Palestine
La question des perspectives stratégiques possibles
pour le peuple palestinien
LA VOIX DES COMMUNISTES, no 29, 2e semestre 2021 – p. 19-27
Les origines historiques fondamentales de la situation dans laquelle se trouve le peuple palestinien sont connues, largement analysées et discutées, et suffisamment documentées pour que l’on puisse distinguer les constats factuels des interprétations falsifiées, déformées à des fins de propagande réactionnaire. Pour formuler une position déterminée concernant la situation actuelle, on ne peut se contenter de considérer une période limitée plus ou moins récente. Il faut impérativement prendre comme référence centrale le développement au cours des années 1880-1890 du mouvement sioniste, avec comme objectif l’établissement d’un État national juif. Dès cette époque, les actions entreprises en ce sens se concentrent sur la Palestine, et revêtent clairement un caractère de colonisation capitaliste, en coopération étroite avec la Grande-Bretagne, puissance impérialiste naissante. Les différentes étapes qui suivent (mandat attribué par la Société des Nations en 1922, plan de partage de l’ONU en 1947, déclaration de l’indépendance de l’État d’Israël en 1948 et la guerre que déclenche cet acte, la guerre israélo-arabe de 1967, ainsi que la consolidation ultérieure d’Israël comme agent au service de la domination impérialiste dans la région – exercée en premier lieu par les USA), représentent la mise en oeuvre systématique d’un rapport de domination et d’oppression exercé par l’État d’Israël à l’égard du peuple palestinien.
Tant que l’État d’Israël traversait la période formative initiale, l’attitude logique à adopter de la part des Palestiniens se dessinait assez clairement – du moins en principe : refuser l’appropriation d’une partie du territoire de la Palestine par une population juive dans le cadre d’un État séparé créé à cette fin. À partir de la victoire d’Israël dans la guerre de 1967, l’État sioniste a pu s’imposer comme une réalité achevée, incontestable – du moins en principe, là encore. Désormais le peuple palestinien n’était plus confronté à un ennemi visant à atteindre un but préjudiciable aux Palestiniens, mais à un ennemi qui avait imposé la réalisation de son objectif fondamental comme un fait établi.
Éléments concernant les positions des organisations palestiniennes
[Remarque préalable : dans ce qui suit, nous faisons référence à des documents et des déclarations dont des citations plus détaillées sont rassemblées en annexe 1.]
En 1964 est créée l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) pour regrouper les différents groupes luttant contre l’occupation sioniste. Comme organe de direction, l’OLP comprend notamment le Conseil national palestinien. La principale composante de l’OLP est le Fatah, fondé en 1959 par Yasser Arafat. En juin 1974 la 12e session du Conseil national palestinien tenue au Caire adopte un programme politique en dix points. Les passages essentiels énoncent que l’OLP « lutte par tous les moyens dont elle dispose […] pour libérer le territoire palestinien et édifier l’autorité nationale indépendante […] du peuple sur toute partie du territoire palestinien qui sera libérée »; qu’elle « lutte contre tout projet […] dont le prix serait […] le renoncement aux droits historiques de notre peuple à rentrer chez lui et décider de son propre sort »; et que « son objectif stratégique » est « l’édification d’un État palestinien démocratique ».
La 19e session du Conseil national palestinien tenue en novembre 1988 à Alger proclame la création de l’État de Palestine et reconnait les résolutions 181, 242 et 338 de l’ONU. La résolution 181 de novembre 1947 adopte un plan de partage [voir l’annexe 2], tandis que la résolution 242 de 1967 confirme les frontières d’Israël telles qu’elles résultaient de l’issue de la guerre de cette même année [voir l’annexe 2], affectant à l’État palestinien les territoires de Gaza et Cisjordanie, ce qui constitue un amoindrissement par rapport aux délimitations fixées en 1947. La résolution 338 de 1973 renouvèle la demande de l’application de la résolution 242. Cette décision du Conseil national palestinien, interne à l’OLP, est à la base de l’accord bilatéral entre l’OLP et Israël conclu en 1993 : une déclaration appelée « Déclaration de principes sur des arrangements intérimaires d’autonomie » est signée par Yasser Arafat et le premier ministre israélien Itzhak Rabin. Ce texte officialise la reconnaissance des résolutions 242 et 338.
