(traduction : "gagnant-gagnant")

Le gouvernement chinois et le Parti communiste chinois ont fréquemment recours à cette formule, censée selon eux caractériser les relations telles que la Chine les met en oeuvre à l’égard d’autres pays, et qui seraient avantageuses pour ces derniers.

Pourtant la réalité n’est pas conforme à cette présentation publicitaire, du moins en ce qui concerne une bonne partie des populations concernées, dont notamment les travailleurs. Ci‑après nous exposerons quelques indications qui illustrent cette affirmation.

Les exemples se situent en Afrique, ils montrent que chercher un secours auprès de la Chine pour se soustraire à la domination incarnée par les puissances impérialistes occidentales ne constitue pas une option valable. Les sociétés et entreprises citées sont chinoises dans le sens d’être filiales de groupes domiciliés en Chine (et pas simplement des commerces ou entreprises propriété de Chinois expatriés ayant acquis la nationalité du pays d’implantation). Le gouvernement chinois est donc pleinement responsable des faits mentionnés dans ce qui suit.

Au Sénégal, l’usine Twyford Ceramics

Au Sénégal, en janvier 2020, a été inaugurée à Sindia dans le département de Mbour une usine dénommée Twyford Ceramics Ltd., fabriquant des carreaux de céramique. Il s’agit d’une filiale ‑ dans le cadre d’une coentreprise formée en 2016 avec Guangzhou Sunda International Trading ‑ de la société Guangdong Keda Energy Co. Ltd, domiciliée à Chencun, Shunde District, Foshan, Guangdong, China. De la même manière Keda est également implanté au Ghana, en Zambie, en Tanzanie, au Kenya. L’usine du Sénégal a la capacité suffisante pour couvrir quasiment la totalité des besoins du marché local et est destinée en outre à exporter vers la sous-région ouest-africaine. Elle compte un millier d’emplois directs, et 95 % des matériaux nécessaires comme le granite, le sable et l’argile, ont une origine locale.

(Note : Les sommes monétaires citées par endroit sont indiquées en "Franc CFA" (symbole : "XOF"). Le taux de parité est fixe, mais peut être modifié sur décision par les chefs d’État africains de la zone. Actuellement : 1 EUR = 655,957 XOF.)

Après le démarrage de la fabrication à Twyford Ceramics, les rapports entre l’employeur et les travailleurs (sénégalais) tournent rapidement au conflit[1].

 

Les 7 et 8 septembre 2020 les travailleurs observent une grève pour protester contre les mauvaises conditions de travail[2].

 

"Sindia / Usine Twyford : Les ouvriers arrêtent la production de carreaux et dénoncent une “traite négrière”"
7 septembre 2020

 

Un employé :

Au début, l’entreprise nous a promis que nous serons dans de bonnes conditions avec de bons salaires mais toutes ces promesses n’étaient que mensonges. En fait, nous travaillons 13 heures de temps la nuit et 11 heures de temps la journée; ensuite, nous travaillons 4 à 5 jours par semaine. En outre cette entreprise comporte beaucoup de risques avec des gaz, des produits toxiques et des machines dangereuses et nous n’avons même pas de prime de risque, ni prime de transport.

L’entreprise viole notre code du travail en renouvelant les contrats CDD plus de deux fois* et applique une convention qui n’est pas conforme avec l’activité́ de cette entreprise. Nous vivons vraiment l’esclavage au sein de cette entreprise. Les Chinois nous font travailler 61 heures de temps par semaine pour nous payer moins de 100 mille francs CFA par mois.

(* Un principe correct voudrait qu’après deux contrats CDD soit appliqué un contrat CDI.)

Et un autre employé :

Les Chinois avaient promis à l’État de l’emploi pour 3.000 personnes. Mais tous les employés sont au nombre de 800 et là où deux personnes devaient travailler, il n’y a qu’une seule personne. Nous subissons ici la traite négrière. Les Chinois ne nous vouent aucun respect. Les autorités sénégalaises ne devraient pas permettre à des entreprises étrangères de sucer le sang de la jeunesse. Même l’inspecteur du travail qui est venu ici pour constater n’en revenait pas.

 

La démarche de la grève reste sans effet. À nouveau, le 2 avril 2021, le Syndicat unitaire des travailleurs des industries minières et activités (Sutimac) attire l’attention sur la situation que subissent les travailleurs de Twyford Ceramics[3].

 

Texte publié le 7 avril 2021 par la Section Sutimac/Twyford[4]

 

Encore une fois, le Syndicat unitaire des travailleurs des industries minières et activités connexes (Sutimac) vient pour alerter l’opinion nationale et internationale sur la situation humiliante et dramatique des travailleurs de Twyford Ceramics depuis la création de cette usine en 2017(*).

Cette multinationale, à qui l’État du Sénégal a tout facilité pour lui permettre de promouvoir l’emploi des jeunes, continue de profiter de cette facilité d’investissement au détriment des travailleurs essentiellement des jeunes qui voient les ressources de leur pays surexploités et qui en plus y sont traités comme des esclaves des temps modernes.

En effet, depuis presque deux années, la direction des ressources humaines de Twyford Ceramics, sous la conduite des employeurs chinois, continue de traiter les travailleurs dans des conditions dignes de l’esclavage et de les gérer en dehors de toute la législation en vigueur au Sénégal malgré les avertissements incessants de l’Inspection régionale du travail.

L’entreprise Twyford Ceramics ne respecte pas :

‑ la durée légale de travail de 40 heures par semaine et la pause quotidienne (chaque employé travaille pendant une durée de 12 heures par jour, sans arrêt et sans pause);

‑ les normes relatives aux conditions sanitaires, sécuritaires et de protection des travailleurs (conditions de travail d’une extrême pénibilité : travail en position debout durant 12 heures);

‑ le versement des cotisations sociales à l’IPRES et à la CSS.

L’entreprise Twyford Ceramics ne fournit pas des équipements de protection individuelle (EPI) adéquates et appropriés dans certains départements de l’usine où les travailleurs qui y interviennent sont exposés à des risques de graves accidents.

L’entreprise Twyford Ceramics ne paye pas les primes de salissures, de risque et de transport (à la place, elle a opté d’assurer le transport du personnel avec un réseau qui ne couvre que partiellement les zones d’habitation des travailleurs).

À Twyford, au moment où dans les autres entreprises on subventionne la restauration des travailleurs, ici au contraire, on prend leurs primes de panier pour les remplacer avec des repas d’esclaves juste pour faire des bénéfices sur ces primes.

À l’entreprise Twyford, les emplois sont précaires : ils ne favorisent pas la promotion de l’emploi des jeunes. En effet, elle se sert de manière abusive de la dérogation de la convention de l’APIX qui lui permet de renouveler des CDD durant 5 ans, en mettant fin aux contrats après seulement six mois et le remplacement par de nouveaux : Twyford est une entreprise génératrice de chômeurs et non créatrice d’emplois.

Il s’y ajoute qu’à Twyford, l’environnement de travail est caractérisé par une insécurité totale du fait qu’un "chef chinois" peut frapper, battre et agresser un "employés noir" sans être sanctionné.

Face à cette situation délétère, le collectif des délégués du personnel n’a cessé de ménager des efforts par l’entremise d’un dialogue social constructif à travers de multiples tentatives de dialogue et de négociations initiées mais en vain.

Il faut signaler que ce même collectif est en train de subir des sanctions. Les délégués vivent actuellement une discrimination venant de leurs supérieurs hiérarchiques qui les laissent en rade quant à l’avancement dans les emplois. Et pour couronner le tout, la direction est sur le point de ne pas renouveler les contrats des délégués en prétextant que certains d’entre eux ne font pas leur travail, ce qui est totalement contraire à la réalité. La vérité est que le fait que les délégués assurent leurs rôles n’arrange pas la direction donc il faut les "supprimer".

Trop, c’est trop ! Et le Sutimac, syndicat d’affiliation de la quasi-totalité des travailleurs de Twyford, a déposé un préavis de grève qui va expirer ce 12 avril 2021; et par suite il va dérouler un plan d’action pour exiger de l’entreprise Twyford Ceramics le respect de la législation du travail en vigueur au Sénégal et de traiter les travailleurs dans la dignité.

Section Sutimac/Twyford

 

(*) 2017 est l’année initiale des activités de Twyford au Sénégal, comprenant entre autre l’ouverture d’une carrière d’argile.

 

Le 25 avril 2021 les travailleurs de Twyford démarrent effectivement une grève suite au renvoi des 18 délégués du Syndicat Sutimac par la direction. Au cours de l’action, ils bloquent la route nationale.

 

Abou Sène, porte-parole des travailleurs[5] 

 

Les Chinois ont décidé d’arrêter les contrats des délégués. Au total, nous sommes 18 délégués. Ils ont renvoyé les 16 et ils attendent que les contrats des deux derniers expirent pour les renvoyer. C‘est une question de jours et pourtant nous sommes élus pour un mandat de trois ans.

En plus de cela, ils sont en train de faire des pieds et des mains pour renvoyer plus de 1.000 travailleurs de cette usine. Mais avant-hier, ces Chinois nous ont conviés dans un hôtel de place pour nous inviter à un diner. Ils sont venus avec leur sac rempli d’argent. Ils voulaient mettre de l’argent dans nos comptes pour que nous délégués tournions le dos à nos camarades. Ensuite, ils nous ont dit qu’ils vont prendre les attaches d’une société qui va désormais recruter, comme ça ils vont se débarrasser des autres employés. Nous avons refusé. C‘est ce qui nous a voulu nos déboires.

Ces Chinois nous ont clairement dit que mieux vaut prendre cet argent. Ils nous ont dit que nous sommes en Afrique et que ce problème ne connaitra aucune issue. Je pense que ceux qui clament qu’ils cherchent des emplois pour les jeunes(*) doivent régler ce problème d’abord, car aujourd’hui plus de 1.000 jeunes qui refusent d’être des esclaves ont perdu leur travail.

Une chose est sure, ce n’est plus un combat des travailleurs, mais de la jeunesse sénégalaise qui ne se laissera pas exploiter. Nous sommes en grève jusqu’à renouvèlement des contrats de nos vaillants délégués qui ont opté pour la défense et le respect de la législation sénégalaise et des jeunes.

