Rivalités interimpérialistes au Moyen-Orient
et leurs conséquences sur la vie des peuples
LA VOIX DES COMMUNISTES, no 33, 2e semestre 2024 – p. 30‑37
Le Moyen-Orient, carrefour entre l’Europe, l’Afrique et l’Asie, est un lieu de passage essentiel pour le commerce mondial. La découverte du pétrole en 1908 en Iran puis dans les années 1930 en Arabie Saoudite, à Bahreïn et au Koweït fera du Moyen-Orient une zone d’affrontement entre les puissances impérialistes avec notamment la colonisation de la Palestine pour y installer un gendarme (Israël) au service de l’impérialisme anglais puis US, gendarme ayant pour rôle d’assurer le contrôle des routes du pétrole et d’empêcher la formation d’une nation arabe unie.
Actuellement, derrière le chaos moyen-oriental apparent, trois niveaux de contradictions sont intriqués : un niveau local où chaque communauté défend ses propres intérêts (les peuples palestinien, kurde, druze, alaouite…), un niveau régional et un niveau international ou chaque puissance expansionniste et chaque impérialisme y défendent leurs intérêts capitalistes.
La guerre interimperialiste s’y fait principalement par procuration, par des proxys ‑ par exemple, des États régionaux (Turquie, Israël, Iran, etc.) et/ou des organisations politiques locales et leurs branches armées (Hay’at Tahrir al‑Sham/HTS, Hezbollah…). Mais, si les circonstances l’exigent, les grandes puissances n’hésitent pas à intervenir directement : guerre Russie/Ukraine, bombardements des sites nucléaires iraniens par les USA en juin 2025…
D’autre part, au gré de l’évolution des évènements et selon les intérêts des pays capitalistes et impérialistes, les alliances et les rivalités se modifient, les ennemis d’hier pouvant devenir les amis d’aujourd’hui ou inversement.
De par sa situation géostratégique et ses ressources énergétiques gazières et pétrolières, le Moyen-Orient a depuis plus d’un siècle attisé les convoitises et provoqué les interventions politiques et militaires des pays impérialistes et des forces réactionnaires régionales.
S’ajoutent à cette instabilité économique, politique et sociale, les différends ethniques et religieux, persistant, eux, depuis plusieurs siècles et facilitant les manoeuvres de ces forces. En effet, un régime peut se présenter comme le "sauveur d’un peuple" et en même temps massacrer un autre peuple, dans son propre pays ou chez ses voisins : tels Israël massacrant les Palestiniens et "protégeant" les Druzes en Syrie, l’État turc massacrant le peuple kurde ou l’Iran opprimant les peuples kurde et azeri…
La chute de Bachar al‑Assad en Syrie, en décembre 2024, n’a été ni le renversement d’un régime antiimpérialiste, ni une révolution, mais un changement de pouvoir, après 13 années d’une guerre interimpérialiste que nous, marxistes-léninistes, avons qualifiée de guerre réactionnaire injuste.
Plusieurs facteurs ont favorisé ce changement. D’abord, la diminution des forces militaires russes en Syrie depuis l’attaque de l’Ukraine par la Russie en février 2022. Alors, faisant preuve de pragmatisme, celle-ci a géré les rivalités entre Turquie, Syrie et Israël, afin d’éviter une confrontation entre la Turquie et Israël. Il faut rappeler ici que le silence de la Russie devant le génocide du peuple palestinien et son feu vert accordé, en janvier 2018, à l’armée turque et aux rebelles syriens de l’Armée Syrienne Libre (ASL) pour attaquer les forces kurdes à Afrine, témoignent, entre autres forfaits, de sa politique impérialiste.
Les intégristes islamistes de HTS ont aussi profité de l’affaiblissement du Hezbollah au Liban et de l’Iran et ont été soutenus par les impérialistes US et européens. Il aura suffi au terroriste Abou Mohammed Al-Joulani, dirigeant HTS, de porter une cravate et de reprendre son nom (Ahmed al‑Charaa), pour devenir fréquentable aux yeux de ces derniers.
Dès sa prise du pouvoir, un de ses lieutenants déclarait a Times of Israel : "Nous souhaitons vivre en bonne entente avec les pays voisins, y compris Israël. Nous n’avons pas d’autres ennemis que le régime d’Assad, le Hezbollah et l’Iran." Ces propos sont en parfait accord avec la politique régionale des USA. Mais cela n’a pas empêché Israël de bombarder et de détruire les bases militaires de Syrie. Israël ne veut pas d’opposant dans la région. Mais, la destruction des défenses anti-aériennes avaient aussi un autre but : se créer un couloir aérien en Syrie pour attaquer l’Iran et ses capacités nucléaires. Ce qui sera réalisé six mois plus tard, à partir du 13 juin 2025.
Depuis des années les USA et l’Union Européenne (UE) justifient leur présence au Moyen-Orient sous prétexte du "risque de résurgence de l’État Islamique (EI)". L’argument est mensonger : les USA se trouvent dans cette région depuis la 2e guerre mondiale en tant que superpuissance impérialiste. Selon nous, les USA ne quitteront jamais le Moyen-Orient, y compris militairement; ils ne démantèleront pas leurs dizaines de bases, avec 40.000 soldats présents. Seule la forme de leur présence change. La perspective reste celle des Accords d’Abraham[1], c’est-à-dire des alliances permettant de mieux contrôler la région, sans devoir y augmenter leurs forces armées; celles-ci sont engagées dans d’autres régions du monde. Ils veulent rester les maitres de la région et même si Israël semble avoir une certaine liberté de manoeuvre, c’est Washington qui donne les ordres et non l’inverse.
Bien qu’ayant obtenu le soutien de plusieurs pays ‑ USA, UE, Arabie Saoudite, Qatar, Turquie…‑, le nouveau gouvernement syrien n’a pas encore consolidé son pouvoir. Loin de là! Et n’oublions pas que le soutien de Trump est toujours conditionné par la sécurité d’Israël, élément essentiel pour les USA.
Les minorités en Syrie
Depuis que HTS a pris le pouvoir en Syrie, l’avenir des minorités (Kurdes, Druzes, Alaouites, Chrétiens-Syriaques…) est un problème majeur. Quelle solution envisager pour certaines d’entre elles : intégration, autonomie, fédération, indépendance?
Le terroriste Al‑Charaa, djihadiste autoritaire et répresseur, notamment à Idlib, est devenu en quelques jours respectable pour les gouvernants de l’UE. Mais les crimes commis envers les Alaouites en mars 2025 et contre les Druzes en juin 2025 confirment que HTS n’a pas changé et qu’il ne peut être considéré comme une force de progrès. Le "deux poids deux mesures" observé par l’UE impérialiste vis-à-vis de HTS d’une part et vis-à-vis du Hamas et du Hezbollah d’autre part, montre bien toute l’hypocrisie de l’UE, qui prétend défendre partout les droits de l’Homme ‑ en réalité, les droits de l’homme bourgeois.
Ces crimes, cités plus haut, augurent mal du nouveau régime réactionnaire syrien et de l’avenir des autres minorités. C’est pourquoi, les Kurdes et les Druzes ont raison de ne pas rendre leurs armes. À la différence des peuples épris de paix, les forces impérialistes et réactionnaires ne peuvent amener cette paix. Dans la région, on ne peut espérer de ces forces (Israël, Turquie, Iran, Arabie Saoudite, etc.) aucun progrès, aucune réelle démocratie. À lire le programme de HTS, il n’y aura de liberté ni pour les travailleurs ni pour les minorités. L’impérialisme ne peut établir au Moyen-Orient que des pouvoirs politiques réactionnaires, y compris sous la forme de la "démocratie bourgeoisie", en réalité la dictature de la bourgeoisie monopoliste. Lénine l’indiquait déjà en 1916 [2] : "Mais existe-t-il, ailleurs que dans l’imagination des suaves réformistes, des trusts capables de se préoccuper de la situation des masses, au lieu de penser à conquérir des colonies?"
Malheureusement, la faiblesse du mouvement communiste et prolétarien laisse le champ libre aux "rêves" et aux faux espoirs vantés par les impérialistes. Pour ce qui nous concerne, notre méthode d’analyse, fondée sur le marxisme-léninisme, n’a pas changé : un projet de société pour l’avenir des populations opprimées sera toujours estimé en fonction de sa forme et de sa nature de classe. La question de la paix en Syrie ne saurait être résolue sous une forme démocratique bourgeoise, issue de compromis entre les forces bourgeoises en présence.
Après la conférence nationale du peuple kurde sur "l’Unité et la Position Commune des Kurdes du Rojava", tenue en avril 2025, l’État turc a demandé de retirer la déclaration finale (appelant à une Syrie fédérale et démocratique) et d’obéir sans condition sous le drapeau de la Syrie dirigée par HTS, qui demande aussi la même chose. Si les pays impérialistes se rapprochent des peuples kurdes, c’est pour garantir leurs propres intérêts. Pour les USA et l’UE, l’autonomie des Kurdes est subordonnée à la question de la sécurité d’Israël. Si la Turquie peut garantir celle-ci, ils lâcheront les Kurdes du Rojava. Garantir la sécurité d’Israël et sauver les Accords d’Abraham est primordial pour les intérêts US ; l’autonomie des Kurdes, assurément pas.
La stratégie des USA pour la Syrie ressemble à celle développée en Irak : établir une région autonome ou semi-autonome kurde. Beaucoup parlent de fédération, en réalité les Kurdes sont prêts à accepter une région autonome. La dernière conférence nationale kurde au Rojava, citée plus haut, l’a déclaré.
L’accord, signe le 10 mars 2025, entre les Forces Démocratiques Syriennes (FDS) et Al‑Charaa reflète l’engagement des FDS en faveur d’une Syrie unifiée, accord qui a été imposé par les USA, avant que l’État turc n’impose sa politique à HTS. Notons que la conférence des Kurdes, en avril, a aussi été impulsée par les forces impérialistes, notamment la France. Toutes ces démarches ont pour but de renforcer l’influence des FDS et limiter le pouvoir d’Al‑Charaa pour obtenir une certaine stabilité régionale, ce qui est dans l’intérêt des impérialistes US et européens, sans oublier la sécurité d’Israël. En tous cas, pour le moment, sur la question kurde, la politique d’Israël est alignée sur celle des USA.
Si les USA abandonnent les Kurdes du Rojava, les Turcs pourraient-ils alors avoir les mains libres contre ceux-ci? Il est difficile de le dire tant que la négociation entre les forces réactionnaires n’est pas terminée. Malheureusement, force est de constater que les peuples de la région sont divisés, sous l’influence de la bourgeoisie ou de la petite bourgeoisie. Les groupes les mieux organisés en Syrie, les FDS (majoritairement des Kurdes), peuvent compter sur leurs propres forces. Mais les grands pays impérialistes (USA, UE et Russie) disposent de leur côté de connexions influentes. Une partie de la bourgeoisie kurde (encore minoritaire toutefois) a également des relations avec Israël.
Pour la Turquie, avec la politique chauvine de sa bourgeoisie et dont la société est divisée sur ce sujet, ce ne sera pas facile d’accepter le projet des pays impérialistes. Mais la fraction de la bourgeoisie turque au pouvoir en ce moment est assez affaiblie et la "division de la Turquie et la création d’un Kurdistan" sont une véritable phobie pour la grande bourgeoisie turque. Mais tous les mouvements kurdes ne revendiquent pas l’indépendance ou une fédération (sauf Barzani pour l’Irak).
Un des dirigeants principaux du PKK, Mustafa Karasu (membre du Conseil exécutif de l’Union des communautés du Kurdistan ‑ KCK) a précisé la position de son parti : la lutte kurde a changé; la priorité n’est plus la prise du pouvoir d’État mais l’organisation démocratique autonome de la société, une confédération démocratique. Les revendications kurdes sont claires : instruction en langue maternelle, autonomie locale, reconnaissance de l’identité kurde ‑ ce sont des droits fondamentaux, non négociables, selon les responsables du mouvement kurde.
Le Rojava et le Kurdistan irakien sont les cibles régulières de la Turquie et de l’Armée nationale Syrienne (ANS : agrégats de groupuscules mercenaires au service des intérêts turcs, formé en 2017 par la réunion de certains groupes de l’ASL). Les factions de l’ANS sont théoriquement dissoutes depuis janvier 2025 et relèvent du nouveau ministère syrien de la Défense; Al‑Charaa et le gouvernement syrien intérimaire sont donc officiellement responsables de leurs activités. Mais ils continuent à jouer leur rôle dans les régions frontalières envahies par la Turquie[3]. Des membres de l’ANS ont participé aux massacres perpétrés en mars 2025 parmi la population alaouite de la plaine côtière de Syrie.
La Situation de la Turquie et la position du PKK (Parti des Travailleurs du Kurdistan)
Dans son désir d’accroitre son influence dans la région et de réaliser ses ambitions expansionnistes néo-ottomanes, la Turquie a joué le rôle principal dans le renversement d’Al-Assad.
Alliée des USA, ayant des relations complexes et multiformes et de longue date avec la Russie, elle a soutenu l’État Islamique et tous les principaux groupes opposés au régime d’Assad.