En résumé, la position de l’OLP abandonne ainsi l’objectif consistant à « édifier l’autorité nationale indépendante […] du peuple sur toute partie du territoire palestinien qui sera libérée » et y substitue la recherche d’un arrangement permettant à la population palestinienne des territoires extérieurs aux frontières de l’État d’Israël de réaliser une administration autonome.
Face à cet état des choses, rares sont les forces politiques qui assument de façon conséquente des positions aptes à guider correctement la défense du droit à l’autodétermination du peuple palestinien. Quant aux actions et mouvements de solidarité au niveau international, pour la majorité ils se replient sur des positions générales erronées, ou alors déploient des formes de soutien éludant le problème de fond.
Les décisions de l’OLP en 1988 puis 1993 ont eu pour conséquence que les débats se focalisent largement sur la question de « deux États ». Parmi les organisations composant l’OLP figurent principalement – outre le Fatah – le Front populaire de libération de la Palestine (FPLP) et le Hamas (acronyme en arabe pour « Mouvement de la Résistance islamique »). Voici un résumé de quelques prises de position concernant la façon d’envisager le droit à l’autodétermination du peuple palestinien.
Le FPLP s’en tient au rejet de l’idée de « deux États ». En 2009 Ahmad Saadat, Secrétaire du FPLP, déclare : « Le slogan de “deux États pour deux peuples” qui est exprimé ne fait qu’ouvrir la porte à l’acceptation d’Israël comme “État juif” ». Une déclaration du FPLP en 2014 explique : « La lutte palestinienne est une lutte pour la libération de notre peuple et de notre terre d’un régime colonial brutal et génocidaire. […] C’est le combat pour établir une Palestine démocratique pour tous sur toute la terre de Palestine, libérée de l’occupation, du racisme et de l’oppression. La “solution à deux États” n’a pas été un mécanisme pour réaliser progressivement les droits palestiniens, ni même une véritable souveraineté palestinienne; […] » Ahmad Saadat, Secrétaire du FPLP, en 2018, réaffirme l’objectif : « […] la construction d’un seul État libre, démocratique et laïque en Palestine – pas celui des frontières de 1967 – où tout citoyen peut vivre en paix sans distinction de religion ou de race. »
Quant au Hamas, la Charte fondatrice de 1988 appelle à la reconquête de la Palestine entière, y compris les territoires correspondant à l’État d’Israël actuel : « Le Mouvement de la Résistance Islamique considère que la terre de Palestine est une terre islamique waqf [un bien de main-morte, c’est-à-dire inaliénable] pour toutes les générations de musulmans jusqu’au jour de la résurrection. Il est illicite d’y renoncer en tout ou en partie, de s’en séparer en tout ou en partie. » Mais par la suite le Hamas formule une vision modifiée, qui tente de concilier principes et pragmatisme, ce qui est propice à des flottements dommageables. Khaled Mechaal, chef du bureau politique du Hamas, en 2009, déclare que le Hamas envisage : « l’établissement d’un État palestinien, souverain et complet, sur la base du 4 juin 1967 [voir l’annexe 2.], avec Jérusalem pour capitale et le retour de tous les réfugiés dans leur patrie ». Cependant, à la même époque Ismaïl Haniyeh, membre du bureau politique du Hamas, affirme : « Nous n’abandonnerons jamais la Palestine du fleuve à la mer. » Puis en 2017, le Hamas adopte un texte présenté comme un « document de principes et politiques généraux » qui reprend cette double orientation : « Le Hamas rejette toute alternative à la libération complète et achevée de la Palestine, du fleuve à la mer. Cependant […] le Hamas considère la création d’un État palestinien entièrement souverain et indépendant, avec Jérusalem comme capitale, selon les limites du 4 juin 1967 […] comme une formule de consensus national. »
Il faut mentionner aussi le Front démocratique de libération de la Palestine (FDLP). Il a pour caractéristique propre d’avoir insisté sur la nécessité de prendre en considération le mouvement ouvrier. En mars 1968, le dirigeant du FPLP George Habash est arrêté en Syrie. Au sein de l’organisation, Nayef Hawatmeh avec Yasser Abd Rabbo forme alors une faction qui arrive à faire élire sa liste et atteint la majorité à la direction. Ultérieurement d’autres composantes insistent sur de nouvelles élections, la majorité retire plusieurs candidats pour éviter la controverse et redevient minoritaire. L’action la plus significative de la brève période influencée par Hawatmeh a été de publier un rapport politique de base au nom du FPLP. Le rapport indique notamment que : « les classes ouvrières et paysannes sont celles qui sont prêtes à porter les armes et à mener une guerre à long terme contre les ennemis de la libération nationale, à savoir l’impérialisme et ses agents ». En novembre 1968, une opération d’évasion sauve Habash de la prison et il reprend sa position au sein du FPLP. En février 1969, le groupe de Hawatmeh s’établit en tant qu’organisation indépendante, Front démocratique populaire pour la libération de la Palestine (FDPLP). Le terme « populaire » a été ultérieurement supprimé, suite à des pressions en ce sens de la part du FPLP. Dans un premier temps, le FDPLP survit difficilement, mais des dissidents baasistes et communistes qui avaient formé de petits partis séparatistes se sont joints à lui. Puis la majorité de l’Organisation populaire pour la libération de la Palestine (OPLP), de tendance maoïste, s’est dissoute dans le FDPLP. Le FDPLP a également bénéficié du soutien syrien, sous la forme de fournitures d’armes et de l’utilisation d’installations d’entrainement militaires syriennes.