 

(*) Allusion au président de la République.

 

Communiqué de presse provenant de l’Inspecteur régional du Travail et de la Sécurité sociale de Thiès, Tene Gaye, le 29 avril 2021 [6]

 

Depuis le 04 septembre 2020, date de ma première visite à Twyford Ceramics Limited LT, l’Inspection régionale du Travail et de la Sécurité sociale de Thies n’a ménagé aucun effort pour le respect de la législation sociale par l’employeur et par là, l’instauration d’une paix durable dans cet établissement.

En effet, lors de ladite visite, accompagné de cinq de mes collaborateurs, les nombreux manquements à la législation du travail relevés dans les différents ateliers, vestiaires et mêmes dortoirs, m’amenèrent dès le lendemain, à servir à l’employeur, une mise en demeure dont les vingt-neuf (29) points à corriger portaient notamment sur :

‑ L’absence de mesures de protection collectives et d’équipements de protection individuelle;

‑ Le non-respect des prescriptions en matière d’hygiène, de santé et de sécurité;

‑ Le non-respect des horaires de travail règlementaires;

‑ Le refus d’octroyer les indemnités prescrites par la règlementation;

‑ L’interdiction des syndicats professionnels et le refus d’organiser des élections de délégués du personnel;

‑ De difficiles conditions d’hébergement des travailleurs logés dans l’entreprise.

Ainsi, au terme de ma visite, j’ai exigé la fermeture immédiate des dortoirs qui ne répondaient à aucune norme règlementaire non sans attirer l’attention de l’employeur sur le climat tendu qui prévalait. Malheureusement, la Direction de l’entreprise n’a pas jugé utile de suivre mes recommandations. Du coup, quelques jours plus tard, elle faisait face à la première grève déclenchée par ses travailleurs sans observation préalable d’un préavis.

Toutefois, l’intervention de l’Inspection régionale du Travail et de la Sécurité sociale permit une sortie de crise sans représailles aucune à l’endroit des travailleurs contre la reprise de leur activité deux jours plus tard.

Ainsi, par la suite et conformément à mes directives, les délégués du personnel ont été élus, le syndicat de base créé, le camp levé, des tenues de travail distribués, les horaires de travail revus…

Depuis, les parties avaient en effet, jusque-là, donné une chance à la négociation pour la levée de toutes mésententes. Périodiquement, elles se sont retrouvées dans nos locaux pour un suivi des engagements mutuels.

[…]

Seulement, aux yeux des délégués et de leur organisation professionnelle, les correctifs à apporter par l’employeur prenaient trop de temps et que malgré la pénibilité de leur travail, ce dernier se dérobait toujours pour ne pas satisfaire leurs revendications à incidence financière.

De son côté, selon l’employeur, à ses multiples efforts consentis depuis des mois, les délégués ont toujours répondu par la surenchère et l’extrémisme syndical au point d’installer l’établissement dans une crise chronique.

Le 24 février 2021, alors que les parties venaient de conclure un accord portant sur douze points de droit sur les quatorze de leur plateforme, les travailleurs sont revenus déposer un préavis portant sur les deux points à incidence financière, n’ayant pas fait l’objet d’accord. Bien que ceux-ci relèvent de libéralité, l’employeur finit par marquer son accord de principe en promettant de revenir sur les montants à arrêter par le Président du Conseil d’administration du Groupe résident en Chine.

[…]

Ainsi, la situation qui prévaut depuis ce weekend est due à la rupture du dialogue imputable aussi bien aux travailleurs qu’à la direction de l’établissement.

Pour rétablir les faits dans leur exactitude, ce ne sont pas des licenciements de délégués du personnel qui, le cas échéant, supposeraient une autorisation préalable de l’Inspection du Travail (article L.214 du code du travail) mais plutôt, le non renouvèlement des contrats à durée déterminée (CDD) arrivés à terme.

Ces renouvèlements à volonté et sans limitation des CDD par Twyford Ceramics ont été contrairement à l’article L.42 du code du travail, rendus possible par l’agrément de l’APIX(*) dont elle bénéficie.

[…]

 

(*) Pour des explications concernant l’APIX, voir le texte suivant, "Enquête sociale".

 

Les années passent, la situation reste conflictuelle.

 

"Enquête sociale – Usine Twyford, les ouvriers sénégalais dans l’enfer de la céramique chinoise"[7]
30 juillet 2024

 

 (Les personnes mentionnées sont désignées par des pseudonymes.)

25 septembre 2021 aux environs de 8 heures. Mor Talla se retrouve avec un doigt en moins et deux autres fracassés par l’hélice de sa machine de travail. Il manipulait un bloc de carreaux avec ses mains nues au service émaillage de l’usine chinoise de fabrication de carreaux Twyford située à Sindia (à une soixantaine de km de Dakar sur la Petite côte). Le médecin d’entreprise refuse de le soigner car il ne dispose pas des instruments nécessaires à sa prise en charge. L’ouvrier passe trois heures sur place, entre l’indifférence des Chinois et les "douleurs inhumaines" qu’il ressent. Les pressions sur son chef de groupe poussent ce dernier à bousculer les Chinois. À 11 heures, il est enfin acheminé à Mbour où un aide-infirmier le soigne "sans anesthésie et sans délicatesse". Il faut l’intervention d’une sagefemme à la retraite pour que le médecin principal fasse reprendre les soins par un infirmier plus qualifié. Il [Mor Talla] dit en avoir gardé un traumatisme.

"Ensuite, je suis rentré chez moi avec des tablettes antidouleurs. J’ai rassemblé l’argent qui me restait et ce que ma famille m’a donné pour acheter les médicaments prescrits. À part les frais payés par les Chinois à Mbour, je me suis pris en charge tout seul avec l’aide de ma mère et d’amis proches. Il fallait bien payer les soins que je continuais de recevoir et il fallait bien me déplacer au centre de santé. Mais 45 jours après, les douleurs étaient toujours là car les soins n’ont pas été bien faits dans l’ensemble. Ensuite, j’ai constaté des coupes énormes sur mon salaire… Pour les Chinois, je n’existais plus apparemment…"

À la fin de son contrat à durée déterminée (CDD), Mor Talla n’est plus retourné à l’usine pour travailler. Dépité et en colère. Dégouté, surtout, par l’indifférence de ses employeurs! Il a préféré arrêter. Pour lui, c’était une façon de dénoncer les violences multiformes contre lesquelles ses camarades encore en place s’insurgent.

"En cas d’accident dans l’usine, les ouvriers sénégalais ne sont pas pris en charge correctement. Ce qui est arrivé à notre ami et camarade Mor Talla, d’autres le vivent assez souvent. C’est une réalité dans cette usine de Sindia. Et celui qui devient handicapé dans l’exercice de son travail, il est licencié," peste Gorgui, un syndicaliste maison témoignant sous le sceau de l’anonymat. Non sans dénoncer les faveurs dont bénéficient les Chinois et certains de leurs proches sénégalais.

"Si eux sont victimes d’accident de travail, ils peuvent bénéficier de traitements plus adéquats," ajoute notre interlocuteur.

Aux abords de l’usine de Sindia, nous rencontrons un employé qui dit avoir été victime d’un accident de travail en même temps qu’un Chinois. Il nous montre une grosse cicatrice sur une partie de son corps sur demande d’un de ses collègues.

"Quand l’affaire est survenue, le Chinois a été placé dans un 4×4 et acheminé dans une clinique à Dakar. Son compère de travail, on l’a laissé ici. C’est son chef d’équipe qui a appelé un taxi pour le déposer à l’hôpital de Mbour. Et c’est l’employé qui a lui-même sorti son argent pour se prendre en charge et payer tous ses frais médicaux," révèle Gorgui sur un ton dépité.

Pour soutenir leur camarade, les ouvriers ont ouvert une "petite oeuvre sociale de fortune" ‑ selon les termes du syndicaliste ‑ avec des contributions diverses.

La sécurité est une revendication forte des ouvriers de Twyford Sindia, mais les accidents s’enchainent. En juin 2024, l’un d’eux a chuté du haut de sa station de travail. Sa tête est venue se cogner au sol. "Avertis, les Chinois arrivent sur les lieux. Leur première préoccupation a été de savoir si notre collègue avait sa ceinture attachée au moment de l’accident," s’indigne l’employé qui rapporte cet épisode.

Le malheureux, transféré à Mbour, s’est retrouvé à Thiès, son état s’étant aggravé. "L’idée de la ceinture attachée ou pas, c’est juste pour ne pas prendre en charge l’accidenté," suggère un travailleur.

Gorgui et beaucoup d’autres employés doivent être discrets à l’intérieur de l’entreprise pour ne pas se faire remarquer comme syndicalistes. "Les Chinois pourraient nous licencier et ce serait sans conséquence pour eux," soutient-il.

Entre avril et mai 2021, une trentaine d’employés dont des délègues syndicaux qui manifestaient pour de meilleures conditions de travail sont trainés en justice par la direction de Twyford(*). Accusés de vandalisme sur les biens de l’entreprise, ils sont inculpés par un juge d’instruction puis laissés en liberté provisoire. Ils n’ont jamais remis les pieds à l’usine. Aujourd’hui, leurs "successeurs" s’attachent à mettre en place un véritable syndicat.

Une matinée d’avril 2024. […]

À l’heure du déjeuner, les ouvriers se plaignent de la qualité des repas servis et des discriminations introduites par la direction de l’entreprise.

"Les Chinois ont leur propre restaurant qui accueille aussi des cadres sénégalais que nous appelons “Chinois noirs » en raison de leur complicité avec la direction. Mais pour nous, c’est comme une gargote," signale Gorgui. Qui dénonce la qualité des repas ainsi que leur cout pour les ouvriers.

"On nous prélève 900 francs CFA pour des plats de mauvaise qualité et en quantité insuffisante," précise Bachir qui en profite pour soulever un autre problème récurrent. "L’accès à l’eau potable est régulièrement interrompu, ce qui est inadmissible compte tenu de la chaleur infernale qui règne dans l’usine et des longues heures de travail."

Ces différents aspects ont été portés à l’attention d’un inspecteur du travail qui a requis l’anonymat avant d’apporter son éclairage.