Farouchement hostile à toute autonomie kurde en Syrie, ce qui serait un exemple pour les Kurdes de Turquie, elle a régulièrement bombardé le Rojava (Administration démocratique autonome du Nord et de l’Est de la Syrie ‑ ADANES). En 2018-2019, les zones d’Afrine et de Sere Kaniye ont été vidées par l’armée turque et l’ANS. La Turquie a été un lieu de développement de forces réactionnaires et un lieu de passage pour les forces réactionnaires intégristes venues du monde entier (Tchétchènes, Ouighours, Afghans, cellules de l’État Islamique installées en Turquie…)
La Turquie joue un rôle économique important dans la région (malgré une forte inflation), au travers de ses relations commerciales avec Israël, ses échanges économiques et touristiques avec la Russie. Tous les pays impérialistes ne peuvent pas se passer de liens, plus ou moins bons, avec elle. Mais la politique néo-ottomane de la Turquie a suscité des réticences en Turquie même, auprès des kémalistes notamment, et auprès des populations arabes.
Dans ce contexte, le changement soudain de pouvoir en Syrie, les ambitions régionales des USA et d’Israël, le rôle des Kurdes de Syrie (Forces Démocratiques Syriennes ‑ FDS) ont amené l’État turc à contacter Abdullah Öcalan, le dirigeant du PKK, en prison depuis 1999.
Devlet Bahçeli, chef du parti fasciste de l’action nationaliste (MHP), a proposé d’autoriser Öcalan a intervenir au Parlement afin d’appeler à l’abandon de la lutte armée et à la dissolution du PKK. Ce qui fut fait le 27 février par une lettre rendue publique. À la suite du congrès du PKK réuni le 7‑8 mai 2025, ses membres ont brulé symboliquement des armes, le 11 juillet, indiquant par là qu’il n’y aura pas de retour en arrière. Maintenant, le PKK attend que l’État turc crée les conditions constitutionnelles pour que les militants du PKK puissent rentrer en Turquie et être autorisés à faire de la politique légalement. Mais, cette procédure est bloquée, car la négociation sur le statut de Rojava en Syrie n’est pas terminée. Et cette négociation se passant dans la plus totale discrétion, personne ne sait réellement ce qui se trame. Mais, en tous cas, on sait que les dirigeants kurdes de Rojava ne veulent pas perdre leur statut d’"autonomie".
On ne discutera pas, ici, le choix du PKK d’abandonner la lutte armée. Cependant, on doit préciser qu’au 21e siècle, un peuple de près de 50 millions, le peuple kurde, n’a, malheureusement, toujours pas droit à l’autodétermination. Nous, marxistes-léninistes, soutenons la lutte du peuple kurde pour avoir la liberté totale de son choix. Mais, sans l’intervention active d’un prolétariat kurde, nous ne croyons pas à une solution conduite par la bourgeoisie kurde divisée et qui la cherche, de par sa position se classe, auprès des pays impérialistes.
Le conflit entre Israël et l’Iran (12‑24 juin 2025)
Après l’attaque de la résistance palestinienne le 7 octobre 2023 contre l’occupant sioniste et la guerre génocidaire menée par Israël, l’Iran a perdu des alliés importants pour faire pression sur l’entité sioniste : le Hezbollah défait militairement, le Hamas affaibli et Assad en décembre 2024. La chute d’Assad est aussi une question de sécurité nationale pour Téhéran. D’où son désir de rechercher un appui auprès de la Chine et de la Russie et développer l’arme nucléaire.
Profitant de l’affaiblissement de l’Iran, et face à une défaite politique et morale a l’échelle mondiale y compris chez une partie du colonialisme collectif occidental (France, Allemagne…), Israël a attaqué l’Iran. Cette tactique de diversion avait pour but d’allumer un contrefeu qui satisfera les impérialistes et qui détournera les yeux de l’opinion internationale d’une guerre coloniale génocidaire à Gaza.
Cependant Israël ne décide ni n’agit seul. Cette guerre n’aurait pu avoir lieu sans l’impulsion et le soutien des USA et des pays européens. Mais, les forces régionales n’étaient pas en reste : avant les premières attaques, la Turquie et Israël s’étaient rencontrés en Azerbaïdjan.
En avril 2025, Trump avait envisagé une action militaire contre l’Iran : "S’il faut recourir à la force, nous recourrons à la force", "Israël sera bien évidemment très impliqué dans cette action, il en sera le chef de file". Notons, au passage, qu’on ne pouvait rêver plus bel aveu : Israël est bien l’arme de l’impérialisme occidental au Moyen-Orient. Aveu répété par le chancelier allemand Merz, le 17 juin dernier lors du sommet du G7 au Canada, en parlant des frappes aériennes israéliennes contre l’Iran : "C’est le sale boulot qu’Israël fait pour nous tous".
Toutefois, pour Donald Trump et les entreprises US, l’Iran pourrait devenir, avec ses richesses en hydrocarbures et ses 90 millions d’habitants avec un niveau d’instruction élevé, un terrain économique favorable et un moyen de contrer les ambitions chinoises. Il ne veut pas de changement de régime ni de conflit armé prolongé avec l’Iran. C’est ce qui explique son intervention en juin contre les sites nucléaires iraniens afin de stopper Israël qui criait au changement de pouvoir en Iran et risquait un embrasement général, surtout après la riposte iranienne qui a montré la vulnérabilité du "dôme de fer" israélien. La base électorale de Trump au sein du mouvement MAGA (Make America Great Again) et de la population US est opposée a une guerre longue. D’où le scénario envisagé par l’équipe de Trump : frappe des installations iraniennes – riposte de Téhéran – cessez-le-feu.
En ce qui concerne ce conflit, entre Israël et l’Iran, le Parti communiste d’Israël et le Parti Toudeh d’Iran ont publié un appel : "Arrêtez les massacres, arrêtez la guerre maintenant!". Formulée ainsi, l’exigence est juste. Mais pour influer sur la réalité dans le sens voulu, on ne peut pas compter sur les "négociations" entre les instances "compétentes", puisque celles-ci ‑ y compris l’ONU ‑ se trouvent essentiellement sous la mainmise des représentants du système capitaliste impérialiste mondial. Par contre, des actions comme celles des dockers qui bloquent l’envoi d’armes à Israël sont beaucoup plus réalistes et en rapport avec une juste position de classe.
Quant à la lutte de libération nationale du peuple palestinien, qui est évidemment un élément essentiel de la situation, nous avons traité la question notamment dans un article récent publié sur notre site Internet : "La mystification de la “solution” des “deux États” en Palestine"[4].
Stratégies des grandes puissances impérialistes
Anticipant la fin programmée de l’ère des hydrocarbures, les USA se réorientent stratégiquement vers l’Indopacifique, dans sa compétition avec la Chine, et aimeraient transférer leur rôle au Moyen-Orient à leur agent israélien. C’est l’idée derrière les Accords d’Abraham, à l’initiative de l’administration Trump en 2020, signés entre Israël et les pays arabes (Émirats arabes unis, Bahreïn, Maroc, Soudan). En plus de diviser les pays arabes quant à leur position sur la question nationale palestinienne et de renforcer ainsi la sécurité d’Israël, ces accords visent à faire de l’entité sioniste une puissance dominante et protectrice pour les monarchies arabes. Les accords de paix avec l’Égypte en 1979 et la Jordanie en 1994 en avaient été les précurseurs. Les peuples arabes, soutenant la lutte de libération nationale en Palestine, doivent s’opposer à cette stratégie.
Toute l’activité des USA a également pour but de contrecarrer le développement des "Nouvelles routes de la soie" chinoises qui passent par le Moyen-Orient.
En ce qui concerne la Chine, ses intérêts impérialistes et ses actions au Moyen-Orient sont liés à sa rivalité avec les USA. Sa stratégie vise à maintenir une stabilité régionale, vitale pour elle, qui lui permette de maintenir son accès aux ressources énergétiques, de développer ses intérêts commerciaux et de renforcer son projet de "Nouvelles Routes de la Soie" (Belt and Road Iniative ‑ BRI). Ce projet, débuté en 2013, ambitionne de relier économiquement la Chine à l’Europe au moyen d’un vaste réseau de corridors routiers et ferroviaires, passant par l’Iran, le Pakistan, l’Asie Centrale. Mais aussi par voie maritime, via la Mer Rouge et le Canal de Suez. La Chine dispose depuis 2017 d’une base militaire à Djibouti, ouvrant sur le golfe d’Aden, au débouché de la Mer rouge.
La Chine, premier importateur mondial de pétrole brut depuis 2017, dépend fortement du Moyen-Orient qui lui fournit près de la moitié de ses importations pétrolières. C’est pourquoi elle avait intérêt à l’arrêt de la guerre entre Israël et l’Iran, celui-ci ayant menacé de fermer le détroit d’Ormuz.
Les pays du Golfe reçoivent six fois plus d’investissements chinois que l’Iran. Les investissements chinois sont présents aussi en Israël, notamment pour les infrastructures et les secteurs de technologie (cependant il arrive au gouvernement israélien de freiner cette tendance).
Ainsi, tout conflit dans la région touche aussi la rentabilité des investissements chinois. Compte tenu de ces éléments, la Chine cherche à faire preuve de neutralité auprès de tous les pays de la région. Il n’est donc pas étonnant que, en ce qui concerne la lutte de libération nationale palestinienne, la Chine défende l’illusoire "Solution à deux États". Cette position de neutralité en face de l’occupation coloniale israélienne ne peut être qu’un soutien à la puissance occupante et est à l’opposé de la position de principe que devrait avoir un authentique pays socialiste. Mais qui peut encore croire que la Chine est un pays socialiste?
Après la chute du régime d’Al‑Assad en décembre 2024, la Russie fait tout pour conserver ses bases militaires à Tartous (base navale) et Lattaquié (base aérienne) assurant sa présence en Méditerranée et au Moyen-Orient, mais aussi visant plus loin, spécialement l’Afrique. Ä ce propos, des forces russes venant de Syrie ont obtenu, de la part du maréchal Haftar, l’homme fort de la Cyrénaïque, la possibilité d’utiliser des bases militaires en Libye; ce qui facilitera l’envoi de troupes de l’Africa Corps en Afrique.
La Russie souhaite également garder son influence dans les secteurs du pétrole et du gaz en Syrie.
Dans la guerre entre Israël et l’Iran, en juin dernier, la Russie n’a pas soutenu militairement l’Iran dans l’espoir de préserver ses relations avec Israël et les USA, et d’éviter d’être entrainée dans une autre guerre. Ce positionnement est susceptible d’amener les partenaires moyen-orientaux et africains de la Russie à considérer que celle-ci ne soit plus un partenaire stratégique fiable. D’autre part, il faut noter que le régime israélien envisage un scénario visant la mobilisation, en Iran, des minorités à la recherche d’une plus grande autonomie, comme les Kurdes et les Baloutches, et cherchant ainsi à susciter des sécessions[5]. Cela aurait des conséquences vraisemblables en Asie centrale et dans le Caucase; ce que la Russie ne souhaite pas : ce sont deux zones éminemment stratégiques pour Moscou.
Les impérialistes européens, principalement la Grande-Bretagne et la France, ont vu leur influence décliner au Moyen-Orient face a l’hégémonie de l’impérialisme US depuis la fin de la 2e guerre mondiale et face a l’influence grandissante de la Russie et de la Chine depuis plus de 20 ans. Bien qu’ils interviennent dans cette région souvent à la remorque des USA, les pays de l’Union Européenne (UE), comme tous les pays impérialistes, jouent aussi leurs cartes personnelles. À cet égard, il est notable qu’Israël réalise 40% de son commerce international avec l’UE.
Après l’invasion de l’Ukraine par la Russie, le 24 février 2022, les sanctions économiques prises contre celle-ci, notamment dans les secteurs de l’énergie, ont obligé les pays européens, très dépendants du gaz russe, à s’approvisionner ailleurs et surtout auprès de nombreux pays du Moyen-Orient, tels que l’Arabie saoudite, le Qatar et l’Irak. C’est entre autres raisons ce qui explique, dès la chute d’Al-Assad, le voyage des chefs de gouvernement européens en Syrie, présentée comme une source potentielle de gaz et de minéraux.
Les pays européens, après avoir participé aux guerres destructrices dans la région, espèrent aussi participer aux projets de reconstruction dans des pays dévastés, ce, pour le plus grand profit de leurs entreprises capitalistes.
Position marxiste-léniniste sur les rivalités interimpérialistes et la guerre
La théorie marxiste-léniniste, qui éclaire les communistes dans leurs luttes économique, politique et idéologique, nous apprend que le système capitaliste, arrivé à son stade impérialiste ‑ marqué par la domination des monopoles, du capital financier et la prépondérance de l’exportation des capitaux ‑, se caractérise par un développement économique et politique inégal des pays capitalistes. Il se trouve alors que des pays rattrapent et dépassent d’autres pays qui les devançaient. Le rapport des forces se modifie, les rivalités interimpérialistes s’exacerbent pour le repartage du monde (monde déjà partagé entre pays capitalistes) et aboutissent finalement à des guerres impérialistes dont l’objectif est la domination mondiale par un seul État ou un groupe d’États capitalistes.
Quand les moyens économiques et diplomatiques ont été épuisés, la guerre est donc la continuation de la politique par des moyens violents. Mais quelle politique?