Il faut noter qu’au cours de son évolution, le FDLP a eu des contacts avec une organisation israélienne trotskiste, Derekh Ha-Nizoz (La Voie de l’étincelle), qui faisait à l’origine partie du Matzpen dont elle s’est séparée par la suite. Hawatmeh a rencontré des membres de cette organisation en 1982 [1].
En 1970 Hawatmeh appelle au renversement du régime hachémite de Jordanie au profit d’un « État national démocratique » propalestinien, conçu comme base pour reconquérir la Palestine israélienne pour la transformer en un État démocratique où coexisteraient deux cultures nationales[2]. Mais l’échec de cette perspective l’amène à avancer l’idée du mini-État palestinien (Cisjordanie et Gaza) comme première étape décisive vers l’État démocratique unitaire de toute la Palestine[3]. En 1974 Hawatmeh déclare : « Nous devons […] imposer l’existence autonome de notre peuple sur n’importe quelle partie de territoire que les Israéliens évacueraient. Cette existence autonome […] permettra ainsi [à notre peuple] de poursuivre sa lutte contre l’entité sioniste pour l’établissement d’un État démocratique sur l’ensemble de la Palestine. » En 2018 Qais Abd al-Karim, secrétaire général du FDLP, explique : « Les mouvements palestiniens se trouvent face à la nécessité de se réorganiser et de se lancer dans une nouvelle stratégie, basée sur la résistance populaire et sur l’interpellation de la communauté internationale afin qu’elle assume ses responsabilités et qu’elle sanctionne l’État d’Israël pour ses flagrantes et continues violations des lois internationales. »
Exemples de positions de solidarité
En France, des organisations se prétendant marxistes-léninistes adhèrent à la « solution » de deux États.
Voici par exemple une prise de position de la part du PRCF, en juillet 2020, qui évoque[4] :
[…] la solution intégrale, juste et durable du conflit israélo-palestinien, qui permettrait au peuple arabe d’exercer son droit à l’autodétermination et de disposer d’un État indépendant et souverain sur la base des frontières d’avant 1967, avec Jérusalem-Est comme capitale, et qui garantirait le droit au retour des réfugiés.
Le PCOF tourne autour du pot. Au sujet de la Palestine, on trouve des articles dénonçant la politique de Netanyahou, de Trump, des allusions à la perspective de « deux États ». Par exemple[5] : « Par sa décision, Trump liquide la “solution à deux États avec Jérusalem pour capitale”, solution à laquelle presque plus personne ne croit mais qui était au coeur de la diplomatie des États-Unis et du Quartet après la signature des accords d’Oslo. » Par ailleurs, le PCOF applique à la question de la Palestine le penchant – qui le caractérise – aux campagnes « publicitaires » consistant à mettre en avant sa signature à tout va. Ainsi il est partie prenante du « Collectif pour une Paix Juste et Durable entre Palestiniens et Israéliens ». Voici par exemple un extrait d’un des appels signés à ce titre par le PCOF (février 2020)[6] :
C’est avec beaucoup d’arrogance et de mépris pour la communauté internationale que Trump a présenté un soi-disant plan de paix. […] Les associations signataires […] appellent le gouvernement français à soutenir et à prendre les initiatives pour sanctionner la politique israélienne d’occupation, de colonisation et d’annexion et mettre fin à tout ce qui contribue au maintien de cette situation […]. Il est inconcevable que la France se rende ainsi complice d’un tel plan. C’est une solution basée sur le droit qui doit s’imposer.