"Dans chaque entreprise, la loi impose l’aménagement d’un local ou réfectoire bien aménagé avec des lieux d’aisance bien entretenues s’il y a au moins 15 employés. Et à partir de 50 travailleurs, il faut mettre en place un comité d’hygiène et de sécurité au travail."

Ce comité a pour tâche de prévenir les accidents de travail en identifiant tout ce qui est considéré comme dangereux pour la sécurité des ouvriers dans tout l’espace de travail de l’entreprise, souligne le haut fonctionnaire.

Après avoir renvoyé au Titre 11 du Code du travail, l’inspecteur confie que certains de ses collègues et lui doivent traiter chaque jour "3 ou 4 plaintes de travailleurs contre leurs employeurs". Et les Chinois sont toujours en première ligne, ajoute-t‑il.

[…]

Pour les ouvriers avec lesquels nous avons échangé durant des semaines à travers plusieurs canaux, la fabrication de carreaux en céramique ‑ avec ses différentes étapes ‑ est devenue un enfer quotidien. Exposés aux gaz et aux bruits infernaux de grosses machines, ils doivent résister aux contraintes physiques et psychologiques du travail à la chaine. Certains sont en station debout douze heures d’affilée dans divers ateliers de l’usine. Sous pression permanente des Chinois ou, plus souvent, de leurs relais locaux. "À chaque fin de mois, j’ai la conviction que mon investissement dans ce travail n’est pas récompensé à sa juste valeur. Je vois chaque jour des collègues qui passent une bonne partie de leur temps de travail les jambes croisées sur leur bureau. Ils sont mieux payés que moi grâce à leurs affinités avec des décideurs à l’interne," fulmine Bachir.

En mode infiltration, on ne voit que rarement des Chinois dans l’immense espace des pas perdus de l’usine. Ils sont reclus dans leurs bureaux dont certains ressemblent à des containers aménagés et n’en sortent que pour passer des instructions à certains employés.

Bachir est un ouvrier d’une trentaine d’années. Avec sa mine peu joyeuse, son gestuel flirte avec la résignation.

"Ma satisfaction, c’est d’essayer de prendre ma famille en charge avec le peu que j’ai : ravitaillement alimentaire, paiement des factures d’eau et d’électricité, aide aux parents. En attendant la prochaine paie… De l’épargne? Je n’y pense pas car mon niveau de rémunération ne me le permet pas de toutes les façons. Je vis au jour le jour mais Dieu est grand…"

Sur un ton affirmatif, un autre ouvrier qui appartient au groupe des "syndicalistes" souligne que "de toutes les façons, 90 % des salariés de l’entreprise n’ont pas 130 mille francs CFA".

Chez la plupart des ouvriers, le salaire de base mensuel ne dépasse pas 73 mille francs CFA, selon plusieurs fiches de paie que nous avons consultées. La charge de travail est de 12 heures par jour et 6 jours sur 7.

"Comment un État ayant des moyens et des services de contrôle peut‑il laisser des ouvriers, sénégalais ou étrangers, travailler durant 12 heures par jour avec un seul jour de repos dans la semaine et recevoir des salaires si dérisoires," s’interroge-t‑il. Avant de se lâcher : "les Chinois sont des esclavagistes et on a l’impression qu’ils sont soutenus pour faire ce qu’ils veulent de leurs employés".

Si le salaire est "misérable", les absences sont durement sanctionnées, signale Bachir. "Les Chinois nous retirent 12.500 franc CFA pour chaque jour non travaillé. Ils ne tiennent même pas compte du motif de cette absence qui peut être un décès, une maladie, un baptême, etc.," affirme-t‑il. "Si tu es absent trois jours de suite, ils vous licencient."

Bachir enchaine les CDD à Twyford depuis son recrutement. Sa première obsession reste le bulletin de salaire qu’il brandit pour fustiger la "misère" dans laquelle il dit vivre. Un stress qu’il partage avec des dizaines d’autres ouvriers. Comme Sidate.

Celui-ci dénonce le peu de souci des Chinois en ce qui concerne la sécurité des travailleurs qui font face à l’insuffisance des équipements de protection individuelle (EPI). "Et même s’il arrive qu’il y en ait, ils se révèlent inadaptés aux conditions de travail spécifiques à certains départements."

"Les produits avec lesquels nous travaillons sont toxiques et dangereux à l’inhalation. Or, nous pouvons rester des semaines sans être dotés de masques et de gants contre les risques de démangeaisons qui nous guettent avec le contact de ces produits. Pour les Chinois et leurs proches collaborateurs sénégalais, nous devons juste être une main d’oeuvre efficace. Ils exigent notre soumission à leurs objectifs."

Sidate a failli démissionner aux premiers jours de son arrivée dans l’entreprise. "C’est mon chef de groupe qui m’a motivé et convaincu de rester…," dit‑il.

Le caractère mécanique du travail imposé aux ouvriers, sa part d’intensité et d’insécurité peuvent finir en drame. Libasse se souvient encore des souffrances de son cousin Mor Talla. "Ce n’est que grâce à l’entregent d’un cadre de la direction de l’entreprise qu’il a pu bénéficier d’un traitement médical et encore…"

Il est lui aussi en régime CDD depuis son arrivée dans l’entreprise de Sindia. Sans perspective de gouter un jour à un contrat à durée indéterminée (CDI).

"Ça reste un objectif si je dois rester longtemps dans cette entreprise. Mais quand je vois qu’il y a des anciens qui sont là depuis le début avec un statut inchangé, je me dis que je dois arrêter de rêver," affirme le jeune homme.

En effet, il y a pire que lui, signale un autre "syndicaliste" de Twyford. "Des employés sont dans l’usine depuis la phase d’installation et jusqu’au moment où je vous parle, ils signent tous des contrats de 6 mois, ce qui est contraire à ce que nous savons du Code du travail."

Selon nos interlocuteurs, les ouvriers ne sont pas recrutés en CDI après avoir honoré plusieurs contrats en CDD. Certains sont même purement et simplement renvoyés par les Chinois qui s’évitent ainsi des contentieux devant l’inspection du travail et, éventuellement, devant les tribunaux.

"Même quand ils ont besoin d’un nouveau chef de groupe, ils préfèrent aller chercher quelqu’un en dehors de l’usine qui ne connait rien à ce travail. Ça peut être un étudiant que nous allons former, nous les anciens, et qui va devenir notre chef. Les ouvriers expérimentés, eux, n’ont presque pas de promotion," s’indigne un des syndicalistes.

Concernant la gestion des ressources humaines, Twyford est également accusée de recourir de plus en plus au "chômage technique forcé". Ce système prive certains ouvriers de nombreux jours de travail et donc de revenus financiers. Une stratégie qui n’est pas innocente, remarque le contact syndical cité plus haut.

"Nous constatons la présence de plus en plus nombreuse de migrants étrangers dans l’usine, en général des Guinéens ou d’autres nationalités de passage au Sénégal, dénoncent de nombreux interlocuteurs. Nous pensons que les Chinois les choisissent comme travailleurs au noir afin de pouvoir leur payer des salaires encore plus misérables que les nôtres, sans contrôle de l’État."

Se pose alors la question des avancements et promotions dans l’entreprise. Twyford, c’est environ 1.500 employés toutes catégories confondues, selon nos informations. Un chiffre que nous n’avons pas pu vérifier auprès de la direction.

"Les Chinois ont des critères qu’eux seuls comprennent. Sur ce que nous voyons depuis des années, ils tiennent rarement compte des compétences ou des diplômes pour faire avancer les travailleurs en grade. Ils ne se fient qu’à leurs propres objectifs. C’est une manière détournée de sanctionner les ouvriers méritants qu’ils soupçonnent de faire du syndicalisme à l’intérieur de l’usine," explique Bachir qui pointe ici sa deuxième obsession après le bulletin de salaire.

En ce qui concerne la stagnation de certains ouvriers en grade alors qu’ils sont dans l’entreprise depuis plusieurs années, un inspecteur du travail qui a requis l’anonymat en explique la raison. "L’avancement d’un employé dans la hiérarchie est codifié. S’il est obligatoire dans la fonction publique, il ne l’est pas dans le secteur privé où il est laissé à la discrétion de l’employeur."

Et si les ouvriers de l’usine Twyford de Sindia étaient les victimes des facilités que le droit du travail offre aux investisseurs dans leurs premières années d’exploitation?

Selon un spécialiste du droit du travail, si l’entreprise chinoise de Sindia renouvèle indéfiniment les CDD de ses employés au détriment du système CDI, "c’est sans doute parce qu’elle exploite certaines dispositions du code de l’investissement," en particulier pour les investisseurs qui souhaitent s’inscrire durablement dans le tissu économique local.

D’après nos investigations, Twyford dispose effectivement d’un agrément au Code des investissements du Sénégal mais la date d’obtention de ce sésame très couru par les investisseurs ne nous a pas été précisée. Ce document délivré par l’Agence de promotion des investissements et grands travaux (APIX) lui permet de déroger à certains principes intangibles du droit du travail au Sénégal. Les ouvriers en font directement les frais.

"Si l’entreprise a obtenu un agrément de réalisation, l’employeur a la possibilité d’établir et de renouveler des contrats à durée déterminée (CDD) sur une période de 5 ans sans enfreindre les dispositions de la loi. À la base, l’idée est d’aider l’investisseur à réussir le retour sur investissement et encourager les chefs d’entreprise à créer des emplois," explique l’inspecteur du travail.

Toutefois, la date de prise d’effet de cet agrément est un volet "extrêmement important," précise-t-il.

"Tout investisseur remplissant les critères qui donnent droit à l’agrément est éligible. Mais cette dérogation sur les CDD ne pourra être appliquée que pour les employés recrutés après l’obtention dudit agrément, et pas sur ceux qui étaient dans l’entreprise auparavant."

L’adhésion au code des investissements offre plusieurs avantages aux entreprises(**) : exonérations fiscales, facilités d’investissement, avantages fiscaux, transfert de bénéfices et de capitaux, garanties juridiques, etc.

L’agrément est scindé en deux étapes : agrément de réalisation et agrément d’exploitation.