À l’époque de l’impérialisme, c’est celle de la classe qui est au pouvoir, c’est-à-dire la bourgeoisie capitaliste monopoliste, qui défend ses intérêts économiques et qui déclenche les guerres dans le but d’augmenter ses profits au maximum en exploitant les classes soumises, en opprimant des peuples entiers et en pillant leurs pays.
Ces guerres impérialistes ont des buts de classe, ceux de la bourgeoisie, ce sont des guerres injustes. Par opposition, les guerres de libération nationale, qui affaiblissent l’impérialisme mondial, les guerres civiles du prolétariat contre la bourgeoisie sont des guerres révolutionnaires justes.
La guerre, inhérente au système capitaliste, ne disparaitra qu’avec la disparition de sa cause ‑ le capitalisme ‑, par la révolution prolétarienne et l’instauration du socialisme puis du communisme à l’échelle mondiale.
On l’a vu, le Moyen-Orient est une zone de première importance ou les rivalités interimpérialistes conduisent à des confrontations militaires ouvertes.
Actuellement, les organisations politiques qui prétendent s’opposer aux forces réactionnaires et guerrières ont tendance à opposer mécaniquement à la nature violente et guerrière de l’impérialisme, les mots d’ordre de paix (opposée à la guerre) et de négociation (opposée aux faits accomplis). Mais, pour réaliser la révolution qui pour nous est le but, il faudra abandonner les attitudes qui maintiennent la conciliation des classes, il faudra passer par des affrontements violents. En effet, comme le rappelait Lénine[6] :
Il n’y a encore jamais eu une seule question relevant de la lutte des classes que l’histoire ait résolue autrement que par la violence.
Il avait déjà, auparavant, précisé comment, à l’époque des guerres impérialistes, les marxistes conçoivent la paix[7] :
Le marxisme n’est pas le pacifisme. Lutter pour la cessation la plus rapide de la guerre est chose indispensable. Mais c’est seulement lorsqu’on appelle à la lutte révolutionnaire que la revendication de la "paix" prend un sens prolétarien. Sans une série de révolutions, la paix dite démocratique est une utopie petite-bourgeoise.
Parmi les autres illusions présentes chez certains groupes politiques se réclamant du communisme, il y a la propension à considérer la bourgeoisie d’un pays comme un bloc homogène qui aurait la maitrise et le contrôle sur tous les évènements, selon sa volonté. Or, aux USA, depuis que Trump est président, les conflits entre les fractions de la bourgeoisie US sont visibles. Et depuis la première guerre du Golfe en 1991, plusieurs évènements ne se sont pas déroulés selon la volonté des pays impérialistes. En Irak, qu’a gagné la bourgeoisie? Et en Afghanistan? Les impérialistes ont dû quitter un pays affame et en ruine. Au Moyen-Orient, les USA aimeraient diminuer leur présence militaire, particulièrement en Syrie, mais la guerre contre l’Iran, entre autres, est loin d’être terminée. Et tout ne dépend pas que des forces impérialistes. Pour cette raison on ne peut dire qui va prévaloir, à long terme, dans les multiples conflits, que ce soit en Asie ‑ Israël/Iran, Inde/Pakistan, Azerbaïdjan/Iran, Chine/USA ‑, ou en Europe ‑ Russie/Ukraine, Europe/Russie, etc.
Devant cette Situation internationale d’une grande complexité, la faiblesse actuelle de l’ensemble du mouvement communiste révolutionnaire doit rendre ce dernier particulièrement vigilant afin d’éviter le risque d’opportunisme et de se fourvoyer en se soumettant aux tactiques de la bourgeoisie impérialiste.
Bien que le marxisme-léninisme ait montré que la guerre est intrinsèque au capitalisme, il considère qu’il n’est pas impossible de prévenir telle ou telle guerre, si les masses laborieuses et les peuples du monde, unis, luttent contre les préparatifs d’une nouvelle guerre impérialiste. Mais si la guerre est déclenchée, le mot d’ordre des communistes est "la transformation de la guerre impérialiste en guerre civile". Lénine l’indiquait en 1915 [8] :
Le Manifeste de Bâle reprend les termes de la résolution de Stuttgart disant qu’au cas où la guerre éclaterait, les socialistes devraient exploiter "la crise économique et politique" créée par la guerre pour "précipiter la chute du capitalisme", c’est-à-dire mettre à profit les difficultés suscitées aux gouvernements par la guerre, ainsi que la colère des masses, en vue de la révolution socialiste.
Si à l’avenir la violence des contradictions entre les grandes puissances impérialistes amène à une confrontation directe entre deux coalitions hostiles (qui semblent se dégager avec d’un côté les USA et les autres puissances "occidentales" ‑ UE, Canada, Japon… ‑ et d’un autre côté la Chine, la Russie, la Corée du Nord, certains pays des BRICS+…), les communistes devront tout d’abord dévoiler, aux yeux des travailleurs, les véritables buts de guerre. La bourgeoisie avancera les mensonges bien connus : la lutte pour la patrie, la liberté, la civilisation des Droits de l’Homme, la culture… L’écrivain Anatole France, en 1922, dans une lettre à Marcel Cachin, synthétisait en une formule lapidaire les buts de la guerre : "On croit mourir pour la patrie; on meurt pour des industriels." Ensuite, les communistes ne soutiendront pas un groupement impérialiste contre un autre, l’"agressé" contre l’"agresseur", ou le groupe belligérant supposé plus faible luttant contre le groupe belligérant hégémonique… Les termes de l’alternative ne sont pas nouveaux, Lénine les exposait aussi[9] :
Ce n’est pas l’affaire des socialistes d’aider un brigand plus jeune et plus vigoureux […] à piller des brigands plus vieux et plus repus. Les socialistes doivent profiter de la guerre que se font les brigands pour les renverser tous.
Par contre, sachant que la guerre tend à créer une situation révolutionnaire, les social-chauvins ne souhaiteront pas la défaite de leur gouvernement.
Le Moyen-Orient, depuis plus d’un siècle, est le théâtre de deux luttes de libération nationale : celles des peuples palestinien et kurde.
Malheureusement, les mouvements marxistes-léninistes ne sont pas à la tête de ces luttes. Pour nous, communistes, il n’y aura pas de solution si l’on ne considère pas la question nationale comme une partie de la question de la révolution prolétarienne, si l’on ne voit pas le lien constitutif entre la question nationale, le pouvoir du Capital et son renversement. Staline, dans Comment poser la question nationale (Pravda n° 98, 8 mai 1921) a parfaitement résume la question[10] :
1° Les questions nationale et coloniale sont inséparables de la question de la libération du pouvoir du Capital;
2° L’impérialisme (forme suprême du capitalisme) ne peut exister sans asservir politiquement et économiquement les nations qu’il tient en état d’infériorité et les colonies;
3° Les nations tenues en état d’infériorité et les colonies ne peuvent être libérées sans le renversement du pouvoir du Capital;
4° La victoire du Prolétariat ne peut être durable si les nations tenues en état d’infériorité et les colonies ne sont pas affranchies du joug de l’impérialisme.
À bas la guerre impérialiste,
Vive la révolution prolétarienne !
[1]. Les accords d’Abraham ont permis de normaliser les relations diplomatiques entre Israël et plusieurs États arabes. Ils ont été annoncés en aout et septembre 2020, puis signés à Washington le 15 septembre 2020. Le nom même des accords fait référence à l’héritage commun du judaïsme et de l’islam, deux des trois religions dites abrahamiques, avec le christianisme. Les Émirats arabes unis et Bahreïn ont été les premiers à signer, en septembre 2020 à Washington. Le Soudan et le Maroc ont suivi quelques mois plus tard.
[2]. V. I. Lénine, L’impérialisme, stade suprême du capitalisme; Paris, Éditions sociales, 1960; tome 22, p. 282.
[3]. En juillet 2016 lors de l’opération "Bouclier de l’Euphrate" la Turquie est entrée militairement en territoire syrien en "soutien" de l’ASL. En 2018, une deuxième opération baptisée "Rameau d’Olivier" a permis aux Turkmènes et à l’armée turque de chasser les dernières populations kurdes et yézidies de la région d’Afrine. En octobre 2019, l’Armée Nationale Syrienne (ANS) a été constituée en unissant des groupes de l’ASL à d’autres, originaires de la région d’Idlib; et l’opération "source de paix" s’en est pris aux FDS à l’est de l’Euphrate, la Turquie contrôlant désormais la quasi-totalité de la frontière en coopération avec les forces russes. Depuis 2019, la Russie utilise l’aéroport de Qamichli (Kamechliyé), présence qui récemment est renforcée.
[4]. https://rocml.org/palestine-la-mystification-de-la-solution-des-deux-etats/
Un dossier est consacré à la Palestine :
https://rocml.org/home-ancien/dossiers/dossier-palestine/
[5]. https://legrandcontinent.eu/fr/2025/06/19/changer-de-regime-ou-de-geographie-comment-des-faucons-israeliens-projettent-le-grand-partage-de-liran/
[6]. V. I. Lénine, Troisième congrès des Soviets des députes ouvriers, soldats et paysans de Russie, 23-31 janvier 1918 – Rapport sur l’activité du Conseil des commissaires du peuple; Paris, Éditions sociales, 1967; tome 26, p 483.
[7]. V. I. Lénine, Le socialisme et la guerre; Paris, Éditions sociales, 1973; tome 21, p. 340
[8]. idem, p. 318.
[9]. idem, p. 314.
[10]. V. Staline, Comment poser la question nationale; Paris, Nouveau Bureau d’Éditions, 1980; tome 5, p. 56
La situation actuelle du système mondial capitaliste impérialiste
Puissances impérialistes dominantes, "Sud global"
et lutte pour le socialisme
LA VOIX DES COMMUNISTES, no 33, 2e semestre 2025 – p. 22‑27
Il est clair aujourd’hui que nous approchons d’un moment de bascule dans la géopolitique internationale compte tenu du développement de l’impérialisme à notre époque. L’hégémonie de ce que l’on appelle "l’Occident" est représentée en premier lieu par les USA comme seule "superpuissance" qui, depuis la dislocation de l’URSS en 1991, impose avec arrogance son "modèle" de développement et ses soi-disant "valeurs" par l’économie et par la guerre impérialiste. Or cette prédominance se voit remise en question par le développement d’autres puissances. Ces puissances qui se revendiquent volontiers du "Sud global" ou encore d’un monde "multipolaire" n’en sont pas moins elles aussi des puissances impérialistes/capitalistes qui aspirent à l’hégémonie. Leurs positions se sont suffisamment renforcées pour en faire des rivales potentielles des USA mais elles restent – pour le moment – isolément bien plus faibles qu’eux. Dans cette position elles cherchent des alliées pour remettre en cause le fonctionnement du monde et les rapports de forces, pour en tirer avantage dans la lutte pour l’hégémonie.
Là encore les lois du développement du capitalisme et ses contradictions internes sont à l’oeuvre : pour continuer d’engranger des profits élevés (maintenir les taux de profits du capital) face à un marché intérieur trop étroit pour lui, l’impérialisme exporte des capitaux dans les pays arriérés du point de vue du développement économique, et exploite au maximum les peuples et les ressources naturelles des pays où il agit. Mais en même temps cet export de capitaux développe de manière accélérée les pays concernés dans la voie du capitalisme. Et si l’impérialisme est conscient de cela et tente par tous les moyens de limiter la création d’un tissu économique cohérent et solide dans les pays sous sa domination, il n’en reste pas moins qu’une évolution de ces pays se produit. Ils acquièrent une connaissance technique et scientifique, une culture intellectuelle, un développement économique et politique qui s’uniformise au niveau de la nation et que consolide la création d’un marché intérieur de type capitaliste. Le développement actuel des pays dits du Sud ‑ qui ne s’engage pas sur la voie du socialisme révolutionnaire ‑ reste malgré tout un prolongement et même à certains égards un approfondissement de la lutte de libération et de décolonisation commencée après 1945. Contrairement à ce que les communistes ont parfois pensé après la 2e guerre mondiale, le capitalisme en crise face au socialisme ascendant à ce moment avait historiquement les moyens de continuer à se développer, bien que de manière parasitaire, grâce au développement générale de cette humanité "du Sud" désormais libre qui devenait un marché gigantesque pour les quelques puissances impérialistes occidentales. Celles-ci en ont tiré et tirent toujours d’énormes surprofits qui leur ont permis de museler et de corrompre les travailleurs et le mouvement ouvrier et communiste en métropole, mais aussi de manière plus violente dans les pays sous domination.
L’impérialisme, celui US en premier lieu, a su tirer profit de cette situation et aussi de la division du camp socialiste miné par le révisionnisme, pour assoir son hégémonie au niveau mondial alors que l’URSS perdait son caractère socialiste. Celle-ci, s’étant transformée en puissance social-impérialiste, devenait ainsi un concurrent direct dans le cadre de l’économie capitaliste.
Le "Sud global" et les "BRICS" actuels sont la preuve que cette situation est en train de changer en lien direct avec les mécanismes décrits plus haut. Mais l’on aurait tort de voir là, comme malheureusement beaucoup de militants, un monde multipolaire de nations libres et égales en droit, comme une nouvelle étape de l’humanité qui se débarrasserait par-là de l’impérialisme, voire même – selon les plus illuminés – du capitalisme.