Réflexions sur la Palestine à la lumière de l’expérience de Rojava
Certaines similitudes apparentes pourraient laisser à penser que le succès de l’établissement d’une entité kurde autonome dans le cadre de Rojava indiquerait que la constitution d’un État palestinien sur un territoire limité (Cisjordanie, Gaza) soit un objectif valable comme étape intermédiaire vers la réalisation complète du droit à l’autodétermination du peuple palestinien. Ce n’est pas le cas, mais l’analyse comparée des contextes respectifs permet d’éclairer le caractère erroné de la « solution de deux États » en Palestine. Rappelons ce qui a été exprimé plus haut : il faut impérativement tenir compte du processus historique à partir de son début au cours des années 1880-1890.
La lutte pour le droit à l’autodétermination du peuple kurde a des origines historiques lointaines, mais un contexte spécifique a surgi avec la disparition des empires au sein desquels existait la société kurde. Le territoire kurde se trouve réparti entre quatre États différents, et pour chacun de ces États les Kurdes vivent sur une « parcelle » du territoire. Ces États sont certes soumis aux rapports de domination imposés par les puissances impérialistes, mais des multiples populations autochtones y vivent, avec un pouvoir d’État qui a, tant bien que mal, le caractère d’un État national indépendant. Cela signifie que le peuple kurde n’a de toute façon pas pour objectif de remplacer globalement le pouvoir d’État en place pour établir son propre pouvoir sur la totalité du territoire de l’État concernée. En outre, pour ce qui est plus précisément de Rojava, un des facteurs qui a permis la formation d’une entité distincte au sein de la Syrie, c’est l’alliance nouée avec d’autres composantes ethniques en Syrie.
Il y a un point commun fondamental entre la Palestine et le Kurdistan, c’est le passage du capitalisme colonial à l’étape du capitalisme impérialiste. Les Palestiniens comme les Kurdes subissaient au même titre le partage du monde entre puissances impérialistes et le découpage qui en résultait au Moyen-Orient. Or, en Palestine le peuple palestinien constituait la population autochtone prédominante, bien que des Juifs y vivaient également. Certes, il ne faut pas en conclure que les Palestiniens doivent lutter pour la création d’un État réservé aux Palestiniens. Mais la détermination de l’objectif légitime du point de vue du peuple palestinien exclut tout dispositif qui ne serait qu’une nouvelle version de « plan de partage », c’est‑à‑dire la coexistence de deux États, « provisoire » ou définitive. L’idée d’établir un État palestinien sur une partie de la Palestine tout en déclarant que cet État ne reconnait pas l’État d’Israël, est un subterfuge fallacieux : créer un État en bonne et due forme enlèverait toute cohérence à l’allégation que l’État d’Israël occupe un morceau de cet État palestinien. Et l’origine de la situation, à savoir l’installation d’une population juive prédominante moyennant une immigration massive imposée, implique que l’instauration d’un État unique sur la totalité de la Palestine ne peut être que le résultat de la lutte du peuple palestinien pour mettre fin à l’occupation sioniste. La façon de réaliser une coexistence entre Palestiniens et Juifs pourra être conçue et mise en oeuvre uniquement sur la base de la victoire de cette lutte. Évidemment, il est et sera important que les Palestiniens, en vue d’atteindre leur objectif, bénéficient d’un large soutien de la part de ceux parmi les Juifs qui, eux aussi, considèrent l’occupation sioniste de la Palestine comme illégitime.
Le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes
Les communistes marxistes-léninistes soutiennent le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Étant donné que la reconnaissance de ce droit se trouve parfois tronquée par la façon dont elle est formulée, il faut préciser certains points. En premier lieu, comme Lénine l’a expliqué, le droit d’un peuple à disposer de soi-même inclut le droit à la séparation de l’État à l’intérieur duquel vit cette population. Cela dit, cet aspect ne s’applique nullement au peuple palestinien, puisque vu sous cette angle, il s’agirait pour les Palestiniens vivant en Israël, de se « séparer » de cet État, autrement dit de rejoindre ce « deuxième État » dont la création resterait à réaliser. D’autre part, le cas de la Palestine ne cadre pas avec l’idée de se libérer d’une domination extérieure de caractère impérialiste ou colonial. Certes, Israël peut à juste titre être considéré comme un État colonisateur, mais dans un sens tout à fait singulier : Israël est un « empire colonial » qui n’a pas d’existence en dehors du territoire colonisé lui-même; dès lors, la libération du peuple colonisé signifie non pas couper les liens avec la puissance colonisatrice, mais la disparition pure et simple de cette dernière en tant qu’État.