Le premier concerne les avantages offerts à l’investisseur durant la période de mise en place de l’entreprise. C’est cet agrément de réalisation qui permet à l’employeur de renouveler les CDD pendant plusieurs années.

L’agrément d’exploitation est un autre package de facilités offertes à l’entreprise quand ses activités auront effectivement débuté.

Twyford a donc pu bénéficier de paquets d’exonérations de droits de douane sur les matériaux et matériels indispensables à la production de carreaux en céramique mais introuvables au Sénégal. Elle a pu aussi obtenir de suspensions de paiement de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) dans ses transactions avec les fournisseurs locaux concernant des produits nécessaires à ses activités d’usine.

[…]

Les retenues patronales pour l’Institut de prévoyance retraite (IPRES) sont une autre source d’inquiétude pour les travailleurs de Twyford. Elles sont répertoriées sur tous les bulletins de salaire que nous avons collectés. Elles doivent donc se retrouver dans les caisses de l’IPRES. Le sont‑elles effectivement? Des employés de Twyford disent n’en rien savoir.

"Beaucoup d’entre nous ont tenté de s’en informer auprès de responsables de la direction ou des ressources humaines. Mais nous n’avons jamais reçu de réponse. Ils finissent toujours par nous dégager avec des promesses," souligne Sidate.

D’après l’inspecteur du travail cité plus haut, "les charges sociales sont incompressibles pour toutes les entreprises opérant au Sénégal".

En l’absence de syndicat maison pour prendre en charge leurs préoccupations, certains ouvriers envisagent d’obtenir ces informations auprès de l’agence IPRES de Mbour dont ils dépendent.

Twyford verse-t‑elle les cotisations retraite à l’agence IPRES de Mbour? Interpelée par nos soins, la cheffe d’agence a répondu : ce dossier ne vous concerne pas vu que vous n’en êtes pas partie prenante; seuls les employés de cette usine peuvent obtenir de telles informations à notre niveau.

Sur les bulletins de salaire, figure également la contribution forfaitaire à la charge des employeurs (CFCE). "Elle équivaut à 3 % de la masse salariale" de l’entreprise et doit être versée "au plus tard le 15 du mois qui suit". Cependant, "depuis 2019, toute nouvelle création d’entreprise est exonérée de la CFCE pour une durée de 3 ans," signale un spécialiste du droit du travail.

Cette exonération peut même être prolongée de 5 années supplémentaires "si les emplois créés dans le cadre du programme d’investissement agréé sont supérieurs à 200 ou si au moins 90 % des emplois créés sont localisés en dehors de la région de Dakar".

Les employés de Twyford en veulent beaucoup à l’inspection du travail qu’ils accusent de complicité avec les employeurs chinois. "Tout notre problème, ce sont les inspecteurs du travail. S’il y avait des sanctions, billaahi (au nom de Dieu, ndlr), les entrepreneurs allaient respecter leurs travailleurs. On nous traite comme des esclaves dans notre propre pays," fulmine Sidate.

"Les cas où les plaintes de travailleurs sont validées par un inspecteur du travail, ça n’existe presque pas. Et même si cela arrive, les décisions ne sont presque jamais appliquées contre les Chinois," se plaint Bachir.

Les ouvriers, en l’absence de responsables syndicaux outillés pour mener des négociations avec le patronat chinois, ne sont pas toujours au fait de l’évolution des lois du travail et des avantages qu’elles offrent aux investisseurs. Mais l’inspecteur du travail interrogé plus haut ne semble pas les condamner face aux pratiques des Chinois de Twyford.

"Une entreprise qui veut la paix à l’interne doit respecter la règlementation en vigueur. Avec les Chinois, la démarche est toujours la même : ils règlent les problèmes à moitié, attendent un temps, puis reviennent dessus. Ils ne comprennent pas que si les tentatives de conciliation échouent, c’est le tribunal qui devient compétent pour arbitrer les différends entre employeurs et travailleurs," indique-t‑il.

Il pointe ensuite la faiblesse des moyens alloués au corps des inspecteurs du travail, leur nombre réduit et l’immensité des taches qu’ils doivent remplir. Aujourd’hui le Sénégal compte 21 inspecteurs du travail et 47 contrôleurs du travail, soit un stock de 78 hauts fonctionnaires pour s’occuper des affaires de 400 mille travailleurs. Or, le Bureau international du travail (BIT) recommande un ratio de 1 inspecteur du travail pour 40 mille travailleurs dans les pays en développement, explique un spécialiste du droit du travail.

À cela, s’ajoutent "l’arrogance" dont font preuve certains employeurs et "le sentiment d’impunité" qui anime d’autres.

Pour l’année 2023, la direction des statistiques du travail révèle que sur 582 dossiers de conflits individuels de travail transmis aux tribunaux par les inspecteurs du travail, 151 ont pour motif "l’absence de l’employeur après plusieurs convocations".

La majeure partie de ces affaires concernent les régions de Dakar et de Thiès. L’usine Twyford de Sindia est dans la "juridiction" de Thiès…

Pendant trois mois, il nous a été impossible de rencontrer la direction de Twyford ou des responsables de l’usine. Un verrouillage global est mis en place à tous les niveaux susceptibles d’être des portes d’accès à l’information. Plusieurs personnes proches du management interne ont plus ou moins clairement affirmé leurs craintes de parler (même en off) par peur de représailles. Certains ont fixé des rendez-vous hors de l’entreprise mais ne les ont jamais honorés. D’autres ont sorti des prétextes de dernière minute pour finalement renoncer à tout entretien, même en off. Nous avons tenté à maintes reprises ‑ en vain naturellement! ‑ de joindre le conseiller économique et commercial de l’ambassade de Chine au Sénégal.

Un sentiment de suspicion semble avoir fait son trou dans l’usine. Mais il reste encore des ouvriers courageux qui ont pris le risque de raconter leurs histoires, sentiments, déceptions, craintes et tous sont presque sans espoir… Nous les protégeons avec des pseudonymes dans le texte. Sauf pour Mor Talla, la victime de l’accident citée en début d’article…

 

(*) Voir : https://senegal7.com/greve-a-lusine-twyford-les-25-travailleurs-obtiennent-une-liberte-provisoire/.)

(**) https://tedmaster.org/2023/02/28/code-des-investissements/)

 

"Au Sénégal, des ouvriers face au revers de la médaille économique chinoise"[8]
5 septembre 2024

 

Cheikh, qui souhaite apparaitre sous un nom d’emprunt pour conserver son anonymat, 31 ans, garde un bon souvenir de son embauche comme technicien par Twyford Ceramics, à Sindia, au Sénégal, il y a cinq ans. Tout juste sorti d’un master en finances à l’Université Cheikh-Anta-Diop de Dakar, le jeune homme est confiant. Il déménage et s’installe en location dans une petite chambre d’à peine 20 mètres carrés aux abords de l’usine de fabrication de carrelages. "C’était mon premier emploi, j’étais content d’avoir un contrat de travail," explique-t-il.

[…]

Quotidiennement, les ouvriers de l’entreprise se relaient à leur poste de travail toutes les douze heures, souvent sans pause restauration. Les uns commencent leur rotation à 7 h 30, les autres à 19 h 30. Soixante heures de travail hebdomadaires pour un salaire mensuel de 80.000 francs CFA (l’équivalent de 120 euros) pour les ouvriers en poste sur la chaine de production, et jusqu’à 200.000 francs CFA (305 euros) pour les superviseurs ‑ primes de risque, de performances, d’ancienneté et de blanchisserie comprises. Selon les études, le salaire moyen au Sénégal varie entre 100.000 francs CFA (150 euros) et 150.000 francs CFA (228 euros). "C’est un manque de considération, ils nous exploitent," dénonce Cheikh, devant l’amas de ses fiches de paye. Cinq années durant lesquelles il aurait eu droit à 120 jours de congé, mais n’a eu de permission que pour 40 jours.

Aux amplitudes horaires à rallonge s’ajoutent des conditions de travail décrites comme "inhumaines" par bon nombre de salariés. "Il y a encore quelques semaines, nous n’avions pas d’eau potable," s’indigne Ousmane, qui lui aussi a choisi d’apparaitre sous un nom d’emprunt. "Pas non plus d’équipements de protection individuels, comme des chaussures, des casques, ou encore des gants pour les coupes de carrelage," ajoute l’un de ses coéquipiers relevant son ourlet de pantalon pour montrer une cicatrice causée par un récent accident du travail. "Il faut aussi dire que les Chinois nous maltraitent, ils nous parlent comme à des animaux, nous infantilisent et parfois en viennent aux mains."

Ces conditions de travail difficiles, l’inspecteur général du travail et de la sécurité sociale Tene Gaye s’en souvient parfaitement : "À ma première visite en 2019, il n’y avait pas de respect de la règlementation sénégalaise en matière de droit du travail. Selon mon rapport de l’époque, j’ai effectué une mise en demeure avec 29 points de non-conformité, parmi lesquels l’absence de médecine du travail, de comité d’hygiène ou d’équipements de travail individuels."

Selon l’inspecteur du travail, la précarité des contrats pose de nombreux problèmes. Selon lui, près de 90 % des employés sont en contrat à durée déterminée (CDD). Et pour cause : Twyford Ceramics bénéficie d’un agrément du code des investissements, un document délivré par l’Agence de promotion des investissements et grands travaux, qui lui permet de déroger à certains principes du droit du travail au Sénégal, dont le renouvèlement des CDD. "Normalement, c’est deux fois maximum, mais cet agrément donne la possibilité d’un renouvèlement à l’infini sur cinq ans, précise Abdou Aziz Sy, trésorier de l’Union démocratique des travailleurs du Sénégal. L’État a fait beaucoup de faveurs pour l’investissement, mais cela a créé en contrepartie des emplois très précaires et indécents."

"Nous sommes sur des sièges éjectables," s’inquiète Cheikh, en CDD depuis 5 ans, au départ renouvelable tous les trois mois, puis tous les six mois, et désormais tous les ans. "Il y a eu beaucoup de licenciements déguisés de personnes qui étaient en fin de contrat, soutient de son côté l’inspecteur Tene Gaye. En 2021 par exemple, ils n’ont pas renouvelé les contrats de 18 personnes en même temps. Toutes venaient d’intégrer un syndicat." Il précise que cette règlementation nuit à la liberté d’organisation collective et à celle de la représentation des travailleurs, normalement garantie au Sénégal. Dans les faits, depuis, aucun syndicat n’a été formé dans l’entreprise.