Le tort de notre époque comme de celle immédiatement après 1945, c’est d’avoir cru et de continuer à croire que le capitalisme est arrivé au bout de son développement ‑ de penser que l’instabilité aujourd’hui chronique et toujours plus accentuée que traverse le capitalisme depuis des décennies (qui se matérialise par les crises économiques, politiques, les guerres, le banditisme, etc.) conduirait à ce qu’il s’écroule ou se transforme de lui-même. Cette conception est entièrement fausse et non marxiste. L’Histoire le démontre chaque jour un peu plus et pourtant on continue sous une forme ou une autre de lui prêter crédit. On continue de reléguer Lénine et son analyse de l’impérialisme à la marge comme un fait tout au mieux "historique", dépassé, alors même que la situation objective actuelle, loin de la contredire, lui donne au contraire raison. Ceux-là, tout en pouvant se réclamer du communisme ou seulement de l’anticapitalisme aujourd’hui confondent leur désir et la réalité, mélangent le subjectif et l’objectif et sont incapables, voire refusent simplement, de voir et comprendre la réalité de l’impérialisme aujourd’hui.
La réalité, c’est que le capitalisme, après la 2e guerre mondiale, est parvenu à surmonter la crise profonde dans laquelle il se trouvait. La lutte de libération des peuples colonisés aux quatre coins du monde ‑ par l’impérialisme anglais et français principalement, mais aussi belge, espagnol et portugais etc. ‑ a été un grand coup porté au système de l’impérialisme tel qu’il était organisé alors. Cela a rebattu les cartes, mais n’a cependant aucunement remis en cause le système capitaliste en lui-même. Au contraire, en se libérant de l’oppression coloniale les nouveaux États créés ont pu enfin librement (quoique sous influence néocoloniale) développer leur économie, c’est-à-dire leur marché intérieur quasiment inexistant avant l’indépendance. Dans leur position d’États faibles et arriérés sur les plans politique, économique et militaire ils sont restés, dans leur grande majorité, sous la tutelle de leur ancienne puissance coloniale ou se sont placés sous la domination d’une autre. Ce faisant ils sont devenus pour les grandes puissances impérialistes non plus seulement un réservoir de ressources naturelles à accaparer, mais aussi un nouveau marché pour écouler les productions et surtout investir les capitaux, ainsi qu’un réservoir de main-d’oeuvre à bon marché. Le mérite historique du mouvement communiste international, et notamment de l’URSS, de par l’influence énorme qu’il avait durant l’époque de son existence comme tel, c’est d’avoir hâté et soutenu la lutte émancipatrice des peuples opprimés par l’impérialisme. Mais il faut comprendre qu’à de rares exceptions près comme le Vietnam, ces luttes de libération ont été dirigées par la bourgeoisie nationale de ces États sur des bases nationalistes. Ces États se sont donc orientés soit volontairement soit de manière dirigée, vers un développement capitaliste bourgeois de leur économie et de leurs gouvernements.
À cela s’est ajouté la trahison révisionniste par la direction du PCUS en 1956, qui allait non seulement faire dégénérer l’URSS mais aussi diviser le mouvement communiste international, et entrainera l’écroulement de l’URSS et du même coup l’ouverture totale de son marché intérieur et l’accès à ses ressources. Puis les révisionnistes chinois ont entamé un processus similaire qui avait pour conséquence l’engagement complet de ce pays immense et peuplé dans la voie du développement capitaliste en courant après les capitaux occidentaux en échange de l’exploitation totale de ses travailleurs. C’est sur la base de ces évènements que le Capital international a pu établir et maintenir sa position dominante.
L’élargissement du marché mondial a permis au capitalisme de continuer à se développer sur la planète malgré son pourrissement, mais il n’a nullement supprimé ses contradictions internes et sa destinée historique, à savoir son renversement pour l’instauration du socialisme.
Les politiques de type néocolonialiste mises en place par les grandes puissances leur ont assuré les approvisionnements en matières premières bon marché, et l’exploitation d’une main d’oeuvre elle aussi bon marché, que ce soit dans les pays d’origine ou comme travailleurs immigrés dans les ex-métropoles. Cet état des choses est caractéristique de l’inégalité de développement entre les différents pays du globe qui est inhérente au développement capitaliste/impérialiste de l’économie. Il a permis aux grandes puissances, notamment aux puissances occidentales européennes, de maintenir des taux de profits élevés, en drainant à bas cout les matières premières et la main d’oeuvre immigré. Les surprofits engrangés n’ont pas servi seulement à l’enrichissement desdits capitalistes, mais aussi à financer les efforts pour le maintien du système capitaliste impérialiste tout entier. Ils ont été employés à corrompre les masses travailleuses en créant une aristocratie ouvrière entravée par des chaines dorées dont Marx déjà en son temps disait qu’elles étaient plus dures à casser. Ils ont mis des milliards de francs, de dollars, de livres etc. pour lutter contre l’URSS et les pays socialistes, pour corrompre les syndicats et les partis ouvriers, pour la publication et l’élaboration de journaux, de livres et de théories alambiquées qui avaient toutes pour point commun de combattre le marxisme-léninisme. On a concédé aux travailleurs des principaux pays impérialistes des miettes des surprofits tirés de l’exploitation du reste du monde, pour les neutraliser, les enfermer dans leur petit confort, tout cela dans le but précis d’émousser la lutte de classe au moment même où le mouvement communiste était devenu un danger mortel pour l’impérialisme. On a cherché à diviser la classe ouvrière sur des questions de nationalités et d’origines. Cette stratégie agressive mais pragmatique de l’impérialisme lui a permis de se maintenir en tant que système économique et politique dominant dans le monde jusqu’à aujourd’hui et de battre momentanément le socialisme. En premier lieu ce sont les puissances impérialistes historiques : USA, France, Royaume-Unis, Allemagne, Japon etc. qui ont retiré les fruits les plus juteux de cette politique de spoliation et d’oppression du reste du monde.
Cependant de nombreux pays capitalistes considérés comme des puissances secondaires voire carrément négligeables ont eux aussi profité de cette situation, pour se développer plus avant sur le plan économique, et cela jusqu’à devenir de sérieux concurrents régionaux, voire mondiaux aux grandes puissances en Amérique et Europe. Aujourd’hui le stade de développement atteint par des pays comme la Chine, l’Inde, et ‑ dans une moindre mesure du point de vue de la croissance économique ‑ de la Russie, du Brésil, de l’Indonésie, de la Turquie, de l’Iran et d’autres pays encore, entraine un accroissement des contradictions entre ces puissances ascendantes et les puissances descendantes de "l’Occident". Quelles sont ces contradictions? Parmi elles figurent l’accès aux matières premières stratégiques comme les hydrocarbures et les minerais rares, le contrôle des voies commerciales internationales, l’accès et la mainmise sur les marchés des autres pays pour y écouler leurs marchandises et y investir leurs capitaux aux dépens de leurs concurrents. Le but premier de la lutte en cours entre tous ces États capitalistes/impérialistes et qui se développe chaque jour un peu plus, c’est la lutte pour l’hégémonie mondiale, pour le repartage du monde de la manière la plus favorable pour eux. Aussi la politique de ces États ne saurait être autre chose que l’expression de leurs aspirations impérialistes et hégémonistes réciproques. Un repartage lent mais certain des sphères d’influences des grandes puissances est à l’oeuvre, et comme par le passé il nous conduit vers les crises et les guerres. Les plus criants exemples de cette lutte aujourd’hui se trouvent en Ukraine dans le conflit ouvert avec la Russie qui se bat pour maintenir son influence et garantir sa sécurité face à l’OTAN en Europe, ou encore au Moyen-Orient dans la guerre menée pour le compte des USA contre l’Iran par Israël, bourreau du peuple palestinien.
C’est une énorme erreur, malheureusement faite trop souvent par un certain nombre de militants progressistes, voire se revendiquant communistes, de voir dans cette lutte d’États "nouveaux" contre l’impérialisme occidental et US un caractère progressiste, de considérer comme "positif" l’éventualité qu’ils pourraient renverser l’hégémonie de l’impérialisme le plus puissant et néfaste de notre époque : l’impérialisme US. Certains voient par exemple dans la politique de la Chine qu’ils caractérisent même parfois de "socialiste" un caractère antiimpérialiste qu’il faudrait soutenir. Ce faisant, ils se placent à la remorque d’un impérialisme contre un autre. Les notions purement "diplomatiques" ou "géopolitiques" guident leur jugement sur une situation qu’il faut au contraire analyser sous l’angle marxiste-léniniste, véritablement révolutionnaire et prolétarien. Il y a effectivement une quantité infinie de différences de surface qui séparent par exemple, les USA de la République Populaire de Chine, ou encore la Russie de la France et de la Turquie : régime politique, diplomatie internationale, histoire, culture, structure de l’économie, militaire, etc. Nous pourrions débattre de ces points pendant longtemps sans pour autant avancer d’un pas dans notre compréhension sur le fond. Et c’est malheureusement sur ces points particuliers que s’écharpent les partisans du "Sud global" ou des "BRICS". Pour avoir une position juste, il faut avoir une vision claire de la situation et des évènements, les comprendre dans leurs interactions réciproques, comme un tout complexe mais toujours cohérent. C’est à cela que nous sert la science du marxisme-léninisme qui sait distinguer l’essence des phénomènes et en même temps saisir leur unité; et c’est notre science à nous, communistes, qui fait que lorsque nous savons en appliquer les principes vivants à la réalité qui nous entoure, nous frappons toujours juste et fort. Nous ne nous perdons pas dans les détails qui masquent la vérité aux travailleurs et les désarment de fait dans la lutte contre la bourgeoisie et l’impérialisme.
S’il est un fait objectif sur lequel nous nous accorderons, c’est que l’impérialisme le plus puissant à notre époque et cela depuis 1945 est représenté par les USA. Les USA sont la première économie du monde en chiffres brut avec un "Produit intérieur brut" (PIB) qui dépasse les 28.000 milliard de dollars, la première puissance militaire avec un budget militaire atteignant plus de 900 milliards de dollars en 2023 (plus que l’ensemble des dépenses militaires des 10 pays qui les suivent dans le classement international). Les monopoles capitalistes et les bases militaires US sont présents dans quasiment tous les pays du monde et jouent chacun à leur place leur rôle dans le maintien et l’affermissement de l’impérialisme US en tant que superpuissance hégémonique dominant l’économie et la politique mondiale. Il est incontestable que les USA constituent la force qui dans la pratique exerce la politique et l’influence le plus réactionnaire et contre révolutionnaire dans le monde aujourd’hui, et qu’il est de notre devoir de la combattre sur tous les terrains et par tous les moyens. Par ses actions en Ukraine, en Iran et son soutien inconditionnel au régime israélien, par sa menace ouverte contre ses concurrents impérialistes en recourant à la guerre par procuration et jusqu’à l’intervention militaire directe contre des États considérés souverains, la politique US actuelle revêt un caractère particulièrement agressif, qui résulte d’une aggravation des contradictions interimpérialistes et qui se manifeste aussi bien en matière de politique extérieure qu’à l’intérieur des USA.
Il est aussi vrai qu’aujourd’hui cette hégémonie vieille de 80 ans est remise en cause et combattue par un certain nombre de puissances, en particulier la Chine, deuxième économie capitaliste derrière les USA, ainsi que ses alliés réunis dans l’alliance économique des "BRICS". C’est sur ce fait particulier que nos opinions divergent avec la plupart des partis ou groupes se revendiquant antiimpérialistes. Nos analyses sont fondamentalement différentes en ce que la nôtre s’appuie sur le marxisme-léninisme et la leur sur des théories partielles et inexactes. Nous, communistes, voyons dans cette opposition entre les USA et leurs alliés, principalement le Royaume-Uni, l’UE et le Japon d’une part et les "BRICS" d’autre part une lutte entre deux alliances de nations impérialistes, capitalistes pour le repartage du monde. Les autres y voient une vulgaire lutte entre un groupe de nations qu’ils reconnaissent impérialistes (USA, R-U, UE, Japon etc.) et un autre groupe de nations, qui pour des raisons différentes selon les théories développées par ces partis ou groupes serait "antiimpérialiste" pour la simple raison qu’il serait opposé à l’impérialisme actuellement dominant.
Sur cette base un grand nombre de militants et d’organisations progressistes, et même certains "marxistes", ont fait leur la théorie chinoise, partagée en principe par les "BRICS" et même l’ensemble du "Sud global", selon laquelle il est temps de rénover les relations internationales sur la base du multilatéralisme, vers la création d’un monde dit "multipolaire" en opposition au monde actuel qui serait lui "unipolaire". L’élargissement des "BRICS" vers d’autres pays dits du Sud et le renforcement des puissances qui composent cette alliance serait d’après eux le meilleur moyen de lutter contre l’impérialisme et d’assurer la souveraineté et l’égalité des États et des peuples au niveau international. En raisonnant de la sorte on se place purement et simplement à la remorque de la politique de l’impérialisme chinois et des autres puissances qui composent les "BRICS", on sombre dans un opportunisme mortifère du fait qu’on ne parle pas du système économique sur lequel évoluent et se développent l’ensemble des pays du monde et plus particulièrement encore les grandes puissances impérialistes. On nie le caractère capitaliste du développement des ces pays, ce faisant on exclut totalement le rôle de la lutte des classes et du mouvement révolutionnaire auxquels on substitue de manière simpliste une lutte pour le droit des nations.