Cette défense de l’indépendance nationale s’inscrit dans le contexte global de la lutte antiimpérialiste. Pour les communistes dans les pays impérialistes cela implique qu’ils doivent en premier lieu s’opposer activement à l’oppression exercée par la bourgeoisie de leur propre pays à l’égard d’autres peuples et nations. Mais cette solidarité combattante ne peut et ne doit se substituer à la lutte des peuples opprimés. Ceux-ci doivent fondamentalement compter sur leurs propres forces, ce qui signifie en même temps qu’ils doivent déterminer eux-mêmes les objectifs et les moyens de leur lutte.
Nous, communistes marxistes-léninistes dans un pays impérialiste, devons certes analyser les situations qui caractérisent les différents conflits qui traversent le système mondial impérialiste. Nous devons distinguer entre les conflits qui opposent effectivement la classe ouvrière à la bourgeoisie, les peuples opprimés aux puissances oppressives d’une part, et les conflits qui relèvent des rivalités entre puissances impérialistes et des divergences entre différentes fractions au sein de la bourgeoisie. Une telle analyse est parfois complexe, dans la mesure où le mécontentement des masses populaires face aux gouvernements de même que l’hostilité des peuples envers les pays dominants peuvent être manipulés et déviés par la bourgeoisie. Mais quand nous constatons qu’une lutte donnée est juste en tant que lutte pour le droit d’un peuple à disposer de soi et pour ses droits démocratiques – et c’est assurément le cas en ce qui concerne le peuple palestinien -, notre solidarité ne doit prétendre à donner aux forces en lutte des leçons sur la façon d’agir ni ne doit être conditionnée par les alliances qu’elles nouent.
À l’échelle historique, les mouvements de libération nationale, pour aller vers la victoire, doivent être guidés par des forces liées à la classe ouvrière et adoptant le point de vue de la révolution prolétarienne. De fait, dans le contexte concret actuel cette perspective est lointaine. Néanmoins, en observant le cas du peuple kurde, la comparaison entre Rojava et le gouvernement régional autonome en Irak montre effectivement que le point de vue de classe joue toujours un rôle moteur. En ce qui concerne les forces bourgeoises, autrefois, dans le cadre des mouvements de libération nationale contre l’occupation coloniale, pouvaient intervenir des composantes représentant une bourgeoisie nationale, dont la situation les poussait à vouloir s’extraire de la prédominance de la bourgeoisie liée à la puissance colonisatrice. Avec le passage au système mondial du capitalisme impérialiste pleinement développé, cette perspective est devenue largement hypothétique. Les évènements récents en Espagne en rapport avec la Catalogne ont montré la vanité d’un mouvement de « libération » nationale restant à la traine de forces bourgeoises qui pensent pouvoir tirer avantage en s’extrayant de l’État espagnol pour se tourner vers l’Europe.
Toujours est-il que, du point de vue général du marxisme-léninisme, le droit des peuples à la libre disposition d’eux-mêmes est un facteur fondamental. La poursuite de notre objectif de la prise du pouvoir par la classe ouvrière, en France, doit toujours aller de pair avec la participation à lutte antiimpérialiste, que ce soit face à notre propre gouvernement ou par la solidarité agissante avec les combats menés ailleurs contre l’impérialisme mondial. Cependant, cette solidarité, nous la concevons comme partie intégrante de la lutte pour la révolution socialiste, et elle ne peut donc pas prendre la forme d’un soutien suiviste à n’importe quelle mobilisation subjectivement « progressiste ».
Annexe – 1
Quelques citations reflétant les positions des organisations palestiniennes
OLP
● En juin 1974 la 12e session du Conseil national palestinien tenue au Caire adopte un programme politique en dix points, dont les suivants[7].
2) L’O.L.P. lutte par tous les moyens dont elle dispose, notamment la lutte armée, pour libérer le territoire palestinien et édifier l’autorité nationale indépendante et combattante du peuple sur toute partie du territoire palestinien qui sera libérée.