Si des changements ont été opérés depuis 2019, reste de nombreux ajustements pour que l’usine de carrelages revienne dans les clous de la règlementation sénégalaise. En 2024, elle a d’ailleurs attiré l’attention des nouvelles autorités, dont le président élu en mars, Bassirou Diomaye Faye, effectue son premier voyage en Chine à l’occasion du 9e forum de la coopération sino-africaine. "Nous avons reçu des auditeurs envoyés par l’État, cette fois-ci en provenance de Dakar et non pas du bureau régional de Thiès," souffle un délégué du personnel.

Très récemment, la Société financière internationale, filiale de la Banque mondiale tournée vers le secteur privé, aurait également déclenché un audit en tant que créancier de l’usine Twyford Ceramics de Sindia. Le groupe chinois semble s’en inquiéter. "Il y a une semaine, la direction a signalé à des équipes que les salariés ne pourraient plus dépasser 48 heures de travail hebdomadaire," relate le même délégué du personnel, "suivant ainsi la règlementation sénégalaise qui ne prévoit pas plus de dix heures de travail quotidien, sauf dérogation de l’inspection du travail. Ce dont Twyford ne dispose pas." La mesure provoque cependant des coupes sur les salaires. Contactée, la direction de l’entreprise n’a pas donné suite aux sollicitations du Monde.

Le syndicaliste Abdou Aziz Sy en convient : "Ces pratiques ne se résument pas qu’aux entreprises chinoises, même si l’on peut dire qu’elles se font souvent remarquer." Il rappelle aussi que si les usines chinoises ont une responsabilité, l’État sénégalais en détient une large part également, du fait de sa permissivité.

Au Tchad, le groupe chinois CNPC

 

"Tchad : le syndicat du secteur pétrolier en guerre contre les entreprises chinoises"[9]
16 aout 2022

 

Le syndicat national du secteur pétrolier PETROSYNAT menace d’entrer en grève d’ici à la semaine prochaine. Dans un communiqué du 12 aout, le syndicat donne un préavis d’une semaine au géant pétrolier chinois CNPC ‑ Chinese National Petroleum Company ‑ pour prendre en compte ses revendications. Au-delà de la CNPC, ce sont les entreprises à capitaux chinois implantées sur le sol tchadien qui sont visées. […]

La revendication phare du syndicat, c’est qu’il exige de la CNPC un meilleur traitement des employés tchadiens. Un problème commun à toutes les entreprises chinoises implantées dans le pays, comme le dénoncent les syndicats. "Les employés nationaux qui travaillent dans les entreprises à capitaux chinois sont très maltraités d’un point de vue salarial," souligne Issangwaï Djimasra, membre de l’Union des syndicats du Tchad.

En cause, la rémunération inégale entre les salariés tchadiens et expatriés ‑ qu’ils soient Français, Soudanais ou Indiens par exemple ‑, comme l’explique Koba Gnavourbé, délégué du personnel à la CNPC. "Le travailleur tchadien est moins bien rémunéré que les expatriés. Alors qu’un salarié tchadien gagne 500.000 francs CFA tout au plus, un Français, un Soudanais ou un Indien gagne 9 millions de FCFA."

Cette situation est manifestement traditionnelle.

 

En effet, les incriminations ne sont nullement récentes.

 

"Les entreprises chinoises se font une place au Tchad"[10]
18 juillet 2010

 

Les employés de la Société de raffinage de N’Djamena (SRN)(*) ont repris le travail hier pour permettre à l’Union des syndicats du Tchad (UST) d’engager des nouvelles négociations avec le Directeur de ladite société.

Intervenant hier sur les ondes de la Fm Liberté, le secrétaire national chargé de la formation syndicale de l’UST, M. Bassou Rakis Singa a déclaré que "les entreprises chinoises ne respectent aucunement la législation du travail en vigueur au Tchad : licenciement abusif et non-respect de la grille salariale".

 

 (*) Le capital de la SRN est détenu à 60 % par la Chinese National Petroleum Company (CNPC) et à 40 % par l’État Tchadien)

Les entreprises chinoises au Zimbabwe

Les entreprises chinoises ont investi massivement dans les secteurs économiques du Zimbabwe au cours des cinq dernières années et elles sont désormais très présentes dans les secteurs des mines, de la construction, de l’énergie et de l’agriculture[11]. L’Agence d’investissement du Zimbabwe (Zida) dans son rapport annuel 2022 a noté que la Chine était devenue la plus grande source d’investissement direct étranger du pays d’Afrique australe, car elle représentait 76,2 % des projets de 3 milliards de dollars approuvés entre 2019 et juin 2022.

 

Lettre datée du 7 juin 2023 adressée par la Zimbabwe Diamond and Allied Minerals Workers Union (ZDAMWU) au ministre de la Fonction publique, du Travail et de la Protection sociale, Paul Mavhima[12]

 

Les mineurs demandent une inspection au niveau national concernant le travail dans toutes les mines du Zimbabwe, grandes et petites, en particulier les mines appartenant à des Chinois. […] Les mineurs ont atteint un point qui nécessite votre intervention avant que la détérioration des conditions et de l’environnement de travail ne dégénère en chaos et en troubles du travail. Les mineurs sont très frustrés et agitent en faveur d’actions s’il n’y a pas de solution immédiate à tous les problèmes constatés.

 

Prises de position de la Zimbabwe Diamond and Allied Minerals Workers Union (ZDAMWU) et du Zimbabwe Congress of Trade Unions (ZCTU)[13]
juin 2023

 

Justice Chinhema, secrétaire général de la ZDAMWU, a déclaré :

"Ce qui se passe, c’est que les entreprises chinoises qui viennent investir dans ce pays font venir leurs propres employés de Chine qui, à notre avis, sont également victimes d’abus. Les travailleurs maltraités déversent ensuite leur colère sur les populations locales avec lesquelles ils travaillent. La forme d’abus la plus courante consiste à forcer les travailleurs à travailler de longues heures, à leur refuser un congé de maladie et parfois à les agresser verbalement ou physiquement. Les travailleurs sont obligés de travailler dans un environnement dangereux, et certains sont obligés de vivre dans des maisons ou cabanes en tôle sans eau potable. Les travailleurs ne reçoivent pas de vêtements de protection et les autorités sont réticentes à traiter nos griefs."

Chinhema a ajouté que la plupart des entreprises chinoises n’autorisent pas les syndicats à entrer sur leurs sites pour couvrir les abus.

Le ZCTU a accusé de hauts responsables du gouvernement zimbabwéen de protéger les entreprises chinoises qui ont violé les lois du travail du pays en toute impunité.

Le président par intérim du ZCTU, Nicholas Mazarura, a déclaré :

"Le Congrès des syndicats du Zimbabwe note avec inquiétude le mépris flagrant et continu des lois du travail par les employeurs chinois dans tous les secteurs de l’économie, malgré des engagements concertés à tous les niveaux sur la question au fil des an. Nous avons observé de graves violations du droit du travail, des actes de torture, des passages à tabac, des violences sexistes, des sous-paiements et toutes sortes d’autres pratiques de travail déloyales, perpétrées par les Chinois sur les locaux. Les travailleurs formulent constamment des griefs selon lesquels leurs droits ont été habituellement violés, car la plupart d’entre eux sont payés moins que les salaires ou rémunérations industriels minimums stipulés."

 

En janvier 2022 le groupe chinois Sinomine a acquis au Zimbabwe la mine Bikita Minerals dans le cadre d’une transaction de 180 millions de dollars. La mine est en activité depuis 1950 et produit principalement de la pétalite, un minéral de lithium utilisé dans les industries du verre et de la céramique. Sinomine a investi 200 millions de dollars supplémentaires pour étendre les opérations existantes de la mine, y compris la construction de deux usines de traitement du lithium pour produire du concentré de spodumène et du pétalite.

 

"Le gouvernement suspend les activités de Bikita Minerals en raison d’abus"[14]
17 mai 2023

 

Le 15 mai 2023, Bikita Minerals a interrompu ses activités suite à une directive gouvernementale exigeant la fermeture de l’entreprise pour une série d’infractions, concernant notamment le statut de migration/immigration des employés étrangers (emploi d’immigrants chinois illégaux), mauvaises pratiques en matière du travail et de l’administration minière (procédures déficientes conduisant à la contrebande) et questions de sécurité, de cotisations de sécurité sociale et de surveillance médicale.

Auparavant la police avait découvert une importante cargaison de minerai de lithium sur deux sites de la zone industrielle de Masvingo. La police a déclaré que le minerai pesait 3.500 tonnes et qu’elle soupçonnait que la majeure partie de ce minerai avait été volée à Bikita Minerals pour être sortie clandestinement du pays. La loi zimbabwéenne interdit l’exportation de lithium brut à moins qu’un mineur ne soit exempté.

Par ailleurs en avril de cette année, EnviroPress et The Standard, en collaboration avec Information for Development Trust, ont publié un article d’enquête axé sur les violations flagrantes des droits du travail et des droits de l’homme dans la mine. L’article s’est concentré sur les nombreux cas d’abus de main-d’œuvre, notamment les bas salaires, les heures supplémentaires non payées, les difficultés à obtenir des jours de congé et l’injustice dans l’administration de la prime cible controversée.

Des sources ont déclaré que Bikita Minerals employait plus de 100 immigrants illégaux chinois, qui courent souvent se cacher dans la brousse lorsque les inspections du ministère de l’Immigration sont effectuées.

Le directeur de la mine de Bikita Minerals, Mwanza, a cherché à absoudre son employeur et à imputer toute la responsabilité des cas de pratiques de travail abusives aux nombreuses entreprises sous contrat pour fournir divers services à la mine.

Parmi les entreprises sous contrat, PEI, qui exploite des engins de terrassement, et Madlux, qui emploie des centaines de travailleurs occasionnels, ont été identifiées dans l’article d’enquête comme les plus abusives.