On se rapproche des erreurs de la Deuxième Internationale et de Kautsky sur les alliances "ultraimpérialistes" censées surmonter les contradictions entre les grandes puissances et assurer la paix, ou bien de la théorie chinoise "des trois mondes", dans laquelle avait été introduite la notion de hiérarchie entre impérialistes, les uns étant mauvais et les autres bon. À la base de cette théorie non marxiste, Mao Tsé-Toung substituait à la lutte de classe des considérations purement bourgeoises de géopolitique.
Lénine disait déjà il y a plus d’un siècle dans son livre "L’impérialisme stade suprême du capitalisme" au sujet de ce genre d’alliances impérialistes quelque chose de tout à fait juste en son temps et encore applicable à notre époque à savoir[1] :
Est-il "concevable" de supposer, le régime capitaliste subsistant[…], que ces alliances ne soient pas de courte durée, qu’elles excluent les frictions, les conflits et la lutte sous toutes les formes possibles et imaginables?
Il suffit de poser clairement la question pour voir que la réponse ne peut être que négative. Car il est inconcevable en régime capitaliste que le partage des zones d’influence, des intérêts, des colonies, etc., repose sur autre chose que la force de ceux qui prennent part au partage, la force économique, financière, militaire etc. Or, les forces respectives de ces participants au partage varient d’une façon inégale, car il ne peut y avoir en régime capitaliste de développement uniforme des entreprises, des trusts, des industries, des pays. L’Allemagne était, il y a un demi-siècle, une quantité négligeable, par sa force capitaliste comparée à celle de l’Angleterre d’alors; il en était de même du Japon comparativement à la Russie. Est-il "concevable" de supposer que, d’ici une dizaine ou une vingtaine d’années, le rapport des forces entre les puissances impérialistes demeurera inchangé? C’est absolument inconcevable.
Remplacez l’Allemagne par la Chine et l’Angleterre par les USA et vous aurez l’impression que cet extrait a été écrit aujourd’hui. Évidemment les rapports de forces entre les différents pays de la planète, et plus encore entre les différents impérialismes, évoluent constamment, et comme l’Allemagne à la fin et au début du 20e siècle, la Chine est devenue au cours du premier quart du 21e siècle une puissance impérialiste avec laquelle, du point de vue des puissances concurrentes, il faut désormais jouer des coudes. Il en est de même pour tout un tas d’États grands et petits qui ont soit gagné, soit perdu en puissance et/ou en importance stratégique. On peut donc voir de manière assez claire un antagonisme marqué se développer de la même manière qu’au début du 20e siècle entre la puissance impérialiste dominante et ses alliés (Angleterre-France/USA-UE) et une puissance impérialiste montante associée à un groupe d’alliés (Allemagne-Autriche-Hongrie/Chine-Russie). Quelles que soient les évolutions politiques, idéologiques ou encore "civilisationnelles" survenues entre ces deux périodes historiques, il n’en reste pas moins un point commun entre tous ces États et ces deux époques : le capitalisme constitue la base économique et politique du développement de ces pays et que par conséquent ils sont sous l’influence des mêmes lois inhérentes à ce système économique. De la même manière qu’il y a près de 100 ans en arrière, il se profile actuellement le spectre d’une nouvelle guerre impérialiste mondiale; de la même manière, la victoire d’un impérialisme sur un autre ne pourra rien amener de bon à la cause du socialisme et aux peuples du monde; et enfin de la même manière la seule tâche des communistes dans ces condition ne pourra être autre chose que la lutte sans concession contre l’impérialisme au sens universel du terme, pour transformer la guerre impérialiste en guerre civile révolutionnaire. Se placer du côté d’un impérialisme ou de l’autre, sous un quelconque prétexte bourgeois, c’est trahir la cause de la révolution et du socialisme, et cela aussi malheureusement s’est déjà vu.
Il est un dernier point que nous voudrions développer, et qui porte sur une des particularités trop sous-estimée à notre sens de l’impérialisme au 21e siècle, c’est la quantité d’États qui sont désormais partie prenante au partage du globe, soit en tant que grande puissance impérialiste (USA, Chine, Russie etc.) soit en tant que puissance plus faible que l’on qualifie parfois d’impérialisme "régional" (Turquie, Iran, Brésil etc.). Même si la deuxième catégorie reste souvent fortement sous la dépendance ne serait-ce que partielle de la première, elle est désormais en mesure, au vu de son développement économique, politique et militaire, de demander sa part du gâteau, et cela change beaucoup de choses. Notamment c’est un facteur de plus de l’aggravation de la situation économique du capitalisme au niveau mondial et de la montée des tensions internationales, parmi elles le risque de guerres et de la réaction à l’intérieur des États, notamment des États impérialistes[2] :
L’impérialisme est l’époque du capital financier et des monopoles, qui provoquent partout des tendances à la domination et non à la liberté. Réaction sur toute la ligne, quel que soit le régime politique, aggravation extrême des antagonismes dans ce domaine également : tel est le résultat de ces tendances. De même se renforcent particulièrement l’oppression nationale et la tendance aux annexions, c’est-à-dire à la violation de l’indépendance nationale (car l’annexion n’est rien d’autre qu’une violation du droit des nations à disposer d’elles-mêmes).
Le développement de ces tendances de l’impérialisme s’applique aussi à ces nouvelles puissances de moindre importance entrées en scène à notre époque, et cela par le fait même que le capitalisme et l’impérialisme étranger lui-même ont participé directement, bien que sans le vouloir, à cette évolution. Un peu plus loin Lénine cite Hilferding en disant[3] :
Hilferding note très justement la liaison entre l’impérialisme et le renforcement de l’oppression nationale. "Pour ce qui est des pays nouvellement découverts, écrit-il, le capital importé y intensifie les antagonismes et suscite contre les intrus la résistance croissante des peuples qui s’éveillent à la conscience nationale; cette résistance peut facilement aboutir à des mesures dangereuses dirigées contre le capital étranger. Les anciens rapports sociaux sont foncièrement révolutionnés; le particularisme agraire millénaire des "nations placées en marge de l’Histoire" est rompu; elles sont entraînées dans le tourbillon capitaliste. C’est le capitalisme lui-même qui procure peu à peu aux asservis les voies et moyens de s’émanciper. Et la création d’un État national unifié, en tant qu’instrument de la liberté économique et culturelle, autrefois but suprême des nations européennes, devient aussi le leur. Ce mouvement d’indépendance menace le capital européen dans ses domaines d’exploitation les plus précieux, ceux qui lui offrent les plus riches perspectives; et il ne peut maintenir sa domination qu’en multipliant sans cesse ces forces militaires."
Aujourd’hui ce processus est beaucoup plus avancé qu’à l’époque où ces lignes ont été écrites, et dans un monde fini ‑ autant du point de vue géographique qu’en ce qui concerne les ressources naturelles ‑ l’arrivée de ces nouveaux venus (nous avons cité des États comme la Turquie ou l’Iran, mais encore l’Indonésie, le Vietnam, l’Afrique du Sud, l’Arabie Saoudite, le Maroc etc. et bientôt un certain nombre d’États d’Afrique noire, très en retard car restés bien plus longtemps sous le joug néocolonial quasi exclusif de leurs anciennes métropoles) provoque déjà une profonde accentuation de la crise du système de l’impérialisme. Car pour assurer leur hégémonie et leurs énormes surprofits permettant l’accroissement constant de la force militaire et le maintien de la corruption d’une couche suffisante du prolétariat et des travailleurs en général, les grandes puissances impérialistes ne peuvent pas se permettre de faire de véritables concessions à ces nouveaux États capitalistes qui se renforcent et entendent bien prendre leur part. Il va donc de soi que le développement de ces pays ne pourra se faire qu’au détriment des grandes puissances impérialistes, qu’il s’agisse des USA, de l’UE ou même de la Chine. Ce développement entrainera toujours plus de tension sur les ressources stratégiques et sur tout un tas d’autres ressources qui gagneront vite en importance au cours de ce siècle; il aggravera aussi la crise des débouchés pour l’écoulement des marchandises venant des principales puissances impérialistes industrialisées, car en se développant ces États seront en mesure de fournir peu à peu une partie importante de leur marché intérieur. Cette situation en train de se créer actuellement devrait inévitablement conduire à de très graves tensions et des conflits militaires encore plus importants au sein de l’impérialisme dans les prochaines années, et en même temps aggraver la situation économique et matérielle des travailleurs des grandes puissances actuelles, qui vivent bien au-dessus de leur moyen grâce à l’exploitation perpétuée depuis 150 ans sur le reste des peuples de la planète[4] :
Si l’on n’a pas compris l’origine économique de ce phénomène, si l’on n’en a pas mesuré la portée politique et sociale, il est impossible d’avancer d’un pas dans l’accomplissement des tâches pratiques du mouvement communiste et de la révolution sociale à venir.
[1]. V. I. Lénine, "L’Impérialisme, stade suprême du capitalisme" (avril 1917); Oeuvres, tome 22, Paris, Éditions sociales, 1960; p. 318.
[2]. Op. cit., p. 320
[3]. ibid.
[4]. Op. cit. ‑ Préface aux éditions française et allemande (juillet 1920); p. 211.
Les travailleurs face à l’État et face à la société
LA VOIX DES COMMUNISTES, no 33, 2e semestre 2025 – p. 12‑21
La société en France est basée sur les rapports sociaux de production capitalistes. La théorie marxiste-léniniste analyse la situation des travailleurs dans ce cadre en tant que classe exploitée par la classe capitaliste, laquelle est la classe dominante dans cette société. Cependant, la vision subjective largement répandue parmi les travailleurs fait que chacun se situe ‑ plus ou moins ‑ dans la vision idéologique que s’efforce d’imposer et de maintenir la bourgeoisie selon sa propre conception.
Les considérations qui suivent tentent de mettre en lumière quelques problèmes qui se posent à ce sujet.
Impérialisme – Interdépendance
Dans le cadre d’une société capitaliste, le gouvernement représente fondamentalement les intérêts du capital. À première vue, cela signifie que le gouvernement veille aux intérêts de l’ensemble des entreprises capitalistes existantes sur le territoire concerné.
Mais il s’agit avant tout du capital impérialiste, c’est-à-dire des groupes transnationaux à caractère monopolistique. Les intérêts de ce capital impérialiste sont déterminés non seulement par le cadre national de ce qui est considéré comme leur pays d’origine, mais aussi au même titre par le contexte international en fonction de leurs implantations dans divers pays du monde. Par conséquent le gouvernement d’un pays impérialiste est amené à défendre les intérêts de tout un réseau de capitaux d’extension mondiale. À cet égard ce gouvernement joue le rôle d’un ambassadeur à l’étranger des capitalistes concernés. Parallèlement, un pays impérialiste accueille aussi des implantations de capitaux provenant d’autres puissances impérialistes. Ce qui vient d’être exposé s’applique donc également, de façon réciproque, du point de vue de ces autres pays et de leurs gouvernements. Évidemment, les "intérêts", selon les périodes et les contextes, peuvent revêtir un caractère d’avantages mutuels ou d’hostilité entre rivaux.
Pour illustrer la situation, on peut évoquer l’exemple de Sanofi, dans le secteur pharmaceutique. Créée en 1973, la société Sanofi est issue d’une scission de la société pétrolière Elf Aquitaine. Au fil des années, Sanofi a réalisé de nombreuses acquisitions, notamment aux USA celle de l’entreprise Sterling Winthrop en 1994. En 2004 est effectuée la fusion entre Sanofi et Synthelabo donnant naissance à Sanofi-Aventis, qui devient le premier groupe pharmaceutique français et le troisième au niveau mondial.
Il se trouve qu’avec Donald Trump comme président, le gouvernement US vise à rendre l’accès à la santé plus accessible en réduisant les couts des soins, ce qui implique une pression accrue sur les prix et les pratiques commerciales des laboratoires aux USA. Or, le marché US est le plus grand au monde, représentant plus de la moitié du chiffre d’affaires global de l’industrie pharmaceutique. À terme, des mécanismes de négociation pourraient être mis en place pour fixer les prix des médicaments. Les grands groupes pharmaceutiques devront développer de nouvelles approches, dans lesquelles les USA ne porteraient plus nécessairement leur croissance. Néanmoins, sous l’effet des mesures déclarées par Trump en matière de tarifs douaniers, les groupes pharmaceutiques implantés aux USA peuvent envisager de renforcer leurs activités sur place. En avril dernier, le suisse Roche, numéro deux mondial du secteur, avec près de 65 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2024, a annoncé un investissement de 50 milliards de dollars (43,9 milliards d’euros) aux USA au cours des cinq prochaines années. Le groupe compte actuellement près de 26 % de ses effectifs aux USA, où il réalise 48 % de ses ventes annuelles.