3) L’O.L.P. lutte contre tout projet ou entité palestinienne dont le prix serait la reconnaissance de l’ennemi, la conclusion de la paix avec lui et le renoncement aux droits historiques de notre peuple à rentrer chez lui et décider de son propre sort.
4) L’O.L.P. considère que toute mesure de libération n’est qu’un pas vers la réalisation de son objectif stratégique, à savoir l’édification d’un État palestinien démocratique conformément aux résolutions des précédentes sessions du Conseil national palestinien.
FPLP
● Ahmad Saadat, Secrétaire du FPLP, juin 2009 [8]
La fin du conflit historique et l’objectif ne peuvent être que la fin de l’entité sioniste et l’instauration de la démocratie dans toute la Palestine, à travers la mise en œuvre du droit au retour palestinien. Le slogan de « deux États pour deux peuples » qui est exprimé ne fait qu’ouvrir la porte à l’acceptation d’Israël comme « État juif », ce qui menace non seulement notre droit au retour, mais aussi l’existence des masses de notre peuple dans la partie occupée de la Palestine de 1948 sur le terrain où ils sont nés et où ils sont restés fermement enracinés et forts, dans le territoire.
● FPLP, décembre 2014 [9]
Le FPLP rejette sans équivoque la soi-disant « Initiative française » parrainée aux Nations Unies par le régime jordanien comme une menace dangereuse pour le droit au retour des réfugiés palestiniens, qui sape les droits des Palestiniens dans le cadre des Nations Unies sous couvert de soutien à un « État palestinien » […].
La lutte palestinienne est une lutte pour la libération de notre peuple et de notre terre d’un régime colonial brutal et génocidaire. C’est pour le retour des réfugiés palestiniens, c’est pour l’exercice de la souveraineté et de l’autodétermination du peuple palestinien sur l’ensemble de ses terres. Ce n’est pas un conflit entre des parties égales, c’est une lutte entre le colonisé et le colonisateur, entre l’opprimé et l’oppresseur. C’est le combat pour établir une Palestine démocratique pour tous sur toute la terre de Palestine, libérée de l’occupation, du racisme et de l’oppression.
La « solution à deux États » n’a pas été un mécanisme pour réaliser progressivement les droits palestiniens, ni même une véritable souveraineté palestinienne; au contraire, les « initiatives de construction de l’État » mentionnées positivement dans le projet de résolution ont soutenu l’investissement et l’exploitation capitalistes aux dépens des classes populaires palestiniennes, qui n’ont pas bénéficié d’un tel financement. Il n’y a aucune libération pour aucune partie de la Palestine ou de son peuple envisagée par cette résolution : seulement la poursuite de la série interminable de négociations qui érodent les droits palestiniens tandis que l’occupant continue d’attaquer et de détruire.
● Ahmad Saadat, Secrétaire du FPLP, novembre 2018 [10]
L’objectif est de mettre la Palestine, pour la énième fois, sur la voie de la libération en réaffirmant l’essence même de la lutte palestinienne. Cela concerne principalement le retour des réfugiés et la construction d’un seul État libre, démocratique et laïque en Palestine – pas celui des frontières de 1967 [voir l’annexe 2] – où tout citoyen peut vivre en paix sans distinction de religion ou de race.
FDLP
● Rapport politique de base élaboré par le groupe de Nayef Hawatmeh au nom du FPLP, 1968 [11]
Le rapport demande :
[L]unité de toutes les classes et forces politiques sous la direction des classes révolutionnaires qui ont porté les armes tout au long de l’histoire moderne de la Palestine. Ce sont les fils de ces classes qui ont répondu à l’appel aux armes depuis juin 1967. L’histoire moderne du peuple de Palestine, et celle des guerres de libération populaire dans tous les pays sous-développés, prouve que les classes ouvrières et paysannes sont celles qui sont prêtes à porter les armes et à mener une guerre à long terme contre les ennemis de la libération nationale, à savoir l’impérialisme et ses agents.
● Nayef Hawatmeh, 1974 [12]
Nous devons […] mener la lutte sous toutes ses formes pour imposer l’existence autonome de notre peuple sur n’importe quelle partie de territoire que les Israéliens évacueraient. Cette existence autonome préservera notre peuple des campagnes d’extermination auxquelles il a périodiquement eu à faire face et lui permettra ainsi de poursuivre sa lutte contre l’entité sioniste pour l’établissement d’un État démocratique sur l’ensemble de la Palestine.