Des sources ont déclaré que PEI est connue pour payer les salaires en retard, ne pas fournir de fiches de paie, forcer les employés à travailler sans vêtements de protection suffisants et pour son refus d’inscrire les employés auprès de l’autorité des pensions NSSA. Les employés de l’entreprise vivent dans des cabanes en bois surpeuplées qui ne disposent pas d’installations de ventilation et de toilette.

Le 24 mai 2023, dans un communiqué, Sinomine a déclaré que Bikita Minerals reprenait ses activités après que "des inspections et des rectifications spéciales ont été effectuées sur la gestion de la main-d’œuvre et d’autres questions connexes des sous-traitants".

Le cas d’une société chinoise au Ghana

OIT – Compte rendu des travaux, Conférence internationale du Travail, 111e session, 2023 [15]

 

Anthony Yaw Baah Akuamoah-Boateng, délégué travailleur du Ghana

La question qu’il s’agit aujourd’hui de poser est la suivante, comment faire avancer la justice sociale, la justice sociale, au Ghana, en Afrique et partout dans le monde. Fort heureusement, nous avons à notre disposition les outils nous permettant de faire avancer ou même d’atteindre la justice sociale, et là je pense évidemment aux conventions internationales du travail. Or nous pouvons aller plus loin encore partout dans le monde, si nous améliorerons la mise en œuvre des normes internationales du travail existantes, et en nous concentrant sur les conventions fondamentales. La convention 87 portant sur la liberté syndicale ainsi que la convention 98 portant sur la négociation collective doivent attirer toute notre attention pour avancer vers plus de justice sociale. […] Mais ces dernières années, un grand nombre de travailleurs ghanéens ne peuvent plus accéder à leurs droits et notamment à leur liberté syndicale ainsi qu’aux droits à la négociation collective, et ce, surtout dans des entreprises détenues par des étrangers. À l’heure actuelle, nous rencontrons des difficultés avec une société de production électrique ou énergétique qui s’appelle Sunon Asogli Power Ghana, propriété de Shenzhen Energy Group Company Limited, une entreprise chinoise détenue également par le Fonds de développement africain chinois. Les travailleurs ont décidé de créer un syndicat en 2021 et le management chinois de l’entreprise ainsi que ses collaborateurs ghanéens font tout ce qu’ils peuvent pour saper les efforts des salariés à l’heure de créer un syndicat. À l’heure où je vous parle, 3 leaders syndicaux ont vu leur contrat annulé dans un effort de saper le processus de syndicalisation. Le ministère de l’emploi est intervenu, mais la gestion de l’entreprise refuse de les réinsérer.

Utilisation pernicieuse de la sous-traitance

"La route de la ruine? Les véhicules électriques et les violations des droits des travailleurs dans les mines"[16]
Novembre 2021

 

Dans ce qui suit, sont rapportés quelques constats concernant les sociétés minières implantées en République démocratique du Congo. Parmi les sociétés citées, trois ‑ Sino-congolaise des mines (Sicomines), Société minière de Deziwa (Somidez), Tenke Fungurume Mining (TFM) ‑ sont financées, détenues et opérées par des partenariats entre la société minière publique congolaise, Gécamines, et les sociétés et investisseurs chinois privés. Metalkol appartient au groupe Eurasian Resources Group (ERG), détenu par des capitaux kazakhs et immatriculé au Luxembourg.

TFM est détenue à 80 % par la société China Molybdenum Co., cotée à la Bourse de Hong Kong, tandis que les 20 % restants appartiennent à Gécamines.

Sicomines est une co-entreprise entre d’une part Gécamines et la Société Immobilière du Congo (32 %) et d’autre part un consortium de sociétés et d’investisseurs chinois (68 %).

Somidez repose sur un partenariat entre Gécamines, qui détient 49 % des parts et conserve les droits miniers, et China Nonferrous Metal Mining Company (CNMC), qui détient 51 % des parts et est l’investisseur principal et l’exploitant.

 

Le cobalt est partout. […] Cela exigera une hausse considérable de la production de cobalt. […] La République démocratique du Congo, l’un des pays les plus pauvres d’Afrique, renferme dans ses sols la majeure partie des réserves de cobalt du monde. En 2020, 70 % du cobalt mondial était issu de son territoire, avec des dizaines de milliers d’ouvriers travaillant dur dans des mines industrielles à grande échelle pour en extraire le minerai. […]

p. 27

Les recherches de RAID (Rights and Accountability in Development) et du CAJJ (Centre d’Aide Juridico-Judiciaire) dans les cinq mines présentées dans ce rapport montrent que les sociétés minières font de plus en plus appel à des sous-traitants pour recruter la majorité de leur main-d’oeuvre. En fait, l’industrie minière semble dépendre de la main-d’oeuvre externalisée. D’après les chiffres fournis par les sociétés minières ou obtenus auprès de l’inspection du travail congolaise, quatre des cinq mines emploient (directement ou indirectement) au moins 26.455 travailleurs, et plus de la moitié (57 %) de cette main-d’oeuvre est fournie par des sous-traitants. Les mineurs, les chauffeurs de camion, les agents de nettoyage, le personnel de restauration, les ouvriers du bâtiment et le personnel de sécurité, entre autres, sont souvent embauchés par l’intermédiaire d’agences de recrutement plutôt que d’être employés directement. Cela crée un système d’emploi à deux niveaux où les travailleurs font généralement le même travail, mais ceux qui sont employés par l’intermédiaire d’un sous-traitant sont soumis à un salaire inférieur, à des avantages sociaux minimaux ou nuls et à une précarité de l’emploi.

p. 4

Chez TFM, par exemple, 68 % de la main-d’oeuvre en 2020 était employée par des sous- traitants; chez Metalkol, elle représentait 64 %. Le recours à des sous-traitants ou des agences de recrutement est une pratique acceptable pour les missions de courte durée ou le recrutement de spécialistes, mais il ne fait aucun doute que les sociétés minières en RD Congo font appel à des sous-traitants pour obtenir du personnel pour leurs activités principales à long terme, souvent avec une rémunération extrêmement faible. Les travailleurs employés par des sous-traitants sont nettement moins bien payés que ceux qui sont embauchés directement par les sociétés minières et la plupart (63 %) ne gagnent pas le salaire de subsistance de 402 USD par mois, c’est-à-dire la rémunération minimale pour garantir un niveau de vie décent. Nombreux sont ceux qui gagnent considérablement moins. Les travailleurs ont décrit être traités comme des citoyens de seconde zone, tandis que ceux qui sont employés directement reçoivent un salaire et des avantages bien supérieurs à leur propre rémunération faible, ce qui crée une violation régulière du principe "à travail égal, salaire égal". Beaucoup ont expliqué être désespérés, incapables de s’extraire eux-mêmes et leurs familles de la pauvreté.

p. 5

Les experts du secteur indiquent qu’une proportion considérable (70 %) du secteur minier congolais est désormais financée par des investissements chinois. Cette activité chinoise accrue s’est accompagnée de signalements de tensions entre travailleurs chinois et congolais. Cela n’a pas toujours été le fait d’un seul camp : les travailleurs chinois ont décrit avoir subi une forte hostilité de la part des Congolais. Cependant, nous avons constaté que, même lorsque les expatriés chinois rencontrent des difficultés, leurs conditions de travail sont nettement supérieures à celles des travailleurs congolais. Chez Sicomines, Somidez, TFM et leurs sous-traitants respectifs, ainsi que chez les sous-traitants de Metalkol, les travailleurs ont rapporté avoir subi ou été témoins d’actes de racisme et de discrimination quasi quotidiens. Cela s’exprimait à travers des violences physiques et verbales. Les travailleurs ont décrit un niveau de discrimination rappelant l’"ère coloniale" et ont raconté qu’ils faisaient l’objet de coups de pied, de gifles, de coups de bâtons et d’insultes, qu’on leur criait dessus et qu’on les tirait parfois par l’oreille lorsqu’ils n’arrivaient pas à comprendre des instructions en mandarin, faisaient des erreurs ou refusaient d’effectuer des tâches dangereuses. Dans la plupart des cas, ceux qui ont résisté à ce traitement ont été immédiatement licenciés sans rémunération.

p. 12

"Nous travaillions dur, sans aucune pause, pour 2,5 USD par jour. Si vous ne compreniez pas ce que le patron vous disait, il vous giflait. Si vous aviez un accident, ils vous mettaient à la porte." – André, travailleur congolais dans une mine de cobalt industrielle en RD Congo.

p. 32

Chez TFM, les travailleurs ont indiqué qu’ils avaient dû signer plusieurs contrats à durée déterminée d’un an consécutifs. Un travailleur de TFM a raconté qu’il a été transféré tous les deux ans dans une nouvelle agence de sous-traitance sur une période de dix ans. Il a indiqué que le service des ressources humaines de TFM assurait directement la supervision et ordonnait les transferts, ce qui révèle à quel point ces arrangements douteux, parfois illégaux, sont devenus centraux dans la gestion des opérations.

"Ils ne nous forçaient pas, ils nous disaient juste que nous serions transférés vers une autre structure. Ils nous appelleraient et nous expliqueraient. C’était notre chef chez TFM qui devait nous appeler. Si vous refusiez, ils vous renvoyaient sans réfléchir ‑ très rapidement… Mais c’était tellement fréquent, que personne ne se plaignait."

Trois autres employés d’une entreprise de sous-traitance de TFM nous ont raconté qu’ils n’avaient jamais signé de contrats et ne savaient pas sous quel type de contrats ils étaient employés. Un autre travailleur pour le même sous-traitant a indiqué qu’il n’avait pas de contrat, pas de soins de santé, pas de prime, pas de congés annuels et pas de possibilité d’adhérer à un syndicat.

p. 32-33

L’histoire de Pascal(*)

Je vis ici à Fungurume. Je travaille pour une société sous-traitante de TFM. J’ai commencé en 2013. Je suis chauffeur d’autobus. Je travaille de 9 h à 21 h pendant trois jours, puis de 4 h à 16 h pendant trois jours, suivis de trois jours de repos. On appelle ça le 6-3.