L’interconnexion des structures impérialistes opère aussi ‑ vue de la France ‑ dans l’autre sens. Le président Emmanuel Macron se plait à "promouvoir la ré-industrialisation" de la France. Cela peut se résumer dans le slogan "vive le Made in France", mais il faut noter la signification du "en France". Ainsi par exemple, en 2023, on peut lire dans la presse à propos du groupe chinois BYD, constructeur d’automobiles : "BYD souhaite implanter une usine en Europe. Le gouvernement [français] tente de séduire la marque chinoise pour une installation en France." Cet espoir sera finalement "déçu", en mai 2025 BYD choisit la Hongrie pour implanter son centre européen et promet 2.000 emplois. Cependant, en juin 2021 Macron avait annoncé l’implantation d’une future usine de batteries à Douai sur le pôle nordiste de voitures électriques Renault d’ElectriCity. Les commentaires de la presse à l’époque étaient marqués de sarcasme : "Le Chef de l’État donne ainsi lieu à un concert quasi-unanime d’auto-congratulations politico-médiatiques… Accompagné de tout un aréopage de ministres ‑ Gérald Darmanin, Intérieur, Agnès Pannier-Runacher, Industrie et Franck Riester, Commerce extérieur ‑, le président de la République a vanté deux milliards d’euros d’investissement pour créer 1.000 emplois sur place d’ici à 2025 et 2.500 d’ici à 2028. Avec à la clé plus de 200 millions d’euros d’argent public aux côtés des industriels." En effet cette opération était globalement mal accueillie par les représentants de l’industrie automobile ; "Il ne faut pas être naïf, c’est une… défaite de l’industrie auto européenne! Car, le fabricant de batteries est le conglomérat énergétique chinois Envision, qui avait repris les activités de batteries à Nissan en aout 2018."
Ces exemples montrent que, pour un gouvernement d’un pays donné, se préoccuper "des intérêts du capital" nécessite une approche complexe pour déterminer de quels intérêts il s’agit concrètement et comment agir à l’égard des autres pays parties prenantes du réseau d’investissements transnationales croisés.
(Avertissement : Les considérations ci-dessus peuvent paraitre sans rapport avec le titre du présent texte. Mais elles sont destinées à éclairer certains commentaires figurant plus loin. Par exemple à propos de Sophie Binet ‑ élue secrétaire générale de la CGT au dernier congrès confédéral, en mars 2023 ‑, qui est outrée parce que "l’industrie est victime de la démission de l’État" et que "les grands patrons, aujourd’hui, coulent le pays […] Les rats [les grands patrons] quittent le navire".)
Reste à savoir quelle place, dans cette constellation, revient aux populations. La théorie marxiste-léniniste montre qu’essentiellement, la population présente dans un pays est soumise au pouvoir formé par l’union entre la classe capitaliste et l’appareil d’État. Ce dernier se compose notamment du gouvernement, des organes administratifs, des forces armées et des forces de l’ordre. Au-delà de l’appareil d’État proprement dit, ce pouvoir s’appuie sur diverses couches de la bourgeoisie telles que des avocats, des cabinets d’étude et de conseil. Quant aux institutions législatives, leur rôle est diversement analysé selon les points de vue; il en sera question plus loin.
Toutefois, puisque du côté du pouvoir dominant se trouve la classe capitaliste, l’affrontement avec ce pouvoir repose essentiellement sur la classe ouvrière. Le sort des personnes appartenant aux autres couches sociales est lié ‑ implicitement ou selon un choix effectué consciemment ‑ à l’une ou à l’autre de ces deux classes antagoniques.
Il faut affronter la domination de la classe capitaliste ‑ comment ?
Le militantisme antifasciste
Historiquement le terme fascisme est apparu avec les régimes dictatoriaux instaurés en Italie (1926) et Allemagne (1933). Littéralement il est dérivé du nom des groupes paramilitaires créés en mars 1919 par Benito Mussolini (Fasci italiani di combattimento), qui allaient former l’embryon du futur Parti national fasciste. Depuis il sert en premier lieu pour désigner des régimes considérés comme similaires à ces deux cas historiques. Mais il a pris aussi une signification plus large, en incluant non seulement des régimes, en fonction de leurs caractéristiques, mais aussi des forces politiques qui prônent des objectifs pouvant aller dans un sens comparable.
Ainsi, en France il existe un grand nombre de groupes se disant "antifascistes", disséminés sur le territoire, mais se concevant comme membres d’une même mouvance. C’est ce qui se reflète dans le slogan répandu "Siamo tutti antifascisti!" ("Nous sommes tous antifascistes", en italien), accompagné du geste rituel de taper dans les mains de façon rythmée. L’intention est de créer une ambiance de "tous ensemble" autour de l’antifascisme, mais cela relève de la même exaltation sentimentale que le "ACAB" (All cops are bastards, c’est-à-dire Tous les flics sont des salauds) coutumière chez les "autonomes".
Les mots d’ordre exhibés dans les manifestations peuvent être sérieux à divers degrés. Les exemples qui suivent proviennent de sources syndicales[1]. Certains évoquent la question du capitalisme : "Derrière le fascisme se cache le capital, la lutte antifasciste est internationale!", "Contre le fascisme, et la misère, C’est la lutte sociale, qui est nécessaire!". Mais dans l’ensemble, en matière d’"antifascisme" il s’agit souvent simplement de dénoncer "l’extrême droite et ses idées" (avec ou sans mention du capitalisme) : "Contre les agressions xénophobes et racistes – riposte sociale, antifasciste", "Y en a assez, assez, assez de cette société!, Qui fiche les militant-e-s, expulse les sans-papiers!", "À bas le patriarcat, le capitalisme et le racisme d’État!". Par ailleurs, la référence au fascisme peut être dénaturé par des formulations peu rigoureuses : "Pas de fachos dans nos quartiers, pas de quartier pour les fachos!".
Certains parmi les groupes antifascistes prennent soin de se démarquer explicitement de la catégorie stéréotypée d’"autonome" accolée à tort ou à raison à d’autres. C’est le cas de "La Jeune Garde antifasciste". Voici des extraits d’un texte de présentation provenant de l’organisation elle-même, au moment de sa création en janvier 2018 [2] :
[…]. Nous ne nous reconnaissons pas dans la stratégie de lutte antifasciste autonome qui, de notre point de vue, a permis la création d’une subculture antifasciste dite "antifa". […] Se revendiquer d’un antifascisme de lutte des classes qui se différencie de la stratégie "antifasciste autonomes", c’est comprendre que la victoire sur le fascisme n’est pas possible à l’intérieur de la société capitaliste. Seul le renversement de la société capitaliste pourra permettre de le vaincre définitivement. […] Le capitalisme perdure, sous le fascisme, dans sa forme la plus radicale. […] Nous devons donc lutter sur chacun de ces fronts pour faire reculer ces idées réactionnaires. Pour autant, il est nécessaire de ne pas tomber dans une lutte de « valeurs », qui tiendrait d’un antifascisme "humaniste" déconnecté des réalités économiques, sociales et matérielles. Le but [est …] d’appréhender […] les groupes fascistes comme les ennemis des classes populaires et les alliés des classes dominantes. […] Nous devons chercher l’union de toutes les organisations révolutionnaires ou démocrates, communistes et anarchistes, mais aussi des organisations de masse défendant les intérêts des travailleurs et des travailleuses comme dans les syndicats, les organisations communautaires, antiracistes, féministes et LGBTQI+…
Les limites de cette orientation prétendument "anticapitaliste" apparaissent clairement avec le personnage de Raphaël Arnault, qui était à l’origine de la création du groupe et qui joue toujours un rôle de premier plan dans l’activité de celui-ci.
Aux élections législatives de juin 2022, il s’était présenté dans la 2e circonscription du Rhône sous l’étiquette du Nouveau parti anticapitaliste (NPA), avec comme suppléante une adhérente de cette organisation. Pour les élections de juillet 2024, en étant investi par La France insoumise (LFI), il a été élu dans la 1re circonscription du Vaucluse avec 55 % des voix, tandis que la députée sortante du Rassemblement national (RN) a obtenu 45 %. Parmi ses prises de position, on peut mentionner un message sur les réseaux sociaux, le 7 octobre 2024 : "La résistance palestinienne a lancé une offensive sans précédent sur l’État colonial d’Israël." Il a été convoqué par la police judiciaire pour "apologie du terrorisme" ‑ suite à quoi il a supprimé le message, en expliquant : "Au vu des horreurs qui se sont manifestées le 7 octobre, on comprend qu’il puisse y avoir de l’incompréhension autour de ce communiqué."
La Jeune Garde met en avant l’emblème composé de trois flèches partant d’en haut, à droite pour aller vers le bas, à gauche. Ce graphisme est repris d’une propagande impulsée au début des années 1930 en Allemagne par le Parti social-démocrate (SPD). À l’époque les trois flèches visaient respectivement une couronne, une croix gammée, ainsi que le symbole marteau/faucille sur fond d’une étoile rouge. Le titre était "Contre Papen, Hitler, Thälmann". Franz von Papen a été nommé Chancelier (Reichskanzler) en juin 1932, de février 1933 à juin 1934 il était Vice-chancelier avec Hitler comme Chancelier. Paul von Hindenburg était Président de 1925 jusqu’à son décès en aout 1934; il incarnait la continuité de l’esprit impérial. Ernst Thälmann était Président du Parti communiste d’Allemagne (KPD). Il faut noter que les commentaires actuels sur l’utilisation du symbolisme déforment la signification d’origine de la troisième flèche : prétendument elle visait le "stalinisme" ‑ c’est que ceux qui reprennent le graphisme se sentent honteux à l’idée qu’on pourrait les identifier comme anticommunistes déclarés, comme c’était le cas du SPD.
On constate qu’en matière d’"antifascisme", l’éventail des variantes peut être large, entre militantisme "thématique" plus ou moins radical et réformisme jusqu’au bout. Ainsi, sous le titre "Nous, antifascistes de toute la France, appelons à construire un front uni de résistance", on lit[3] :
[…] nous ne prétendons à aucune hégémonie sur ce que pourrait être la lutte antifasciste. Elle est l’affaire de tous et toutes, et nos différents groupes ne constituent que des choix de réponses, d’outils et de structuration dans une "boîte à outils de lutte" qui en comporte beaucoup d’autres. Cela dépasse de loin le seul monde militant : c’est l’intégralité du prolétariat et du peuple qui est menacé, en particulier les minorités qui sont les premières cibles, qu’il s’agisse des personnes racisées, appartenant à la communauté LGBTQIA+, habitant•e•s des territoires coloniaux français ou alors ouvrier•e•s.
Une formulation qui apparait dans cet appel (et ici et là ailleurs) fait ressortir la confusion principale inhérente à ces conceptions :
Les groupes antifascistes dont nous faisons partie sont engagés contre l’extrême droite et se battent pour une société différente dont la solidarité, l’anticapitalisme, la lutte contre toute forme de ségrégation et la justice sociale sont les piliers. [C’est nous qui soulignons – ROCML.]
Une société quelconque peut se caractériser selon différents critères. Si on utilise les qualificatifs "socialiste" et "capitaliste", c’est l’un ou l’autre. Parler d’une "société anticapitaliste" est une absurdité. Cette formulation est un symptôme de l’esprit d’indécision et de flottement propre aux couches sociales qui l’emploient.
Toutefois, il y a des partisans d’une conception stricte de l’anarchisme, qui mettent des points sur les i. Voici des extraits d’une brochure intitulée "L’Anarchisme contre l’antifascisme"[4] :
Depuis 1945 règne dans les pays anciennement fascistes un mythe structurant. Ce mythe est le mythe de la libération de 45, c’est le mythe antifasciste, […].
[…] Il suffit que le principe d’autorité surgisse pour qu’un contrat plus ou moins forcé, qu’il soit "laxiste" ou entièrement coercitif, soit scellé par ceux qui détiennent le moindre pouvoir et ceux que la faiblesse matérielle et sociale encage aux confins de la domination.
1. Attaquer dans le but de causer des dégâts au pouvoir et jeter le désordre en son sein pour l’affaiblir tant idéologiquement que matériellement; 2. Accentuer les conflictualités pour tracer des lignes de démarcation nettes et belliqueuses entre les partisans de la liberté sans concession et les partisans de la domination et du pouvoir. – Ces deux moyens ont toujours été de façon complémentaire et pour beaucoup d’anarchistes, des cartes à jouer pour assouvir notre faim effrénée de liberté.
Seulement, ils sont moins nombreux, ceux qui identifièrent leur ennemi irréconciliable avec justesse, ceux pour qui la bête immonde à abattre était le pouvoir, et non le mode de gestion du pouvoir, aussi fasciste soit-il. […]
Voilà pourquoi nous ne sommes pas antifascistes. Notre anarchisme est de fait antifasciste puisque le fascisme n’est qu’un énième mode de gestion, certes plus violent, plus spectaculaire et plus identifiable de la domination. Mais l’anarchisme est un courant qui a toujours su identifier ses ennemis : l’État et la domination, qu’ils soient fascistes, antifascistes, démocrates ou communistes, ou prétendument anarchistes. [C’est nous qui soulignons – ROCML.]
Cet exposé est clair et net. La conclusion à en tirer aussi (sauf, paradoxalement, pour les auteurs). Il faudrait pouvoir prohiber que "le principe d’autorité surgisse", c’est-à-dire, soit vivre solitaire, reclus du moindre contact humain, soit convaincre instantanément et simultanément l’humanité toute entière à se convertir aux préceptes de l’anarchisme.