● Nayef Hawatmeh, en exil en Syrie, entretien, mai 2005 [13]
Question : Que pensez-vous de la façon de gouverner du président palestinien Mahmoud Abbas?
Hawatmeh : Je le connais depuis vingt ans. Nous étions amis. Nous le sommes toujours et maintenons des contacts réguliers. Sur le plan politique, il est réellement très différent de Yasser Arafat. Il veut parvenir à une paix globale avec Israël conformément aux résolutions des Nations unies et à la feuille de route.
● Qais Abd al-Karim, secrétaire général du FDLP, mai 2018 [14]
Le conseil central de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) a décidé que les États-Unis ne pouvaient parrainer ledit « processus de paix » et que nous devions tout réorganiser, avec notamment l’implication de partenaires internationaux multilatéraux, basés sur les résolutions de l’ONU. […] Les dirigeants israéliens montrent actuellement leur vrai visage : s’ils ont, ces dernières années, évoqué à de nombreuses reprises une solution à deux États, la réalité est que la coalition de droite qui dirige l’État d’Israël fait en ce moment absolument tout pour saboter cette possibilité. Ils sont désormais clairement en train d’envisager d’annexer la Cisjordanie, et de l’intégrer dans un grand État israélien qui contrôlerait toute la Palestine historique, de la rivière Jourdain jusqu’à la Méditerranée. Les mouvements palestiniens se trouvent face à la nécessité de se réorganiser et de se lancer dans une nouvelle stratégie, basée sur la résistance populaire et sur l’interpellation de la communauté internationale afin qu’elle assume ses responsabilités et qu’elle sanctionne l’État d’Israël pour ses flagrantes et continues violations des lois internationales.
Hamas
● Charte du Mouvement de la Résistance Islamique – Palestine (Hamâs), 1988 [15]
Le Mouvement de la Résistance Islamique considère que la terre de Palestine est une terre islamique waqf [de main-morte] pour toutes les générations de musulmans jusqu’au jour de la résurrection. Il est illicite d’y renoncer en tout ou en partie, de s’en séparer en tout ou en partie […] Tel est son statut selon la Loi islamique, statut identique à celui de toute terre conquise par les musulmans de vive force. À l’époque des conquêtes, en effet, les musulmans ont constitué ces terres en biens waqf pour toutes les générations de musulmans jusqu’au jour de la résurrection. […] Le patriotisme [al-wataniyya], du point de vue du Mouvement de la Résistance Islamique, est un article de la profession de foi [’aqîda] religieuse. Il n’y a rien de plus fort et de plus profond dans le patriotisme que le jihad qui, lorsque l’ennemi foule du pied la terre des musulmans, incombe à tout musulman et musulmane en tant qu’obligation religieuse individuelle [fard ’ayn]; […].
● Khaled Mechaal, chef du bureau politique du Hamas, juin 2009 [16]
Le Hamas considère que l’établissement d’un État palestinien, souverain et complet, sur la base du 4 juin 1967 [voir l’annexe 2], avec Jérusalem pour capitale et le retour de tous les réfugiés dans leur patrie est une manière convenable qui a fait consensus parmi les tous les membres du mouvement.
● Ismaïl Haniyeh, membre du bureau politique du Hamas, décembre 2009 [17]
« Nous n’abandonnerons jamais la Palestine du fleuve à la mer », a déclaré Haniya […] se référant aux frontières d’avant 1948 [voir l’annexe 2] du mandat palestinien britannique entre la mer Méditerranée et le Jourdain. « Il ne suffit pas au Hamas de libérer Gaza, ni d’établir un émirat à Gaza, ni un État, ni une entité indépendante… Le Hamas s’efforce de libérer toute la Palestine. »
● « Un document sur les principes et politiques généraux « , Hamas, 2017 [18]
2. La Palestine, qui s’étend de la Jordanie, à l’est, jusqu’à la Méditerranée, à l’ouest, et de Ras Al-Naqurah, au nord, jusqu’à Umm Al-Rashrash, au sud, est une unité territoriale indivisible. C’est la terre et la patrie du peuple palestinien. L’expulsion et le bannissement des Palestiniens de leur terre et l’établissement de l’entité sioniste à leur place n’anéantissent pas le droit du peuple palestinien à sa terre toute entière et ne donnent aucun droit à l’usurpateur sioniste.