Au départ, j’ai signé un contrat à durée déterminée d’un an qui était renouvelé chaque année. J’ai eu sept contrats comme ça. Mon salaire mensuel est de 580 USD et il n’a jamais changé. Je gagne toujours exactement la même chose [que lorsque j’ai commencé]. On nous donnait un sac de farine par mois, mais ça s’est arrêté il y a six mois. Je bénéficie de soins de santé [de base] gratuits pour moi et ma famille, mais si nous avons besoin de plus de soins ou de traitements complexes, je dois également payer la moitié de ma poche. Ça m’est arrivé. Ma femme a eu un kyste et a eu besoin de se faire opérer, donc j’ai dû payer 180 USD et la société a payé la même somme. C’était il y a trois ans.

On ne recevait pas de prime. Depuis 2013, je n’ai eu qu’un seul congé annuel, après quatre ans de travail, et c’est parce que je l’avais demandé. J’ai eu 12 jours de congé. Je n’ai jamais reçu de 13e mois parce que j’avais un contrat d’un an. Je n’ai jamais rien reçu d’autre que mon salaire. [En RD Congo, le 13e mois est un avantage financier facultatif versé par l’employeur à ses employés. Cette prime annuelle est basée sur le salaire du travailleur concerné et équivaut à un mois de salaire complet.]

[…] Les Chinois n’écoutent pas le travailleurs, c’est très hiérarchique. Même pendant le confinement [lié à la Covid-19], dans un premier temps, les Chinois n’ont accordé de prime qu’aux travailleurs ayant un contrat à durée indéterminée. Ils ne l’ont versé aux autres qu’après que nous avons protesté.

Le 27 octobre 2020, le superviseur d’une nouvelle société de sous-traitance nous a dit que nous n’étions plus employés par notre agence de sous-traitance [dont ils dépendaient jusque-là] parce que le contrat de celle-ci avec TFM avait pris fin. Il nous a expliqué qu’il était notre nouveau patron et nous a demandé de démissionner de l’entreprise précédente et de signer un nouveau contrat avec lui. Mon contrat précédent n’était [pas encore terminé et ne devait prendre fin que] le 31 décembre 2020. On a juste dit à ceux qui ont refusé qu’ils pouvaient partir.

Nous avons appelé notre précédent employeur [pour demander des conseils] et il nous a dit d’attendre, alors nous avons attendu. Le troisième jour, il nous a dit que nous pouvions signer le nouveau contrat. Nous avons signé, mais nous n’avons jamais eu notre décompte final. Mon précédent employeur a expliqué qu’il ne savait pas ce qu’il se passait parce que TFM ne l’avait pas informé. Ensuite, il ne s’est rien passé. J’ai simplement continué à travailler pour le nouveau sous-traitant, mais je n’ai pas été payé pour mon dernier mois [d’avant]. Je n’ai jamais reçu mon décompte final [du sous-traitant précédent], alors que j’avais travaillé huit ans pour mon précédent employeur.

Lorsque nous avons écrit un courrier pour nous plaindre, nous avons reçu des menaces de notre superviseur chez TFM. Il nous a dit que nous devions accepter notre nouveau contrat, sinon il nous remplacerait. Il a indiqué que ce que nous avions fait ‑ écrire une lettre ‑ pourrait conduire des gens à la morgue. Il a appelé les personnes qui ont signé le courrier et nous a dit de ne pas causer de problèmes, de ne pas réclamer nos salaires non versés.

Je me suis senti obligé de signer le contrat avec le nouveau sous-traitant. J’ai demandé mon exemplaire, mais je ne l’ai jamais reçu. C’est un contrat d’un an, avec le même salaire, les mêmes avantages. Je n’ai aucune idée de qui est cette société. Je ne sais pas qui est le patron, je ne connais que le superviseur. Je ne sais pas où se trouvent leurs bureaux. Nous ne savons rien d’eux.

p. 38-39

Chez TFM, Mutamba(*) travaille de nuit pour un sous-traitant, de 17 h à 6 h sans pause, pendant 30 jours consécutifs. Il est ensuite autorisé à prendre deux jours de congé, mais il doit en faire la demande. Un autre employé du même sous-traitant, Jean-Florent(*), a travaillé tous les jours ‑ sans aucun jour de repos ‑ de janvier à juillet 2020. Toujours chez TFM, David(*) a déclaré être parfois obligé de travailler en équipe de jour et de nuit pendant 21 heures par jour avec deux pauses, de 90 minutes et deux heures, pendant une semaine entière. Il n’a bénéficié d’aucun congé supplémentaire à la fin de cette période de travail intense. D’après son planning habituel, il est autorisé à prendre un jour de repos après 14 jours de travail sans congé annuel supplémentaire à la fin de l’année.

Chez un sous-traitant de Sicomines, Lyambo(*) travaillait sept jours sur sept, avec des jours de repos accordés sur demande, mais déduits de son salaire. En deux ans, il n’a été autorisé à prendre que neuf jours de congé au total et a fini par quitter l’entreprise parce qu’il avait du mal à obtenir des jours de repos. Selon Lyambo, il est courant pour ce sous-traitant de licencier les travailleurs qui déposent trop de demandes de congés.

p.40

Samuel(*) a commencé à travailler pour le sous-traitant sur le site minier de Metalkol en décembre 2016. Il avait été embauché avec un contrat de 21 jours mais n’a jamais reçu d’exemplaire écrit à signer. Il a expliqué à RAID et au CAJJ qu’il avait été humilié et maltraité dans le cadre de son emploi. Bien qu’employé comme cuisinier, on lui a souvent demandé d’effectuer d’autres tâches sans rapport avec sa fonction, notamment le déchargement de sacs de ciment, le coulage de béton et le débouchage de canalisations. Il a été témoin de la façon dont des personnes tombées malades au travail ont été licenciées sur-le-champ.

Samuel travaillait la semaine entière du lundi au dimanche, de 7 h 30 à 17 h 00, et était payé 3,65 USD par jour seulement. Il a indiqué qu’il n’avait pas reçu d’équipement de protection individuelle (EPI) adapté. Le témoignage de Samuel a été confirmé par la plupart des travailleurs congolais interrogés par RAID et le CAJJ. Chaque fois que lui et d’autres travailleurs essayaient d’alerter sur les mauvaises conditions de travail, ils étaient ignorés.

D’importants risques pour la sécurité ont également été signalés par Isaac(*), qui a travaillé pour le sous-traitant pendant 14 mois. Isaac a expliqué à RAID et au CAJJ que les responsables traitaient les travailleurs congolais "comme des esclaves" et ne réalisaient pas d’évaluations des risques appropriées. Les employés, a-t-il poursuivi, étaient forcés de travailler en hauteur sans sangles de sécurité et étaient contraints de soulever des objets lourds manuellement au lieu d’utiliser des machines.

Les conditions de travail pendant la phase de construction de Metalkol ont donné à de nombreux travailleurs le sentiment d’être maltraités et humiliés. "Ils nous ont traités comme des objets, pas comme des humains", a décrit Ravy(*) à RAID et au CAJJ.

p. 48-49

Contrairement à ce qu’il se passe dans les entreprises de sous-traitance, des syndicats sont présents pour les employés directs dans les mines de KCC, Metalkol, Sicomines et TFM, mais, d’après les travailleurs, pas chez Somidez. Un représentant syndical de Metalkol a indiqué qu’en 2020, il y avait six syndicats sur le site de la mine. Au moment où les entretiens ont eu lieu, des négociations étaient en cours pour parvenir à une convention collective avec la société afin de remédier au manque d’avantages sociaux pour les travailleurs. Un représentant syndical chez KCC a aussi mentionné que dix chambres syndicales représentaient les travailleurs. Dans un courrier qui nous a été adressé, China Molybdenum, la société mère de TFM, a déclaré : "Tous les employés congolais de TFM ont adhéré à un syndicat. La convention collective négociée et signée par la société et le syndicat couvre 100 % des employés congolais; elle stipule les heures de travail, les salaires et les avantages sociaux qui satisfont aux normes du marché et aux lois." Cependant, les représentants syndicaux et les employés expliquent que les rapports de force inégaux, le licenciement des porte-paroles des syndicats et l’ingérence des employeurs rendent les syndicats inefficaces dans une certaine mesure. Bien que ces problématiques ne soient généralement pas circonscrites à des entreprises spécifiques, les sociétés chinoises ont longtemps été perçues comme hostiles aux syndicats indépendants et réticentes à s’engager dans des négociations collectives. Selon les enquêtes de RAID et du CAJJ, les travailleurs de TFM et de Sicomines étaient les plus préoccupés par l’efficacité et l’indépendance de leurs syndicats. De même, les travailleurs directement embauchés qui ont déclaré ne pas être syndiqués étaient plus nombreux chez Somidez, détenue par des intérêts chinois.

Tshamala(*), employé par TFM, a expliqué que, bien que son employeur déduise 6 USD par mois à titre de cotisation syndicale, il estimait que les syndicats de TFM n’avaient pas beaucoup de pouvoir pour aider les travailleurs. Lorsque Tshamala a été suspendu pendant trois jours pour avoir pris un jour de congé sans autorisation après le décès de son beau-frère, le syndicat a tenté de négocier en son nom mais n’a pas réussi. Tshamala était sceptique quant à l’engagement des syndicats envers les travailleurs : "Nous avons parfois l’impression qu’ils sont corrompus et qu’ils oublient de nous soutenir contre l’employeur." D’autres employés de TFM, occupant des postes plus élevés, étaient moins critiques à l’égard de leurs syndicats : "Nous avons toujours un représentant syndical pour chaque service. Nous avons voté pour des chambres syndicales; la convention dit que nous devrions avoir au moins 11 chambres. La semaine dernière, ils ont tenu une réunion pour le renouvèlement de la convention. Ils nous aident à négocier avec l’employeur."

Des employés de Sicomines ont affirmé à RAID et au CAJJ que l’adhésion à un syndicat y est obligatoire. Chaque mois, la société déduit 1 USD du salaire de chaque travailleur en guise de cotisation syndicale. Pourtant, les travailleurs de Sicomines étaient d’avis que leurs syndicats ne les représentaient pas efficacement et qu’ils étaient influencés par la société. Lyambo(*) a évoqué sa méfiance et son mécontentement à l’égard du manque de pouvoir du syndicat : "Nous avons un syndicat, mais ce sont des travailleurs congolais comme nous. Ils ne peuvent rien demander, parce qu’ils peuvent se faire renvoyer. Ils ne font rien pour nous. Je paie 1 USD par mois pour le syndicat. Ils donnent des informations aux Chinois, ils ne sont pas de notre côté. Ils essaient d’éviter les grèves. Nous ne votons pas pour eux – ils sont nommés par les Chinois."