Laissant donc de côté les adeptes conséquents de l’anarchisme doctrinaire, il est certain que le champ du "danger fasciste" et des "idées de l’extrême droite" doit être intégré dans le combat dit "anticapitaliste". Mais puisque fondamentalement il s’agit du combat pour l’abolition des rapports sociaux de production capitalistes et l’instauration de rapports sociaux de production socialistes, les positions et orientations adoptées par les groupes "antifascistes" dont il est question ici manquent à la fois de clarté dans les idées et d’impact effectif sur la réalité.
L’écologie
La question de l’écologie est abordée ici parce qu’elle fait partie des préoccupations des organisations syndicales, notamment de la CGT ‑ ce dernier aspect sera traité plus loin.
À la différence du thème de l’"antifascisme", celui de l’écologie est intégré directement, comme élément central, dans le programme de certains partis politiques. C’est le cas en premier lieu en France pour "Les Écologistes" (fondé en 1984 comme "Les Verts", devenu "Europe-Écologie-Les Verts" en 2010, la dénomination actuelle date de 2023).
Par ailleurs existent des mouvements spécifiquement consacrés à la question de l’écologie. Historiquement la mise en avant de cette thématique est associée en bonne partie à des conceptions anarchistes ou libertaires. Globalement, au-delà des groupes organisés, les (pseudo‑)réflexions à ce sujet fleurissent jusqu’à l’absurde, maniant allègrement des (pseudo‑)concepts : "civilisation industrielle", "individu écologique",… Michael Löwy (décrit comme "sociologue et philosophe marxiste franco-brésilien, directeur de recherche au CNRS") invente l’"écosocialisme", qu’il conçoit comme "rupture avec les fondements de la civilisation capitaliste industrielle occidentale moderne". En général les réflexions "critiques" tournent autour du pot, par exemple[5] :
On devine que ce qui est en jeu dépasse un cadre exclusivement économique, car il touche au devenir de la société, dans laquelle les interrogations sur la propriété, le pouvoir, les choix publics, les rapports sociaux dans leur ensemble s’entremêlent. C’est dire que la logique du capitalisme est en question car elle semble peu compatible avec l’écologie.
Le mouvement ouvrier est confronté en permanence aux agissements de ce qu’on appelle le "réformisme", qui oeuvre en faveur d’un changement profond réalisé sans violence dans le cadre institutionnel existant. Au fond, la vision écologiste constitue un réformisme à prétention universelle : elle pense pouvoir "dépasser" l’idée de réformer ‑ sans l’abolir ‑ le capitalisme, et propose de transformer la civilisation à l’échelle planétaire en agissant directement sur la société humaine.
Certains promoteurs de l’écologie se permettent des combinaisons incongrues, pour ne pas dire honteuses, dans leur activisme. Greta Thunberg est connue pour avoir participé au lancement du mouvement écologiste "Fridays for Future". Le 11 octobre 2024 à Milan, dans le cadre d’une "grève nationale en faveur du climat" organisée par Fridays for Future à travers l’Italie, elle était en tête du cortège d’une manifestation, arborant un keffieh, l’écharpe traditionnelle palestinienne.
"Défendre les libertés" – une consigne floue
Défendre des libertés signifie s’opposer à une menace visant des cas concrets du domaine général des libertés.
Pour le travailleurs il s’agit en premier lieu des libertés syndicales (liberté d’organisation, de revendication, de grève, de manifestation etc.) Au-delà, ils peuvent être concernés par des enjeux qui dépassent ce cadre spécifique. C’est le cas notamment au sujet du Rassemblement National pour autant que par la perspective de son éventuelle arrivée au gouvernement, le RN constitue un danger pour les libertés.
Cependant le cas de la liberté d’expression montre que certains aspects de la question peuvent être complexes.
La revendication de la "liberté d’expression" formulée telle quelle convient aux "libertaires". En dehors de cette défense prétendument inconditionnelle de la liberté d’expression, les enjeux sont plus précis : les travailleurs défendent la liberté d’exprimer leur opinion concernant la société capitaliste, les révolutionnaires défendent la liberté d’exprimer leurs objectifs politiques.
L’ample champ des réseaux sociaux comme moyen de communication publique met en évidence la question fondamentale : liberté pour qui ? en excluant qui ? Demander aux gestionnaires d’un réseau social de n’effectuer aucune censure revient entre autre à se faire complice de la propagande réactionnaire. Il faut au contraire demander à ce que la propagande réactionnaire soit censurée sachant que cela signifie demander une restriction de la liberté d’expression. Par ailleurs il faut exiger du gouvernement de renoncer, par exemple, aux restrictions de la liberté d’expression qu’il impose à ceux qui défendent la lutte de libération nationale du peuple palestinien ‑ acte classé comme "apologie du terrorisme".
La CGT
Dans la société basée sur les rapports sociaux de production capitalistes, les travailleurs sont fatalement en conflit avec le pouvoir établi, tel qu’identifié plus haut. Ils sont poussés à s’y opposer d’une façon ou d’une autre, individuellement et collectivement. Au stade actuel de la lutte de classe en France, l’instrument principal dont les travailleurs disposent à cet égard est la CGT. Les partis politiques représentés au parlement, ainsi que les autres organisations syndicales, sont tous associés, directement ou indirectement, au maintien de ce pouvoir et de la société capitaliste.
Quant à la CGT, cette caractérisation comme "instrument" pour les travailleurs dans leurs luttes doit impérativement être accompagnée d’explications concernant les limites et les défauts des orientations et des actions associées à la CGT.
Les niveaux de conscience concernant la lutte à mener par les travailleurs ‑ comme membres de la classe ouvrière exploitée contre la classe capitaliste exploiteuse ‑ sont variés, autant parmi les syndicalistes de base que parmi les responsables intermédiaires et les dirigeants confédéraux. Pour formuler quelques indications en ce sens, on peut se référer aux prises de position de Sophie Binet. (Les remarques qui suivent s’appliquent en bonne partie également aux secrétaires généraux précédents.)
D’emblée, certaines formulations relèvent d’une vision globalement erronée face à la réalité.
"L’industrie est victime de la démission de l’État"[6]. C’est nier la nature de l’État tel qu’il est dans le cadre de la société capitaliste : l’existence même de l’appareil d’État ainsi que toute son action se déploient en synergie avec la domination du capital et les intérêts de celui-ci. Ainsi la façon dont Sophie Binet se représente la situation est totalement hors des réalités[7] :
(à 1:34) […] des grands patrons, aujourd’hui, qui coulent le pays, ils n’en ont plus rien à faire de la France, ils n’en ont plus rien à faire de l’intérêt général, leur seul objectif c’est l’appât du gain. […] Les rats quittent le navire.
Certes, des grands capitalistes peuvent exprimer des mécontentements à l’égard du gouvernement et peuvent proférer des menaces qu’ils mettent éventuellement à exécutions. Mais "loin des yeux" ne signifie pas forcément "loin du coeur", des bons offices peuvent s’échanger à distance, surtout dans le cadre du capitalisme impérialiste mondial. Toutefois la synergie en question implique d’assurer que les rapports sociaux propres au pays concerné ‑ la France dans notre cas ‑ restent capitalistes. Quant aux responsabilités qui en dérivent pour le gouvernement français, les aspects sont multiples. Les qualités de vie pour les travailleurs en France n’en font évidemment pas partie.
La tonalité de ce "constat" de la part de Sophie Binet est lourdement chargée de désarroi, et n’est certainement pas propice à stimuler la lutte de classe autrement que comme une posture théâtrale.
Par ailleurs l’appel au patriotisme qu’il implique s’inscrit ouvertement dans la perspective de la concurrence interimpérialiste (et cela en rapport avec les perspectives de guerres éventuelles)[8] :
(à 1:47) Ce qu’il faut c’est avoir une stratégie solide et sérieuse face à l’internationale d’extrême droite qui aujourd’hui menace nos démocraties. Le premier enjeu c’est de construire une vraie stratégie commune au plan européen, et prendre acte du fait que l’OTAN est mort, avoir une vraie stratégie commune au plan européen ça commence par défendre notre industrie européenne. C’est pas possible, comme le propose la commission européenne aujourd’hui d’augmenter les crédits militaires pour aller financer l’industrie américaine.
Au-delà de l’aspect économique, est aussi invoquée sous l’angle politique l’"exemplarité" en matière de "démocratie"[9] :
(à 0:0) Nous sommes très inquiets par l’élection de Donald Trump aux États‑Unis, par la menace qui fragilise aujourd’hui nos démocraties avec cette internationale d’extrême droite qui est en train de se mettre en place. Si la France et l’Europe veulent se faire respecter au niveau international, veulent pouvoir faire respecter leurs valeurs démocratiques, il faut que nous ayons les moyens de nos ambitions et que nous soyons une puissance industrielle.
Certains slogans coutumiers depuis longtemps sont rappelés, parfois avec des glissements de vocabulaire : le "partage des richesses" est aussi mentionné comme "partage capital-travail", ce qui reprend la terminologie utilisée par les employeurs ("partage de la valeur entre capital et travail").
‑ [10] (à 27:45) Ce qu’il faut c’est modifier ce partage des richesses, qui est catastrophique, et il faut absolument modifier le partage capital/travail.
En toute généralité il s’agirait de
‑ [11] (à 1:43) rompre avec le logiciel néolibéral et une partie [ainsi dans le texte!] du logiciel capitaliste.
Au vu des vicissitudes qui affectent le système électoral, telles qu’elles se sont manifestées notamment depuis l’année dernière, deux thèmes sont mis en avant conjointement : l’opposition à l’extrême droite, et les vertus de l’écologie. L’argumentation les aborde en lien avec le thème de la lutte syndicale proprement dite; il en résulte un discours où les trois aspects sont liés entre eux sur un même plan.
‑ [12] (à 1:56) Il faut que nous mettions toutes nos forces pour empêcher l’extrême droite au pouvoir […] (à 2:52) Nous avons déjà réussi à soulever des montagnes grâce à notre appel au front populaire […] (à 4:08) Il nous faut proposer en grand à l’ensemble des salariés de se syndiquer pour combattre le fascisme.
‑ [13] L’extrême droite, le fascisme n’est jamais arrivé au pouvoir par hasard et tout seul. Et, contrairement à ce qu’on raconte, ce n’est pas les ouvriers qui amènent au pouvoir l’extrême droite C’est le capital et le patronat. […] Ils ont besoin de faire cette alliance avec l’extrême droite pour pouvoir continuer à s’accaparer nos richesses.
‑ [14] (à 2:0) La question environnementale c’est un des facteurs qui contribue à la montée de l’extrême droite. […] (à 49:40) La crise environnementale c’est le capital et le capitalisme qui l’a créée.
‑ [15] Il n’est plus possible à l’image des grandes puissances qui en 1938 à Munich feignaient d’ignorer le danger de l’Allemagne Nazi de faire l’autruche face à la catastrophe environnementale.
Au cours d’un entretien pour le site Internet "Reporterre", le présentateur interroge Sophie Binet sur la perspective de "sortir du capitalisme". Voici comment elle explique[16] :
(à 53:0) Ça évidemment que ça serait bien c’est l’objectif mais sauf que on croit assez peu au grand soir en fait ça c’est le risque de petit matin puis surtout si on attend le grand soir la catastrophe elle a le temps d’arriver tranquillement donc ça s’organise ici et maintenant avec des projets des luttes immédiates et c’est comme ça que on organise le changement et donc c’est pour ça que la CGT elle multiplie les projets concrets de ce type j’ai parlé de l’imagerie médicale [voir citation suivante], j’ai parlé de Cordemais j’ai parlé du véhicule électrique, je pourrais aussi parler effectivement de la Chapelle Darblay où on a un projet industriel pour relancer l’activité de cette papèterie pour permettre une économie circulaire sur le papier parce qu’aujourd’hui on est sur une aberration environnementale.
Un exemple[17] :
(à 51:0) On a besoin d’agir à l’intérieur des entreprises pour les transformer et les contester par exemple à Thales donc une entreprise d’armement la CGT avec les ingénieurs a monté un projet d’imagerie médicale je trouve ce projet est génial en fait on reprend les technologies qui servent à construire des armes et on s’en sert pour construire de l’imagerie médicale sachant que dans le domaine en fait c’est les Américains qui maitrisent tout on n’a aucune souveraineté sur l’imagerie médicale et donc ce projet‑là en fait il montre que on peut réorienter radicalement la finalité d’une entreprise de l’intérieur.
Quand Sophie Binet fait de la propagande en faveur du Nouveau Front populaire, elle appuie une démarche réformiste basée sur un programme gouvernemental. L’idée de "réorienter radicalement la finalité d’une entreprise de l’intérieur" relève d’un amateurisme de bricolage au jour le jour. Parallèlement elle tient aussi des discours vagues, purement moralisateurs. Voici un extrait d’un discours concernant le Conseil national de la Résistance[18] [l’écriture inclusive est propre au texte publié par la CGT] :
[…] la nécessité de remettre la question sociale au centre avec des perspectives rassembleuses, à l’image du projet de Sécurité sociale, alors que l’extrême droite prospère sur les mises en opposition, la défiance et le repli identitaire.