[…]
19. Il n’y aura aucune reconnaissance d’une légitimité de l’entité sioniste. Quelle que soit l’ampleur de l’occupation de la terre de Palestine, sont illégitimes la construction de colonies, la judaïsation ou la modification de ses caractéristiques ou falsification des faits. Jamais les droits ne disparaissent.
20. Le Hamas estime qu’aucune partie de la terre de Palestine ne devra faire l’objet de compromis ou de concessions, indépendamment des raisons, des circonstances et des pressions, et peu importe la durée de l’occupation. Le Hamas rejette toute alternative à la libération complète et achevée de la Palestine, du fleuve à la mer. Cependant, sans revenir sur son rejet de l’entité sioniste et sans renoncer à aucun droit palestinien, le Hamas considère la création d’un État palestinien entièrement souverain et indépendant, avec Jérusalem comme capitale, selon les limites du 4 juin 1967 [voir l’annexe 2], avec le retour des réfugiés et des déplacés vers les maisons d’où ils ont été expulsés, comme une formule de consensus national.
Annexe – 2
Du « Plan de partage » de 1947 aux « Frontières de juillet 1949 »
La modification des frontières, 29 novembre 1947 : l’Assemblée générale de l’ONU partage la Palestine en un État juif, un État arabe et une zone internationale pour Jérusalem et les Lieux saints. 14 mai 1948 : Israël déclare son indépendance et, dès le lendemain, fait face aux armées des États arabes qui ont refusé le partage. 20 juillet 1949 : la signature du dernier armistice entre Israël et ses voisins (en l’occurrence la Syrie) met fin à vingt mois de guerre judéo-palestinienne, puis israélo-arabe. Jusqu’au déclenchement d’un nouveau conflit militaire le 5 juin 1967, les lignes déterminées par les armistices constituent, du point de vue d’Israël, les frontières de ce pays. À l’issue de l’opération militaire menée du 5 au 10 juin 1967, Israël occupe la Cisjordanie, la bande de Gaza, le Golan en Syrie et le Sinaï égyptien. Pour autant que la Palestine est concernée, la référence aux frontières du 4 juin 1967 signifie donc le retour aux frontières de juillet 1949.
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[1]. https://www.tabletmag.com/sections/community/articles/is-zionism-the-problem-matzpen
[2]. https://www.servicevolontaire.org/newsites/free/pierre/uploads/files/cde12607e0a95fa289a2cca28521c592.pdf
[3]. Le Monde diplomatique, janvier 1974..
[4]. https://www.initiative-communiste.fr/articles/international/lannexion-de-la-cisjordanie-par-israel-est-illegale/
[5]. https://www.pcof.net/wp-content/uploads/2018/01/LF-591.pdf
[6]. https://cnpjdpi.org/Communique-Deal-du-siecle.html
[7]. https://www.lemonde.fr/archives/article/1974/06/04/les-dix-points-du-rapport-politique_2542684_1819218.html
[8]. http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article13966
[9]. http://ledesordre.over-blog.com/2014/12/pflp-draft-un-resolution-of-french-initiative-threatens-palestinian-rights.html
[10]. https://www.humanite.fr/palestine-reconstruire-la-resistance-par-le-mouvement-populaire-664319
[11]. https://yplus.ps/wp-content/uploads/2021/01/Buck-Terry-James-The-Decline-of-the-Popular-Front-for-the-Liberation-of-Palestine.pdf
[12]. Le Monde diplomatique, janvier 1974.
[13]. https://www.liberation.fr/planete/2005/05/20/nayef-hawatmeh-ne-pas-renouer-avec-le-systeme-arafat_520389/
[14]. https://www.revue-ballast.fr/rencontre-avec-le-front-democratique-de-liberation-de-la-palestine/
[15]. http://memri.fr/2014/07/30/la-charte-du-mouvement-de-resistance-islamique-hamas/
[16]. https://www.aljazeera.com/news/2017/5/2/hamas-accepts-palestinian-state-with-1967-borders
[17]. https://www.france24.com/en/20091214-hamas-vows-liberate-all-palestine-anniversary-rally
[18]. https://www.chroniquepalestine.com/charte-mouvement-hamas-version-francaise/
[19]. https://visionscarto.net/1948-La-Palestine-des-archives-aux-cartes