Landry(*), qui a travaillé pour Sicomines pendant cinq ans, a aussi mentionné que son représentant syndical était nommé par la société, au lieu d’être élu par les travailleurs, et donnait donc la priorité aux intérêts de la société au détriment de ceux des travailleurs. Il a ajouté qu’en 2017, son syndicat s’est opposé à une grève organisée par les travailleurs pour réclamer de meilleures rémunérations et conditions. Un autre employé, Silvère(*), a raconté : "La société a choisi le syndicat; nous n’avons jamais voté pour le syndicat. Ils ne travaillent pas pour nous. Nous avons suggéré de cacher nos salaires dans des enveloppes et avons demandé au syndicat de s’en occuper. Mais ils n’ont rien fait, ils ne peuvent pas demander cela aux Chinois. Ils doivent obéir."

Dans ces contextes, la présence de syndicats ressemble davantage à un effort des sociétés pour limiter les possibles atteintes à leur réputation qu’à une réelle volonté de protéger les droits de leurs travailleurs.

p. 49-50

Les travailleurs nous ont expliqué que le racisme et les tensions entre les expatriés chinois et les travailleurs congolais prennent plusieurs formes, y compris une humiliation palpable et d’autres traitements dégradants. Presque tous les travailleurs interrogés, employés par des sous-traitants chinois de Sicomines, Somidez, TFM ou Metalkol, ont rapporté avoir subi ou été témoins d’actes de racisme et de discrimination, se manifestant souvent par des violences physiques et verbales à l’encontre des travailleurs congolais.

Un exemple décrit par les travailleurs était le traitement infligé par un sous-traitant de Metalkol à ses employés. Les travailleurs congolais ont déclaré que lorsqu’ils ne comprenaient pas les instructions données en mandarin, faisaient des erreurs ou refusaient d’effectuer des tâches dangereuses, cela déclenchait souvent des agressions violentes et des insultes dégradantes de la part des responsables chinois. Entre 2016 et 2019, Prince(*), âgé de 29 ans, a gagné entre 2 USD et 5 USD par jour en enchainant de nombreux contrats de 21 jours pour divers sous-traitants de Metalkol. Il a été témoin à plusieurs reprises de mauvais traitements dans la société, tels que des travailleurs insultés, giflés, poussés et se faisant tirer les oreilles. Ceux qui ont riposté ont été licenciés sur-le-champ. Un autre travailleur, Kazenga(*), qui était employé comme journalier, a connu une expérience similaire avec un sous-traitant de Metalkol. "Cela dépend des personnes avec qui vous travaillez", a-t-il raconté, "mais certaines sont très violentes. Certains Chinois disent que les Congolais ne sont pas intelligents."

Trois hommes, anciens employés d’une entreprise de sous-traitance travaillant à la mine de TFM, ont été victimes d’agressions violentes répétées de la part de leurs responsables chinois. Lorsque RAID et le CAJJ ont rencontré le travailleur journalier Luc(*), ce dernier était sans emploi depuis un mois après avoir été injustement licencié par un sous-traitant de TFM, à l’issue de huit mois de traitement dégradant au travail. Il nous a confié qu’il avait été régulièrement battu et frappé à coups de pied. Le jour de son licenciement, il est arrivé au travail et on lui a dit que des matériaux de construction avaient été volés pendant qu’il était en poste. Lui et ses collègues ont essayé d’expliquer qu’ils n’étaient pas impliqués dans ce vol, mais les responsables de TFM, refusant d’engager des négociations, ont appelé des gardes armés qui ont violemment ordonné à Luc et aux autres hommes de quitter le site et de ne jamais revenir. Ils n’ont pas reçu les salaires qui leur étaient dus.

Un autre travailleur a expliqué que les pratiques abusives sont moins prises au sérieux par les sous-traitants de TFM qu’elles ne le seraient par TFM elle-même. Pierre(*), qui est directement employé par TFM, est marié et père de quatre enfants. Il a indiqué à RAID et au CAJJ qu’il avait souvent vu des travailleurs chinois insulter et frapper des travailleurs congolais. Il a ajouté que ces incidents auraient fait l’objet d’une enquête par TFM si les travailleurs avaient été directement embauchés par la mine, mais les entreprises de sous-traitance se contentent de licencier les travailleurs congolais qui sont maltraités. Il nous a précisé qu’il n’y avait pas de recherche de responsabilité dans les entreprises de sous-traitance : "…[ils] font ce qu’ils veulent. Ils s’en fichent complètement."

p. 51

Les travailleurs de Sicomines ont affirmé qu’ils étaient fréquemment témoins de violences similaires. Lyambo(*) a raconté que tous les jours, il voyait des traitements brutaux infligés aux travailleurs congolais par les responsables. Les travailleurs étaient battus par les responsables lorsqu’ils refusaient d’effectuer des tâches dangereuses. Les responsables ne sachant pas parler swahili ou français donnaient régulièrement des instructions en mandarin, langue que les travailleurs congolais ne comprenaient pas. Là encore, les responsables réagissaient avec violence : gifles, coups de pied et altercations avec leurs employés congolais. Lyambo a assisté horrifié et impuissant à un incident effroyable dans lequel un travailleur chinois a saisi une pelle et a frappé un collègue congolais à la tête. Comme l’ont expliqué les travailleurs, il ne s’agit pas d’un évènement isolé. Face à cet environnement violent, Silvère(*) évite tout contact avec ses collègues chinois : "J’essaie de ne pas avoir de contact avec les Chinois, parce qu’ils ne nous traitent pas bien. Personne n’est satisfait de la façon dont ils nous traitent. Ils nous insultent, mais dans leur langue, donc je ne comprends pas."

Chez Somidez également, les travailleurs ont indiqué que les responsables chinois giflaient et insultaient les travailleurs congolais.

Bien que seuls des travailleurs employés par des sociétés minières et des sous-traitants chinois aient été témoins ou victimes de racisme flagrant et d’abus violents, d’autres formes de discrimination ont été signalées dans les cinq mines présentées dans ce rapport, notamment un traitement préférentiel et de meilleures installations pour les expatriés.

 

(*) Pseudonyme; tous les noms réels ont été remplacés.

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Notre analyse concernant la nature de la Chine

En résumé notre analyse concernant la nature de la Chine se compose notamment des constats suivants :

La Chine est un pays capitaliste impérialiste.

Son développement économique s’effectue selon les caractéristiques de ces rapports sociaux de production.

Ce qui implique que le mécanisme qui détermine concrètement le fonctionnement de l’économie n’est pas ‑ comme le prétend le Parti communiste chinois ‑ le "marché" mais le profit capitaliste extorqué aux travailleurs sur la base de la plus-value générée par leur travail.

La présence et l’action de la Chine au niveau international sont guidées par ces mêmes mécanismes, et de ce fait la Chine apporte aux populations non pas le progrès et le bienêtre, mais les méfaits inhérents au système capitaliste.

Ainsi on se trompe en croyant que dans ce contexte le précepte du "gagnant-gagnant" signifie : gagnant d’un côté pour la Chine et de l’autre pour le "partenaire " concerné. En réalité il signifie que la Chine est doublement gagnant, à la fois du point de vue économique et celui politique.

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Complément de lecture :

"La Chine impérialiste, ennemi des populations opprimées du monde" 

 

Septembre 2024



[1]https://kewoulo.info/sindia-usine-twyford-les-ouvriers-arretent-la-production/

[2]https://www.facebook.com/Senegallibe10/posts/pfbid02eEWHTGRpNxzEaxGnyEyj71qnbw8NUv3X4h8bXPfKN9KGUbFQJi5wXzbx9LWBeLwml

https://kewoulo.info/sindia-usine-twyford-les-ouvriers-arretent-la-production/

[3]https://sunugox.info/mbour-sindia-les-travailleurs-de-twyford-ceramics-denoncent-et-deposent-un-preavis-de-greve/

[4]http://news.adakar.com/h/123517.html

[5]https://lequotidien.sn/mauvaises-conditions-de-travail-les-employes-de-twyford-bloquent-la-rn1/

[6]https://www.thies24.com/crise-a-twyford-ceramics-lt-communique-de-linspecteur-regional-du-travail-et-de-la-securite-sociale-de-thies/

[7]https://www.impact.sn/ENQUETE-SOCIALE-Usine-Twyford-les-ouvriers-senegalais-dans-l-enfer-de-la-ceramique-chinoise_a47017.html

[8]https://www.lemonde.fr/afrique/article/2024/09/05/au-senegal-des-ouvriers-face-au-revers-de-la-medaille-economique-chinoise_6305013_3212.html

[9]https://www.rfi.fr/fr/afrique/20220816-tchad-le-syndicat-du-secteur-p%C3%A9trolier-en-guerre-contre-les-entreprises-chinoises

[10]https://www.alwihdainfo.com/Les-entreprises-chinoises-se-font-une-place-au-Tchad_a3466.html

[11]https://www.togolais.info/les-syndicats-du-zimbabwe-accusent-les-entreprises-chinoises-de-violations/

[12]https://www.theeastafrican.co.ke/tea/rest-of-africa/zimbabwe-labour-unions-accuse-chinese-firms-of-violations-4270914

[13]https://www.theeastafrican.co.ke/tea/rest-of-africa/zimbabwe-labour-unions-accuse-chinese-firms-of-violations-4270914

[14]https://www.newsday.co.zw/thestandard/news/article/200011654/govt-shuts-down-bikita-minerals-over-abuses

https://www.reuters.com/markets/commodities/sinomines-zimbabwe-unit-resumes-operations-2023-05-24/

[15]https://www.ilo.org/sites/default/files/wcmsp5/groups/public/@ed_norm/@relconf/documents/meetingdocument/wcms_896601.pdf

[16]https://raid-uk.org/wp-content/uploads/2023/07/RAID-Cobalt-Full-Report-French-La-Route-De-La-Ruine-2021.pdf