Nos sociétés de l’argent roi n’ont plus aucun sens : Citoyen●nes réduit●es au rôle de consommateur●ices, travailleur●ses limité●es à l’objectif de dégager toujours plus de valeur pour les actionnaires et les gouvernants ayant pour seul baromètre le taux de croissance alors que la planète brûle… Il faut redonner un contenu à la notion de progrès en répondant à l’épineuse question environnementale. Sortir de l’objectif de produire et consommer toujours plus pour se centrer sur la réponse aux besoins humains et environnementaux. Faire primer les liens sur les biens, le commun sur l’individu-roi. Et redire, encore et encore, que tout n’est pas marchandise. Le marteler s’il le faut, notre travail, nos proches, la culture, l’éducation, la santé… ne sont pas des marchandises. Tout ne s’achète pas, notamment l’éthique!
Aujourd’hui, ce ne sont pas les gouvernements élus qui dirigent le monde mais les multinationales. Il s’agit de mettre fin à ce grand hold-up.
La classe des capitalistes maintient sa domination par la force
Les travailleurs subissent la violence qu’implique leur lien de subordination vis-à-vis de l’employeur. En premier lieu, c’est une violence qui s’applique de façon implicite[19] :
On entend par bourgeoisie la classe des capitalistes modernes, propriétaires des moyens de production sociale et qui emploient le travail salarié. On entend par prolétariat la classe des ouvriers salariés modernes qui, privés de leurs propres moyens de production, sont obligés pour subsister, de vendre leur force de travail.
Mais la classe des capitalistes qui accumule ainsi pour elle-même les richesses produites par les travailleurs dispose aussi, à tous les niveaux de la société, d’un ensemble de moyens de coercition et d’oppression pour faire fonctionner les mécanismes de l’exploitation. L’appareil d’État joue un rôle essentiel à cet égard, par l’intermédiaire du système législatif et judiciaire et en s’appuyant sur l’action des "forces de l’ordre".
Au-delà de la classe ouvrière proprement dite, une large majorité de la population subit ainsi, à son détriment, les mécanismes d’oppression agissant en faveur de la classe capitaliste. Les entraves à la liberté agissent de façon variée, ouverte ou diffuse, par la force directe ou la "persuasion". L’instauration de plus en plus large de la vidéosurveillance par exemple est présentée comme une nécessité dans le but de combattre la délinquance, alors qu’elle est utile aussi pour la surveillance de la population tout court. Le droit de manifester subit des restrictions sévères "au cas par cas". La liberté d’opinion est encadrée par des prescriptions de vocabulaire telles que l’interdiction de l’"apologie du terrorisme".
Parmi les manipulations de vocabulaire qui conviennent à la bourgeoisie figure le terme "république parlementaire" comme forme prétendument idéale d’État pour les grands pays capitalistes, comme la France (ces derniers temps s’y rajoute la qualification d’"État de droit"). Ce type de régime s’est formé lorsque les sociétés capitalistes ont remplacé les empires monarchiques. Du point de vue du marxisme-léninisme, cette question a fait l’objet d’une controverse prolongée. Des personnages au sein même du mouvement communiste ‑ en premier Eduard Bernstein, en Allemagne ‑ ont prétendu que l’instauration du socialisme serait possible en maintenant le cadre de la république parlementaire. Or l’abolition du capitalisme n’est possible qu’à travers une révolution par laquelle le prolétariat détruit l’appareil d’État bourgeois et instaure sa propre dictature. Bernstein et d’autres ont ainsi effectué une révision de la théorie élaborée par Marx et Engels, développée ultérieurement par Lénine et Staline.
À l’issue du cheminement parcouru par les différentes forces prétendant s’opposer au capitalisme, l’acceptation de la vision dite révisionniste s’est généralisée au niveau global de la société. Les partis dites social-démocrates, comme le Parti socialiste en France, ont opéré une transition, se voulant programmatique, avec des conceptions "réformistes". Mais au bout du compte le mirage de la république parlementaire comme incarnation de la démocratie a subverti les consciences au point de devenir une évidence qui soi-disant "va de soi".
La République démocratique parlementaire
En soi, le terme État désigne un territoire habité par une collectivité humaine. Mais selon qu’on parle de l’État français, de l’État groenlandais, de l’État du Congo Kinshasa, ou autre, des caractéristiques distinctives particulières doivent nécessairement être prises en compte. À la notion d’État est rattachée l’existence d’une autorité politique exercée sur la population ‑ ce qui n’est pas le cas de la notion de pays. Ainsi, l’État français est un État appliquant le régime dit de République démocratique parlementaire.
Contrairement à ce qu’il prétend être, ce type d’État en réalité constitue un moyen de camoufler la division de la société en classes en général, et en particulier le fait que le pouvoir est détenu par la classe capitaliste. Pourtant, un facteur qui a contribué à la consolidation de ce type d’État, c’est la collaboration de classe de certains représentants de ce qu’on appelle historiquement la "social-démocratie".
Dans l’histoire du marxisme-léninisme, la question de la "démocratie" a été l’objet d’une controverse très tôt, dans le cadre du parti fondé en 1875 par un congrès tenu à la ville de Gotha[20] et qui en principe constituait l’avant-garde du mouvement ouvrier allemand. En premier lieu, c’était Eduard Bernstein qui lançait l’attaque de l’intérieur du SPD. De son exil à Londres, auquel l’avait condamné le régime impérial allemand, il fait paraitre dans la revue Die Neue Zeit une série d’articles (entre 1896 et 1898) intitulée "Problèmes du socialisme". Il écrit[21] :
[Cette série de textes n’a pas été publié en français à l’époque. Traduction par nous – ROCML.]
La social-démocratie […] Ce qu’elle doit faire, et ce qu’elle devra faire pendant longtemps encore, c’est organiser politiquement la classe ouvrière et la former à la démocratie, et lutter pour toutes les réformes dans l’État qui sont susceptibles d’élever la classe ouvrière et de transformer le régime étatique dans le sens de la démocratie.
La teneur de ses réflexions l’expose à des critiques, auxquelles il réagit par une explication adressée au congrès du SPD tenu en octobre 1898. Puis en 1899 il publie un livre intitulé "Die Voraussetzungen des Sozialismus und die Aufgaben der Sozialdemokratie" ("Les présupposés du socialisme et les tâches de la social-démocratie").
Une traduction française parait sous le titre "Socialisme théorique et socialdémocratie pratique"[22].
p. 209-210 :
Que signifie le mot démocratie?
[…] Nous nous approcherons beaucoup plus de la chose, en nous exprimant d’une façon négative et en traduisant le mot démocratie par : absence de la domination de classes; c’est-à-dire un état social, où aucune classe ne jouira d’un privilège politique quelconque vis-à-vis de la communauté. Cette définition explique, en même temps, pourquoi une corporation monopolistique est, en principe, antidémocratique.
C’est un autre social-démocrate, en Autriche après le démantèlement de l’Empire austro-hongrois, Otto Bauer, qui formule explicitement la théorie de "l’équilibre de forces entre les classes" qui soi-disant enlève à l’État son caractère d’appareil de domination au service d’une classe[23] :
Quand aucune classe n’est plus en mesure d’infliger une défaite à l’autre et de la réprimer, le pouvoir d’État cesse d’être un instrument de domination d’une classe sur une autre. […] Ainsi [avec l’établissement de la République en Autriche, en 1918] toutes les classes du peuple prenaient-elles réellement leur part au pouvoir d’État, et les effets produits par l’État étaient-ils réellement la résultante des forces de toutes les classes du peuple; c’est pourquoi nous pouvons appeler cette république une république populaire.
Et dans le programme politique à la rédaction duquel avaient participé O. Bauer et Max Adler, adopté au Congrès du Parti ouvrier social-démocrate d’Autriche tenu du 30 octobre au 3 novembre 1926 à Linz, on lit[24] :
Dans la république démocratique […]. Si le parti ouvrier social-démocrate réussit […] à gagner comme alliés de la classe ouvrière les couches qui lui sont proches de la petite paysannerie, de la petite bourgeoisie, de l’intelligentsia, alors la social-démocratie gagne la majorité du peuple. Elle conquiert le pouvoir d’État par la décision du suffrage universel. [Souligné par nous – ROCML.]
Ainsi, dans la république démocratique, l’issue des luttes de classe entre bourgeoisie et classe ouvrière se décide par la compétition de ces deux classes pour gagner l’âme de la majorité du peuple.
[…]
Alors qu’au cours de la première époque de sa lutte le parti ouvrier social-démocrate a conquis la république démocratique, désormais il a la tâche d’utiliser les moyens de lutte démocratiques pour rassembler la majorité du peuple sous la direction de la classe ouvrière et de renverser ainsi la domination de classe de la bourgeoisie, de conquérir en faveur de la classe ouvrière la domination dans la république démocratique.
Le Parti ouvrier social-démocrate vise à la conquête de la domination dans la république démocratique, non pas pour supprimer la démocratie, mais pour la mettre au service de la classe ouvrière, pour adapter l’appareil d’État aux besoins de la classe ouvrière.
La phrase soulignée correspond à la façon dont se concevait le "Nouveau Front populaire" en rapport avec les élections de 2024, mais il faut noter une caractéristique propre à la situation actuelle, en comparaison du passé vieux d’un siècle : La prétention n’est plus de mettre la démocratie "au service de la classe ouvrière" mais d’en faire bénéficier d’office "le peuple" tout entier.
[1]. https://ud38.reference-syndicale.fr/files/2021/04/slogans-Antifascisme.pdf
https://solidairesparis.org/IMG/pdf/fiche-slogans-3-avril-2022.pdf
[2]. https://rebellyon.info/Presentation-de-la-Jeune-Garde-Lyon-18837
[3]. https://basta.media/Tibune-Nous-antifascistes-de-toute-la-France-appelons-a-construire-un-front-uni-de-resistance
[4]. https://infokiosques.net/spip.php?page=lire&id_article=722
https://infokiosques.net/IMG/pdf/antifascismefinale.pdf
Brochure publiée par le site https://www.non-fides.fr/
19 octobre 2009
[5]. https://harribey.u-bordeaux.fr/travaux/valeur/capitalisme-ecologique.pdf
[6]. L’Humanité, 29/4/2025.
[7]. "Sophie Binet – Les grands patrons français veulent partir, les rats quittent le navire"
Les invités de RTL, 31/1/2025
https://www.youtube.com/watch?v=qqLhWtQBi0M
[8]. Les 4 vérités – Sophie Binet
Télé Matin – France Télévisions, 7/3/2025
https://www.youtube.com/watch?v=9WkK78EnkH8
[9]. Sophie Binet (CGT) : "Un pays sans industrie est un pays sans avenir"
Journal L’Humanité, 22/1/2025
https://www.youtube.com/watch?v=A2oiRojUFjw
[10]. Sophie Binet : "La crise environnementale a été créée par le capitalisme" (à 27:40)
Reporterre, 15/9/2024
https://www.youtube.com/watch?v=bIKJLLWwEQk
[11]. https://www.youtube.com/watch?v=bIKJLLWwEQk
[12]. Sophie Binet et la CGT à la hauteur de l’histoire
Jean-Luc Mélenchon, 18/6/2024
https://www.facebook.com/JLMelenchon/videos/sophie-binet-et-la-cgt-%C3%A0-la-hauteur-de-lhistoire/1396946971013947/
[13]. Sophie Binet : "Ce n’est pas les ouvriers qui amènent au pouvoir l’extrême droite, c’est le capital et le patronat."
À l’air libre -Mediapart
https://www.facebook.com/Mediapart.fr/videos/-cest-le-patronat-qui-amène-lextrême-droite-au-pouvoir-/462606913129810/
[14]. https://www.youtube.com/watch?v=bIKJLLWwEQk
[15]. Les jours heureux, programme du Conseil National de la Résistance, Précédé de "Il est minuit moins le quart" par Sophie Binet; Grasset, 13/03/2024.
[16]. https://www.youtube.com/watch?v=bIKJLLWwEQk
[17]. https://www.youtube.com/watch?v=bIKJLLWwEQk
[18]. À l’occasion du quatre-vingtième anniversaire du programme du Conseil national de la Résistance (CNR), la CGT organise un colloque et un rassemblement le 15 mars 2024 à Paris.
https://www.cgt.fr/sites/default/files/2024-03/Discours_Sophie-Binet_CNR.pdf
[19]. Note d’Engels pour l’édition anglaise du "Manifeste du Parti communiste, en 1888.
[20]. Sozialistische Arbeiterpartei Deutschlands (Parti ouvrier socialiste d’Allemagne), désigné par la suite couramment pas le sigle SPD.
[21]. Eduard Bernstein, "Der Kampf der Sozialdemokratie und die Revolution der Gesellschaft. 2. Die Zusammenbruchs-Theorie und die Kolonialpolitik", Die Neue Zeit, Jg. 16/1 (1897/98), S. 556.
"Zur Geschichte und Theorie des Sozialismus – Gesammelte Abhandlungen"
https://www.digitale-sammlungen.de/de/view/bsb11126954
P. 234
[22]. Original en allemand ici :
https://www.digitale-sammlungen.de/de/view/bsb11126954
Traduction en français ici :
https://ia600908.us.archive.org/10/items/socialismethor00bernuoft/socialismethor00bernuoft.pdf
[23]. Otto Bauer: Die Österreichische Revolution, Wien, Wiener Volksbuchhandlung, 1923, p. 242‑248 (§ 16 ‑ Die Volksrepublik).
[24]. K. Berchtold (Hg.): Österreichische Parteiprogramme…, p. 251‑252.